D’habitude t’es toujours fourrée en ville. C’est dans les endroits les plus bruyants parfois que tu y trouves le calme. Certes c’est bizarre dit comme ça, mais faut bien avouer que toi aussi, t’es bizarre. Déjà faut voir le prénom que tu te tapes. Mais en plus tu fais exprès d’être bizarre, ou weird comme disent les jeunes de nos jours. T’assumes. T’assumes ton prénom de planète ou d’élément chimique, à voir comment tu es avec les gens, parfois ça change selon la personne que tu as en face de toi.
Certains font des blagues.
Tentent un petit surnom mignon et repartent parfois tout penauds. Et toi, ça t’fait rire. Ou alors parfois ça te blase d’les voir faire des efforts pour te dégoter un petit surnom. À croire qu’ils n’ont que ça à faire pour t’attendrir, mais au lieu d’ça, ça fait tout l’effet contraire.

T’es allée te balader vers la plage aujourd’hui. Parce que déjà, il fait bon et qu’en c’moment t’as pas de petit boulot ponctuel, du coup, comme tu danses pas au cabaret ce soir, t’as préféré enfiler une tenue confortable pour profiter du soleil.
Short, débardeur où on voit la marque de bronzage de ton bikini et lunettes sur le pif, voilà que tu t’balades, écouteurs dans les oreilles et pieds nus dans le sable.

Y’a quelques jeunes qui s’baignent au loin, d’autres qui jouent au volley, sont tous là à s’activer sans profiter vraiment du beau temps.
Tu trouves ça limite d’un ridicule. T’aurais eu un chien, il serait venu se promener avec toi. Mais tes chats ont une sainte horreur de l’eau et du sable.
La tête dans les nuages, la musique en fond sonore dans tes oreilles, t’as pas vu arriver le frisbee sur ta tronche, ni l’type qui a crié d’faire attention.

Zéro réflexes. Pas comme ce type qui a hurlé disque, t’as pas tout compris, c’est allé beaucoup trop vite. En c’moment t’as la poisse, tu vois pas d’autres explications en fait. T’aurais pas dû te lever. T’aurais pas dû quitter ton lit, t’aurais dû faire comme tes chats, rester à rien glander, à mater des séries à la con sur Netflix et c’est tout.
Mais non au lieu d’ça, t’as voulu profiter du beau temps.
T’as voulu aller te promener au bord de la mer, tu pouvais pas faire comme les autres gens normaux et aller te perdre dans les boutiques. T’aurais dû rester chez toi au lieu d’te manger un disque en pleine tronche. Le choc a été rapide.
Le disque s’est écrasé sur ton front, puis s’est écrasé ensuite sur le sable. T’aurais pu l’esquiver si tu avais daigné lever les yeux quelques secondes plus tôt. T’aurais même pu le rattraper d’une main si seulement tu n’avais pas été dans les nuages.

Choc douloureux et rapide. T’auras probablement une belle marque ce soir. Ptêt même maintenant en fait, tu sais pas trop, tout c’que tu as envie de faire là, c’est d’attraper le disque et d’le balancer dans la flotte. Mais le type qui a crié «disque» a été plus rapide que toi, l’as ramassé avant toi juste après t’avoir demandé si tu allais bien.
Il semble gêné. Normal non ? D’ailleurs toi, tu commences à avoir une douleur au crâne et la tête qui tourne, ton sang réagi au quart de tour et v’là que tu agresses le type.

«T’es malade ou quoi ?!» tu gueules, posant une main sur ton front voir si y’a pas une coupure ou si tu saignes pas. Rien. Pour l’instant.
«T’aurais fait quoi si j’me l’étais pris dans l’œil ?» tu redemandes, sans lui laisser vraiment le temps de te répondre, t’es même prête à lui bondir dessus pour le plaquer au sol. Mais bon, tu te retiens, faudrait pas qu’il porte plainte lui aussi. Du coup, tu prends sur toi, tes jambes finissent par te lâcher à cause du choc que tu t’es pris sur la tronche et tes fesses tombent sur le sable.

