« T'es capable de retenir ton souffle sous l'eau combien de temps? »

Les robinets coulent de plus belle en trame de fond sonore, la baignoire se remplit comme toutes les autres fois alors que c'est pas du tout comme toutes les autres fois. Le miroir de la salle de bain ne renvoie que des silhouettes embrumées, embrouillées derrière la vapeur qui remonte.

J'avais pensé monter toutes les plantes du salon pour m'en faire un mur de protection, une barricade obsolète qui n'aurait pas caché le son. J'avais pensé amener le tourne-disque à la salle de bain aussi, pour y laisser tourner tous les vinyles que j'ai à portée. Le but n'était pas de le couper de quelque révélation que ce soit, le but était seulement de ne pas le forcer à entendre la première partie du test, la partie la moins glorieuse, celle pour laquelle il aurait très bien pu être de l'autre côté de la porte close même si justement, c'était tout sauf là où je voulais qu'il soit. Pour chacune des étapes, même celle qui tuera bien évidemment toute la magie.

Alors j'ai improvisé. Noyé ses savons et ses bombes de bain préférées - il assumera jamais d'en avoir des préférés même si ça étonne absolument personne que ce soit le cas - dans la baignoire, tamisé les lumières pour lui donner l'impression que je suis pas à côté à faire la première étape d'une liste de deux, short and sweet, évidente et rapide. J'ai le bâtonnet de plastique le plus cérémonial du monde entre les mains, à me battre avec l'emballage bien plus par amusement que par stress. Mes prunelles attrapent les siennes dans l'attente de sa réponse qui sous-entend le plan partiel de le laisser sous l'eau pendant la minute la moins glorieuse de ma vie, avant de passer au plan complet d'attendre avec lui, pour nous, pour les 19 suivantes.

« J'aurais dû choisir le test avec la prise de sang. » que je pouffe, le sourire plus facile, l'air plus léger.

On s'est dit que tout irait bien parce qu'on le veut vraiment, on s'est dit que si c'était pas aujourd'hui ce serait la prochaine fois, on s'est dit qu'on s'aimait à grand coup de je te déteste, de va te faire foutre Ginny, et de t'es qu'un gros nul Auden. On a tout fait, on a eu une vie entière pour tout tester et pour avoir mal, et on a maintenant une vie entière pour tout réussir et pour être heureux.

« T'es capable de retenir ton souffle sous l'eau combien de temps? » Elle me veut le plus loin possible et je jure que je finirai par l’éloigner mais pour le moment encore je reste au plus proche à faire ce que je fais de mieux : l’embêter. Elle se bat avec le plastique et j’y mets mes mains au milieu, elle choisit mes bombes de bains préférées à sacrifier et je tente d’en sauver la plus grande partie rien que pour l’entendre rire ou râle une fois de plus, je ne suis pas difficile.

On n’est ni à l’Académie ni à Berlin, là. Il n’y a personne d’autre, il n’y a aucun obstacle, on est dans le chez nous qui rassure et qui réconforte et qui jamais ne fera de mal. Tout va bien et tout ira toujours bien ici et ce n’est certainement pas le résultat d’un test qui pourra changer ça. On se l’est dit et se l’est promis ; entre nous c’est sacré. On a pesé chacun de nos mots et on en a jaugé les conséquences et on est prêts à jongler avec désormais puisqu’on a plus grandi que jamais. « Je t’avais pas raconté que j’avais explosé le record d’apnée au lycée ? » Non je ne lui ai pas raconté parce que bien sûr que c’est totalement faux, que j’ai même jamais été au lycée de ma vie à vrai dire parce que redoubler deux fois la même classe et celle d’ensuite n’a jamais été un problème pour moi. Pourtant j’improvise, je raille, je m’éloigne d’elle pour arrêter d’être le lourd qui lui souffle à l’arrière de la nuque comme si on n’étouffait pas déjà assez dans la pièce.

« J'aurais dû choisir le test avec la prise de sang. » « Mais avec la prise de sang tu manques la possibilité de me noyer et avoue t’as déjà rêvé de ça une fois ou deux. » Une fois ou deux millions, qu’on s’entende. Et tout ira bien, et je ferai le mort sous l’eau, et je suis certain que je peux tenir à peu près dix secondes sans m’étouffer mais à la onzième par contre je remonte à la surface en criant au meurtre et elle le sait autant que moi, elle ne pourra pas y réchapper.

