La salle de bain est vide – tant mieux, comme ça Jet n’aura aucune autre distraction que mes paroles acerbes, que ma langue qui claque sur mon palais à chaque attaque que je ne fais même pas l’effort de dissimuler à travers mes paroles. « On se demande bien qui bat l'autre entre nous deux chérie ! » je roule des yeux, secoue la tête, lâche un long et douloureux soupir et vraiment, j’ai été conne là, clairement. Parce qu’il profite d’une seconde d’inattention nécessaire pour se rapprocher de moi. Ses mains qui bloquent mes gestes, le regard noir dont je le gratifie, il fait exprès d’entrer ses griffes dans ma chair, il presse le connard, il adore ça. « T’étais pas si pleurnichard jadis, Jeremiah. » alors je pique partout où je peux. La moquerie malsaine, son attitude larmoyante que je souligne, son prénom qu’il déteste.

« Qui a essayé de me tuer en me jetant un verre à la gueule Ari ? » et il continue de se plaindre, pendant que j’esquisse une moue exagérément piteuse, que j’accompagne ses mots d’une expression tellement faussée et affligée que je peux pas croire qu’il continue d’en mettre. « Alors comment tu vas t'y prendre maintenant ? Avec ta tête c'est ça ? Sauf que tu sais très bien que j'esquiverai assez vite ! » « J’abîmerai pas ma tête sur toi. » que je rétorque, trop vite pour qu’il ne voit pas comment j’ai envie de lui éclater le crâne d’un coup de front, comment j’ai juste envie de lui déchirer les lèvres en les mordant de mes canines.

Y’a un idiot qui décide d’entrer au même moment dans les toilettes, on dirait qu’il capte pas que c’est Baghdad ici, qu’il a très facilement que deux secondes et demi pour se tirer avant de recevoir un obus en pleine gueule. « Dégage. Les grandes personnes parlent. » mes mots vont à l’inconnu que je regarde même pas, mes yeux sont encore plongés dans ceux de Jet. Il part parce que c’est la chose la plus logique à faire. Celle qui l’est un peu moins, c’est de rebondir sur les doigts d’Etish qui s’ancrent encore dans ma peau et d’en profiter lorsque son pouce et son index se resserrent sur mon alliance. « Oh, j't’ai pas dit, quelle impolie je fais. » l’éclair de génie qui me ramène à y’a une poignée de minutes plus tôt quand il avait l’air si satisfait que je rage des poupées pendues à son cou. « Je suis vraiment désolée de pas t’avoir envoyé d’invitation pour mon mariage. J’te jure, ni Levi ni moi on voulait que tu te sentes mis à part. » mes paupières qui battent la mesure et le sourire qui ne fait que grandir sur mon visage. « J’aurai quand même droit à tes meilleurs vœux de bonheur, n’est-ce pas? »

« Peut-être que si tu tapais assez fort tu pourrais assez t'abîmer le visage pour qu'ils puissent te proposer de la chirurgie esthétique gratos pour pouvoir arranger tout ça ! » « D'ailleurs, ça m'étonne pas qu'ils aient jamais réussi à te réparer ta dent, celle tout devant. J'ai frappé fort faut dire cette fois-là. » Jet et moi, c'était comme faire du vélo. On avait beau se tenir loin l'un de l'autre pendant des années, on finissait toujours par réapprendre à s'envoyer du venin l'un à la gueule de l'autre, plus vite et plus fort encore à chaque fois. Même si j'ai pas envie de perdre plus de temps avec lui, même si je sais que plus il gravite autour de moi plus la suite sera nocive. C'est un aimant le gars, un putain d'aimant trop puissant pour que je m'échappe aussi facilement.

Mon menton qui pointait sa dentition presque parfaite passe à la bague à mon annuaire. Et la réaction, elle, est instantanée. Parfaitement ce que je voulais, j'en trépigne presque. « Tu te moques de moi Ariane ? » mes paupières battent la cadence, le baiser soufflé que je lui envoie, acide. « Jamais j'oserais. » faussement outrée, faussement affligée, véritablement amusée. Mes jambes sont toujours immobilisées par Jet par contre, et ses griffes me font de plus en plus chier mais de voir la rage monter dans son regard en vitesse turbo me suffit à faire passer la douleur un temps. « Il est où ton super mari ce soir ? » « Probablement occupé à faire la liste de toutes les fois où t'as été une merde pour qu'on se les rappelle lui et moi entre deux confidences sur l'oreiller. » j'hausse les épaules dans la mesure du possible, ne manquant pas de les secouer avec agressivité en espérant affaiblir sa poigne. Mais rien n'y fait.

