Il le remarquera seulement s’il porte attention - mais j’étais contente de le voir, Charles. C’était un peu un drapeau blanc que je levais, ma façon à moi de recoller les quelques bribes post-rupture, l’Ariane infecte que j’avais pu être pendant plusieurs mois, détachée, diffuse, alors que j’évitais comme la peste tout ce qui me rappelait Tad et le reste. Coeur brisé et ego éclaté m’avaient semblé être deux arguments particulièrement efficaces pour me fermer à ceux qui jadis étaient comme une famille de remplacement, comme des frères et soeurs choisis sur le volet, trop cons pour avoir été inventés de toutes pièces, et surtout parfaits dans leurs imperfections. Bien sûr, le fait que Nadia ait rompu d’avec Elio à la même période que moi avec Cooper avait aidé au détachement, et toutes les deux contre le monde entier, on s’était planquées ailleurs, on s’était fait croire que la vie n’avait pas besoin de rien d’autre que ce qu’on pouvait y créer en duo. La vérité était moins simple, quand on voyait comment ma meilleure amie avait pâti de s’être fermée à la bande, et comment, après quelques mentions à peine d’eux et les étoiles dans les yeux plus tard elle avait refait un pas, timide, dans leur direction, et moi à sa suite. Nadia évitait Elio pourtant, et pour ma part, j’étais allée direct à la rencontre de Tad, j'avais réglé les points manquants, réparé ce qu’on avait cassé en dizaines, puis en centaines de morceaux. Et on s’était réapprivoisés, au détour d’une cage d’escaliers, à un show des Street Cats, à une soirée à son appartement, à une nuit à deux. Si la situation entre l'italien et moi était encore à définir, si ça me semblait aussi simple que ce que je voulais croire, ce n’était pas dit que nos déboires d’avant nous rendrait aussi immondes, aussi difficiles à gérer que dans nos pires moments. Tout allait bien avec Tad, tout était stable, suffisamment pour que je me tâte à piquer Charlie, à retisser un semblant de lien, à tenter de voir s’il était toujours un adversaire de taille, ou s’il m’avait reléguée aux oubliettes. Ce serait mentir effrontément que de dire que je n’avais pas eu le sourire de la conquérante tout l’après-midi à préparer mes manigances, l’anglais à un texto près de découvrir mon plan machiavélique. Ce genre de piège était monnaie courante entre nous deux avant, et retrouver si facilement, si naturellement le rythme avec lui m’avait apparu comme le plus grand, le plus salvateur des soulagements. «
Si quoi? » tout de suite la méfiance, tout de suite les mauvaises intentions, et je n’ai à peine le temps de saluer sa tête de riche gosse à deux balles qu’il m’attaque - et que je chante, impassible. C’est tout juste si je ne le flatte pas d’un battement de cils et d’une bouche en coeur pour le terrifier à des niveaux encore jamais atteints. Bien sûr que je trame quelque chose, bien sûr que nos retrouvailles ne seront pas banales, que je ne me contenterai pas juste de lui dire qu’il m’a manqué, que sa tête à claque, ses habitudes de princesse, ses manies de bourge et autres traits typiques le caractérisant ne me faisaient pas plaisir à voir, à revoir, dans l’immédiat. «
Maman est fière. » il fait des efforts, Charlie, satisfaisant mes oreilles en commandant un whisky straight up, pas comme ces petites fillettes que j’avais remarqué au bar, qui ajoutaient une cuillère d’eau, qui tournaient la glace 5 fois dans leur verre avant de boire le liquide ambré. Amateurs. Installé face à moi, le brun me donne l’impression d’être un tantinet stressé - c’est que ma surprise lui fait de l’effet. Il me donnait presque envie de lui sortir le joint de sûreté que j’avais toujours dans mon sac, le temps qu’il
chill out un peu. Ça allait bien se passer ; l’amour est aveugle, et s’il se cambre bien, il risquait de faire oublier n’importe quel tract pré-date à quiconque. Néanmoins, je n’ai pas le temps de le gratifier de mon expression des plus mystérieuses, avant que le futur objet de son désir ne daigne se montrer le bout du nez. Et Charles qui fait volte-face vers moi, qui profite d’un moment d'inattention de Jessie pour me poser la question, celle qu’il croit suffisante pour me faire balayer mes doutes sur son orientation sexuelle, comme si j’allais le juger pour aimer autant que moi ce qui se trouve en bas de la ceinture d’un XY. «
C’est pas très gentil pour notre invité. » que je réprimande, la voix douce, qui murmure, les iris qui ne lâchent pas ceux de mon ami. Sa menace me fait rire, lui qui se croit tout permis à prévoir déjà sa vengeance. Je la balaie, faussement naïve, du revers de la main. «
Ah, mais si c’est juste ça. » ni d’une ni de deux, ma main se dépose sur l’avant-bras du serveur qui s’apprêtait à reprendre sa course après avoir noté la commande de Jessie. «
Vous mettrez son whisky sur ma facture. » ça se dit fils de riche et ça parle de paiement même pas 15 minutes après être arrivé - la jeunesse était bien ingrate de nos jours. De retour à nos sièges, la conversation se lance entre les garçons, et c’est empli d’une grande fierté que je les regarde, les écoute, les admire. Charlie parle de moi comme il en parle toujours, Jessie rebondit tout sourire. «
J’ai été à GQ pendant un semestre, Ariane a été ma superviseure. » et pour être tout à fait honnête, il n’était pas mal du tout pour gérer toutes les
dick pics que je recevais à outrance sur mon courriel de boulot, et mes comptes sur les réseaux sociaux. Encore aux études, la tête pleine de projet, il est de ceux qui façonneront l’avenir de demain, et si le Hazard-Perry joue bien ses cartes, il pourrait s’afficher façon {#}
relationshipgoals{/#} à ses côtés. «
Tout jeune, tout frais. » que je commente discrètement, à l’oreille de Charlie, pour faire état de la qualité de la marchandise. Puis, c’est le moment douceur, le moment dédicace, là où s’ils sont attentifs, ils verront passer une pointe de franchise à travers mes piques et mes vannes, mon sarcasme et mon cynisme. «
Charles est l'un de mes meilleurs amis. » pause, m’assurant que tout le monde a bien entendu l’ampleur de la chose, et que je pourrai me servir de cette jolie vérité pour acheter un peu de sympathie plus tard, peut-être. «
Du moins, quand il est poli et qu’il cheers avec nous. » on dépose le verre de Jessie sous ses yeux, et j’encourage le mouvement, plutôt enthousiaste pour la peine.