Le technicien de laboratoire se rapproche de moi pour me parler des résultats de l’analyse. Et du nouveau patient…

« Et du coup, le nouveau patient pour les tests a été placé dans un autre service ! Avec les travaux, on n’avait plus de places.
- Okay, j’irai le voir tout à l’heure. »

J’arrive à l’étage et demande à l’infirmière bien occupée la chambre du patient concerné. Je reste souriante face à la nonchalance de mon interlocutrice. Ça me passe par-dessus, à vrai dire, j’ai du travail, pas de temps à perdre pour des broutilles !

Au détour du couloir, je me prends dans un homme. Confuse, je ramasse les papiers que j'ai fait tomber sous la surprise.

Et là, je lève la tête pour le regarder...

Ces yeux…
Ce regard...
Ce visage...

Je les connais trop bien.

Ce n’est pas mon patient.

C’est lui.

Je crois mourir. Mon cœur s’arrête dès l’instant où je commence à détailler son visage. Je me sens pantelante, vais-je m’évanouir ?

« Ka…Ka…Kael… » je murmure faiblement. Mes lèvres tremblent.

J’ai peur.
Et en même temps, un autre sentiment nait en moi.
Un sentiment joyeux.
Je me sens heureuse.

Toujours aussi beau, si…
A l’exception de ses blessures que je remarque, évidemment.

J’aimerais me rapprocher davantage, me serrer contre lui.
Un an déjà et j’ai l’impression que c’était hier que je ferme la porte.
Que son parfum n’embaume plus mes narines.
Que son sourire n’illuminait plus mes journées.
Car je partais…

« Salut… » dis-je presque avec timide, telle une adolescente en amour.

C’est un sourire à demi-teinte que j’arbore.
Parce que je suis gênée de la situation, loin d’être à l’aise étant donné la séparation douloureuse qu’on a subit à l’époque.
Et l’autre raison, toujours la même, ce sentiment agréable d’être proche de lui.

Un peu de distance, c'est toujours mieux que des milliers.

Statique, je le fixe de manière indécente. Je le dévore du regard mais je suis obligée. J’y suis obligée. Imposée une distance entre lui et moi, bien que l’idée me fasse du mal, je m’y résous. Je ne peux pas dire que je suis froide, simplement, je tente de prendre une attitude impassible bien que je démontre quand même la surprise. Après tout, se retrouver à des milliers de kilomètres de Chicago, après un an…

Le monde est un peu trop petit…

« Que fais-tu ici … ? » dis-je en tentant de cacher ce pincement au cœur. J’imagine tant la souffrance physique qui l’amène à être sur ce lit.

J’ai envie de lui demander pardon. De me pardonner pour tout, et surtout, mes mensonges. Mais c’est impossible, qui pourrait pardonner autant ? Il risque de me haïr d’avantage que présentement. Sur la défensive, je n’ose pas ajouter plus de mots.

Je suis bien trop surprise.
Heureuse.
Nostalgique…

Une partie de moi tente de recouvrer la raison. En un an, il a dû vivre bien d’autres choses. En dehors de cet incident, que fait-il à présent ?

A-t-il refait sa vie ?
Après tout, qu’est-ce qu’un an avec moi pour lui ?
Une poussière dans une vie entière.

Ça me fait du mal d’y penser, parce que ce n’est pas le cas pour moi.
La vie est injuste. Et dure.

Et malgré ça, je suis obligée de sourire.
Enfin, je m’y emploie…

« Non… » je murmure.

Non, ne pars pas. Restes avec moi.
Ces mots me restent au fond de la gorge, je suis incapable de les prononcer. Si j’ose…

Rien que d’y penser, j’ai peur.
Je serre mes papiers contre ma poitrine.

Puis je me demande ce que je peux dire à présent ? Certainement pas lui demander Pardon, le supplier de me reprendre à ses côtés. Ce serait stupide et très misérable.