La suite me provoque un gros, un violent rire. « Mais comment il peut bien arriver à te supporter en tant que femme ? Y'a des mecs vraiment malades sur cette planète. » il rigole ou il fait exprès d'être idiot? Je prends même une seconde pour tenter d'élucider le mystère, avant de réaliser que non, c'est Jet, c'est sûr qu'il est un idiot, y'a rien de nouveau ici. « Apparemment t'es aussi malade que lui pour me retenir ici depuis aussi longtemps.  » pure rhétorique - laisse-moi me tirer si tu veux vivre, en gros. « Maintenant tu me lâches. J'ai des signatures à faire avant d'aller remplir mon devoir conjugal. »

Comme si ça l’étonnait, que je sois mariée. Faut dire que les raisons derrière le geste sont plus qu’inconnues pour lui, et qu’il ne saura jamais pourquoi j’ai dit oui à Levi. J’aime bien mieux le voir se décomposer à chaque pique, je préfère et de loin voir son teint devenir aussi rouge que livide la seconde d’après quand il s’imagine des scénarios que j’allume d’une nouvelle décharge explosive à chaque occasion possible. « Oh, Ari, je vois que même quand t'es au lit avec ton mari tu peux pas t'empêcher de penser à moi ! Désolé que ce soit pas un aussi bon coup que moi ! » mon expression qui de suite prend un air faussement troublé, presque désespérée. « C’est pour ça qu’on doit pratiquer énormément – je te dis, de vrais animaux l’un l’autre c’est presque gênant. » la blague, c’est qu’on a jamais couchés ensemble McGrath et moi, et que connaissant les appréhensions de l’anglais, c’est ridicule d’avancer autant sur un terrain si hypothétique. Pourtant, tout dans mon regard et dans mes mots assume tellement le mensonge que ça en devient une vérité.

« Oh non, c'est très différent, je te garde ici parce que j'adore polluer ta vie Ari ! » « Parfait choix de champ lexical pour une ordure dans ton genre. » c’est facile, avec lui, de rebondir sur les merdes qu’il m’envoie, parce que c’est inné. Parce qu’on devient de plus en plus doués au jeu à chaque fois que nos chemins se croisent ; et apparemment, cette année en est une où on se lâche pas du moindre millimètre. « Sinon quoi ? Si j'ai de la chance peut-être que ton mari viendra te chercher et que le devoir conjugal que t'auras à faire c'est de le réanimer quand je l'aurais battu à mort ! » j’aurai essayé, j’aurai eu la décence de lui laisser une chance. « T’es cute Jet. » ma tête que je rapproche de la sienne, mes lèvres qui dérivent à la hauteur de son oreille pour y murmurer la suite. « De te convaincre que t’as la moindre chance contre lui. » une étincelle par ci, une autre par là. S’il n’explose pas aujourd’hui, ce sera pour demain. Je suis pas pressée. « J’aurais jamais cru que ton ego te rendrait aussi idiot. Ou alors t’es juste stupidement jaloux? » sa nuque que je mords, que j’aurais préféré arracher vive ouais, bien sûr, mais tout est une question de temps. J’y vais doucement, ça fait plus mal comme ça.

J’ai fini par détacher mes lèvres de sa peau pour revenir planter mon regard dans le sien. « Dans un scénario comme dans l'autre, tu m’ennuie. Bye, bonne vie. » et le coup qui part de mon pied à son mollet, celui que j’ai réussi à libérer vite fait bien fait en capitalisant sur l’effet de surprise d’avoir perdu mes dents sur son épiderme. Le geste fait pas des masses de dommages, mais il le fera reculer d’un pas d’un seul, assez pour que je puisse me dégager de son emprise et filer de nouveau dans la salle réservée pour ce soir. Si on me demande, la tache de rouge à lèvres qui s’est imprégnée sur le cou de Jet appartient à une des traînées qu’il a toujours à son bras, voilà.