« Allez viens, on va bien s’éclater » n’arrête pas d’insister D.G alors que j’ai qu’une envie passer l’aprem sous les draps et dans le confort de mon lit. « Tu vas voir, on va s’amuser j’en suis sûr » qu’il ajoute en dégageant la couverture de mon corps. Je ne comprends pas pourquoi tout à coup, il est décidé à se rendre à ce festival lui qui trouvait ça bien stupide dès le départ. En plus, j’y suis déjà allé et je me souviens très bien lui avoir proposé de se joindre à Elio et à moi, mais il avait visiblement mieux à faire ce jour-là. « Toi, t’as une nana en vue » sa réaction me confirme que j’ai raison alors que je me redresse, plus curieux désormais. « Je veux juste m’intéressé un peu plus à la culture locale c’est si mal que ça ? » D.G plus citadin que lui tu meurs, ce genre de rassemblement sans concert de rap à la fin ne lui ressemble pas. « M’prends pas pour un con » en guise de menace, je me recouche et remets la couverture sur moi. « Ok, ok, c’est une nana que j’ai rencontré chez Alban la dernière fois, elle a dit qu’elle aura un stand et elle m’a dit de passer » ah les gars et leurs histoires de filles… vu le désastre qu’a été ma dernière relation, j’ai décidé de me concentrer sur mon travail qui me prend la majeure partie de mon temps. Si on veut que ce projet de long-métrage indépendant se réalise, il va falloir commencer à s’y mettre sérieusement, on ne va pas certainement pas convaincre les investisseurs avec les bribes sans queues ni têtes dormant dans nos tiroirs. « En gros, t’as besoin de quelqu’un pour te tenir compagnie le temps qu’elle finisse » et le con hoche la tête en souriant de toutes ses dents « je te revaudrai ça » je rouspète un peu mais choppe quand même mes fringues. Quel excellent ami je fais.

Si je dois faire un constat sur mon état actuel, j’ai des poches de trois kilomètres sous les yeux, la tête dans le cul –quelle souplesse incroyable- et certainement pas envie de me retrouver au milieu d’une foule aussi bruyante. J’ai mal au crâne et qu’une envie, retourner dans ma chambre pour rattraper les heures de sommeil qui me manquent. Quelqu’un me bouscule, me faisant presque perdre mon équilibre, de quoi rendre cette promenade plus pénible qu’elle ne l’est déjà. Et sur ma droite je sens un mouvement inhabituel qui attire mon attention sur la disparition de mon portefeuille et un individu qui semble plus pressé que la moyenne. « Je reviens » je lance alors à D.G qui semblait soucieux de mon état. Si c’est pour t’inquiéter t’avais qu’à me laisser hiberner dans mon pieux bordel. Je me lance à la suite du gars que j’ai trouvé louche, en espérant que ce soit la bonne personne. « Vous ne trouverez pas de cash là-dedans » je lance finalement lorsque je le vois faire état de son butin. Mon ton reste très aimable, j’aurais très bien pu parler de la météo.

« Il est vide. Pourquoi, c'est quoi le but de se trimbaler avec ça sans rien dedans? »

C’est un reproche là ou je rêve ? Visiblement oui. J’ai l’impression qu’on a échangé les rôles, que c’est moi qui ait voulu voler un truc qui lui appartenait, or c’est bien le contraire. Et monsieur ose jouer les vexés parce qu’il ne trouve pas de cash dans mon portefeuille. Si on ajoute à cela son manque de gêne vis-à-vis de sa situation, après tout c’est lui le voleur et moi la victime dans l’histoire, pourtant ça n’a pas l’air de le gêner. Tout a l’air normal à ses yeux, visiblement. Il me fait face comme si c’est à moi de lui rendre des comptes sur ce petit incident et malgré moi j’éclate de rire. Je pourrais m’énerver, me sentir insulté, une personne normale se serait sûrement emportée mais moi, il n’y a que l’hilarité qui me vient. Franchement, la situation est vraiment trop drôle et ce gars très intéressant.

