“Putain. Ce con à choppé l’épaule qui m’emmerde depuis 5 ans déjà. Ça faisait plusieurs mois de suite que je n’avais plus de douleur et là ça va revenir, fait chier.” Pour être con, c’est vrai qu’ils sont cons. J’ai beau prendre quelques cafés de temps en temps avec eux, je n’ai jamais rien trouvé d’intéressant à leur dire et ça en devient à chaque fois un peu plus gênant… Je ne sais pas si j’en reprendrai un avec eux d’ailleurs. Non, j’en suis sûr. Plus de cafés… J’avais remarqué que le garde avait touché un point sensible, et pour le coup c’est vraiment pas de chance. “5 ans ? Qu’est-ce qui t’es arrivé si c’est pas trop indiscret ? En tout cas, je suis vraiment désolé… Si on était passé par l’autre côté on aurait pas été emmerdé…”
Enfin bon, ça n’a pas l’air de le décourager plus que ça : il me demande déjà le chemin ! Ça me rassure. En même temps ce n’est pas étonnant. C’est Martin.
“On va bien finir jusqu’au bout du couloir mais au lieu de tourner aux toilettes on va prendre l’escalier à droite. C’est au niveau -2. On se presse juste un peu, histoire d’éviter une autre rencontre.” De toutes façons, les couloirs ne sont pas si grand que ça, on aura le temps de les apercevoir les mauvaises rencontres. Direction réserve donc, et tout ce qu’elle renferme.

“Ce qui me fascine surtout à propos des aborigènes, c’est la relation qu’ils entretiennent avec la nature et les animaux. Une union de quarante mille ans dont la mémoire est si fragile, une tradition orale que les objets peuvent en parti retracer...Voilà, c’est ici.” Juste le temps d’entrer le code, je ne vois personne d’autre dans le couloir. “Et bien, après toi !”
Ah, mince, on y voit rien. J’ai oublié d’activer le compteur. “Une petite seconde, il faut que j’enclenche l’interrupteur juste là… . . . Voilà !” J’ai toujours l’impression d’être un grand maître de maison quand je m’aventure dans cette salle avec ses rangées d’échafaudages sur lesquels sont parfaitement classés quelques trésors de ce musée. Pas bien grande, c’est vrai, mais néanmoins très riche. Entre archives, oeuvres aborigènes, fossiles et squelettes de fouilles archéologiques, et ces rangées de lampes qui s’allument progressivement. Ça donne un petit côté théâtral à chaque entrées. Décidément, j’aime bien cette pièce. Ça donne l’impression de voyager à travers les époques... D’ailleurs, c’est Martin qui me parlait de voyage avec son chien. Odin. Oui, Odin. J’aime bien ce nom, ça colle bien à un husky un Dieu nordique ! Ça m’aurait bien plu d’avoir un chien en y pensant… Quoique tu me diras, il n’est jamais trop tard. Ça me fait penser à cette après-midi que j’avais passée à suivre un maître et son chien dans la rue. La relation qu’ils entretenaient était fascinante. Cet homme, une démarche lente, dans sa force de l’âge. Et ça se sentait dans son regard qu’il en avait vécu des choses. Et pourtant, un regard si vif, pétillant. Pareil à son chien. Plus tout jeune, un compagnon de vie sans doutes : le pelage terni par les années mais un oeil brillant. Je lui avais parlé à cet homme je me souviens. Pas une seconde ne passait sans qu’il ne pense à son chien… Je me demande si c’est à Odin que Martin pensait, enfermé et en garde à vue. J’aurais peut-être pas dû rebondir dessus toute à l’heure, ça avait l’air de le gêner. Je ne vais pas insister maintenant même si c’est bien quelque chose que je ne jugerais jamais, mais il a parlé des îles Féroé aussi ? “Et au fait, t’as dû beaucoup voyager ! Tu me parlais toute à l’heure de la Nouvelle Zélande Odin et toi. Un vrai compagnon de route en fait. C’est génial ! Faudra que tu me racontes tout ça !”

Je soupire doucement lorsqu’Arsène me demande ce que je me suis fait à l’épaule. Lui avouer toute la vérité ? Au point où j’en suis après tout hein « Je me suis luxé l’épaule en chutant dans un précipice» dis-je en me massant l’articulation. « Je militais en Amazonie pour sauver des paresseux, ça a dégénéré et je me suis enfuie et … bam, dans le précipice» je rigole doucement « Heureusement que Tara m’accompagnait» je regarde le jeune homme «Tara c’est ma mentor, celle qui m’a tout appris » et qui s’appelle en vrai Jameson. Mais ça c’est le détail que le taxidermiste n’est pas obligé de savoir.

Nous continuons notre chemin puis passons la porte et descendons au deuxième sous-sol. Arsène évoque que ce qui le passionne réellement chez les aborigènes c’est leur relation à la nature et aux animaux et que tout ça ne qu’être en parti retracer par les reliques que nous allons voir ici. Juste le temps d’actionner un interrupteur et la petite pièce est plongé dans une lumière artificielle bien dégueulasse mais qui a tout de même son charme. Je souris et laisse mon sac à dos à l’entrée alors que je m’avance vers les rayons. « C’est génial» soufflais-je, me gardant bien de toucher quoique ce soit.

J’osberve le tout avec une certaine attention puis relève mon regard sur Arsène lorsqu’il fait référence ce que je lui ai dit tout à l’heure au sujet d’Odin et sa fougue toujours présente même après 3 jours de randonné. Un doux sourire s’affiche sur mon visage alors que mon regard s’éclaire et que j’hoche rapidement la tête. «Le meilleur des compagnons de route, oui » dis-je « J’ai beaucoup voyagé, oui. Si tu veux savoir, de 2007 à 2012 j’ai vécu sur les routes du monde avec mon frère. On a fait le tour du monde, vivant qu’avec ce qu’on avait dans notre sac à dos et faisant quelques petits boulot par ci par là» je rejoins Arsène dans son rayon et hausse les épaules «Je viens de Munich, en Allemagne, ma mère est … était Néo Zélandaise, mon père était allemand » expliquais-je, naturellement « A 18 ans, j’ai rejoint mon grand frère à Auckland et on est parti vivre l’aventure de notre vie» je lui souris et hausse les épaules « Odin je ne l’ai récupéré que l’année dernière. Jusqu’à là mon compagnon de route c’était mon frère» je pose mon regard sur Arsène et ne me rend seulement compte maintenant que j’ai parlé de mes parents au passé. Je viens de lui avouer indirectement qu’ils ne sont plus de ce monde. J’espère qu’il ne relèvera pas ce détail, mais je sais, au fond de moi, qu’Arsène a le truc pour relever tous les petits détails.

