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 [reykjavik] transatlanticism (lola&grace)

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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyJeu Mar 12 2020, 11:33


Ce paysage, c'était le début et la fin du monde. Peut-être que c'était pour ça que Lola avait enfin ouvert le plus intime d'elle-même à Grace, qu'elle avait énoncé des vérités qu'elle s'était cachée jusque là, qu'elle avait grandi, un peu. Les yeux dans les mains, main dans la main, elles avaient parcouru des kilomètres, et il y avait de quoi être essoufflée, de quoi être abasourdie. Lola aurait aimé dire à Grace à quel point elle lui était reconnaissante, mais elle préféra le lui montrer plus tard, faire une action, un geste, une surprise. Elle trouverait. Elle trouvait toujours. Et Grace la réconfortait, et lui parlait de mécanisme de défense (l'étudiante en psychologie hochait de la tête, oui, bien sûr) et de prendre son temps. Les secondes qui passèrent furent des années. Elles étaient là, assises. Le temps reprendrait quand les touristes arriveraient, quand elles repartiraient, quand le monde aurait décidé de reprendre sa marche folle.


*


Lola éclata de rire en voyant l'air si enthousiaste de Grace. Leur bonne huemur était remontée en flèche, aussi vite que l'eau du geyser. Un ceviche ? Lola n'avait jamais goûté, et hésita à demander ce que c'était, mais Grace partait plutôt sur une sélection de plats locaux, alors elle hocha de la tête : voilà, c'était parfait. "Oh, l'hibiscus c'est très utilisé au Mexique." Ce qu'elle savait uniquement parce qu'elle avait recherché le pays d'origine de Rosa, parce qu'elle voulait pouvoir comprendre quand Jordan lui racontait des souvenirs, ou si un jour elle rencontrait la famille de Rosa. Au cas où. Et puis elle s'était prise de fascination pour ce pays qui ne ressemblait en rien au sien. "Un de chaque, ça règle le problème", déclara-t-elle avec un sourire espiègle.

Grace accepta ensuite de s'ouvrir sur son besoin étrange de s'excuser en permanence, mais elle le fit petit à petit, comme si c'était une remarque folle, venue de nulle part, et Lola s'étonna que personne ne lui en ait parlé, et elle se demanda si c'était elle qui provoquait une telle gêne chez Grace. Cette pensée la fit tressaillir, car elle se sentait si à l'aise avec Grace et elle espérait qu'elle aussi. Il y avait le handicap, bien sûr, et Lola ne fit aucun mouvement, ne voulant pas brusquer ni interrompre ni ralentir ni presser, elle voulait juste entendre, écouter, être là. Grace mentionna son ex pour la première fois, et Lola retint de justesse un froncement de sourcils et une douzaine de questions (c'était qui comment elle s'appelait elle fait quoi dans la vie tu l'aimes encore tu continues à la voir elle habite où est-ce que vous allez vous remettre ensemble).

Si Lola avait pu, elle aurait voulu embrasser le handicap de Grace, s'il avait été localisé elle l'aurait soigné comme une blessure, elle aurait amorti la chute, ele aurait pansé les plaies. Elle aurait voulu que Grace sache à quel point c'était un non-sujet pour les gens qui l'aimaient vraiment, qui la voyaient telle qu'elle était. Mais Grace finit par une pirouette, et les cocktails arrivèrent, et Lola garda tout cela dans son coeur, en sachant que ce serait par des preuves de chaque jour, des gestes quotidiens, qu'elle parviendrait à l'apaiser, au plus profond d'elle-même, sur ce sujet. "A ta santé, merci pour ce voyage", et elles trinquèrent et Lola goûta le fameux cocktail au wasabi, et eut un rire ravi : c'était aussi étonnant et fort que prévu. Elle prit une gorgée de l'hibiscus, "Miaaaam". Et les plats arrivèrent, et Lola faillit se jeter sur la nourriture, mais Grace la devança par un deal : une exposition commune de photographies et tableaux.

Le coeur de Lola battait à tout rompre, avec un mélange de nausée et d'envie de se perdre dans l'assiette, dans les saveurs, pour se distraire, pour ne pas avoir à répondre. Pourtant, une toute petite voix à l'intérieur d'elle-même disait qu'elle adorait l'idée, et une partie de cela était due au fait de créer quelque chose avec Grace, de travailler sur un projet ensemble, de s'aider à exposer. Un rêve de toute artiste est probablement d'unir son inspiration avec la personne qui lui fait ressentir le monde le plus fortement. Lola hochait de la tête, distraitement, de plus en plus convaincue, tout en étant terrifiée, tandis que Grace goûtait le cocktail au wasabi avec une grimace comique. Lola ne put même pas se moquer d'elle car elle revenait à la charge avec des yeux de chaton en détresse. "Okay", parvint-elle à prononcer, tout en sentant qu'il y avait de quoi s'évanouir, faire un malaise juste là, et on n'en parlerait plus, et l'affaire serait classée. Elle ne dirait pas plus que cela pour le moment, elle s'en tiendrait là, c'était dit et elle ne revenait jamais sur sa parole. Un okay tenait lieu de promesse.

"Bien sûr", répondit-elle au sujet du découpage, et elles se lancèrent dans un partage épique du festin. La méticulosité de Lola rentra en jeu car elle voulait des parts absolument égales, et ça l'amenait à des calculs géométriques de formes et des cosinus et des équations. Mais en fin de compte, tout se passa plutôt bien, et elles commencèrent à déguster les divers filets grillés, le pain de seigle, et le kjötzupz, que Lola montra furieusement de la fourchette. "Okay, j'adore l'agneau. Ce qui fait de moi Hannibal Lecter", non, pas du tout, mais elle n'avait vu le film qu'une fois il y avait des années et le wasabi commençait à lui monter à la tête, "mais c'est pas grave, j'assume, c'est trop bon." Elle poussa le plat vers Grace pour qu'elle en reprenne, plus de la moitié, parce que là c'était délicieux et que ça en valait le détour. Elle goûta l'étrange fromage blanc avec de la confiture, et leva les yeux au ciel tellement c'était bon - le décala également vers Grace. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'elle ne se sente pas envahie par l'enthousiasme culinaire de Lola. "Goûte ça aussi", ajouta-t-elle comme si ça avait besoin d'être précisé. Son sourire se faisait de plus en plus large.

Grace l'interrogea sur les habitudes australiennes et islandaises, et Lola sourit, prise au dépourvu. "La bière, déjà. Pourquoi on boit tout le temps de la bière à Brisbane ? C'est bon, hein, mais check out this mojito, c'est quand même largement meilleur. On pourrait se développer un peu plus en termes de gastronomie et d'alcool. Explorer un peu." Elle réfléchit. "La magie aussi ! T'as vu tous les graffitis d'elfes et lutins ? Les affiches ? Ce qu'ils vendent dans les magasins ? Tout à l'heure, j'ai vu une adulte lire un livre de légendes. Ce serait tellement bien que nous aussi on remette un peu de magie dans notre vie quotidienne." Ca l'enthousiasmait rien que d'y penser. "Bon, le fait que les femmes soient vraiment, pour de vrai, sans déconner, sans mensonge, sans arrière-pensée, l'égale des hommes ici. On n'est pas le pire pays, de loin, mais depuis que je suis ici, je réalise qu'on n'est pas le meilleur non plus." Elle voyait dans sa tête nombre de situations qui pourraient être légèrement améliorées, et elle hocha de la tête. "Et toi ? Qu'est-ce que t'adores à propos de l'Islande ? Et qu'est-ce que t'adores en Australie ?"

Vivre n'importe où ? Lola eut un bref coup d'oeil timide, puis se rappela de sa résolution du jour, et prit une profonde inspiration pour s'autoriser à y penser, à y réfléchir. "J'aimerais vivre... je ne sais pas, en fait, je ne suis jamais allée nulle part. Mais si je devais me baser sur ce que j'ai lu des différents endroits... Il y a Buenos Aires. Une ville d'artistes. J'adorerais apprendre le tango là-bas. Et puis l'espagnol, c'est tellement beau. Et puis, il y a Hong Kong, je sais que c'est un choix hyper bizarre, mais ils ont une communauté hipster bobo artiste qui est en train de se développer, et les paysages ont l'air tellement différents des nôtres. J'aimerais bien voyager en Thaïlande et voir les temples au Cambodge. J'adorerais évidemment visiter les plus grands musées du monde : le MoMA à New York, Pompidou et Orsay à Paris (oui, je sais, le Louvre, mais si tu vois les expositions qu'ils ont à Pompidou et à Orsay, tu t'évanouis), le Vatican (je sais, c'est pas un musée, mais tu vois ce que je veux dire). Oh, et Venise, et en plus Venise va disparaître dans cinquante ans, tu savais ça ? Bon, Miami aussi, mais ça, ça me dit moins. Je suis sûre que c'est très sympa, hein, mais..." Elle haussa les épaules. Pas plus attirant que ça. La pause lui permit de réaliser qu'elle parlait depuis trente-quatre ans et qu'il était temps de se taire. Elle fit un grand sourire à Grace. "Prochain voyage où tu veux, quand tu veux. Dans la limite des besoins de la galerie, parce que j'ai quand même un travail", précisa-t-elle en riant. Tellement bizarre de se dire qu'elle serait de retour dans la galerie d'ici peu. Et tellement étrange cette envie que Grace vienne lui rendre visite là-bas.

"Tu viendrais, d'ailleurs, à la galerie ? Je peux te montrer où je travaille. Enfin, si ça te dit." Lola suivait le mouvement de Grace : elle ouvrait les vannes vers l'après-voyage, vers l'après-Islande. Elle aurait voulu caser des rendez-vous avec Grace tous les jours, dès maintenant, prendre un agenda, et choisir à quel moment elles se verraient le lundi et le mardi et le mercredi et le jeudi. Chut, Lola, prends ton temps, ne va pas trop vite, tout va bien. Elles finirent peu à peu leurs plats (tout était délicieux) et les cocktails (une gorgée de chaque, monter avec le wasabi, descendre avec l'hibiscus). Lola insista pour payer l'addition, "Je te préviens, je te fais un croche-pattes si tu continues", menaça-t-elle pour gagner cette bataille - non, cette victoire n'était pas élégante de sa part, mais tant pis.

De retour dans les rues, elles passèrent devant un musée de phallus de diverses créatures animales, et Lola fit de grands yeux avant d'étouffer un fou rire, genre pré-adolescente de treize ans, "T'as vu ?", demanda-t-elle à Grace en montrant d'un signe de tête l'établissement, puis elle l'entraîna plus loin. Il y avait un centre appelé Tales of Iceland, et Lola vit qu'elles pouvaient y "vivre" l'expérience d'une éruption volcanique : "Hey, that's what you wanted to do! I mean, not exactly, but you know..." Elle fila prendre les places et elles entrèrent ensemble dans la pièce immersive. Elles étaient tout près des images, et c'était déjà si incroyable que Lola en eut la chair de poule. Qu'est-ce que ç'aurait été si elles l'avaient vu pour de vrai... Telle une enfant hyperactive, elle l'emmena ensuite dans la salle de karaoké du centre, où on apprenait l'islandais en chantant. "That's also something I would bring to Australia: learning languages other than ours. I mean it's not something from here. It's just... I wish we all learnt so many more languages so we could speak with people from everywhere. Do you speak anything besides English?" Le karaoké fut un échec cuisant parce que Lola passa son temps à rater des mots et à encourager Grace tout en riant tellement que ça distrayait forcément sa partner in crime.

Après toutes ces émotions, elles ressortirent, et arrivèrent au Einar Jonsson Museum. Lola fila directement au jardin des sculptures, et trouva un banc où faire une pause avec Grace - qui, même si elle ne disait rien, en avait probablement un grand besoin. "Worst fear and wildest dream?" demanda-t-elle, comme si c'était les questions pour un champion et qu'elle annonçait les catégories. "Oh, and top three favorite TV shows. Can't believe I haven't asked that yet. Is this the Netflix generation, or what?" Pas vraiment, mais elle riait de sa propre blague, et elle était contente de se poser, de ralentir, d'être là. Elle tenta de se retenir, de se contenter de ces questions-là, de ne pas ramener les deux autres sujets qui la tracassaient, mais c'était peine perdue, parce que ça arrivait à toute vitesse, et ça franchit ses lèvres : "Also, your father, question mark, and, on a separate line, your ex, question mark." Elle imita l'emoji au sourire crispé en regardant Grace. "If you're okay talking about them. Otherwise I can just make jokes. Knock, knock."

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyDim Mar 15 2020, 19:03


"Okay", c’est tout ce que Lola lui répond, après ce qui lui semble être des heures interminables de silence pendant lesquelles elle pense dix fois à rétracter l’offre, à la tourner en blague inoffensive, ou à proposer quelque chose de moins gênant, de moins gros, de moins concret pour la rouquine. Elle sait combien exposer son art est un sujet sensible pour l’intéressée, qu’aucune personne vivante (peut-être qu’elle a dû tuer quelques intrus, sait-on jamais) n’a ne serait-ce qu’aperçu du coin de l’oeil une de ses toiles. Et rien qu’en se faisant cette réflexion, elle se rend compte que c’est peut-être trop, trop vite, trop intensément. Mais Lola lui coupe l’herbe sous le pied avec son okay, d’une voix tremblante qui se veut déterminée. “Okay ?” Elle non plus, n’est pas très loquace, ni très assurée. Elle ne s’attendait pas à ça - ou plutôt elle s’y attendait trop, et là résidait tout le coeur du problème. “Okay.” Le deuxième sort avec plus de conviction, un large sourire un peu incrédule en prime - et rien que comme ça, le pacte est scellé.

Vraiment”, fait-elle pendant qu’elles goûtent les plats, qui s’associent plus ou moins bien au wasabi et à l’hibiscus, “je pensais pas autant aimer des trucs marins séchés ou fermentés.” Grace fait de son mieux pour montrer son enthousiasme à Lola, elle qui considère avant tout la nourriture comme une nécessité de survie davantage que comme un plaisir de la vie. Parce que ça l’est, bon - d’une façon spéciale, très éloignée de leurs spécialités à eux, et sûrement beaucoup plus saine aussi, et elle profite, sûrement davantage pour le souvenir que pour la nourriture en elle-même. “Je suis sûre que c’est facile à refaire, les mojitos au hibiscus, et tout. On essaiera la prochaine fois”, déclare-t-elle pour répondre à Lola, qui continue de s’émerveiller de l’atmosphère magique qui règne sur le pays. “Tu savais que plus de la moitié de la population croit en les elfes, et que même l’autre moitié n’irait pas les faire chier ?” Elle se demande si Lola se rappelle de la fois où elle lui a raconté l’histoire de l’ogresse dévoreuse d’enfants et de ses sept rejetons maudits qui tuaient les gamins qui ne recevaient pas de pantalon à Noël. Pour elles, c’était tout un folklore un peu farfelu et étranger ; pour les locaux, c’était souvent plus que des croyances anciennes.

Ce que j’adore de l’Islande… L’atmosphère en général, je pense. Personne ne se presse à droite à gauche. On prend le temps de faire les choses. C’est un autre rythme. Oh, et le fait qu’il y ait tout. Les pics de montagne à côté des prés, la glace à côté du feu. Ca nous fait défaut, ça.” Ce qu’elle aimait en Australie, à part la présence de sa famille et de ses proches, et grosso modo toutes les attaches de son enfance et de sa vie présente, elle n’y avait jamais trop réfléchi. “En Australie… Le respect qu’on a pour la faune et la flore, peut-être. Pour nous aussi c’est presque une religion. Et la liberté, en général. De croire en ce qu’on veut, de tenir la main à qui on veut, de tenir les propos qu’on veut, d’exercer le métier qu’on veut...en théorie, certes, mais c’est quand même rare.

Parce qu’il y avait bien des endroits où elle avait été où elle aurait risqué des représailles pour toutes ces choses, fut-elle une locale et non une occidentale à laquelle on ne pouvait pas dire grand-chose. C’était un élément qu’elle avait appris à apprécier et à moins prendre pour acquis, après le Honduras avec un taux de criminalité au-dessus de tous les plafonds, le Tibet et ses femmes qui lavaient des feuilles pour en faire des serviettes hygiéniques, et d’autres pays où on l’aurait fusillée pour avoir tenu la main d’une femme. Ca l’amène sur une autre question : où est-ce que Lola aurait vécu dans le monde, si l’argent, les attaches n’étaient pas des problèmes ? Elle écoute ses réponses avec intérêt, hoche de la tête quand elle est d’accord, ou qu’elle y songe, ou qu’elle s’imagine y vivre à son tour. Elle découvre chez Lola cette passion pour les monuments historiques, anciens ou plus récents, qui renferment un historique imagé de leur monde. Grace, elle, découvre qu’elle préfère l’histoire vivante, la recréation par-dessus les ruines, la réappropriation après l’effacement. “Je pense que t’adorerais Medellin”, qu’elle déclare quand même, au cas où. “En Colombie. J’y suis restée que quelques jours, mais c’était dingue. C’est une ville qui était ravagée par la domination des cartels et la pauvreté, et puis ils ont lancé des programmes d’art pour aider les jeunes à développer des talents et à sortir de la merde. La musique, le théâtre, le street art… C’est dingue.” Et elle aurait tellement d’autres endroits à proposer, mais elle aurait aussi tellement envie de découvrir Paris, ou New York, ou n’importe où Lola voudrait aller ensuite. "Tu viendrais, d'ailleurs, à la galerie ? Je peux te montrer où je travaille. Enfin, si ça te dit." Elle hoche vigoureusement la tête : “Bien sûr. Je viens quand tu veux. Et aussi quand je suis libre, mais essentiellement quand tu veux.” Et tant pis si elle ne voit aucune toile ; tant pis, d’ailleurs, si elle n’en voit jamais : elle aura une incursion dans l’univers de Lola, et tout ce que ça comprend.

