Don't fool me

Et si tu n'existais pas, dis moi pour quoi j'existerais

Une vie est faite de hauts et de bas. Alexander Samuels avait subi plus de bas que de hauts ces derniers temps. Son foyer lui manquait et pourtant cela faisait deux semaines qu'il n'y avait plus mis les pieds. Comment aurait-il pu retourner auprès d'elle, faire face à son regard et prétendre que tout allait bien? Pire, comment aurait-il pu assumer qu'il avait fait ce qui était inexplicable... il l'avait trompée. Les sentiments qu'Alex éprouvait pour son épouse étaient tout sauf simples. Il l'aimait de cet amour tendre et ravageur à la fois. Les années étaient passées et n'avaient rien effacés à ses sentiments. Mais pourtant, quelque chose s'était brisé entre eux.

Il tournait la clé dans la serrure, prenant soin à ne pas faire trop de bruit car toutes les lumières étaient éteintes, elle devait dormir. Il l'imaginait paisible dans leur lit conjugal et l'envie d'aller se blottir contre elle le traversa. Qu'avait-il fait? Avait-il tout terminé entre eux? Le regard de Théodora, bienveillant, gentil, lui apparut dans l'esprit et il se rappela pourquoi il avait fauté. Eliane ne le regardait plus, c'était à peine si elle lui parlait. Elle lui en voulait de ne pouvoir lui apporter une nouvelle source d'amour et refusait celle qui était pourtant toujours présente: son amour à lui. Une fois entré, un sentiment bizarre le prit aux tripes, comme si quelque chose n'allait pas. Il vit une petite pile de papiers entassée sur une armoire basse, son courrier. Il le feuilleta rapidement, rien d'intéressant. Ce qui était important concernait le travail et ça, ça lui venait toujours en personne par un recommandé, on ne chipote pas à l'armée.

Entré dans la cuisine, il cherchait un verre pour se servir un peu d'eau avant d'aller se prendre des affaires dans leur chambre à coucher. Son appartement en centre ville était pratique mais il n'avait pas tout ce qu'il voulait sous la main car ce n'était plus sa demeure principale. Fouillant dans le noir, il fit du bruit en déplaçant la vaisselle qui se trouvait auprès des verres mais finit par trouver son bonheur dans une tasse qu'Eliane lui avait offerte deux ans plus tôt. Une photo d'eux était imprimée sur la tasse. Alex cherchait à la distinguer dans le noir quand soudain, une silhouette fit son apparition et le menaça d'un parapluie. La lumière se fit et Alex put voir le visage d'Eliane se décomposer. Elle était toujours aussi jolie même si fort pâle. Il repense à l'appel téléphonique qu'il avait refusé de la part de sa secrétaire quelques heures plus tôt. Il craignait qu'elle l'appelle pour lui parler d'une procédure de divorce. Mais au teint si blanc de son épouse, il sut qu'il avait été question d'autre chose. Sa gorge se noua en lisant cette profonde tristesse sur son visage et il murmura "Je me servais un verre d'eau Eliane, baisse ce parapluie." Son ton ressemblait à celui d'un mort. Il parlait à peine, peinant à la regarder dans les yeux. Il posa le verre sur la table de la cuisine, et la contourna pour aller ôter le parapluie des mains d'Eliane. Instinctivement, il chassa des cheveux du visage fatigué de sa femme et demanda plein de culpabilité "Tu vas bien?" Bien qu'il était à quelques centimètres d'elle seulement, il évitait de la regarder droit dans les yeux, il n'y arrivait pas.

