We need to talk, he said. Forest second I lost my breath. Somebody hurts, somebody cries, somebody breaks, and somebody lies. Scared me half to death, we need to talk, he said. I brace myself for the worst. Whenever you hear those words you know something don't fit, something went wrong. Some things don't work and something gone wrong. That's just the way it is. △
gauthier & charlie
Face à face avec mon reflet dans le miroir de la salle de bain, je poussais un long soupir. Puis, toujours aussi résigné, la mine morose, j’attrapais ma brosse à dent avant d’étaler sur les poils de celle-ci une quantité généreuse de dentifrice. J’avais toujours particulièrement apprécié lorsque j’avais un goût assez prononcé de menthe dans la bouche, quitte à abuser légèrement de la pâte dentaire. Chez les Hazard-Perry, l’apparence était de mise et ce n’était pas le compte en banque de la famille qui souffrirait de ma consommation légèrement excessive. Rien ne valait l’assurance d’un homme sûr de son hygiène buccale et je ne comptais pas laisser quelque chose d’aussi trivial qu’une haleine en perdition me jouer des tours, ça non. Pourtant aujourd’hui, il ne s’agissait pas d’impressionner quelconque demoiselle avec un sourire dévoilant subtilement une rangée de dents parfaitement blanches et alignées. Non, aujourd’hui était le jour où j’avais décidé d’affronter mon grand-frère après des mois d’évitements savamment calculés et orchestrés. C’était une comédie que Gauthier et moi observions avec application et un savoir-faire hérité de nos parents. Nous étions aussi doués l’un que l’autre pour dissimuler sous le tapis les sujets fâcheux dont ni l’un ni l’autre ne voulions parler. S’il y avait bien quelque chose qui faisait défaut à notre famille pourtant si dorée dans l’apparence, c’était la communication. Voilà des mois que nous jouions la comédie, dignes des plus grands acteurs d’Hollywood, et c’était sans le moindre doute, à l’aîné de notre fratrie que l’Oscar des faux-semblants revenait. Bien plus doué que moi lorsqu’il s’agissait de faire comme si tout allait bien, quiconque ne savait pas qu’une tempête se préparait sous le toit des Hazard-Perry n’y aurait vu que du feu. Pour ma part, c’était la fuite que j’avais opté comme moyen de repli. Je me connaissais suffisamment pour savoir qu’à tout instant je pouvais prononcer le mot de trop qui ferait basculer l’équilibre de surface qui maintenait notre famille encore debout sur le fil de nos secrets. Ces derniers temps, j’avais fait en sorte de ne me trouver à la villa qu’en cas d’absolue nécessité et pour y satisfaire mes besoins les plus primaires : dormir et manger. Le reste du temps, je le passais aux côtés de Tad, me refugiant chez lui lorsque je ne me sentais pas capable de tenir ma langue, ou à veiller sur Debra, qui supportait mon ingérence dans sa vie uniquement parce qu’elle savait que cela me tenait occupé le temps que les choses ne se tassent dans le clan Hazard-Perry. En temps normal, Gauthier m’aurait fait remarquer que sa demeure n’était pas un hôtel et que je ne pouvais pas venir y piller les vivres sans participer à la vie familiale. Mais cette fois-ci, il avait tenu sa langue, sûrement parfaitement au fait que tant que je continuerai de fuir, il serait dispensé de devoir me fournir les explications qu’il rechignait à me donner. Cependant, bien moins endurant que lui pour maintenir les apparences, j’arrivais à bout de souffle. J’avais l’impression de devenir fou à tenir ma langue, ne pouvant de toute évidence parler de tout ceci à personne qui ne soit directement concerné ou totalement ignorant des contraintes que cela imposait de porter mon nom de famille. Mes amis faisaient ce qu’ils pouvaient, me maintenant occupé, me distrayant tant qu’ils le pouvaient et m’accompagnant à tour de rôle dans mes soirées de débauche où je cherchais, en vain, à noyer mes problèmes au fond d’un (ou plusieurs) verres de whisky. Mais cela ne me suffisait pas et tout ce que je risquais c’était la cirrhose du foie et la perte de la raison. Alors une fois mes dents brossées avec minutie, je reposais la brosse sur le rebord de l’évier, jetant un dernier regard lourd de sous-entendu à mon reflet alors qu’un énième soupir passait la barrière de mes lèvres. C’était maintenant ou jamais. Gauthier était à la maison pour la journée, sûrement à cours d’expédition dans les montagnes ou sur la mer pour savourer ces moments qu’il passait seul loin des turbulences qui agitaient nos vies. Le reste de notre famille avait déserté la maison, Théodora profitant d’un peu de répit dans ses études pour passer la journée avec son fils, Connor menant sa vie de bohème comme à l’accoutumée et Debra occupée à essayer de retrouver un semblant de vie sociale. Quant à Maureen, cette dernière n’avait visiblement pas trouvé le courage de repasser le seuil de la villa depuis l’accueil glacial que nous lui avions réservé la dernière fois qu’elle l’avait fait, des mois plus tôt. En cherchant à me donner une contenance qui me faisait cruellement défaut dans un moment pareil, je quittais la salle de bain pour descendre les escaliers et rejoindre mon frère qui s’était exilé dans son bureau. Pièce réservée à son usage personnel et exclusif où aucun de nous n’avait le courage de s’aventurer. Pourtant, c’était bel et bien vers cette porte que je me dirigeais, sentant peu à peu toutes mes bonnes résolutions s’étioler à mesure que la distance entre Gauthier et moi s’amenuisait. Et dans un élan de courage que je ne me soupçonnais pas, je venais toquer à la porte. Trois petits coups qui résonnaient dans le silence presque religieux (et totalement inhabituel) qui baignait la villa. Avant même que le propriétaire de la maison n’ait la présence d’esprit de m’inviter à entrer (mais en ayant respecté quelques secondes de stricte politesse) j’abaissais la poignée chromée de la porte, poussant le battant d’une main presque fébrile. Sans grand étonnement, je trouvais le trader assis derrière son bureau, en train de faire je ne savais trop quoi (je n’avais de toute façon jamais eu le culot de prétendre que cela m’intéressait). « J’ai frappé. » précisais-je alors qu’il relevait les yeux de