Ces derniers temps, l’Australie avait connu des records de chaleur pour cet été 2018. Les températures avaient dépassé les 40 degrés à l’ombre et toutes les recommandations étaient de ne pas trop sortir, bien s’hydrater, fermer ses volets, rester au frais. Brisbane n’y avait pas échappé. Owen avait cette chance de travailler dans une vieille église en pierre, excellement isolée. Autant, en hiver, on avait cette impression de froid givrant, mais en été, c’était très agréable de pouvoir y rester dans ces circonstances. Owen avait d’ailleurs permis à bon nombres de personnes de pouvoir venir s’y rafraichir, il y avait mis des bouteilles d’eaux à dispositions surtout. Les personnes qui avaient surtout apprécié ce petit service étaient les personnes âgées qui surmontait difficilement ces fortes chaleurs. C’était un peu une question de survie. Mais ça y est, les températures étaient redescendues, la canicule n’était plus d’actualité et Brisbane pouvait reprendre sa vie normale et lui aussi. Il en profita alors pour aller se promener un peu en ville, plutôt au parc. Un livre sous la main, il se décida d’aller s’installer dans un coin à l’ombre, sous un arbre pour enfin finir ce bouquin. Am Stram Gram de M. J. Arlidge. Très prenant, mais il l’avait mis de côté depuis quelques semaines et maintenant, il était temps d’aller jusqu’au bout. De savoir qui était vraiment ce tueur en série et surtout de connaitre la raison qui le menait à faire tout ça.
Owen fit un tour rapide du parc avant de trouver l’endroit idéal pour lui. Loin des jeux d’enfants, pour pouvoir se concentrer. Non pas qu’il n’aimait pas les enfants, mais entendre des cris et des pleurs, ce n’était pas le meilleur moyen pour lire un livre. Un était donc sous son arbre, adossé au tronc, jambes tendues devant lui et il pouvait maintenant se plonger dans ce thriller. Une heure venait de s’écouler sans qu’il ne s’en rende compte, il lui fallait encore le même temps pour terminer le bouquin. Il resta totalement concentré, absorbé par l’histoire. Quand soudain, il sentie un poids assez léger tomber sur ses jambes. Il retira le livre de ses yeux et vie ce petit garçons, allongé sur lui et qui d’un coup, se mis à pleurer. « bah alors petit gars ? » Il n’avait surement pas fait attention à ce qu’il faisait ni où il allait et avait fini sa course en se trébuchant sur les jambes du prêtre. La petite tête blonde se redressa et se retourna comme pour chercher sa mère. Owen referma le livre en y laissant son marque page là où il s’était arrêté. Il leva les yeux et une femme, grande et blonde déboula vers lui, plutôt, vers l’enfant. Owen la reconnu aussitôt. « Décidément, tes enfants sont aussi maladroits que toi… »dit-il en faisant référence à leur accident de voiture, plusieurs années auparavant, pour Owen, sans aucun doute, c’était elle qui lui avait rentré dedans. Il se redressa, se mis debout pour accueillir Selina avec le sourire.

Comme quoi, les choses évoluaient, changeaient sans cesse, tout était en mouvement, le temps passait à vive allure et chacun menait sa vie, avançait. Les routes se croisent puis se séparent pour se retrouver plus loin. Le monde est fait ainsi, des sillons, un vrai labyrinthe, avec ses multiples possibilités. Aller tour droit, à droite, à gauche, faire marche arrière, prendre un raccourci, parfois des culs de sac, des impasses et puis, on fait demi-tour et on finit par reprendre le bon chemin. Il y a ceux qui préfèrent prendre les autoroutes, quitte à en payer le prix, ceux qui préfère les chemins de campagne, passer par les villes avec des feux, verts ou rouges, prendre son temps… La route était une belle métaphore de la vie. Owen et Selina s’était croisé à un carrefour, les feux devaient être en dysfonctionnement ce jour-là, le carambolage était inévitable. Ils ont ensuite choisi de faire route ensemble, sur quelques kilomètres, mais cette route s’était montrée être sinueuse et avec beaucoup de brouillard pour brouiller les pistes, ne pas savoir de quoi allait être fait les prochains mètres. Il fallait y aller avec prudence, mais ils s’étaient sentis bien plus confiant, puis ils ont foncé dans le mur. Fin de l’histoire, de cette histoire. Début de deux autres. Celle d’Owen se poursuit par le décès de son