L’eau est brûlante température Ginny - ça veut dire que ma peau va partir, ça - pourtant j’y rentre sans trop faire de commentaires parce que ce ne sont pas ces minutes là qui sont importantes mais toutes celles d’ensuite, quand on va attendre et faire comme si de rien n’était. « T’as le droit à genre vingt secondes de silence et après je serai encore un peu plus chiant que maintenant. » Et je jure qu’au début j’avais vraiment la tête sous l’eau et j’entendais rien et je voyais rien. Et c’était super ennuyant, donc ça a duré deux secondes à peine avant que je revienne à la surface sans un bruit, la moitié de mon visage toujours immergé mais avec la possibilité de respirer doucement. Je suis caché par le rebord de la baignoire et pour une fois dans ma vie je suis le plus silencieux du monde donc elle ne saura rien. Tant qu’elle pense que je n’entends pas, tant qu’elle est certaine que y’a rien de gênant que je puisse associer à ce moment alors c’est le principal, puisque dans mon esprit il n’y aura jamais rien de gênant associé à aucun moment ici.

Le problème étant que je prends rapidement beaucoup de confiance et que je trouve aussi utile que vitale que de prendre une large inspiration et c’est ainsi qu’on se retrouve avec une narine qui sent la cannelle et l’autre la groseille et le mélange est affreux, c’est à dire presque autant que le tiramipomme. Je m’étouffe (je suis certain de l’entendre rire en fond) et ça sonne la fin du temps imparti, assez long je l’espère pour elle et pour qu’elle se sente paradoxalement assez à l’aise. « Tu pourras lui dire que son père est mort au combat mais ne précise pas que c’était dans la baignoire de la salle de bain entouré de fleurs et d'encens et bla bla bla. Retiens juste le rouge de la situation, c’est bien ça. » On passe aux dix neuf minutes, là ? Je me redresse à moitié, les coudes sur le rebord de la baignoire et mon menton posé dessus quand mes yeux ne voient finalement que les siens.

« Mais avec la prise de sang tu manques la possibilité de me noyer et avoue t’as déjà rêvé de ça une fois ou deux. »
« J'ai promis de ne jamais te mentir devant un maire qui m'a pas encore confirmé quel était le nom de la chèvre qui va me remplacer dans ta vie d'ici quelques jours, du coup, je ne nierai pas que ça m'est passé par la tête une fois ou deux. »

C'est juste un test, en vrai. C'est juste une réponse ou une autre, c'est juste nous et c'est parfait ainsi. J'ai pas de boule au ventre quand je dépose la boîte ouverte sur le comptoir de la salle de bain à travers ses vêtements pêle-mêle et les serviettes qui sont bien plus douces que tout le reste. C'est juste un test et je l'ai bien compris, mon souffle régulier aussi. La seule et unique partie me stressant réside en un partage d'intimité bien moins magique que tout ce qu'il a pu endurer à mes côtés. Et même après 14 ans à graviter l'un autour de l'autre je me trouve aussi naïve que stupide que ridiculement drôle à tenter de garder un genre de jardin secret quand il est ironiquement la personne à qui je veux, à qui j'ai éternellement envie de tout dire. « T’as le droit à genre vingt secondes de silence et après je serai encore un peu plus chiant que maintenant. » mais il se prête au jeu presque sans râler Auden, et mon sourire ne fait que grandir lorsque ma paume se place sur sa tête, que ma silhouette descend à hauteur de ses yeux. « Le compteur part quand? » j'attends pas pourtant, alors que mes lèvres trouvent les siennes une seconde, que ma paume le presse sous l'eau celle d'après.

J'inspire, redresse les épaules, redresse mon corps au complet. La procédure que je connais par coeur parce qu'en soit, elle n'est pas complexe du tout. Je la connais aussi parce que c'est du déjà vu, je la connais et lui également. Même s'il est sous l'eau, même si à la seconde où je termine je sais déjà qu'il n'y a absolument aucune chance qu'il ne soit pas ressorti rien que pour brusquer les règles, rien que pour faire à sa tête. C'est con et j'en râlerai bien plus qu'il ne faudra, mais ça me rassure qu'il soit là. Ça me rassurait qu'il l'ait été jadis, ça me rassure juste un peu plus de l'entendre respirer à côté, vraiment à côté. On a dit qu'on ferait tout ensemble et surtout pour ça, on l'a promis et j'ai jamais mis en doute sa parole ni même la mienne, mais un éternel rappel d'à quel point il est là suffit à ce que je laisse un sourire que je lui cacherai la seconde d'après frôler mes lèvres.  « Tu pourras lui dire que son père est mort au combat mais ne précise pas que c’était dans la baignoire de la salle de bain entouré de fleurs et d'encens et bla bla bla. Retiens juste le rouge de la situation, c’est bien ça. » « T'as triché, t'as entendu! »