son ordinateur pour me regarder d’un air dubitatif. Je ne parvenais pas à déchiffrer la nature de son regard : était-il simplement étonné et légèrement agacé de me voir pénétrer en pareil lieu sacré ou sentait-il la discussion qui lui pendait au bout du nez malgré toute sa volonté de ne pas avoir à y faire face ? Aucune idée. Néanmoins, acculé désormais que j’avais fait le premier pas, incapable de m’avouer vaincu en rebroussant chemin, je mettais un pied devant l’autre pour m’avancer jusqu’à son bureau et prendre place sur le fauteuil qui faisait face à celui-ci. Nous observions tous les deux un silence religieux. Le calme avant la tempête. Déglutissant, je me retrouvais à faire face à Gauthier, nos regards s’affrontant alors que nous réalisions tous les deux que nous étions arrivés au moment fatidique de cette discussion. Une fois n’était pas coutume, je perdais mes moyens. Rares étaient les personnes qui pouvaient se targuer de m’impressionner mais s’il y en avait bien un qui obtenait la première place sans que personne ne puisse lui faire la moindre concurrence (pas même mon propre père) c’était Gauthier. Droit comme un i, l’expression indéchiffrable, il était aussi expressif et avenant qu’une porte de prison. J’avais espéré qu’en me voyant débarquer en terrain conquis, comprenant les motivations qui me poussaient à lui faire l’affront de ma présence, il aurait lancé la conversation de lui-même. Mais c’était mal connaître l’aîné Hazard-Perry qui m’observait toujours, le sourcil légèrement arqué, se demandant certainement combien de temps je mettrais avant de craquer. Je décidais alors de jouer cartes sur table, sans prendre de gants (ce n’était de toute façon pas ma spécialité). J’optais alors pour une attaque frontale, histoire de balayer d’un revers de la main, les éventuels espoirs que le trader pouvait nourrir de me voir éviter le sujet à nouveau. « J’ai vu Gabriel hier. » C’était une affirmation, relevant de la stricte vérité, simple et concise. Pourtant elle avait tellement plus de sens, désormais que Gauthier nous avait révélé son secret, un mystère qu’il avait gardé dieu seul savait combien de temps avant de daigner nous en informer. Et encore, je savais pertinemment que ce n’était pas par volonté de transparence qu’il s’était laissé aller à la confidence, mais uniquement parce qu’il avait conscience qu’il ne serait qu’une question de temps avant que la terrible vérité de nous parvienne aux oreilles par la bouche d’un tiers. Et Gauthier avait suffisamment de fierté et juste assez d’honneur pour ne pas laisser à autrui la révélation de sa paternité. « Lui et Oliver sont vraiment comme cul et chemise. » ajoutais-je alors, en lui lançant un regard de défi, pas même dissimulé.
Un regard dans le miroir - son nez encore un peu abimé mais qui commence à guérir - comme si rien ne s’était passé - comme si il n’avait pas affronté Daniel et cette révélation qui planait sur leurs têtes depuis trop longtemps. La main qui retombe, va rejoindre l’autre sous le jet d’eau - il arrose un peu son visage pour se rafraichir, refuse de penser à Daniel, tout comme il rejette cette envie d’aller voir Elisabeth et Gabriel depuis de nombreuses semaines. Il sait se convaincre lui même qu’il a besoin de prendre du recule, que ce n’est pas parce que le monde la sait qu’il a un quelconque rôle à tenir maintenant. Il n’est qu’un géniteur, une erreur qui a pourtant crée un petit être étonnant. Mais Gabriel a un père - il l’a adopté - il a pris soin de lui pendant les premières années de sa vie et Gauthier lui n’a jamais voulu de ce rôle. Il n’a rien demandé. A bien y réfléchir il aurait sans doute aimé ne pas savoir - mais aujourd’hui il ne peu plus faire semblant. Ou pas totalement du moins - en remettant tout contact et conversation il y arrive plutôt bien. En se plongeant à corps perdu dans son travail - avec pour excuse cette promotion qu’il vient d’avoir et qui le projet à la tête des traders de la banque. L’objectif ultime maintenant atteint et cette impression de vide que cela amène - qu’il repousse aussi bien. Parce que son travail c’est sa vie - qu’il a toujours aimé ce qu’il faisait et que changer cette variable serait remettre toute sa vie en question. Quand vient pourtant l’heure de rentrer chez lui il retrouve ce bureau qui lui est si chère et où le silence règne encore - ce même bureau impénétrable où il refuse d’être déranger. Une demande étonnamment respectée par ses cadets. C’est là qu’il s’est d’ailleurs réfugié pour gérer les comptes de la famille, une somme d’argent importante qu’il gère avec un main de maitre et l’assurance d’avoir toujours un jolie pécule sur lequel s’assoir.
Il est concentré Gauthier, les chiffres qui déroulent dans sa tête, les yeux qu’il plisse avec inquiétude alors qu’il perçoit une faute de calcul qui ne lui plait pas. Il entend à peine les quelques coups sur sa porte - ne prend pas la peine d’y répondre espérant faire partir l’assaillant avec son silence. Mais c’est un leurre, déjà la porte s’ouvre l’obligeant à relever un regard d’abord légèrement agacé d’être dérangé - puis surpris de voir son interlocuteur. « J’ai frappé. » Comme si cette informations pouvait excuser son intrusion sans permission dans le bureau du trader. « Charles Hazard-Perry, je commençais à me demander si tu avais trouvé meilleur gite. » Cependant si dans d’autre circonstance Gauthier se serait permis bien avant de rappeler à son cadet que les règles de la maison n’étaient pas là pour faire jolie et que considéré son ainé comme une banque à fric et cette maison comme un dortoir n’était pas envisageable, il avait pour cette fois laissé coulé. Evidement ce n’était pas pour faire plaisir à Charlie mais bien parce que s’il pouvait évincer les conversation des ces autres frères et soeur - Charlie était sans conteste le plus borné de tous et que son silence jusque là laissait présager une colère que Gauthier avait encore de la peine à comprendre mais qu’il savait destiné à sa personne. Et de ce fait - la conversation qu’il se savait devoir avoir avec son frère ne lui disait rien. De se fait, son absence des locaux familiaux avaient été ignoré pendant des semaines.