«Pardon. J’aurais pas dû t’agresser, mais ça fait un mal de chien... tu voudrais pas aller m’chercher une glace que j’la foute sur mon front pour pas que ça enfle ?» tu finis par lui demander, sortant un billet de ta poche. «Ah, et tu restes avec moi jusqu’à c’que j’me sente mieux.» tu rajoutes, un poil taquine.

Ça tourne un peu autour de toi. T’entends vaguement la vanne du mec, tu veux juste de la glace ou une glace, peu importe, histoire d’apaiser un peu la douleur que t’as au crâne. Alors soit il est complètement con, soit tu t’es mal exprimée. Ça doit être ça. Ce soir tu te shootes au doliprane, tu vois pas d’autres solutions pour l’moment.
Mais c’est quand tu t’es laissée tomber sur le sable que t’as commencé aussi un peu à voir flou. Pas trop, mais juste assez pour que tu t’inquiètes.
Bon et aussi c’matin t’as pas mangé. C’est peut-être pour ça que t’es tombée aussi facilement, d’habitude t’as d’meilleurs réflexes. Et il t’en faut plus pour tomber comme ça, aussi raide qu’une mouche morte.

«Hein ?» tu relèves pas sa question, sur le parfum de la glace. T’entends pas trop la suite, il semble quand même un peu préoccupé par ton état actuel, et t’as pas remarqué non plus qu’il était torse nu ni ses tatouages d’ailleurs. Enfin si, t’as remarqué, mais t’as pas maté.
Puis il est parti aussi vite que le disque a fini sa course sur ta tronche.
Et toi, tu l’as attendu, toujours le cul posé sur le sable, la tête entre les bras, genoux rapprochés sur ton torse histoire que ça arrête de tourner aussi. Manquerait plus que tu vomisses tiens.

T’as eu l’impression que son absence a duré des années, parce que t’es grillée à cause du coup, du soleil qui tape, qui cogne. T’aurais dû rester chez toi, ouais, vraiment. Puis il est revenu. Avec des glaçons dans un tee-shirt. Son chien, sûrement, juste à côté d’vous deux, qui a posé sa truffe sur ton bras. Et tu lui as gratté la tête machinalement, il s’est laissé faire. Il est beau comme chien. Ça change de tes quatre chats ingrats mais quand même câlins avec toi.

«Thank you.» tu lui fais, attrapant le tee-shirt pour le poser sur ton front. Ça fait un bien fou, mais t’aurais bien mangé une glace aussi. Pour avoir quelque chose dans l’estomac.
«Non, j’ai pas envie d’vomir, c’est gentil de t’inquiéter, mais j’suis fautive, j’avais pas vu que c’était un terrain d’ultimate.» Parce que ouais, tu sais c’que c’est, un peu mais pas trop.

«Eh mais en fait... j’avais pas fait gaffe mais t’es plutôt beau gosse.» tu ajoutes, ça sort comme ça de nulle part, mais t’as toujours eu un faible pour les gars tatoué.

Tiens. «Mais c’est qu’t’es encore plus mignon quand tu souris.» tu lui balances, d’habitude c’pas ton genre de balancer ce genre de phrases à de parfaits inconnus, c’est clairement le coup que tu t’es pris peut-être qui te fait dire ça. Ou alors tu l’penses vraiment et t’avais besoin de le lui faire savoir. «Un peu, j’en faisais quand j’étais en Angleterre, bon là-bas on a pas d’plages aussi belles qu’ici en Australie, mais c’était sympa. Ça fait un moment que j’en ai pas refait, j’dois être rouillée.» tu t’mets à rire, à sourire même, un peu l’même sourire qu’il vient de te faire. Quand il te dit que y’a des parents qui laissent leur gosse traverser parfois le terrain, tu t’dis que y’en a qui ne devraient pas avoir de gosses.

Et toi, des gosses t’en veux ? T’en sais trop rien, déjà, faudrait t’trouver quelqu’un et plus tu vieillis, plus t’as du mal à trouver quelqu’un qui t’conviendra. Plus tu vieillis plus c’est compliqué aussi de te supporter.