Le retour au monde réel ne dure pas et déjà, les portes du bar franchies, elles sont à l’extérieur, dans les rues du milieu d’après-midi, oscillent entre pénis, fausses éruptions et karaoké. Grace y prend une bière, parce qu’elle n’a pas envie que sa concentration sur les mots écrits bizarrement et foutrement imprononçables ne l’empêchent de profiter. Elle finit la chanson qui s’appelle Isjaki et qui est beaucoup trop aiguë pour son timbre grave de fumeuse : “I do speak some Spanish. And I tried so, so hard to learn Finnish but it’s way too hard for me. I forgot most of the Chinese I had to pick up back in Tibet but I still remember how to say 叫你生孩子没屁股眼*.” Elles partent pour la dernière visite que Grace se sent physiquement capable de faire, au jardin des sculptures de l’Einar Jonsson. “So this kinda feels like a bunker from the communist era”, fait Grace en posant ses fesses sur un banc, désignant le bâtiment d’un coup de menton. Les sculptures l’intimident un peu, parce que c’est un art noble et froid auquel elle ne comprend rien.

"Worst fear and wildest dream?"

La jeune femme n’a pas le temps de reprendre son souffle que son acolyte lui demande déjà à nouveau de la réflexion, puis enchaîne sur ses séries préférées, et son père, et son ex, et elle n’a pas à répondre si elle n’a pas envie. Son rire nerveux masque la fin de la phrase de Lola, parce que ça fait beaucoup de choses auxquelles penser et sur lesquelles placer des mots qu’elle n’avait jamais essayé de placer avant. “Okay so. Worst fear and wildest dream. I’d say…” Elle bloque parce qu’elle n’en a aucune idée, au fond. “...I’d say they’re still under construction, I guess?” Elle se gratte la joue de sa main gauche et reste sur sa faim de sa propre réponse insatisfaisante. “I honestly don’t know. I kind of have regular dreams, like owning a dog, building a family… Oh. Owning several small shitty apartments all over the world so I could travel to my favourite places whenever I feel like it. And maybe selling pictures like I used to, without having to be too political about them.” Elle ne peut même pas dire faire le job de ses rêves - elle est déjà censée le faire. “As for my worst fear, I guess it’s dying. How unoriginal, right?” Elle prend le ton le plus rasoir qu’elle peut trouver et l’agrémente d’un petit rire un tout petit peu nerveux.

Top three series...oh Jesus, that’s a hard one. I’ve got to say Criminal Minds, hands down. Don’t ask me why. Don’t laugh. Don’t tell anyone. My street cred depends on you now.

Elle gratifie la rouquine d’un sourire taquin, en profite pour perdre ses yeux de son côté un instant plutôt que sur les sculptures qui se tirent les paupières à s’en faire saigner. “Can I hold your hand again?” qu’elle demande distraitement, le cerveau toujours entre deux chaises. Retour au sujet : “I guess it’s because it’s easy to understand, doesn’t require too much attention, makes you like cops even though they’re usually despicable. Criminal Minds, not your hand.” Elle repense à la question de Lola, et elle se demande pourquoi au juste elle ressent le besoin de se justifier. “I also really liked Russian Doll. I liked the pace, the setting and how easy it was for me to identify to the main character. The loop she was stuck in, I mean. It kind of felt like mine.” Mourir puis se retrouver au même endroit, avec l’impression qu’on sait quelque chose de plus que les autres, sans vraiment savoir quoi. Que pour le monde rien n’a changé, mais qu’au fond les atomes mêmes de la Terre et leur concrétude ont changé jusqu’à leur structure. “And I would be lying if I said Orange is the new black wasn’t one of my favourites.” Son regard se perd à nouveau sur le monument : il est l’heure de passer au sujet le plus difficile, peut-être celle qu’elle attendait le moins.

My dad was fine. A great guy, with values and ambitions. He’s a journalist. But you know, I wish I’d seen more of him while we all still lived together. Now he’s retiring and we’re all scattered over the country, he’s divorced and so wrapped up in his work that he hasn’t met anyone in ten years.

Elle est moins triste pour les trois gamins qu’ils étaient qu’elle ne l’est pour lui, ce grand homme frêle en apparence mais si passionné, qui avait trop donné à son boulot sans savoir quelle part de lui-même réserver à ses enfants, à sa vie affective, et qui se retrouvait plumé de tout amour. Il avait endossé le rôle de parent le plus présent un peu à contrecoeur, quand sa femme était bien trop absente et détachée pour vraiment prendre soin de leurs enfants, et les enfants Coughlin se rappelaient plus de leurs conversations passionnées sur les sujets prisés de leur père que de moments de jeu ou d’affection. Ca leur avait été, parce qu’au moins, il était là, il faisait son possible. “My ex...Alex was...someone important, I guess.” Oui, c’est un bon début, tout à fait raisonnable. “We spent four years together and I foolishly, naively thought she’d come out of the closet for me. She never did.” En le disant, elle s’aperçoit que la colère et la tristesse d’alors s’était un peu évaporée. Pas entièrement, mais en grande partie. Elle offre un sourire qui sous-entend le reste à Lola : elle ne pouvait plus vivre avec ça, avec l’idée d’être un secret, en mentant à ses proches et en la présentant comme une amie - exception faite de quelques proches et de sa famille. Alexandria était une femme d’ambition, elle aussi, déterminée à monter une carrière alors qu’elle ne partait de rien et à faire triompher ses idéaux dans un monde juridique encore trop biaisé. “It might sound stupid to leave someone for that, but coming out once is hard enough without having to get stuck in the closet again willingly.” Toujours, toujours des justifications.

What about you? I never asked you about your relationships. We never really talked about that before.” Et on se demande tous, grands dieux, ô pourquoi pas. “Like, for all I know, you could be straight. And married.” Hautement improbable, mais elle la dévisage avec la plus grande innocence. “I also want to know about your wildest dream, your greatest fears, your relationship with your parents, your first love ever, what dumb stuff you believed as a child, and what exactly entices you about these statues that look like they could kill us and devour our bodies. I could spend hours asking you dumb questions but I feel like this is a lot already.

* que ta descendance naisse sans anus
@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyMar Mar 17 2020, 09:43


La liste de l'après-Islande se complétait petit à peu, au fur et à mesure : elles feraient un prochain voyage quelque part ; Grace viendrait visiter la galerie ; elles exposeraient ensemble ; elles prépareraient un mojito à l'hibiscus. Lola commençait doucement à être rassurée, elle qui avait peur des comptes à rebours, des secondes qui passaient vers la fin du voyage. Elle avait la suspicion de plus en plus prononcée que ce qui était si exceptionnel n'était pas tant l'Islande (et pourtant, quelle découverte pour elle que ce pays) mais le fait de passer enfin autant de temps avec Grace, de s'autoriser une proximité qu'elle aurait eu tant de mal à mettre en place en Australie. Maintenant, elles avaient passé des caps innombrables, et elles continuaient à déplacer des montagnes, et tout cela existerait encore lorsqu'elles rentreraient, elle le savait. "C'est génial comme statistique, c'est vrai ? Enfin, je veux dire, tu l'as vraiment lu quelque part ? Moi je fais partie des 50% qui croient dans les elfes, et ici ce n'est même pas bizarre de le dire. Alors que la tête de mes parents quand je leur sortais des trucs comme ça, t'imagines même pas..."

Grace parlait de ce qu'elle aimait en Islande et en Australie, et Lola acquiesçait, concentrée, l'estomac rempli, le cerveau palpitant de wasabi. "C'est vrai que la nature est sublime, ici, et tellement contrastée", confirma-t-elle. Ca lui fit plaisir que Grace trouve du beau sur leur pays d'origine ici, qu'elles fassent un équilibre, qu'elles n'idéalisent pas la terre qui les accueillait temporairement au profit de celle qui leur avait toujours fait une place. Et ses raisons étaient belles, et Lola les partageait. Elle entendait dans la voix de Grace des souvenirs de pays où elles auraient été beaucoup moins libres, et ça fit comme un déclic dans la tête de Lola : tu as la chance de pouvoir vivre ce que tu as à vivre avec Grace, tu as la chance que ça ne t'envoie pas en prison ou en exil. C'était comme un domino qui tombait en elle, un de plus, un de plus vers une acceptation qui venait lentement, lentement, et ne culminerait que lorsqu'elle serait rentrée et qu'elle demanderait à Amos ce que c'était que de se sentir amoureux. Un domino à la fois.

Medellin, en Colombie : rien que le nom faisait rêver Lola. "Un lieu d'espoir et d'art où l'esprit de communauté permet une rédemption ? J'ai déjà envie de pleurer rien que d'y penser", dit Lola, à moitié en riant, et à moitié tout à fait sérieuse. Peut-être qu'elles iraient là-bas, alors. Ou peut-être qu'elles iraient plus près de leur Australie natale. Ou peut-être qu'elles prendraient un bateau et voyageraient à travers le monde (peu probable, mais ça restait techniquement une possibilité). Lola réalisa qu'elle n'avait même pas prévenu Charlotte et Patrick de son voyage, alors que Patrick travaillait au Danemark cette année-là et qu'il aurait pu passer la voir, même en coup de vent. Cette pensée la perturba suffisamment pour qu'elle prenne une minute de retard sur la conversation, puis elle la balaya. Il valait mieux oublier tout de suite ce chemin de pensée.

Grace promit de passer à la galerie, et cela scella leur accord planétaire de continuer à se voir (et je sais qu'on a des lecteurs témoins, donc voilà, c'est dit en toutes lettres). Elles quittèrent le bar, sillonnèrent les rues, prirent une bière en chantant "en islandais" - ou plutôt en vagues grognements et fous rires qui donnaient l'impression qu'elles avaient deux ans et demi. Lola fut tout à fait impressionnée par les talents de Grace en chinois (si elle avait su) et elles repartirent pour leur destination finale de la journée : un jardin de sculptures.

Installées là, elles auraient pu se reposer et laisser divaguer leurs pensées, mais Lola ne put retenir le flot de questions qu'elle avait toujours au bord des lèvres. Grace accepta d'y répondre, de se réveler un peu plus. "Those are beautiful dreams", commenta Lola à la fin de la longue liste. Elle avait tiqué sur le fait de fonder une famille. Elle aurait aimé demander si c'était un projet pour tout de suite, ou quelle était sa timeline mentale, parce qu'il y avait une chose qui était sûre et certaine : Lola n'était pas du tout prête à se lancer dans une telle aventure. Elle commençait à peine à traverser les frontières et à apprendre à s'accepter. Elle était loin de pouvoir prendre soin d'un petit être humain aux débuts d'un long chemin dans le monde. En revanche, l'idée d'appartements parsemés tout autour de la planète la faisait rêver. La peur de Grace l'étonna, et en même temps, elle aurait pu s'y attendre, c'était la première, la fondamentale, la primordiale. Elle hocha de la tête sans vouloir interrompre le fil de pensées de Grace.

"Yes, please", répondit Lola, en avançant sa main pour qu'elles se retrouvent, et son pouce caressa immédiatement la main de Grace, à un rythme régulier, très présente, très ancrée dans ce contact. Criminal Minds, Russian Doll, Orange Is the New Black. "I've only watched the third one, but I'll check out the other two." Elle eut quelques flashbacks de la troisième série et ne put empêcher ses joues de s'enflammer. "Which character do you relate the most to? And who's your favorite character, even if they're super different from you? And the character you want to kill the most?" (Là, telle que vous la voyez, elle fait un effort surhumain pour ne pas créer quinze autres catégories de personnages.)

Grace parla de son père avec une tristesse profonde. Lola croyait qu'il l'avait abandonnée ou qu'il était mort, bref qu'il avait été absent, mais non : tout suggérait qu'au contraire, il avait été présent, et important pour elle, et qu'elle se faisait du souci pour lui. "We can set him up a Tinder account", dit Lola, et c'était une plaisanterie, mais c'était surtout pour dire à Grace qu'elle l'aiderait avec quoi que ce soit. "I'm a pro at profiles." Elle se dépêcha de préciser : "I've never had one myself, but I used to help friends build theirs." Pourquoi s'était-elle sentie obligée de préciser qu'elle n'avait jamais eu Tinder ? Ce n'était a priori pas un élément disqualifiant, mais elle n'aimait pas l'idée que Grace l'imagine là-dessus. Elle n'aimait pas que Grace l'imagine avec qui que ce soit, en fait. Ses pensées revenaient sur la figure paternelle de son amie, et elle demanda : "Did he travel a lot for his work? Did he take you with him? Is that why you love travelling?" Elle se demanda aussi quelles étaient les spécialités du père, s'il était reporter, s'il écrivait sur la politique ou l'économie ou le tourisme ou la mode ou le sport. Tout cela viendrait peu à peu. Donner le temps au temps.

Le sujet le plus épineux vint sur le tapis, et Lola serra un tout petit peu plus fort la main de Grace, de façon inconsciente et involontaire. Elle sentait son plexus solaire se serrer. Alex. Une personne importante. Quatre ans, ah oui, quatre ans, d'accord, quatre ans c'était long quand même, c'était important effectivement, c'était massif. Et ça s'était fini parce qu'Alex n'avait pas voulu faire son coming out. Lola fut soudain prise d'une panique tout à fait visible, qu'elle tenta de mettre en mots. "But, so, like, if Alex", elle réalisa que le nom avait du mal à passer entre ses dents, mais c'était passé, "comes out, would you, like, consider, um, getting back together with her?" Si c'était ça l'unique raison de leur séparation, si c'était juste ça, et si Alex changeait d'avis, et si elles étaient faites l'une pour l'autre, parce que quatre ans quand même, si tout cela était vrai, Lola allait tout droit faire le coeur brisé le plus retentissant de l'histoire de l'humanité. Pour quelqu'un qui a passé sa vie à se protéger, vous vous imaginez bien qu'elle était aussi loin de la sérénité que le soleil de la Lune. Etonnamment, pourtant, Lola ne lâcha pas la main de Grace. Chaque minute de contact comptait, donc, puisque tout finirait lorsqu'Alex reviendrait et ferait son coming out. (Oui, elle était passée de la crainte à la conviction absolue de l'apocalypse.)

Grace rendit à Lola la monnaie de sa pièce avec une avalanche de questions. Lola se leva, s'étira en réfléchissant, parce que là il y avait beaucoup à déconstruire, puis invita Grace à venir marcher dans les rues pendant qu'elle répondrait. Il fallait qu'elles passent par un supermarché sur le chemin. Okay.

"Relationships. Relationships. Okay. Um. So. Not much. I spent high school crushing on Jordan, and I'm the once who introduced him to Rosa, so I was there the day they fell madly in love, and I was already guarded before that, but let's say that seeing it happen was the best possible way to deduce: love is dangerous, get away from it forever. That being said, I did see people on and off ever since. Right after college, I was with a guy I really liked, Yelahiah, a brilliant London dude, like ridiculously high IQ, and we would make all those stupid jokes. Anyways, at the end of that, he met, I swear to God, a woman who he fell madly in love with, and he ended things with me. So, at that point, I was 100% convinced that I'm just not the girl who gets picked. Which is totally cool." Ce qui expliquait aussi que l'idée qu'Alex puisse revenir lui faisait autant peur : elle savait d'avance qu'elle ne gagnerait pas cette bataille. C'était aussi simple que ça. Grace partirait, comme ils étaient tous partis, et elle se retrouverait à coller les morceaux depuis le fond de son lit.

"I'm bi, always have been, always will be. I have no problem with holding your hand, whether it's here or in Brisbane." Elle espérait gagner des points ? C'était quoi, l'idée ? Le fait est qu'elle était complètement sincère. Elle vit du coin de l'oeil un supermarché et le montra du doigt à Grace pour qu'elles y entrent. Mais Grace n'avait pas encore fini sa cigarette, donc pendant qu'elles attendaient devant, Lola continua. "I am not married. My parents' marriage was really tough for me, because it was entirely devoid of any love. So I have a hard time with believing there can be kindness in that institution, if that makes any sense." Ca lui coutait d'être aussi transparente, notamment parce qu'elle avait peur que Grace dise : okay, on n'a pas les mêmes projets de vie, va faire tes courses, et on se croisera à l'aéroport au retour.

"Okay, and then you said fears, dreams, relationship with parents, first love, and dumb childhood beliefs." Lola éclata de rire : elles se racontaient leur vie à ce niveau d'intimité là, tout en allant acheter de quoi se sustenter, et ce mélange de vie quotidienne et d'aventure épique l'amusait. "First, remind me what we're getting. I know pasta, I think alcohol, probably toilet paper, was there anything else?" La Sainte Trinité : Pâtes, Alcool, Papier Toilette. Lola et Grace se faufilèrent dans les rayons du supermarché pour récupérer tous leurs biens. Bien sûr, Lola se laissa tenter par des gâteaux au chocolat locaux (ce serait moins bon que les Tim Tams, mais elle se devait de goûter), des bonbons, du saumon fumé (c'était tellement moins cher qu'en Australie, et ça avait l'air tellement plus frais) et des biscottes. Elle eut l'impression de dévaliser le magasin, d'être deux enfants en cavale, Thelma et Louise. Elles payèrent moitié-moitié, et Lola cala le maximum d'articles dans leurs sacs à dos, pour qu'elles puissent tout ramener à la maison avec le moins d'efforts possible. Elles n'étaient plus qu'à quinze minutes de marche de chez elle, de toute façon.

"I'm scared of abandonment. Obviously." Lola fit une moue, car elle détestait en parler, parce qu'elle le ressentait, ce vide, ce manque, dans le creux d'elle-même, toutes les absences qui avaient eu lieu, tout le manque de confiance en elle que ça avait provoqué. "I dream of..." C'était une bonne question. Elle l'avait posée, mais elle n'avait pas la réponse. De quoi rêvait-elle ? Un jour, d'une famille, mais ce n'était pas le sujet pour le moment, loin de là. D'exposer, oui. De voyager aussi. Mais plus que tout ? Qu'est-ce qui la faisait se lever le matin ? "I'm not sure what I dream of, actually. I think that goes back to our geyser talk. I still have stuff to figure out, and that seems to be one of them." Elle haussa les épaules. C'était incomplet, mais c'était sincère. Elle aurait pu mentir et s'inventer un rêve, mais à quoi bon ? "Relationship with parents: like a fence between a horse and a baby horse. No matter how hard the baby horse tries to jump the fence in order to get a hug or a little tenderness, it's just impossible." Elle baissa les yeux, LALALALA, tout cela la mettait mal à l'aise. Elles s'approchaient de leur rue. La maison, bientôt. Plus que deux questions.