Finalement le moment était venu - tous deux le savaient - si Charlie avait bravé l’interdit de ce bureau pour s’y introduire et qui plus est venir s’assoir sur le fauteuil en face de son frère ce n’était pas pour parler tricot. Cependant, Charlie semblait attendre de son ainé qu’il aborde le sujet, ce qu’il ne comptait pas faire. Le silence devenant de plus en plus pesant dans la pièce alors que les deux hommes se défiaient du regard, Gauthier ayant un avantage conséquent sur Charlie - le silence était son ami depuis de longues années et ne l’avait jamais dérangé. Pendant un instant il avait même imaginé que ce refus de prise de parole allait résigné son frère. C’était évidement un faux espoir et le sujet avait été abordé avec fracas et sans aucune délicatesse - comme ils savaient si bien le faire dans cette famille. « J’ai vu Gabriel hier. » Fronçant un peu plus les sourcils l’ainé de la famille avait pourtant hoché la tête en attente de plus d’information. « D’accord. » Il n’avait rien de plus à lui dire - toujours pas décidé à lâcher la moindre information sans y être promptement invité. « Lui et Oliver sont vraiment comme cul et chemise. » Continuant à la fixer sans ciller Gauthier avait une fois de plus hocher la tête. « C’est exact. » Peu loquace une fois de plus mais non sans reconnaitre la lueur de défi dans le regard de son frère, ce qui n’augurait jamais rien de bon. Le silence ayant à nouveau pris place entre eux - assez long pour que Gauthier sente une pointe d’agacement venir le titiller. « Autre chose ? J’ai beaucoup de travail Charlie. » Et passer son temps à regarder Charlie dans le blanc des yeux n’était pas vraiment sa priorité. Si il voulait des réponses qu’il commence par poser les questions et Gauthier répondrait en conséquence. Si c’était pour donner son point de vu qu’il le fasse - à ses risques et périls - mais si c’était pour se contente de regards de défis sans plus d’action derrière il pouvait bien aller se regarder dans le miroir - Gauthier lui avait plus important à traiter pour le moment - cet erreur de calcul lui trottant encore dans la tête.
We need to talk, he said. Forest second I lost my breath. Somebody hurts, somebody cries, somebody breaks, and somebody lies. Scared me half to death, we need to talk, he said. I brace myself for the worst. Whenever you hear those words you know something don't fit, something went wrong. Some things don't work and something gone wrong. That's just the way it is. △
gauthier & charlie
Incapable de croire réellement à ce que j’étais en train de faire, je m’étais aventuré en terrain ennemi pour aborder un sujet qui allait sûrement définitivement entacher ma relation avec Gauthier. Et à peine avais-je osé mettre un pied dans le bureau du trader, le ton était donné par sa réponse : « Charles Hazard-Perry, je commençais à me demander si tu avais trouvé meilleur gite. » Si en soi, la mention de ma tendance à prendre la villa Hazard-Perry pour un hôtel aurait suffit à me faire lever les yeux au ciel, c’était davantage l’emploi de mon véritable prénom qui me faisait grincer des dents. Je détestais que l’on m’appelle Charles. C’était un prénom qui était réservé à l’usage exclusif de mes parents. Et l’emploi de mon patronyme par mes géniteurs était essentiellement teinté de souvenirs désagréables, puisque ces derniers ne s’adressaient à moi de la sorte que lorsqu’ils avaient besoin de moi ou qu’ils cherchaient à me faire un quelconque reproche. La seule personne qui avait réussi l’exploit de me faire presque oublier la connotation négative qui accompagnait mon prénom étant Ariane, qui avait de toute façon toujours refusé (sûrement pour le seul plaisir de me voir me crisper en entendant le prénom Charles sortir de ses lèvres) de m’appeler par mon surnom. Mais venant de la bouche de Gauthier, mon véritable prénom n’augurait rien de bon. Me retenant d’ouvrir les hostilités à ce propos, ce qui aurait eu pour effet immédiat de réduire aussitôt à néant mes efforts pour tenter d’avoir une conversation avec l’aîné de la famille, j’étais venu prendre place face à lui. Avec la subtilité d’une gagneuse en plein ramonage, j’avais alors choisi d’ouvrir la discussion en évoquant tout de suite Gabriel, le fils de Gauthier. « D’accord. » Face au manque de réaction de mon frère, attitude qui ne m’étonnait pas le moins du monde, j’avais insisté en évoquant sa relation avec Oliver, et le fait que les deux cousins ignoraient encore tout de leur lien de parenté. Mais mes tentatives désespérées de lancer la conversation qui, plutôt que de lancer un pavé dans la mare, revenaient davantage à pisser dans un violon. « C’est exact. » répondait-il avec une indifférence qui me hérissait les poils du corps instantanément. Si je m’étais juré d’essayer de garder mon sang froid pour maintenir ouverts les canaux de communication déjà bien encrassés de notre relation, je sentais ma patience s’étioler peu à peu. Je fixais Gauthier sans lui adresser un mot de plus, attendant qu’il revête son rôle de chef de famille pour prendre en main la conversation, mais tout ce que j’obtenais de sa part c’était un silence qui faisait écho au mien. Finalement, n’y tenant plus le trader avait repris la parole : « Autre chose ? J’ai beaucoup de travail Charlie. » soupirait-il agacé. Et ça plus que tout le reste, son détachement à deux balles, son regard moralisateur d’hypocrite qui préférait voir la paille dans l’œil de l’autre plutôt que la poutre dans le sien, me faisait réagir au quart de tour. « T’es sérieux là ? » Mon regard lançait des éclairs alors que je n’en croyais pas mes oreilles. « Quand je me dis que tu ne peux pas faire pire, tu t’efforces de me donner tort, hein. » Gauthier était gonflé de s’adresser à moi de la sorte, de me prendre pour un imbécile en jouant celui qui n’avait rien à se reprocher quand au contraire c’était lui qui tenait les clés de notre potentielle réconciliation. « Faudra que tu m’expliques comment tu peux agir tel le connard moyen et continuer de te regarder dans la glace. » La colère vibrait en moi, m’empêchant de prendre des pincettes, d’arrondir les angles, d’y aller avec le dos de la cuillère. Je fulminais tout simplement face à son attitude qui me laissait pantois. C’était là le véritable tour de force de mon grand frère : réussir à passer pour le type propre sous tout rapport tout en donnant aux autres (qui réagissaient pourtant de façon moins robotique et désincarnée que lui) des allures d’animaux sauvages incapables de se contrôler. Et maintenant que les vannes étaient ouvertes, que j’avais commencé à lancer la machine, je ne parvenais plus à m’arrêter. J’avais envie et cruellement besoin de réponses et j’étais prêt à aller les chercher de force, à les extraire de Gauthier contre son gré s’il le fallait. « Tu comptes leur dire la vérité au moins ? » Je faisais évidemment référence à Oliver et Gabriel qui continuaient de développer leur amitié en toute ignorance de leur lien de parenté. Mon aversion pour les secrets était pourtant de notoriété publique et je ne parvenais pas à comprendre comment quelqu’un d’aussi intelligent que mon frère puisse encore croire que je me contenterais de ses silences présomptueux et de ses coups d’œil désabusés. Ça ne faisait aucun sens à mes yeux de voir Gauthier, figure d’autorité forte de mon enfance, de mon adolescence et de ma vie d’aujourd’hui encore même, se défiler de cette façon face à ses responsabilités. C’était l’image prétendue parfaite du trader qui venait de prendre du plomb dans l’aile, sévèrement. Et son comportement pompeux et ses tentatives d’évitement à peine dissimulées n’arrangeaient rien du tout à son cas. « J’en reviens pas que tu nous fasses un coup pareil. » Si l’erreur était humaine, j’estimais que c’était bien plus qu’un écart de conduite qu’il nous imposait là. La nouvelle de sa paternité était choquante, dérangeante, perturbante, bouleversante. Et il n’avait absolument rien fait pour nous aider à mieux appréhender la chose. Il s’était contenté d’exposer les faits avec une froideur glaciale qui me rappelait désagréablement celle de mon père, nous laissant nous débrouiller avec cette bombe qu’il nous avait mise sous le nez avant de s’en retourner vivre sa vie de son côté, se gardant bien, surtout, d’exprimer la moindre émotion. Parfois, je me demandais si Gauthier n’avait pas été échangé avec un cyborg à la naissance, ce qui expliquerait bien ses difficultés à communiquer face à des êtres humains doués de sentiments et d’états d’âmes.
