Elle avait fait un boulot impeccable - je ne lui disais jamais assez. L’endroit avait pris ses couleurs, sa vibe, sa touche, du parquet aux murs, en passant par le bar, les affiches placardées, les différentes bouteilles dépareillées, les décorations entre le vintage et le trash. Même l’équipe, aussi différents, aux antipodes les uns des autres pouvaient-ils être, lui ressemblait. Elle avait su investir sa tête, son portefeuille, son coeur dans le Triffid ; et j’étais fier d’elle, comme le pote, penaud, qui avait assisté, tenté d’aider au mieux, de faire office d’utilité, de tuteur, quand elle aurait très bien pu se débrouiller toute seule, comme une grande, sans le support de personne. Une amazone. « Et moi qui pensait que j’me faisais vieux. » la remarque glisse toute seule, maintenant que je suis accoudé au bar, quelques habitués autour, mais la soirée bien loin d’être commencée. Le shot qu’on vient de poser sous mes yeux me retourne déjà l’estomac, Jaegermeister de merde qui a suivi chaque tournée, chaque soirée, chaque moment jadis, quand on était cons. Je l’étais toujours, si vous vous demandiez. Un sourire et je cogne le verre sur le bois vernis, la blonde platinée face à moi faisant de même, avant de lever le coude et d'engloutir son contenu poivré. Elle savait que peu importe mes râles, mes grognements, mon attitude de gros ours, grincheux par moment, je finissais toujours par boire ce qu’on m’offrait. Vieux os ou non, mal de bloc ou si peu, c’était inévitable. Old habits die hard. « Tu sais elle arrive quand? » elle secoue de la tête de la négative, question rhétorique quand on connaît Sam, quand on sait à quel genre de personnage on se frotte. Elle n’était pas du style à faire attendre, ni à perdre son temps. Mais lorsqu’un coup de coeur tombait sur son chemin, ou qu’elle partait en vendetta, fallait s’attendre à respirer son parfum dans son sillage de longues minutes avant de la voir apparaître à la clé. Pas que cela me dérange, bien au contraire. Le mystère, tout ça.
« Candice, tu peux garder un secret? » je suis plutôt loquace avec la barmaid, pour cause d’avoir discuté avec elle à de nombreuses reprises déjà, ses prunelles pétillantes et ses courbes si savamment alignées qu’il m’est difficile d’ignorer. J’avais toujours été un homme à femmes, Jude vous le dirait beaucoup mieux que moi. Fasciné par elles, attiré, trop, trop fort. « J’me fais définitivement vieux. » pour l’âge que j’aie, pour la sensation âpre qui me gruge la langue, maintenant que l’alcool herbacé est descendu le long de ma trachée, et qu’il a amené avec lui une foulée de vilains souvenirs, de mauvaises nuits, de remords. Pas de regrets, au moins. « Hey. » la silhouette de mon amie passe la porte, la lueur de l’extérieur qui cambre ses côtes, avant que le soleil ne termine doucement sa course vers l’horizon. Elle passe à mes côtés, je me tourne en son sens. « Tout va? » Candice prépare un verre à Sam distraitement, maintenant que la brune prend place à ma droite, que je me décale pour lui laisser la liberté de s'asseoir. « J’ai Zach, Effy et Rene qui vont arriver autour de 21h. » soirée open mic, soirée test, essais, de nouveaux talents qu’on avait chacun repérés, qu’on avait invités, soigneusement triés, l’espoir de découvrir une perle cachée, un diamant brut. L’excitation se lit dans mes prunelles, s’entend dans ma voix.
Une longue après midi de boulot avec mon père. Oui, je bosse toujours un peu avec lui. Il tient toujours son studio d’enregistrement, c’est d’ailleurs dans ses locaux que je me rends quand y’a de la place. L’habitude. On s’y sent bien. J’ai passé l’après midi avec Missy Higgins. Comme c’est une bonne connaissance on a d’abord pris le temps de reconnecter. On a discuté pendant près d’une heure. S’en est suivit d’une bonne heure à écouter ses mélodies. Elle dit avoir besoin de moi pour mettre des paroles sur celles qui m’inspirent. Elle a apparemment prévu de bosser en collaboration avec d’autres personnes, mais elle voulait me laisser le plus grand choix. Ses mélodies m’inspirent énormément et je ne mets pas longtemps à écrire quelque chose. On se concentre sur une chanson pour commencer. Elle a de bonnes idées et à deux, on écrit vite.
Je regarde l’heure tourner et on est toujours en pleine effervescence dans le studio. Je dois retrouver Jack au Triffid, ce soir c’est un grand soir.
« Je vais devoir couper la session. J’ai une grande soirée de prévu. »
Elle ne va pas m’en vouloir, on avait prévu de bosser une poignée d’heures, on a largement dépassé nos attentes. L’inspiration. C’est vrai que c’est frustrant de se couper au milieu. On a quand même enregistré deux chansons, ce qui est pas mal du tout pour une première session. Après vérification des disponibilités du studio, on se book une autre session.
C’est légèrement à la bourre sur mon horaire que j’arrive au Triffid. Jack est déjà là. Je vais poser mon sac dans le bureau en arrière salle et je vais m’installer à côté de lui.
« Bonjour tout le monde. Désolé du retard. Le boulot. »
Il sait ce que c’est. Je chôme pas aujourd’hui. Je ne sais pas à quelle heure la soirée va se terminer. Mais ça ne me dérange pas. Je fais ce que j’aime, j’ai de la chance. Jack est déjà à fond dans le sujet parce qu’il me parle des talents qu’il a réussi à ramener. J’ai un large sourire sur mes lèvres alors que je prends mon verre que Candice me tend.
« Merci. »
Un cocktail maison avec moitié moins d’alcool. Comme je le commande souvent.
« J’ai pas eu trop de réponses de mon côté. Donc je sais pas s’ils vont venir sans prévenir… Y’a juste Richard qui m’a confirmé sa venue. »
C’est pourquoi on ne sait pas vraiment à quelle heure ça va se terminer cette histoire. Tout dépend des gens qui ont vu le flyer et qui ont été intéressé par l’évènement. Mais je suis prête à tenir jusqu’à tard. Très tard. Ca ne me fait pas peur. Je me touche distraitement l’endroit où j’ai l’initiale tatoué sur mon doigt. Puis je me rends compte de ce que je fais et je me recale sur le siège, tournée vers Jack.
« Je nous ai prévu une table pas loin de la scène pour être aux premières loges. »
Je lui indique une table qui est toujours libre à quelques mètres de la scène, sur le côté.
« Faut que j’aille prendre mon petit carnet pour prendre des notes. Si je fais ça sur le téléphone j’aurai l’air d’une fille blaser qui s’ennuie. »
Je me lève et fais signe à Jack que je reviens vite fait. Je retourne dans l’arrière salle où j’ai posé mon sac, je reviens avec un calepin à spirale et un stylo. C’est le carnet où j’écris mes idées pour d’éventuelles paroles de chanson. J’ai plein de truc griffonné dedans. Quand je l’ai pas c’est sur mon téléphone que j’écris. J’ai un tas de notes par là aussi. Je me remets sur le siège.
« Voilà. Prête. »
J’ai toujours ce large sourire sur mes lèvres. Je suis excitée pour ce soir. J’espère que ça va être un succès. Je vois des gens entrer dans le Triffid avec des étuis à guitare dans les mains. Plutôt bon signe.
« Oh ! C’est Richard on dirait ! »
Il avait des lunettes de soleil quand je l’ai rencontré et là il porte un chapeau, donc je suis pas complètement sûre de moi. Il n’a que le prénom de mon ex mari, pas son sex appeal. Je l’aurai reconnu entre mille s’il lui ressemblait par dessus le marché. Je me retourne vers Jack.
« Il jouait dans la rue. Je l’ai vu sur Queen Street. Un sacré brin de voix. J’espère qu’il va nous jouer ses compo ce soir. Je les ai pas entendu mais je suis sûr que ça va être fort. »
J'ai généralement du flaire pour ces choses là. J’en oublie mon cocktail avec tout ça. Je ne l’ai pas encore touché.