« On est au vingt-et-unième siècle mec, tout est se fait en ligne maintenant »

je réponds d’un ton amusé, brandissant mon téléphone. Ce moyen de paiement n’est pas encore démocratisé en Australie, seulement dans quelques endroits où j’ai mes habitudes, endroits qui s’inspirent du modèle asiatiques. Sinon, il y a aussi les cartes de crédit, en somme je me promène rarement avec des petites coupures sur moi, tête en l’air que je suis, j’aurais tendance à tout balancer accidentellement par terre.

« T’avoueras que c’est plus pratique » plus pour moi que pour lui, cela va sans dire. « Je peux le récupérer maintenant que t’en as fait le tour ? »

Il y avait toujours mes différentes cartes, crédit, étudiante, bibliothèque, du loft et plus important un mot de motivation écrit par ma sœur il y a des années pour me donner courage et force que je lis à chaque fois que je sens le découragement pointer le bout de son nez. Autant dire que c’est la plus précieuses de mes possessions.

Le gars reste agressif comme si j’avais des comptes à lui rendre, il a peut-être oublié que c’est lui qui a tenté de me détrousser. La mémoire sélective est une chose si fascinante, ce qui le rend encore plus intéressant.

« Le plan c’est de me faire inviter, quelle question »

D.G m’a traîné ici, je considérais donc que c’était à lui de payer ce que je consommerais. Il m’a sorti de mon lit en cette belle journée dédiée à la fainéantise pour que je vienne servir de plante verte, la moindre des choses pour lui, c’est d’aligner les billets.

« Tu devrais essayer, t’as plutôt une belle gueule » si je me moque de lui ? Juste un peu. Gentiment. Quoi ? J’ai mérité au vu de la façon si particulière qu’il a de me traiter. Avouez que la situation est plutôt désopilante. « Ça te rapportera sûrement plus » j’ajoute avec un petit sourire tout aussi moqueur.

« Pas vraiment » je hausse les épaules « j’ai eu de la chance »

Ce qui est vrai. Le fait que je le remarque est dû hasard, car je fais trop peu attention à mes affaires pour cela, très souvent tête en l’air, plus encore lorsqu’on me force à quitter le confort de mon appartement, toujours KO de la semaine. Bon je ne vais pas non plus m’en plaindre.

« Tu fais souvent ça non ? » je demande en récupérant mon bien. Sa dextérité et son assurance ne sont pas celles d’un amateur « Et si on allait bouffer ? » je dis pour changer de sujet et apaiser les tensions, je ne suis pas un homme de confrontation et puis j’ai récupéré ce qui est à moi, il n’y a pas mort d’hommes. « J’ai faim, pas toi ? » Rester avec lui sera certainement mieux que regarder D.G essayer d’emballer cette nana qui le fait tourner en bourrique.

« Au fait moi c’est Félix »

pas dit que ça l'intéresse, le bougre.