"First love hasn't happened yet." C'était son premier mensonge. Mais, en sa défense, elle ne sait pas encore que c'est un mensonge ; elle croit, là, à ce moment précis, qu'elle n'est jamais tombée amoureuse, ce qui est presque encore vrai mais plus tout à fait. "And dumb stuff, well I believed in Santa until I was thirteen", une moue amusée, "and I thought people had babies by kissing with tongue until I was eleven, oh and I was convinced that there are monsters under the bed, but I still believe that's true, so I wouldn't call it dumb." Elles arrivèrent devant la maison. Lola ouvrit la porte et s'occupa de sortir leurs courses dans la cuisine. Elle avait envie de remettre son armure, sa carapace, mais elle savait que plus le temps passait, plus ça devenait un rêve lointain. Ses défenses étaient baissées, et il fallait qu'elle s'en accommode. "May I offer you a drink, my lady?" prononça-t-elle avec un accent soi-disant britannique, pour faire rire Grace et faire remonter la barre de l'humour. Elle ouvrit le paquet de gâteau, en goûta un, et hocha de la tête, "Okay, that's actually not bad at all", en conclut-elle en tendant le paquet à Grace pour qu'elle goûte aussi.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyMer Mar 18 2020, 15:09


"Which character do you relate the most to? And who's your favorite character, even if they're super different from you? And the character you want to kill the most?" Elles en étaient rendues là, sur le banc de pierre qui leur gèle les fesses, à contempler ces statues terrifiantes en se demandant quel personnage elles préféraient dans la série Orange is the new black, et c’est l'incongruité de la scène qui fait tout son charme, présume Grace, parce qu'elle ne préférerait être nulle part ailleurs. Malgré la fatigue, l'envie de poser sa tête sur les genoux de Lola et d'y dormir encore une heure ou deux, ou peut-être trois semaines – elle ne serait pas contre non plus. “I guess I relate to Alex the most.” Le sourire qui menace d'éclore sur son visage prend une demi-seconde à se matérialiser : “Nah, that's a lie. I just wish I was a hot and badass as she is. I guess I kinda relate to Poussey. You know, she's just minding her own business, trying to become a better person.Falling in love with random straight girls, and then dying for no reason. 100% me.My favourite is Nicky, of course.” Sa réponse laisse entendre qu’il n’y a pas de meilleure option. (Peut-être à cause de Russian Doll.) “And the ones I want to kill usually die anyway. But probably fucking Larry, or Daya - wait, maybe she died too. Did she die? Anyway, I know the logical answer would be to kill the nazi methheads but I kind of liked their redemption arc.”  C'est marrant, c'est toujours les nazis qui ont le mauvais rôle, nous sommes en 2020, on peut avoir une deuxième chance, tout ça.

You? No, no, wait. Don’t tell me, I’ll guess. You relate to Soso, because she’s loving and caring but also fights for what she believes in and is horrendously underrated. Am I right ?” Elle a beau réfléchir, c’est le seul nom qui lui vient en tête - peut-être parce qu’il est corrélé à celui de Poussey, aussi, et qu’elle n’arrive plus à réfléchir outre mesure. “I bet your favourite character is Taystee. Or Red. Or I don’t know. You know, it really isn’t fair to let me guess cause all of them are lovely. And I bet my sweet ass that you’d kill Piper. No one likes Piper.

Elle se contente de ses conneries, peut-être parce qu’elle sent que les sujets suivants vont être plus corsés, moins léger, moins faciles à désamorcer si jamais l’ambiance se tendait. Mais même sur le sujet de son père, Lola détend l’atmosphère, sort quelques plaisanteries, tire Grace de son état d’alerte : “You’ve never had Tinder ? You’re missing out on so much.” Elle a peur qu’on n’entende pas assez l’ironie dans sa voix. “Downloaded it a few months ago. My only matches were with couples looking for a unicorn. I went on a date with a girl who seemed really nice. Turns out he was a dude who got the settings wrong. Deleted the app after that.” Imaginer son père, boomer de premier ordre sur une application de rencontre la faisait rire. Elles avaient déjà tenté d’échafauder un plan, avec Lena, avant de laisser tomber - leur père était décidément trop vingtième siècle pour faire des rencontres sur les réseaux, et trop absorbé par son intimité et par Chicken Salad, leur vieux berger. “Nah, he was a political journalist. Never really left the country, farthest he went was Hobart. I think it was the routine, the lack of adventure that made me want to leave.” Ses parents, si fatigués, si acharnés au travail que leur temps libre, ils préféraient le passer à se détendre - comment les blâmer ? Grace s’était vite sentie enfermée par cette inertie, par ce cadre imposé pour ne pas perturber l’aîné du trio, pour convenir à la petite dernière qui avait besoin de stabilité dans son enfance.

"But, so, like, if Alex comes out, would you, like, consider, um, getting back together with her?"

La question à un million est lâchée et Grace perçoit la peur manifeste dans la voix de Lola : elle ignore comment l’interpréter autant qu’elle ignore comment lui répondre de façon sincère et adéquate. Elle s’humecte les lèvres, un pli se creuse entre ses sourcils, comme si elle préparait au mieux sa réponse. “She had four years to come out and she didn’t. I don’t think this is gonna change anytime soon.” Et elle prévoit de s’arrêter là, elle prévoit sincèrement de se taire ; d’abord, parce qu’elle ne sait pas quoi ajouter, bien qu’elle y ait pensé des milliards de fois - tous les ajouts la rendent en colère, parce que toutes les possibilités la descendent plus bas que terre. Alexandria refait sa vie et fait son coming out pour quelqu’un d’autre : colère et désarroi. Alexandria revient et fait son coming out pour elle : sensation probante de s’être faite prendre pour une idiote. Ensuite, parce qu’elle n’a pas envie de s’étaler sur le sujet des exs avec Lola : que ça ait rapport avec leur relation friends-with-hand-holding-and-make-out-sessions, ou que ce soit purement pour éviter de s’éparpiller en sentiments mal placés face à une amie, elle n’en sait rien et d’ailleurs elle n’est pas sûre que ça ait de l’importance. Elle est pudique, Grace, avec ses peurs, ses échecs et plus généralement les émotions qui sortent du rang de l’humour et de la dérision. Or, avoir naïvement cru à un espoir entre elle et Alexandria pendant quatre ans était, à ses yeux, un de ses plus gros échecs.

We never really built anything together. I mean, as a couple. We never even talked about moving in together, or seeing each other more than twice a week. I wasn’t important enough for her to come out and to try to build something serious with me. I felt like some secret she was ashamed of, never like the woman she wanted to spend time with. That’s not what I look for in a relationship.

Et voilà qu'elle se retrouve quand même à en parler. Peut-être parce que ça lui pèse et qu'elle n'a jamais vraiment posé de mots sur son mal-être, toute occupée à combler celui d'Alex, qui ne pouvait vivre comme elle l'entendait avec personne qui lui soit cher, enfermée dans ses carcans de paraître et non d'être. Peut-être parce qu'elle veut rendre clair aux yeux de Lola que ce qu'il y avait entre elles est fini, bien qu'elle n'arrive pas à l'exprimer dans ces termes, que la peur d'une autre relation-échec lui bouffe encore toute volonté consciente de s'ouvrir à la possibilité de quelque chose de nouveau. Elle le pense, pourtant ; Alex a composé l'une des plus belles choses de sa vie d'adulte et elle n'en regrettait pas une seconde, mais les tableaux sur lesquels elles étaient avaient pris trop de distance pour être un jour réconciliables. Un an après la rupture, cette fatalité avait germé dans son cerveau et l'avait définitivement sortie de toute illusion de retour à l'ancien temps. Peut-être que ce n’est pas ce qui ressort exactement de sa réponse, alors elle serre à son tour un peu plus fort la main de Lola, juste au cas où. Puis elles se lèvent, et Grace lui retourne ses questions, parce qu’elles n’ont jamais parlé relations, ou rien qui s’en rapprochait ; tout ce qu’il y avait entre elles était bien niché dans cette espace confortable de non-dits sur lesquelles aucune n’était prête à poser des mots. Pas plus qu’elle ne connaît les peurs intimes de Lola, ou sa relation avec ses parents, et pourtant elle a plus envie que tout de tout s’avoir d’elle.

Elles marchent hors du jardin en direction du centre ville, d’un pas plus lent qu’en début de journée, parce que malgré la sieste, Grace a toujours un peu de mal à récupérer. Lola lui parle de ses relations, de Jordan et Rosa, d’un dénommé Yelahiah qui avait à peu près répété le même schéma que leur ami en commun et de Lola qui s’était habituée à être reléguée au second plan. “I'm a big fan of the idea that if things don't work out, then maybe it's simply because it's not meant to be”, intervient-elle une fois que Lola a conclu son récit, parce qu’elle ne veut pas la voir aussi défaitiste, aussi sûre de valoir si peu ; elle veut lui faire comprendre, aussi, qu’elle la veut près d’elle avec une violence impérieuse qu’elle ne s’explique pas encore tout à fait. “Don't get me wrong, I don't believe in destiny or soulmates, but there's a right time for everything. Sometimes you meet people and it doesn't work out because the timing is wrong for them. Or you. And then you meet someone who's exactly on the same page, and things finally do work out, maybe not for life, but for a while, and it's beautiful.” C’était peut-être peine perdue d’expliquer ça à quelqu’un qui avait constamment fini en seconde position. Elle tente de rattraper le coup : “What I'm trying to say is that things happen when you're ready for them. All in good time.

Une nouvelle réponse : Lola est bisexuelle, et même si elle aurait pu s’en douter, son passé avec les meilleures potes hétéros qui veulent bien tester alors qu’elles sont en couple l’a empêchée de considérer l’idée comme un acquis. “Don’t say that, I might never let go of it”, répond-elle pour l’histoire des mains, parce que celle de Lola est douce, et toujours chaude, et rassurante dans la sienne et qu’elle s’habitue bien trop vite au contact. Lola enchaîne sur ses parents, et les questions se bousculent aux lèvres de la photographe, toutes naïves ; comment peut-on se marier avec quelqu’un qu’on n’aime pas, rester et avoir des enfants avec eux, comment peut-on laisser son enfant endurer ça. “Aren't relationships about kindness, though? Kindness, patience – the kind of things we usually deny ourselves.” Elle a toujours les sourcils froncés, bouche en coeur sur sa clope. Ses parents absents, au moins, s’aimaient jusqu’à ce qu’ils arrêtent et Grace en avait tiré ses idéaux relationnels. Elle écrase son mégot dans le cendrier à l’entrée de la supérette et elles rentrent, munies d’un petit chariot qui a une tronche à se remplir en deux minutes et à se casser la gueule en déraillant. “Pasta, sauce, TP, breakfast, loads of alcohol.” Encore une fois, Lola se bat pour payer la moitié des courses et Grace, éternel paresseux trop lent à sortir son portefeuille, se fait encore avoir.

I don't think horses usually hug. Hey, wouldn't that be funny? If we're considering technicalities, though, sounds like a lot of cramps for very little satisfaction. Can you even pet someone’s back with a hoof?

Grace fait de son mieux pour alléger la conversation, alors qu’elles rentrent avec leurs sacs pleins et leurs jambes lourdes de fatigue. Puis : “You’ve never been in love?” parce que ça lui semble impossible que la douce, la merveilleuse, la belle Lola n’ait jamais été amoureuse, ou n’ait jamais provoqué d’émoi chez quelqu’un. “Awww, I’ll check under your bed tonight, I promise.” Retour à leur appartement, sombre dans le jour qui commence à baisser. “When I was a child, I was sure as hell I had telekinetic powers. That if I stared at the stoplights long enough, they’d turn to green. Interestingly enough, they always did. So I believed I had powers until I was twelve. Oh, I also thought Charlie Chaplin was Hitler.” Grace dépose son sac à dos vidé au pied de son lit, retourne à la cuisine pour aider Lola à ranger leurs dernières courses. “Fuck yes, let’s pour some Shnapps.” La bouteille de Fjallagrasa a le potentiel de leur durer toute la nuit, si elles s’y prennent bien. Elle saisit un gâteau au vol, sortant deux verres du petit placard, et le goûte à son tour : “Mmmmyeah, this ain’t no Tim Tam but it’s alright.” Elle pose les verres sur la table, laisse à Lola l’honneur d’ouvrir la bouteille et sert deux verres égaux. “You hungry? I can make some pasta with tomato sauce. My finest cooking, for your delight only.” La photographe conclut sa proposition par une courbette - elle ne sait absolument pas cuisiner quoi que ce soit de plus élaboré que ça. Elle fait trinquer son verre contre celui de Lola, boit une gorgée timide puis une seconde, plus osée. Grimace à peine exagérée, qu’elle cache en sortant une casserolle des placards sous l’évier. Remplir d’eau, couvrir, allumer le gaz.

So, hey, we never talked about Jordan.”

Pente glissante, mais la gorgée brûle-boyaux aidant, la jeune femme garde toute sa consistance. “So you were close to him during high school, right? He was actually a friend of mine through high school too. And college. Actually we’ve been close ever since we met.” Jordan, un soutien indéfectible, un des seuls amis d’enfance que Grace ait gardé au milieu de tous les changements de vie, les deuils, les accidents. “I had some friends from Gold Coast who moved to Brisbane to complete high school, and so I met Jordan through them.” Elle se retourne, s’adosse au plan de travail, verre à la main. “Anyway, I sorta ran into him the other night and we talked about you. I know you said you didn’t want us to, but-” Mais quoi ? J’avais besoin de parler de toi parce que j’arrêtais pas de penser à toi en plein milieu d’un speed dating, ce qui est quand même pas banal ? “But it kind of came up.” Va-t-elle vraiment mentionner ce qui l’a promptée à lui envoyer un message le soir de la Saint-Valentin ? Absolument pas. “Okay, look, if we’re about to get fucked up, let’s just take tomorrow morning off and go to the beach in the afternoon. Pretty sure we can catch some polar lights if we stay long enough. Whatcha think?” Mince espoir que les idées d’emploi du temps distraient Lola suffisamment longtemps pour qu’elle oublie le sujet on a parlé de toi avec Jordan à une occasion un peu floue que je ne veux absolument pas aborder avec toi. “Oh, I also want to visit an ice cave. And that yummy crater-lake. There are so many things I wanna see with you, but I also want to lay around doing nothing. Hey, how come you’ve never been in love? Is it because you never allowed yourself to? You can pretend I never said that and just tell me what you want to do tomorrow.” Coq à l’âne à la termite à l’éléphant dans la pièce : check.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptySam Mar 21 2020, 10:31


C'était tellement inattendu d'avoir un débat sur Orange is the new black au bout du monde, dans un jardin de sculptures vide de touristes pour une raison inexplicable, c'était bien ici, quand même, ce lieu étrange, hors-du-temps, qui les préservait dans une bulle où elles s'ouvraient l'une à l'autre, naturellement. Lola acquiesça au commentaire de Grace sur Alex : elle aussi rêvait d'être aussi fabuleuse qu'elle, mais il y avait un fossé gigantesque entre sa personnalité et celle de la prisonnière la plus badass de toutes. Elle ne l'interrompit pas sur Poussey, et ça lui coûta, mais elle voulait aller au bout d'abord. Nicky, bien sûr, un des meilleurs personnages de la série. Elle ne s'attendait pas à Larry et Daya, en revanche, et ça la fit rire que Grace les déteste autant.

Lola allait répondre lorsque Grace décida d'essayer de deviner. Elle l'écouta faire avec un immense sourire amusé, parce que les réponses n'étaient pas tout à fait justes, mais elles étaient si joliment énoncées. "Okay, not far, but kind of miles away. I relate to Red. It's insane and it makes no sense, but I have this need to control and improve what's happening. Most of the times, I don't act on it because, well, some people get angry at me for it. But I totally respect the way she handles the kitchen, how she actually cares so much about her loved ones, and about her job. I don't know. Is it weird?"

"My favorite character for the longest time was Lorna, because her story came as such a surprise to me. She was truly crazy, but also deeply touching. I don't know. The one I admire the most, though, is Poussey, so, hey, that would be you, then." Une façon détournée de lui faire un compliment. "And yes, I'd totally kill Piper. But also Vee. Mostly Vee. I hate Vee." Ce personnage avait tout gâché, tout corrompu. Elle avait fait du mal à des gens (certes, fictifs) auxquels elle tenait. Et, telle Red, elle n'avait aucune pitié dans ces cas-là : ouste, dehors, ça suffit.

Tinder, et la nervosité de Lola puis son soulagement lorsque Grace raconta ses expériences ratées avec l'application. Chaque mot venait confirmer un peu plus à quel point son interlocutrice était libre comme l'air, et à la recherche de quelque chose. Ca montrait aussi sa détermination à trouver une relation, les efforts qu'elle avait déployés. Et Lola ne ressentait que de l'admiration pour ça, parce qu'elle cachait si souvent sa tête dans le sable justement pour ne pas affronter sa peur de l'abandon. "Yes, clearly, I missed out", plaisanta Lola en hochant de la tête, l'air mi-sérieux, mi-hilare. Elle était ravie qu'elles puissent plaisanter sur ce sujet. Grace ne voyait en tout cas pas son père sur l'application. Lola fut surprise d'apprendre que ses parents étaient plutôt des gens sages et posés, pas des baroudeurs de la galaxie. Grace s'était construite en opposition, elle qui semblait provenir d'une continuité harmonieuse avec les générations précédentes.

Grace accepta de parler d'Alex, et Lola aurait aimé ne jamais poser la question, parce que sa réponse était ambivalente, indéterminée. Peut-être qu'Alex reviendrait. Ce n'était pas exclu. Et, d'après ce que racontait Grace, l'unique obstacle à leur relation avait été sa honte, son impossibilité de s'assumer, de faire son coming-out, de s'autoriser à vivre sa relation avec Grace comme elle aurait dû. "I'm sorry you went through that", dit Lola, et elle remarqua que Grace serrait un peu plus sa main, et elle fit pareil, et elles devraient se contenter de cela, de savoir qu'elles tenaient l'une à l'autre, et que si un jour le fantôme d'Alex faisait son apparition, elles ne pourraient qu'improviser à ce moment-là. Ce n'était pas rassurant, mais d'un autre côté, ce n'était pas comme si Lola allait s'éloigner de Grace à ce stade-là.

