Aujourd’hui est un jour un peu spécial ; la directrice de casting du prochain film d’un réalisateur australien assez connu a choisi de s’installer dans les locaux du Southern Cross. Une amie du directeur du théâtre, connaissance aussi de Charles notre metteur en scène de la Northlight Company. Angela Margo est connue dans le milieu, mais John Grant encore plus. Il s’agit de trouver de petits rôles pour le prochain film de l’homme, le reste du casting étant pas mal bouclé. Une jeune femme de la Northlight a eu la chance d’être choisie pour un second rôle, elle qui rêvait de passer au moins une fois devant la caméra, c’est chose faite. Pour ma part, ça n’est pas encore au programme, tant qu’Arthur est petit, je préfère être à proximité autant que possible et là, le tournage étalé sur deux mois devrait se dérouler plus dans les terres, et en Australie, les distances prenaient rapidement des proportions effarantes. Trop loin pour moi encore, trop tôt. Arthur a besoin de moi, tout autant que je n’ai pas envie de partir aussi loin de lui aussi longtemps, puisque j’aurais l’impossibilité de l’avoir auprès de moi, et Thomas n’aura sûrement pas le temps de prendre ma charge de corvée tout en s’occupant seul d’Arthur pendant facilement plusieurs semaines... Soit, de toute façon, je n’ai pas cherché quoique ce soit et on ne m’a rien proposé, Charles connaissant très bien mon point de vue m’a avouer ne pas avoir avancé mon nom. Je lui en suis reconnaissant, ça m’évite une réponse négative.

En revanche je suis là pour filer un coup de main si besoin étant, puisqu’aujourd’hui, je ne participe pas aux répétitions. Des détails particuliers ont besoin d’être revus et je ne fais pas partie des deux scènes en question. Après avoir assisté au début des répét’, je me rends dans les étages où sont déjà amassés le long du couloir menant à la salle de casting un bon nombre de gens. Que des hommes aujourd’hui, plus ou moins jeunes, de toutes tailles et de toutes faces. Aucun ne se ressemble, ou presque. Certains se motivent, comme s’ils connaissaient leur sujet, et je n’éloigne pas cette possibilité. Ils doivent vouloir percer, ou être des amateurs tentant leur chance. D’autres néanmoins ont l’air de vrais touristes, je distingue même deux ou trois petits groupes de jeunes. J’esquisse un sourire ; sans sérieux, ils ne seront pas retenus. La plupart de ceux-ci ne doivent pas réellement comprendre les enjeux, mais ont dû entendre parler du casting, sautant sur l’occasion pour s’amuser, faire une nouvelle expérience.

Je profite d’un passage d’entre-deux pour me faufiler dans la pièce et retrouver l’équipe de casting, afin de leur demander s’ils ont besoin d’aide de quelque façon que ce soit. Le théâtre n’est pas spécialement grand, aussi sont-ils en équipe réduite. Quatre personnes, dont la directrice de casting qui, il me semble, ne reste que quelques heures. Ils n’ont pas d’être davantage, pour des rôles aussi petits, mais tout de même nécessaire pour le film. Ils me demandent tous, et presque en cœur, de quoi boire, car les quelques bouteilles d’eau prévues, dans cette salle qui chauffe facilement, surtout avec les deux projeteurs, sont déjà vides. La suite de l’après-midi s’annonce difficile s’ils n’ont pas de quoi s’hydrater. Je ressors et choppe au passage une collègue comédienne qui venait comme moi s’enquérir de l’affaire. A deux, nous mettons peu de temps pour trouver dans les réserves ce qu’il nous faut. Quelques sodas, même si ça n’était pas la question, et plusieurs bouteilles d’eau qui satisferont tout le monde. Nous remontons leur filer tout cela, gagnons quelques sourires, et nous assistons même à quelques passages. Dont un ou deux très rapides. J’ai vite une idée de ce qu’ils recherchent, mais aussi une envie pressante. Pour faire court, c’est en revenant des toilettes que je manque de me cogner contre un jeune homme au détour du couloir.