père, la dépression, la relève, la religion. Celle de Selina semble l’avoir amené à conduire deux petits êtres. Elle était donc devenue maman. Rien de bien étonnant pour Owen, après tout, elle était dans la moyenne, jeune femme classique dont le rêve est de fonder sa famille. Il était content qu’elle y soit arrivée. « Ce n'est pas de la maladresse. En fait, c'est un procédé un peu particulier afin de rentrer en contact avec les gens. » la mauvaise foi non dissimulée de Selina arracha un sourire à l’australien. « Sacrée technique ! Et en général, elle est bonne ? » dit-il en regardant ce petit garçon qui essuyait ses larmes. Il avait dû avoir peur surtout après sa petite chute. « Et puis, regarde. Comment tu pourrais dire non à une telle bouille ? » il haussa les épaules, en réalité pas très à l’aise avec les petits enfants. « tu as raison, heureusement qu’il ne ressemble pas à sa mère. » dit-il, toujours sur un ton amusé, provocateur mais sans être méchant, plutôt taquin. « Comment tu vas toi ? Tu prenais un bain de soleil ? » Owen souleva doucement son livre pour lui montrer qu’il était entrain de bouquiner. « Je profite du temps oui. J’ai pas vraiment vu l’heure passer en fait… mais ça fait du bien. » Il se redressa, toujours assis contre son arbre alors que Selina tenait son fils dans ses bras. Il se mit debout. « et toi alors ? Ca fait une belle pair d’années qu’on s’était pas croisés… »

Owen s’amusait surtout de cette situation. Le petite garçon tombé sur ses jambes, Selina ne qualifiant pas cela comme de la maladresse mais une technique d’approche pour faire de nouvelles rencontres. Après tout, c’était bien comme ça qu’ils s’étaient aussi rencontrés, c’était donc une stratégie mise en place par la jeune femme que de créer un accident. Noté, elle avouait à demi-mot, même si c’était de l’humour, que c’était bien elle la fautive. Un point pour Owen. "Et bien écoute, ça dépend des personnes. Je t'avoue que ça ne fonctionne pas forcément avec tout le monde. Si mes souvenirs sont bons, tu n'as pas été très réceptif au départ." Il sourit, de nouveau amusé. « c’est-à-dire que si j’avais mieux compris le stratagème, j’aurai tout de suite plongé dans le piège. Mais c’était tellement réaliste… bien joué ! Je suis surpris par tes talents d’actrice et de cascadeuse. Mais aujourd’hui, ma voiture ne te remercie toujours pas. » bon, il n’était pas rancunier et cet accrochage avait surtout permis de faire une belle rencontre. Même si à l’heure qu’il est, il y avait bien longtemps qu’ils n’avaient plus eu de nouvelles l’un de l’autre.
"Je préfère qu'il me ressemble plutôt qu'il ressemble à son père." Un ton assez amer dans sa voix, Owen pouvait en tirer des conclusions assez hâtive mais quelques choses lui disait qu’elle n’était plus en couple avec ce fameux père. Il préférait ne pas se montrer trop curieux sur ce point, il estimait qu’il n’était pas légitime pour poser des questions et être une oreille pour elle. Il n’était pas prêtre aujourd’hui, il était juste Owen. Il lui demanda donc comment elle allait à présent. Et sa réponse semblait confirmer ce qu’il pensait. Rupture récente ? "J'ai connu mieux. Mais grâce à ces deux petites merveilles, j'ai pas vraiment le temps de me laisser abattre. La petite dormeuse, là, c'est Louna. Et t'as déjà rencontré Kyle." Il regarda tout à tour les deux enfants et leur adressa un sourire à chacun. « enchanté Louna, la dormeuse et Kyle, le maladroit. » Owen aimait les enfants, il regrettait cependant qu’il n’y en ai pas encore dans la famille. Et malheureusement, ce n’était pas lui qui allait apporter un bébé chez les Baxton. Il savait ô combien sa sœur en rêvait également et il lui souhaitait réellement de réaliser son rêve un jour : fonder une famille. Même si elle se montrait pressée, il savait que ca finirait par arriver. "Et oui ... ça fait un moment ... depuis la dernière fois. A croire que le destin n'avait pas envie qu'on se voit. C'est dommage qu'on ait pas eu l'occasion de se revoir avant." Il haussa les épaules. « Il faut dire que ca aurait pu être compliqué. Je n’étais à Brisbane que par intermittence ces six dernières années. Tantôt à Sydney, même en Europe. Je revenais de temps en temps mais maintenant, je suis bel et bien de retour pour rester encore un bon moment. »

