Assise près de Sage, Chad était prête à reconnaitre que le football avait bien des conséquences désastreuses, comme aimait à lui répéter Alban, fervent supporter de Rugby. Il avait du mal à comprendre l’engouement de ce foot où il n’y avait aucun réel contact pourtant les joueurs se retrouvaient toujours au sol en train pleurer une blessure qui n’en était pas unes.  Les supporters ? Il valait mieux ne pas le lancer sur le sujet. Ils étaient toujours prompts à se battre selon lui, il prenait en exemple Marseille, ville dans laquelle il avait séjourné quelques années et il en fallait peu pour retrouver sa voiture en flamme ou bien de faire un séjour aux urgences. Il n’avait peut-être pas tort se dit distraitement Chad, un petit sourire aux lèvres, sa présence dans les locaux de la police était due à une partie de foot qui avait mal tourné. Le sport n’était en aucun cas responsable aujourd’hui, plutôt la présence de Sage à ses côtés, comme à chaque fois que les deux jeunes femmes se trouvaient ensemble, la situation se devait de dégénérer, une sorte d’obligation, voire une promesse tacite. « Lui, je le connais » répondit Chad à la remarque de sa comparse d’infortune sur l’insistance que lui portait l’autre agent de l’ordre. « Je le connais même très bien » Elle lâcha un petit rire alors que le policier soupirait, il devait encore se la coltiner. Son exaspération feinte ne fit qu’amuser Chad, combien de fois s’étaient-ils adonnés à cela ? Lui, retirant ses menottes en lui faisant des remontrances et elle, se remettant à son charme de demoiselle ivre pour le séduire. « Je t’ai manqué ? » Lui murmura-t-elle alors qu’il soupirait de nouveau –chose qu’il faisait très souvent au contact de l’indienne- et que Sage l’attirait à ses côtés. « Charmantes et Innocentes, oui » renchérit-elle, manquant de conviction sur leur supposée innocence, son hilarité n’étant jamais très loin.  L’atmosphère lui était familière, sans doute l’effet grisant qu’avait la présence de Sage. Les routes européennes il y avait…bien des années de cela. Deux jeunes femmes avides d’aventures et deux véritables aimants à problèmes lâchés dans la nature.

Chad en oubliait presque la séparation  d’antan et plus encore la manière dont leurs retrouvailles s’étaient opérées. A la façon d’un film hollywoodien dont les scénaristes auraient été ramassés dans la première rue venue, leurs chemins s’étaient de nouveau croisés au détour d’un passage piéton bondé. Chad sortait d’un rendez-vous avec un client aussi stupide que casse-pied, autant dire qu’elle n’avait qu’une envie, noyer son humeur dans des tim tam à défaut de pouvoir descendre une bouteille. Agacée de la lenteur des personnes devant elle –des touristes chinois, pour changer-, elle se fraya un chemin au milieu du groupe qu’ils formaient, pestant comme elle savait si bien le faire tout en guettant une réplique qui pourrait désamorcer la bombe humaine qu’elle était. Rien, un visage sur lequel elle mit rapidement un nom. Sage. Chad n’oubliait jamais un visage, ce qui faisait généralement son bonheur car très utile dans sa profession, aujourd’hui il n’en était pourtant rien. Elle était surprise de constater à quel point la rancœur était brulante. Elles s’étaient mutuellement reconnues,  le moment pour le temps de suspendre et pour la caméra de filmer le tout au ralenti. Chad voulut poursuivre son chemin, ses tim tam attendaient dans sa voiture qui risquait de se faire enlever d’une minute à l’autre pour mauvais stationnement, seulement Sage semblait en avoir décidé autrement. « Quoi ? » Son ton était à l’image de la façon dont elle se dégagea de l’étreinte de son ancienne amie : agressif. « Je peux savoir ce que vous me voulez ? » Chad regrettait que la langue anglaise manque de différenciation entre le tutoiement et le vouvoiement comme en français, la seule règle grammaticale qu’elle avait retenue de ses brefs cours. Elle voulait prétendre ignorer tout de la personne face à elle et après toutes ces années, n’était-ce pas le cas ? Tout comme garder rancune après toutes années justement semblait disproportionné lui dirait-on sûrement, ce à quoi elle répondrait qu’on lui fasse un procès. « On se connait ? » Elle tenta de se montrer aussi convaincante que possible mais elles s’étaient assez côtoyées pour cela fût un pari risqué d’insulter ainsi l’intelligence de Sage.