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Un peu comme si rien ne s'était passé. Il était rentré à la maison. Il était revenu, avait franchi les quelques mètres qui le séparaient de la cuisine, tâtonnant dans le noir, comme s'il revenait du boulot après une longue journée. Puis elle était apparue là, dans l'encadrement de la porte, avec ce parapluie comme arme de défense. Elle n'aurait pas dû craindre son mari et encore plus, elle n'aurait pas dû avoir à se défendre toute seule si un intrus venait à pénétrer leur maison. Et pourtant il lui avait imposé cela en disparaissant, en partant. Son coeur se contractait à chaque fois qu'il la voyait. Il se rappelait des larmes chaudes qui avaient ruisselé sur le visage de son épouse quand elle lui avait appris les résultats concernant les tests de fertilité. Lui? Lui il était aussi sain qu'un boeuf adolescent. Elle? Elle, elle était la cause de tout. Ces mots avaient heurté Alex qui avait tenté de lui expliquer que ce n'était pas si dramatique que cela, qu'il y avait des solutions. Mais comment aurait-il pu effacer le désir d'une mère d'avoir des enfants? Il ne comprenait pas ce qu'elle vivait et elle ne comprenait pas que son amour ne flétrirait pas pour autant.

Il la regardait lui prendre une bouteille d'eau dans le frigo et se demandait quoi répondre. Devait-il lui dire qu'il n'avait rien retrouvé du tout? Qu'il venait juste pour se chercher quelques affaires car il n'en avait pas emporté suffisamment en partant? Parce que quand il était parti, il ne savait pas qu'il partait, il pensait juste se prendre un week-end au loin pour se changer les idées, pour ne plus penser au fait qu'elle le repoussait avec tant d'obstination. Mais il se mentait, il savait déjà qu'il allait fauter, il savait déjà qu'il commettrait l'irréparable. "J'en sais rien Elie..." Que pouvait-il lui dire d'autre? Comment justifier son retour? Il voyait à quel point elle était mal. Pouvait-il la détruire encore un peu plus? Non, il ne voulait pas ça. Il savait à quel point lui était détruit et il ne le lui souhaitait pas.  

Elle lui avait demandé combien de temps il resterait et il ne savait pas quoi lui dire, encore une fois, il était perdu, paumé. Son regard parcourait le corps de sa femme, toujours en évitant ces yeux qui l'interrogeaient avec tant d'intensité. "Je ne pensais pas rester." Il était honnête. Quelque part, il se doutait que mentir ne l’avancerait à rien, Eliane avait toujours été douée pour cerner les mensonges. Elle n'était pas avocate pour rien après tout.  "Je ne me sens plus à ma place ici. "   Ca lui avait échappé. Pouvait-il lui confesser cela? C'était trop tard, il venait de le faire. Soupirant, il s'assit sur une chaise, prenant une gorgée dans sa tasse où les sourires amoureux du couple dénotaient avec leurs visages fermés d'aujourd'hui. "Je ne pense pas que ça serait une bonne idée que je rentre." Il voulait parler avec elle mais il ne savait pas si elle était prête à ça. A chaque fois qu'il avait essayé, elle s'était fermée comme une huître et avait refusé la discussion. Peut-être avait-elle pressenti ce qui allait arriver. Ou peut-être l'avait-elle poussé à cela, essayait-il de penser pour se déculpabiliser. "Tu voudrais que je revienne?"    

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Ce que Eliane ne comprenait pas, c'était qu'il était parti sans vraiment le vouloir. Il avait quitté leur maison sans désirer être ailleurs. Il aurait souhaité qu'elle vienne le chercher, qu'elle lui dise qu'elle regrettait tout ce qui leur était arrivé et qu'ils redeviennent les amis et amants d'autrefois. Mais elle n'avait pas pu le faire. Pourquoi? Il n'en savait rien et il avait cessé de se tourmenter à ce sujet car Eliane était Eliane et seule elle savait ce qu'elle ressentait. Mais quand elle lui disait qu'il devait revenir parce que c'était lui qui le voulait il avait envie de lui crier qu'il ne pouvait pas vouloir pareille chose avec une femme qui ne daignait même pas le regarder quand il était là. Il était au bord de s'emporter mais Eliane prit la tangente. Elle lui indiqua de rebrancher l'alarme en partant et il comprit qu'elle le congédiait. Il n'était plus qu'un de ses larbins dont elle disposait désormais. Si elle n'avait plus rien à dire, elle partait. Elle fit une pause en se soutenant sur le frigo et Alex fut tenté d'aller voir si elle allait bien mais il n'en eut pas le temps. La douce madame Samuels avait déjà repris ses esprits et était partie se recoucher.