Et je pouffe finalement, incapable de garder mon sérieux, incapable d'être rageuse quand je finis par le rejoindre à nouveau. Le bâtonnet de l'éternelle attente est posé sur le rebord de la baignoire, assez loin pour qu'on ne puisse pas le voir d'où on se trouve maintenant que le décompte +19 commence tout bonnement. Je m'installe en tailleur à l'extérieur de la baignoire face à lui, croisant mes bras sur la céramique pour y poser mon menton et visser mes yeux aux siens. J'y reconnais la même lueur que lorsque je lui ai dit que j'avais du retard la veille, j'y reconnais la même lueur que lorsqu'il a décalé la bouteille de vinaigre ce matin pour prendre mes vermicelles préférées et en garnir mon petit-déjeuner qui consistait en un bol de glace à la pistaches. Tout va bien. « En vrai, c'est pas plus pire que quand je me verse du café ou que j'oublie de fermer les robinets, hen? » tout va bien, sauf maintenant qu'il ajoute un nouveau son à la banque des trames sonores de Ginny, entre ma voix de crécelle quand je le supplie pour avoir la dernière bouchée de sa part de pizza, et le bruit que font mes mains quand elles tapent l'une sur l'autre parce que Pizza fait encore un truc mignon genre respirer.

« C'est étrange que je stresse pas en attendant de connaître la réponse? » mes doigts se sont dégagés pour jouer avec l'eau et pour mélanger les couleurs en résultat aux bombes de bain qui explosent encore en douceur, le crépitement qui comble les silences. Je ne fais pas de listes de choses à faire une fois qu'on saura, je ne fais pas de listes de réactions à avoir ni de discours à faire, et je me doute que lui non plus, mis à part profiter du moment présent, là, lui qui frôle le 16 minutes d'attente maintenant. La réalité reste que jamais cette étape n'a été zen avant, que jamais j'ai touché le calme pendant l'attente ; évidemment que ma tête n'arrive pas à faire le lien, évidemment que l'option me semble bien loin. « Par contre ce qui est étrange, c'est ce que ça sent ici, pire idée les encens pourquoi tu m'as laissée faire je croyais que tu m'aimais pas que tu voulais me faire subir l'horreur même la mienne. » alors je pouffe, je souffle, je pense à le quitter pour aller ouvrir les fenêtres et aérer la pièce, mais je ne bouge pas d'un centimètre sans que ça étonne qui que ce soit, surtout pas nous.

« T'as triché, t'as entendu! » Je suis certain de rigoler plus fort qu’elle à ce moment là, c’est impossible qu’elle me vole la vedette à ce sujet parce qu’on savait tous que j’allais être incapable de suivre les règles, quelles qu’elles soient. Tel un effet de miroir, je prends la même position qu’elle de l’autre côté du rebord de la baignoire. On ressemble à des enfants attendant un simple accord pour devenir de véritables monstres alors que pour le moment on est étrangement sages, bien plus qu’on ne l’a jamais été sûrement. Seuls les sourires en coins nous trahissent.

« En vrai, c'est pas plus pire que quand je me verse du café ou que j'oublie de fermer les robinets, hen? » « C’est mille fois pire quand t’oublies de fermer les robinets. » Mes doigts viennent chercher les siens et jouent, elle garde des traces de résidu rose et orange et bleu, rien qui ne sorte de l’ordinaire sauf que personne n’avait prévu de boule de bain corail et ils devraient avoir honte.

« C'est étrange que je stresse pas en attendant de connaître la réponse? » Le parallèle est étrange maintenant que je me dis que je n’ai qu’un fils et qu’un seul mais que j’étais là pour ses deux autres tests de grossesse à elle, là où tout le monde m’aurait hurlé que je n’avais pas ma place. J’ai toujours été là pour elle mais jamais pour le reste du monde, alors la notion d’étrange est loin de m’être familière finalement. On ne suit jamais le plan, on ne fait jamais rien de normal et on fait toujours tout d’étrange, finalement, je crois, et c’est trop bien comme ça. « Nan, regarde, j’ai jamais stressé pendant mes test de grossesse moi. » L’ironie qui reste toujours présente alors que pour une fois elle n’est pas là pour réparer quoi que ce soit. Elle est là parce que je la veux et parce que ça nous ressemble. Il n’y a que nous et elle joue avec l’eau et moi je pince la peau du dos de sa main parce qu’elle empiète sur mon territoire ; pourtant personne ne s’offusque de rien.

« Par contre ce qui est étrange, c'est ce que ça sent ici, pire idée les encens pourquoi tu m'as laissée faire je croyais que tu m'aimais pas que tu voulais me faire subir l'horreur même la mienne. » Elle souffle et ça arrive sur ma peau et j’en aurais presque froid, si elle n’avait pas mis tous les radiateurs de la pièce en route pour je ne sais quel raison exactement. On vit dans une pièce à 1000° et ce n’est toujours pas un problème, comme si cette fois-ci rien n’y personne n’allait pouvoir gâcher ce moment. « C’est Pizza qui t’aime. Pas moi. J’ai ja - mais dit ça. » J’articule certains mots plus que d’autres et joue sur la corde dramatico-tragique, celle la même qui n’a pas lieu d’être mais qui me fera autant toujours rire.

