CARINA& JACKSON

Il avait été là de jour comme de nuit, omniprésent, incommodant même selon Widow qui avait fini par le renvoyer chez lui après plus d'une semaine passée terré au QG sans réellement dormir ni manger et surtout sans donner d'explications claires à son comportement inhabituel. Sur ses ordres, Jax avait quitté le sous-sol de la laverie et était parti s'occuper l'esprit autrement qu'en rentrant chez lui car tout dans l'appartement lui rappelait son ex et le désastre de leurs retrouvailles. C'était ça qui le rongeait, ça qu'il cachait derrière ses heures supplémentaires et ses nuits blanches. Comment avait-il pu déraper à ce point ? Une question qu'il avait posé au fond de son verre dans le bar au sein duquel il pensait avoir trouvé refuge jusqu'à ce que la fatigue, la contrariété et la testostérone ne le fassent vriller pour un simple regard de travers. Une bagarre de plus au compteur ce n'était pas si grave, juste quelques hématomes et un coquard bien mérité, mais il y avait eu ce coup de frein inopiné sur le chemin du retour qui l'avait projeté avec fracas dans les souvenirs du soir de son accident. L'agent avait alors perdu pieds et la nuit s'était terminée chez lui dans la peur, le sang et les larmes. À cause de lui, Lynch s'était démis l'épaule. Chaque fois qu'il se revoyait la lui remettre en place, sa mâchoire se crispait. S'il n'avait pas entendu ces voix dans sa tête, s'il n'avait pas paniqué à ce point en se sentant si dangereusement flirter avec la folie, rien de tout cela ne serait arrivé ...

Et puis plus rien. Jax avait disparu durant deux jours. Au sein de l'équipe, personne n'avait rien dit, pas même Néo qui pourtant était mieux placé que les autres pour deviner que Mills filait un mauvais coton. Tous savaient que l'agent avait eu une conversation avec leur cheffe et avaient déduis que cette absence était normale, prévue, officielle. Elle ne l'était pas. Affalé sur son canapé, Jackson avait longtemps observé le tas de courses laissée par Marley sur l'îlot de la cuisine après son départ. Il ne l'avait pas entendu se réveiller, pas sentit le matelas s'alléger de son poids tandis qu'elle l'avait laissé récupérer, épuisé par la crise de la veille. Il avait dormi plus de 36 heures d'affiler et s'était réveillé avec un mal de crâne épouvantable directement lié aux contusions de son arcade sourcilière. Lorsqu'il avait enfin consenti à se bouger, ses pas l'avaient mené à la salle de bain ou il avait pu constater l'ampleur des dégâts ...

Mills pousse la porte de la laverie de bon matin. Le soleil à peine levé éclaire de ses rayons timides les lieux qu'il traverse sans un regard pour le distributeur de lessive. L'agent est fatigué de se torturer l'esprit avec cette relique de l'agression dont il est coupable. Il décide qu'à partir d'aujourd'hui, il ne lui accordera plus une miette d'attention. Ce qu'il doit faire c'est ne plus donner d'eau au moulin de sa paranoïa, ne plus donner aux voix dans sa tête de raisons de jacasser entre elles. Or ressasser indéfiniment la culpabilité qu'il ressent lorsqu'il pose les yeux sur cette machine de malheur s'avère être le terreau le plus fertile qui soit pour les racines de ces plantes vénéneuses implantées dans son esprit. Jax n'a ni les moyens, ni les connaissances pour poser un diagnostic sur le mal qui le ronge, mais il a son instinct qui ne le trompe jamais et ce dernier l'incite à faire des choix. Celui, par exemple, de retourner travailler plutôt que de rester enfermer chez lui comme un lapin effrayé à l'idée de sortir. Armé, badgé, caché derrière des lunettes de soleil qui pourtant ne suffisent pas à camoufler les stigmas de ses nuits violentes, il entre dans le QG et se satisfait de voir qu'il est le premier arrivé.

Les plannings de chacun sont aléatoires et dépendent pour beaucoup de la charge de travail que les agents ont à accomplir, cette dernière évoluant et fluctuant de manière constante au fil des jours et des avancées de l'enquête. Mills en profite pour se faire couler un café. Silencieux, il presse le bouton ON de la chaîne hi-fi lorsqu'il passe devant pour se rendre à la table de la cuisine. Il y dépose sa tasse ainsi que le dossier sur lequel il planchait avant de disparaître des radars. Sa paupière n'est plus enflée au point de l'aveugler, mais il ressemble encore et toujours à un panda fraîchement punché, raison pour laquelle il préfère garder les lunettes sur le nez.