Sur le chemin du supermarché, Lola s'ouvrit sur ses insécurités, et elle eut un sourire attendri lorsque Grace y répondit par du réconfort métaphysique et philosophique, qui venait comme un baume sur ses blessures. Tout arrive pour une bonne raison. Le monde a du sens. C'était rassurant de voir les échecs sous cet angle-là, de ne pas prendre les absences personnellement, d'accepter que le temps a ses raisons que le coeur ne comprend pas. Ce qui eut un effet beaucoup plus direct sur l'humeur de Lola, et sur son rythme cardiaque, fut la boutade de Grace sur le fait de se tenir la main. Elle ne répondit rien, car sinon ça aurait donné quelque chose de l'ordre du then don't let go, just hold me close, hold me fast, hold me and we'll face the world together, one step at a time, and it will be new and scary and happy, and we will find ways, and I promise I will work on my intimacy issues, hell I'll even go to therapy again, I will make you happy, I will, just don't let go. Il était donc préférable qu'elle se taise.

Sur la bienveillance dans les relations, Lola haussa les épaules : "That's what my gut says too, but that's not what I grew up with." Peut-être que c'était pour cela qu'elle s'attachait tant à l'idée qu'Auden et Ginny vivent leur grande histoire d'amour, qu'elle voyait comme une épopée vieille de siècles et millénaires. Ils n'avaient rien de la douceur traditionnelle et rose des comédies romantiques, mais ils avaient de l'attachement profond, loyal, et irrémédiable l'un à l'autre. Elle se fit la réflexion que c'était dommage qu'ils ne puissent pas l'adopter (le gouvernement n'accepterait a priori pas qu'une femme du même âge qu'elle devienne légalement sa mère).

Les courses furent faites efficacement, parce qu'elles avaient hâte de rentrer et de se poser. Lola n'avait plus qu'une envie : c'était de passer un temps in(dé)fini dans l'appartement avec Grace, de continuer à discuter mais aussi de manger, boire, dormir, se tenir la main. Elle éclata de rire à l'image incongrue des deux équidés qui se réconfortaient, et dut admettre que, "Yes, that sounds rather unpractical", elle réfléchit, "It would be easier as Pegasuses, because then you could hug the other one with your wing", fait scientifiquement prouvé, oui, oui. A la question rhétorique du premier amour, Lola ne répondit pas : l'admettre une fois avait déjà été suffisamment gênant comme ça. En revanche, elle fut soulagée que Grace propose de vérifier pour les monstres : "Oh, thank you, thank you, thank you, I always have to do it myself, and it is kind of scary."

Chez elles, enfin. Et Lola en fou rire d'imaginer Grace convaincue que Chaplin et Hitler étaient le même être humain. "That's like the best compliment you could give to Chaplin, actually. Acting award." Au sujet des pouvoirs, en revanche, elle remarqua très sincèrement : "I do think you have magical powers. I'm not sure which ones exactly, but I believe that easily." Peut-être que Grace était une magicienne et qu'elle ne le savait pas. Peut-être que sa lettre pour Poudlard était arrivée à la mauvaise adresse (il n'y a que pour Harry Potter qu'on envoie six mille lettres avec une telle obstination).

C'était l'heure de l'apéritif, et du dîner, et de la sieste, tout à la fois, et Lola ouvrit la bouteille, Grace servit les premiers verres, et la soirée s'annonçait parfaite. "Yes, please, I am, as always, starving." Des pâtes sauce tomate, ça donnait envie à Lola de danser de joie. Elles trinquèrent et Lola goûta l'alcool local avec circonspection, et eut la même grimace que Grace. La nuit s'annonçait longue. Ou très courte : car il y avait un risque que le degré élevé les assomme en deux temps, trois mouvements. Mais les carbohydrates aideraient. Lola avait envie de proposer son aide à Grace pour les pâtes, mais ne le fit pas, car elle ne voulait pas que ce soit interprété comme : tu ne peux clairement pas le faire seule, je serai tes bras et tu seras le cerveau, ce qui était clairement sa hantise. En revanche, elle ne s'attendait pas au coup de boomerang qu'elle se prit en pleine face : Jordan. Lola resta complètement silencieuse, statue de sel, durant toute la tirade sur Fisher. Elle ne cilla même pas. Elle ne respira probablement pas. C'est elle qui avait dit qu'il faudrait en parler, mais là, c'était très réel, et - et ils avaient parlé d'elle ? Oh, good lord. Elle s'étouffa, ce qui avec un alcool aussi fort, est probablement dangereux, mais se reprit et remarqua le changement de sujet que Grace tentait d'opérer.

Lola se faisait inonder de sujets aussi incroyables qu'une grasse matinée, la plage, l'aurore boréale, une cave glaciaire, et un lac dans un cratère. "Wow, you'd really say anything to distract me from the fact that you and Jordan talked about me", plaisanta-t-elle, avec un grand éclat de rire. "The plan sounds perfect. You know I'll follow you anywhere." Elle eut un froncement de sourcils, parce que c'était vrai, et dans un sens beaucoup plus large que leur voyage en Islande, mais ce n'était pas le moment d'épiloguer. "What did he say? Cause I might have talked to him about you a little while back. Like not much. Definitely not much. But like what did he say, though?" Sa peur principale était que Jordan ait révélé à quel point il était évident que Lola avait des sentiments pour Grace. S'il avait osé, elle le crucifierait. Elle l'attacherait à une voiture et le traînerait le long du Hollywood Boulevard (pour que ce soit classe, quand même). Mais au fond d'elle-même, elle savait parfaitement qu'il ne l'aurait jamais trahie de cette façon. Qu'il avait dû rester vague. "I guess we both talked to Jordan about each other. And he might have been texting me since I got here. Teasing me about you. Maybe. Who knows. What?" Son sourire se démultipliait d'amusement et de gêne à la fois.

Ca l'apaisait de regarder Grace faire à manger. Elle continuait à boire son poison à petites gorgées, et elle aurait aimé savoir chanter pour lancer une petite mélodie. Grace revint sur le fait que Lola n'était jamais tombée amoureuse, et notre peintre prit une grande bouffée d'oxygène avant de s'aventurer à répondre. "I'm honestly not sure. I think the walls I built are so high that they don't really let people in. I have friends and coworkers and stuff, but I don't actually tell them about what keeps me up at night, or how my heart's been broken into a billion different pieces." Jusqu'à Grace. A qui elle disait tout, soudainement, pour aucune raison identifiable. Lola leva les yeux vers le plafond, perdue dans le passé. "I don't think you can fall in love if you're barricading yourself against danger. There is danger in love, that's just a fact. You might get heartbroken. And my guess is that I had not met anyone who I was ready to take that chance for." Had? Lola était si joyeusement dans le déni qu'elle ne remarqua même pas ce que sa formulation impliquait. "Wait, did you say ice cave? Like we go inside a cave and there's ice? Can we ice-skate? No, that makes no sense. But how do we not slip and fall?" Oui, elle changeait officiellement de sujet, mais ce n'était même pas exprès, c'était juste que son esprit était revenu dessus.

"I'm so excited to sleep in tomorrow, though, and then to go to the beach, that's basically a horizontal day, like a vacation day for our little legs." En plus, elle pourrait en profiter pour écouter de la musique avec Grace, lire à ses côtés, lui poser soixante-treize questions gênantes, lui tenir la main (ça revenait sans cesse dans son esprit, sans doute parce que les deux mains de Grace étaient occupées à faire la cuisine, et certes elle avait faim, mais il y avait des priorités). Les pâtes furent enfin prêtes, et Lola se jeta comme un loup affamé dessus. "Mhmmmm, c'est trop bon", et elle ne se moquait pas, elle était ravie du dîner. Elle entrecoupait son envie de tout dévorer d'un coup - voire de soulever l'assiette et juste la vider dans sa bouche - de gorgées de schnapps. "Je suis assez convaincue qu'ils utilisent ça pour tuer des insectes aussi. Et des rats." Ce qui ne l'empêcha pas de les resservir toutes les deux, puisqu'à y être, autant tout donner.

Il n'y eut pas de négotiation possible à la fin du dîner : Lola fit la vaisselle. Son incapacité à profiter de la vie avec un évier plein se confirmait année après année - preuve, si vous voulez mon avis, qu'elle était similaire à Red. Elle prit son téléphone et lança l'album Abbey Road, des Beatles, parce qu'elle se sentait d'humeur légère et joyeuse. Elles emportèrent la bouteille et allèrent se poser sur leur lit simple respectif, et Lola se sentit étourdie par toutes les possibilités qui s'offraient à elle. Elle pouvait certes nier ses sentiments de plus en plus profonds pour Grace, mais il n'y avait aucun moyen de se cacher à quel point elle éprouvait un désir évident de l'embrasser et de la prendre dans ses bras. Donc, bien sûr, elle ne fit rien du tout. Elle resta assise là, à déglutir comme un koala avec une angine. "Grace", dit-elle d'une toute petite voix, "est-ce que tu peux venir près de moi ?", et ses yeux étaient baissés vers ses mains qui se tortillaient l'une dans l'autre. Elle devenait abyssalement timide à chaque fois qu'il s'agissait d'un contact physique avec Grace spécifiquement. Ca ne lui était jamais arrivé avant, et elle n'y comprenait rien, mais elle avait envie de ce rapprochement sans parvenir à bouger elle-même d'un pouce.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptySam Mar 21 2020, 17:07


Elles rentrent et Grace, à travers sa fatigue, commence à se dire que non, ici rien n’est normal, que l’univers a arrêté de tourner sur cette île qui semble sur une autre dimension de la leur, et en même temps que tout est à sa place. Leurs discussions n’ont aucun sens, leur nouvelle proximité n’est pas de celles auxquelles l’une ou l’autre sait s’accoutumer avec aise mais tout semble trouver étrangement sa place dans ce quotidien si loin du leur. Grace ignore ce qu’elles rapporteront de tout ça en Australie, si le retour à la vie de tous les jours leur laissera des doutes sur ce qu’elles ont commencé, sur leur ouverture, qui a toujours fait partie d’elles mais jamais à ce point. Pour l’heure, Grace est ravie de se pencher sous le lit de Lola pour en chasser les monstres, de savoir qu’elle s’identifie à la droiture et à la loyauté de Red et qu’elle trouve Lorna touchante et son histoire injuste, malgré les meurtres, les fausses-fausses couches et tout ce qui allait avec le personnage. Lola, qui avant était si réservée quant à son passé, à ses émotions, lui a parlé de ses parents, de ses premiers amours qui n’en étaient pas, et c’était sûrement ce qui avait permis à l’aînée d’aborder le sujet Jordan sans plus de complexe, tout en se gardant de la réserve pour contourner le sujet speed dating : elle n’avait pas spécialement envie d’admettre qu’elle y avait été pour contourner les pensées envahissantes qu’elle subissait et qui concernaient toutes Lola.

"Yes, please, I am, as always, starving."

Elles trinquent leurs verres de Schnapps islandais et font un concours de grimaces imprévu, puis Grace s’esquive pour cuisiner ses fameuses pâtes. “Hey, so you said I had powers”, qu’elle lance en réunissant les ingrédients, regard en arrière taquin en direction de la jeune femme. “Telepathy is overrated, watch me make pasta with one hand. Edward Cullen ain’t shit.” Elle préfère en rire, toujours, d’autant que l’AVC lui donne une magnifique excuse pour son incapacité chronique à cuisiner : elle ne peut pas tellement faire de plats compliqués, et généralement, rapprocher ça de son accident suffit aux gens pour la prendre au sérieux et ne pas se douter qu’elle a déjà brûlé la hotte de ses parents en essayant de faire des pâtes sans eau. La photographe fait chauffer l’eau, ouvre la canette de tomates pelées, et profite d’être dos à Lola pour lâcher la J-bomb. Puis renonce, puis y retourne, se perd dans ses questions puis se fait magnifiquement rembarrer par Lola. “Oh fuck right off. I tried and it was an honestly good attempt.” Ca la fait rire, aussi, de réaliser que maintenant, tout est tellement transparent que les précautions sont superflues. Ce qui n’empêche pas Lola de craindre ce que les deux amis ont pu dire à son propos, ni Grace de réprimer un sourire amusé face à ses justifications. Jordan n’avait que répété les termes de Lola, de la façon la plus honnête qui soit ; malheureusement pour la concernées, celles-ci en disaient déjà assez long.

He barely said anything, honestly. Just that you mentioned me and that we were friends.”

Toujours rien, ni sur le contexte, ni sur ce qu’elle avait pu dire, ou sur les réactions de Jordan lorsqu’elle avait mentionné quelqu’un qu’il connaissait et qu’il avait immédiatement deviné qui. Lola conclut qu’elles ont toutes les deux parlé à Jordan, et que Jordan est d’ailleurs présentement plus ou moins en train de lui parler d’elle par message, et Grace a l’esprit entre deux sujets lorsqu’elle relance, se détournant de son eau bouillante pour observer la jeune femme, l'espace d'un instant : “I told him I had feelings for you.” Qu’on soit clairs : malgré sa réputation de tête brûlée, Grace n’avait osé le dire qu’à l’aide de quelques gorgées de Schnapps et, surtout, parce qu’elle était parfaitement consciente de la réciprocité de la chose. Ca n’avait jamais été dit ou acté, parce qu’elles ne parlaient jamais de ces choses-là, preuve ultime en était qu’elles avaient fait abstraction du baiser de la veille jusqu’alors ; mais c’était suffisamment clair pour qu’elle n’estime pas la chose taboue. “And also that I felt like such a child for not daring to send you one dumb text on Valentine’s Day.” Elle le dit plus bas, avec un sourire d’auto-dérision clair, parce qu'elle aurait horreur d'en faire quelque chose d'important, de central, de cérémonieux – Lola n’a pas besoin d'en savoir plus sur sa confusion ; juste savoir que Grace avait eu du mal à gérer ses émotions était déjà bien suffisant. “He obviously made fun of me and you'll obviously hear about it for months before he moves on. Just so you know.” Au moins, si Jordan échappait quoi que ce soit, elle se serait couverte d'avance. Sauf pour sa présence à un speed dating – honteux, mais gérable. Reprise d'un aplomb nouveau, Grace retourne à ses pâtes et relance le sujet sur les activités du lendemain, et sur le fait que Lola n'ait jamais été amoureuse ; et un peu les deux, au choix. Lola lui répond, cette fois. Lola voit l'amour comme un danger et un risque qui n'est pas à prendre avec le premier venu. Or Grace, fidèle à elle-même, n’avait jamais vu l’amour comme un danger davantage que comme une énième aventure, et en entendant les mots de Lola, qui la touchent plus personnellement qu’elle ne l’aurait pensé, elle se fait la réflexion que celle-ci n’a peut-être pas tout à fait tort. “That’s a prudent way of looking at it”, approuve-t-elle, toute à sa sauce tomate. Comment l'en blâmer, elle qui n'avait vu aucune démonstration d'amour dans l'enfance, et à qui on avait préféré deux personnes par le passé ? “I’m sorry, though. We can't ice skate in an ice cave. You remember that scene in Ice Age, the one where the dumb kid falls into a pit? Well ice caves here are mostly the same, only without the dinosaurs. Which is both a shame and a scam, if you ask me.” Elle en est rendue à mélanger la sauce agrémentée de sel et de poivre avec les pâtes quand elle élabore un peu plus : “And I guess you can't fall because millions of humans have been there. Which doesn't make the activity new and exciting, but I still like the idea that Manny and Sid were once there, looking for the idiotic child.” L’âge de Glace avait été le dessin animé préféré de Lena avant qu'elle ne devienne ado, et Grace avait été tenue de regarder cet enfant débile (contre lequel, au cas où, elle tenait beaucoup de rancœur) enchaîner ses conneries des dizaines de fois.

Elle ramène les pâtes sur la table, avec des assiettes et l'assortiment de couverts, et le duo profite du premier vrai repas qu'elles font depuis leur arrivée – entre la dégustation au bar et les repas de Tim Tams, leurs ventres n'avaient pas été exactement comblés ou habitués à une régularité. “Je pense pas qu'on puisse se baigner demain, par contre. Sauf si t’as envie de tester un bain de glaçon.” Elle se fait la bête réflexion que c’est peut-être comme l’UTOH, que ça rajeunira ses cellules et elle décide de mettre son maillot quand même, au cas où. Le dîner, elles le passent en silence, si ce n'est pour préciser que le Schnapps peut sûrement même tuer un mammouth (pour retomber sur la métaphore filée âge de glace) et une fois terminé, Grace se motive même à ranger un peu les pulls qui traînaient déjà partout, histoire de contribuer alors que Lola fait la vaisselle. Elles battent en retraite sur les lits, mort-au-rat comestible entre les bras, et Grace remarque que l'alcool est déjà un peu monté. “Fan des Beatles, hm ?” dit-elle de sa voix un peu retardée par l'effort, alors que Octopus’s Garden entame ses premières notes. “J’ai toujours préféré The Who.” Ca règle le battle Stones VS Beatles, au moins. “T’as une playlist de tes chansons préférées ? Ou de chansons qui te rappellent des moments importants de ta vie ?” Parce qu'elle, personnellement, ne passait pas des heures par semaine à en créer selon l'humeur, du tout. La photographe replie sa jambe gauche sous ses fesses et laisse pendre la droite au bord du lit, tapant le haut de la bouteille en verre de ses ongles. Le silence se fait, comblé par la musique, mais pas suffisamment. Elles sont happées par celui-ci, par tout ce qui passe à l'intérieur, et c’est Lola qui décide encore de le concrétiser :

"Grace, est-ce que tu peux venir près de moi ?"