Seul dans la cuisine, il inspecta l'endroit avant de chercher son téléphone. Machinalement il fit dérouler ses messages, ignorant ceux de Véra qui tentait désespérément de le joindre depuis quelques jours et parvenant à un message automatique de sa messagerie. Il appuya sur le raccourci que lui offrait la machine et entendit la voix mécanique du robot lui indiquer qu'il avait un nouveau message. C'était bien ce qu'il avait anticipé sans pour autant savoir exactement de quoi il s'agissait. Alors que quelques heures auparavant il pensait avoir été contacter pour parler d'un divorce, maintenant il s'attendait à entendre la voix de l'assistante d'Eliane lui annoncer qu'elle allait mal. C'était effectivement ça, elle avait eu un malaise. La demoiselle ne lui en dit pas plus, c'était un message laconique mais inquiétant. Se frottant le front avec désespoir, il ferma la lumière derrière lui et prit les escaliers qui menaient à l'étage.

Elle ne pouvait pas le repousser éternellement. Du moins, elle devrait bien lui parler à un moment ou à un autre. Il s'assit sur le bord du lit sans y être invité. Sa main se posa sur la couverture qui recouvrait les pieds de son épouse. Il ne savait pas si elle les retirerait suite au contact où si elle le laisserait la toucher ainsi indirectement, mais instinctivement il avait posé sa main sur celle qui était encore sa femme. "Tu ne m'appelles plus quand tu vas mal?" Il faisait référence au malaise de la journée et au fait qu'elle avait préféré se rendre dans sa chambre toute seule que de le regarder une seule seconde de plus. "J'ai fait une erreur Eli..." Etait-ce nécessaire d'en dire plus? Ne le savait-elle pas déjà? Il aurait voulu pleurer mais la peine qui lui étranglait la gorge était bien trop forte. Il soupira avant d'ajouter. "On s'est tellement perdu, j'ai le sentiment que tu ne veux plus de moi. Ca fait des mois que tu refuses qu'on en parle, ça fait des mois que je me sens comme un chien... un chien abandonné. Ca n'excuse rien, je le sais... "  Il avait besoin qu'elle entende ce qu'il avait à dire et qu'elle communique avec lui. Mais il ne savait pas si cela pouvait encore sauver quoique ce soit.  

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On dit que l'amour, le vrai, ne meurt jamais. Alex ne savait pas si c'était vrai mais il l'espérait. Seulement, cela faisait plusieurs semaines qu'il commençait à perdre la foi. Car si ses sentiments étaient toujours là, ils se cachaient en dessous de couches immenses d'un mal qu'il n'arrivait plus à gérer. Personne ne pouvait faire face à ça. Il allait tellement mal que pas même Alizée n'avait pu être jugée suffisamment bien placée que pour l'écouter et le soulager. Il avait eu besoin de s'auto-flageller pour sentir que sa vie n'était pas dépourvue de sens. Et pourtant, depuis qu'il avait fait ce pas de travers, la culpabilité qui s'était emparée de lui n'avait eu de cesse de croître et croître encore jusqu'à le rendre presque dépressif.

Assis auprès d'Eliane, il espérait qu'elle aurait une autre réaction. Il avait posé sa main sur elle et aurait aimé qu'elle se retourne, qu'elle la prenne dans la sienne et qu'elle l'accueille auprès d'elle. Il avait besoin de se sentir comme un élément à part entière de ce foyer qui avait été le leur. Mais rien, il n'y avait plus rien ici... Seul un froid monumental qui représentait leur relation ces derniers temps. Il l'avait sentie se crisper lorsqu'il avait évoqué son erreur, son infidélité. Elle le laissa parler un moment avant de se retourner, de faire lumière sur eux et de parler enfin, elle aussi. Il n'attendait pas qu'elle le prenne ainsi mais il savait qu'Eliane n'était pas le genre de femme à faire dans la dentelle. Alizée le lui avait dit qu'il aurait droit à une scène violente quand elle apprendrait et il savait qu'elle avait raison. Eliane avait été son épouse et l'était encore pour cette bonne raison qu'il aimait ce caractère de feu qui dormait sous ce visage angélique. Mais là, maintenant, il avait envie de crier qu'elle était injuste. "Ton absolution?! Non, je ne veux pas l'absolution! Je veux juste qu'on parle. Je veux ça, là, ce que tu fais, que tu cries, que tu dises ce que tu penses... Mais que tu le dises bon sang! Ca fait des mois que tu me maltraites avec ce mutisme comme si j'étais responsable de ta condition!"