« Teach ... » Soupire-t-il après avoir roulé des yeux au ciel. Un sourire nostalgique étire toutefois ses lèvres tandis qu'il porte à sa bouche la boisson encore fumante. Rien ne va comme il veut dans sa vie personnelle en ce moment, mais Jax pourra toujours se réconforter d'avoir les meilleurs collègues du monde.

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« J'en connais un qui a pas profité de son congé pour se reposer. » Sparrow fait son entrée en même temps que le refrain de la chanson. Jax lui offre un salut de la tête. « Soirée arrosée ? » « On peut dire ça ... » Répond-il par dessus sa tasse, bien content d'avoir la barrière de ses lunettes noires sur le nez pour cacher son regard fuyant. Mills n'est pas fier de ce coquard. Plus qu'une attaque à son égo de combattant, cette blessure est une preuve de plus qu'il n'a pas su gérer son agressivité. Jackson est un homme adulte, responsable de ses actes et n'ayant de comptes à rendre à personne. Pourtant, se retrouver dans cette position face à celle qui l'a tant aidé à préparer ses tests de réintégration fait naître en lui un sentiment de malaise. Carina n'a pas travaillé si dur pour le voir tout foutre en l'air. Ils n'ont pas travaillé si dur pour tout foutre en l'air ... Alors peut-être que Jax n'a pas eu le temps de boire à s'en retourner le cerveau avant que les choses ne dégénèrent dans le bar, mais l'impression de gueule de bois reste la même. L'agent revoit fugacement son reflet tandis qu'il était seul chez lui, plongé dans le noir, en train d'inspecter son appartement arme et lampe torche à la main comme s'il était certain de se faire attaquer d'un instant à l'autre par un ennemi invisible venu pour le descendre. Les souvenirs de la nuit sont flous, rendus approximatifs par les variations de lucidité qu'il a expérimenté tout au long de sa crise, mais jamais il ne pourra oublier ce regard fou que lui renvoyait le miroir.

« Comment ça se fait que t'es là avant tout le monde ? » Jax revient dans l'instant présent et tire une chaise à côté de lui pour mieux inviter Sparrow à prendre place à ses côtés. Il ne le conscientise pas, mais la présence de sa collègue lui procure un sentiment de sécurité. L'agent associe la voix et le parfum de Carina à quelque chose de bienveillant, de rassurant. Sûrement que cela date de l'hôpital et du fait qu'elle fut celle de ses collègues la plus tactile avec lui durant son coma. Il ne se souvient pas des mots, mais son corps se souvient du contact de sa main autour de la sienne lorsqu'elle venait le visiter sur son lit d'hôpital. « J'voulais te voir. » Car Sparrow est quasi systématiquement la première arrivée au QG depuis qu'ils ont déménagé sous la laverie. Mills attend qu'elle prenne place pour enchaîner. Il ne sait pas par quel bout commencer mais ressent le besoin quasi viscéral de passer au aveux sans même qu'elle ne lui ait posé la moindre question.  « J'aimerais que ça reste entre nous ... » Commence-t-il, réticent à l'idée que leurs autres collègues soient mis au courant de la confidence qu'il s'apprête à lui faire. Lentement, Mills porte la main à ses lunettes. Se saisissant de la branche de ces dernières, il finit par découvrir sa gueule cassée. La lumière de la cuisine a beau être tamisée à souhait, cela ne rend pas moins moroses les contours bleuâtres de son coquard.  « Je stresse. » Jax se refuse à dire qu'il délire. Il refuse d'admettre qu'il entend des voix et préfère considérer ces dernières comme des pensées parasites particulièrement bruyantes. En revanche, il ne peut nier que son corps est mis à rude épreuve par tout ce bordel ayant lieu dans sa tête et par les peurs qu'il s'acharne à planquer sous le tapis. L'hyper vigilance, les sueurs, les dents tout le temps serrées, les poings qui partent s'écraser dans la gueule des premiers crétins venus d'asticoter d'un peu trop prés ... Mills est tendu, c'est une évidence, et quelque chose lui dit que s'il ne règle pas ce problème, les conséquences risquent de mettre ses collègues dans la merde. Il a dit à Neo qu'il trouverait un moyen de ne pas faire sombrer le PSI avec lui. Peut-être que le meilleur moyen serait tout simplement de ne pas couler ...