C’était un agacement mutuel qui les tenait - aussi bornés l’un que l’autre et incapable d’aborder le sujet de conversation qui planait pourtant au-dessus de leur tête. Là où Charlie avait fait un effort, Gauthier lui était resté paresseux, comme un chat qui se prélasse au soleil et se contentera de croquette plutôt que d’aller chasser la souris. Il ne voulait pas de cette confrontation - et espérait tout simplement que le temps apaiserait son frère. C’était sans doute bien mal connaître son cadet, que de penser qu’il lâcherait l’affaire. Même si en soit son acharnement n’était pas le problème. Que Charlie ait des questions il pouvait bien l’entendre - peut-être même y répondre dans la mesure du raisonnable - mais là il n’était question que d’affrontement de regards et de colère pas même exprimée et dont Gauthier avait de la peine à identifier la cause. Était-ce le temps qu’il avait mis à annoncer la nouvelle ? Le fait qu’il n’ait pas donné plus d’informations . Ou qu’il ait fauté et se permette de se tenir droit et de demander un peu de respect . Il ne le savait pas, mais si c’était pour se regarder dans le blanc des yeux Charlie pouvait aussi bien retrouver son attitude de fuite qu’il avait depuis l’annonce de la nouvelle. « T’es sérieux là . » Jetant un oeil au travail qui l’attendait il avait répondu tout aussi sérieusement. « Evidemment que je suis sérieux. » Le contraire n’était pas dans ses habitudes, la question était bien plus rhétorique. « Quand je me dis que tu ne peux pas faire pire, tu t’efforces de me donner tort, hein. » Fronçant une nouvelle fois les sourcils Gauthier attendait plus d’explication de la part de son cadet. « Faudra que tu m’expliques comment tu peux agir tel le connard moyen et continuer de te regarder dans la glace. » Cette fois Gauthier s’était levé, avec rapidité, il avait comblé l’espace qui le séparait de son frère en se penchant par-dessus son bureau.« Tu devrais surveiller ton langage jeune homme. Je n’accepterai pas de me faire insulter sous mon toit, encore moins par toi ! Tu veux jouer les petits princes arrogants . Je ne dirais rien. Mais je ne suis pas ton copain ! Tu vas me parler avec un peu de respect ! » Sinon il pouvait dire au revoir à la vie de château. Gauthier pouvait être exigeant, et toute sa famille le savait. Cependant il passait sur plusieurs biens des principes pour essayer de garder le calme sous son toit - le manque de respect n’en faisait pas partie. C’était sa limite et toute sa famille en était bien consciente. Charlie jouait volontairement avec le feu.
« Qu’est-ce que tu veux Charlie ? Des réponses ? Commence par poser des questions. » Mais venir ici pour insulter son ainé n’était pas en tous les cas par le meilleur moyen d’agir. Et très probablement pas dans son intérêt. « Tu comptes leur dire la vérité au moins . » La voilà la première question. Et pas des moindres, lui aussi se la posait depuis des mois. « Je ne sais pas. » Le ton était moins assuré cette fois alors qui reprenait place dans son fauteuil un peu plus calmement. « Je devrais à ton avis . » Gabriel avait un père - peut-être n’était-il pas son vrai géniteur mais Daniel avait pris soin de lui et l’avait élevé. Il était la personne proche de lui, et qu’est-ce que ça apporterait au petit garçon si ce n’est un peu plus de confusion. « Je crois que nous sommes très bien placés pour savoir qu’être un géniteur ne veut pas dire être un père. » Et pour ce faire ils avaient plus d’un exemple. Leur propre père tout d’abord, mais aussi Emre. Parce qu’il y avait bien une chose qui réunissait les deux garçons : leur amour pour Théo et Oliver et la certitude qu'Emre n’avait pas une place de père pour le petit garçon. « J’en reviens pas que tu nous fasses un coup pareil. » Soupirant lourdement Gauthier avait passé une main sur ses yeux pour reprendre un peu de contenance. « Je ne pensais pas que vous en feriez toute une histoire. Tout ne tourne pas autour de vous. » Il restait un peu embarrassé à ce sujet. Ses frères semblant prendre bien trop à coeur cette histoire de paternité, alors pourtant qu’ils n’étaient pas les premiers concernés. « Qu’est-ce que tu veux exactement Charlie ? Des excuses ? » Car si c’était le cas il allait devoir se montrer persuasif. Certes Gauthier était loin d’être parfait mais il gérait les choses comme il le pouvait et ne comptait pas s’excuser pour ça. La situation était compliquée et si son frère n’était pas capable de le comprendre il ne pouvait pas y faire grand-chose.