Une chute d’un précipice ? Et bah putain, ça c’est pas commun. Je ne sais pas trop si je peux qualifier de chance le fait de ne s’être que luxé l’épaule en tombant d’un précipice, mais il y a un peu de ça dedans. Mais oui, ceci explique la douleur de 5 ans, ça se comprend facilement… Une mentor ? C’est vrai que Martin n’est pas né activiste, mais ça fait tellement parti de son identité que ça ne m’aurait pas étonné. “Ça date de cette époque ton engagement en tant qu’activiste ?” Une information comme une autre, comme ça me plait de mieux lui faire cerner mon intérêt pour la culture aborigène avant d’accéder à la réserve.

“C’est génial” “haha, content que ça te plaise” Ça faisait un petit moment que je ne suis pas venu ici. Il y a bien certaines collections qui ont changé de place et d’autres qui ont été placées en exposition mais il n’y a pas vraiment d’éléments nouveaux. Ah si, peut-être deux ou trois fossiles des dernières fouilles… Je crois que je me suis encore perdu dans mes pensées, je ne sais même plus comment j’en suis venu à repenser à Odin ! “Le meilleur des compagnons de route, oui” “...On a fait le tour du monde, vivant qu’avec ce qu’on avait dans notre sac à dos et faisant quelques petits boulot par ci par là” “C’est vraiment génial. De vrais routards quoi !” Ça m’aurait bien plu d’avoir un frère. Ou même un soeur à vrai dire… Peut-être que mon parcours aurait été totalement différent qui sait. Ou que le reste aurait été totalement différent…

. . .Était ? Était… Il en a vécu des choses, Martin. Des choses formidables, qu’on pourrait très facilement envier. Mais si je comprends bien, d’autres, et pas que de son plein gré… C’est drôle parce qu’il a eu le même réflexe que je peux avoir : parler de ma mère au présent avant de me souvenir de l’aborder au passé… J’ai tendance à pencher la tête de côté quand je suis un peu gêné. Je crois que je suis un peu gêné. C’est que c’est pas ce genre de choses que l’on s’avoue facilement, et encore moins à un presque inconnu que l’on vient à peine de rencontrer. Il a dû s’en apercevoir au vu du regard qu’il m’addresse. Sourire ? T’en fais pas Martin, je sais reconnaître quand il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie...
“Moi c’est mon père l’explorateur de la famille. Il a entrepris le tour du monde et me donne des nouvelles de temps en temps. Je voyage un peu par procuration à travers les souvenirs qu’il m'envoie… C’est sûr qu’il n’y a rien de très aventureux là-dedans, mais pour le moment j’apprécie trop mon métier ici pour tout plaquer. Peut-être un jour !” Oui, un jour surement. Même si je n’en ressens le besoin qu’à partir de cinquante ans. Ça sera comme un peu comme une deuxième jeunesse : un parcours de vie, comme pour boucler la boucle. Ou un renouveau. Au choix. Et qui sait si j’irai m’installer ailleurs ? Haha, taxidermiste ambulant. Ou quelque chose du genre. “Et comme premier lieu, j’irai visiter l’Irlande. C’est ma mère qui était d’origine Irlandaise... Mais étant né en Australie comme mon père je n’ai jamais vraiment plongé dans cette culture. C’est dommage, ça m’aurait bien plu de pouvoir sortir que je suis Irlandais à l’occasion !” Même si ce n’est pas exprimé à haute voix, en l’espace d’une minute c’est comme-ci nous nous étions avoué beaucoup plus de choses qu’on ne le voulait en réalité. C’est pas un silence déplaisant. C’est plus l’un de ces silences de quand on a des choses à partager. De compréhension mutuelle, en quelques sortes. Au milieu d’antiquités.

J'hoche doucement la tête lorsqu'Arsène me demande si mon engagement d'activiste vient de ce temps là.  «Yep  » dis-je, souriant toujours  « Première action d'une très très longue série» je rigole doucement et m'immobilise devant la porte de la réserve, laissant Arsène s'occuper de l'ouvrir pour nous laisser entrer  «ça m'a tout de suite mis dans le bon état d'esprit  » reprenais-je, amusé, passant derrière le taxidermiste lorsqu'il entre dans la réserve.

Ce qui s'offre à moi est assez incroyable. Les archives vieilles de je ne sais combien d'années sur les aborigènes australiens. J'ai toujours trouvé ces histoires passionnantes. Et je suis persuadé qu'Arsène en connaît un bon paquet d'histoires sympathiques à raconter. Faudrait que je lui demande, à l'occasion. J'allais d'ailleurs lui poser deux ou trois questions, mais il me coupe en me demandant plus d'information sur mes voyages. Enfin, il suppose plutôt que j'ai beaucoup voyagé, ce qui en soit est totalement vrai. Je lui explique que mon compagnon de route c'est mon chien maintenant, mais qu'avant c'était mon frère.  « Des routards, ouais, si on veut» dis-je, amusé.  « Ian a décidé de se ranger, il préfère vivre sa petite vie ici. Il préfère son petit quotidien. Mais pas moi, je supporte pas la routine» j'hausse les épaules  «Chacun son truc hein, mais j'avoue que je ne peux pas trop le comprendre, lui qui a passé 5 ans avec moi sans rester plus d'une semaine à un endroit. Sauf à Londres où on est resté 5 mois » je secoue la tête  «Enfin, peu importe »

Lorsque je parle de mes parents, j'emploie avec une certaine facilité le passé. Car ils ne sont tous les deux plus de ce monde. Je vois bien qu'Arsène réagit à ce détail, mais il assez de bon sens pour ne pas embrayé là-dessus. Et pour cause. Son père est un explorateur et d'après ce que je comprend, il est encore en vie quelque part dans le monde. Mais lorsqu'il évoque les origines de sa mère, il parle au passé. Et ça veut tout dire. Je le regarde et lui offre un sourire compatissant, montrant, silencieusement, que je le comprends totalement.  « C'est très beau l'Irlande. J'ai vraiment adoré. L’Écosse pareil» expliquais-je  «En fait, toute l'Europe du Nord est magnifique. Je garde un super souvenir surtout de l'Islande. » je lance un coup d'oeil à Arsène puis rigole doucement  « Désolé, je vais arrêté de te parler de mes voyages, tu vas encore vouloir partir » dis-je, amusé avant d'hausser les épaules  «Cela-dit, ce n'est pas une mauvaise chose. T'es déjà sorti de l'Australie ? » demandais-je, parcourant les rayons à ses côtés.