Je trouve un peu de courage, quelques idées confuses…. J’inspire profondément avant de me lancer, l’esprit troublé par la présence de mon interlocuteur :

« Je peux t’y conduire. Ce n’est pas très loin. » J’ai tout le temps qu’il faut pour toi.

Après tout, on ne peut pas me reprocher de diriger un « patient » jusqu’à la salle de radiologie, si ? Ce n’est que le hasard qu’il soit mon ex.

Nerveuse.

Je ne tiens pas en place. Il est là, si proche de moi. J’ai qu’une envie : me glisser dans ses bras.

Punaise…
Je me rends compte d’une chose…

J’en rougis.
Il me plait encore,
Et toujours.

Pourtant, ça fait un an. J’ai le droit d’être indifférente à sa présence.
Mais ce n’est pas le cas.

« Viens… » dis-je calmement.

Je quitte son contact visuel pour prendre la direction du service radiologie. Toutes les minutes qui passent, je les utilise sans modération à me retourner, le contempler, me maudire, me détester, l’apprécier. Une fois frustrée, je reporte mon attention sur mon chemin.

Je n’ai qu’une chose à faire et après tout, je peux bien faire ça. Un an que je ne l’ai pas vu. Un an qu’il m’a manqué bien qu’on me force à l’oublier. Cette frustration et ce stress ont raison de ma conviction à respecter mon engagement familial.

Je me retourne soudainement…
Et surprise, surprend Kael dans mon geste.
Je suis face à lui, encore plus proche physiquement.

Je sens sa respiration.

« Pardonne-moi, Kael… »

Je me mordille la lèvre inférieure.

« D’être partie. »

Ce n’est pas dans plusieurs jours, dans quelques mois ou encore une année que je dois lui dire. C’est maintenant. Ma culpabilité m’empêche d’être tranquille à ses côtés. Je ne peux pas ne pas penser au mal que ça nous a fait.

Car c’est évident que je l’ai blessé, à l’époque.
Et que j’ai pleuré des jours de l’avoir quitter… par obligation.

« C’est sûrement trop tard maintenant. Tu dois te dire que je suis culottée de te demander ça, mais j’avais mes raisons ! Et… »

Bon dieu, mon cœur palpite.
Si fort que ça ?

Je pense encore à toi.

Mais je ne peux pas lui dire ça. Ce serait… impossible. De toute manière, il va sûrement me pester ouvertement. Ce que je lui ai fait n’est pas pardonnable. Moi-même, je ne pense pas être capable de pardonner un tel acte.

Si lâche…
Si flou…

« ça me rend dingue… » je lâche ça dans un soupir.

J’attends un reproche, j’en ai perdu le sourire.
Mais j’affronte courageusement ce qui va sûrement suivre.

J’ai envie de l’embrasser, de me jeter dans ses bras pour lui voler un baiser.
Son absence est un énorme creux dans mon cœur.
Je m’en rends compte mais on vient de le dire…

C’est trop tard.

« Je sais. Mais… je m’en veux de t’avoir fait du mal… » Et c’est vrai.

Et aujourd’hui encore, j’ai mal. Même après une année.


J’essaie de contenir la folie de mon esprit à ce moment présent. Je ne sais pas quoi dire de plus. Kael enfonce même le couteau en parlant de son père. Il lui a menti ? Je ne suis pas sûre de comprendre.

Non, je ne comprends pas en fait. Je suis trop mal placée pour lui demander pourquoi il me dit ça.

Je sens l’accélération de mon rythme cardiaque, les frissons s’emparent de mon corps. La tension entre nous est trop intense, et pas vraiment agréable à cause des mauvais souvenirs. Je me retrouve fixée sur le sol alors que je sens son parfum embaumé mes narines…

… quand il me contourne et s’éloigne en direction de la radiologie.

Je me sens déchirée.

C’est si affreux.

En partant avec une simple lettre, je me suis évitée encore plus de larmes. Encore plus de souffrance que j’en ai ressentie quand j’ai passé le seuil de la porte.

Mon cerveau ne réfléchit pas.
Mes jambes fléchissent pour un élan… sportif.