— Oh pardon, déso- Ca va ? demandais-je immédiatement, après un meilleur regard au jeune homme qui ne doit pas atteindre les vingt-cinq ans. Et qui, surtout, n’a pas l’air tellement dans son assiette sur le moment.

Le jeune homme que j’ai failli renverser n’a pas l’air bien, aussi je m’arrête dans mes excuses pour lui demander si tout va bien pour lui. Une pâleur de peau, quelque chose dans le regard, ou simplement le trac que je connais assez bien moi-même pour le deviner chez les autres. Ou alors, c’était l’agacement. En tout cas, en faisant un pas en arrière et en le détaillant davantage, je remarque la tâche qui s’étend au niveau de son abdomen, maculant sa chemise d’un léger brun. Du café sûrement. Bel accident. C’est exactement ce qu’il m’explique d’ailleurs, il tentait d’aller aux toilettes pour essayer de réparer au maximum son problème de café, ce qui n’arrange du coup absolument rien à son stress naturel. J’hoche simplement la tête, et il n’a pas tort, avec ces dégâts-là, il ferait mieux de trouver un autre vêtement, car il est impensable de se présenter au casting ainsi. Il y assez de monde dans le couloir pour qu’ils ne prennent pas la peine de s’intéresser à lui et passent directement au suivant. 
 
— Ni l’un ni l’autre, je suis comédien à la Northlight, la compagnie qui officie dans ce théâtre, du coup je file un coup de main pour les castings, souriais-je avant de lui tendre la main pour serrer la sienne. Myrddin enchanté, dis-je en espérant apprendre son prénom en retour, ce qui est le cas. Connor donc. Je crois que je peux t’aider d’ailleurs, ton passage est prévu quand ? Heureusement, comme il me l’apprend, ça n’est pas pour tout de suite (à l’habitude, ils demandent toujours de se pointer le plus tôt possible et ensuite seulement on apprend l’ordre, ce qui m’a déjà fait attendre plusieurs heures…). On va aller faire un tour en loges, il reste toujours des tenues, on te trouvera bien une chemise ou un t-shirt. 
 
Je lui offre un nouveau sourire, et l’invite à me suivre dans le couloir. Je suis déjà en train de réfléchir s’il ne me reste pas moi-même un t-shirt à lui filer, pour l’amener directement là-bas et ne pas perdre de temps. Qui sait si on ne va pas l’appeler plus rapidement que prévu suite à des désistements, ou des passages bien plus rapides qu’estimé. Nous descendons des escaliers sans croiser personne, car ils prennent la direction de la partie non ouverte au casting. Le bâtiment est assez grand, entièrement dédié au théâtre, et autour de la scène, c’est un véritable labyrinthe. Arrivant en bas des marches, je finis par tourner mon regard vers Connor. 
 
— Premier casting pour toi alors ? demandais-je pour en apprendre plus sur ce jeune homme qui a, d’après ce que je vois, la tête de l’emploi pour le rôle recherché. Mais ça n’est pas moi qui décide. 
 

Je vais peut-être sauver la mise à ce jeune homme, bien malchanceux avec ce café colorant sa chemise. Heureusement que son passage n’est pas pour tout de suite, il peut ainsi m’accompagner jusqu’aux loges où nous pourront trouver de quoi l’habiller. Nous avons une heure, facilement. Après les présentations, je lui fais donc part de mon idée, et je pars sans attendre par le couloir, le jeune Connor sur mes pas. J’ai un léger rire en apprenant les extrémités auxquelles il serait capable d’aller. Je le rassure cependant d’un simple signe de tête ; on va faire mieux qu’une marinière. Après un moment de silence dans le dédale des couloirs et escaliers, je lui demande si c’est son premier casting. A sa nervosité, j’en ai douté, mais il m’assure que non. Plus ou moins. Il en a déjà visiblement fait, mais il y a longtemps de cela, alors c’est bien comme si c’était son premier. J’esquisse un sourire ; si je ne me souvenais guère de mon premier casting autrement que par les récits d’autres personnes, je me souviens parfaitement des dizaines d’autres qui ont pu me rendre nerveux. Aussi, je ne peux que compatir avec lui.