We need to talk, he said. Forest second I lost my breath. Somebody hurts, somebody cries, somebody breaks, and somebody lies. Scared me half to death, we need to talk, he said. I brace myself for the worst. Whenever you hear those words you know something don't fit, something went wrong. Some things don't work and something gone wrong. That's just the way it is. △
gauthier & charlie
Cherchant des réponses à mes questions, j’avais opté pour une attaque frontale pour le pousser dans ses retranchements, espérant qu’il se vexerait et me donnerait alors que je cherchais. Et les choses se déroulaient globalement comme espérées : « Tu devrais surveiller ton langage jeune homme. Je n’accepterai pas de me faire insulter sous mon toit, encore moins par toi ! Tu veux jouer les petits princes arrogants. Je ne dirais rien. Mais je ne suis pas ton copain ! Tu vas me parler avec un peu de respect ! » Retenant une moue agacée et méprisante, je me contentais de le fixer avec désinvolture, attendant qu’il en ait terminé de son sermon. Et visiblement agacé par cette façon que j’avais de le regarder sans rien dire, il reprenait : « Qu’est-ce que tu veux Charlie ? Des réponses ? Commence par poser des questions. » Sautant sur l’occasion qu’il venait de me présenter sur un plateau d’argent, je posais la question qui me brûlait les lèvres : comptait-il informer Oliver et Gabriel de leur lien de parenté ? « Je ne sais pas. » J’avais du mal à contenir mon agacement. J’avais envie de me jeter sur Gauthier pour le secouer et lui dire de se réveiller un peu. A la place, je me contentais de lever les yeux au ciel avec exagération, en poussant un soupir de lassitude que je ne cherchais même pas à retenir. « Je devrais à ton avis ? » Il me prenait au dépourvu en posant pareille question. Jamais Gauthier n’avait demandé mon avis pour quoi que ce soit. C’était un roc qui assumait sa vie et ses décisions sans sourciller, envoyant paitre quiconque oserait lui faire des reproches à ce propos. Il semblait toujours savoir quoi faire, comment appréhender la moindre situation, n’ayant jamais besoin de se poser des questions. C’était pourtant évident aujourd’hui que je me tenais face à mon grand-frère en proie à des doutes qu’il n’avait pas l’habitude de devoir gérer. J’étais d’autant plus étonné que ce soit à moi que Gauthier ose poser la question, lui qui n’avait pas pour habitude de se confier à moi, bien au contraire. C’était en général Théodora qu’il mettait dans la confidence, me tenant éloigner de ses profondes pensées du mieux qu’il le pouvait. Profitant de mon absence de réaction, il décidait de reprendre la parole pour exprimer le fond de sa pensée et justifier ses doutes : « Je crois que nous sommes très bien placés pour savoir qu’être un géniteur ne veut pas dire être un père. » Cette fois-ci, je laissais échapper un sifflement d’agacement, me retenant cependant de démarrer au quart de tour. « Raison de plus alors. Tu ne peux pas critiquer l’attitude d’Emre, si tu te comportes de la même façon que cette vermine. » avais-je fini par dire, le ton plus doux que mes propos à l’égard de l’ex de Théodora. C’était pour moi une évidence, un secret comment ça ne faisait pas bon à être mis sous le tapis dans l’espoir qu’il soit enterré à jamais. Une information aussi importante que celle-ci ne resterait jamais dans l’oubli. « Ça sera plus facile pour eux de se faire à l’idée alors qu’ils sont enfants et encore innocents. » Pour sûr, ils apprendraient à faire avec cette information qui ne changerait sûrement pas grand-chose à leurs vies. « Mais si tu le fais, faut que tu assumes ton rôle derrière. » ajoutais-je, cette fois-ci plus virulent. C’était pour moi là le fond du problème. J’avais l’impression qu’il cherchait à se dédouaner de ses responsabilités, en se cachant derrière le fait qu’il ne partageait que quelques gênes en commun avec son fils. C’était un discours de lâche qui m’exaspérait au plus profond, le genre de discours qu’aurait pu tenir notre père, l’attitude qu’il avait développé presque avec tous ses enfants sans exception. « Je ne pensais pas que vous en feriez toute une histoire. Tout ne tourne pas autour de vous. » rétorquait finalement Gauthier quand je lui avouais à demi-mot la déception que c’était de le voir enlisé dans pareille histoire. Et sa phrase m’agaçait, me faisant le jauger du regard avec sévérité et un certain mépris. « Parfois je me dis que tu vis vraiment sur une autre planète. » Comment pouvait-il seulement penser que la nouvelle ne ferait pas le tollé qu’elle avait provoqué ? Contrairement à lui aucun de nous n’étions des robots dénués de tous sentiments, Connor et moi étions d’ailleurs certainement ceux de la famille qui avaient le plus de mal à faire preuve de détachement puisque nous étions sans cesse en opposition avec chaque membre de notre fratrie. Et lisant visiblement tout l’agacement qu’il savait éveiller chez moi, Gauthier reprenait alors la parole : « Qu’est-ce que tu veux exactement Charlie ? Des excuses ? » Je secouais la tête. S’il devait faire des excuses à quelqu’un pour ne pas savoir suivre les règles élémentaires d’éducation sexuelle, c’était avant tout à Elisabeth et à Daniel, moi sur le principe je n’en avais que faire. De la même façon, s’il devait faire des excuses à quelqu’un pour oser concevoir un enfant hors mariage, hors relation stable même, avec une vulgaire prolétaire qui avait en plus le culot d’être irlandaise (quand bien même je n’avais rien contre nos voisins), c’était à nos parents. « Des fois je me demande comment quelqu’un d’aussi intelligent que toi peut-être aussi peu doué pour les interactions sociales les plus basiques qui soient. » Je secouais la tête de droite à gauche, las. « J’en ai que faire de tes excuses. En soi, ça ne me regarde même pas vraiment si tu ne sais pas enfiler un préservatif. » soupirais-je, sourcils froncés. « Moi ce que je voudrais c’est que t’arrête d’essayer de faire croire à la face du monde que t’es un type irréprochable et droit dans ses baskets, en mesure de juger tout et tout le monde, quand tu n’es même pas capable de faire face à tes propres responsabilités. » déclarais-je finalement, avec un ton étrangement calme compte tenu de la déception qui me brûlait les entrailles. « C’est normal d’avoir peur, c’est compréhensible d’être perdu, mais c’est impardonnable de laisser l’angoisse et l’incertitude faire de toi quelqu’un qui passe à côté de son devoir. » Je ne pouvais nier le fait que voir Gauthier se montrer aussi lâche m’affectait plus que je ne l’aurais cru. Il avait toujours incarné la figure d’autorité dans ma vie, celle d’un homme fort, intelligent et brillant, qui avait de l’ambition dans la vie sans pour autant se montrer aussi insensible que notre père. Si je ne l’avouerais probablement jamais de la vie, Gauthier était mon modèle, et quand bien même nous étions très différents l’un de l’autre sur bien des points, j’aspirais à pouvoir lui ressembler, à savoir être cette présence masculine forte et rassurante qu’il avait incarné pour chacun d’entre nous, même lorsque nous ne le lui rendions pas bien.