« Te faire inviter? C'est quoi ton secret Apollon ? » j’ai un immense sourire, à la fois arrogant et amusé. « Tu donnes déjà la réponse dans ta question » Je hausse les épaules comme si c’était une évidence qu’il aurait dû capter et que le monde entier a capté « Ce n’est pas facile tous les jours d’être Apollon par contre » voilà que je me retrouve à sympathiser avec celui qui a fait de moi sa proie, a volé mon portefeuille et a eu le culot de me remettre la faute dessus. La combinaison gagnante. « Non, parce qu’avec ma gueule d'ange ça passe mais pour toi? Ça doit pas être facile... » Je secoue la tête, faussement atterré par ses déclarations. « La jalousie est une chose si moche, tu sais que ça empoisonne une âme ? » je ne sais plus où j’ai entendu cette phrase, sûrement dans une de ces émissions de télé réalités que je n’avouerai jamais apprécier. Pour ma défense, après une longue journée de boulot, ça fait toujours du bien de s’abrutir devant des gens superficiels au QI limité. « En attendant, cette gueule m’offre pleins de trucs gratuits, tu peux pas dire autant » et c’est parti pour de la bassesse, je tiens à préciser que c’est lui qui a commencé, hein. Enfin, je ne suis pas sérieux, bien sûr, ça rend ma présence ici plus intéressante du coup. Finalement, en guise de trêve et pour célébrer cette nouvelle amitié à venir, je lui propose d’aller se faire une bouffe. « On va manger. Et puis, toi ? Ça t'arrive aussi de le faire? Ça n'a pas l'air d'être quelque chose d'inhabituel pour toi. » je ne suis pas sûr de savoir où il veut en venir, aussi je préfère lui poser la question « faire quoi ? Je pige pas » il me faut quelques secondes supplémentaires pour que l’information prenne sens « tu veux dire si je vole ? » ma surprise peut s’entendre dans ma voix, avec ma discrétion légendaire, je ne ferais pas long feu et me ferais sûrement passer à tabac ou je finirais en taule. Trouillard ? Peut-être un peu. « Gueule d'ange... Alors, tu m'offres quoi ? » il connait mon prénom, moi j’ignore le sien, j’imagine que ce sera une relation d’une seule nuit. « Mon corps, de haut en bas » je réponds alors le plus naturellement du monde avant d’éclater de rire « Je déconne, fais pas cette tête » c’est peut-être trop tôt pour ce genre de plaisanterie qui ne fait rire que ceux qui sont dans mon cercle « Allez viens, monsieur Gueule d’Ange je t’offre ce que tu veux » je l’entraîne au stand où se trouve la nana qui a tapé dans l’œil de D.J, je suis d’ailleurs surpris de ne pas l’y trouver. Je la salue avec un sourire charmeur, et passe commande en précisant que c’est que D.J qui paie avant de me tourner vers Gueule d’Ange « et toi ? tu prends quoi ? Fais-toi plaisir »

« J’ai une petite idée oui »

Visiblement pour lui, c’est plus compliqué encore d’être Apollon, une remarque qui me décroche un petit sourire moqueur, finalement, il est plutôt sympathique ce gars, comme quoi il ne faut pas juger un livre à sa couverture, il y a toujours une raison pour tout.

« Il faudra bien qu’un jour tu te l’avoues, hein, mais je peux comprendre que ce soit compliqué »

Et mon sourire s’agrandit encore. J’ai vraiment l’air d’un gosse, ce que je suis certainement, moi et mon humour plus que douteux, mais il parait que c’est ce qui me rend attachant… non ? Je sais être adorable et chiant à la fois, mais mon côté mignon l’emporte toujours. Avec ma sœur, certes, mais ça compte tout de même. D’ailleurs pour ma défense, on a tous deux l’air de deux gosses en train de se disputer pour une raison inexistante, sincèrement et puis, puisque ce n’est pas sérieux, il n’y a pas de mal n’est-ce pas ? Finalement la conversation sur quelque chose de plus ou moins sérieux, si on veut, à savoir si je volais moi aussi.

« Ah non, non, pas du tout » l’expression sur mon visage devrait être une réponse en elle-même. « Je suis aussi discret qu’un troupeau d’éléphants dans un magasin de porcelaine »

Je lâche un petit rire. Il y a ça et le fait que je n’en ai pas vraiment besoin, j’ai une vie confortable, aucune raison de me plaindre, donc aucune raison de détrousser qui que ce soit et puis bon, j’aurais trop peur de finir en taule. Et je suis trop mignon pour la taule, on en conviendra. Changeant de sujet, je lui fais savoir que je peux lui offrir mon corps, sur un ton badin forcément, je ne mange pas de ce pain-là, lui non plus, j’en suis convaincu, quoiqu’à nouveau, les apparences peuvent être trompeuses.

« Tu me jalouses déjà sans avoir vu mes abdos, qu’est-ce que ce sera quand tu les auras vus ? »

Je secoue la tête gravement, tentant au maximum de rester dans mon jeu mais ça ne dure que quelques secondes. On arrive enfin au stand où l’on passe commande et la Gueule d’Ange m’annonce qu’il est prêt à me ruiner.

« Fais-toi plaisir, comme je t’ai dit, c’est pas moi qui paie »

Je hausse les épaules, nonchalant. A voir combien de temps je le serai quand D.J va savoir ce que je fais avec son fric sans le consulter avant, et puis bon, il l’a cherché.

« Fais quand même attention à l’indigestion, ce serait con que tu tombes malade pour avoir mangé de la bonne bouffe »