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« Pourquoi ? » S'être attendu à ce qu'elle lui pose la question ne rend pas Jackson plus capable d'y répondre. Il ne sait pas. « Tu saurais l’expliquer ? » L'agent secoue mollement la tête tout en haussant les épaules. Deux signaux de communication non verbale complémentaires pour signifier qu'il est perdu dans son introspection, qu'il ne parvient pas à mettre le doigt sur la racine du problème et que tout ce à quoi il pense lui semble décousu. « C'est pas rationnel. » Commence-t-il. C'est la seule certitude qu'a Mills concernant son comportement. Il a tenté de trouver des explications, de construire des ponts et des passerelles entre ses pensées et ses actes, mais rien ne tient vraiment la route. Jax ne sait pas pourquoi il était certain que Marley allait prendre son arme et la retourner contre lui ; pas pourquoi croiser Brody à l'hôpital lui a donné la certitude que cette dernière le suivait, l'épiait et lui voulait du mal. Les projections qu'il fait sur les personnes ayant la malchance de se trouver dans son périmètre lorsqu'il déraille n'ont de raisons d'être que dans sa tête et dans les arguments des voix influençant ses décisions. Les parallèles qu'il crée entre les émotions qu'il ressent dans le temps présent et celles associées à son accident sont biaisés et dangereux. Quand il entre en mode survie, Mills mélange tout, ne fait plus la part des choses, se laisse dominer par la peur d'être victime d'une autre tentative d'assassinat et perd confiance aussi bien en ce qui l'entoure qu'en lui-même et ses capacités de raisonnements de moins en moins probantes.

Est-ce qu'il devient fou ? Est-ce qu'il a raison de s'inquiéter ? Pourquoi ça le frappe maintenant, alors que Hoover est sous les barreaux depuis plus de six mois ? Mills a senti la pression redescendre après le procès puis avoir quelques dents de scie avant de repartir crescendo, boostée par les nombreux imprévus et chocs émotionnels de la rentrée. Maintenant il est là, avec sa face de voyou, à chercher des réponses à son comportement agressif sans plus savoir s'il porte en lui les prédispositions à tout cela ou s'il n'est finalement que dépassé par les évènements. Et plus il essaye de se convaincre que ce n'est pas de sa faute, plus il culpabilise en se disant qu'un homme, un vrai, ça sait maitriser ses nerfs ; qu'il n'a aucune excuse, qu'il est faible et que ce n'est pas en se passant de la pommade qu'il sortira la tête de l'eau ... « J'sais plus faire confiance. » Excepté a ses collègues, mais ça Sparrow le sait, sinon il ne serait pas là à lui cracher le morceau de ce que lui plombe l'estomac. « J'vois le mal partout. » Et ça lui coûte de qualifier cela de '' mal '' car, lorsqu'il part dans ses délires paranoïaques, Jax est le premier à croire que ses doutes sont parfaitement fondés, qu'il a raison de se méfier de tout, de ne rien prendre pour acquis, de tout remettre constamment en question à commencer par les intentions des gens qui l'entourent et avec lesquels il interagit. « J'attaque ... » Son regard se pose sur les jointures de son poing droit encore abîmées d'avoir frappé si fort ce type à la sortie du bar. Il lui a cassé des côtes, c'est certain. « J'me sens pas en sécurité. » Un comble pour un agent de terrain surentraîné ; pour le garde du corps intérimaire qu'il a été durant son arrêt de travail. Pourtant c'est vrai et cela se traduit dans tout un tas de menus détails : le fait de toujours regarder par dessus son épaule lorsqu'il marche dans la rue, de vérifier qu'il a bien fermé la porte à clé et mis la chaine de la serrure, de dormir avec une arme à portée de main, de couper tous les signaux GPS qui pourraient trahir sa position lorsqu'il veut un peu de vie privée, de repérer les sorties de secours lorsqu'il entre dans une nouvelle pièce, de ne pas tourner le dos aux inconnus ...