Gauthier avait beau se tenir droit - le regard rivé sur son frère sans ciller. Quelque chose était différent chez lui. Le doute qui le rongeait - les questionnements auxquels il n’avait jamais été confronté. Sa vie réglée comme un coucou suisse, il prévoyait tout - voyait les problèmes arriver bien avants et quand ce n’était pas le cas - les réponses lui avaient toujours semblé très claires. Quelques secondes de réflexion lui suffisaient généralement pour prendre une décision. Et pourtant quand il s’agissait de sa vie privée - cette vie qu’il s’était évertué pendant des années mettre au second plan - il était mauvais. Il perdait pied - ne trouvait pas les réponses, pas assez rapidement, pas assez bonnes. Il ne se ressemblait pas. Cette faiblesse il la détestait - les reproches de son frère aussi - parce que jusque-là rien ne semblait pouvoir l’atteindre. Mais cette fois Charlie touchait juste - Gauthier était faible. Il n’était pas bon - pas infaillible. C’était pourtant ce qu’on attendait de lui - la place qu’il s’était lui-même forgée et à laquelle il tenait. « Raison de plus alors. Tu ne peux pas critiquer l’attitude d’Emre, si tu te comportes de la même façon que cette vermine. » Cette comparaison il ne l’aime pas et le froncement de sourcil qui l’accompagne en dit long. « Je ne me comporte pas comme ce moins que rien. Les situations sont loin d’être similaires. Gabriel a un père. La vraie question Charlie, est de savoir si je fais cette révélation pour moi ou pour lui. » Parce que pour Gabriel il n’y avait pas de problème. Daniel était son père - et s'il avait son lot d’erreur - il n’en restait pas moins un bon père - un père aimant. Avouer ce lien à Gabriel, s’était pendre une place qu’il n’était pas sûr d’avoir dans la place du petit - s’était rompre certains liens pourquoi ? pour assumer une paternité qu’il venait à peine de connaitre ? Il n’était pas sûr que ça soit la bonne réponse.
« Ça sera plus facile pour eux de se faire à l’idée alors qu’ils sont enfants et encore innocents. » Cet argument toutefois n’était pas dénué de sens, et Gauthier n’avait rien trouvé à redire. Attendant la suite de la phrase. « Mais si tu le fais, faut que tu assumes ton rôle derrière. » Un hochement de tête de plus. « J’en suis conscient. » Même s’il n’était pas plus sûr de savoir quel serait son rôle une fois cette révélation sortie. Mais une fois de plus Gauthier s’étonnait de voir son frère réagir avec une telle virulence. La situation semblait bien simple du point de vu de son cadet et Gauthier regrettait cette capacité de voir les choses tout en blanc ou tout en noir. Les nuances de gris n’étant pas vraiment sa tasse de thé. « Parfois je me dis que tu vis vraiment sur une autre planète. » C’était probablement vrai, lui aussi le ressentait parfois, il ne pouvait, de ce fait - pas en blâmer son frère.
Cependant, Charlie n’était pas des plus facile à comprendre non plus. Et il n’était pas décidé à l’aider à comprendre les raisons de son agacement. Voulait-il des excuses ? Si c’était le cas il ne savait pas en quel honneur. Le déroulement de sa vie le concernait lui et si il n’aimait pas que ses problèmes aient un impact sur les gens de sa famille il n’allait pas s’excuser éternellement d’avoir comme eux tous - lui aussi commis certaines erreurs. « Des fois je me demande comment quelqu’un d’aussi intelligent que toi peut-être aussi peu doué pour les interactions sociales les plus basiques qui soient. J’en ai que faire de tes excuses. En soi, ça ne me regarde même pas vraiment si tu ne sais pas enfiler un préservatif. » Avec plus de calme Gauthier retrouvait sa place dans son fauteuil acquiescent au propos de son cadet. « C’est aussi mon avis. » Et pourtant cette information semblait être le summum de la trahison. Et Gauthier ne comptait pas s’épanchait sur les détails de cette nuit où il avait mis enceinte la petite amie de Daniel. « Moi ce que je voudrais c’est que t’arrête d’essayer de faire croire à la face du monde que t’es un type irréprochable et droit dans ses baskets, en mesure de juger tout et tout le monde, quand tu n’es même pas capable de faire face à tes propres responsabilités. » Un long soupire avait cette fois quitté ses lèvres. « Tu te trompes Charlie. Je ne me considère pas comme tel. Je ne suis pas irréprochable. Je fais au mieux et je crois que c’est assez pour ne pas avoir à m’écraser. » Ce n’était peut-être pas suffisant pour sa famille. Mais c’était tout ce qu’il pouvait donner. Ca n’avait jamais suffi à leur père, et il s’en était fait une raison.
« C’est normal d’avoir peur, c’est compréhensible d’être perdu, mais c’est impardonnable de laisser l’angoisse et l’incertitude faire de toi quelqu’un qui passe à côté de son devoir. » Il secoue la tête de droite à gauche une fois de plus - légèrement agacé par les propos de son cadet, mais pas énervé pour autant. Le calme qui le gagne est presque étrange au vu des attaques de Charlie. Mais pour une fois les deux hommes semblaient capables de parler avec sincérité dans le calme. « Je pense sincèrement que tu as tort Charlie. Les choses ne sont pas aussi linaire que tu voudrais le croire. J’ai cependant entendu ton avis. Il a une grande part de bon sens dans tes propos. » Il se devait de le relever. « Quand tu ne te contentes pas de lancer des insultes et des sarcasmes à tout va tu es donc capable de communiquer. » Ce n’était pas chose aisée entre les deux hommes. « J’entends bien ta déception. Et j’aurais voulu faire mieux sur bien des points. Mais cette fois il est question de ma paternité, de ma vie. J’ai entendu ton point de vue mais je ferais un choix avec Elisabeth… Et tu devras le respecter. Même s’il ne te convient pas. » Ce n’était pas négociable cette fois. S’ils ne pouvaient pas vivre ensemble dans le respect d’un de l’autre. Alors ils ne pourraient plus vivre ensemble.