La présence de Sam à mes côtés a tout de suite suffisamment de pouvoir pour calmer les quelques bribes d’appréhension qui m’habitent. Trop vieux pour la game, trop déchu, l’oreille fine qui souhaite simplement revivre ses bonnes années le temps d’un whisky sec, d’un gin herbacé. Si en grande partie du temps j’étais toujours en mesure de me contenir et de ne montrer aucune faiblesse face à la musique parce que je n’en avais tout simplement aucune, ce soir me semblait un test un peu plus difficile à passer. Probablement parce qu’une amie de si longue date me faisait confiance, probablement parce que Sam comptait énormément pour moi, et qu’en plus de tout ceci, elle hébergeait ceux que j’avais dénichés en son bar, en sa scène. Elle ne met aucune pression sur mes épaules, c’est tout moi qui génère ce stress, mais j’ai peur de merder comme j’ai merdé tant d’autres fois avant face aux femmes de ma vie. Jude déjà, Ellie maintenant - jamais je ne me pardonnerais de ranger la Livingstone au même rang. « On verra au fur et à mesure. Je suis pas inquiet. » que je lui mens effrontément pour la rassurer mieux que moi, l’alcool brûlant qui me chatouille la langue, la gorge. Puis c’est le chemin de croix vers la table qu’elle a sélectionnée pour nous, dont elle vante les mérites près de la scène, et des loges. « Traitement royal. » que j’ironise, alors qu’elle sait très bien que je me contente de peu, qu’un vieux coin sans même de siège aurait très bien pu m’aller si on m’autorisait à y faire craquer mon briquet. La voilà qui blague un peu, et si elle n’a sans doute pas remarqué mon trouble - ça avait du bon d’être neutre du visage, d’être tellement habitué à rester implacable, placide face à tout le reste, c’est soulagé que je laisse échapper un rire de mes lèvres, que j’hoche de la tête maintenant qu’elle justifie le pourquoi derrière ce carnet qu’elle court chercher, et j’attends patiemment. Ou pourrais-je aller, de toute façon? « Et je risque d’être vexé que tu préfères ton écran à ma gueule. » Sam avait l’habitude de mes remarques à la con, de mon humour vaseux, parfois trop noir. Elle avait l’habitude de moi pour me connaître sous tous mes plis, et c’est bien le fait qu’elle soit si emballée face à la soirée à venir qui fait qu’elle ne passe aucun commentaire sur mon flot de paroles beaucoup plus fluide qu’à mon habitude.
« Jack. » et je tends la main au nouveau venu. Richard semble-t-il, qu’elle a elle-même sélectionné, qui nous fait office de premier arrivant. Il a une poigne ferme, qui contrebalance la mienne un peu plus moite, faiblarde que ce à quoi je suis habitué. « Vous pouvez vous installer avec nous, ou passer en loge, comme vous voulez. » que j’annonce, tentant d’être utile, alors que mon amie en a déjà fait beaucoup. Rich propose de s’installer d’abord ce à quoi je consens, maintenant qu’il abonde de discussion face à ses morceaux pour ce soir, ce qu’il a préparé depuis que son chemin a croisé celui de Sam, ce qu’il veut lui faire entendre. Les mélodies qu’il a peaufinées, celles qu’il sait qu'elle veut entendre, et son engouement est presque contagieux devant toutes ses questions et ses exclamations. Ce n’est que de longues minutes plus tard qu’il finit par se lever, me laissant à nouveau seul à table avec la brune. Un peu de silence ne me fera pas de tort, et l’idée de partager un moment d’accalmie avec Sam me satisfait sans plus de fioritures. « Des nouveautés? » que je finis par demander, désignant du menton son carnet de notes qu’elle a toujours entre les doigts, et où je sais entreposées des dizaines de chansons, ses textes les plus pêle-mêle et les plus précieux, éclectiques, inspirés. « Effy et Rene sont là, Jack. » Candice qui passe remplir nos verres et un sourire plus tard, elle m’annonce que non pas une, mais deux de mes ciblées sont arrivées. Je laisse Sam derrière le temps d’aller les accueillir, et quelques secondes plus tard suffisent à ce qu’elles me fassent état de leur intérêt, qu’elles agitent leurs instruments, me demandent à quelle heure elles peuvent aller sur scène. L’une amie de Maria - la réceptionniste chez B&B - et l’autre la cousine d’une soeur d’une amie, elles m’avaient totalement surpris le jour où je les avais entendues en duo, puis séparées. Ce soir, elles prévoyaient jouer l’une sans l’autre. « Elles seraient prêtes à monter, déjà, si t’es ok. » je pose une main sur l’épaule de Sam, lui annonçant mon retour à ses côtés. « Effy sera plus à l’aise en premier selon moi. Elle reprend des chansons connues à sa façon. Habituellement, je ne suis pas fan, mais elle a ce petit quelque chose qui change. Tu comprendras quand tu l’entendras. » et j’explique doucement, la mettant en contexte, l’air intéressé.
Jack a l’air de savoir où il met les pieds avec une soirée de la sorte. C’est une première pour moi. Je dois avouer être un peu nerveuse. Déjà parce que je ne sais pas s’il va y avoir assez de personnes pour faire tenir toute la soirée sur cette programmation de scène ouverte. Peut être que ça va faire un flop et que le DJ prendra la relève bien plus tôt que prévu. J’espère pas. Voir Jack qui a l’air assez confiant ça me fait du bien. Je sais qu’il faut que je prenne cette soirée comme du fun et rien de plus. C’est vrai qu’on en met un petit enjeu avec ces découvertes musicales qu’on va pouvoir faire, mais pareil, ça reste du fun. Pour l’instant. Ca peut devenir du business si nos poulains s’avèrent avoir un réel potentiel. On le découvrira ce soir, si ils viennent.
Installé à notre table, mon carnet enfin en ma possession, Jack me fait sourire quand il parle de mes préférences. Je vais poser ma main sur son avant bras, comme pour le rassurer.
« A ton joli visage. »
J’insiste bien sur le « joli visage » pour contraster avec le terme qu’il a employé pour se qualifier. Je ne suis pas d’accord pour le coup, mais c’est bien un truc de mec de se dévaloriser. Il ne cherchait certainement pas de compliments en plus avec cette affirmation, mais je le lui donne de bon coeur.
Richard arrive, il nous dit bonjour. Je lui serre la main moi aussi. Il n’est pas encore mon pote à lui taper la bise ou lui faire une accolade. Quelque chose me dit qu’il pourrait le devenir, surtout s’il nous joue de la musique de qualité et ça je le sens bien. Jack l’invite à notre table et je fais un sourire à Richard pour bien lui faire comprendre qu’il est le bienvenue. Il reste un moment avec nous et il me met l’eau à la bouche avec tout ce qu’il nous raconte sur ses chansons. Il me confirme qu’il va chanter de ses propres compositions ce soir et j’ai un immense sourire sur les lèvres. C’est exactement ce que je voulais.
Richard nous quitte et Jack fait son curieux par rapport à mon carnet.
« Quelques petites choses oui… »
Surtout deux phrases que j’ai écrite y’a quelques jours qui me hantent. J’ai déjà une idée de la mélodie qui va aller avec, j’ai pas eu le temps de me pencher là dessus un peu plus, mais je sens que ça va être pas mal fort comme chanson. Intense.
« Je t’enverrai une demo quand ça sera plus concret. »
On se fait interrompre par Candice et Jack file vers ses petites protégées. Je me replonge dans mes notes, lisant les dernières choses que j’y ai inscrit. La main de Jack sur mon épaule me fait sortir de ma bulle et j’hoche la tête.
« Oui, oui, on peut commencer. »
J’ai un peu hâte en vérité. Je crois que Richard n’a pas envie de passer le premier donc ça tombe bien qu’elles soient volontaires. Jack m’explique un peu à propos d’une des filles, j’hoche la tête et j’ouvre mon carnet à une page vierge. Je note « Effy », montrant par là que je suis prête. Elle se met en place sur scène et on la regarde tous les deux, je lui fais un sourire quand j’ai l’impression qu’elle a terminé de s’installer. Elle a l’air un peu nerveuse, ou c’est peut être juste moi qui le suis. Dans tous les cas je suis à 200% à l’écoute de ce qu’elle va nous proposer. Et voilà, ça y est, elle commence à chanter et elle a effectivement un grain de voix particulier qui rend la chanson originale presque méconnaissable. Je prends des notes, écrivant les choses importantes, comme le choix de la chanson, qui en dit beaucoup sur quelqu’un.
Apparemment faire monter quelqu’un sur scène était la meilleure chose à faire, parce qu’il y a pas mal de personnes en train d’attendre leur tour à présent. Ca fait plaisir à voir. Peut être que la soirée va être un succès finalement. En tout cas j’ai l’espoir. J’applaudis à la fin de la prestation de Effy et je m’attends à voir Rene monter sur scène pour la suite. Elle se présente au micro et c’est bien elle. D’autres visages défilent devant nous, je prends pas mal de notes, disant rapidement mes impressions à Jack avant qu’un autre ne se mette en place.
Ca y est, c’est le tour de Richard. Il annonce que sa première chanson s’appelle « Glory ». Il compte donc en jouer au moins deux. Il commence à jouer. Il commence à chanter. Sa voix m’envoute. J’essaie de rester concentrer sur les paroles de sa chanson, pour essayer de comprendre le sens. Mais je dois avouer que je me laisse surtout bercer par son timbre. Je dessine un coeur à côté de son prénom dans mes notes. Peut être que je me laisse emporter à cause de ce patronyme qu’il arbore ? Peut être, mais il a quand même un sacré talent ce mec là. Il en chante une deuxième. « Moments passed » et je me mords la lèvre assez fort en l’entendant parce que je suis complètement sous le charme de sa chanson. Encore plus que la première. Je savais que ça allait être intense, je m’y attendais, mais pas à ce point là. J’en oublie mes notes, je regarde Richard chanter et je crois qu’on pourrait voir des petits coeurs dans mes yeux. Quand il termine j’applaudis avec force. Il mérite les applaudissements. Je suis trop fière de mon poulain. Je me tourne vers Jack et je murmure.