Et avant que je me rende compte de mon acte, ma main serre celle de Kael, l’attire vers moi pour l’arrêter dans sa course.

Mais pas un mot ne sort.

Je ne cesse de me noyer dans son regard bleuté.

Je lâche finalement sa main. Après tout, je ne dois pas me montrer si attachée à lui alors que justement, j’ai dit désirer l’inverse. Ne pas me « poser » avec quelqu’un…

Et pourtant…

« Ka…Kael… »

Les mots se cherchent dans mon esprit. Des milliers, sans trouver comment formuler ce que je pense. Sans lui dire la vérité. Sans lui dire qui je suis vraiment. J’ai envie de conquérir à nouveau son cœur, j’ai envie de retrouver la chaleur de ses bras.

Les mots de mon père résonnent alors dans ma tête. Les larmes montent, je tente de ne pas bégayer face à l’émotion.

« C’est plus compliqué que tu le crois, Kael. J’ai… »

Ma gorge se serre de plus en plus.
J’ai envie d’exploser.

« J’ai pas voulu tout ça. Je sais que tu me détestes et qu’on ne peut pas revenir en arrière. Saches que je tiens vraiment à toi, Kael. Et ce n’est pas un mensonge. »

Dans un sens, c’en est un. Parce que je tiens davantage à lui. Bien plus que je ne devrais après un an de relation. De toute façon, ça ne change rien. Il est passé à autre chose.

« J’aimerais qu’on se revoit, dans d’autres circonstances… si tu veux bien… »

Au travail, ce n’est pas le meilleur endroit pour parler. Et je suis encore sous l’effet de la surprise. J’ai besoin de retrouver mes esprits.
Je ne suis pas sûre qu’il accepte. Autant que je lui montre que ce n’est pas mon intention de lui imposer ça. Je crois que si c’était lui qui m’avait quitté par une lettre, j’aurais été tout aussi peu avenante à son égard.

« Si tu n’en as pas envie, je ne te forces pas. Mais… j’aimerais te revoir. » Juste pour parler…

Une partie de moi a envie de le séduire.
Je me rends compte de cette pensée et je détourne mon regard.

C’est une discussion qui pèse étant donné la situation. On a eu droit à la surprise tous les deux et il faut du temps pour digérer cela. Sauf que je n’ai pas envie de le prendre ce temps. Le revoir, là maintenant, me fait rêver d’un retour en arrière. De retrouver cet amour qu’on a vécu par le passé.

Ce qui est impossible.
Ce n’est qu’un songe.
Impossible à réaliser.

Bien que l’espoir n’existe plus dans mon cœur, j’obtiens la réponse que je souhaite : on se revoit. C’est une belle occasion que je ne peux pas rater. Et mes parents n’en sauront rien. Je n’arrive pas à cacher ce sourire, ravie à l’idée de le retrouver.

Mes lèvres se tordent légèrement. Pine Rivers, ça tombe bien !

« Oui, j’habite par-là. » dis-je calmement.

Une partie de moi sait que ce n’est pas une bonne idée. Pour de nombreuses raisons. Mais n’est-il pas opportun de ne plus se cacher ? Il va comprendre petit à petit qui je suis bien que je reste la même : même personnalité, même caractère. Seul l’univers est différent.

« 628 Pine Rivers, viens dès que possible. On pourra manger ensemble, si tu veux… »  

Je crois que j’ai encore le cœur d’une adolescente. Poussée par la spontanéité qui me caractérise, je me rapproche soudainement de Kael pour déposer un baiser sur le creux de sa joue. Bien évidemment, je m’écarte aussi. Je n’ai pas envie de vivre physiquement un rejet de sa part. Ressentir sa colère me fait déjà bien assez mal.

« A ce soir »

Un dernier regard puis je m’éloigne.
Je m’enfuis.

J’ai envie de trouver l’espoir que ce soir sera une bonne soirée. Pourtant, mon ventre est noué d’une pensée plus négative, il est possible que ça se passe plus mal que prévu. Je n’en sais rien. Je le saurais ce soir.