We need to talk, he said. Forest second I lost my breath. Somebody hurts, somebody cries, somebody breaks, and somebody lies. Scared me half to death, we need to talk, he said. I brace myself for the worst. Whenever you hear those words you know something don't fit, something went wrong. Some things don't work and something gone wrong. That's just the way it is. △
gauthier & charlie
L’art de la communication était clairement le talon d’Achille de notre fratrie, Gauthier et moi en porte-étendards de cette tare qui sévissait au sein de la famille. Rien dans cette conversation n’allait : de notre difficulté à aligner plus de deux mots au regards lourds de jugement ou d’agacement que nous nous lancions mutuellement, en passant par mon ton passif-agressif qui ne visait qu’une chose : faire réagir Gauthier enfin. Et c’était ce que je m’appliquais à faire, osant le parallèle entre le comportement d’Emre et celui de Gauthier, faisant aussitôt mouche : « Je ne me comporte pas comme ce moins que rien. Les situations sont loin d’être similaires. » Dubitatif je ne pouvais m’empêcher d’arquer un sourcil interrogateur à son attention. Si les situations étaient en effet différentes, l’issue était globalement la même de mon point de vue. Etre un père nécessitait de prendre part à ses responsabilités, chose que l’aîné Hazard-Perry comme l’ancien petit-ami de Théodora peinaient à faire : l’un en laissant son fils dans l’ombre quant à sa véritable identité et en refusant d’assumer son rôle, l’autre en continuant de dealer malgré les quatre années de détention que cela lui avait déjà coûté. Ce n’était pas nouveau de me voir prendre position contre l’envie de Gauthier de laisser le sujet de sa paternité sous le tapis que j’avais toujours eu beaucoup de mal avec les mensonges et non-dits que je considérais comme la gangrène des relations. Sans avoir la prétention de dire que j’étais irréprochable, j’avais toujours tâché de faire preuve de transparence quant à mes opinions, comme je le prouvais en venant finalement affronter mon grand frère quand tout me poussait à vouloir éviter un conflit de plus au sein de notre fratrie brinquebalante. « Gabriel a un père. La vraie question Charlie, est de savoir si je fais cette révélation pour moi ou pour lui. » poursuivait alors Gauthier. Lèvres pincées j’hochais la tête lentement, prenant le temps de réfléchir un peu plus à la situation. « Et si la révélation de la vérité était simplement à la fois pour lui et pour toi ? » demandais-je alors, croisant les jambes pour m’installer plus confortablement face au trader. J’évoquais alors l’âge de Gabriel comme celui d’Oliver, avançant l’opinion selon laquelle la vérité ne serait pas si traumatisante pour l’un et l’autre si cette dernière se faisait maintenant alors qu’ils étaient encore jeunes, profitant de l’occasion pour enfoncer le clou quant au fait qu’il était une fois de plus question de responsabilités à prendre. « J’en suis conscient. » Et pour la première fois depuis longtemps Gauthier et moi semblions être sur la même longueur d’onde, fait suffisamment rare pour mériter d’être noté. Continuant sur ma lancée, j’exposais mon point de vue avec un calme apparent quand mes propos laissaient facilement entrevoir mon agacement. Je voulais faire réagir Gauthier qui semblait prendre la nouvelle avec bien trop de détachement à mon goût. Si j’admirais sa posture de chef de famille et l’aplomb avec lequel il parvenait à nous faire tous coexister, je ne comprenais pas comment il pouvait agir comme un véritable robot face à pareille situation. « Tu te trompes Charlie. Je ne me considère pas comme tel. Je ne suis pas irréprochable. Je fais au mieux et je crois que c’est assez pour ne pas avoir à m’écraser. » La remarque de l’aîné me tirait un petit rictus. « Je ne t’écrase pas. J’essaye de te faire réagir et de comprendre ce qu’il se passe sous la surface lisse et brillante. » contra-attaquais-je alors. « Je pense sincèrement que tu as tort Charlie. Les choses ne sont pas aussi linaires que tu voudrais le croire. J’ai cependant entendu ton avis. Il a une grande part de bon sens dans tes propos. » Cette fois-ci, je soupirais avec agacement, levant les yeux au ciel, désabusé. Je n’appréciais pas du tout le ton sur lequel Gauthier me parlait, comme si je n’étais qu’un vulgaire enfant qui ne comprenait rien à la réalité de la vie et se berçait d’illusions. Décidant cependant que ce n’était pas le moment de répliquer avec virulence pour une fois que nous semblions disposés à discuter tous les deux, je tenais ma langue, une fois n’était pas coutume. « Quand tu ne te contentes pas de lancer des insultes et des sarcasmes à tout va tu es donc capable de communiquer. » Cette fois-ci cependant, je faisais une croix sur mes bonnes résolutions pour rétorquer aussitôt : « Arrête de me parler comme à un enfant, veux-tu ? » aboyais-je presque en retour sans la moindre cérémonie. Pourquoi fallait-il qu’il gâche tout alors que nous étions pour une fois capable de nous comporter l’un et l’autre comme les adultes que nous étions ? « J’entends bien ta déception. Et j’aurais voulu faire mieux sur bien des points. » Entendre Gauthier admettre avoir fait une erreur me surprenait, moi qui l’avait toujours vu tenir fermement ses positions tel le roc inébranlable qu’il s’évertuait à être. « Mais cette fois il est question de ma paternité, de ma vie. J’ai entendu ton point de vue mais je ferais un choix avec Elisabeth… Et tu devras le respecter. Même s’il ne te convient pas. » Nouveau soupir de ma part. « C’est ta vie, tu la gères bien comme bon te semble. » répondis-je alors, la voix traînante et l’attitude désinvolte. Cette dernière phrase prononcée par Gauthier remettait tout l’enjeu de notre conversation en question, me donnant l’impression de m’adresser à un mur. Comprenant qu’il n’était manifestement pas prêt à en entendre davantage de ma part et que tout ce que je pourrais trouver à dire n’aurait pas plus d’effet que si mes arguments tombaient dans l’oreille d’un sourd, je me redressais pour prendre congé. « N’oublie simplement pas que tes décisions affectent toute la famille. » dis-je en lui lançant un long regard que je maintenais sans sourciller. « C’est le cas pour nous tous, mais encore plus pour toi. Que tu le veuilles ou non. » ajoutais-je finalement. Si la grossesse de Théodora était la preuve ultime que nos actes individuels affectaient le clan tout entier que nous constituions, il en était, qu’il le veuille ou non, d’autant plus vrai pour ceux de Gauthier. Il était à la tête de notre famille, celui qui incarnait l’autorité et un exemple pour chacun de nous. Pour importait son choix, celui-ci aurait indéniablement des conséquences sur notre vie à tous, bon gré mal gré. Et si j’étais prêt à me tenir à ses côtés pour assumer sa nouvelle paternité, je n’étais pas certain d’avoir à mentir à Oliver et Gabriel au quotidien pour les vingt prochaines années pas alors que tous les adultes occupants la maison connaissaient tout de la vérité. Alors après un dernier regard lourd de sous-entendus, j’avais pris la tangente pour sortir du bureau du Hazard-Perry.
J’étais finalement sorti de ma chambre pour me diriger vers la cuisine, il me restait une vingtaine de minutes à tuer avant de quitter cette baraque pour retrouver ma deuxième maison, j’avais donc prévu de dévaliser le frigo avant cela. La villa semblait plutôt calme, je supposais donc que Gauthier devait être dans son bureau et que les autres devaient vaguer à leurs occupations. Une fois la porte du frigo grande ouverte je poussais un soupire, rien de bien intéressant à me mettre sous la dent apparemment. Je sortis donc un bol de lait et quelques céréales, ça ferait l’affaire pour me remplir le ventre avant de le noyer sous une tonne d’alcool. Une fois le bol avalé, je plaçais le bol dans l’évier et me dirigea à nouveau dans ma chambre, histoire de lancer deux trois accords pour faire passer le temps.