La routine… je ne sais pas bien si mon quotidien pourrait s’apparenter à une routine. Peut-être. Surement. Vu d’un regard extérieur en tout cas. Car je ne crois pas que j’associerai ce terme à mon vécu moi-même. La routine me ressort comme quelque chose de négatif, mais pas seulement sorti de la bouche de Martin. Je la vois plus comme la fin du rêve, des désirs, des projets que la mise en place de certaines habitudes en soit… Et je les ai mes petites habitudes. Mais ça me serait terrible une vie sans projets.  En fait, quand j’y pense, un petite vie tranquille et rangée n’est pas forcément synonyme de routine. Ça dépend du contexte dans lequel on l’emploie. “Peut-être que pour Ian, c’est le fait de s’installer dans un seul endroit et d’y construire quelque chose qui sortait d’une routine ? Dans le sens où, même si le fait de voyager en permanence faisait qu’aucun jours ne se ressemblaient, la vraie rupture dans son quotidien c’est le total opposé de ce que vous aviez toujours entrepris ? Bon, ce n’est sûrement qu’une autre de mes hypothèses bancales sorties de nulle part mais ça reste envisageable, haha.” Je m’en rends compte seulement maintenant en le formulant à haute voix, mais c’est pas si dénué de sens après tout. Quoique c’est quand même plus une aventure de passer d’une petite vie rangée à la découverte du monde. Enfin, je ne vais pas trop insister là-dessus non plus, il n’a pas bien l’air de vouloir s’éterniser sur Londres. Surement un autre passage plus lourd de son passé. Ou juste une certaine incompréhension face à son frère ?

Martin non plus ne souligne pas l’évocation du décès de ma mère. Mais il a compris. Et c’est comme-ci parler à haute voix d’autres sujets et de voyages adoucissait les non-dits. “C’est ce que je disais : un vrai globe-trotter ! je crois bien que c’est le Nord aussi qui m’attirerait le plus. Et ne me demande pas pourquoi mais j’ai une envie irrépressible de visiter l’Autriche. Surtout ses montagnes” Peut-être bien que cette envie de réellement voyager va me prendre plus tôt qu’à cinquante ans finalement. “Désolé, je vais arrêté de te parler de mes voyages, tu vas encore vouloir partir” haha, tu ne crois pas si bien dire. Qui sait, je pourrais peut-être même retrouver mon père au détour d’une destination ?
“A vrai dire, ça me fait un peu honte de l’avouer mais je n’ai jamais mis les pieds en dehors de l’Australie. Mais ce n’est pas pour autant que le voyage m’a manqué : pour le coup, l’Australie, je l’ai parcourue de long et en large. Depuis que je suis petit. Par tous les recoins du Queensland, longer la côte et la barrière de corail, des territoires du Nord en passant par l’Australie Méridionale, Victoria... Et encore aujourd’hui dans différentes réserves naturelles pour mes recherches parallèles au musée” C’est fou comme c’est un territoire qui peut-être riche l’Australie. Autant culturellement que d’un point de vue géologique et de la biodiversité ! “D’ailleurs plusieurs de mes travaux sont archivés ici. Ça doit se trouver au fond de la rangée du fond justement ! Si tu veux me suivre” Ça pourrait aussi intéresser Martin, lui qui parcourt depuis toute à l’heure les rayons d’un bout à l’autre. Ça me ferait plaisir qu’il les voit. Et puis, je ne sais même plus ce que j’avais placé ici comme documents et écrits, ça va être l’occasion de me remémorer tout ça.

“Oui, voilà ! C’est juste à ce rayon-là” Mince, ça va être compliqué d’attraper un dossier avec le livre de Martin dans la main… Si, c’est bon. Qu’est-ce que j’ai choppé moi ? . . . “hahaha, je suis tombé sur les répertoriassions des walibis !”

J'observe Arsène avec un très grand intérêt lorsqu'il émet l'hypothèse que pour mon frère ce serait justement le fait de s'installer et construire quelque chose qui sortirait d'une routine. Ce n'est pas faux. Après 5 ans sur les routes, avec tous les avantages mais aussi les désavantages de ne pas avoir de structures dans nos journées, sortir de cet esprit de voyage est l'opposé de notre routine de voyage. Merde, c'est qu'il a pas tort le bougre ! Je secoue la tête lorsqu'il dit que c'est sans doute encore une enième hypothèse bancale.  « Oh non, au contraire Arsène ! Ça tient carrément la route» le contredisais-je rapidement  « C'est juste que je n'ai jamais pensé de cette manière. Mais … tu dois avoir raison. Enfin » j'hausse les épaules  «Il en avait un peu marre de bouger sur la fin des 5 ans et se lassait. Il ne voyait plus les choses de façon 'positives' mais tout était négatif. Et j'avoue que moi aussi ça commençait à me peser » j'hausse les épaules  «On a décidé de se poser une bonne fois pour toute et Ian est heureux. Il a même trouvé une copine avec qui il est depuis 2012 et avec qui il compte bien se marier  » je souris doucement  «Et c'est totalement son droit ! Et puis, au final, la flamme du voyage ne l'a jamais vraiment quitter car il voyage encore beaucoup avec sa copine ou avec moi. C'est juste qu'il a pied à terre ici, à Brisbane. Comme moi, au final» dis-je en haussant les épaules  «Mais j'avoue que je ne sais pas si je serais ici si je n'avais fait l’acquisition du pacific wellness » expliquais-je avec une moue de réflexion  « Bon après y a aussi les sea shepherd que je ne peux pas quitter et tout et tout. Bref, je ne vais plus tout plaquer pour partir, je penses. Je me contenterais de voyager de temps en temps et c'est bon» concluais-je avec une petit pointe d'amertume dans la voix. Ça me brise le cœur, quelque part, d'avouer ça. Mais au final, c'est la vérité : je ne bougerais plus. Du moins, plus dans un futur proche. A voir ce que le futur lointain apporte.