Cela le soulageait d'enfin pouvoir ouvrir la bouche et de s'adresser à Eliane sur ce sujet fâcheux qui les enterrait petit à petit. Il avait essayé par le passé mais elle ne répondait pas, elle fuyait, elle quittait la pièce ou lui disait que ce n'était pas le bon moment. Il avait fini par arrêter, par faire des piques acidulées avec des commentaires remplis de sous-entendus sur la carapace dorée de son épouse. Mais elle faisait semblant de ne pas s'en soucier. Il avait presque commencé à la détester car elle s'enfermait dans ce qui ressemblait à de l'indifférence. Et maintenant, maintenant elle osait lui parler comme si il était fautif de plus que ce qu'il n'admettait être fautif. "Tu ne la connais pas, c'est personne, juste une fille, une fille qui a bien voulu de moi, qui a bien voulu me parler, qui a bien voulu me prendre dans ses bras!" C'était mauvais, méchant, et il voyait bien qu'elle souffrait. Mais la douleur qui occupait son âme depuis si longtemps devait sortir."Ca aurait dû être toi Eliane... Je sais que j'ai merdé. Mais je voulais pas te tromper et tu me connais assez que pour savoir que je suis pas ce genre de mec." Il marqua une pause, la regarda avec intensité et insista avec douleur "Tu le sais non?"

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Eliane avait changé avec le temps. La femme stérile avait pris toute la place. Et Alex se sentait lésé. Même maintenant, elle lui demandait si il voulait vraiment qu'elle parle et il avait envie de lui crier que oui, de lui hurler qu'il ne savait pas comment elle pouvait en douter. Pourquoi était-elle aussi obstinée? Y avait-il seulement une raison? Il craignait que leur amour se soit étiolé avec le temps. Voilà pourquoi il l'avait laissée ne pas parler tant de temps, voilà pourquoi il ne l'avait pas provoquée un peu plus. Il avait peur qu'elle finisse par lui dire qu'elle ne pourrait vivre que avec lui. Qu'elle avait besoin de cet enfant non pas pour ce qu'il représentait mais parce que c'était la seule manière qu'elle avait de ne pas être seule avec lui. "Evidemment que je le veux. Tout vaut mieux que ce silence dans lequel tu nous as enfermés!" Il le lui reprochait sans détour. Ca c'était sa faute à elle. Après, il n'était pas irréprochable non plus mais ça... il avait fait énormément pour l'éviter.

Quand elle lui dit qu'elle ne savait pas. Quand elle put dire cela, son coeur prit un sacré coup. Il était certain qu'elle confirmerait qu'elle savait qu'il n'était pas ce genre d'hommes. "Tu ne sais pas si je suis le genre à aller me taper une inconnue juste parce que j'ai une envie physique? Non?" Il serrait les poings tentant de ne pas la regarder tant il sentait que cela l'énervait. "Tu ne sais pas si je suis le genre à coucher pour le simple plaisir de coucher avec une autre? Après six ans, tu ne sais pas ça? Mais qu'est-ce que tu sais sur moi au final Eliane?" Il n'était plus lui-même. Il se sentait tellement vulnérable et blessé qu'elle n'avait pas idée de tout ce qui se bousculait dans sa tête.