L’intéressée hoche vivement la tête, déglutissant avec peine. Elle remercie le seigneur qu'elles aient finalement opté pour ne pas décaler les lits, parce que ça lui évite de devoir gigoter d'une fesse sur l'autre pour rejoindre Lola, comme elle l’a fait tout à l'heure quand celle-ci pleurait. Elle n’a qu’à pousser un peu sur son pied pour se retrouver face à Lola, et son genou touche le sien, et d'un coup c’est déjà beaucoup d'émotions dans l’atmosphère chargée. Elle reprend à peine son souffle pour relever le visage de Lola et trouver ses yeux. Malgré l'échange, malgré sa respiration un peu irrégulière, elle garde la conscience aiguë qu'elle se sent impuissante et si petite dans les yeux de sa vis-à-vis. Sa main est toujours sur son menton, remonte à sa joue, la caresse de son pouce. Elle n’ose même plus la regarder dans les yeux ; et ses yeux à elle sont déjà trop bas. “Je peux t’embrasser ?” Elle demande, jamais sûre, de sa voix un peu étouffée, sifflante. L'alcool semble rendre tout possible, mais cette fois, elle ne pense plus en terme d’inconséquence. Elle n’a pas envie que tout ça cesse d'exister le lendemain matin. Quand elle reçoit une réponse affirmative de Lola, cette fois, elle prend le temps, évite de se sentir dépassée par ses émotions, par ses envies. Leurs lèvres se retrouvent comme si elles n'avaient pas cessé de se chercher, toutefois, et l'envie rattrape vite ses promesses de patience. Sa main tombe jusqu'au cou de Lola, et elle veut s'empêcher d’agripper sa nuque pour se rapprocher d'elle, mais elle ne le fait pas. Elles ne sont pas assez proches, jamais assez, et la main qu'elle laisse tomber sur sa cuisse, pressante, ne l'aide pas à se rapprocher de la jeune femme. Ça la frustre, cette distance ; encore plus de savoir qu'elle doit d’exhorter à la maintenir, qu’elle n’a qu'une main alors qu'elle aimerait que l'autre puisse passer dans les cheveux de Lola, la rassurer, frôler sa joue à nouveau.

Elle ignore depuis combien de temps elles s’embrassent, parce qu'elle n'entend même plus la musique sous les battements de son cœur et sous la chaleur qui a engourdi tous ses membres de la plus douce des façons. Tout ce qu'elle entend, c’est un signal d'alarme sous la forme d'un gémissement qui sort de sa gorge, l'arrache à Lola en une demi-seconde : s'arrêter, avant que ce soit trop, que ça fasse trop d'émotions en un soir, pour l’une comme l'autre.“Putain, c’est pas facile pour tout le monde”, qu’elle lâche enfin à mi-voix, dans un rire un peu cassé, frottant ses yeux de sa main pour se sortir de leur bulle. “Tu veux venir ? Je vais fumer.” C’est une excuse comme une autre.

***

Cette nuit-là, c’est Grace qui a du mal s’endormir, parce que Lola est tout contre elle, tête sur son épaule et dans son cou, et que l'alcool a rendu sa perception du mouvement floue et la tête lui tourne encore. Qu'il y a trop à quoi penser, de toute façon. Parce qu’alors que Lola est complètement détendue, endormie bien avant elle, s’immisce dans sa tête l'idée que l'amour est effectivement un danger et que toutes les barrières érigées pour empêcher une histoire de commencer après Alexandria sont déjà tombées : elle est entièrement vulnérable et parfaitement éprise.

Elle se réveille par soubresauts jusqu'à ce que la lumière du jour la tire pour de bon de son sommeil éclectique : Lola est toujours dans ses bras, dans la même position que celle adoptée la veille au soir, mais sa respiration n’a plus la même régularité : elle est déjà réveillée. “Bien dormi ?” lance-t-elle en guise de bonjour, pour signaler qu'elle ne dort plus, non plus. “T’as faim ? Parce que je suis sûre que je peux faire un truc qui tue avec le restant de sauce tomate, du beurre et des toasts. Niveau jus de fruit, il nous reste le Schnapps.” Elle s'étire dans un sourire encore endormi, puis se retourne en un mouvement sur le côté, posant sa main droite comme elle le peut sur la taille de Lola. “Je peux t’embrasser ce matin, ou la communauté scientifique d'hier soir doit aller retrouver celle d’avant-hier pour un congrès inédit ?” Un sourire taquin joue sur ses lèvres, puis disparaît de lui-même alors qu'elle observe les traits de la plus jeune. Elle l’a toujours trouvée jolie, Lola, elle a toujours ressenti cette attirance qu'elle savait mettre sur le compte de tout et rien parce que la simplicité était telle que ç’aurait été insultant de ne pas la prendre – et surtout, ç’aurait été trop gênant, vis-à-vis de Jeremy, et ça l'était toujours, mais il ne lui était pas venu en tête depuis la veille. “Je vais faire du café. Et des toasts. Sans tomate, hein. Tu préfères du thé ? Des trucs au chocolat ? Je ramène les trucs au chocolat quand même.” Elle se lève délicatement, pour ne pas déranger Lola ou briser l’instant. L'eau de la cafetière chauffe vite, elle trouve un petit plateau pour poser deux tasses, beurre rapidement des toasts, embarque les gâteaux au dernier moment et revient prendre sa place sur le lit simple d'un bond. “Tadam”, annonce-t-elle, cérémonieuse. “On peut regarder un truc et se rendormir après le petit-déj. Ou on peut partir maintenant, et se rendormir sur la plage.” Il n'existe pas d'options qui n'inclue pas la possibilité de se rendormir à tout moment et avec le confort maximal. “T’as déjà vu Happy Together ? Oh, ou sinon, tes playlists. Ou tes dessins.” Elle la fixe très sérieusement, hochant la tête pour elle-même : “Je veux te dessiner.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyLun Mar 23 2020, 20:53


Grace se faisait passer pour le héros de Twilight, et Lola riait tellement qu'elle commença à avoir le hoquet. "Oh no, your powers gave me the hiccups", se plaignit-elle immédiatement, avant de boire une bouteille d'eau entière pour faire passer la malédiction. C'était de la magie noire, en fait. Lola se félicita d'avoir réglé ce problème-là aussi efficacement. Ce qui est intéressant, c'est que pas tous les sujets se règlent ainsi. Par exemple, pas celui de Jordan. Et surtout, surtout pas celui, gigantesque, sur lequel Grace mettait enfin des mots. "I told him I have feelings for you." Au niveau corporel, ça fit une décharge électrique : Lola se redressa immédiatement, et sans faire exprès ça fit racler la chaise sur le sol, donc elle grimaça à cause du bruit, puis se rendit compte qu'elle ne respirait pas, donc posa sa main sur sa poitrine pour relancer le système, se pinça les lèvres, haussa les sourcils, et ne parvint à arrêter le tsunami qu'en expirant profondément et très lentement. "Right", répondit-elle, et certes, c'était la réponse la plus nulle du monde, mais vous l'excuserez, parce qu'elle a été prise par surprise (pas du tout, ça faisait des semaines que ça venait, mais bon, on se trouve les excuses qu'on peut).

Et le texto de la Saint-Valentin. "I spent that day waiting for a text from you." Elle fronça les sourcils. Elle en avait soit trop dit, soit pas assez. "I know I could have sent one, obviously. I just..." Rien. Il n'y avait aucune explication ou justification. Elle avait attendu un message de Grace. "I was so happy when you messaged me. It really made my day. I mean, my evening." Elle tentait de se rattraper aux détails, de dire des choses cohérentes, et c'était de pire en pire, résultat. Et Jordan s'était moqué de Grace. "Oh, he made fun of you? Wow. He threatened to kill me, I think. I don't remember. It was long back. In December. When I told him we were friends and he didn't believe me." Elle était au maximum de ses possibilités là, elle donnait entre les lignes, elle n'arrivait pas à dire les mots, ils étaient là, mais elle n'y arrivait pas, c'était bloqué entre des années d'incertitudes et de peurs.

Parler du film de Blue Sky Studios était tellement plus simple. "I loved that movie so much. All of them, actually. I cried so much when the dad and his daughter got separated, I think that was the third one. And my favorite character is Diego. Cause I love irony and stuff?" Grace, moi aussi j'ai des sentiments pour toi, c'est pour ça que je te raconte autant de détails, que je dis que j'ai pleuré, que je parle de mon personnage préféré, c'est pour te faire comprendre, tu comprends ? "On peut tester la baignade en glaçon, mais je pense que juste la plage, ce sera déjà parfait", déclara-t-elle, en tentant de son mieux de faire taire sa voix intérieure qui se débattait pour parler tout haut.

Elles s'installèrent sur le lit, et Lola sentit le plus vieux débat musical du monde sur le point de débuter, mais en fait non, car Grace avait l'originalité d'aimer un troisième groupe, et ça, c'était la classe. "J'adore cet album, surtout, je l'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup, beaucoup écouté. Je ne connais pas trop les Who, tu me montreras ?" Oui, elle pourrait l'écouter seule, mais elle avait envie de le faire avec Grace, comme à peu près toutes les activités possibles et imaginables, depuis le saut en parachute jusqu'à binge-watcher toutes les séries dans le top 100 britannique (les Brits sont les seuls qu'on peut croire sur les séries, c'est un fait). "J'ai tellement de playlists, c'est hyper important pour moi. Comme tu poses la question, j'imagine que toi aussi ?" Une activité de plus dans la bucket list, qui s'allongeait et s'étirait, tandis que le coeur de Lola se rétractait : elle s'apprêtait à poser de vrais mots, des premiers, sur son besoin d'avoir Grace proche d'elle.

Lola hocha de la tête tellement vite lorsque Grace demanda si elle pouvait l'embrasser qu'elle eut un début de rire aux lèvres, immédiatemment arrêté par leurs corps qui entraient en contact. Le souffle court de suite. Jamais ça ne lui était arrivé. Jamais il n'y avait eu cette évidence lorsque ses lèvres rencontraient d'autres lèvres. Le feu d'artifice mental reprenait, mais cette fois, le baiser dura suffisamment longtemps pour que les trompettes puissent devenir violon, puis piano, puis orchestre, puis pour que toute image et son disparaisse, pour que Lola ne connaisse du monde que la douceur du visage de Grace entre ses mains, que la chaleur dans son propre corps, que les battements de son coeur qui se bousculaient au balcon. Lorsqu'enfin elles arrêtèrent, et qu'il s'était passé à la fois une seconde et trente mille années-lumières, Grace proposa d'aller fumer et Lola acquiesça distraitement. Elle la suivit dans le froid de la nuit, et elles y restèrent le temps exact de la cigarette, avant de se réfugier dans la chaleur de la maison.


*


Lola se réveilla dans les bras de Grace, une fois de plus, mais c'était complètement différent : elle avait dormi, d'un sommeil pur, entier, complet, profond, léger. Elle ne fit aucun mouvement pour que ça dure un peu plus longtemps, mais Grace remarqua qu'elle était réveillée. "J'avais raison, tu es une sorcière." L'idée d'un petit-déjeuner était très attrayante, mais honnêtement moins que la proximité de leurs corps. Grace eut à peine le temps de faire une blague sur la communauté scientifique que Lola l'embrassait de nouveau, et dans sa tête ça allait être d'une tendresse infinie, mais dans la réalité, il y avait un tel désir en elle qu'elle dut s'arrêter après quelques secondes, hébétée. Elle eut un grand sourire amusé. "Bon, c'est- Je- Je n'ai aucun contrôle sur moi-même." Elle se laissa retomber sur le lit, à moitié décédée de bonheur. Grace partait déjà préparer le petit-déjeuner, et Lola se dit qu'elle lui devrait un million de repas en échange, parce qu'elle serait capable de se laisser mourir de faim tellement c'était son coeur qui la portait et pas son cerveau.

Le plateau de petit-déjeuner était parfait. Grace était parfaite. Lola avait perdu tout sens d'objectivité sur l'univers et les êtres humains. "Merciiiii", chantonna-t-elle ravie, avant de voler un dernier baiser à Grace. Okay, petit-déjeuner, concentration. Avec un peu de chance, le thé parviendrait à la calmer.

Grace donna une liste de plans possibles, et Lola hésitait grandement. Tout avait l'air merveilleux (oui, on l'a perdue). "Je n'ai pas vu Happy Together. C'est un film que t'aimes bien ? J'adorerais le voir avec toi, mais à Brisbane. Je n'arrive pas à m'imaginer regarder un film alors que je suis au bout du monde, tu vois ce que je veux dire ?" Peut-être pas, peut-être qu'elle passait juste pour une imbécile. "Je propose qu'on se fasse chacune écouter une playlist sur la plage. On y sera mille ans de toute façon. Se rendormir là-bas a l'air très, très, très chouette comme idée." Mais d'abord, le petit-déjeuner. Lola croquait dans un toast tout en enfilant son pull blanc. Elle but une gorgée de thé et enfila un deuxième pull. Ah, d'accord, elle comptait partir vraiment juste après le petit-déjeuner, en fait. Elle dévora un Tim Tam en laçant ses chaussures. Puis elle termina son thé, assise sur le lit, les yeux dans le vague. "Je voulais te dire un truc. Les mots, ça va me prendre du temps. Je t'ai entendue hier. Et je veux juste que tu saches que ça viendra. Mais que ça va prendre un tout petit peu de temps." Pour une fois, elle ne s'excusait pas ; elle expliquait, juste, pour s'assurer que Grace ne soit pas là à se poser la question, pour que tout soit dit et clair. La communication, tout ça.

Lola fit un tour dans la salle de bains pour se brosser les dents, les cheveux, se laver le visage, les mains, et en ressortit comme un nouvel être humain. Elle fit la vaisselle et retrouva Grace devant la porte.


*


Allongées sur la plage l'une à côté de l'autre, Lola et Grace fermaient les yeux. Le portable posé entre elles jouait de la musique : c'était la playlist de Grace qui commençait. "C'est ta playlist pour quelle humeur, celle-là ? Tu me racontes un souvenir par chanson ?" C'était ambitieux. Mais c'était une façon idéale d'apprendre à se connaître, car Lola ne se lassait jamais de tout ce qu'elles partageaient. C'était si nouveau pour elle, si étrange. Et le lendemain soir, elles prenaient l'avion. Et sans que Lola puisse rien y faire, le compte à rebours commença en elle. Plus que 36 heures. Son coeur se serra rien que d'y penser, et sa main alla trouver celle de Grace.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyMar Mar 24 2020, 18:59


"Right", c'est tout ce que répond Lola, et Grace n'a pas besoin de la scruter pour savoir que c'est par gêne, et pudeur, plus que par dépit. Alors elle ne demande pas, ni n'attend de réponse – elle continue simplement à parler, parce qu'elle a rarement besoin qu'on lui manifeste de l'attention pour poursuivre ses soliloques, et surtout pour ne pas s'embourber dans un silence embarrassant. Elle lâche tout : avoue que Jordan s'est (très gentiment) moqué d'elle, et qu'il y avait de quoi, parce qu'elle avait débattu pendant si longtemps pour envoyer un bête message qu'elle en avait risqué la syncope ; et qu'elle ne savait plus quoi faire d'elle-même face à Lola, parce que ça lui prenait trop d'énergie de se montrer raisonnable face à elle. Tout ça sort en filigrane sous des mots plus ou moins cohérents – elle a conscience de s'y perdre, mais elle se bat pour donner le change. "I spent that day waiting for a text from you." Une réponse, enfin, et Grace s'autorise à lâcher le soupir qu'elle réprime depuis qu'elle a commencé à trop en dire. “Yeah?” qu'elle demande, un peu plus timidement qu'elle ne l'aurait voulu. C'est jouer, à ce stade, parce qu'elle s'en doutait un peu. Et c'est tout aussi stupide que ça lui fasse autant plaisir, alors que la Saint Valentin n'a pour elle rien d'un événement. Mais le monde a la fâcheuse habitude de marcher sur la tête quand elle est avec Lola, et elle commence à trouver ça agréable.

Wait, why would he threaten to kill you?

Bien sûr que Jordan ne l’avait pas crue, et jusque-là c’était très peu difficile à concevoir - de là à imaginer celui-ci menacer Lola, cependant, il y avait des lieues, voire des continents, surtout pour une telle raison. En dix ans, le duo avait développé une certaine protectivité l’un vis-à-vis de l’autre, de façon plus que compréhensible - tous les deux écorchés par la vie à la même époque, arrachés à ce qu’ils connaissaient sans pouvoir revenir en arrière, ils avaient été le soutien principal l’un de l’autre. Elle imaginait que, ces défis surmontés avec une peine encore vive, ils avaient pu, peut-être, jusqu’à un certain point, devenir un peu trop protecteurs l’un envers l’autre. Ce qui était surtout étrange, et inconcevable, c’était que Jordan puisse menacer Lola plutôt que Grace - elle avait tellement peur de brusquer ou de blesser la plus jeune par inadvertance qu’elle s’imaginait difficilement l’inverse. Ainsi, elles repassent sans plus de débat sur l’ ge de Glace, puis sur The Who, et sur les playlists, et Grace laisse les choses faire, parce qu’elle commence à comprendre comment Lola fonctionne sur ce point précis : elle favorise les gestes aux mots, et ce n’est pas grave, parce qu’il y a tant de façons d’exprimer ses émotions que c’est injuste de la part de Grace de ne pas essayer de comprendre son langage à elle - elle ne le réalise que maintenant, alors que Lola lui dit quelque chose et lui montre tout l’inverse, assise sur son lit, les yeux pleins d’une timidité si évidente qu’elle ne la réprime même plus.

Elle se demande combien de temps ça va prendre avant de s’habituer aux baisers de Lola, et si une telle chose est même possible - plus le temps passe, moins elle en est sûre, parce qu’elle arrive de moins en moins à canaliser ses émotions. Elle se revoit, à bêtement se sentir vexée en imaginant Lola occupée pour la Saint Valentin, à connement jalouser ce fruit de sa propre imagination, à se morigéner de ne pas avoir osé plus tôt alors même qu’elle n’en était absolument pas prête. Ce voyage entier avait été un saut dans le vide, une main tendue sans savoir si elle allait être rattrapée - elle déteste réaliser son retard sur ses propres sentiments autant qu’elle adore se faire dépasser par cette vague de sensations. Son coeur pourrait aussi bien exploser en cet instant que ça n’aurait presque aucune importance - elle aurait ressenti, elle aurait osé se laisser aller, elle aurait connu un peu de Lola que peut-être personne d’autre ne connaissait, et dans le petit monde où elle s’était enfermée, ça dépassait déjà tous ses espoirs.

***

T’as pas besoin de te contrôler, tu sais ?