Chad fut ramenée à la froideur du dossier de sa chaise par la question de Sage. Si elle avait déjà été amoureuse ? Elle pencha la tête sur le côté, laissant tout le loisir aux mots de se rendre intelligible à son cerveau asphyxié par la téquila. Elle fit mine de réfléchir lorsque le sens se fit. Quelques noms lui venaient en mémoire, ainsi que les déceptions qui en avaient découlé, puis elle se souvint du seul coup de cœur qui avait su se montrer à la hauteur. La star de cinéma indien Abhishek Bachchan, mais ce n’était pas quelque chose qu’elle reconnaissait devant témoin, du moins depuis qu’elle avait passé la trentaine. « Pourquoi ? » Sourire aux lèvres, elle posa sa joue droite contre sa chaise pour garder Sage dans son champ de vision de façon plus confortable. « Attends… » Elle prit une pause que l’on pourrait qualifier de dramatique « me dis pas que tu vas enfin me faire ta déclaration ? » Une autre pause pendant laquelle elle tenta de conserver un semblant de sérieux « après toutes ces années, on y arrive ? » N’y tenant plus, elle partit dans un éclat de rire qui fut interrompu par le passage de son policier préféré dans son champ de vision « Ehh barman, six shots de téquila s’il-te plait ! »

L’affaire s’était déroulée dix ans plus tôt. Ou peut-être plus. Un laps de temps qui permettait à bien de criminels dans le monde d’éviter d’être traduits en justice, sous prétexte qu’il y avait prescription. Et pourtant, Chad sentait bouillir son sang dans ses veines comme à l’époque. Comme à l’époque lorsqu’elle avait remarqué que Sage s’était faite la malle. Son ressentiment était aussi pathétique qu’il était ridicule. L’indienne avait toujours eu la rancune tenace, ce qui expliquait en grande partie sa relation en dent de scie avec sa famille, plus particulièrement sa mère. Elle n’oubliait rien ou presque, surtout lorsque la plaie était réelle et ô combien douloureuse. Il n’y avait rien de pire que des paroles en l’air et des promesses bafouées. La tension qui les enveloppait était palpable, Sage soutenant son regard sans ciller. Chad savait pertinemment que sa feinte ne prendrait pas et se sentit stupide une fois la bouche ouverte, ce qui, à la surprise générale, arrivait peu souvent. Elle s’exprimait certes plus vite qu’elle ne réfléchissait mais elle avait fini par l’accepter. Et à la surprise de Chadna, c’était Sage qui faisait mine d’être en colère désormais. Ce qu’elle lui avait fait ? Elle se foutait de sa gueule ? Elle n’avait jamais cru qu’elle serait de ces gens qui se passent pour victime en toute circonstances…dans le fond la connaissait-elle vraiment ? Elle aurait dû la laisser partir, après tout ne voulait-elle pas éviter d’avoir à se confronter à Sage de nouveau ? Sa colère prenant le pas sur sa raison, ce fut cette fois autour de Chad de rattraper sa comparse d’autrefois par le bras « are you fucking out of your mind ? » explosa Chad, peu soucieuse que cela attirât plus encore l’attention sur elles « are you fucking kidding me ? » Il en fallait certes peu pour qu’elle monte dans les tours, mais Sage n’était pas n’importe qui « What I fucking did to you ? The fuck are you talking about Sage? » Les gros mots se succédaient, ce qui n’était pas fait rare avec l’indienne, un fait que sa mère lui reprochait sans cesse « You’re the one that got away, right ? Meekly disappearing at night » L’américaine semblait avoir la mémoire courte quant à ce qui s’était passé et la manière dont elle avait laissé tomber alors qu’elle avait plus que jamais besoin d’elle. « Don’t fuck with me Sage » son ton s’était fait encore plus froid, légèrement menaçant peut-être.

Cette ambiance à couteaux tirés semblait dater d’un autre siècle. Le retour à la normale s’était opéré de façon si naturel que ça en était déconcertant. Chassez le naturel et il reviendra au galop ne disait-on pas ? Chad le reconnaissait volontiers. Même si présentement, elle ne comprenait pas que sa blague n’ait pas été au goût de son amie, son humour s’était-il donc détérioré avec le temps ? C’était sans compter sur la langue de Sage dans sa bouche, mettant ainsi ses menaces de la faire taire à exécution. La surprise céda rapidement sa place à l’amusement, Chad n’était pas de celles qui se formaliseraient pour si peu. « A long rapturous and passionate kiss, giiiiirl you’re soooooo into me » se risqua-t-elle tout de même avec un petit rire moqueur et un clin d’œil. Chad savait pertinemment qu’il n’en était rien, toutes deux aimaient se perdre en sur enchères.  « You’d better buy a dishwasher then » elle hocha la tête comme approuver ses propres dires « quiet, handy, convenient.. » elle utilisa ses doigts pour faire le compte des qualités de cette merveilleuse technologie qu’elle ne pouvait certes pas se payer. « ‘as for your puss, you can get yourself a team of cute boys » soudain Chad se redressa dans sa chaise comme frappée par une révélation digne de la loi d’apesanteur « ‘m gettin’ paid next week, let’s go a strip club and get ourselves a private show wit’ the hottests » Le génie Chadna Lakshmi venait encore de frapper.  