Je capte son regard un instant lorsque ma main vient entourer les siennes, les immobilisant un instant sous l’eau, doucement. Ma tête s’abaisse un instant alors que je suis certain d’avoir vu de la chaire de poule sur son bras, lequel mon baiser vient réchauffer pour y remédier. Puis back to basics quand ma tête revient à hauteur de la sienne, un sourire nouveau au bout des lèvres (celui qu’elle déteste), et que ma main libre vient inonder son visage et tout le reste à plusieurs reprises sans même une once de compassion. « Du coup faut que tu prennes un bain toi aussi. Sinon je peux continuer à t’arroser comme une plante verte. »

On a dix neuf minutes à attendre mais on attend rien du tout, nous, quand la vie continue et que le résultat du test ne changera en rien notre dynamique, peu importe ce qu’il affichera.

Il dédramatise et je pouffe de rire, lui renvoyant des bulles au visage en anticipant qu'il va râler pendant des millénaires d'avoir eu du savon dans l'oeil et que ça gratte, d'en avoir eu dans le nez et que ça suffoque, d'en avoir eu dans la bouche et que tout les tiramipommes qu'il mangera de force à partir de maintenant goûteront la lavande et le cyprès par ma faute pour des siècles et des siècles. « Nan, regarde, j’ai jamais stressé pendant mes test de grossesse moi. » « Bravo, félicitations, tu veux une médaille ou seulement un discours te suffit? » j'exagère la voix outrée, le sourcil haussé qui va avec, avant de souffler une énième fois de la mousse vers lui, prête,  le sourire aux lèvres, à vivre avec les conséquences de mes gestes envers et contre tout.

« C’est Pizza qui t’aime. Pas moi. J’ai ja - mais dit ça. » Pizza qu'on n'entend plus errer de l'autre côté de la porte close, Pizza que j'imagine posé, couché docilement à nous attendre sagement comme s'il savait que quelque chose se tramait ici et que sa vie avait autant de chances de changer que de rester la même dans 12 minutes à peine. Il est aussi zen que nous, il est aussi calme et il ne ressent pas la moindre once de panique et je parie que ses oreilles sont aussi détendues que son corps en entier, que mes épaules et ma mâchoire, que mes doigts qui se mélangent à ceux d'Auden entre l'eau et le carrelage. « Blablablabla, au moins t'avoue que Pizza m'aime plus que toi, y'a de l'avancement. » je fronce du nez, un rire de plus qui s'y perd, avant de ravaler la tasse lui qui m'attaque désormais du revers de sa paume. « Du coup faut que tu prennes un bain toi aussi. Sinon je peux continuer à t’arroser comme une plante verte. » y'a de l'eau partout et mon t-shirt colle froidement à ma peau, mes mèches se déportent de part et d'autre de mon visage quand mes prunelles se dégagent des siennes pour filer attraper le bâtonnet laissé tout bonnement à l'autre bout de la baignoire et le rapprocher en zone sûre. « Attention tu vas le noyer et va encore falloir que j'allume toutes les chandelles de l'univers pour recommencer le test et on va devoir refaire la cérémonie du 20 secondes de silence pour 20 ans à ce que tu sois encore plus lourd et - »  mes mots s'additionnent alors que je cède, bien sûr que je cède, laissant mon jeans au sol parmi ses affaires. La brise d'automne quasi absente et les dix milliers de degrés que j'ai imposés dans la salle de bain aident à chasser toute trace de chair de poule sur ma peau dénudée, maintenant que je viens le rejoindre, que je me cale de l'autre côté de la baignoire sans manquer la moindre occasion de l'arroser lui-même, de lui tirer la langue au passage. « - et okay, j'avoue, t'avais raison, c'est mieux de prendre un bain que d'être un vieux cactus déshydraté. » mon sourire ne fait que grandir quand mes orteils se chargent de lui repousser tout un nuage de bulles dans sa direction, un arc-en-ciel de couleur qui cache son air que j'anticipe faussement excédé, le soupir qu'il ne s'empêchera pas de lâcher.

C'est nous, c'est que nous. C'est la prochaine salve de minutes que je passe à tenter de le noyer sous l'eau pour le ramener à la surface la seconde d'après et l'embrasser en râlant des paillettes et des couleurs qui ont barbouillé ses lèvres. C'est le monde entier en suspens de l'autre côté de la porte quand on prend tout le temps qu'il faudra pour construire le nôtre. C'est la chance, petite mais tellement méritée, qu'on se laisse enfin à être vraiment heureux sans avoir peur de la moindre conséquence, sans naïvement craindre la seconde suivante parce que celle qu'on a laissée derrière était plus belle encore que le reste. Que ce soit négatif d'un ligne ou positif de deux, la seconde d'après et l'infinité des suivantes n'amèneront que mieux, j'y crois aujourd'hui un peu plus.