Elle manque de laisser tomber le beurre par terre tant ses mains sont fébriles - elle pourrait attribuer ça au manque d’exercice auquel elle déroge ces derniers jours, mais la raison de sa faiblesse est assise en tailleur sur le lit simple qu’elles ont partagé cette nuit, les cheveux en bataille et l’air complètement reposée. Cette dernière l’embrasse quand elle revient et Grace a du mal à ne pas lui demander davantage d’attention encore - elle pourrait passer leurs deux derniers jours à ne rien faire d’autre qu’embrasser Lola de toutes les façons qui puissent exister (elle est prête à googler), et ce serait franchement dommage, même si elle n’en pense pas un traître mot. Elle doit s’astreindre au calme, à la raison, à proposer des activités diverses et variées pour se détourner de ses envies déraisonnables. “C’est un film de Wong Kar Wai, un réalisateur hongkongais. Il fait des films…” Elle a besoin d’agiter ses mains pour essayer d’exprimer ce que le réalisateur lui inspire. “Des trucs géniaux. Il faut absolument que tu voies. À Brisbane, alors. Tu viens chez moi quand ?” Elle est partie pour ne plus en rater une jusqu'à la fin du séjour, et c’est très mal la connaître d'imaginer qu'elle s'arrêtera en si bon chemin.

"Je propose qu'on se fasse chacune écouter une playlist sur la plage. On y sera mille ans de toute façon. Se rendormir là-bas a l'air très, très, très chouette comme idée."

Grace hoche la tête avec vivacité avant de prendre sa première gorgée de café de la journée, se réinstallant confortablement sur le lit simple - elle n’a pas envie de se presser de quitter cette bulle, parce que se dépêcher veut dire que c’est officiellement leur troisième jour ici, qu’il leur reste un jour et demi, et qu’il faut profiter de tout avant de devoir rentrer, et elle se sent si bien dans son déni qu’elle n’a pas envie de redescendre tout de suite. Visiblement, Lola ne l’entend pas de cette oreille, bien déterminée à profiter autant qu’elle le peut, s’habillant déjà entre deux bouchées de toast. Le pull blanc de Grace disparaît à nouveau sous un autre pull : “Je le reverrai jamais, ce pull, c’est ça ?” Elle invoque une moue triste pour cacher son rictus amusé et sembler crédible, sans trop réussir. Lola semble ne l’entendre qu’à moitié, perdue dans ses pensées alors qu’elle termine de lacer ses chaussures. "Je voulais te dire un truc. Les mots, ça va me prendre du temps. Je t'ai entendue hier. Et je veux juste que tu saches que ça viendra. Mais que ça va prendre un tout petit peu de temps." C’est au tour de la photographe de la fixer sans rien dire, toute à sa confusion. Elle laisse les mots monter pour les interpréter, immobile et tasse de café vissée dans la main. Et pour une fois, elle qui en dit toujours trop, elle qui a toujours besoin de communiquer, se contente de répondre : “Je sais”, et de se rapprocher de Lola pour poser ses lèvres délicatement contre sa joue, pour faire passer tout le reste : elle sait, et elle non plus, n'est pas prête à en dire davantage, à aller plus loin, à donner à ce qu'elles ont créé un cadre, alors ses peurs ont pris le même corps que celles de Lola. Ainsi soit-il : qu'elles partagent tout mais qu'elles ne disent rien, et pour cette fois, elle promet de ne pas s'en offusquer.

***

Je crois que j’ai jamais eu aussi froid sur une plage”, déclare-t-elle lorsqu’elles arrivent enfin à contourner le petit muret de pierre pour aller s’installer sur le sable.

En bonne Australienne, ça la perturbe de voir la neige et la mer se mélanger avec la plus profonde indifférence, sans égard pour le froid qui congèle leur nez et les force à se cacher dans leurs vestes. Le temps est gris, rappelant ton sur ton la poudreuse qui clairsème le sable jusqu’à ce que le sel la dissolve. Elles se posent en plein milieu, et Grace les recouvre du plaid qu’elle a roulé dans son sac à dos. Comme promis, elle lance sa playlist en premier. Son Spotify en est rempli : une par mois, parfois, ou au moins une par saison, ainsi qu’une par humeur, une par genre musical, une par voyage quand elle en a l’occasion. Elle se demande quelles chansons resteront de ce voyage. Elle se promet d’envoyer le résultat quel qu’il soit à Lola, une fois qu’elle l’aura faite. “C’est la playlist que j’ai pas mise à jour depuis que je suis arrivée à Brisbane. Y a un peu de tout depuis un an environ, parce que j’ai pas eu le temps de trier.” Elle a même des playlists pour ranger les chansons pour lesquelles elle n’a pas encore de playlist. “Un souvenir par chanson ? Ca va faire long.” Mais elle se prêtera au jeu quand même.


Ca, ça me rappelle quand je faisais les trajets en train pour mes séances à l’hôpital de Brisbane. J’étais toujours avec Jeremy, et c’était toujours l’aventure parce qu’il adorait prendre le train. Normal, c’était pour aller te voir.” This Feeling des Alabama Shakes résonne à leurs oreilles, à peine gâchée par le bruit des vagues. “Moi, j’aimais beaucoup moins. Pas seulement parce qu’on allait te voir ; surtout parce que ça me stressait. J’avais toujours peur qu’il se passe quelque chose. Comme si le fait d’être un hôpital, ça te préparait déjà au pire, quelque part.” Parce que pouvoir invoquer l’illusion que tout allait bien n’était plus possible : on vous rappelait sans cesse que tout n’allait pas bien, sinon vous ne seriez pas là. On vous le rappelait notamment en vous parlant fort, comme si vous aviez eu un AVC de l’oreille et pas du corps entier. Ca, rajouté au supplice de voir Jeremy si impatient de retrouver quelqu’un qui n’était pas elle, mais qu’il traitait quand même comme sa meilleure amie, si ce n’est sa soeur, ça lui faisait beaucoup par semaine. La chanson s’enchaîne sans aucune cohérence avec I got you babe, d’Etta James (et non de Sonny et Cher, on n’est pas des chiens). “Je suis sûre que tout le monde a celle-ci dans au moins trois de ses playlists, mais pour moi, ça représente quand j’étais gamine et que je devais garder Lena et Jeremy. Lena était encore toute petite, elle se ruait partout et ça rendait Jeremy dingue, je résistais pas deux heures avant d’éprouver la folle envie de me pendre. Puis un jour, cette chanson est passée à la télé, et je sais pas, mais ça a captivé Lena, et au lieu de courir partout elle a dansé sur place, et Jeremy a arrêté de vriller sur elle, et ça a été la paix. Donc je la passais en boucle quand je devais faire la cuisine, et j’avais enfin le temps de respirer.” Ca la fait rire, en rétrospective, d’imaginer Lena courir partout en couche, essayant de grimper sur tous les meubles pour mieux en sauter, mais à l’époque, elle avait voulu vendre sa petite soeur et son frère aîné plus d’une fois sur Craigslist. “Comme Heather Harris. Tu connais Heather Harris, la blonde, celle de Disney Channel, là ? Ils étaient amoureux d’elle. Transis. Tu pouvais pas leur parler pendant l’émission. Elle concourt contre toi dans la catégorie des personnes préférées de Jeremy.

C’est la première fois qu’elle repense à Heather depuis leur soirée ensemble, et ça lui paraît encore plus incongru de la rapprocher de sa fratrie. Faute de pouvoir faire autrement, son sourire en l’honneur du bon vieux temps reste plâtré sur son visage - plus rien à faire. September Song d’Agnes Obel passe, et elle parle de son envie d’apprendre le piano, qui n’a jamais rien donné tant elle était mauvaise pour la coordination entre ses mains, qui lui rappelle cette montagne qui borde Tegucigalpa et de laquelle on peut voir toute la ville, et où elle s’est vraiment autorisée à pleurer pour la première fois depuis son départ de chez elle. Une tristesse à rebours, pense-t-elle sans le dire, lourde du manque de sa famille et de Chicken Salad, de Jessian qu’elle n’avait jamais osé pleurer parce qu’elles n’avaient jamais été quoi que ce soit qui justifie des larmes. En rétrospective, elle aurait dit à son elle de vingt-trois ans à peine de se donner le temps d’être triste, parce que c’était important de se laisser ressentir, que la relation ait une étiquette ou non. A Lola, elle préfère dire que c’était une ville magnifique, et que c’était la première fois de sa vie qu’elle s’était véritablement retrouvée seule face à elle-même.

Me Enamoré de Shakira passe, et Grace quitte un instant son sérieux : “Elle, elle s’est perdue au milieu.” A song for you, de Donny Hathaway, remplace rapidement le reggaeton, mais Grace hésite à remettre la voix tonitruante de Shakira. “C’est un vieux truc. On chantait ça en duo, des fois, avec Alexandria.” Trois règles quand la chanson commençait : se percher sur un fauteuil, un siège, une table ou n’importe quoi en l’air, attraper le premier objet en forme de micro pour créer l’illusion, et tenir la chanson entière en imitant le maximum d’instruments entre deux paroles. Elle attend la chanson suivante sans trop dire mot, se contentant ça et là de contenter sur le bruit alentour. “Amy Winehouse. J’adorais cette chanson, parce que je me disais qu’en me passant ça le matin et le soir dans mon appart, j’aurais pas trop peur de la solitude. Et au final, je l’ai tellement mal vécu que j’arrive même plus à écouter la chanson.” Pourtant, elle était convaincue que la thérapie par Wake Up Alone servirait à quelque chose - nada. Puis Fly me to the moon, de Bobby Womack, et l’hésitation qui précède le sourire. “Ca, mon cerveau l’a associée à la première fois qu’on est sorties et qu’on a pris une cuite.” Elle serre un peu la main de Lola dans la sienne, tout en découvrant une nouvelle façon de la voir, à laquelle elle n’avait jamais vraiment pensé : “T’étais la première personne à laquelle je me liais vraiment sur Brisbane, et ça m’avait fait du bien d’avoir quelqu’un de qui je me sentais proche, une attache.” C’est un peu triste, dit comme ça - exceptions faites de Jordan et Gaïa, qu’elle connaissait depuis l’adolescence, et de Sixtine, qu’elle voyait surtout à l’hôpital, elle n’avait eu personne pendant des mois. Peu d’envie de rester. Lola avait contribué à lui en donner. “Tu sais, ça faisait vraiment longtemps que je m’étais pas rapprochée de quelqu’un, et je me sentais tellement seule dans cette ville. C’est pour ça, aussi, que ça m’avait vexée que tu me ghostes pendant deux mois.” Elle en plaisante, ne manque jamais une opportunité de lui rappeler combien elle la trouvait épatante, mais Lola avait brisé un peu de sa carapace de solitude après leur premier verre ensemble, si bien que Grace ne s’était pas attendue à devoir la reconstruire immédiatement après. Elle avait d’autant plus mal vécu la solitude qu’elle s’était attendue à revoir la jeune femme vite.

A ton tour”, annonce-t-elle à la fin, presque fatiguée de l’effort du récit. “Et une question, avant : ce moment”, qu’elle rajoute, “si c’était une chanson, tu l’appellerais comment ? Ou plutôt, tu penses à quelle chanson, quand t’es ici ?

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyJeu Mar 26 2020, 14:32


Il y a des sentiments qu'on a envie de vivre en silence, parfois, sur lesquels on ne veut pas mettre des mots trop vite, car ce serait des mots à-côté, ce serait des pirouettes. L'émotion profonde qui envahissait Lola face à l'aveu de Grace, c'était quelque chose qu'elle voulait garder encore un peu pour elle-même, un trésor, une poignée de sable qu'on contemple dans sa main. Le fait que Grace ne pose pas de questions, ne la pousse pas à se révéler trop vite, à inventer un langage pour exprimer ce qu'elle ressentait, la remplit de soulagement, et augmenta encore un peu son admiration envers son interlocutrice. Elle aurait détesté être mise face à tant d'incertitude ; pourtant, elle savait qu'elle l'aurait accepté, elle aussi, pour Grace, uniquement pour elle, qu'elle aurait accueilli son silence.

"Jordan and I both know you're a unicorn. He was just doing his duty by threatening my life. I've never been the most... stable, when it comes to, well, pretty much anything, really." Lola avait pris le temps de réfléchir après sa conversation avec Jordan, car elle non plus ne voulait pas prendre le risque de blesser un être aussi merveilleux que Grace. Elle avait fini par se réconcilier avec l'idée que ça n'arriverait pas, qu'elle ne lui ferait jamais de mal exprès. On ne peut pas prévoir les accidents et les intempéries, mais elle ferait de son mieux pour ne jamais provoquer elle-même de la peine chez Grace, c'était tout ce qu'elle pouvait se promettre. "I have no intention of hurting you", conclut-elle, résumant en quelques mots des semaines de réflexions.


*


"T'as pas besoin de te contrôler, tu sais ?" Lola eut un sourire gêné, parce qu'elle ressentait très clairement le besoin de maîtriser son corps, son coeur et son cerveau. Bon, ça marchait de moins en moins bien, mais elle essaierait jusqu'au bout. Elle n'osait même pas imaginer ce qu'il se passerait si elle se laissait aller, si elle improvisait. Telle qu'elle se sentait, ça donnerait peut-être des déclarations sans queue ni tête, des promesses éternelles, des baisers à n'en plus finir et une grève de la faim s'il fallait s'arrêter pour cause de décomposition des lèvres. Non, il valait mieux qu'elle reste sur ses positions en tant que général de guerre du contrôle de soi.

Wong Kar Wai. Lola n'en avait jamais entendu parler, mais le nom glissait dans son cerveau comme une valse de couleurs. Grace demanda quand elle pourrait venir chez elle, et Lola répondit instinctivement : "Demain." Elle eut une seconde de réflexion, puis éclata de rire. "Non, demain, ça n'a aucun sens, on sera dans l'avion." Elle mit sa main sur son visage pour cacher sa gêne. "Et après-demain, il faudrait que j'aille chez moi pour faire une lessive, ranger mes affaires, et dormir avant de retourner à la galerie. Ah, et il faut que je te dise un truc. Tu sais, ma boss et amie Ginny, je t'en ai parlée, elle va venir me chercher à l'aéroport avec sa soeur. C'est comme ma famille. Et, comment dire. Jill peut être très... protectrice, et... méfiante. Du coup, je préférerais ne pas te présenter tout de suite, tout de suite, après vingt mille heures d'avion, et tout." Elle était dévastée de parler du retour, et encore plus de devoir évoquer le moment où elles se diraient au revoir. "Je te les présenterai quand tu viendras à la galerie, et qu'on sera reposées et prêtes à affronter l'interrogatoire. Et ne t'inquiète pas, je te préparerai." Elle hocha la tête farouchement. Il y aurait besoin de répétitions, comme pour la première représentation d'un spectacle sur Broadway. "On se dira au revoir aux bagages à l'aéroport, et je te laisserai passer avant, comme ça tu seras en sécurité. D'accord ?" Et Lola tentait de cacher la détresse qu'elle éprouvait à dire tout cela, mais elle savait que ça se voyait sur son visage. Elle prit Grace dans ses bras, puis prit une grande inspiration, et façonna un sourire aussi joyeux que possible. "Tout ça pour dire que je peux venir chez toi après-après-demain, si t'es disponible."

Cela lui fit du bien de se préparer pour la journée à la plage, de se concentrer sur des actions présentes, des gestes du quotidien, tout pour arrêter de penser au lendemain. "Quel pull ?", plaisanta Lola, en le recouvrant complètement d'un pull bleu nuit. Comme par magie, le blanc avait disparu.


*


Pour Lola, qui n'avait connu que les plages d'Océanie, celle d'Islande était pour le moins surprenante. La palette de couleurs tenait plus du noir et blanc que du jaune et bleu. C'était comme une baignade dans un film de Chaplin. Elle avait observé les alentours avec étonnement et confirmé le froid évoqué par Grace d'un hochement de tête. L'opération bronzage en bikini était rayée de la carte.

La playlist de Grace était parfaite, et ses souvenirs aussi. Lola fut heureuse de traverser des souvenirs avec elle : les trajets avec Jeremy, les visites à l'hôpital, les trois frères et soeurs qui grandissaient. Ce fut un peu plus douloureux de l'imaginer avec Alexandria en train de chanter et de s'amuser. Ce le fut nettement plus lorsque Grace évoqua sa solitude lors de son arrivée à Brisbane. Et il y eut un décrochage complet de sa mâchoire lorsque leur rencontre rima avec Fly me to the Moon. Si elle avait été seule, si elles avaient eu cette conversation au téléphone, Lola aurait bondi partout dans son appartement. Etant donné qu'elles étaient allongées sur une plage dans le froid, elle se contenta de sourire comme jamais en fixant le ciel de ses yeux ravis.

"Je suis désolée d'avoir disparu aussi longtemps, je suis un peu lente pour certaines choses." Elle ne le vivait pas dans la honte ou la culpabilité, car elle savait qu'elle aurait été invivable si elle s'était forcée à revoir Grace plus tôt, ça l'aurait faite vriller, mais elle tenait à s'excuser quand même. Ca n'avait pas dû être facile pour la jeune femme de se retrouver seule dans une nouvelle ville. "Là, tout de suite, comme ça, j'entends Chasing Cars de Snow Patrol dans ma tête." If I lay here, if I just lay here, would you lie with me and just forget the world? Le bruit des vagues. Le vent froid sur le visage. La main de Grace dans la sienne. Le ciel nuageux. La horde d'oiseaux sauvages qui volaient au-dessus d'elles. Lola prenait des photos mentales. Clic, clic, clic.

Elle déverrouilla son téléphone et ouvrit une playlist. "C'est ma playlist paisible. Quand tout devient trop chaotique, et que j'ai besoin de me souvenir de qui je suis. Je ne sais pas si ça fait sens." Hey there, Delilah, des Plain White T's. Lola eut un sourire nostalgique. "Ma chanson des premiers mois d'université. J'avais passé les derniers mois du lycée à parler à aussi peu de personnes que possible. Et je suis arrivée en fac de psycho, et mon objectif restait le même. Apprendre, repartir. Mais j'ai rencontré Julia et Matthias. Deux imbéciles finis qui sont devenus mes meilleurs amis pendant plusieurs années." Jusqu'à ce qu'elle couche avec Matthias après avoir promis à Julia qu'elle ne le ferait jamais. Mais ça, ce serait une histoire pour une prochaine fois. "Ils vivaient en colocation dans un petit appartement, et la première fois qu'ils m'ont invitée, ils ont mis cette chanson, et je ne l'avais jamais entendue avant, et je suis complètement tombée amoureuse de la guitare et de la voix et des paroles. Et je l'ai rejouée cinquante fois, et ils n'en pouvaient plus, et ils étaient morts de rire. Ils m'ont appelée Delilah pendant des mois après ça." Lola n'avait pas repensé à eux depuis longtemps, principalement parce que ça la ramenait d'habitude à beaucoup de culpabilité et de regret.