Nous parlons ensuite et j'apprends indirectement qu'Arsène non plus est orphelin de mère. Son père, lui, est parti explorer le monde. Je lui souris simplement, me montrant compatissant puis change de sujet, parlant de mon amour pour l'Europe du nord. J'apprends que le taxidermiste à une folle envie de découvrir l'Autriche avec ses montagnes et je ne peux qu'approuver ce choix  « Je n'ai jamais eu l'occasion de visiter ce pays moi non plus » dis-je, quelque peu déçu  «Mais ouais, je comprends, ça a l'air magnifique. La Suisse pareil ! » je fronce légèrement les sourcils  « Faudrait que je me refasse un road trip en Europe» dis-je doucement avant de donner un léger coup de coude dans les côtes d'Arsène  « Tu devrais carrément venir avec moi !» dis-je avec un large sourire  « Et je suis sérieux. On se connaît pas des masses, mais quoi de mieux qu'un voyage pour découvrir la véritable personnalité de l'autre ?» demandais-je  « Ici, dans un quotidien serein on peut se cacher derrière la face qu'on a envie de montrer au monde, mais un voyage, ses difficultés et ses joies révèle la véritable personnalité de l'un et de l'autre » je regarde le jeune homme avec un total sérieux dans le regard, tout en continuant d'avancer à travers les rayons.

Le taxidermiste fini par me dire qu'il n'est jamais sorti de l'Australie mais qu'il a pu visiter le pays de long en large. Surtout dans les réserves naturelles pour ses recherches. D'ailleurs, il y a quelques uns de ses travaux qui sont ici, dans la réserve. Et il a tôt fait de me trouver un rapport sur les Walibis. Je me joins rapidement à son rire et attrape l'ouvrage  « T'es pas croyable» dis-je, amusé en parcourant le livre  « faudrait pas le montrer à Hugh, il risque de tout brûler» dis-je en secouant la tête, étant quelque part pas mal sérieux. Il serait totalement capable de le faire car lui n'a pas peur de finir en prison.  «ça fait longtemps que tu es ... » je grimace un peu, ayant quelque part peur de la réponse  «Enfin, que tu t'occupes des animaux qui sont présent ici ? » je lance un coup d’œil au jeune homme en reposant le rapport à sa place.

“Oh non, au contraire Arsène ! Ça tient carrément la route !” Ah ? J’aurais peut-être touché juste alors ! Et je comprends mieux maintenant qu’il me parle un peu plus de son frère… Je me demande quelle sensation ce doit être de s’établir à un seul endroit après avoir habitué son  esprit à l'inattendu et l’adaptation pendant près de cinq ans. Peut-être une certaine peur ? Je ne sais pas, peur de l’ennui… Ou alors dans le cas de Ian un certain soulagement mêlé à de l’excitation. Celle de construire quelque chose sur le long terme, comme une nouvelle page qui se tourne sans pour autant regarder le passé avec nostalgie. Surtout s’il n’a pas abandonné le voyage. Un bon entre-deux en somme ! Mais il me semble que Martin ressent une certaine mélancolie à ce propos. Voir un peu plus que de la mélancolie. Un ressentiment, peut-être même du dépit. C’est qu’il l’a, la fibre du voyage en lui… “Le pacific wellness ?” C’est drôle, j’ai l’impression que ce nom ne m’est pas inconnu. Ça sonne comme… Ah oui, j’y suis ! “Ça me fait penser à une maquette de bateau que j’avais réalisée : son nom c’était le pacific’s whales ! Entre les sea shepherd et ça, ça pourrait être un bon nom de navire également, haha” Partir en bateau aussi, ça doit être sympathique. On apprend beaucoup de choses d’un pays en visitant ses ports, et la notion d’explorateur prend une toute autre ampleur. Mais je pense bien que c’est surtout percevoir l’intérieur des terres qui m’appelle le plus. Ou qui m’appelle tout court. Pour le bâteau, je m’arrête au stade de maquette. j’en ai pas mal réalisée avec mon père d’ailleurs… C’est fou comme le fait d’avoir parlé de lui aujourd’hui m’y fait penser souvent. Si ça trouve, il a même visité l’Autriche lui !

“Je n’ai jamais eu l’occasion de visiter ce pays moi non plus. Mais ouai, je comprends, ça à l’air magnifique. La Suisse pareil !” Je n’y avais jamais pensé à la Suisse. “C’est vrai que ce doit être pas mal non plus !” “Faudrait que je me refasse un road trip en Europe” Un road trip en Europe... Faut pas chercher plus loin, c’est décidemment ce qui me plairait de réali.. . hum ? “Tu devrais carrément venir avec moi !” haha, il est pas sérieux ? “Et je suis sérieux. On se connaît pas des masses, mais quoi de mieux qu’un voyage pour découvrir la véritable personnalité de l’autre ?”
Road trip, Europe, Martin,... ça paraît fou ! Mais il n’a en aucun cas l’air de blaguer… Ça paraît fou, mais qu’est-ce que ça me plairaît à dire vrai ! Une occasion de sauter le pas, de réaliser ce qui ne serait peut-être resté qu’un simple désir formulé. Et puis, il a raison. Le fait de ne pas tellement se connaître ne change pas grand chose au final : un voyage, c’est autant une découverte du monde que se découvrir soi-même. Le reste importe peu si nous-même nous ne savons pas où l’expédition nous amènerais. Ses difficultés, ses joies : ça n’a pas l’air d’être une parole en l’air ! “Sincèrement ? L’Europe ? Ensemble ? … Tu sais quoi, je serai partant ! Mais genre carrément partant.” Même sans le connaître, simplement par amour du voyage, de la découverte, et parce que le courant passe bien avec ce Martin : le plus sérieusement du monde, et sourire aux lèvres. “À garder précieusement dans un coin de notre tête, et puis, juste partir !”