«J’vais rougir arrête.» tu lui tires la langue, cet air malicieux qui se colle sur ton visage, bon d’accord, t’as ptêt 28 ans mais ça ne t’empêche pas d’être un poil enfantine, joueuse, un air mutin. T’as toujours été comme ça de toute façon. Même si la plupart du temps t’es chiante, là, t’as un peu l’impression d’pouvoir être toi-même avec lui.

«Fais gaffe, le côté mignon, j’le montre qu’en privé en général. Mais j’ai hérité du côté tigresse surtout.» Si t’es naturellement spontanée ? «Ouais, totalement. T’as d’la chance que j’mords pas.»

Spontanée ouais, tu l’es, et il t’demande si tu veux bouger jusqu’à ses affaires. T’attrapes sa main pour t’aider à te relever et voilà que tu viens coller tes lèvres sur les siennes, pour lui montrer ton côté spontanée, mais aussi pour le taquiner un peu. «Mercure. Enchantée Archie.» tu lui souris puis toute fière de ta bêtises tu te dandines jusqu’au spot où se trouvent ses affaires.

T’es fière de toi. Ça t’prends pas souvent d’rouler des pelles à des inconnus.
Le dernier en date, c’était ton ex.
Ouais, enfin... y’en a eu d’autres hein des mecs, sauf que la plupart, ils tous préféré te fuir, en partie à cause de ton caractère de chiottes, mais aussi parce que tu n’as jamais su fermer ta gueule quand il le fallait. Tu t’es même battue dans un bar à la place d’un ex.
Les mecs ils te fuient.
Lui, tu veux pas faire pareil, et pourtant t’as pas pu t’empêcher d’lui rouler une pelle, sans même te poser la question s’il a pas déjà quelqu’un dans sa vie.
À tous les coups ouais.
À tous les coups il va t’rattraper et t’gueuler dessus.

Ou alors quelque part pas très loin tu vas voir débarquer une furie qui sera prête à te coller une claque. Mais si ça arrive, tu t’laissera pas faire. Parce que t’es pas l’genre de meuf à t’laisser marcher sur les pieds, parce que t’as un côté grande gueule qui ne réfléchi pas avant d’agir.
La preuve. Pendant que tu te dandines jusqu’aux affaires du tatoué, t’entends ses potes siffler, le charrier et toi ça t’fait sourire. T’as fait ton effet auprès d’eux et t’en profites même pour te tourner vers eux, leur adressant un clin d’œil, plutôt amusée. Ça t’change clairement les idées.
T’étais un peu blasée avant d’sortir de chez toi, mais tu sens qu’le reste de la journée va devenir intéressant.

Tu t’es stoppée, tu t’es retournée pour attendre le tatoué, pour voir sa tête. Ah, il semble encore un peu surpris par ce geste. Il boit d’l’eau comme pour oublier c’qui vient de se passer, et toi, t’as ce sourire un peu con sur tes lèvres. T’as bien envie d’le taquiner encore un peu. Ta façon à toi d’te venger un peu (mais pas trop) du frisbee que tu t’es mangé sur la tronche tout à l’heure.

« J’vais bien, vraiment, tu n’as pas à t’en faire. Désolée pour le roulage de pelle. J’me rends compte que c’était pas correct. Et vu ta tête, ça a pas dû te plaire.» tu l’fixes alors que t’as fini par poser tes fesses sur le sable, pendant que le chien de tout à l’heure vous a rejoint. T’as avancé un peu ta main pour voir s’il veut bien que tu l’caresses, il a dû ptêt sentir l’odeur de tes chats. Mais la surprise est qu’il s’est laissé faire et ça t’as tout de suite attendrie.

« Tu m’dragues ?» tu lui demandes alors qu’il bafouille un peu dans ses questions. «Non non c’est bon, par contre, t’es libre tout à l’heure pour aller picoler avec moi ? Enfin...sauf si ta nana est trop possessive et jalouse ?»