« Je crois que je suis amoureuse. »
J’ai pas le temps d’élaborer plus parce que déjà quelqu’un d’autre se met en piste. Et il en passe une vingtaine comme ça. Y’en a d’autres qui gagnent des coeurs à côté de leur noms sur mes notes. Surtout une qui a non seulement une vraie gueule mais une vraie voix aussi. Je me penche vers Jack pour lui parler discrètement.
« Elle. »
Ca suffit pour lui faire comprendre qu’elle est spéciale. Que j’approuve grandement. Je crois que les mots sont optionnels à ce moment là. C’était trop. Wow.
Dans l’ensemble on passe une très agréable soirée parce que les gens qui sont montés sur cette scène, bien qu’ils soient amateurs, ils savaient faire le show. Y’en a certains qui sont venus en touriste et qui n’étaient pas mauvais pour autant. C’est souvent comme ça qu’on trouve des perles rares. Sur du hasard.
« Je crois qu’on en a déniché quelques uns de pas mal du tout. »
On a leur coordonnées normalement, à l’entrée ils se sont inscrit sur un registre et on demande l’adresse email. Histoire de pouvoir faire un follow up.
« Y’en a bien trois ou quatre que je voudrais revoir sûr. »
Ceux qui ont le potentiel « album ». Candice revient vers nous.
« Y’a quelques retardataires, on les fait venir ? »
Je regarde Jack au cas où il aurait une objection mais ce n'est pas mon cas.
Je n’ai pas l’oeil trop entreprenant lorsqu’elle me parle de son carnet, lorsqu’elle l’exhibe distraitement, et que la possibilité d’y trouver de nouvelles paroles, de nouvelles mélodies s’y glisse. Sam me montrera le tout bien assez tôt, quand elle sera prête, et si mes iris n’ont pas pu se poser sur le matériel plus tôt, c’est qu’elle ne le sent tout simplement pas. Une main qui se pose, chaleureuse, sur son bras et le sourire qui l’accompagne sans forcer. « J’ai hâte. » que je précise, avant la houle, avant qu’on nous interrompe, avant que la soirée se lance. J’ai hâte qu’on s’installe en duo, qu’elle me présente ses morceaux, les joue pour mes oreilles fatiguées, mais toujours ouvertes à l'entendre. J’ai hâte d’y ajouter ma touche, de composer ce qui aidera à affiner, ou de réaliser encore une fois qu’elle n’a pas besoin de moi, que Sam est amplement capable de produire des mélodies et des textes d’une grande qualité peu importe pour quand, pour qui. C’est la parade des artistes devant nous, c’est Richard d’abord et son débit qui me donne le tournis, son stress qui s’éponge du mien, et l’impression que je suis trop vieux pour ce genre de choses, alors que je ne me verrais tout simplement pas nulle part d’autre. Effy et Rene qui arrivent par la bande, qui se présentent, qui prennent possession avec une facilité accablante des lieux d’un simple battement de cils, jeunes prunelles qui chacune à leur tour monte sur scène, livre des performances impeccables, suffisamment pour que j’hoche de la tête à une reprise ou deux, notant mentalement mes propres commentaires. Amusé par le son du crayon de Sam qui gribouille sur les pages déjà bien entamées, c’est bien sur ma mémoire vrillée que je mise le tout pour le tout, ne prenant aucune note à proprement dit. Comme dans tout, j’aime mieux y aller au feeling, à la présence, à ce petit quelque chose, cette émotion qui naît en moi lorsque les premières notes sont grattées, chantées. Le reste n’est que superflu, et plus tard, ce sera en me rappelant ce que j’ai bien pu ressentir sur l’instant que je saurai avec qui je veux travailler. « J’en ai rarement vu qui te faisaient tant d’effet. T’es sûre que tu veux le laisser filer déjà? » la brune me fait sourire, de longues minutes plus tard, replongeant en adolescence alors qu’elle orne de coeurs le nom de son chouchou du moment. Elle me fait penser à la Sam que je connais d’avant, à celle encore émerveillée qui se greffait à nous dans les loges, qui avait la vie devant elle, qui était promise à réussir comme personne. Elle a bien grandi, mais surtout, elle a l’oeil, et je ne peux qu’approuver à son choix, mes goûts étant toujours très, très alignés avec les siens. Elle lèvera le regard dans ma direction une fois ou deux, surtout lorsque mes lèvres laissent échapper un soupir d’aise d’entendre Cade, petite tête rousse et timide qui finit par faire de sa guitare tout un orchestre avant même d’avoir terminé le premier couplet de sa compo. « Ce rythme. C’est ça, c’est juste ça que je veux. » si simple, si limpide, si clair. J’ai pas besoin de grandes voix, j’ai pas envie de travailler avec des artistes intenses qui cassent tout sur leur passage. Je veux de l’évident, du naturel, du cru même un peu, du raw. Et le gamin m’en donne juste assez pour que j’ai envie de lui laisser ma carte lorsqu’il passe à notre hauteur, tout sourire.
« S’il interchangeait entre la fin et le deuxième couplet ce serait parfait. » les avants-derniers, le duo qui avait plus de charisme que de structure, qui avait réussi à arracher plusieurs rires à la foule en la réchauffant avant de lancer les quelques premières notes de leur version acoustique d’un succès entendu à la radio, dont j’avais oublié le titre insipide. Je détestais mettre le doigt sur le problème, savoir exactement ce qui, à mon sens, pas la vérité absolue mais tout de même, ferait mieux. Pourtant, ils sont tellement occupés à se vanner et à profiter des applaudissements de la foule qu’ils nous ignorent complètement, Sam et moi. Tant pis pour eux, i guess. Un brin déçu, mais tout de même satisfait par les éloges de mon amie, je finis ma bière d’un trait avant de me pencher sur les noms qu’elle a retranscrits, les quelques commentaires qui les accompagnent, certains surlignés, d’autre bariolés. « Tu en doutais? » bien humblement, je savais que Sam et moi avions ce petit quelque chose qui nous différenciaient d’artistes là pour le succès, pour la fame, pour l’argent. La musique dans le sang, le rythme dans la peau, et pas la moindre intention de laisser les éléments extérieurs entacher notre amour pour cet art, du plus simple instrument au plus grand orchestre. « J’ajouterai les miens une fois que j’aurais pris le temps d’y repenser. » que je précise, sachant déjà qu’elle me demandera mon avis, qu’elle voudra relancer, concorder, défendre ses opinions. Pour ce qui est de ma vieille caboche, elle a besoin de temps pour macérer, pour mijoter, pour revenir sur les fameux ressentis vécus tout au long de la soirée, et en faire des constatations qui seront on ne peut plus confirmées. C’est Candice qui reviendra à notre hauteur une fois les verres terminés, nous désignant du menton d’autres musiciens intéressés à monter juste le temps de finaliser leur temps alloué. Aucune objection à ce que les retardataires aient leur chance, sachant que j’aurais probablement été de ce groupe si j’étais passé ici ce soir. Bohème un jour, bohème toujours. « Oui, oui, bien sûr. » Sam se cale tout comme moi dans sa chaise, et nos regards se vrillent sur un trio qui monte d’abord sur scène, trios de visages qui ne me semblent pas tous inconnus, mais pas assez évidents pour que je mette le doigt dessus. Me penchant à l’oreille de la brune, je murmure. « On les connait? » et comme la question en soit risque de lui faire hausser les épaules sans rien ajouter de plus, je précise. « Ils me disent quelque chose. » j’en manque presque la totalité de leur numéro, les pensées qui s’animent de savoir qui ce groupe peut-il bien être, d’où il sort, de comment je m’en souviens sans vraiment le faire. Tellement, que je n’attends que la dernière note et encore pour leur faire signe de venir s’installer à la table avec nous. Sam me connaît neutre, stable, long fleuve tranquille ; force est d’admettre qu’elle n’a pas vu souvent tant d'entrain venant de ma petite personne. « Votre son m’est familier… vous jouez depuis longtemps? » parce que je n’oublie jamais une note, jamais un rythme. Et parce que je sais que Sam est tout pareille.
C’est vrai que je demanderai bien à Richard de rester et nous fredonner encore quelques chansons de sa composition. Je suis littéralement sous le charme. Ca fait longtemps que j’ai pas ressenti ça pour un chanteur de rue. Y’a vraiment un truc qui se passe avec ce mec. Je m’imagine déjà des arrangements pour accompagner le tout. Pour faire ressortir encore plus l’émotion de ses morceaux déjà fortement chargé. Je me sens trop inspirée.