"Tu sais, j'suis journaliste. Il m'en faut du talent pour pouvoir faire parler les gens." du talent pour être maladroite voulait-elle dire ? Bon Owen n’allait pas relever une nouvelle fois, il estimait qu’il avait assez taquiné la jeune femme à propos de leur rencontre. Et puis, ça faisait assez longtemps qu’ils ne s’étaient plus vus, il n’allait pas lui laisser un autre mauvais souvenir de lui. Rapidement, la jeune femme se livra à Owen quant à sa relation passée avec le père de ses enfants. "Apparemment, on avait un problème de communication. Surtout lui. Puisqu'au lieu de me dire que ça allait trop vite, il a préféré aller voir ailleurs ... Et se taper l'interne en pédiatrie qui s'était occupée de notre fils. Génial, hein ?" l’homme restait presque bouche bée après avoir entendu tout ça. Il avait l’impression d’être à l’Eglise et qu’une femme qu’il ne connaissait pas venait lui raconter ses misères. Il était bien désolé pour elle. « Génial comme tu dis… » à vrai dire, il n’avait pas vraiment les mots. C’était bien plus compliqué que si c’était vraiment une inconnue en réalité. Elle ne l’était pas et il avait beaucoup d’empathie et de compassion pour elle. « C’est moche en tout cas. Et dit toi simplement qu’il ne te méritait pas… » sans doute bien plus facile à dire qu’à faire. En ayant choisi d’être prêtre au moins Owen n’avait plus de soucis avec les relations de couples qui pouvaient se montrer être très compliquées. « je peux me permettre de te demander comment tu l’as su ? Enfin, il t’en a parlé ou tu l’as su par hasard ? » un peu trop curieux le jeune homme mais puisqu’elle lui en avait parlé avec tant d’aisance… autant poser les questions qui lui traversent l’esprit. Et si elle n’a pas envie d’y répondre, elle ne le fera pas. « Je suis sûre que tes petites têtes blondes sont très chanceuses de t’avoir dans tous les cas… » même si elles vont aussi pâtir de cette situation. Owen espérait que les tensions entre leurs parents n’allaient pas avoir de grosses répercutions sur les enfants. Il n’avait jamais connu de divorce entre ses parents, mais il était témoins de situation semblables avec certains de ses amis. La séparation s’était largement démocratisée ces vingt dernières années. Le prêtre parlait de lui à présent. "Oh, je ne savais pas. L'envie de voyager je présume ? De voir un peu le monde ? J'espère que c'était bien et que tu en as profité." Profiter, ce n’était pas vraiment le but de ces absences mais oui, on pouvait dire qu’il avait bien profité, surtout une fois qu’il était au Vatican, en Europe, il avait eu la chance de visiter plusieurs autres pays et grandes villes. Il avait aimé pouvoir découvrir tant de nouvelles cultures. Même si ses cours au Vatican lui demandaient beaucoup de temps, il profitait dès qu’il avait un peu de temps libre. Ce n’était malheureusement pas comme à la fac. Le rythme était bien plus soutenu. « On va dire que c’était un passage obligé pour ma nouvelle formation. » il réfléchit un instant. « je ne suis plus dentiste, enfin, plus en pratique… je me suis reconvertie. » il marqua une pause. « Au christianisme. »

« Ma soeur m'a dit pareil. » rien de bien étonnant, qui pourrait ne pas aller dans ce sens ? En tout cas, Selina semblait être bien entourée et même si Owen ne doutait pas que cette situation devait être difficile, elle n’était pas seule et c’était sans doute le plus important, dans ces moments. Les aléas de la vie, comme on dit, dans certains cas, il s’agit de peine de cœur, qui n’ont d’incidence que sur les sentiments, le bien être, mais parfois, certaines ruptures peuvent mener dans un gouffre dont il est difficile de s’en sortir. Un petit changement peut avoir un effet papillon. On perd un mari, une femme, le quotidien s’en voit changer, les charges financières qu’on partageait à deux se voit être portées par une même personne, ca devient compliquer de lier les deux bouts à la fin du mois, et c’est l’enfer. C’est comme ça, dans certains cas extrême que certaines personnes peuvent se retrouver expulsées, incapable de payer leurs loyers, tout ça pour une infidélité, un divorce… quels dommages. Enfin bon, Selina était rayonnante et semblait avoir comme une aura autour d’elle, une protection divine peut