J’ai comme l’impression d’avoir ouvert un tout nouveau monde de possibles à mon existence. Et d’autant plus que rien ne m’avait préparé à ça. Amusant que par dessus cela ce soit le dossier des walibis que je retrouve, et ça ne fait pas rire que moi !
“Faudrait pas le montrer à Hugh, il risque de tout brûler” Hugh, je l’avais déjà oublié celui-là ! Une pointe de sérieux, une pointe d’ironie ? “Faudra me passer sur le corps avant ! Bon, je le conçois, je tiendrais pas 2 minutes. La tristesse de ne pas imposer le respect, haha”
Enfin, j’aurais dû me douter que réaborder le sujet des walibis referait penser à la raison première pour laquelle je me trouve dans ce musée : la taxidermie. Je sais bien que ça ne plaît pas de trop à Martin mais bon, je ne peux rien y faire : on ne choisit pas ses passions ! “Ça doit faire bien 4 ans maintenant que je suis dans ce musée… Oui, c’est ça. Depuis 2013 !” Avec du recul, c’est vrai que ça fait un petit moment maintenant, depuis cette rencontre avec ce gars à la bibliothèque... “Bon, même si le métier peut ne pas plaire, j’ai quand même une anecdote sympa dessus ! Au départ, je n’ai jamais vraiment pensé à faire de la taxidermie mon métier, surtout que c’est pas de ce type de métier dont tu rêves quand t’es gamin…” Haha, non, vraiment pas “Quand j’étais petit j’avais un iguane en animal de compagnie, une espèce fascinante que j’avais recueillie blessée. C’est à sa mort que j’ai commencé à m'intéresser aux taxidermistes. J’avais cette impression que conserver une enveloppe corporelle des animaux éteint, c’était comme défier la mort elle-même. Ça ne m’a jamais vraiment quitté cette pensée première, et j’ai suivie des études de taxidermie en parallèle à des études littéraires à la fac, pour finalement atterrir dans une bibliothèque. Et c’est par pur hasard que je me suis retrouvé ici.” Le hasard… Ou le destin. J’en sais strictement rien. Je remercie l’un des deux en tout cas. Ou même les deux, on ne sait jamais. “Enfin, je travaillais à la bibliothèque et j’avais engagé la conversation avec un type qui était comportementaliste animalier. Très sympa. Qui s'intéressait à pas mal de choses et qui travaillait sur les grenouilles vertes arboricoles à l’époque, si je me souviens bien. C’est sur ces grenouilles là que j’avais travaillé durant mes études puisque je me suis spécialisé en reptiles et amphibiens” On était trois dans cette spécialité je crois bien. Pour une salle de cinquante, c’était comique. “Ducoup, je lui avais parlé de ma formation et de mon travail. Il avait des contacts au musée et leur a parlé de moi alors que le département que j’occupe avait été abandonné. Et c’est comme ça que je me suis retrouvé à devoir faire vivre le départements, ses archives et la collection du musée… Ça paraît rien comme ça, mais ce travail, il représente beaucoup. Et sans ce type et mes grenouilles, il y aurait bien un quart de documents tout confondus qui manqueraient. Une petite fierté, sans doute”
Haha, une fierté de taxidermiste et des anecdotes. Ça me fait sourire, d’autant plus après que Martin ai partagé son propre parcours plus tôt avec moi.

J'arque un sourcil lorsqu'Arsène se lance dans une explication a quoi le 'pacific wellness' le fait penser. C'est fou, je pensais à tout sauf à ça je dois dire. Ça me fait marrer, qu'il compare mon cabinet à une maquette de bateau qu'il a un jour réalisé. Mais d'un autre côté c'est une information plutôt intéressante.  « C'est génial les maquettes !» dis-je avec sincérité, sourire éternel sur les lèvres  « J'en ai une dans mon cabinet. Une maquette du Vasa, le bateau qui a coulé dans le port de Stockholm en 1628 et récupéré presque intact en 1961. T'imagine ?» dis-je avec un large sourire  «C'est un musée à Stockholm maintenant, on peut visiter le navire. Et c'est carrément impressionnant ! » assurais-je.

C'est comme ça que nous venons à parler de voyage. Arsène m'explique qu'il adorerait aller en Autriche et, tout de go, je lui propose de m'accompagner dans un road trip. Je ne sais absolument pas si c'est le genre d'Arsène. Il a plus l'air d'être quelqu'un qui est a du mal à sortir de sa zone de confort, mais il fini par accepter. Et ce avec un enthousiasme non feint ! Je lui offre un large sourire et hoche la tête  «Ah bah parfait alors ! Tu me donneras tes disponibilité sachant qu'il faudrait compter au mois un voire deux mois si possible » expliquais-je  « Et moi je m'occupe du reste » j'adore ça, organiser les voyages.  « Tu me feras aussi une liste de ce que tu veux voir absolument et on s'arrangera pour la suivre » dis-je, commençant déjà à échafauder un plan qui se précisera par la suite.

Arsène fini par me montrer un recueil, une répertorisation des Walibi, ce qui engendre un certain nombre de questionnements de mon côté. Depuis combien de temps est-il taxidermiste ? En posant cette question, je m'attendais à une réponse plus ou moins évasive, mais je suis loin de me douter que ce sujet passionne tellement mon nouvel ami. Il avait, à l'époque, un iguane -à ce moment je me retiens de grimacer car je suis totalement contre le maintient en captivité des reptiles- et sa mort à remit pas mal de chose en question. Pour Arsène, empailler un animal c'est lui redonner vie, quelque part, comme défier la mort elle-même. J'hoche la tête, le comprenant et le laisse continuer. Il me parle de grenouille, d'une rencontre au détour d'un rayon à la bibliothèque où il travaillait, qui a été le contact principal pour qu'il intègre ce département du musée. J'hoche la tête et souris doucement lorsqu'Arsène m'annonce que ce travail représente beaucoup pour lui.

