Il est dix heures du matin quand je sors enfin de ma garde. Un accident et l'absence imprévue d'un de mes collègues m'a obligé à tarder un peu. Ce n'est pas pour me réjouir, car ça remet un peu tous mes plans en question. Je comptais rentrer chez moi, histoire de me reposer un peu, de me rafraîchir pour ensuite repartir au combat. Oui, car c'est clairement ce qui m'attend. Depuis mon rendez-vous avec Alejandro, qui s'est terminé en vrai catastrophe, nous n'avons pas parlé et j'ai besoin de m'excuser encore et encore auprès de lui. Il ne répond pas à mes coups de fil, du coup, la seule solution que j'ai trouvé, c'est de me rendre directement à son lieu de travail. Si je le confronte, il sera obligé de me parler, enfin en espérant qu'il ne se transforme pas en tombe en me voyant. Je sais que je vais devoir batailler, trouver les bons mots et certainement me livrer à lui pour lui expliquer la raison du pourquoi je l'ai repoussé.

J'arrive devant une salle de sport, je pense ne pas me tromper sur celle-ci. Il y en a beaucoup à Brisbane, mais celle-ci ressemble vaguement à ce qu'il m'a décrit. Je sors de ma voiture et entre dans le bâtiment. « Excusez-moi, est-ce que je pourrais parler à Alejandro Munoz ? » Le gars de l'accueil m'indique une direction et me dit que je le trouverais certainement là-bas. Je lui souris, le remercie et m'avance vers l'endroit qui semblerait être le refuge du jeune homme. Je pousse une porte et je tombe dans une salle de musculation, remplie d'hommes et de testostérone. De nombreux regards se posent sur moi et je me sens tout d'un coup rougir. Je ne dois pas me laisser impressionner et je dois aller parler à cet homme pour qui je suis venue jusqu'ici. En regardant un peu plus attentivement, je remarque qu'il est en train d'expliquer un exercice à un des sportifs. Je me mets un peu en retrait, attendant qu'il termine. Je ne crois pas qu'il m'ait vu, ça lui évitera ainsi de s'enfuir. Après plusieurs séries, le gars comprend enfin ce qu'il faisait de mal et Alejandro le laisse donc seul. C'est à ce moment-là que je m'empresse d'aller à sa rencontre. « Alejandro ! Est-ce que je pourrais te parler ? »

Je n'ai pas besoin de beaucoup de temps, je veux juste lui parler et le forcer à me voir est la seule solution que j'ai trouvée. Il est forcément surpris de me voir ici, surtout que je suis celle qui l'a rejeté, surpris, mais pas heureux. Il cherche même une issue de secours dans la salle. Malheureusement pour lui, personne ne semble avoir besoin de son aide. « Hm … » Il ne semble pas pouvoir s'échapper et c'est un bon point pour moi. Mais il ne semble pas non plus très coopératif. Il ne me regarde pas et fait tout pour me fuir. Il va même jusqu'à ramasser des poids qui sont au sol. « Pourquoi t'es là ?! » Je pense que dans le fond, il sait très bien pourquoi je suis là. Mais qu'attend-il de moi ? Que je m'excuse ? Parce que ça, je l'ai déjà fait des millions de fois. « Je suis venue m'excuser, encore. » Je l'ai appelé à de nombreuses reprises pour lui dire tout ça, mais à chaque fois, je tombais sur sa messagerie et je pense d'ailleurs qu'elle est saturée à cause de moi. « Je n'aurais pas dû faire ça l'autre soir. J'en avais envie, mais d'anciens souvenirs sont remontés à la surface et je me suis retrouvée complètement bloquée. » Je ne cherche pas à le berner, à lui raconter des bêtises, je veux simplement lui dire la vérité et tout cela est loin d'être un mensonge. Il doit me croire. « Ce n'est en rien ta faute et je me suis sentie complètement stupide. » Je cherche tant bien que mal son regard, mais Alejandro semble avoir décidé de m'éviter. Ce n'est peut-être pas plus mal, car j'ai peur de voir la haine qu'il porte à mon égard dans ses yeux. « J'ai passé une très bonne soirée avec toi et je suis triste de voir que l'on s'est quitté comme ça. Surtout que tu ne veux plus entendre parler de moi depuis. » D'un côté, il a bien raison de faire ça. J'aurais été humilié à sa place. Il est resté sur sa faim et je l'ai coupé nette dans ses envies et dans ses gestes. « S'il te plaît Alej, pardonne-moi. » J'essaye même d'utiliser de petit surnom pour que celui-ci soit plus attendri. Une chose est sûre, c'est qu'il ne va pas faire de scandale. Je ne pense pas qu'il veuille s'afficher face à tous ses clients. Il a une réputation à tenir et se prendre la tête avec une jeune femme inoffensive ne l'aidera pas.