Les minutes passent sans que je ne les compte, je les oublie un peu après avoir arrêté de chatouiller ses côtes sous l'eau, surtout lorsque ma silhouette se cale contre la sienne, mon dos prenant appui sur son torse comme son menton sur mon épaule. Mes prunelles dérivent sur la salle de bain encore embrumée, elles dérivent vers la fenêtre aussi, avant d'attraper le résultat au vol. Le résultat que je vois, j'ignore s'il l'a vu lui aussi. Alors j'inspire, mes doigts se resserrant doucement contre les siens, ramenant son bras autour de mes épaules, nichant mon visage près du sien pour ultimement murmurer à son oreille. « Ils devraient penser à faire des motifs plus cool, les lignes c'est surfait. » les lignes, les deux.

On est seulement deux gamins dans un bain. On joue avec la mousse, on joue avec l’eau, on joue avec les couleurs et on joue avec les odeurs associées simplement pour s’en moquer un peu plus. On prend tout ce qu’on a à notre disposition et on en fait un terrain de jeu, et c’est là que je regrette de ne pas avoir acheté de véritables jouets parce qu’un petit canard en plastique jaune aurait été parfait au milieu de ce capharnaüm. L’eau a débordé de tous les côtés sans que cela n’étonne plus personne, les serviettes au sol étant bien plus souvent trempées plutôt qu’autre chose. Mes doigts s’amusent à suivre la ligne de ses os se dessinant sous sa chair tout comme ils s’amusent à se poser entre ses cheveux plus ne plus jamais être capables d’en ressortir à cause des nœuds et de l’alliance qui y reste coincée. On ne peut être nous même que depuis quelques semaines, quelques mois, pourtant nos habitudes ont été prises aussitôt et de la manière la plus naturelle qui soit.

Alors qu’elle trouve finalement sa place sur mon torse, je râle à peine de ses cheveux mouillés qui se collent à ma nuque. « Ils devraient penser à faire des motifs plus cool, les lignes c'est surfait. » Je râle encore moins quand elle prononce les quelques mots qui confirment ce qu’elle pensait déjà, lesquels font de nous des parents en devenir. Je souris tant pour sa remarque que pour la situation et prend une large inspiration, ma tête venant se blottir près de la sienne alors que je ferme les yeux pour profiter au mieux de l’instant présent. Sous l’eau, mes doigts s’enfoncent imperceptiblement dans le creux de ses hanches pour la ramener au plus proche de moi. Tout semble si naturel alors que ni elle ni moi n’avons jamais vécu les choses de cette façon. J’étais avec elle pour les autres test de grossesse qu’elle a fait ; je n’étais pas là pour le seul et unique qu’a fait la mère de Cosimo durant toute sa vie. C’est une première pour tout le monde, là, et ça serait une très bonne raison qui expliquerait pourquoi la joie n’est pas la seule cause de l’accélération de mon rythme cardiaque. Peut être que la peur a quelque chose à jouer là dedans, aussi, finalement, sans que je ne veuille l’avouer ni même l’assumer.

Je suis convaincu qu’on aurait dû amener une piscine dans la salle de bain, on aurait pris quelques mètres carré à peine et laissé tout le reste libre mais au moins je n’aurais pas eu la sensation de l’étouffer comme si son ventre allait grossir dans la seconde. Ce n’est pas pour autant que je m’écarte d’elle, non, certainement pas. Au contraire, ma tête se tourne vers elle avec un sourire au bout des lèvres lesquelles se posent aussitôt sur les siennes. Le baiser est long et langoureux et j’espère qu’elle n’a pas réellement besoin d’air parce que je ne compte pas le lui en laisser pour le moment. Pas déjà. On est nous deux et on est bien, on a presque plus aucune épée de Damoclès au dessus de la tête et on a presque le droit d’être réellement heureux. On a tout construit à deux pour faire place à une troisième personne, laquelle commence officiellement à arriver aujourd’hui. « C’est le moment où je commence à négocier pour qu’on l’appelle Auden junior ? » Cette fois-ci je ne laisserai pas mon enfant, cette fois-ci je ne laisserai pas sa mère non plus. C’est une promesse que je me fais à moi même.