 «Je vois » dis-je doucement en enfonçant mes mains dans mes poches  « Donc en fait tu te prends pour dieu, quelque part ?» question rhétorique en somme  « Je veux dire, ne le prends pas mal hein, mais … tu dis toi-même qu'en empaillant les animaux tu leur donne 'une seconde vie' et tu 'défies la mort'. Mais qui es-tu … qui sommes-nous pour juger que la vie doit-être maintenue, d'une manière où d'une autre ? » j'interroge le jeune homme du regard  « Je ne suis pas religieux, je ne suis même pas croyant, du moins pas croyant comme la société le défini, mais je crois quand même à une vie après la mort et à une force supérieure et ...bref !» me reprenais-je en secouant la tête  «Comme dit avant, je trouve ça glauque... car imagine on fait la même chose avec la carcasse humaine ? Je ne parle pas du fait de donner son corps à la science, mais bel et bien d'être empaillé et mit dans des positions risible aux yeux de tout le monde. On trouverait ça choquant parce que 'olalala c'est un être humain, il mérite plus de respect que ça', pourquoi un animal ne mériterait-il pas ce même respect ?  » je m'immobilise et me tourne vers Arsène  « je ne comprendrais jamais pourquoi on fait aux animaux ce qui serait choquant si on le faisait aux hommes » je soupire doucement  « De Vinci à fait la même chose, il a déterré des corps humains, les a préparé et les a exposés en vitrine. Et ça a choqué tout le monde» je pince les lèvres et observe Arsène, me demandant s'il a de quoi contre argumenter.

“C’est génial les maquettes! J'en ai une dans mon cabinet. Une maquette du Vasa, le bateau qui a coulé dans le port de Stockholm en 1628 et récupéré presque intact en 1961. T'imagine ?” Si j’imagine ? C’est juste incroyable. Et le fait de pouvoir visiter le navire l’est d’autant plus ! “Waouh, j’en doutes pas ! faudra que tu me montres cette maquette !”
Ou même pourquoi pas partir visiter ce musée à  Stockholm également ? Comme cette proposition de voyage n’a rien d’une parole en l’air ! Je ne sais vraiment pas dans quoi je me lance, mais c’est peut-être de ces choses là dont il ne faut pas réfléchir. Parce que Martin à l’air tout aussi heureux de planifier ce road trip et que ça me fait juste sourire. “Ça marche ! … Bah écoutes, euh, merci ! Je m’organiserai vite pour pouvoir prendre 2 mois et te tenir au courant. Pour le coup, je pense que tu peux déjà placer l’Irlande sur ta liste, haha”
Ça va me changer, 2 mois hors du musée, de brisbane, de l’Australie,... Ça va me changer, et j’ai ce sentiment que c’est de ce quelque chose là qui me manquait en ce moment. Du changement. Sympathique. Même si je sais que mon atelier me manquera, je suis prêt à le laisser de côté pendant une petite période pour vivre ça ! Métier et atelier qui continuent de laisser Martin perplexe, je crois...

hahaha, un dieu ? Je pensais pas qu’on pourrait interpréter mes paroles comme ça. Enfin, vu sous cet angle, je comprends le côté mégalo de la chose qui peut ressortir… Mais à vrai dire, ce n’est pas vraiment ce genre de pensées que j’avais à 10 ans en me passionnant pour la naturalisation d’animaux. Et ce n’est pas ce genre de pensées tout court qui me traversent l’esprit. Et pourtant, Dieu sait que j’en ai des pensées, justement. Mais c’est drôle, tout de même : “C’est sur que vu sous cet angle, ça sonne légèrement blasphème ma vision du métier de taxidermiste !” J’avoue que je ne sais pas bien comment formuler autrement ce truc naïf qu’une pensée comme “je vais défier la mort” du gamin que j’étais pour évoluer en la profession que j’exerce à présent. “Tu sais, cette pensée, c’est celle qui m’étais venue à l’esprit  alors que je n’avais encore que 10 ans. Une sorte de vision naïve de toute notre existence. Quand tu ne comprends pas encore comment une chose peut naître, grandir, évoluer, pour finalement arrêter simplement de bouger sans qu’aucun autre élément ne permette de savoir ce qu’il adviendra après. Ce truc naïf d’un “j’ai pas envie qu’il meurt et même s’il part tout de même au ciel, il serait content que quelqu’un s’occupe encore de lui” que j’ai pu me dire petit et qui m’a amené à m’intéresser au métier pour évoluer en désir de simplement instruire les autres.” Le plus simplement du monde. Un gamin naïf et curieux. “Mais comme je te le disais précédemment, taxidermiste, c’est un métier exercé pour la science et la pédagogie. Je ne te parle pas de ces taxidermistes qui ne sont là que pour retirer du profit d’animaux qu’ils empaillent à la solde de particuliers : eux, je me bats contre, et je me battrais jusqu’au bout pour leur retirer leur permis d’exercer. Ceux-là qui font prendre des poses ridicules aux animaux sans conscience aucune de l’impact généré.”
Mais j’entends bien Martin, et c’est sûr que l’évocation de Léonard De Vinci est un bel exemple des contradictions que le métier de taxidermiste peut avoir. J’ai toujours été conscient de ce paradoxe, mais pourtant, pourtant, je n’ai jamais eu autres choses que du respect et de l’amour pour les animaux que j’ai côtoyé. Peut-être un paradoxe que Martin ne pourra jamais comprendre, malgré toute la douceur avec laquelle je lui explique: “Et, tu sais, j’ai conscience à quel point de telles pratiques sont controversées : comment peut-on dire respecter ces êtres en faisant usage de leur dépouille ? Car, la taxidermie reste tout de même un métier instauré pour la mémoire des Hommes…” De l’Homme pour l’Homme, comme tout en fin de compte.  “Mais c’est là où c’est important de comprendre que ce métier, c’est sans sentiment de supériorité aucun qu’il faut s’y atteler. Tu parlais de Léonard De Vinci qui a disséqué et exposé des Hommes, pour la science. Ce savant, il avait raison en soit. Une certaine avance sur son temps qui crée la controverse, ça choque. Mais sans laquelle notre connaissance sur le fonctionnement du corps humain aurait pu évoluer différemment. Il a replacé l’Homme à son simple statut d’être de la nature pour comprendre la nature humaine, sans prendre en compte la morale religieuse qui détermine ce que nous devons faire d’un corps.” Ça devait être fascinant rencontrer De Vinci. Je ne sais pas si j’aurais aimé le rencontrer. Surement. Mais l’étude des animaux l’aurait peut-être moins intéressée que celle des Hommes. “Et je pense surtout que c’est pour ça que taxidermiste aussi ça choque. Parce que l’on se dit que ces corps là, pour être respectés, ils doivent être traités comme l’on devrait traiter tout corps : enterrés ou laissé intact. Mais Léonard de Vinci avait aussi ce courant de pensée pour lequel le corps est lié au ciel et le ciel à l’esprit, et que c’est l’esprit qui est supérieur à la matière. Qu’alors d’aucunes façon c’est entrer en conflit avec une certaine morale religieuse ou une certaine morale tout court que d’user des corps. C’est peut-être un peu glauque aussi, mais en soit, c’est toujours de la même manière que j’aborde la naturalisation de nos jours. Que je peux respecter et aimer les animaux tout en disposant de ce qui les retient sur terre, puisque dans tous les cas je crois comme toi qu’une vie peut exister, après la mort et que c’est ce qui prime. Mais avec ce sentiment que je suis utile aussi, peut-être. Et que quelque part ça à une certaine valeur”