En venant ici, je m'attendais à de la froideur venant de la part d'Alejandro, mais là, il est au-delà de mes espérances. « Je ne veux pas de tes excuses alors tu peux partir. » Au moins, il est plutôt clair. Mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi il a autant d'agressivité que ça. C'est sa frustration qui prend le dessus sur ce qui est censé être son cœur ? Ne voulant pas m'arrêter à ce refus, je poursuis. Après tout, je suis venue ici pour parler et non pour repartir à sa première remarque négative. Mais celle-ci n'est malheureusement pas la seul. Je lui explique que si j'ai fait ça, c'est bel-et-bien parce que je me suis retrouvée bloquée à cause de mon passé qui remontait et non à cause de lui. Une nouvelle fois, cela ne semble pas lui suffire. « On a tous des démons en nous et ce n'est pas pour autant que je t'ai rejeté. Tu as joué, tu as gagné et tu as eu le « charmeur ». C'est très bien pour toi. Maintenant merci mais j'ai du travail ici. » Il ne me connaît pas assez lui. Il a vraiment cru que j'allais partir sous prétexte qu'il me le demande ? Surtout que je n'ai pas encore fini. Je compte bien lui déballer tout ce que j'ai à dire, comme ça, après ça, je n'aurais vraiment plus rien à lui dire et je pourrais rentrer chez moi, oubliant tout existence de lui. « Encore heureux que je ne te parle plus et je ne veuille plus le faire. Tu ne crois quand même pas que je vais te prendre dans mes bras et être aussi câlin que je l'ai été ? Si tu penses cela, je peux t'assurer que tu peux te mettre le doigt dans l'œil. Je te l'ai dit, je ne veux pas de tes excuses et je ne veux plus rien avoir à faire avec toi c'est clair ? » Niveau têtu et con, il a bien été gâté par la nature. « En fait, tu n'es qu'un enfoiré. » Voilà, je n'ai que ce mot qui me vient à la bouche. Un enfoiré. Comment peut-il agir comme ça ? « Alors quoi ? Parce que j'ai refusé de coucher avec toi, tu ne veux plus me revoir ? Je ne suis qu'un vulgaire morceau de viande pour toi. » Autant dire les choses telles qu'elles sont. À ce niveau, on ne peut même plus appeler cela un coureur de jupons ! Je suis sûre qu'une personne censée n'aurait pas réagi de la sorte, ou du moins ne le ferait pas face à de telles excuses. Je suis gentille, je viens lui dire que le blesser n'était pas intentionnel, mais il en a vraiment rien à faire lui. C'est pathétique. « C'est comme ça que tu traites les femmes ? Je me sentais prête pour voir d'autres personnes, mais ce n'est pas le cas. Si tu ne peux pas comprendre ça, tu n'es qu'un connard. » Je ne fais plus vraiment attention au ton que j'emploie. Ces hommes dans la salle peuvent bien m'entendre, je n'en ai plus rien à faire. Je voulais avoir une conversation calme au départ, c'est lui qui me cherche. « Voilà, en fait c'est ça. Tu nous fais croire avec ta belle gueule que tu es gentil, mais en fait, tu n'es qu'un putain de connard. »

Je ne suis pas tendre avec lui, mais il l'a bien cherché. On me proposerait de changer mes précédentes paroles, je ne pense pas que je le ferais, c'est pour dire à quel point il est en train de m'énerver. « Connard, enfoiré … tu en as d'autres en stock peut être ? Jusque là je suis resté poli avec toi donc je te le dis direct, modère tes propos. » Pourtant, à ce moment précis, je suis capable de lui en sortir d'autres. Que cherche-t-il au juste ? À me faire passer pour la méchante ? Je ne pense pas que l'on puisse réellement me qualifier de ça. Je pense ma lèvre entre mes dents et secoue ma tête de gauche à droite, j'aurais vraiment entendu n'importe quoi aujourd'hui. « Penses bien ce que tu veux de moi ce n'est pas un problème ! En revanche je vois juste que tu ne réfléchis pas des masses … Penses tu que je n'ai que ça à faire que d'emmener une fille dans un restaurant étoilé si mon unique but était de la sauter ? C'est que tu me connais mal et ça n'a pas ou plus d'importance puisque on stopper net là. » Ce qu'il me dit est plutôt en contradiction avec ce qui s'est réellement passé. Ou alors à ce que j'imagine. « Tu te fous de moi en fait ? Ce n'était pas dans l'unique but de me sauter ? Alors pourquoi tu es parti ? Tu aurais pu rester, on aurait pu parler de tout ça, j'aurais pu m'expliquer. Mais non, tu as décidé de jouer le con et de partir, alors assume tes surnoms maintenant. » Je soupire longuement et baisse la tête, alors qu'Alejandro reprend la parole. « Je me suis ouvert à toi aussi dans l'unique but de te sauter, c'est connu … J'avais confiance en toi !! » Je rigole un peu, quelque chose de faux et ça se ressent parfaitement. Il s'est ouvert à moi ? Je voudrais bien savoir comment, car hormis son pays d'origine, sa ville natale, son métier, je ne connais pas grand-chose de lui. Selon moi, les déclarations qu'il m'a faites ce soir-là ne correspondent pas vraiment à ce qu'il me dit. Il ne s'est pas ouvert à moi, il raconte juste des conneries pour se rassurer. « Simplement merci de m'avoir remis dans le bon chemin de nouveau. » Il semble énervé, mais ce n'est pas le seul. Je le suis moi aussi. « Je suis désolée de ne pas avoir l'unique prénom Alejandro dans ma tête. Tu arrives à enchaîner les femmes sans rien ressentir, bravo à toi. Mais tu vois, ce n'est pas le cas de tout le monde. » Je n'ai clairement pas envie de me livrer ici, de lui raconter que je dois faire face à une rupture difficile, que j'ai bien failli mettre fin à mes jours et que je suis seulement en train de remonter la pente. « Tu sais quoi, tu as raison. Je ne reviendrais plus, on ne se reverra plus et c'est mieux comme ça. Aussi, oublie ce que je t'ai dit, je ne suis plus désolée de ce qu'il s'est passé. Tu l'as bien mérité. Les filles devraient te faire ça plus souvent, ça te rendrait peut-être plus humain. » Je le regarde méchamment, tourne les talons et quitte la pièce en faisant bien exprès de claquer la porte derrière moi.