Son agresseur est peut-être sous les barreaux, mais la vigilance de Jackson reste constante et pendant qu'il se prend pour Jason Bourne, ses proches en pâtissent salement. Inquiet du mal qu'il pourrait faire à force de réagir comme un animal traqué, l'agent pose sur Sparrow un regard de détresse. Il ne voit pas de solution à son problème mais Carina, elle, a plus de recul sur la situation. Il s'en remet à son jugement.

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« Y’a eu quelque chose en particulier ? Une personne qui t’as rappelé quelque chose ou qui a dit quelque chose ? On peut peut-être retrouver la trigger et voir ce qu’on fait à partir de là. » Jackson ferme un instant les yeux, à la fois désireux de réfléchir à la question et d'ores et déjà convaincu d'avoir la réponse. Bien sûr qu'il y a une personne en particulier. Le simple fait de penser à Marley lui renvoie en pleine gueule le sentiment d'impuissance ressenti face à ses provocations dans la laverie et celui de culpabilité au moment de lui replacer l'épaule. S'il n'est pas d'assez mauvaise foi pour la tenir responsable de ses malheurs, l'agent ne peut nier les faits : son ex lui inflige un yoyo émotionnel à chacune de leurs rencontres et cela ne fait qu'ajouter à son instabilité car, pendant qu'il s'enrage contre elle ou se ronge le sang d'avoir eu des gestes malheureux à son encontre, Jax ne peut pas veiller à sa sérénité d'esprit et à tout ce qu'il devrait faire pour permettre à ses névroses de décanter un temps soit peu ...

« Tu penses que tu te sentirais plus en sécurité ailleurs ? Ailleurs je veux dire loin de Brisbane. » Mills revient dans la conversation en rouvrant les yeux sur le visage bienveillant de sa collègue et ressent cette envie inexpliquée de se lover contre elle. S'il ne le fait pas, c'est parce qu'ils sont co-équipiers, qu'ils se trouvent présentement sur leur lieux de travail et qu'il sait que son attitude pourrait être mal interprétée. Peut-être pas par Carina elle-même, mais très certainement par les autres susceptibles de pénétrer le QG à tout moment. « J'veux pas quitter la ville. » Répond-il avec un mouvement de tête désapprobateur. Jackson a trop d'attaches à Brisbane pour envisager de la quitter en ce moment. Ses amis, sa famille, le PSI, l'association, Judy ... Non, il ne se sentirait pas en plus grande sécurité ailleurs. Le problème le suivra ou qu'il aille car c'est dans sa tête que tout se passe.

« Une ... » Jax hésite sur le choix des mots. D'un côté il souhaite être le plus transparent possible afin de permettre à Sparrow de lui venir en aide. De l'autre il est récitent à l'idée de s'exposer sentimentalement parlant. « ... personne qui a beaucoup compté pour moi et qui m'a aussi beaucoup déçu en disparaissant du jour au lendemain est revenue à Brisbane. » Il fait abstraction de l'aspect amoureux car admettre de vive voix que Marley lui a brisé le cœur en le quittant est au dessus de ses forces. Son orgueil - organe quasi autonome par la seule force duquel Mills s'est remis tant bien que mal du départ de la maquilleuse - ne le lui permettrait pas.  « Est-ce que j'fais un transfert ? » Interroge-t-il en fixant sa tasse fumante. « Genre ... Si elle peut sortir de nul part et revenir sans prévenir alors Hoover pourrait faire de même ? » Après tout, l'un comme l'autre sont responsables de lui avoir fait du mal ; de lui avoir donner l'impression de perdre un bout de lui-même. Jackson avait déjà remarqué la facilité avec laquelle il avait étranglé Brody en superposant sur le visage de la brune l'image de celui du colonel. L'impression que ses traumas le suivent et le rattrapent lui serrent la gorge. Mills s'imagine se battre contre de l'air. Des fantômes et des mauvais sorts ; rien qu'il ne puisse arrêter de ses poings. La frustration n'en est que plus insupportable.