Tiens, je me suis arrêté entre les rayons sans m’en rendre compte. C’est que ce n’est pas des plus simples de parcourir ces archives tout en parlant, exposant son point de vue et replaçant le dossier sur la bonne étagère… . . . Qu’est-ce que !? Pourquoi la lumière vient de s’éteindre ? C’est pas croyable ça…?? Ah moins que… “Merde : ces cons ! ils n’ont pas changé le compteur automatique. Je leur avais pourtant dit que c’était stupide de placer une minuterie dans une réserve! C’est pas avec ça qu’ils feront des économies sur l'électricité...T’es là Martin ?”

Lui montrer la maquette dans mon cabinet ? PAS DE SOUCIS ! Mais pourquoi ne pas carrément lui montrer le bateau ? Si de toute manières on sera en Europe, autant passer par Stockholm ? Enfin, on verra bien. J'hoche doucement la tête puis hausse les épaules «Tu viens quand tu veux au Cabinet. T'as les horaires d'ouverture sur internet. Après pas sûr que je sois disponible, mais si tu viens aux heures pleines ou aux demi heures, y a moyen que je puisse t'accorder une ou deux minutes  » dis-je doucement en hochant la tête avant de le suivre dans les rayons. Nous parlons rapidement de ce prochain voyage, avant de passer à autre chose de plus intéressant.

Lorsqu'Arsène me dit qu'en devenant taxidermiste il souhaitait défier la mort, je lui demande s'il ne se prendrait pas pour dieu des fois. Et il me donne raison quelque part. Pas sur la totalité, mais un peu quand même. Il reprend la parole en m'expliquant son point de vu. Il me parle de vision naïve qu'un gamin de 10 peut avoir.  «Je comprends mieux » dis-je doucement  « Quand Capitain Nemo, mon poisson rouge, est mort quand j'avais 9 ans j'ai été tellement anéanti que j'aurais tout fait pour lui redonner vie» dis-je avec un sourire amusé sur les lèvres. Ça me fait sourire maintenant, mais à l'époque je suis vraiment passé une semaine de dépression pendant laquelle je refusais de faire quoique ce soit. Enfin, peu importe. Arsène reprends la parole, m'expliquant qu'il se bat corps et âme contre les taxidermistes qui, eux, empaillent les animaux pour le profit des autres.  «Hm … là, Hugh te dira 'parce qu'exposer des animaux n'est pas une mise à profit ? Les gens payent pour indirectement voir les animaux » j'hausse les épaules  «Enfin, je vois ce que tu veux dire et je sais que ce n'est pas la même chose. Je veux dire, les animaux qu'on voit ici on ne les achètes pas en tant que tel et … bref, peu importe » je fais un signe de la main.

Et lorsque je continue, c'est pour parler de Leonardo de Vinci qui a préparé des corps humains et qui s'est critiqué au plus haut point. Arsène réfute cet argument en disant que sans ça on ne serait pas aussi avancé en médecine que maintenant, ce que j'approuve avec un hochement de tête  «Je vois...» dis-je doucement à la fin de sa tirade en haussant les épaules  «Enfin, je penses qu'on peut encore discuter longtemps de ça » dis-je, rigolant doucement en passant à côté d'Arsène pour me diriger vers la porte  « Mais le temps commence à tourner et je … PUTAIN DE MERDE» m'exclamais-je brusquement lorsque la lumière se coupe subitement et que, privé de mon sens principal je suis un instant perdu. Assez pour que mon genoux droit tape violemment une table qui était posée là et que j'aurais éviter s'il y avait eu de la lumière.

Je grimace, sentant les larmes me monter aux yeux. Non pas parce que j'ai envie de pleurer, mais parce que se cogner le genou aussi violemment n'est jamais agréable. Je grimace en reposant le pied au sol et relève le regard vers Arsène qui me demande si je suis là  « Moi ouais, mais mon genoux vient de mourir» dis-je entre mes dents serrer en essayant de m'éloigner de la table  «Fait chier. Je suis le premier a défendre la minuterie, mais aussi le premier à la critiquer » j'écarte les mains pour essayer de me repérer  «Tu sais par où c'est la sortie ? Parce que moi j'ai aucune idée » dis-je  « D'ailleurs t'es où Arsène ? Rah putain, c'est horrible de ne rien voir comme ça» grimaçais-je, me sentant tout à coup totalement démuni.