être, elle était loin de ce genre de soucis. Elle devait guérir une plait avant tout. « Mais ça fait chier quand même. Pour les enfants. » Oui, les enfants qui n’avaient rien demandé. Owen se demandait s’ils n’étaient pas trop jeune pour comprendre ce qu’il se passait entre leurs parents, il n’en savait rien. « comment ils l’ont pris ? » interrogea-t-il Selina. Elle lui explique ensuite la manière dont elle l’a appris. Un baiser devant ses yeux, il imagina la douleur devant une telle scène. « Je suis vraiment désolé… » et sincèrement. « Y'a des jour où j'me dis qu'il l'a fait exprès. j'veux dire ... D'arrêter de se cacher. Même si ça faisait déjà trois mois qu'il faisait ce petit manège. » trois mois de mensonges donc… en effet, il valait peut être mieux mettre un terme à tout ça et cesser de se cacher. « C’est sans doute mieux, après, la méthode est douteuse. Une conversation sincère reste ce qu’il y a de mieux. » mais la lâcheté semble l’emporter dans certains cas. « Ils sont tout pour moi. J'pensais pas que j'pourrais devenir une maman. Et puis, tu sais ... les choses ont évolué. Et au fond, j'me sentait prête. » le prêtre hocha la tête. La vie suivait son cours, et il était devenu temps pour la jeune femme de devenir mère à son tour. « Aucun regret donc. » ajouta-t-il avec un petit sourire en regardant chacun leurs tours ses deux enfants.
Voilà à présent qu’il était temps d’aborder la vie d’Owen et ce qu’il était devenu après toutes ces années. « Oh, parce que tu as changé de boulot ? Je ne savais pas. » peu était réellement au courant à vrai dire. Puis, en même temps, ils ne s’étaient pas vu depuis très longtemps. « Attends ... Tu es en train de me dire ... que ... tu as trouvé Dieu, c'est ça ? Et bien ... Si je m'attendais à ça ... » Perspicace. Owen était finalement assez amusé de cette révélation et de la réaction de Selina. « Qui aurait pu s’y attendre ? » même pas lui si on lui avait dit ça à l’époque où ils étaient ensemble. « Je suis officiellement prêtre à Redcliff depuis octobre 2017. »

Owen l’écoutait bien attentivement, cette qualité qu’on ne pouvait pas lui retirer, cette force qui l’avait bien aidé à porter la fonction de prêtre aujourd’hui. Il était une oreille active, sans pour avoir à chaque fois les réponses appropriées. Mais on lui était souvent reconnaissant pour ça. Juste écouter ce qu’on avait à lui dire et Dieu sait comme il est important de pouvoir se libérer d’une parole qui nous pèse. Les mots ont leur importance, pouvoir exprimer ce que l’on a sur le cœur n’est pas toujours simple mais une fois que c’est fait, on se sent tout de suite plus léger. En tout cas, malgré ce qu’avait traversé Selina, sans doute une période assez compliquée, elle semblait s’en sortir. Se montrait épanouie et heureuse avec ses enfants. C’était peut-être le principal. C’était peut-être aussi une façade, une vitrine qu’elle voulait donner pour qu’on ne la harcèle pas, qu’on la laisse tranquille. Mais cette vitrine était bien réussie, en tout cas. Après avoir parlé d’elle, c’était au tour d’Owen de faire le tour de ses actualités. Une en particulier qui surprenait chaque personne à qui il en parlait. Chaque personne qu’il avait connu avant tout ça, qu’il n’avait pas forcément revu. Il était comme un revenant sorti de nulle part depuis qu’il avait pris ses fonctions à l’Eglise de Redcliff. « Bah ... pas moi en tout cas ! » Et forcément, Selina était l’une des exes d’Owen, qui aurait pu penser qu’un des mecs avec qui on est sortie, avec qui on a partagé des plaisirs charnels, qui aurait pu penser que l’un de ces mecs pourrait faire vœux de chasteté, se donner entièrement pour le seigneur quelques années plus tard ? « Et bien et bien… Si tu t'es reconverti ... je présume que tu aimes bien ce que tu fais, j'me trompe ? » La question de Selina le faisait sourire. « Tu présumes assez bien. On peut dire que je suis jeune novice dans le milieu. J’ai pas eu le temps de me lasser encore. J’ai tout à faire ici. Reprendre les reines de l’Eglise après le père que je remplace, c’est pas mince affaire. » Il se redressa et fini par se mettre debout face à la jeune femme. « Par contre, je suis désolé, mais je vais devoir y aller. Je peux te raccompagner jusqu’à la sortie du parc si tu veux ? »