J’approuve les commentaires de Jack quand Cade fait vivre sa guitare comme personne. Je souris de voir que le canadien n’attends pas bien longtemps avant de lui donner ses coordonnées. Pressé ? Sûrement. Je n’ai qu’une envie c’est de retourner parler à Richard et de toutes les idées qui me sont venues. Je ne sais pas s’il est encore dans la salle. Il était pas loin tout à l’heure, puis il est parti, puis revenu et là je ne le vois plus. Ce sera donc un email en guise de feedback en bon et due forme.
Jack a des idées pour améliorer certaines chansons. Je dois avouer que j’ai besoin de plusieurs écoutes avant de me lancer dans des modifications de chansons qui sont déjà écrite, terminée. Je n’ose pas mettre mon nez dans l’oeuvre de quelqu’un d’autre, sauf si on me le demande, bien évidemment. Je ne dirai pas non pour écouter cette nouvelle version suggérer par Jack mine de rien. Parce que je suis sûr que ouais, ça aura de la gueule. Que tout prendra son sens à ce moment là.
On verra plus tard pour la liste définitive de ceux qu’on veut revoir. De toute façon, il y a encore des arrivants. Fashionably late. Peut être que c’est un style qu’ils veulent se donner. Je ne sais pas, mais en tout cas, ils sont remarqués d’entré de jeu avec cette petite parade. Jack est partant pour les écouter lui aussi. Il vaut mieux pas louper d’occasion de découvrir un artiste. Il n’est pas si tard que ça en plus. J’ai l’habitude de vivre la nuit. Les nuits blanches pour composées, ça me connait. Pour passer des soirées à écouter des chansons, des covers sur youtube, je connais aussi.
Il y a donc un trio qui arrive. Jack a une impression de déjà vu puisqu’il me demande si on les connait. J’hoche la tête, c’est vrai que leur dégaine me parle.
« Ils me disent quelque chose moi aussi… »
Ils commencent à jouer et je vois Jack du coin de l’oeil qui se triture le cerveau pour les remettre. C’est vrai que ça me parle maintenant que je les entends jouer. Une chose est sûr, ce trio ne date pas d’hier. Ils ont de la cohésion, ça sonne sérieux, travaillé. Ils jouent ensemble depuis un moment. Quand ils terminent Jack leur pose la question qui lui brûle les lèvres. Je suis curieuse de savoir moi aussi.
« Ca doit faire dix ans qu’on joue ensemble. On a fait un disque indépendant mais ça n’a pas pris. On a joué quelques shows en Australie, en Europe et en Amérique du Nord… »
Le leader continue de parler de leur groupe. Ils ont tenté The Voice Australia y’a quelques années.
« Ah ! Voilà où je vous ai entendu. »
Je ne loupe jamais cette émission. Surtout pas la partie des auditions à l’aveugle qui est la plus intéressante à mon goût. La conversation va bon train avec eux et une nouvelle personne s’installe sur scène. Je tourne les yeux vers Candice passant dans le coin, elle me fait signe que c’est le dernier. Deux personnes du trio, toujours à notre table, ont l’air de s’intéresser aussi au nouveau venu qui accorde sa guitare. Le leader est encore en train de discuer avec Jack. J’accorde mon attention au nouveau venu sur scène. Un jeune homme blond aux cheveux longs, des vraies allures de surfeur.
« On m’a traîné de force… J’ai un peu bu… Alors je m’excuse d’avance pour cette prestation. »
Ca le fait rire. L’alcool sûrement.
« Oh et je m’appelle Kane. »
Puis il commence à jouer une reprise de A Day To Remember « If it means a lot to you ». Je connais cette chanson, j’ai déjà partagé des affiches de festival avec ce groupe. J’aime beaucoup. Des points en plus pour le choix de la chanson. Après je dois dire qu’il a un grain de voix assez simple. Une jolie voix, mais rien de significatif. Faudrait peut être qu’il joue des trucs originaux pour qu’on se fasse un peu plus une idée de son univers. Et c’est comme s’il m’avait entendu parce qu’il annonce qu’il va jouer une de ses compo ensuite. Mon sourire se fait bien plus large.
« J’ai peur de pas me souvenir des paroles… Mais on m’a demandé cette chanson ce soir, alors la voici. C’est ‘Remember’. »
Et là on voit qu’il prend son pied à la jouer. Cette chanson lui parle et c’est beau à voir. Il a un truc, c’est sûr. J’aime son style. J’observe le trio toujours à notre table qui bouge la tête en rythme. Oui cette chanson est vraiment très plaisante. J’en ferai bien quelque chose. J’aimerai bien l’avoir sur un mp3 pour l’écouter de nouveau.
« Merci… »
Et il quitte la scène, rejoignant une rousse qui était debout non loin à l’écouter. Je les suis du regard et ils vont du côté du bar, bras de dessus bras dessous, des sourires plein leurs visages. Ils me font sourire aussi. Je me suis pas rendue compte que je me suis un peu mise dans ma bulle en les observant. Je reviens sur Terre à la table, me tournant vers Jack. Le trio nous a faussé compagnie, je m'en étais même pas rendue compte.
Sam est dans son élément, la voir aller ne fait que me réchauffer le coeur un peu plus. Tous ces souvenirs de tournées qui remontent, toutes ces histoires sur la route qu’on avait pu partager. La musique qui fait briller ses prunelles, se dessiner sur ses lèvres un sourire qui la rend belle, naturelle, rayonnante. Elle faisait partie de ces femmes que j’admirais, aussi ébahi qu'un môme en ne me gênant pas pour la détailler du regard, pour apprécier le spectacle d’inspiration qu’elle pouvait dégager tellement elle avait trouvé sa place, confiante à son paroxysme. Et dans mes silences, elle n’est pas déstabilisée le moindrement du monde. Déjà, parce qu’elle me connaît par coeur et sait pertinemment que ce n’est pas parce que je reste muet que je suis ailleurs, que mes non-dits sont signes d’une présence accrue, d’une écoute fine, nécessaire. Elle sait que si je ne fais rien de mieux que fixer, qu'écouter, comprendre, analyser, c’est que je suis en train de couver quelque chose, un morceau, une réflexion, un changement de notes, l’écriture d’une slave de paroles même. C’est probablement ce pourquoi elle babille avec Richard, puis avec l’autre groupe qui passe, avec les musiciens qui finissent tous par s’arrêter à notre table, multipliant les discours et les éloges, parfois sincères, parfois stressés, d’autres fois malhabiles. Pris dans mes pensées, ma tête qui bouillonne et le besoin d’air qui se fait sentir, je reste tout de même à table aux côtés de mon amie avant de lever la tête vers un petit dernier qui finit par monter sur scène, boucler le show d'un air qui se dessine sur mon visage, pour le moins ébahi. « Hey, je le connais. Et ma vieille mémoire me fait pas défaut pour celui-là. » mon sourire est complice, me moquer de mon âge est chose courante, sachant qu’en bordure mon coeur d’enfant n’a pas pris une ride même s’il a de la difficulté à être aussi vigoureux qu’avant. Kane qu’il se nomme, et je pose mes iris sur lui, je suis le mouvement de ses doigts qui grattent les cordes, reconnaît sa voix, un peu plus tremblante que la soirée où il m’avait joué ses compos, en solo, le bar qui nous appartenait. Il est plus à l’aise à partir du deuxième morceau, et quelque chose me dit que ça a à voir avec la rouquine qui s’avance vers lui pour lui tendre un shot à caler avant de se lancer sur le refrain. Inoffensif, sachant qu’à l’époque, c’était ligne sur ligne qui nous donnait du courage. Si le gamin pouvait se tenir loin de la coke pour ce soir, je ne m’en sentirais que mieux. « Il a retenu ce que je lui ai dit... » que je finirai par souffler, plus à moi qu’à Sam, entendant d’un revers de l’oreille quelques riffs que j’avais pu lui montrer à la va-vite, qu’il maîtrisait maintenant parfaitement, avaient mixé à sa sauce. Et lorsque Kane passe à notre hauteur, je lui sourie, le salue, m’assure qu’il m’a vu. Il est déjà loin à boire une bière avec sa copine quand je finis par hocher de la tête, me lever à mon tour, besoin de me dégourdir les jambes, de m’entendre penser un peu. « Je vais fumer, tu viens prendre l’air? »
La brise qui rafraîchit la nuit sur Brisbane fait du bien à ma peau, à mes sens. Sam à mes côtés, j’allume ma clope d’un geste naturel, distrait, avant d’en prendre une longue bouffée salvatrice. Rien de tel que la cigarette de la réflexion, qui aidait toujours mes méninges à faire le filtre, plus les inspirations sont profondes, fumées. « Satisfaite? » un sourire sur les lèvres, je tourne la tête vers mon amie, qui mine de rien a vu son bar être rempli de nouveaux talents ce soir pour la première fois depuis que l’idée d’organiser ce genre de soirée a germé entre nous. Elle a de quoi être fière, et je suis assuré qu’elle ne traînera pas avant de répéter l’expérience jusqu’à avoir trouvé la perle rare qui la charmera dès les première mélodies. « Je m’étais pas fait d’attente, comme toujours mais… ils s’en sont bien sortis. » il est encore top tôt pour que je me fasse une idée claire et précise, mais je sais déjà quelles voix j’aurai envie d’entendre à nouveau, qui a marqué mon esprit. Comme mentionné plus tôt, je compte aussi lorgner sur les notes de Sam pour me confirmer qu’on est à nouveau tous les deux sur la même longueur d’ondes, ce qui est le cas depuis presque 15 ans maintenant. « Y’en a quelques uns que je ferai venir au studio, je pense. » la conversation coule tranquillement, je fais déjà les arrangements dans ma tête, sachant que le week-end serait plus prompt à accueillir ces nouveaux artistes à B&B, leur montrer les installations, jouer de rythmes pré-enregistrés et de microphones pour leur donner un autre feel, un nouveau son, plus d’air. « Faire la différence entre le live, et l’enregistrement. » parce que c’est souvent ce qui change le raw pour du pur, le brut pour du clair. Et qui diminue de beaucoup le stress de se donner en spectacle devant une salle d’inconnus aussi, surtout. « Ça t’a pas donné envie de replonger dans nos vieux trucs, toi? » un coup d’oeil complice plus tard, et je tire sur ma clope une longue bouffée, nostalgie mêlée à la naïveté de mes débuts, des siens. « J’dois bien me souvenir des premières notes de Swan Song, j’ai tellement pu la jouer celle-là... » et je rigole, parce qu’il fût un temps où cette chanson, le premier vrai hit de notre groupe, me hantait la nuit, contractant mon index et mon pouce, me réveillant devant les spasmes de souvenir et d’habitudes. L’envie de fouiller dans mes vieux carnets me prend, et je parie que Sam a encore des restes des siens dans ses affaires ici.