— Je suis d’accord, le rôle est pas mal du tout, et c’est courageux de ta part au final, faudra en parler, ça peut impressionner, dis-je simplement, avec un sourire, en lui jetant un regard de temps à autre. J’pense que tu y arriveras, il y en a qui ont moins leur place ici que toi. Et c’est souvent ceux avec le plus d’aplomb, avouais-je avec un léger froncement de sourcil. Pour avoir une idée du rôle en tout cas, tu colles assez bien, et ça devrait être encore plus flagrant lorsqu’on t’aura trouvé de quoi t’habiller.

Et faire en sorte que le vêtement aille aussi au rôle. Ça aide souvent, d’être déjà dans le personnage, aussi petit soit le rôle. La première impression est souvent décisive. Connor reprit les rênes, avec quelques pensées positives. Attendre d’être au moins présentable enlèvera une dose de stress. C’est déjà bien mieux comme état d’esprit. Il me pose alors des questions sur mon rôle dans la Northlight, et depuis combien de temps j’y suis. Je souris de nouveau, avant de prendre à droite.

— Ouaip, je suis comédien. Ça fait seulement un an, environ, avant j’ai été libraire ici à Brisbane, et encore avant, comédien à Londres. J’hausse les épaules, n’ayant aucun mal de parler de mon parcours. Un peu chaotique, certes, mais au final, j’avais réussi à revenir à mes premiers amours, à ma passion chérie. Et toi alors ? Tu fais quoi ?

Je ne vais pas lui demander s’il rêve de devenir acteur, ou de monter sur les planches à plein temps. Son explication de sa présence ici m’a déjà montré – même si c’est peut-être faux – que cela reste un agréable passe-temps pour lui, et qu’il n’y pense pas en termes de métier. Je me dis facilement qu’il peut être étudiant, car je le pense assez jeune. En attendant nous arrivons enfin aux loges, et j’entre sans cérémonie, l’invitant d’un léger signe de tête et en laissant la porte ouverte, pour filer moi-même vers les portants. S’y trouve des vêtements basiques, qui peuvent sauver une scène, à portée de main. Pour homme et pour femme, et reflétant plusieurs époques. Des restes, aussi, de vieux costumes qui peuvent toujours resservir, sait-on jamais. Ces loges-là sont communes, assez grandes, avec de grands miroirs. Il reste encore quelques affaires personnelles ici et là. Je n’y jette aucun regard, déjà occupé à farfouiller parmi une volée de chemises.

— Je pense qu’on aura facilement quelques choses à ta taille, par contre il faudra quelque chose qui colle déjà au rôle, ça te facilitera les choses... Vu que tu connais mieux le rôle, une idée de ce qui irait ? demandais-je en relevant les yeux par-dessus le portant, pour les poser sur le jeune homme. Quelque chose de simple ira aussi, mais autant en profiter.

Nous faisons connaissance tout en descendant vers les loges. Je me présente, succinctement, puis lui pose quelques questions. Je le sens un peu nerveux, et surtout il assume que son inexpérience sera un point négatif. J’en profite pour le rassurer ; il a déjà fait ça, même c’était il y a longtemps, donc l’envie de revenir à un casting est à mettre en avant. Comme dans un entretien d’embauche, savoir transformer les défauts en qualités permet de gagner un peu d’avance. Surtout que cela montre son côté courageux, quelque part. Autant jouer là-dessus, et puis il m’a l’air assez bien dans ce rôle, il suffirait de pas grand-chose pour qu’il l’obtienne. Qu’il n’ait pas peur, ceux qui ont l’air le plus à l’aise sont souvent ceux qui ont le moins de choses à proposer. Être trop sûr de soi peut cacher une méconnaissance de ces capacités, au fond. Ce qui compte c’est ce que l’on donne sur scène. Soit. Ce gamin me fait assez marrer, alors je l’aide comme je peux à se remettre dans rails après l’incident du café. Je lui raconte ensuite mon parcours en quelques mots, et c’est alors qu’il souligne mon origine anglaise, non sans humour.