Chad s’époumonait. Chad déversait cette rancœur qu’elle était incapable de contrôler. Cette rancœur qui lui faisait l’effet d’une morsure piquante. Elle était ridicule, elle en avait clairement conscience. Prétendre ne pas reconnaître ce visage ô combien familier pour finalement s’offrir en spectacle à des passants un peu trop curieux. Quoiqu’au fond, elle n’avait jamais fait grand cas de l’avis de tierce personne, cela lui aurait évité des situations embarrassantes sinon. « Oh please, now I’m the one that got away » loin de se calmer, les mots de Sage ne firent qu’attiser un peu plus le feu de sa colère. Chad leva les yeux au ciel, plus que jamais agacée par la mauvaise foi de son amie d’antan. “I asked to come with in India, you said yes, then you left with a bunch of boys, what did you expect me to do exactly?” Elle lui avait clairement fait savoir l’importance de ce voyage, qu’elle voulut ou non y aller, l’évènement restait primordial pourtant Sage avait traité comme si cela n’avait aucune importance, la plantant pour un peu de fun avec des inconnus. ‘’Did you really expect me to wait for you endlessly? I ain’t your second fucking best option Sage” Elle mettait finalement le doigt sur ce qui était allé de travers sur la fin, il y avait du bon à s’exprimer, l’on ne le dirait jamais assez, la communication était la clé. « You let me down, period » Cela concluait assez bien ce qu’elle essayait de lui faire comprendre et son éclat de colère faisait place à une déception aussi douloureuse qu’écrasante. Pourtant, il suffit de repérer l’homme sur sa droite en train d’immortaliser cette scène sur son téléphone pour que Chad en revînt à son émotion première. « What the fuck you think you doin’?! » Elle saisit l’appareil d’un geste rapide et l’envoyer valser au sol. Grossière erreur que de provoquer un homme qui pouvait l’envoyer valser d’un revers de la main. Il se baissa d’ailleurs pour ramasser son bien cassé qui valait plusieurs centaines de dollars, une rage silencieuse croissante. « You bitch, you broke my fuckin phone » un autre partisan du F word, elle lui aurait bien serré la main si elle était certaine qu’il n’allait pas la broyer « This is what you get for not minding your own business » la communication était une bonne chose, mais il fallait se garder d’en faire trop au risque de s’en prendre une et loin d’être aveugle, Chad pouvait entrevoir le coup arriver.

Les lèvres de Sage sur les siennes ne firent qu’aggraver son hilarité, il était impossible de le prendre au sérieux, toutes sachant pertinemment en quoi s’en tenir. D’autant plus que ce n’était pas la première et probablement pas la dernière les connaissant. « There’s a way to keep me quiet… » elle prit un ton qui se voulait mystérieux en penchant la tête sur le côté « but pretty sure you dont have what’s needed » elle lui fit un clin d’œil, persuadée que son amie saurait où elle voulait en venir. « I’m a broke bitch baby, I need to use my own hands for my dishes » elle fit mine d’en être attristée, mais la jeune femme ne cuisinait pas assez souvent pour que cela en fût un problème. « Unlike you, by the way you grew up with a butler opening the door, cooking, doing the laundry like Fresh Prince’s?” Chad posa sa question avec un sérieux déconcertant, elle ne connaissait des familles riches que ce que la télé voulait bien lui montrer et elle trouvait son amie assez intelligente pour l’associer aux créatures produites par la chaîne E ! La conversation bascula ensuite sur l’envie de Chad d’aller s’aventurer dans une boîte de striptease « Oh please darling, It’s not about getting or not guys, it’s about the power you get for throwing cash at some naked butts » ses yeux brillaient d’excitation alors que la scène de la soirée se jouait dans sa tête puis soudain, son cerveau alcoolisé réagit –tardivement- au défi lancé. « Are you seriously challenging me right now girl ? » Sa curiosité était toute autre désormais et Sage la connaissait suffisamment pour savoir que le mot défit suffisait à actionner la machine. « Bring it on ! »