Get around town, de Revolver. Lola pouffa de rire. La première boum de Patrick à la maison, ses amis du collège, et Lola, toujours à l'école primaire, qui observait tout depuis les escaliers avec admiration et timidité. "Mon grand frère fêtait ses 12 ans. Les parents l'avaient obligé à m'inviter et m'avaient faite promettre d'être sage." Oui, il lui avait fallu obtenir un carton d'invitation, même s'ils habitaient dans la même maison. Lola, sept ans, dans une robe jaune et blanche, avec des barrettes dans les cheveux : tout un numéro. "Mes parents avaient payé un DJ pour mettre de la musique. Et il était clairement d'une autre époque, rien ne parlait aux gamins, mais il ne lâchait pas sa ligne. Et puis il a mis cette chanson, et là je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai complètement adoré, et j'ai bondi sur la piste de danse. J'étais comme une furie de bonheur. Patrick ne m'a pas adressé la parole pendant une semaine après ça. Pas un mot." Ce qui la faisait beaucoup rire, parce que ça n'avait été qu'un bonus de l'incident.

Transatlanticism, de Death Cab for Cutie. Lola jeta un regard gêné à Grace. Ca la gênait d'évoquer ses ex devant elle. Mais elles y étaient, et elle adorait cette chanson. "Yele vivait à l'internat de la fac de médecine. Et il y a un matin, il avait un examen, et il m'a demandée de le retrouver à la cafétéria pour l'aider à réviser, à 7h. J'avais pas beaucoup dormi, parce qu'on parlait tard au téléphone ensemble. Et à 06h30, j'ai mis un énorme sweatshirt de Poudlard (si tu me demandes ce que c'est que Poudlard, je retire cinquante points à ta maison, je te préviens) et je suis sortie de chez moi. Le jour se levait à peine. Il n'y avait personne dans les rues. Comme si j'étais le dernier habitant de la planète, ou le premier. C'était tellement doux. J'étais bien. Et j'écoutais cette chanson pendant le chemin, en marchant." Tout son corps se détendait rien qu'à y penser. Il y avait eu un tel apaisement, au-delà de tout, une sérénité, tout simplement.

She will be loved, de Maroon 5, et Lola appuya immédiatement sur chanson suivante. "C'est privé, ça, c'est ce que j'écoute quand je me dis qu'un jour moi aussi j'aurai une vraie histoire d'amour, c'est gênant", débita-t-elle très vite. Summertime, la version chantée par Ella Fitzgerald et Louis Armstrong. "Ahhhhh", lâcha Lola en soulagement absolu de bonheur complet et parfait. "Bon, bah, ça, c'est la foi en l'humanité faite chanson." Elle parlait peu car Ella et Louis faisaient bien le travail. "C'est même pas un souvenir en particulier, c'est..." Il n'y avait pas de mots. Elle écoutait les arrangements instrumentaux, la richesse des deux voix, l'élégance et le charme uniques, sensuels, créatifs, surnaturels, du chef d'oeuvre. "J'ai toujours l'impression de l'écouter pour la première fois. C'est comme si je n'arrivais pas à croire que cette chanson existe pour de vrai." Elle eut un sourire embarrassé. Elle espérait que Grace ressentirait aussi la magie absolue qu'elle éprouvait. Sinon, elle pourrait toujours faire la danse du pigeon pour passer au sujet suivant tranquillement.

California Dreamin', des Carpenters. "Ah, mais ça", s'enthousiasma Lola, et déjà elle se levait, et faisait voguer ses bras au-dessus d'elle au rythme de la chanson, comme si elle était au concert, et puis l'intro finissait, et elle se mettait à danser, "ça, c'est juste pour s'agiter chez soi comme ça, inutilement, bon ou dans la rue, hein, ça m'est arrivé, aussi, ça remet les neurones en place." Et la chanson se finit, et Lola s'allongea de nouveau, collée à Grace, front contre front, yeux dans les yeux. "Il y a plein de différentes couleurs dans tes yeux", lui chuchota-t-elle. As much as you lead, de Lex Land. Le silence entre elles tandis que la chanteuse s'occupait de dire tous les mots : "I know that tomorrow you could walk away from me in a second flat, but if I ever left you I'd always come back." Lola eut un sourire. Elle avait peur, encore et toujours, mais le bonheur qu'elle ressentait dépassait désormais de loin le besoin de fuir.

"On dort ?" demanda-t-elle en chuchotant, puis elle prit Grace dans ses bras. Elles se tiendraient chaud. Elle avait bien dormi, mais elle voyait bien que Grace avait besoin de se reposer encore un peu. Et de sentir leurs respirations ainsi, elle se cala sur celle de la photographe, et Morphée la rattrapa à son tour.

Deux silhouettes endormies sur une plage islandaise.

Au réveil, un temps indéterminé plus tard, Lola laissa Grace continuer sa sieste, tandis qu'elle se relevait et allait se promener le long de la mer. C'était la première fois qu'il y avait plus de dix pas entre elles depuis leur décollage de Brisbane, et rien que ça, c'était légèrement douloureux, comme une piqûre pour une prise de sang. Lola fronça les sourcils. Elle ne comprenait rien à ce qui se bousculait en elle. Elle remit la playlist de l'apaisement et marcha une heure dans le paysage, solitaire, se retrouvant peu à peu. Sleep, des Dandy Warhols ; Dreams, des Cranberries; Sparring Partner, de Paolo Conte.

Lorsqu'elle revint réveiller Grace, elle était tout à fait sereine. "Viens, j'ai trouvé un dessin sur le sable." C'était un soleil géant qu'elle avait tracé du bout de sa chaussure. Elles s'installèrent le long d'un de ses rayons, et Lola tendit son carnet et ses crayons à Grace. "Tu disais que tu voulais me dessiner. Tant que j'en ai le courage..." Elle n'avait jamais été dessinée. Elle avait toujours refusé. Etre observée n'était pas commode. Mais c'était le voyage de toutes les exceptions.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyVen Mar 27 2020, 20:05


Grace n’était pas d'une nature angoissée, encore moins organisée ; les après lui importaient toujours peu du moment qu'elle savait qu'ils venaient : elle avait les bagages qu'il fallait pour les appréhender sur le coup, et l’imprévisibilité des choses était aussi ce qui leur donnait toute leur saveur. Elle avait toujours vécu au jour le jour, parce que la projection était soit décevante, soit gâchait carrément la surprise. Ça, c'était avant l'accident qui l'avait forcée à considérer chaque acte sous tous les angles pour ne plus se mettre en danger. Ça marchait sous bien des aspects : les sorties, la consommation de substances, les aventures loin de chez elle. Le lâcher-prise était revenu très lentement, et le voyage en Islande était la plus belle et la plus grande preuve qu'elle pouvait reprendre sa vie sans avoir peur de mourir à chaque instant. C’est pour cette même raison qu'elle évite de penser à l'Australie et à tout ce qui est en train de se passer outre-mesure. Or à présent, l'idée du retour commence lentement à faire son chemin dans le cerveau de Grace – pas comme une fatalité, mais plutôt comme une angoisse supplémentaire. Parce qu'elles le mentionnent, et Lola lui apprend qu'elle se fait récupérer par Ginny et Jill, qu'elles risquent de montrer les crocs, et que les présentations ne seraient pas idéales. Or, Grace n’a jamais, jamais pensé aux présentations.

Ah, c'est mon tour de me faire menacer de mort, donc ?

Elle en rit, mais ça l'aide surtout à cacher son angoisse, bien réelle et surtout montante à mesure que Lola tente de la rassurer en lui disant qu'elle la préparera. Parce que Grace n'a, de fait, jamais été présentée à personne (c’est bien le seul avantage à n'avoir été qu'avec des femmes encore cloîtrées dans le placard), encore moins à des amis qui sont comme une famille, et ne sait donc absolument pas comment s'y prendre pour être appréciée. Ce n'est jamais vraiment une question qu'elle a eu à se poser tout court, d'ailleurs, parce que son premier instinct était de se faire remarquer, en bien ou en mal, et donc d'être aussi exubérante qu’humainement faisable ; là, son instinct lui souffle que ce ne sera pas la démarche à suivre. Et être sage, pour elle, c’est presque contre-intuitif. Le fait que Lola panique presque davantage qu'elle ne gâche absolument rien, et Grace se retrouve à affronter sa grimace de malaise seule. Éternelle salvatrice, Lola la prend dans ses bras et lui tire un nouveau sourire : “Après-après-demain, c’est parfait.

***

Cette envie enfantine et irrépressible d’enlever ses chaussures pour agiter ses doigts de pied dans le sable lui vient presque comme une démangeaison – sentant déjà le vent glacial lui griffer les mollets, Grace s'en garde bien, mais l'envie n'est pas moins prégnante. La musique résonne autour d'elles et déjà, le regard de la jeune femme se perd dans les nuages. Elle raconte ses souvenirs tantôt avec un voile de tristesse, tantôt avec le plus large des sourires, ne quittant pas le ciel des yeux, sans un égard pour son portable alors que la playlist se terminait enfin. Lola s’excuse de son absence après leur entrevue, et se rappelle à son esprit leur inimitié historique (et franchement idiote, il est important de le souligner) : elle se redresse et, pour la première fois, Grace observe Lola avec sérieux et confusion, cherchant à comprendre comment elle avait pu autant craindre et exécrer cette femme qu'elle regardait aujourd'hui avec autant d'affection. “Non, c'était con de te le reprocher. T'avais tes propres problèmes.” Elle le garde pour elle, mais elle était déjà trop heureuse que Lola soit revenue, même deux mois plus tard. Cette dernière lui donne la chanson à laquelle elle pense, là, maintenant, et Grace hoche la tête dans le silence soudain sur la plage, imagine la chanson par-dessus le bruit des vagues. De ce moment rien ne dépasse, rien ne déborde, si ce n’est son coeur, l’éternel indiscipliné.

Puis c’est au tour de Lola, et l’aînée garde un sourire étiré sur ses lèvres tout au long de ses histoires, regard toujours rivé vers les nuages mais pensées perdues. Elle a envie de demander où sont tous ces gens dont elle lui parle ; Matthias, Julia, son frère aîné dont elle n’avait jamais entendu parler jusqu’à présent. Elle imagine Lola avec des couettes dans les cheveux, haute comme trois pommes, sauter aussi haut qu’elle le peut devant le DJ, au grand dam de son frère. “Ton frère avait aucun goût musical”, rit-elle en direction du ciel - pour la défense du pauvre Patrick, elle n’était pas sûre qu’un ado puisse imaginer pire DJ à sa boum. “T’avais quel âge ?” Elle veut l’image la plus précise possible. Lola évoque son ex, et Grace apprend à le connaître à travers ses mots - surtout, elle imagine Lola presser le pas pour le retrouver, retenant sa joie de déborder, et l’idée la fait sourire. “Figure-toi que si, je me rappelle de ce qu’est Poudlard. J'ai toujours pas fini le tome 2, d’ailleurs, mais je sais de quelle maison je suis. J'ai fait le test, et tout. Mais tu sais déjà sûrement de quelle maison je suis aussi.” Bien sûr, qu’elle était Poufsouffle, et bien sûr qu’elle avait fait le test exprès pour se parer à une possible question de la part de Lola - ce qui était typiquement un comportement de Poufsouffle, d’ailleurs, mais qu’importe, le test était forcément faussé, elle l’avait fait un soir d’intense fatigue et elle se revendiquerait Serpentard quoi qu’on en dise.

La playlist de Lola poursuit, indifférente aux rafales et aux commentaires qui ponctuent leur passage, et Grace s’émerveille de tout ce qu’on peut apprendre d’une personne rien qu’au travers des chansons qu’elle écoute et les souvenirs qu’elle y associe. Grace, elle, n’arrivait pas à associer le jazz à quelque chose d’autre que le summum du classe et de l’inatteignable, les scènes les plus bouleversantes des films classiques et les émotions les plus indicibles - quelque chose que le commun des mortels ne pouvait qu’espérer frôler du doigt. Un art à comprendre, mais jamais à s’approprier - ce serait le désacraliser. La chanson change, puis Lola se lève d’un bond, et à l’intro, Grace ne comprend pas trop le principe - puis la musique s’accélère, et Lola aussi, et elle ne peut que rire, parce que c’est exactement comme ça qu’elle aurait imaginé Lola danser dans la rue, si celle-ci lui avait dit. Tout aussi vite, Lola s’allonge à nouveau près d’elle et colle son front au sien. Elles sont tellement proches qu’elle peut sentir sa respiration - et Lola peut sûrement sentir la naissance du rire au creux de son ventre : “C’est pas des hallucinations parce que t’as sauté partout ?” Mais déjà sa main frôle son dos, sans égard pour le fait qu’elle ne la sentira sûrement pas par-dessus les deux pulls et la veste, et remonte à sa nuque, qu’elle caresse du bout des doigts. “Et c’est quel souvenir, cette chanson ?” demande-t-elle tout aussi bas, presque timidement, comme par peur de briser l’instant si elle s’aventurait un décibel plus haut.

Lorsqu’elle se blottit dans les bras de l’artiste, Grace ne sait toujours pas vraiment dans quel bonheur elle nage. Calée ici, tout proche de son cou, elle peut sentir l’odeur douce et rassurante de sa peau. Elle n’essaie même pas de maquiller son sourire débile en s’en rapprochant un peu plus - elle reste comme ça, qu’importe si Lola la voit au plus niais d’elle-même, et elle s’endort avec ce léger sourire comme pour terminer sa nuit.

"Viens, j'ai trouvé un dessin sur le sable."

Elle émerge et n’a aucune idée de pourquoi Lola n’est plus à côté d’elle, ni de l’heure qu’il est ou encore de comment Lola a trouvé un dessin alors qu’elles étaient encore en train de dormir la seconde d’avant. Grace pousse un grognement désorienté, s’étirant dans ses couches pulls-vestes pour se tirer de l’emprise du sommeil. Ses yeux sont encore tout petits quand elle se hisse sur ses pieds, et elle suit Lola au radar, enfant grognon qu’on a tiré trop tôt de sa sieste. Il faut que Lola la fasse s’asseoir et lui annonce qu’elle est prête à être dessinée pour que le visage de Grace s’éclaire et elle saisit les crayons et le carnet qui lui sont tendus avec un enthousiasme renouvelé. “C’est vrai ?” Elle n’en revient toujours pas. La jeune femme se redresse, s’assied plus confortablement et se racle la gorge, comme pour se préparer à un discours. Et après tout, c’est une grande tâche qui lui est confiée. Elle fixe alors Lola, mimant les gestes qu’elle l’a déjà vue faire quand elle dessinait - plisser les yeux, allonger un peu le cou, mimer les premiers traits à un demi-centimètre de la feuille… “Avant toute chose…” Elle prend sa voix grave, solennelle, serrant le crayon de papier entre ses doigts comme pour se préparer. “Rappelle-toi que ça fait que deux ans que j'apprends à manier ma main gauche. Et en fait, même avec la droite, j'ai toujours été une brêle en dessin. Ne te sens pas insultée si le résultat est affreux, c'est absolument pas personnel.” Satisfaite, elle hoche la tête - maintenant que tout futur problème est évacué, elle peut commencer à dessiner.

Mais Grace est une élève dissipée, Grace fronce les sourcils quand ses traits ne font pas exactement ce qu’elle veut, Grace a la motricité fine d’un enfant de huit ans qui tient encore sa cuillère dans son poing pour boire sa soupe, et entre deux coups de crayon elle s’éparpille. “Tu l’as vraiment trouvé comme ça, le soleil ?” Elle se pince les lèvres, lève un instant le visage vers le ciel, puis retourne à son dessin. Les traits lui paraissent grossiers, trop loin de la réalité, mais elle ne se décourage pas, elle préfère faire avec ce qu’elle a plutôt que de recommencer. Le résultat, forcément, n’est pas très concluant. “Tu rigoles pas, hein ? J’ai pas ton talent. En fait, tu ressembles à un pingouin dans Happy Feet.” Elle rit déjà elle-même quand elle lui tend le carnet - il n’y a rien de réussi sur son dessin, pas même un coin de lèvres, et ce n’est pas faute de les avoir étudiées. “Je suis sûre que même les yeux fermés t’aurais fait mieux.” Elle tape sa main contre sa cuisse gauche : “Donne-moi une feuille. On va se dessiner l’une l’autre les yeux fermés. J’afficherai ça dans mon appart. Sauf si tu veux le mettre à l’exposition, ça me va aussi.” Toujours faire plus de souvenirs, coûte que coûte, parce que tout instant lui semble précieux et que l’heure tourne.