— Oui qui sait, ce n’est qu’un grand village après tout ! rétorquais-je sur le même ton, avant de tourner un instant mon regard sur lui. Je me disais bien que tu avais un accent londonnien, je me suis pas trompé. Je sais que mon accent s’entend de base, celui de Cambridge où j’ai grandi, un accent anglais pur souche. Celui de Connor est absolument typique, et ça faisait un bon moment que je n’avais pas entendu ce genre de modulations des natifs de la capitale. En revanche, je grimace légèrement et retrouve un peu de sérieux lorsqu’il insinue que je suis venu à la conquête des planches australiennes. Ca ne s’est pas vraiment passer comme ça. J’aurais préféré rester à Londres, mais j‘ai dû mettre un terme à ma carrière y’a trois ans, le hasard m’a fait déménager ici eu après, et voilà. De retour sur scène de façon inespérée. Connor lui est encore en études, mais visiblement pas très décidé sur son avenir dans le marketing et la communication. Voie on ne peut plus banale pour ceux qui n’ont pas d’idées, en effet. Je vois, bah ça presse pas, on peut toujours changer de toute façon.

Je suis un peu mal placé pour donner mon avis là-dessus, étant donné que j’ai toujours su que je voulais être acteur, mais je suis aussi passé par une phase de reconversion, forcée dans mon cas. Il n’a pas l’air très vieux du tout en tout cas, il a le temps sûrement. Mais sur ce, je change de sujet, lui parlant du rôle qu’il doit cependant mieux connaître. Arrivés dans les loges, nous débattons de la tenue vestimentaire adéquate. Il faut jouer sur le personnage lui-même, qui s’inscrit dans un contexte sixties. Connor a l’air de bien avoir cerné le personnage, et a même déjà un avis sur ce qu'il pourrait porter. Une chemise sobre, claire devrait totalement faire l’affaire. Je rajouterai peut-être ouverte sur un maillot de corps, puisqu’il me donne l’image de Ryan Gosling dans “N’oublie Jamais” j’ai cette scène de baiser sous la pluie en tête et il me semble bien qu’il y a quelque chose sous cette chemise. D’un commun accord donc, nous nous mettons à chercher, après que je lui ai affirmé pouvoir l’aider. Je ne faisais qu’aider de façon externe, lui filer un coup de main ne m’était pas interdit. Après plusieurs minutes de fouilles, seulement quelques chemises lui vont à peu près, mais ça n’est pas encore ça, alors je retourne fouiller.

— Si t’es bien gaulé ça peut apporter des points qui sait, lançais-je en riant à sa dernière remarque. Non mais le tout sera de- Ah j’ai trouvé une chemise, jaune pâle, ça doit être un peu grand pour toi par contre. Tout en parlant, je reviens vers lui en enlevant le vêtement de son cintre et le tendant à Connor afin qu’il le passe. Si tu la mets ouverte par-dessus le t-shirt que tu rentres dans ton pantalon ça peut le faire. Les manches un peu retroussées... On verra pas que la chemise est trop un peu grande. Je vois pas d’autres trucs dans le genre sur les cintres. Mais les chemises trop petites c’est impossible, elles vont te bloquer dans ton jeu, dans ta façon de bouger, tu vas penser qu’à ça. Un mauvais costume ça peut te pourrir une représentation entière. Je me recule un peu, le laissant s’apprêter comme il le souhaite devant un miroir en pied. On touche au but non ? Tu te sens prêt pour remonter ?