Imprévisible. Chiante. Trop spontanée. Mais tu ne regrettes pas en fait de lui avoir roulé une pelle. Il est plutôt beau gosse. Un peu intimidée par toi et ça t’fait sourire. Et ça l’a vraiment surpris c’que tu viens de faire. C’est vrai que si ça t’arrivait, tu serais autant surprise que lui. Et pour être honnête, ça te déplairait pas. Surtout que ça fait bien longtemps que personne n’a flirté avec toi, ou que tu as flirté avec un homme. C’est peut-être pour ça que t’as agi de la sorte. Parce que ce matin, tu ne t’es pas réveillée en organisant une liste de défis. Ça aurait pu, mais non, c’est pas vraiment ton genre, même si des défis, t’en as relevé plein quand t’étais plus jeune.

Et si... tu lui proposais ça pour que rajouter un peu de piquant dans vos vies ? Ou alors la sienne est déjà bien remplie pour accepter d’relever des défis à la con proposés par une parfaite inconnue. T’essaieras. Un peu plus tard, déjà s’il n’a pas de copine jalouse dans les pattes ou d’autres trucs de prévus.

C’est en partie pour ça que t’as préféré lui poser la question, pour éviter qu’une potentielle nana jalouse débarque dans les minutes qui suivront. Ce serait dommage de devoir lui faire bouffer du sable à celle-là. Et sa réponse d’ailleurs au tatoué te surprends un peu.
«Si moi je te drague ? Possible.» tu restes évasive dans ta réponse alors qu’il te confirme qu’il n’a ni meuf ni mec. Tiens étonnant. Enfin c’est pas le premier que tu croises, et ça te fait sourire.

«Tant mieux pour moi alors, puis si t’es libre pour aller boire un verre, j’te promet une soirée des plus intéressantes.» tu lui adresses un clin d’œil, amusée par ta propre réponse quand il te demande si tu veux jouer en te lançant le frisbee, que cette fois-ci tu rattrapes. «Carrément. Mais j’te préviens j’suis rouillée. Et oui, j’te trouve mignon. Mais c’est pas pour ça que j’t’ai roulé une pelle. Tu le sauras plus tard pourquoi.» tu l’fixes à ton tour et tu te relèves, frisbee dans les mains.

Tu l’as prévenu, t’es rouillée. Alors c’est pas impossible que tu t’ramasses la tronche dans le sable pendant que vous vous lancerez le frisbee.

Tiens, t’es pas si rouillée que ça au final. Enfin bon, t’as fini deux trois fois la tête la première dans le sable, mais à chaque fois tu t’relevais toujours de façon héroïque, genre il s’est rien passé. Mais ça t’fait drôle quand même, d’pas faire de l’ultimate avec ta clique en Angleterre, alors ouais tu dois bien avouer que ça te manquait un peu et que ça t’fait pas d’mal d’t’y remettre ici. Bon, Archie a clairement un autre niveau, mais tu te débrouilles, sans trop vouloir te vanter non plus hein, tu pourrais sérieusement penser à t’y remettre, que ça devienne un petit rituel en somme.

Archie il a la classe, comparé à toi, et cette fois, tu t’es pas mangé le frisbee dans la tronche, pas sûre que tu te sois relevée ou que tu sois restée debout. Y’a le soleil qui cogne un peu, tu commences à avoir un peu chaud aussi, t’es un peu essoufflée, t’irais bien faire trempette tiens, seule ou avec Archie et toute sa bande. Ça te fera pas d’mal, de sociabiliser un peu. D’pas tout l’temps rester toute seule.

Et Archie il s’arrête après un dernier envoi du frisbee que t’as récupéré sans trop de mal, son regard a dévié vers ailleurs, vers son chien qui est parti faire le foufou dans les vagues avec les potes du garçon. Comme s’il avait lu dans tes pensées tiens quand il te demande si t’es motivée pour aller piquer une tête.

«Hell yeah ! Le dernier à l’eau est une poule mouillée et paie les deux premières tournées.» tu t’es exclamée avant d’envoyer valdinguer tes fringues pour courir en bikini jusqu’à la flotte. T’as pas attendu Archie et voilà que tu piques une tête dans l’eau, sous les regards des autres types qui avaient sifflé quelques minutes plus tôt. T’es restée un peu sous l’eau, le temps de te rafraîchir et t’as refait surface, faisant signe à Archie d’te rejoindre.

«Bah alors, t’attends quoi beau gosse pour venir piquer une tête ?»