On va dehors maintenant que ces auditions - qui n’en étaient pas vraiment - sont terminées. Un peu d’air me fera le plus grand bien. Je dois dire que j’étais encore dans l’atmosphère de la scène et des instruments là bas à l’intérieur, dans cette salle obscure et sans fenêtres. Je pique une clope à Jack quand il en prend une dans son paquet. Je lui fais un sourire maline comme pour faire passer la pilule de ce « vol ». Mes sourires me sortent de pas mal de situations, je dois l’avouer. J’en profite un petit peu. Après la clope, c’est le briquet que je lui prends pour l’allumer. Je lui rends tout en soufflant la fumée que j’ai inhalé. Jack me demande si je suis satisfaite et j’hoche la tête assez vivement. Ne pouvant cacher encore mon état d’excitation par rapport à toute cette soirée qui a été un véritable succès.
« Très ! Surtout que mon coeur est pris de nouveau. »
Je parle de Richard bien évidemment. Je plaisante, ça se voit bien sur mon visage. Je tire encore sur ma clope alors qu’il parle des artistes qu’on a vu ce soir.
« Ca a dépassé toutes mes attentes. »
Parce que j’ai pas pu m’empêcher de m’imaginer le déroulement de la soirée malgré tout. Et c’était rien de ce que j’avais en tête. Y’a eu tellement de monde. Ok pas une tonne non plus, mais ça nous a tenu jusqu’à plus de 23h, ce qui est plus que correct pour une soirée. On a pas eu besoin de faire appel au DJ pour combler la programmation musicale.
Il veut en revoir au studio, je veux bien le croire. Moi aussi y’en a que je veux entendre de nouveau. Je ne vais pas nommer Richard de nouveau, mais je pense que ça se voit dans mes yeux que je pense à lui en premier lieu après qu’il ait lancé ça. Je lui fais part au fil de la conversation de quelques artistes qui m’ont marqué ce soir et c’est plus fort que moi, je parle de Richard bien sûr. Je ne peux juste pas le laisser dans un coin alors qu’il est mon numéro 1.
« Tu me tiendras au courant quand tu feras ça. Je me débrouillerai pour venir. »
Je ne veux pas louper ça et je sais combien c’est compliqué de réunir un grand nombre de personnes au même endroit un même jour. Alors je préfère le laisser organisé ça car c’est son studio, et moi je viendrais me greffer à leur party. Je tire sur la clope tout en gardant Jack dans mon champ de vision. Je souris plus largement quand il parle de nos vieux trucs.
« Le bon vieux temps… »
Je dis ça mais j’aime quand même beaucoup ma vie de maintenant.
« Tu sais que je suis toujours traumatisé de ce show où il n’y avait qu’une dizaine de personne ? »
C’était aux USA, il y avait eu une tempête de neige et peu de gens s’étaient déplacé pour voir le show. Ca m’a marqué. On a quand même joué mais l’ambiance était spéciale du coup. J’étais pas à mon max, loin de là.
« Si tu veux on rentre et on va se jouer quelques morceaux chez moi. »
J’ai une pièce transformé en studio de fortune chez moi. On peut bien s’amuser avec les instruments à disposition. Ca ne serait pas la première fois qu’on fait ce genre de chose, mais ça fait un moment qu’on l’a pas fait, du coup ça sonne comme une bonne raison de remettre ça.
« Et je pourrais peut être même te faire écouter la chanson sur laquelle je bosse depuis quelques temps… »
Je souris largement en le regardant, je suis sûr que ça va lui donner envie.
Le bruit du briquet qui craque dans la nuit suffit à me ramener sur terre, entre les souvenirs et la nostalgie d’avant, et les nouveautés et la relève de ce soir. Un jour, je me ferai vieux, vraiment, vainement décrépi. Un jour, les années de rock n’ roll suffiront à ce que mon oreille ne soit plus à même d’entendre ce qui compte, ce qu’elle veut bien connaître, chanson après chanson. Pourtant ce soir, aux côtés de Sam, c’est un aller simple vers une époque beaucoup plus fun et légère que je me suis permis, et c’est déjà un second souffle que je sens passer en moi, la première bouffée de clope prise. Au final, je ne suis pas seul à ressasser le passé, la brune étant toute autant ravie par sa mémoire et tout ce qu’elle y a emmagasiné avec les années. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres, avant d’éclater de rire, un rire, franc, honnête, qu’elle provoque avec une mention d’avant. « Au moins, ils étaient là pour les bonnes raisons. » contrairement à d’autres spectacteurs venus à nos débuts pour rafler de l’alcool gratuit, pour en profiter pour voler l’argent dûment gagné dans nos étuis à guitare, pour piquer des ensembles de notes et de mélodies question de les user à la corde sur leurs propres compositions.
La cigarette diminue au fil de la conversation, l’air qui caresse mes joues et mon amie qui en profite pour proposer une suite, pour ne pas nous enliser dans ce que nos vies d’adultes responsables ou presque nous poussent à devenir. Rares étaient les moments où nous pouvions nous retrouver pour composer, pour jouer, pour écrire, ces temps-ci. Avec son bar qui prenait en ampleur et en popularité, avec B&B qui doucement était de plus en plus estimé dans le milieu, avec ses artistes et les miens, c’était bien parce que nous étions voisins que je pouvais toujours compter sur Sam comme l’une des personnes les plus présentes dans ma vie. Un café attrapé à la volée sur ma terrasse, un aller-retour partagé vers le centre-ville, on tentait au mieux de s’accrocher entre nos quotidiens effrénés. C’est probablement pourquoi sa proposition fait tellement de sens, me donne tant envie. Retrouver nos habitudes, nos marques, notre zone de confort. Se poser à deux sur les partitions, sur les mots, sur les rythmes, et faire comme si le monde extérieur n’existait pas, comme s’il n’y avait que nous et seulement nous. Comme avant. « T’as toujours ta vieille Fender? » que je demande, plein d’espoir, l’oeil brillant. Je ne doutais pas une seule seconde qu'elle avait gardé cette pièce d'anthologie, cet instrument qui l’avait suivi d’aussi loin que je me souvienne, et ce même si Sam lui avait mené la vie dure. C’était mon petit joyau, tout simple, sans flafla, bien à des kilomètres des autres guitares professionnelles qu’elle pouvait bien cumuler et qui valaient 4 fois son prix. Mais à mes yeux, c’étaient nos débuts, nos premiers essais, nos premiers pas tout court, et la valeur sentimentale était plus grande encore que tout le reste. De ce fait, je laisse le mégot tomber au sol, l’écrase du talon, lance le mouvement en initiant l’aller jusqu’à nos voitures. Sur le parking, je partage un regard complice avec mon amie, comme si ma décision n’était pas encore tout à fait prise alors que c’est bien l’inverse, et qu’elle me connaît suffisamment pour savoir à quel point il me tarde de me poser avec elle, des bières, de la musique, et la nuit devant nous. « Tant que je peux m’installer près de la fenêtre pour guetter quand Ellie rentre... » la blague. Ma fille qui ne respecterait jamais le couvre-feu de mon vivant, et est sûrement actuellement en train d'errer dans la ville jusqu’aux petites heures de l’aube sachant que j’étais moi-même de sortie. Que je croiserais à peine demain au petit-déjeuner, avant de la voir s’envoler vers d’autres destinations sans plus de détails. Je sais que Sam l’aime bien, je sais qu’Ellie est à l’aise en présence de la brune, néanmoins, c’est toujours avec un petit pincement au coeur que je pense à ma propre relation avec ma fille, et avec la pique d’humour que je tente, non sans savoir qu’elle n’est pas très loin de la réalité et de mon besoin de savoir ma gamine rentrée saine et sauve. « Deal. » et j’ouvre la portière de ma voiture, félicitant la pénombre de cacher le chaos innommable qui y a élu domicile depuis des semaines. La clé sur le contact, je m’assure que Sam quitte elle aussi le parking avant de laisser la nuit et les différentes routes qu’on connaît par coeur nous guider vers ce qui risque de sonner comme un voyage à travers le temps.