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S'il l'a revue ? Jackson acquiesce. Il sait que c'est à ce moment précis qu'il devrait cracher le morceau mais l'épisode traumatique est encore trop frais, trop récent. Mills a beau vouloir être pro-actif et trouver des moyens d'aller de l'avant en discutant avec la personne de son entourage la plus à même de l'écouter sans le juger, de l'aider sans conditions, il n'en reste pas moins honteux d'être passé à '' ça '' de sombrer dans le pire du glauque. Violer Marley dans la laverie, c'était le plus effroyable et le moins aligné avec ses valeurs des scénario possibles mais c'est pourtant celui vers lequel ses pulsions l'ont porté quand il a perdu le contrôle. Encore une fois : heureusement que Néo était là pour recadrer l'animal avant qu'il ne morde.

« Peut-être, mais tu sais aussi qu’il y a très peu de chances que tu revois Hoover courir les rues de sitôt, alors qu’une personne partie de son plein gré n’a aucune raison de ne pas revenir. » Sparrow le rassure. Son raisonnement logique et posé fait l'effet d'une crème hydratante sur les brûlures mentales à vif de l'agent. Derrière son coquard, Jax essaye de graver ces mots contre les parois de son crâne pour ne pas les oublier, les avoir avec lui la prochaine fois qu'il se mettra à penser trop en ouvrant des baies vitrées aux voix qui, dans sa tête, n'attendent que de s'accrocher aux courant d'air pour flirter avec son anxiété. « C'est arrivé quand le retour de cette personne ? » Mills bat des cils, réalisant qu'il a perdu le fil du temps tellement ses pensées obsédantes l'accaparent de jour comme de nuit. Deux semaines ? Trois ? Il ne sait plus. Les détails très précis de tout ce qu'il a fait de mal prennent toute la place, occultant ceux pourtant tout aussi importants du contexte et du temps écoulé entre le retour de Marley et sa crise de paranoïa. Tournant le regard vers Carina, Jax exprime en silence son sentiment de s'être perdu dans le décompte des jours. Finalement, il trouve un moyen de lui répondre en misant sur le fait que rien n'échappe à l'experte en comportement : « Quand j'ai arrêté de parler. »

S'il n'est pas très loquace, l'agent a pourtant un rôle moteur au sein de l'équipe. Ses constats pas toujours très subtiles et ses provocations à n'en plus finir exaspèrent régulièrement les autres mais ont au moins le mérite de faire avancer les enquêtes, de pousser le groupe à réfléchir sous des angles différents ; des angles de soldat habitué à risquer son cul sur le terrain pour mettre en application les théories et les plans de ses co-équipiers. Réalisant ce qu'il vient de dire, Jax pousse un soupire qu'il noie dans son café. « J'aime pas ça. » Parler de lui. « Ça m'expose, j'ai l'impression de prêter le flanc. » Mills parle comme un boxeur parce que c'est ce qu'il est. Avec sa face de panda, il entre dans le cliché le plus total et finit par être secoué d'un rire sans joie, un rire moqueur vis à vis de lui-même. « T'es pas aidée avec nous. » Constate-t-il. Nous : le PSI, le gang, le sac de nœuds d'agents tous très talentueux mais aussi très névrosés. Pyro rêvant de faire sauter tout ce qu'il touche. Bowser addicte à l'adrénaline. Teach et ses rêves de prince charmant. Widow contrôle freak. Le complexe de supériorité de Bond. Neo l'ermite en repli sur lui-même. « On te demande jamais comment tu vas. » Et le coup d'œil qu'il lui lance veut clairement dire que c'est ce qu'il est précisément en train de faire. Boxeur jusqu'au bout : Jax accepte de baisser sa garde seulement si celle d'en face baisse d'un cran en retour. On ne change pas des années de conditionnement physique et mental en un seul chant de Noël.

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« Si ça continue, tu envisageras de reprendre la thérapie ? » Jackson hausse les épaules tel un gamin indécis alors qu'il sait parfaitement que ce que Carina insinue est la meilleure des choses à faire. Il peine simplement à l'admettre, à l'accepter, à ne pas le voir comme une régression. Sûrement que cela lui viendra avec le temps mais, pour le moment, Jax se contente d'absorber l'inception de sa collègue et de dévier la conversation sur elle.