C’est en passant devant le bureau de Gauthier que j’entendis des voix, je m’arrêtais net. Gauthier avait pour habitude de se cloitrer dans cette pièce pour qu’on le laisse seul - dans le silence. Il était donc très rare qu’il reçoive quelqu’un là… De plus après avoir tendu l’oreille, je crus reconnaitre la voix de Charlie. Il était pourtant bien la dernière personne que je pensais entendre un jour dans cette pièce - à moins que ce ne soit une mauvaise blague faite à notre ainé, mais j’en doutais. Je restais donc figé sur place un instant et tendis un peu plus l’oreille, je n’eu droit qu’à des brèches de phrases, rien de bien constructif et impossible de savoir ce qui avait bien pu réunir les deux hommes dans ce bureau - même si j'avais bien une idée du sujet principale.
Ça devais faire à peine 2 minutes que je m’étais arrêté que la porte s’ouvrit sur Charlie. J’avais donc bien reconnu la voix de mon frère. Pourtant je n’en étais pas des moins étonné de le voir franchir cette porte… Bien que nous ayons pris possession de la baraque de Gauthier, nous avions tous bien compris que ce bureau lui appartenait et que, sauf urgence, nous ne dérangions jamais ce dernier lorsqu’il était plongé dans ces chiffres, apparemment je devais faire face à un cas d’urgence. Pris en flag alors que j’écoutais - légèrement - aux portes, j’adressais un faible sourire à Charlie. « Alors on a été convoqué au bureau du grand directeur parce qu’on a trop séché ? » L’absence de réponse et le visage de mon frère m’appris qu’il n’était pas d’humeur à rire sur le sujet. Je déduisis rapidement que la conversation que les deux hommes avaient eu ne devait pas être une partie de plaisir - ce qui n’était pas bien surprenant les concernant…
Alors, malgré ma curiosité maladive qui voulait harceler mon frère de questions sur sa présence dans ce bureau, je n’en fis rien « Laisse tomber j’ai rien dis... J’ai rien vu, rien entendu… Et de toute façon, je suis même pas là je suis chez Bryn. » Je me dirigeais alors vers la porte de sortie. Tant pis si j’avais de l’avance à mon rendez-vous, j’avais meilleur temps de quitter la baraque avant de tomber sur Gauthier. J’attrapai une veste légère et lançai un dernier regard vers Charlie « J’rentre pas ce soir, mais j’suis là si tu veux te plaindre du grand manitou. » Un faible sourire et que quittais la villa, les ambiances tendues d’après discussion sérieuses très peu pour moi. Non, mes plans étaient bien plus intéressants que ça alors je n’allais pas me prendre la tête avec eux, autant fuir tant que j'en avais la possibilité.
Charlie était quelqu’un de bien - Gauthier le savait même si son cadet pouvait parfois l’agacer. Il avait cependant cette ligne de conduite bien à lui, tout comme Gauthier pouvait avoir la sienne, mais parfois leurs façons respectives de voir le monde ne se retrouvaient pas. « Et si la révélation de la vérité était simplement à la fois pour lui et pour toi . » C’était sujet à réflexion et tout cas, et pas anodin si jusque-là Gauthier avait gardé le silence. Toutefois une partie de son esprit, bien plus rationnel était bien consciente que le jour où l’annonce avait été faite à sa famille, il avait aussi inconsciemment décidé que Gabriel serait lui aussi mis dans la confidence. Le timing était maintenant un point un peu plus délicat, et l’acceptation de cette décision aussi. De plus la confrontation avec son cadet était pleine de reproche que Gauthier n’était pas totalement prêt à entendre. « Je ne t’écrase pas. J’essaye de te faire réagir et de comprendre ce qui se passe sous la surface lisse et brillante. » Il n’avait pas l’impression d’avoir face à lui un Charlie qui tentait de comprendre mais bien un Charlie accusateur, mais pour ne pas empirer un peu plus le ton de la conversation il garda cette réflexion pour lui. Il y avait déjà bien assez de tension entre eux, et Gauthier n’était pas des plus doué pour les apaiser. « Arrête de me parler comme à un enfant, veux-tu ? » Ce ton hargneux et le sourcil toujours froncé, comme un chien hargneux a toujours l’oreille déchirée. Ce qui pourtant n’allait pas décider Gauthier, qui était persuadé de devoir prendre cette décision avec Elisabeth. « C’est ta vie, tu la gères bien comme bon te semble. N’oublie simplement pas que tes décisions affectent toute la famille. C’est le cas pour nous tous, mais encore plus pour toi. Que tu le veuilles ou non. » Encore une fois, les propos de son cadet n’étaient pas dénués de sens. « Je ne l’oublierai pas. » Avait-il promis comme une manière de mettre fin à cette discussion alors que Charlie se dirigeait vers la porte.
Soupirant discrètement une fois Charlie sorti, Gauthier s'était levé à son tour pour aller se chercher de quoi boire dans la cuisine. Juste assez vite pour entendre la voix de Connor qui s’adressait à son frère. « Alors on a été convoqué au bureau du grand directeur parce qu’on a trop séché . » Tu me fends le coeur, pensa Gauthier avec une pointe d’ironie, il était parfois agacé d’être vu comme le grand méchant de la famille, mais avait bien trop souvent revendiqué cette place de patriarche pour vraiment pouvoir s’en plaindre. Connor était parti aussi vite et Charlie volatilisé il ne savait où quand Gauthier avait retrouvé le salon alors que son neveu rentrait dans la pièce accompagné de sa mère, un livre en main. « C’est un roc ! … c’est un pic ! … c’est un cap ! Que dis-je, c’est un cap ? … C’est une péninsule ! » Ouvrant des grands yeux en regardant le jeune garçon il avait ensuite remonté son regard vers Théodora. « Maman m’apprend le français. » Avait annoncé Oliver tout fier de lui, un sourire de vainqueur sur le visage. « Je vois que tu ne commences pas avec le plus soft. » Avait-il répondu à sa cadette, amusé toutefois de voir son neveu se la jouer Cyrano de Bergerac. « J’allais justement aller dans la piscine tu m’accompagnes. » avait proposé Gauthier… Après cette conversation avec Charlie, il méritait bien un petit seau dans le grand bassin pour se rafraîchir les idées.