C’est vrai que les gens présents ce soir là avaient eu la décence de nous écouter sans créer de problèmes. Au fond de moi j’étais sûre qu’ils réfléchissaient à comment ils allaient faire pour rentrer chez eux. Pourquoi ils étaient venus. Sûrement l’appel de la bière plutôt que du show en lui même. Rien de mieux que l’alcool pour se réchauffer en temps de tempête.
Je propose de continuer la soirée chez moi et Jack a l’oeil qui scintille à l’évocation de ma Fender. J’hoche la tête bien rapidement.
« Bien sûr ! »
Je ne jette jamais d’instruments. Ils ont tous une valeur sentimentale. C’est pourquoi j’ai quelques guitares qui sont complètement morte dans une malle, mais je ne peux pas me résoudre à m’en débarrasser. J’ai conscience d’être chanceuse d’avoir une grande maison avec beaucoup de place. Je ne pourrais pas faire ce caprice autrement.
« Ca fait un moment que je l’ai pas sorti, donc je sais pas dans quelle état elle doit être. »
Parce qu’on m’a offert une Chapman y’a quelques années et j’en suis tombée amoureuse. Tous les détails qui faisaient que je changeais mes anciennes guitares étaient corrigées. C’était vraiment une révélation cette guitare. Je suis vraiment contente que Chapman se soit approché de moi parce que c’est des guitares de qualité. J’ai pas arrêté de parler de ma nouvelle acquisition pendant des semaines, à chacune de mes performance j’étais émerveillée. Je me suis demandé comment j’ai pu passer à côté de cette marque avant. Jack connait mon amour pour cette guitare, je l’ai saoulé avec ça jusqu’à ce qu’il l’essaie à son tour et me donne son avis. Comme si j’avais besoin de son aval avant de juger que quelque chose en vaut véritablement la peine. Oui, j’ai une haute estime de lui. Ca me fait plaisir quand on est d’accord tous les deux. C’est quand même assez souvent le cas.
Jack parle de sa fille. Il veut surveiller son retour. J’hoche la tête, comprenant tout à fait et on est parti tous les deux en direction de nos chez nous respectifs. Il confirme seulement maintenant qu’il est partant pour le programme alors que ça coulait de source que c’était un done deal depuis que j’avais ouvert la bouche soumettant l’idée.
Quelques minutes plus tard, nous voilà chez moi, deux bières fraîchement sortis du frigo et direction la pièce qui fait office de studio. J’allume les lumières, je pose ma bière sur le bureau et j’ouvre une caisse où se cache plusieurs guitares, dont la Fender. C’est avec un large sourire sur les lèvres que je la tends à mon ami.
« L’élu de ton coeur. »
Je plaisante. Ou peut être pas tant que ça. Puis je vais prendre ma petite chérie de Chapman. Je joue deux accords instinctivement dès que je suis en plein possession de mes moyens, la guitare collé à moi. Je ferme les yeux, profitant de la sensation parfaite sous mes doigts. Ca ne fait que 24 heures que je l’ai quitté, mais j’apprécie quand même ces retrouvailles. L’amour.
Je réouvre les yeux. Je m’installe sur le canapé qui est dans la pièce pour être un peu plus à l’aise et j’entame les quelques notes qui me hantent ces derniers temps. Une petite mélodie sans prétention, mais dont les paroles résonnent déjà fort dans ma tête. Je fais une pause avant d’entamer la chanson, ou du moins ce que j’ai déjà en tête. Je regarde si Jack est prêt à m’écouter.
« J’ai juste un passage. J’ai des idées pour le reste mais cette partie là est bien claire dans ma tête. »
Et je me lance…
« It doesn't have to be a world away I can see the light like it's inside of me I know that if I get to know my pain I unlock a hundred different doors to better days
My life is what I make it I choose to rise and take it From your hands My life is what I make it I choose to rise and take it From your hands »
Je regarde Jack, attendant son verdict. Ou attendant qu’il enchaîne avec une de ses nouveautés à lui aussi. Une révélation pour une révélation. J’aime bien cette idée. Un bon début d'after party. On va sûrement bifurquer en balade sur "memory lane" après ça. Avec des chansons du bon vieux temps.
Le chemin vers nos demeures respectives se fait tout naturellement, parce qu’il est devenu notre routine depuis les années. Le bar comme autre maison, et j’ai longtemps regretté de ne pas avoir acheté le local en face pour en faire les bureaux de B&B – avoir Sam dans les parages a toujours eu l’effet d’insuffler l’inspiration nécessaire à ce que je relance ce qui stagne parfois trop longtemps dans mes vieux neurones. Garé, en mouvement vers chez elle, c’est sans grande surprise que je remarque d’un œil las qu’il n’y a aucune trace d’Ellie à la maison. Si la gamine était assez mature et brillante pour ne pas se foutre dans les pires merdiers possible – et elle ne tenait clairemnet pas ça de son malchanceux père – j’en venais toujours à avoir l’appréhension qu’il lui soit arrivé quelque chose, qu’elle n’aille pas bien, qu’elle soit en danger. L’instinct paternel qui se développe, probablement trop tard, mais qui est bien là et qui rend mes nuits moins pasibles, mes journées toujours un peu plus tendues quand je tarde à avoir de ses nouvelles. Néanmoins, Sam chasse tous mes soucis lorsqu’elle passe la porte du salon Fender en main, et que je pose ma bière à mes côtés en aparté pour attraper la bête l’air nostalgiquement con qui s’affiche sur mon visage ravi. « Elle est encore plus belle que dans mes souvenirs. » et Dieu sait que je lui avais fait une place de choix dans ma mémoire, tout en haut dans la liste des instruments qui m’en avaient fait vivre de toutes les couleurs. Il ne faut pas trop longtemps à mon amie pour qu’elle revienne elle-même instrument en main, jouant distraitement, profitant de chaque note comme toujours. Même après toutes ces années, même devant tout ce qu’elle avait pu accomplir et cumuler comme réussites, Sam restait toujours cette même musicienne au cœur simple, aux idées nobles, et au sourire de gamine. Ellle est adorable et je savoure chaque seconde de la voir si à l’aise, si en confiance. « Je suis tout ouïe. » elle parle de ce nouveau morceau qu’elle a en tête, de cet extrait qu’elle désire jouer mais n’a pas encore complété sur ses partitions et c’est dans un silence presque religieux que je l’écoute elle et seulement elle, paupières closes, calé contre les pattes du canapé qui fait office de dossier derrière moi.
« Ça me fait penser à… attends. » de longues minutes passent une fois que la brune a terminé, qu’elle a eu le temps de lever à quelques reprises le regard vers moi pour entendre ce que j’ai pu penser de sa composition en devenir. Et d’un geste, d’un bond un peu trop rapide pour mes vieux os, je file à sa collection de vinyles qui rendrait jaloux bien des hommes, presque aussi complète que la mienne avouerais-je avec fierté, avant de laisser mes iris parcourir la liste des titres, en choisir un avec délicatesse, le sortir de son enveloppe. Comme une science, je pose le disque sur le lecteur, l’enclanche, laisse les premières mélodies monter dans la pièce. J’avance un peu jusqu’à trouver ce dont je parle, laisse jouer l’intro à la guitare qui vient vaguement faire écho à ce que mon amie à elle-meme imaginé et le déclic qui devait venir une fois la voix de la chanteuse lancée, suffit à ce que je revienne prendre place à proximité de Sam, satisfait d’avoir mis le doigt sur la suite d’accords qui me semble logique. « Reprends. » sans aucune gêne, je pose ses doigts un accord plus tôt, prétextant que plus grave ira mieux chercher le grain de sa voix, accompagner la perfection que je la sais capable d’accomplir une fois qu’elle joue un morceau qu’elle maîtrise. Ce n’est qu’une fois que mon amie a rejoué la série de notes que je lui ai doucement proposée que je me risque à sortir mon propre carnet de ma besace, coins écornés, pages jaunies, un vieux de la vieille qui semble presque avoir vu la guerre. « Si tu veux regarder, j’ai travaillé là-dessus ces jours-ci. » principalement des airs, peu de paroles comme à mon habitude, et beaucoup de notes de bas de page qui rendent la lecture décousue et presque difficile pour quiconque s’y attarde. Quiconque sauf Sam, qui est plus que certifiée pour lire ma musique comme personne d’autre. « J’attends que ce soit Sam approved avant de présenter aux Street. » que je laisse aller, lui tendant le manuscrit, l’air amusé. Si un jour je proposais au groupe une compo à tenter, ce serait bien parce que j’y retrouve les forces de tout le monde et pas simplement mon ego tracé sur des partitions.