Elles sont là, les deux lignes. Elles sont là et j'arque la nuque pour les voir se tracer dans un angle, je penche la tête de l'autre côté pour les voir à l'inverse. Il perd son souffle partout où il le peut, mon corps entier revient se blottir un peu mieux contre le sien. Ses jambes que j'encourage à passer par-dessus les miennes dans une chorégraphie désarticulée à travers laquelle on arrive à trouver un confort décuplé par notre proximité, même si c'est de plus en plus difficile de voir où sa silhouette commence et où la mienne finit. Y'a de mes cheveux de logés autour de son alliance, vestiges d'une autre de ses attaques à travers mes mèches, y'a la chaleur de mes baisers que j'égare contre son bras, vestiges d'une autre de mes déclarations d'amour voilée sur sa peau qui est à l'inverse, totalement dévoilée.

Il est beau Auden, même si je ne le vois pas. Il est beau parce que je l'imagine qui souffle, je l'imagine qui sourit, je l'imagine qui réfléchit aussi, qui se l'autorise. Il a le droit d'avoir peur comme il a le droit d'être heureux, il a le droit de flipper comme il a le droit de célébrer, il a le droit de tout faire. Parce que je lâcherai pas une seule seconde ses côtés, à partir de maintenant jusqu'à ce qu'on puisse voir de nos yeux ce que l'avenir nous réserve au fil des neuf prochains mois. Mes doigts s'enlacent aux siens et la seule surprise qui y est reliée est qu'ils ne l'étaient pas encore, chaque piste de contact entre nous qui est prise dans sa totalité maintenant qu'on n'a plus besoin d'attendre la moindre lumière fermée ou le moindre regard évité de qui que ce soit autour de nous pour s'y prêter.  

« C’est le moment où je commence à négocier pour qu’on l’appelle Auden junior ? » j'éclate de rire, ses lèvres encore contre les miennes, son baiser qui tatoue ma bouche, baiser à saveur de promesses, les siennes et les nôtres auxquelles j'additionne toutes celles qui m'appartiennent autant à moi qu'à lui désormais. Mon front se pose sur le sien avant qu'il ne le fasse lui-même, mes mains remontent sur sa mâchoire en pinçant avec toute la délicatesse du monde les os le long de ses joues. « C'est le moment où je commence à faire la liste des raisons pour lesquelles Auden ça passe à peine pour un garçon, mais alors pas du tout pour une fille? » je fronce du nez, pouffe à nouveau, le prochain baiser jamais loin du suivant quand j'arrive à vaciller face à lui sans l'affliger du moindre coup de coude dans les côtes pendant toute la manoeuvre.

« On fait un pacte, okay? » l'une de mes mains quitte son visage pour venir se tendre devant lui, elle est prête à ce qu'il la serre pour que le deal soit conclus. Mes iris ne lâchent pas les siens et je poursuis, presque solennelle dans une baignoire aux couleurs de l'arc-en-ciel. « Non, attends, deux pactes. » je rigole de plus belle, reprends mon sérieux la seconde d'après, les idées qui se chevauchent, et l'importance d'y aller une chose à la fois. « Pacte numéro un : aucun de nous deux ne met en place un quelconque stratagème pour que le bébé le préfère. » ça, ça vaut pour toi et ton esprit de compétition Auden (et ça vaut aussi pour toi et ton esprit de compétition, Ginny). « Et pacte numéro deux : tout ce qu'on fait à partir de maintenant, on le fait ensemble. » c'est l'évidence, mais ça me fait tant de bien de le dire que j'ose espérer que ça lui fera du bien, de l'entendre. On est une équipe, autant pour la multitude de rendez-vous à venir où je tenterai de jouer à la grande fille à vouloir y aller seule que pour les guerres quasi-mondiales où il décidera des couleurs des murs de la chambre à repeindre sans jamais me laisser choisir avec lui parce que ses goûts et son sens des teintes ont toujours été meilleurs que les miens, selon son humble opinion. Lui autant que moi, on a des listes de dommages collatéraux et d'énièmes regrets du passé, eux qui ont presque toujours comme dénominateur commun le fait qu'on s'est retrouvés à tenter de gérer seul, seule, trop de fois déjà. On l'a dit et on le répète ; là c'est nous, et c'est tout.

Comment ça ‘Auden’ passe à peine pour un garçon ?

« On fait un pacte, okay? » Je suis prêt à dire ‘okay’ même sans connaître les tenants et aboutissants du pacte en question, juste parce que c’est Ginny. Soit je dis non dans le seul but de l’énerver, soit je dis oui parce que je lui dis toujours oui en fin de compte. Pourtant j’attends d’entendre la suite avant de serrer de manière solennelle la main qu’elle me tend pour la première fois de notre vie alors qu’on a jamais joué à ce jeu là encore. « Non, attends, deux pactes. » Elle rigole et j’en fais de même, profitant d’une seconde de répit de sa part pour lui voler un nouveau baiser et si jamais vous pensez que je m’en veux pour ça alors vous n’avez toujours rien compris. Mes lèvres s’accrochent aux siennes et peut être qu’elle râle, peut être pas, n’en reste que mon sourire reste invariablement présent et que peu importe le pacte qu’elle voudra conclure je sais qu’il n’entachera pas notre bonheur.