Les retrouvailles entre les amies d’antan étaient d’une douloureuse acrimonie et si Chad n’était pas trop occupée à nourrir cette colère qu’elle gardait en elle depuis toutes ces années, elle en aurait pris conscience. Des non-dits et surtout une trop grande fierté avaient mis à mal cette complicité qui lui semblait pourtant invincible à l’époque. Elles avaient vécu beaucoup de choses à l’époque et en très peu de temps, de quoi rendre le lien entre elles plus intense qu’il ne l’aurait été à l’accoutumée. Elle eut soudain mal au crâne, ses souvenirs se superposaient à son amertume, cette relation si simple était désormais trop compliquée à gérer…ou peut-être était-ce ses états d’âme qu’elle ne parvenait pas à expliquer ? Second choix… avait-elle réelle dit ça ? Elle se sentit aussi stupide que gênée Chad et il était trop tard pour ravaler son honnêteté émotive, il ne lui restait plus qu’à assumer ou à se faire la malle. La seconde était exclue avec un caractère comme le sien. Caractère qui la mena également à détruire le bien d’une personne qui faisait certainement deux têtes de plus qu’elle et elle était presque sûre qu’il campait dans les salles de sport. Elle ne faisait pas le poids, pourtant son cerveau, avide de défi et enclin à une fuite des émotions, commandèrent à sa bouche d’aller taquiner la bête. C’était sans compter sur l’intervention de Sage, la plus jeune mais plus mature des deux sur certains points qui a toujours été capable de voir plus loin que l’action immédiate, une faculté manquante chez l’indienne. « Maybe » le mot, à peine audible, fut soufflé après un long moment de joute silencieuse. Peu convaincue néanmoins et ses prunelles ancrées dans celles de Sage, Chad n’avait su dire autre chose. Tout comme elle avait été incapable de demeurer au sommet de cette colère factice. Les mots, elle n’en avait jamais eu la maîtrise et les mots n’avaient pas toujours été utiles à leur compréhension mutuelle. Tout comme après le passage d’un ouragan, il lui fallait désormais faire état du champ de désolation, même si elle ne considérait pas les choses de cette façon. Elle n’appartenait pas à cette catégorie. Le regard fixant la bête, qui, elle n’avait nullement l’intention d’éteindre ses braises, bien au contraire. « Get ready to run at three » murmura-t-elle de façon à ce que seule Sage puisse l’entendre, de plus longues explications attendraient. Ses prunelles ne quittaient pas l’homme qui avançait vers elles, menaçant. « Three » Elle saisit la main de l’américaine pour l’entraîner avec elle dans sa course, la nostalgie du geste lui extirpa un petit sourire.

« You just don’t know how to keep me quiet » Chad offrit son plus beau sourire à Sage, agrémenté d’un clin d’œil, amusée par les sous-entendus que sa phrase contenaient. L’indienne se la jouait subtil pour qui se montraient ingénus, un fait quelque peu inhabituel pour ses lèvres adeptes d’un langage crû. « And that one didn’t know either » elle faisait ainsi référence à cet incident où Sage avait eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment pour écouter des ébats dont elle se serait bien passée. Le point positif à cela était qu’elles avaient une anecdote de plus à leur actif et personne n’avait dit qu’il s’agirait là de la seule fois. « I knew it ! I knew brothers were handier than sisters, damn I wish I had one at home » combien de fois avait-elle souhaité échangé cette cadette un peu trop lisse contre un garçon qui la suivrait dans chacune de ses aventures ? Elle avait longtemps envié la complicité de son voisin avec son petit-frère qu’il emmenait partout et avec qui ils vivaient des choses excitantes. « Let’s say strippers are booked, now I need to find one to get us through the night » bien sûr qu’elle n’avait pas refusé le défi de Sage, comment aurait-il été autrement ? Elle était de toute façon trop bourrée et ignorait la négation lorsqu’il s’agissait d’un challenge. « Someone unexpected, got it ! » Elle se leva d’un bond, une erreur de débutante puisque la téquila finit de rendre sa tête confuse par ce geste brusque. Il lui fallut quelques secondes avant que tout ne revienne à la normale et regardant à gauche, puis à droite façon film d’espionnage, elle entreprit de se faufiler dans les locaux de la police. Il était certain en tout cas au vu de sa démarche qu’elle pouvait abandonner l’espoir d’être un jour Jane Bond. Continuant sur sa lancée d’espionne du dimanche, l’indienne tenta de se faufiler l’extérieur en quête de leur amusement nocturne. Persuadée qu’il suffisait de se rouler au sol et d’enjamber quelques rayons lasers, pour atteindre le précieux objet protégé dans une vitrine. Tout ce qu’elle gagna néanmoins c’est une voix autoritaire derrière elle qui la rappela à l’ordre quant à ses agissements et la surprise la déstabilisa et la chute qui suivit fut mémorable, tout comme la douleur d’ailleurs. « Saaaaaaaaage » put-on l’entendre crier à l’agonie alors qu’elle continuait son rôle de tapis au sol. « giiirl, i think ‘m dyin’, please call the priest to hear my last confession » Le policier de garde lâcha un soupir, sans doute qu’il avait mieux à faire que gérer l’alcoolisme de ce duo infernal. « Yeah, ‘m ready to be a catholic now, the only true way, this is unexpted right? » heureusement sa mère n'était pas là pour entendre ça.