Capitain Nemo, Odin : ils sont sympathiques les noms qu’il choisit ! Et dire que certains taxidermistes acceptent de naturaliser les animaux de compagnie de certains particuliers… Si c’est bien la volonté de vouloir conserver avec moi cet iguane recueillis qui m’avait amené à m’y intéresser, je n’accepterais pour rien ce genre d’entreprise. Amour du métier, oui, mais un métier réglementé. Ce que Hugh n’entenderait pas non plus d’ailleurs. Mais à vrai dire je m’en serais douté... Je me demande s’il attend toujours Martin ? Car même si nous pourrions encore discuter pendant des heures, je crois bien que certaines obligations vont devoir écourter ce passage à la réserve. Et je ne suis pas le seul à le penser : “Mais le temps commence à tourner et je… PUTAIN DE MERDE”

Bordel !! Je ne sais pas ce qui m’a fait sursauter le plus : se retrouver dans le noir sans prévenir, le cri de Martin ou bien le coup qui l’a suivi. Quoique les trois combinés n’est pas exclu non plus…
Un silence. Trop long ce silence. On n’entend plus que la ventilation de la réserve. J’aurais dû prévenir Martin de la possible minuterie, ça m’avait totalement échappé. Il ne s’est pas blessé tout de même ? Je sais pas, buté dans le mur, percuté une étagère… Et si c’était tombé sur son crâne ? Merde, Martin ? Toujours là ? “Moi ouais, mais mon genoux vient de mourir.” Mince, c’était donc ça le coup… Tu me diras, je préfère ça plutôt qu’autre chose. L’épaule, le genoux, manquerait plus que je lui marche sur le pied par inadvertance dans le noir et on aurait un tableau complet. Faut que je fasse attention à ne pas lui écraser le pied. Quoique ce serait comique. Un peu plus pour moi que pour lui, mais tout de même, comique. Ça nous ferait une raison de plus pour critiquer cette minuterie. “Tu sais par où c’est la sortie ? Parce que moi j’ai aucune idée.” La sortie ? Bonne question. Faudrait en premier lieu que je me souvienne dans quelle allée on se trouvait… Ah, si, je me souviens : après mes archives on a continué tout droit et tourné à gauche. On devrait se trouver au niveau des documents répertoriés des fouilles. C’est quoi, à deux, trois rangées de la sortie ? Ou quelque chose de cet ordre là. Surement. “Pour la sortie on devrait pouvoir continuer toujours tout droit et tourner dans la première allée : à droite on devrait percevoir l’icône lumineuse au dessus de la porte et y voir un peu mieux… Bouges pas, je vais essayer de te rejoindre pour passer devant toi”  “D’ailleurs t’es où Arsène ? Rah, putain, c’est horrible de ne rien voir comme ça” C’est sûr que c’est pas des plus pratique. J’aimerai bien posséder à cet instant, là, maintenant, cette capacité des chauves-souris à se diriger par ultra-sons. Comme ce jeune aveugle dont j’avais entendu parler à la radio. Il faisait claquer sa langue dans son palais pour percevoir l’espace par résonance, je crois. Là où, privé de vision, il avait développé ses autres sens. Assez utile, et bien plus que d’être chauve-souris. Ou tout bonnement un petit éclairage ?     . . . Mince, j’ai pas mon portable sur moi, c’est vrai. Martin peut-être ? Non, je crois bien qu’il a laissé son sac à l’entrée de la réserve. Et puis, il l’aurait déjà sorti autrement.

. . . Ça tâtonne, ça tâtonne, mais en attendant toujours pas de Martin. J’étais pourtant bien sûr qu’il était devant moi, non ? Heureusement qu’il y a l’étagère pour me servir de guide, j’aurais bien été embêté sin…”HOLA !” Ah oui, je comprends mieux la douleur du genoux de Martin maintenant. Un peu plus et je percutais la table moi aussi ! “J’ai failli me cogner, ça va toi ton genoux ? La douleur s’est estompée ? ” Alors, contourner la table sans s’y prendre les pieds non plus, ça c’est fait. Maintenant il s’agirait de ne pas foncer dans Martin : sa voix sonnait à côté. On va y aller toujours à tâton.
“Martin !” Ça aussi ça m’a fait sursauté : je ne le pensais pas si près finalement. J’ai évité de lui écraser les pieds, c’est déjà ça. Et puis, heureusement que dans ces situations nos bras nous servent de guide de façon automatique. Sinon je lui aurais littéralement foncé dedans... Il à l’air tout tendu. Tu m’étonnes : après un effet de surprise pareil. Je suis pas mécontent de le retrouver. Et mes yeux commencent déjà à s’habituer un peu plus à l’obscurité. “Attends, conserve mon bras : on va longer l’étagère pour regagner la sortie”

C’est bien ma veine ça. J’accepte d’aller dans une réserve avec le taxidermiste que je viens de rencontrer et, perdu dans nos discussions, nous en oublions la minuterie. Je ne savais d’ailleurs pas qu’il y en avait une, de minuterie. Mais c’est normal, après tout. Enfin, mon genou n’aime pas la surprise que lui réserve la table que je rencontre brutalement. Je demande à Arsène s’il sait où nous nous trouvons car moi je ne sais pas me repérer ici, dans le noir. Je l’entends arriver derrière moi et me décale légèrement, doucement. Il s’exclame finalement et je ne peux m’empêcher de rigoler à l’idée qu’il se soit, lui aussi, manger la table dans le genou.

« Ouais, ouais ça va » dis-je en me calmant. «Et toi ? Pas trop … » je me tais brusquement, sursautant légèrement lorsque je sens sa main sur mon bras. Il semble tout aussi surpris que moi et pourtant il ne me lâche pas, m’indiquant de le suivre. J’étends mon autre bras et le suis docilement « J’te fais confiance Arsène. Si tu nous sors d’ici t’auras ma reconnaissance éternelle» dis-je, amusé, comme si c’était une question de vie ou de mort.

Au final, nous arrivons à ladite rangé et voyons le panneau lumineux. Je soupire doucement et accélère un peu le pas. J’ouvre la porte et suis brusquement aveuglé à cause de la luminosité. Je cligne des yeux et entends que la porte se referme derrière nous. Une fois que mes pupilles se sont à nouveau habitué à la lumière, je pose mon regard sur Arsène et soupire en lui faisant un sourire «que d’émotion » dis-je, amusé en réajustant ma prise sur mon sac «Bon, j’vais pas te gêner plus longtemps » je regarde autour de moi et apperçois Hugh qui gentiment dehors, assis sur les marches de l’entrée entrain de fumer et souris «ça va, il a pas l’air d’avoir foutu la merde » dis-je en reportant mon attention sur Arsène « T’as mon numéro et mon adresse, n’hésite pas à m’envoyer un message pour qu’on se fixe une soirée et qu’tu viennes chez moi. Ok ?» je m’avance, pose une main sur l’épaule du taxidermiste et lui souris «Merci encore, de n’avoir rien fait. Je te revaudrais ça, crois moi. » je lui tapote l’épaule puis me détourne et me dirige d’un pas rapide vers Hugh, sortant du musée.