Jack est complètement amoureux de ma guitare et j’en aurai presque envie de le prendre en photo, non encore mieux, en vidéo, pour immortaliser ce moment. Je ne devrais pas me moquer parce que je suis la même avec ma Chapman. Y’en a pas un pour attraper l’autre. En tout cas je sais que si je veux lui faire un beau cadeau un jour, c’est la Fender qui y passera. Seulement si j’arrive à me résoudre à m’en séparer. C’est pas dit.
Je joue mon passage, celui qui me hante depuis plusieurs semaines. C’est la première fois que je le joue à quelqu’un, faudrait peut être que je lui donne un titre pour m’en référer. Mais non. Pour l’instant ce n’est qu’un prototype. Quelques paroles griffonné sur mon carnet. Une mélodie qui est encore à travailler, mais qui a une bonne base. Jack fait comme chez lui et encore heureux, cet endroit c’est fait pour que mes amis en prennent possession, c’est pas marrant une pièce dédié à la musique juste pour moi. Beaucoup plus agréable de partager ça. Il fouille dans mes vinyles et j’attends de voir lequel il va sortir. Je souris quand je reconnais la pochette du disque qu’il va mettre. J’écoute le passage en question et c’est vrai qu’il y a de l’écho.
Je vais pour jouer mais il déplace mes doigts et je le laisse faire. Les conseils de Jack, ses petites touches ici et là sont toujours très précieux. Il a le nez pour la composition et c’est certainement une des facettes qui me font craquer chez lui. Je reprends donc de jouer, avec cette modification là et c’est vrai que ça rend encore mieux.
« J’aime. »
Je souris bien largement, contente de cette révélation. Ca se voit dans mes yeux que cette petite modification fait sens. Je continue de jouer les quelques notes pour me les mettre bien en tête. Rien n’est encore gravé dans le marbre et y’a des chances que cette chanson soit encore beaucoup transformé. Pas dit que ça finira sur un disque ou quoi, je profite juste de mon inspiration de ces derniers temps. Toujours trop agréable de composer et de composer pour soi pour une fois. Ca fait quelques années que ça n’a pas été le cas, mais je ne vais pas me plaindre, tant que l’inspiration est là d’une façon ou d’une autre, je suis heureuse. Parfois je me demande ce que je ferai le jour où ça ne me viendra plus. Quand les notes ne s’aligneront plus avec autant de facilité. Parce que oui, ça a toujours été bien trop facile pour moi. Je ne sais pas ce qui m’anime réellement mais je suis consciente de la chance que j’ai. Je ne suis pas la seule à avoir des facilités dans le domaine et c’est certainement parce que je me retrouve en Jack qu’il est un ami si proche.
Je m’arrête de jouer quand il sort son carnet. Je garde ma guitare sur mes cuisses et je regarde ce qu’il me tend, lui donnant toute mon attention mais ne trouvant pas le courage de me séparé de mon instrument chéri. Je souris quand il parle de « Sam approved ». Je pose le carnet en bloquant les pages pour ne pas qu’il se ferme et je commence à jouer les notes pour avoir une idée de ce que ça donne. J’hoche la tête, appréciant le son qui en découle. Les quelques paroles griffonné au milieu des notes me parlent. J’aime la direction que ça prend.
« J’exige une démo quand tu l’auras continuée. »
A l’ancienne, dans ma boîte aux lettres. Même si on habite à côté, je continue de lui glisser des choses dans sa boîte quand j’ai pas envie de le déranger véritablement. Un simple email aurait pu faire l’affaire mais avec Jack, ça ne se passe pas comme ça.
Ma guitare devant moi, je ne peux pas rester bien longtemps sans me remettre à gratter quelques accords. Je joue un air que Jack connait très bien. Il s’agit de « Pieces of me » d’Ashlee Simpson, mais la version qu’on avait revu lui et moi pour qu’elle soit encore mieux. C’était la chanson qui passait en boucle sur les ondes américaines à l’époque. On a parcourus beaucoup de routes dans le même van tous les deux. La tournée qu’on a fait ensemble est un de mes souvenirs préférés. Cette chanson est un peu devenu notre hymne à cette époque. 2004, ça semble pas si loin mais quand on commence à compter, ça fait mal. Je pense toujours aux States quand j’entends cette chanson. Elle me renvoie direct sur memory lane. Je change les paroles des couplets pour celles qu’on avait modifié. On avait décrété que cette version amélioré était le hit parfait.
« Peut être qu’on devrait la jouer et la mettre sur youtube, véritablement. »
Ce serait un pur délire, mais j’aime bien l’idée. Je ris à cette déclaration et puis je reprends à jouer quelques accords. Je suis lancée dans les souvenirs et je joue pas mal de chansons de l’époque, il y a 15 ans environ. Je glisse quelques notes des chansons de Jack au milieu, parce que oui, je m’en souviens. Surtout une qui m’a touché en plein coeur dès la première écoute. Je faisais parti de leurs plus grandes fans quand ils jouaient. J’ai entendu leur setlist pendant un mois mais je m’en suis jamais lassée. Je continue de gratter quelques bons sons qu’on aime tous les deux particulièrement. J’essaie de toucher juste, au plus juste. Je fouille mes souvenirs et je ne sais pas combien de temps je passe à faire ce medley improvisé. Je me sens toujours poussée des ailes quand j’ai ma Chapman entre les mains. Je fais un enchaînement entre un classique de l’époque et une de mes chansons et je souris très largement.
« Eh oui, j’ai tiré ça de là. »
Parce que les deux chansons s’accordent parfaitement. Oui, j’ai encore quelques petits secrets que je ne lui avais pas révélé. Je crois que si on ne m’arrête pas, je suis bonne pour jouer jusqu’au bout de la nuit comme ça, quelques bribes ici et là. J’ai commencé par des chansons de 2004, j’ai débordé sur 2005 jusqu’à 2007… Je peux aller jusqu’à 2018 facile, tâtonnant des notes pour des chansons qui me viennent en tête mais je n’ai encore jamais vraiment joué. J’échoue quelques fois, je me reprends, puis pour une chanson, je capitule et je me mets à chanter, espérant que Jack trouvera les bons accords pour m’accompagner et faire ça bien.
Avec elle, c’est toujours aussi simple, aussi naturel qu’avant. C’est l’inné qui revient, entre les bières qu’elle décapsule, les notes qu’elle gratte, les instruments qui nous entourent. C’est le retour en arrière que j’accueille d’un soupir d’aise, parce que les derniers jours n’ont pas été si faciles, parce que ce soir enfin, je suis dans ma zone de confort. Avec Ellie, rien ne va plus - et ça, c’est simplement le résultat des trois dernières années qui se répercutent un peu plus chaque jour. Elle me glisse entre les doigts, elle se rebelle, elle m’ignore, elle m’en veut ; et si elle savait comme je m’en veux aussi. Mais c’est peine perdue, ou du moins, c’est plus difficile encore que n’importe quel autre challenge aie-je pu croiser de ma vieille vie. Que Sam soit là aide un peu à panser les blessures, aide à ce que la soirée ne se termine pas de mon pas las qui entre dans la maison, qui fait écho au silence que ma fille a laissé dans son sillage en décidant de ne pas rentrer ce soir, comme toutes les autres fois d’avant. « Ça va de soit. » et une longue gorgée de bière plus tard, je rassure la brune qui insiste, l’air amusé, pour voir la composition une fois qu’elle sera terminée. L’entendre du bout de ses doigts me donne de nouvelles idées, quelques pistes que je note mentalement, que je gribouille sur mes papiers éparpillés. Sam qui continue de jouer avec maîtrise et beauté, les vinyles qui l’accompagnent, la nuit que s’allonge et les aspirations qui se clarifient. Elle me fait sourire, alors qu’elle tente comme à de nombreuses reprises de me faire entrer dans le 21e siècle - ce qui, encore une fois, est honorable sachant à quel point je suis loin, bien loin du moindre progrès technologique. « C’est avec Ellie que tu devrais faire ce genre de plan. » et elle, elle arriverait à l’intéresser. J’ignorais réellement ce que pensait ma fille de la Livingstone, sachant que de nombreux voyages loin de famille avaient été faits accompagnés de la musicienne. Que plusieurs soirées, week-ends, semaines, et quelques mois d'absence au compteur avaient été causés par la musique, par mes amis, par le groupe, et tout ce qu’il me promettait, quand j’étais encore assez fou, assez con, assez naïf pour croire que toute cette histoire se terminerait bien. Jamais vraiment eu la force de demander à Ellie, jamais eu le courage de vouloir savoir si elle tenait qui que ce soit d’autre que moi comme responsable pour son enfance que j’aie manquée, sachant très bien qu’au final, je serais le seul coupable dans l’histoire. « Si tu penses me faire sombrer dans la nostalgie... » et Sam choisit exactement les bons mots pour chasser la réflexion, pour calmer mes pensées, mes idées noires, le raz-de-marée qui monte en moi, qui ramène avec lui la culpabilité constante d’être le pire père du monde, encore et toujours. « … eh bien, t’as réussi. » et j’ai le sourire espiègle, lorsque je lui réponds, le coup d’oeil qui s’amuse tout autant. J’ai les oreilles qui sont attentives, surtout, alors qu’elle commence à enchaîner les notes, qu’elle s’amuse, que sa créativité n’a pas de limite. Je la rattrape à quelques moments, ma mélodie qui s’accroche à la sienne, qui accélère parfois, ralenti à d’autres moments. Sam pourrait continuer comme ça toute la nuit et moi pareil, sachant à quel point ce genre de séance me manque. Entre les enregistrements, les artistes qui passent, les compositions que je signe, les gammes que je ne joue plus depuis trop longtemps au goût de mes jointures qui se craquent et se cambrent à chaque nouveau solo que j’improvise. C’est du doux encore et toujours, et juste comme je sens qu’elle entre dans sa zone, c’est la mienne qui parle pour nous deux.