« Qu’est-ce que tu veux savoir ? Demande et peut-être que je répondrais. » Mills lui rend son sourire. Ce lien taquin les unissant est à la parfaite mesure de sa personnalité et si Widow ou Bond seraient capables d'en déduire que cela vient des aptitudes de Sparrow à cerner ses interlocuteurs, l'agent, lui, est à des années lumières de percevoir leur relation sous cet angle. Jax ne se méfie pas de Carina. Même après avoir sombré dans la paranoïa crasse, sa foi en Welch est préservée par on ne sait quelle magie. Celle des mots que la jeune femme lui murmurait lorsqu'il était dans le coma ; celle de ses mains délicates et sereines posées sur ses épaules crispées de colère lors du procès Hoover. Mills a l'intime conviction que Sparrow lui veut du bien, raison pour laquelle il s'intéresse à tout ce qu'elle cache et ne dit pas. Pas par curiosité mais par réciprocité. « Laisse-moi bien choisir ... » Répond-il tout en se grattant le menton, prouvant avec humour être conscient de l'offrande qu'elle lui fait en lui laissant la possibilité de la questionner. « Qu'est-ce que tu penses de tout ça ? » Son regard explicite sa question en englobant le QG à l'intérieur duquel ils se trouvent tandis que sa main ne tenant pas le mug balaye l'espace d'un mouvement vague.

Cela fait trois mois que le PSI a déménagé. Nouvelle direction, nouveaux locaux, nouveaux ordres de mission, nouveaux co-équipiers ... Jax n'a pas le talent de Sparrow pour ce qui relève de la psyché et des interactions sociales ; en revanche, l'agent est connu pour ses capacités d'adaptation de terrain. Changer de lieux et de repères ne lui pose aucun problème : il a été formé pour ça. Parachuté les yeux bandés dans des traquenards imaginés par l'armée, enfermé pendant des jours dans des trous sans fenêtre et sans même savoir ou il se trouvait, catapulté en territoires ennemis sans carte, sans moyen de communication et sans vivres ... Mills fait feu de tout bois parce que la survie en milieu hostile dépend principalement de cet instinct sauvage qu'ont les animaux dans son genre. Mais qu'en est-il de la si calme et mesurée Sparrow ? Se sent-elle à son aise dans cette nouvelle configuration de jeu ou cherche-t-elle encore à prendre ses marques derrière ses masques de tranquillité si travaillés ?

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C'est vrai qu'on ne leur a pas vraiment laissé le choix. Une chance pour Jackson, le changement de direction du PSI s'est accompagné d'un changement de paradigme propice à sa réintégration. Là où l'AFP prévoyait de le mettre au placard afin d'étouffer autant que possible les remous intestinaux provoqués par la condamnation de Hoover, l'ASIO, elle, ne s'est pas encombrée de ressentiments. Ses tests d'évaluation ont parfaitement convaincu le ministère de sa capacité à reprendre le travail, alors que Mills redoutait plus que tout de se retrouver face à leurs anciens responsables de la police fédérale. Si tel avait été le cas, jamais on ne l'aurait laissé retourner sur le terrain, par principe autant que par chipotage concernant son état mental ... L'armée, elle, ne semble pas aussi regardante. Tant qu'un soldat file droit, peu lui importe le potentiel de sortie de piste qu'il représente. Plus d'obligation de suivi psychologique, plus de tests. Pour leur nouvelle direction, Jax est un survivant plus déterminé que jamais, un chien qui ne lâchera pas son os, un vétéran qu'il fait bon avoir dans ses rangs afin d'accompagner et former les nouvelles recrues prêtes à se faire à leur tour broyer par le système.

Jax mentirait s'il disait que cela ne l'arrange pas, mais il comprend que cette pirouette hiérarchique ne plaise pas à tout le monde au sein du groupe. Il a bien vu que Bond était outré d'avoir désormais à répondre à des chefs dont l'autorité décomplexée n'hésite pas à faire mention de cour martiale en cas d'insubordination. Ces mecs arrivent et posent leurs couilles sur la table avec l'élégance des militaires habitués à ce que tout file droit. Pas de négociations, pas de compromis, pas de pitié. Les ordres sont les ordres et c'est parce qu'on n'attend du PSI que de les appliquer sans les remettre en question que les agents le composant disposent, en parallèle, d'une si grande marge de manœuvre. Choix des méthodes, des approches, des moyens ... Tout ce qu'on leur demande c'est du résultat, qu'importe son éthique.