Elle s'était levée pour regarder l'horizon comme elle le faisait si souvent. Sauf qu'il n'y avait pas de soleil à distinguer au dessus des vagues de la mer. Il n'y avait pas de rêve à bâtir à deux ce soir-là. Juste une terrible nostalgie. Autrefois, il venait derrière elle, l'enlaçait et lui demandait à quoi elle pensait. Il s'amusait à embrasser son cou tout en ajoutant ses propres rêves à ceux de sa femme. C'était là qu'ils étaient prêts à avoir des enfants un an auparavant. Il tenait la tête dans son cou et elle avait murmuré qu'elle était prête. Il n'avait pas compris, pensant qu'elle signifiait juste un désir de faire l'amour. Puis elle avait posé sa main sur son ventre. Une fausse alerte, elle avait pensé qu'il était possible qu'elle soit restée enceinte ce matin-là et elle avait réalisé que cela ne l'effrayait pas. Puis elle avait compris que c'était une fausse alerte. Cela lui avait fendu le coeur et elle avait alors compris qu'ils étaient prêts à fonder une famille. Alex avait accueilli la nouvelle le sourire aux lèvres. Il voulait lui aussi avoir des enfants et il était pret à se donner pour cela. Mais maintenant, il ne pouvait aller prendre sa femme dans ses bras et lui promettre qu'ils auraient plein d'enfants comme cette fois là. Et les phrases qu'elle lui jeta au visage tout en se retournant confirmaient qu' il était bien loin le temps des rêves communs. "T'es sérieuse Eliane? Tu crois que c'est ça que j'ai fait? Que je t'ai remplacée? Tu crois que j'en ai quelque chose à faire que tu ne puisses pas enfanter?!" Il passait nerveusement sa main dans ses cheveux et la regardait furieusement en se rapprochant d'elle sans s'en rendre compte. "Je t'ai trompé d'accord. Mon corps t'a trompée. Mais je ne t'ai jamais été infidèle avec mes sentiments. Et si tu penses le contraire, tu te trompes!" Il aurait voulu lui dire qu'il ne pourrait jamais la tromper ainsi parce qu'elle possédait son coeur et que jamais plus personne ne pourrait lui donner ce qu'elle lui avait donné. Mais les mots restaient au seuil de sa bouche, incapables de sortir face à tant de haine. "Et toi? Combien de temps il t'a fallu avant de me chasser de ton lit hein?! Parce que oui j'ai couché avec une autre... au moins elle voulait de moi elle! Au moins pour cette femme je sers à autre chose qu'à procréer. Parce que tu ne t'es pas dit que je pouvais aussi avoir besoin de toi? Etre atteint par la nouvelle? Que je voulais qu'on la surmonte ensemble... Non, tu t'es repliée sur toi Eliane..." Il fulminait. Il sentait que la nuit ne faisait que commencer et ça lui déplaisait car Eliane n'était pas dans son meilleur jour. Mais ils devaient parler.

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Si il semblait gagner du terrain, il n'en était pas pour autant plus heureux. Que Eliane reconnaisse qu'il n'était pas un coureur de jupons, cela ne le réconfortait pas. Car au final, coureur ou non, il avait terminé par aller voir dans les draps d'une autre si on ne s'y sentait pas mieux. Mais ce qu'Eliane s'obstinait à ne pas comprendre, c'était qu'il ne l'avait pas fait parce que sa propre épouse ne lui convenait plus. "Et qu'est-ce que tu veux dire? Que tu ne sais plus qui je suis? Qui toi tu es..." Ce n'était pas vraiment une question, plus une affirmation. Car Alexander Samuels se sentait pris au piège de ces questions lui aussi.  Il avait le sentiment que plus le temps passait et plus cette incapacité qu'elle avait de faire des enfants devenait son identité à elle mais aussi la sienne. Ils n'étaient plus les Samuels, ce couple heureux que tous jalousaient. Non, ils étaient... les incapables, les inféconds. Et cela faisait mal d'effacer tout ce qui les définissait pour ne laisser la trace que de ce sentiment affreusement négatif.