Elle range les deux dessins dans son sac à dos, soigneusement, retrouve son sérieux sous le sourire qui perdure. Elle s’est traînée jusqu’à Lola sur les fesses, pour venir s’asseoir près d’elle, contempler un peu plus le paysage en retrouvant sa main. Son regard alterne entre tous les éléments qui composent la nature devant elle, et, immobile sur leur rayon de soleil partagé, Grace se rappelle d’une scène d’un film, ce film où on peut se faire effacer la mémoire après une rupture trop difficile. Du sentiment de plénitude des deux protagonistes, une fois - puis une seconde, où la peur est présente, toujours, mais Clementine rassure Joel, lui dit que la couche de glace ne se brisera pas sous eux ; ou peut-être qu’elle le fera, que la relation ne fonctionnera pas, mais c’était une de ces choses de la vie qu’on ne pouvait prévoir à moins de les laisser arriver. Elle s’était toujours identifiée à Clem avant de devenir Joel. “Tu as vu Eternal sunshine of the spotless mind ?” demande-t-elle distraitement entre deux traits, le nez tantôt collé à sa feuille, tantôt s’attardant sur Lola - elle essaie de faire son nez avec le plus de justesse possible. “J’ai du pleurer cinquante fois devant ce film.” Des torrents de larme pour ce qu’elle considérait la plus belle et la plus triste des histoires d’amour, rien que ça. “Bref, aucun rapport, mais ça me fait penser à la scène sur la plage.” Qui ne dira certainement rien à Lola, dans l’hypothèse qu’elle n’ait pas vu le film. “Ils sont seuls au monde, et tout a l’air de leur appartenir. Ils rentrent dans une maison qui n’est pas la leur, mais elle n’est à personne non plus. Enfin, c’est compliqué à t’expliquer, mais ils sont hors du temps, et pourtant leur temps est toujours limité, ils doivent courir après pour se retrouver.” C’est terrible, parce qu’ils ont tant de choses à se dire mais pas le temps de le faire. Grace, elle, réalise qu’elle a tout le temps du monde, que sa mémoire ne va pas s’effacer dans les minutes à venir et qu’elle portera le souvenir près d’elle, quelle que fût la suite - la fragilité de l’instant la touche quand même, parce qu’elles aussi, sont au milieu de nulle part, et elles ne le seront sans doute plus jamais. Elles emporteront le dessin, les souvenirs, mais en Islande il ne restera rien d’elles. La seule trace de leur visite ne sera palpable que par elle, dans un coin de leur mémoire qui s’effacera avec les années.

On se baigne ?” demande-t-elle finalement, lueur de malice dans les yeux.

Ca ne résoud en rien son problème, elles n’en seront pas plus présentes sur le lieu dans deux mois ni dans quinze ans. Elle est parfaitement impuissante dans cette impasse. Mais peut-être qu’au loin, on les verra, et qu’on se rappellera des deux idiotes qui ont été plonger dans l’eau gelée de l’Atlantique, que leurs corps en garderont les particules traumatiques, que des elfes les maudiront pour avoir bravé leur territoire, et si c’est le seul contrôle qu’elle peut gagner, c’est un risque qu’elle veut prendre.

@Lola Wright
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyMer Avr 01 2020, 06:56


"J'avais sept ans", murmura Lola en se souvenant de l'anniversaire de Patrick dans les moindres détails. Sa mère avait acheté des bouquets de roses blanches qu'elle avait installées dans le deuxième salon, là où elle s'asseyait avec les mères des amis de Patrick. Lola était entrée en catastrophe pour demander une fleur, supplier une fleur, et sa mère avait été terriblement gênée de son comportement - jusqu'à lui demander de sortir, d'une voix ferme. Lola avait passé le reste de l'anniversaire à bouder et pleurnicher, dans une souffrance très réelle et très disproportionnée. Le lendemain, sa mère lui avait demandé pourquoi elle voulait une rose, et Lola avait répondu que tous les enfants avaient été très méchants avec le DJ, et qu'elle s'était dit que si elle lui donnait la fleur, il serait réconforté. "Charlotte avait dix ans, mais elle était avec ses deux meilleures amies dans sa chambre. Elle n'a jamais trop aimé les fêtes." Ca lui faisait bizarre, à Lola, de parler de ses frères et soeurs à Grace. Elle eut soudain envie de leur présenter la photographe, car ensemble elles seraient invincibles. Mais elle chasse cette idée de sa tête : elles n'en étaient pas là, et Charlotte et Patrick n'habitaient pas en Australie.

"T'es Poufsouffle, comme moi." Le sourire de Lola était en lice pour record du sourire le plus ravi du monde. "Mais t'es moins fière que moi. Qu'est-ce que tu trouves pas cool dans notre maison ?" Les chansons s'enchaînèrent, Lola dansa, et puis elles se retrouvèrent nez-à-nez. "Sûre à 1000%. T'as des reflets de vert et de jaune. Je crois qu'il y a une bulle bleue aussi, mais je ne suis pas sûre." Lex Land chantait et le rythme cardiaque de la peintre s'étendait comme un élastique. "C'est ma chanson de karaoké." Comme si tout être humain décent avait une chanson de karaoké. Lola s'était entraînée des heures à perfectionner son interprétation de celle-ci. Ca lui rappelait le temps passé dans sa chambre avec la brosse comme micro, et la fois où elle avait bluffé Julia et Mathias avec, et la fois où elle était allée au karaoké avec un inconnu et l'inconnu avait insisté pour transformer la chanson en duo et elle avait failli l'assassiner. Et dans la douce mélodie des souvenirs, elles s'endormirent.

Grace avait l'air moyennement heureuse lorsque Lola la réveilla de sa sieste plus tard. Lola s'en voulut pendant quelques instants - elle aurait pu la laisser dormir, pourquoi absolument vouloir la réveiller - mais cela lui passa très vite : plus les minutes et les heures passaient vers leur départ, moins elle supportait de ne pas créer quinze souvenirs par seconde. C'était douloureux, vulnérable, et puéril. Grace accepta avec plaisir de la dessiner, et se trouvait toutes sortes d'excuses déjà pour le futur échec du portrait. "Si j'ai l'air moche sur le dessin, je serai terriblement offensée et je ne t'adresserai plus jamais la parole." Le sourire qui arc-boutait ses lèvres ne la rendait pas très crédible. Elle tentait de rester sagement dans la même position, et ça lui permettait de contempler Grace, qui copiait toutes ses gestuelles de dessin. Lola avait envie de rire, mais se retint : elle savait à quel point c'était délicat et courageux de s'essayer à un autre art. "Non, c'est moi qui l'ai fait", avoua-t-elle au sujet du soleil. "J'espérais que ça réchauffe la plage de quelques degrés. Echec." Elle haussa les épaules, déçue par sa magie noire.

Grace lui tendit enfin le portrait, et Lola eut un rire attendri. "C'est parfait", et elle pinçait les lèvres pour ne pas pouffer, et elle lui fit un clin d'oeil pour lui faire comprendre qu'elle riait avec elle, pas d'elle. Grace proposa qu'elle se dessinent l'une l'autre les yeux fermés. "Challenge accepted." Lola regarda le visage de Grace pendant quelques secondes avant de fermer les yeux. Sa main gauche quadrillait l'espace de la feuille : chaque doigt était à un endroit précis, pour gérer les proportions. Elle respirait profondément pour ne pas trop tenter de contrôler sa main droite, la laisser libre de tracer. Cet exercice l'angoissait mais en même temps était exhilarant - le dessin pour jouer, le dessin pour rien, le dessin pour le plaisir. Le résultat fut un portrait plus ou moins réussi de Grace, où ses yeux ressemblaient à ses yeux, mais où ses épaules étaient à la même hauteur que son cou. "Hâte de les voir chez toi après-après-demain." Lola s'émerveillait d'avoir rendez-vous dans si peu de temps avec Grace. Ca l'aidait dans sa panique des derniers moments islandais.

Assises l'une près de l'autre, elles observaient la nature. "Tu as vu Eternal sunshine of the spotless mind ?" "Je ne l'ai vu qu'une seule fois, ça m'a fait super peur." "J’ai du pleurer cinquante fois devant ce film." Lola eut un sourire et caressa la main de Grace dans la sienne. "Bref, aucun rapport, mais ça me fait penser à la scène sur la plage." Lola fronça les sourcils, essayant de se souvenir. Elle voyait diffusément Joel qui revenait encore et encore sur une plage, l'image de Clémentine les cheveux bleus, peut-être aussi les cheveux rose, des sourires, mais aussi une course-poursuite, et des effets de lumière, comme un projecteur. "Pourquoi ?" Au-delà du fait qu'elles étaient sur une plage, bien sûr. "Ils sont seuls au monde, et tout a l’air de leur appartenir. Ils rentrent dans une maison qui n’est pas la leur, mais elle n’est à personne non plus. Enfin, c’est compliqué à t’expliquer, mais ils sont hors du temps, et pourtant leur temps est toujours limité, ils doivent courir après pour se retrouver." Tout cela évoquait une telle mélancolie que Lola posa sa tête sur l'épaule de Grace : le plus de contact physique pour palier à l'absence, à la disparition de leurs silhouettes de cette plage, qu'elles s'imaginaient déjà l'une et l'autre.

"On se baigne ?" Lola secoua la tête farouchement, avec un sourire amusé et admiratif. "Tu es un tout petit peu folle, quand même, non ?" Lola était toujours la bizarroïde de son entourage, mais Grace gagnait largement la palme quand elles étaient ensemble. "Je peux te regarder te baigner et filmer comment ta peau devient pâle, puis violette, puis bleue." C'était généreux, comme offre, après tout.


*


Cette nuit-là, Lola eut beaucoup de mal à dormir, parce que chaque seconde les rapprochait un peu plus de l'avion. Elle sentait que, dans ses bras, Grace aussi était agitée. Elle chantonna le morceau de Lex Land, pour qu'elles s'apaisent toutes les deux, et peut-être pour faire rire Grace aussi. "J'ai pas envie de partir", finit-elle par souffler, parce que ça lui faisait mal jusqu'au fond du coeur.

Lorsque le jour se leva, Lola prépara sa valise et la laissa dans l'entrée. Elle rangea l'appartement aux côtés de Grace. Elles n'avaient fait aucun dégât. C'était étrange de tout remettre au propre pour quelqu'un d'autre, alors que c'était si clairement chez elles. Lola regardait à droite, à gauche, et chaque détail était à sa place, et ça la mettait mal à l'aise. "Viens, on s'en va." Elle donna sa main à Grace pour qu'elles s'extirpent de la maison et aillent profiter de leurs dernières heures d'exploration. Elles repasseraient chercher les valises plus tard.

A l'aéroport, Lola songeait à la grotte de glace et regardait les photos qu'elle avait prises sur son portable : aucune ne rendait aussi bien que le lieu en soi. Elle buvait sa bière distraitement. Elles avaient passé les passeports et la sécurité en avance. Elles attendaient l'avion. Lola tentait de ne pas laisser la crise d'angoisse la gagner complètement, mais celle-ci gagnait du terrain. "Pose ta main là, s'il-te-plaît", et elle prenait la main de Grace, et la mettait sur son plexus solaire, pour que le système cesse de s'emballer et se calme peu à peu.

Dans le premier avion, elles appuyèrent sur play exactement au même moment pour regarder le film où Julia Roberts était une avocate dans une affaire d'eau contaminée. Dans le deuxième avion, elles jouèrent aux mots croisés, puis s'endormirent.

A l'aéroport de Brisbane, Lola traînait des pieds, ralentissait, refusait d'aller jusqu'au bout, jusqu'aux bagages. Alors même qu'elles étaient entourées de tous les autres voyageurs qui attendaient leur valise, Lola prit le visage de Grace entre le sien, posa son front contre son front, et cala leur respiration. Elle ne dit pas un mot. Elle n'était pas forte avec les mots. Mais il y avait tous les sentiments du monde dans cette parenthèse, cette bulle à deux. "A dans deux jours", dit Lola avec ce qu'elle essayait de faire passer pour un sourire, mais dès que Grace se retourna et sortit, elle s'autorisait enfin à pleurer, en évitant soigneusement le regard des autres passagers. Puis, elle passa à son tour la porte vers Jill et Ginny. Welcome home.

@Grace Coughlin
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Message(#) Sujet: Re: [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) [reykjavik] transatlanticism (lola&grace) - Page 2 EmptyMer Avr 01 2020, 11:12


Y a pas de personnage cool”, murmure-t-elle en retour à la question de Lola. De loin, leur conversation semble des plus intimes, des plus solennelles. Le contexte la fait sourire, avant qu’elle ne se reprenne : “Et le seul personnage qui est cool meurt. Super bêtement. C’était aussi évitable que Jack dans Titanic, et si tu veux mon avis, c’est du Hufflepuff shaming. Mais on s’en fiche, parce t’as tout faux, je suis Serpentard.” C’est la conversation la plus incongrue que le duo pourrait avoir sur la plage déserte à cette heure de la matinée, entourée par rien d’autre que des goélands, des vaguelettes, et du sable qui s’envole avec les rafales. Les minutes s’égrainent comme des secondes et Grace sent le temps filer en le repoussant tout aussi loin de son esprit que possible - elle ne veut pas s’attarder dès maintenant à ces considérations. Demain soir, elle retrouverait son appartement vide, son chat qui lui ferait la gueule de l’avoir abandonné aussi longtemps avec un inconnu, ses dizaines d’e-mails non lus qu’elle devrait repasser patiemment pour se préparer à reprendre le boulot. Là, alors, et là seulement, elle s’autoriserait à ressentir toute la tristesse qu’elle pouvait conjurer, elle se laisserait aller à une nostalgie précoce et peut-être sans fin, mais pas avant. Pour l’instant, elle profite autant qu’elle le peut de la chaleur de Lola contre elle, cette chaleur qui la berce jusqu’à l’assoupissement.

Elles se lancent dans une séance de dessin et Grace n’arrive que moyennement à donner un résultat ressemblant à un humain, encore moins ressemblant à Lola - elle la gratifie d’un sourire navré, regard pétillant pour cacher son envie de rire. Grace a mis un mois à bien écrire le nom de son chien, alors développer un talent qu’elle n’avait jamais entraîné prendrait certainement quelques années. Aussi est-elle moins complexée quand vient l’heure de se dessiner les yeux fermés : Lola a des cheveux jusqu’au menton, un oeil bien plus haut que l’autre, elle ne sait absolument pas gérer les proportions ni la physique quand ses paupières se ferment, et tout moyen de gérer la chose avec son autre main lui est interdit : si elle avait su qu’en comparaison, Lola lui sortirait une nouvelle oeuvre d’art, elle aurait sûrement triché un peu. Elle trouve quand même une espèce de satisfaction latente à tendre son second portrait totalement raté à la jeune femme, comme si elle l’avait fait exprès. Puis, comme pour tourner la page sur ses traits de crayon ratés, les mêmes qui siègeront chez elle dans un peu plus de trente heures, elle propose d’aller se baigner et, entendant à peine la réponse, se jette déjà à l’eau. Pour impressionner Lola, elle prétend que l’eau est d’une température tolérable, puis elle passe le reste de la matinée à grelotter en essayant de se réchauffer.

***

La nuit n’est d’aucun repos et passe avec une lenteur paradoxale : elle a du mal à fermer l’oeil quand la montre lui indique qu’elle le devrait, les aiguilles avancent à une vitesse folle et pourtant Grace ne sait quoi faire de son corps, ni de son esprit, alors elle fixe le plafond pendant ce qui semble être une éternité. Son corps est presque courbaturé lorsqu’elle émerge d’une sieste courte et agitée, Lola toujours près d’elle, tout aussi silencieuse qu’elle. Elles font leurs valises à regret, sans mot dire, et pour la première fois, Grace ne trouve aucune plaisanterie pour alléger l’atmosphère qui les couvre comme une chape de plomb, aucun mot de réassurance pour les faire repartir d’un bon pied. Grace se lave en rapidité et elles quittent l’appartement dans le silence le plus complet, seulement interrompu par le crissement de son briquet alors qu’elle allume sa première clope de la journée.

Les quelques touristes qui les entourent pendant la visite de la grotte, à une heure de Reykjavik, contribuent à les redynamiser. Grace retrouve enfin son éternel sourire, ses rires satisfaits, ses souffles émerveillés. Son professionnalisme, quand vient l’heure de prendre des photos, mais cette fois, elle mitraille tout, tant pis pour les pellicules : elle veut profiter du maximum, tant pis si la moitié est ratée ou un peu floue. Un souvenir ne se rate pas.

Peut-être qu’elle en fait trop, c’est sûrement surjoué, se dit-elle, parce que son enthousiasme les suit jusqu’à l’aéroport, où elle pose mille questions, essaie de lire toutes les étiquettes possibles sans attendre de réponse de la part de Lola - elle remarque à peine, toute occupée qu’elle est à déchiffrer l’écriture du nougat en islandais, que cette dernière a perdu toute once de sourire, avant qu’elle n’attire son attention : "Pose ta main là, s'il-te-plaît." Grace relève la tête, inquisitrice, soudain inquiétée par la voix faible et réticente de sa comparse. Alors elle obtempère, pose sa main sur son plexus, incline sa tête jusqu’à la poser contre la sienne, jusqu’à ce que Lola se calme. Cette fois, elle a bien compris qu’il fallait qu’elle se taise. Lorsqu’elle sent Lola se calmer, elle se penche au-dessus de son sac, fouille jusqu’à y trouver ses écouteurs, en glisse un à l’artiste et lance sa playlist calme sur son téléphone. “Je suis là, d’accord ?” glisse-t-elle avant qu’elles n’embarquent dans l’avion, doigts entrelacés aussi fort que possible, jusqu’à ce que leurs jointures deviennent blanches. “On quitte l’Islande mais on repart ensemble.” Elle ignore si c’est une bonne idée de rabâcher ce qui leur pend au nez, ni de s’angoisser sur le fameux après qui les attend en Australie, mais elle en sent le besoin, sur le coup. Peut-être que ça n’aidera pas Lola, mais ça l’apaise, elle qui s’autorise doucement à en ressentir le besoin.

Toute groggy de son sommeil, Grace s’étire et retire la capuche de ses cheveux alors que les roues touchent enfin le sol. Ni l’une ni l’autre n’est pressée de sortir, ou de récupérer son bagage - elles sont parmi les derniers à quitter l’avion, puis sont reléguées derrière la première masse de touristes qui se bousculent pour récupérer leurs valises. Lola l’attire à elle, et elle aurait souri bêtement si elle ne sentait pas les coeurs se serrer et l’émotion poindre - “Take it sleazy”, qu’elle répond en se réarmant de son sourire malicieux autant que faire se peut. Elle dépose rapidement ses lèvres contre son front, caresse distraitement sa joue et s’éclipse avant que son coeur ne soit trop lourd pour qu’elle le porte jusqu’à chez elle. Sur le chemin du retour, et les deux jours qui suivent, elle envoie des photos de tout et n’importe quoi à Lola - ses chaussures dans le bus, son bol de céréales le matin, son chat qui fuit son amour, quoi qu’elle puisse trouver pour lui rappeler qu’elle était toujours là, qu’importe le continent.

@Lola Wright
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