« Moi c'est surtout le voisinage qui m'inquiète, je pense que je vais finir par venir avec mon panier de linge sale tous les matins pour qu'on soit moins suspects. » « C'est c'que j'fais. » Approuve l'agent dont les entraînements quotidiens de boxe et de sprint génèrent un flux tendu de linge sale à nettoyer. Le soir, il récupère ses fringues en quittant les locaux. Le premier réflexe de Jackson lorsqu'il a su que leur QG les amènerait à converger autour de la lingerie fut de se débarrasser de sa machine à laver et de son sèche-linge personnels. Réflexe d'infiltré destiné aussi bien à couvrir ses arrières qu'à endormir les observateurs éventuels de ses allées venues ... « À mon avis, ils y ont pas pensé à ça. » Mills y réfléchit un instant, prend une gorgée de café puis fait le rapprochement entre ses soucis personnels et le fait qu'à aucun moment il n'a eu la présence d'esprit d'orienter ses collègues sur ce qui, à lui, lui paraît couler de source. « Ils ont probablement pensé que j’me chargerai de vous avertir là-dessus ... » Murmure-t-il. « Désolé. » Mills prend le blâme. Veiller à l'intégrité du groupe fait partie de leurs responsabilités à tous. Il aurait du s'assurer que tout était carré et clair pour tout le monde, se rappeler que chacun de ses collègues a sa spécialité et que ce qui touche à l'infiltration et au camouflage dépend directement de lui. Au lieu de quoi, il s'est perdu dans les eaux troubles de ses névroses et a clairement manqué de professionnalisme depuis le retour de Marley. « Tu sais que la chambre est là pour rester dormir si t'as le moindre doute, right ? » S'enquiert-il, pris d'une soudaine hésitation. Cuisine aux placards bien remplis, table de réunion, coin entraînement, panneaux de contrôle et de communication, salle de bain et chambre à coucher, stock de munitions : les agents du PSI sont gâtés à la hauteur des risques que leur appartenance au projet fait peser sur leur tête. Terrés dans leur trou, ils pourraient survivre à un siège le temps que les renforts arrivent. Si les plus récentes recrues du projet ne l'on peut-être pas remarqué, Jackson, lui, n'a vu que cela dès qu'il a posé le pied dans ce nouveau QG. Qu'on le leur dise clairement ou non : on s'attend à ce qu'ils aient des ennuis un jour ou l'autre ...

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« Hm hm. Mais je suis mieux chez moi. » Jackson acquiesce en silence. En ce moment, l'agent ne peut clairement pas dire qu'il partage le ressenti de Carina vis à vis de son appartement hanté de souvenirs qu'il préfèrerait pouvoir effacer de sa mémoire mais il comprend ce qu'elle veut dire. Couper le contact avec leur job est important pour leur santé mentale. Tous le savent et tous constatent à quel point cela peut s'avérer difficile quand les enquêtes sur lesquels ils travaillent les prennent aux tripes autant qu'en otage de leur dangerosité. Faire partie du projet demande des sacrifices. La vie privée est un luxe dont ils connaissent la valeur ...

Changement d'ambiance musicale. Dans le fond de sa tasse, Jax peut lire qu'il est l'heure de se mettre au boulot. Sparrow vient le confirmer en s'étirant avant de se lever. Mills en profite pour chausser ses lunettes. « Hey, » Lui lance-t-il avant qu'elle ne s'éloigne « Merci. » Le timbre de sa voix, chaud et reconnaissant, tient lieu d'accolade. L'agent fait des efforts afin de contrôler son impulsivité, montrer à sa collègue qu'il a appris à son contact et que tout le travail d'aide et de soutien qu'elle a fourni l'été passé n'ont pas été vain malgré ce que pourrait laisser croire l'apparition de cette paranoïa post-traumatique. À défaut de contrôler ses émotions, Jackson s'améliore sur le contrôle de son corps. Là où il aurait jadis refermé ses bras autour d'elle sans préavis, désireux de partager de la proximité physique, il est désormais capable de se contenter de mots, de ne pas l'envahir de sa présence et de son corps deux fois plus large que le sien.

L'arrivée des autres signe la fin de cette parenthèse secrète. Évidemment, tous les regards s'attardent sur les lunettes que porte Mills et le coquard facilement identifiable derrière leurs verres opaques mais chacun se garde de commentaire, Widow y compris. Inutile de ruiner la magie de Noël : les moments de calmes sont trop rares pour cracher dessus. 2023 sera bientôt là, prête à leur réserver de nouveaux challenges requérant d'eux une solidarité sans failles ...