Evidemment elle avait raison. Ce qu'elle décrivait, il l'avait toujours voulu. Des gosses, une ribambelle d'enfants qui tournent dans son jardin. D'ailleurs la maison avait été choisie en conséquence. Il ne s'agissait pas d'une maison mais d'une villa, une énorme villa avec un jardin qui s'étendait presque jusqu'à l'Océan. A quoi leur servirait tout cela s'ils n'étaient qu'eux deux? Mais cela n'avait pas d'importance, car il préférait être à deux que tout perdre. Ces enfants n'existaient pas encore, il perdait leur espoir et non pas leur personne. Tandis que là, c'était son épouse, celle qui avait vécu avec lui, dans sa vie, les six dernières années. "Oui c'est ce que j'ai dit, et alors?! Je les veux toujours ces gosses! Qui a dit qu'on n'en aurait pas? Y a d'autres solutions!" Il savait que ce n'était pas ce qu'elle désirait. Lui non plus d'ailleurs. Mais détruire leur mariage c'était une solution encore moins acceptable que de recourir à l'adoption ou à une mère porteuse. Puis, Eliane perdit son sang-froid, pour autant qu'on puisse dire qu'elle l'avait gardé jusque là. Les larmes perlaient sur ses joues et Alex sentait comment chacune d'elle lui transperçait l'âme toute entière. "Tu es fichtrement obstinée Eliane! Tu le sais ça?" Il l'écoutait à moitié, cherchant comment lui faire entendre raison. Et elle continuait dans ce tourment d'inepties.

Appuyée contre la baie vitrée, elle lui tournait à nouveau le dos. Elle disait des bêtises plus grandes que les autres tant rien ne comptait à ses yeux que de retrouver l'équilibre perdu. "Arrête avec tes bêtises Eli..." son ton s'était légèrement adouci mais ses paroles demeuraient amères. Et alors qu'elle lui disait qu'elle ne réaliserait pas son rêve, qu'elle était une demi-femme, il mit un coup de pied dans les airs, sortit de la pièce comme un enragé, et prit la direction de son bureau. Là-bas, au bout de quelques secondes de fouille effrénée dans un tiroir qui n'était pas fermé à clé, il sortit un morceau de papier légèrement chiffonné et que le temps avait dégradé à certains endroits. Il revint auprès de sa femme et tout en dépliant le papier, criait "Alors voyons voir, veux-tu?!" Ses mains tremblaient sur le parchemin et il cherchait un passage en particulier. "Donc qu'est-ce que ça disait? Ah voilà... Je te promets que rien ne pourra me faire peur, rien ne pourra m'éloigner, rien ne retiendra les sentiments que j'ai pour toi. Car à partir du moment où tu as volé mon coeur, j'ai su que plus jamais tu ne me le rendrais. Et je ne veux pas que tu me le rendes, je veux que tu le gardes, toi et uniquement toi. Car tu es la seule à savoir comment t'en occuper, tu es la seule à savoir comment le faire respirer. Tu es mon rêve d'enfant devenu réalité. Certains veulent devenir pompier, d'autres veulent habiter aux Bahamas. Moi je te voulais toi. Depuis petit je n'espérais qu'à une seule chose, que le mal que je ressentais au fond de moi finisse par s'envoler. Et c'est toi qui m'a apporté ce soulagement Eliane. Avec ton regard tendre, tes mains guérisseuses d'angoisse, ton amour infini. Tu es mon rêve d'enfant devenu réalité et pour cela, je promets... Voilà! Tu vois, là! " Il brandit le papier devant elle, cherchant à lui montrer quelque chose en particulier. "Mon rêve c'est toi! Pas les enfants que tu pourrais faire mais toi! C'est toi que je veux avant tout. Gosse ou pas gosse, je m'en fiche." Elle saisit sa main et la pose sur ce ventre plat. Rien n'arrivera ici. Il le savait mais ce contact avec le corps de sa femme, ce corps désespérément vide, le glace. Il retire sa main sans attendre et regarde l'endroit d'où elle vient avec peine. "On n'en sait rien Eliane. Le docteur a dit qu'on ne devait pas arrêter d'essayer. Et même..." Alex secoue la tête, dépité. Il veut des enfants et a toujours rêvé de couver ses petits dans le ventre de leur mère, oui. C'est douloureux d'enterrer ce rêve. "Si on n'y arrive pas, on a d'autres moyens de fonder une famille. Mais là, on ne fonde rien Eliane, on détruit. C'est ça que tu veux? Tout ou rien?" Son regard est triste mais pour la première fois de la soirée, il se pose sur celui de sa femme. Il a besoin de savoir si c'est ça. Est-ce que sans enfant, elle ne veut plus de lui?