« Pacte numéro un : aucun de nous deux ne met en place un quelconque stratagème pour que le bébé le préfère. » Le bébé. Notre bébé. Elle est sérieuse et moi je souris. Elle prétend être sérieuse, en fait, et moi je ne prétends même pas l’être alors que je replie mes lèvres entre mes dents pour me forcer à ne pas en rire de suite. De toute façon c’est certain qu’il me préférera, je n’ai pas à tricher ou mettre en place un quelconque stratagème pour cela. Auden junior sera parfait. « Et pacte numéro deux : tout ce qu'on fait à partir de maintenant, on le fait ensemble. » Cette fois-ci pourtant je souris beaucoup moins et je n’ai même plus à me force pour ne pas en rire. Elle a trouvé les mots pour ce qui restait simplement coincé dans ma gorge, pour ce que j’aurais voulu lui dire sous la forme d’une blague de merde laquelle je n’ai même pas su trouver. Elle prend une longueur d’avance alors qu’on évolue ensemble pourtant j’hoche rapidement la tête tellement ce double pacte me semble logique. On reste ensemble, on le fait ensemble. Elle l’a déjà vécu mais moi jamais et pour une fois je jure que j’écouterai, je jure que des fois je serai un peu moins con aussi quand elle m’expliquera des trucs de mamans et des trucs de parents, des trucs de bébé aussi très bientôt. « Sauf tes expériences culinaires. On les fait pas ensemble, ça. Hors de question. Ni le mariage ni le bébé ne va suffire pour m’entraîner là dedans. » Je suis si dramatique, à hocher la tête de la négative, à faire la moue, à la regarder avec un air dépité alors que je vois moi même la mousse violette que j’ai sur le bout de mon nez. Si dramatique et si peu crédible aussi alors que je me relève enfin pour lui faire face, sa main que je n’ai toujours pas attrapée encore pendue dans le vide. « Je resterai avec toi. Sans aucune exception à la règle, même pas en taille huit en bas du contrat. » Et cette fois ci il n’y a plus rien de théâtral et tout de sérieux quand mes yeux continuent de sonder les siens et que ma main attrape enfin vigoureusement la sienne pour la serrer une seconde et en faire un appui pour la ramener contre moi la seconde qui suit. Ma main libre passe derrière son dos, mes lèvres viennent retrouver les siennes parce que ça fait sûrement parti de l’accord dans un contrat, ça, je crois. Soit ça soit j’avais envie de l’embrasse de nouveau mais il faut se rendre à l’évidence que personne n’en saura jamais rien, hein. Quoi qu’il puisse se passer, on reste ensemble. On fait front ensemble, envers et contre tout. Contre tous. « C’est promis. »

« Sauf tes expériences culinaires. On les fait pas ensemble, ça. Hors de question. Ni le mariage ni le bébé ne va suffire pour m’entraîner là dedans. » et je souffle, et je soupire, et je râle si fort que j'en éclate de rire. « T'es pas drôle et même si tu supplies c'est fini tu goûteras plus jamais ri-en. » mes doigts quittent son bras pour remonter à son nez, y faire un ultime cadeau à son égo en lui nettoyant les vestiges de mousse qui lui dessinent un air tout sauf sérieux dans l'instant. Il sait très bien que la première seconde de curiosité qu'il aura à lorgner sur mes plats approximatifs sera soldée d'un refus catégorique qu'il ait la moindre bouchée - mais qu'à l'instant où il aura insisté en y additionnant son regard de chiot battu appris et maîtrisé à la perfection grâce aux leçons privées de Noah, là par contre, j'arriverai à peine à résister. À peine pour ne pas le mentionner et que ça ne soit pas mon égo - absent, mais pourtant - à moi qui en prenne un coup.

Ma main est toujours en l'air à attendre la confirmation de ce que je sais déjà, procédure obsolète quand je ne doute pas une seule seconde qu'il le veut autant que moi. « Je resterai avec toi. Sans aucune exception à la règle, même pas en taille huit en bas du contrat. » et pourtant ces mots-là, ils font un bien fou. Ces mots-là ils font écho à ceux que j'aurais voulu entendre y'a des années, ils font écho à tout ce qui m'a atrocement manqué à une époque où tout manquait. Il attrape ma paume Auden, il la serre juste assez pour que je baisse ma garde de peur qu'il m'attaque les côtes, garde qu'il prend entièrement en m'attirant près de lui sans que je n'oppose aucune résistance. Ses lèvres trouvent les miennes au moment où je soupire, absolument pas d'exaspération, entièrement de soulagement. Mon front prend appui le plus naturellement du monde sur le sien quand mes doigts s'affairent à délier le moindre noeud qu'il pourrait avoir derrière la nuque à être comprimé contre la baignoire depuis ce qui me semble être des heures maintenant. Il est là, Auden, il est là et il restera et je savais qu'il resterait, je le savais déjà. Mais l'entendre change tout, l'entendre me fait l'aimer encore un peu plus, si c'est possible. « C’est promis. » ma tête hoche de la positive doucement, le plus doucement du monde, alors que mes jambes se lovent de chaque côté de ses hanches. Qu'il soit proche, qu'il soit là, c'est tout ce que je veux, depuis bien plus longtemps qu'aurait pu penser qui que ce soit sauf nous deux.  

« Pas besoin d'être si dramatique, t'aurais pu juste dire que t'allait faire un effort pour cuisiner plus souvent des desserts genre à tous les jours et j'aurais compris...  » je roule des yeux, ma voix est douce, mes yeux qui ont pas lâché une seule seconde les siens. Elles me donnent vaguement l'impression de commencer à être reprises une par une, les années qu'on a niées, les années qu'on a laissées de côté. Il reste encore des tas de moments qu'on a perdus et qui seront pour toujours envolés. Mais ceux qu'on crée là, aujourd'hui, et ceux qu'on aura la possibilité de créer demain aussi ils les valent tous. « Je reste, je bouge pas. Pas d'exception à la règle, même pas en taille cinq en bas du contrat. » évidemment que je précise parce que si je savais autant que lui, l'inverse est toute aussi vraie. Pourtant, quand l'une de mes mains se dégage de son cou pour aller attraper la sienne qu'il a posée y'a une vie déjà dans mon dos, quand je lui serre la paume de la mienne et que mes iris brillent autant que les paillettes de sa bombe de bain préférée qu'il faut pas dire, faut garder le secret sinon il va rager, le deal il est pris. Le deal il est parfait, le deal il est le nôtre.

Mes doigts s'enlacent aux siens et elle est jolie son alliance, et elle est jolie la mienne, mais ce sont que des symboles de plus, au final. Ce qui est important, c'est tout le reste. « Je t'aime. Je voulais vivre ça avec toi. »

« Je reste, je bouge pas. Pas d'exception à la règle, même pas en taille cinq en bas du contrat. » « Pas besoin d'être si dramatique, t'aurais pu juste dire que t'allais faire un effort pour cuisiner des trucs comestibles et j’aurais compris. » Le parallèle est fait, le miroir est toujours présent entre nous. Elle sourit et j’en fais autant, deux enfants qui n’ont toujours pas compris qu’ils sont supposés rester dans une baignoire le temps de se laver seulement et non pas y élire domicile tous les jours ou presque. Nos doigts sont fripés, on a l’air de vieux, on ne s’en préoccupe pas pour autant.

Rien ne pourra entacher mon bonheur tout comme rien ne pourra diviser notre duo, pas alors qu’on a passé plus d’une décennie à se côtoyer dans la douleur sans jamais oser se quitter l’un ‘l'autre ; jamais définitivement. « Je t'aime. Je voulais vivre ça avec toi. » Je me fige devant ces mots que je n’aurais jamais cru entendre et que je n’aurais su espérer même dans mes rêves les plus fou, mes yeux retrouvent finalement les siens maintenant que je cesse de bloquer sur nos alliances. J’ai ce sourire que seul moi déteste dès la seconde suivante, celui que tout le monde a tout le temps, celui qui dégouline d’amour et de toutes ces conneries, de joie et de bla bla bla. J’en roulerais presque les yeux au ciel si ce n’était pas Ginny et si justement elle ne savait pas déjà pertinemment à quel point ses paroles sont importantes pour chacun de nous deux. Je n’ai jamais vécu ça et au delà de me faire peur ça me terrifie réellement mais avec elle à mes côtés je refuse que quoi que ce soit de mal ne nous arrive ; ne leur arrive.

Si je laisse l’eau s’infiltrer dans le siphon de la baignoire c’est seulement parce qu’elle n’est plus assez brûlante pour nous désormais et qu’on en a besoin de nouvelle. Si je viens rapidement l’embrasser sur le front, par contre, c’est parce que je l’aime aussi. Si je me contorsionne de mille manières différentes pour venir embrasser son ventre qui ne semble pourtant contenir qu’un seul tiramipomme, par contre, c’est que je l’aime aussi. L’eau coule de nouveau la seconde qui suit et la vapeur allant avec commence à remonter alors que ma tête en fait de même, venant ultimement réchauffer ses lèvres. Je n’aurais vécu ça avec personne d’autre.