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Si elle ne savait plus qui elle était, Alex non plus ne savait pas. Il avait perdu Eliane au fil des jours. Elle s'était transformée en une femme qu'il connaissait à peine, faisant ressortir une froideur qu'il n'avait jamais vue en elle. La femme d'affaires était impressionnante, forte, une vraie armure la protégeait. Mais au sein de leur couple, il n'avait jamais fait face à cela. Elle était tendre, entreprenante parfois et il voyait toujours cette lueur amoureuse au fond de ses yeux. Plus maintenant, maintenant elle n'était que l'ombre d'elle-même. Maladie, stress, refoulement? Il ne savait quel était le mal qui l'affaiblissait le plus. Et de fil en aiguille, il voyait comment sa femme faiblissait encore et encore. Elle avait des larmes au coin des yeux et il savait que chacune des phrases qu'il prononçait était comme un poignard qu'il lui enfonçait dans le coeur. Mais il ne savait comment parler, comment exprimer ce qu'il ressentait.

Elle lui avait mis la main sur le ventre et son geste avait été dramatique. Il avait pu entrevoir le choc que cela avait fait à Eliane qu'il ne supporte pas ce contact. Mais il trouvait cela éminemment morbide, comme si elle lui faisait caresser une tombe. Pas parce qu'il ne pouvait plus toucher Eliane, mais parce que leur premier contact était celui de son ventre, celui qui les avait tant désunis. Il secouait la tête sans savoir comment s'y prendre pour lui faire entendre raison. "Tu veux que je te touche comme ça? Tu ne réalises même pas ce que tu fais Eliane..." Il parlait mais rien de bon ne sortait. Et elle était de plus en plus peinée. Il savait ce qu'il voulait dire mais il savait aussi qu'elle l'interpréterait mal tout comme quand il avait parlé de sa condition. Elle avait retenu le terme comme une insulte. Il avait envie de soupirer, de lui expliquer qu'elle exagérait et qu'il fallait qu'elle arrête de le tourner en bourrique mais il savait très bien pourquoi elle agissait ainsi.

Il la laissa finir ce qu'elle avait à dire avant de se concentrer pour lui fournir une réponse. Il se donnait du mal car il souhaitait vraiment que quelque chose ressorte de cette conversation nocturne. Alors, à la manière d'un homme, il évita de répondre à ce qu'elle lui demandait, en répondant par une autre question. Mais une question qui était vitale et qui était peut-être la réponse à tout ce qui leur arrivait. "En fait c'est quoi le problème? Parce que ce n'est certainement pas le fait que je ne touche plus, cela fait des mois que tu me tournes le dos quand je viens me coucher. Donc c'est quoi?" Elle est tellement proche de lui qu'il pourrait sentir sa respiration dans son cou. Il ne vacille pas, son regard reste planté dans le sien, lui faisant face avec courage et détermination. "Parce qu'au fond, tu le sais très bien que ce n'est pas à moi que tu en veux. Tu me punis parce que c'est la seule manière que tu as trouvée pour me punir moi. Mais combien de temps ce jeu va-t-il encore durer Eliane?" Voilà ce qu'il pensait. Elle souffrait de son infertilité et reportait la faute sur la seule personne qui aurait pu la soutenir. "Quand tu as appris que tu ne pouvais pas rester enceinte, ça a été un choc. Pourquoi le cacher? C'était un choc, on voulait tous les deux des enfants. Mais au lieu de venir chercher mon réconfort, tu m'as exclu. Tu m'as mis à la porte, comme si je ne souffrais pas aussi. Ou comme si je ne pouvais pas comprendre. Et alors que pour moi ce n'était pas insurmontable, tu as décidé à ma place que je t'en voudrais toute ma vie. Et pour ça, pour le fait que tu m'as exclu, oui là je t'en veux." Son ton était amer, froid et pourtant son regard dénotait. Il était plus tendre dans sa manière d'essayer de pénétrer l'âme d'Eliane et de lui expliquer implicitement qu'il était toujours là pour elle.