« Ça te manque pas les tournées, parfois? » autant les siennes, les miennes, les nôtres. Les mois passés en cohabitation avec le même groupe restreint. Les nuits blanches qui s’enflamment, les jours trop courts qui s’effritent. Les soirs sur scène, les clubs si petits, les salles si grandes, les projecteurs toujours trop forts pointés directement dans nos yeux éjectés de fatigue - et d’autres substances illicites. C’était la folie, c’était une bulle, c’était notre rêve et on l’avait vécu pleinement. « Quand y’avait pas de responsabilités, quand on était tout sauf sûrs, comme les gamins sur scène, ce soir? » et j’énumère, grattant les cordes, les revoyant un à un au Triffid, à tenter d’attirer l’attention, à se distinguer de la masse, à montrer leur saveur, leur couleur, devenir uniques à nos yeux pour se racheter aux leurs, vivre de leur passion comme on l’avait fait nous-même si longtemps. Comme on le faisait encore aujourd’hui, si bien, à notre façon, mais toujours autant, et avec toujours une dose infinie d’amour et de passion.
Je ne sais pas combien de temps on reste à jouer Jack et moi, mais je prends un immense plaisir. Ca faisait trop longtemps que j’avais pas investit cette pièce de ma maison avec un ami aussi mélomane que moi. La dernière fois que j’ai investit les lieux avec une tiers personnes, c’était y’a pas si longtemps, avec Laz, on s’est fait un blind test au piano. Ok je lui ai fait un blind test au piano. On a passé une bonne soirée. Quand y’a des amis plus de la musique, c’est forcément une très bonne soirée.
Mes petits morceaux joués à la guitare mettent Jack en pleine nostalgie et moi je me défais pas de mon sourire. C’est vrai que ça remonte à loin, que ça fiche un certain coup dans la gueule quand on y pense, mais c’était tellement bien que je ne peux que sourire. Je suis du genre à me dire que même si on a pris de l’âge, on a de la chance d’être toujours en vie. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Toujours voir le bon côté des choses. C’est comme ça que je marche. Je continue dans ma lancée avec mes chansons, je suis pas prête de m’arrêter.
On se calme quand même au bout d’un moment. Le silence ne se fait pas entièrement. Non. On a peut être arrêté de jouer de nos instruments mais on a mis un vinyle en fond. Un bon vieux disque qui nous parle bien. Et voilà que Jack me parle des tournées, si ça me manque. Je penche un peu la tête sur le côté, réfléchissant à sa question. Il enchaîne, s’exprimant un peu plus sur son interrogation.
« Si tu veux je t’embarque dans ma prochaine tournée. En tant que spectateur. Aucune responsabilité, que du fun. »
Je plaisante bien évidemment, surtout qu’il a une fille, donc c’est carrément compromis. Ce genre de moment me fait me sentir bien avec le fait de ne pas avoir de progéniture. Je suis libre de quitter mon nid douillet pour quelques semaines, voir mois, sans que ça ne dérange qui que ce soit. Je reprends mon sérieux et je réponds à sa question.
« C’est sûr que des tournées comme avant, y’en aura plus… Mais on peut se faire de nouveaux souvenirs. Ne pas rentrer dans une routine. Je sais pas encore quand sera ma prochaine tournée, mais je sais que je prendrais plus de temps pour moi. Pour visiter les villes où je passerai. Avec des amis ce serait juste parfait… »
Hint hint. Même si je sais que ça va être compliqué.
« Je verrai d’ici là mais ouais. Les tournées c’est plutôt le genre de truc qui me manque. Ca fait longtemps que j’ai pas été sur les routes et… faudrait peut être que je sorte un nouvel album avant de me lancer de nouveau là dedans. J’ai le temps quoi. »
Le disque se termine et je me lève pour aller le changer. Je reprends la parole en même temps, n’ayant pas fini mon mini monologue.
« Les premières étaient les meilleures parce que c’était nouveau. »
En tout cas c’est comme ça que je vois les choses.
« Et la notre était toute particulière. »
Parce que notre rencontre a été quelque chose de fort. La naissance de notre amitié. Je mets un nouveau vinyle et je me tourne vers Jack.
« Comme quoi c’est plus qu’important de choisir des bons supporting artists. Des gens avec qui on aime passer du temps. »
Non je ne suis pas déjà en train de réfléchir à d’éventuels groupes ou chanteurs pour me suivre en tournée. Je sais que mon label m’en proposera certains, mais je tenterai de leur faire la surprise et de leur en proposer certains moi même. De mon propre chef.
« En tout cas c’est pas sympa, ça me donne vraiment envie de refaire une tournée. »
Et ça ne va pas se faire avant un an ou deux je pense. Le temps de faire ce nouvel album. C'est vrai qu'avec le divorce, puis le Triffid, j'ai un peu mis ma carrière solo entre parenthèse... Peut être qu'il est temps que je me remette sur les railles ? Peut être bien. J'écris de nouveau des chansons pour moi ces derniers temps. C'est bon signe. C'est la bonne direction.
L’idée d’une tournée, d’un moment passé à refaire le monde une guitare entre les mains, me fait sourire et comment. Parce que c’était à ça dont on aspirait, à ce volet-là de la musique, et à rien d’autre. Pas à la débauche, pas à l’excès, pas à l’épuisement - mais juste à l’art, le beau, le vrai. On avait abusé des bonnes choses et longue était la liste de vices qui avaient sillonnés notre quotidien depuis les premiers pas de notre amitié, mais si quelqu’un savait pertinemment que je ne m’embarquerais plus dans toute cette histoire, c’était Sam. En temps de crise, c’était son avis qui était venu s’ajouter à la balance, m’inscrire à la cure de désintox avec des étoiles pleins les yeux. Elle avait aidé à ce que je reste en vie, à sa façon. Sans presser, sans forcer, sans rien risquer autre que de me dire la vérité, de m’arrêter dans l’élan destructeur qu’était devenu ma vie sans la moindre bribe de retour en arrière. L’entendre ressasser les souvenirs vient immanquablement me serrer le coeur de savoir que j’aurais pu retomber, mais elle pose les règles, les limites aussi, le regard complice. Ce serait un moment tout en douceur, à notre image, sans prise de tête, sans retombée dans les abymes. Et ça me plaisait. « Tu me diras. » que je souffle les lèvres qui se posent l’instant d’après sur le goulot de ma bouteille de bière. Pensif, rêveur, mais tout de même un peu moins tête en l’air que j’aurais été jadis quand Jude restait derrière, quand elle dirigeait notre famille avec une main de maître et un coeur plus grand que le monde. « Je verrai avec Ellie, peut-être qu’elle voudra suivre… si on reste sages. » et si je me tiens à une distance de plusieurs mètres d’elle, que je retiens, le dépit très peu pour moi. Ma fille n’était pas ma plus grande fan, et l’avouer me faisait mal au coeur malgré le fait que ce soit totalement justifié. Mais voilà qu’une tournée nous rapprocherait peut-être - ou nous éloignerait, à voir. Je préfère ranger le tout dans un tiroir de ma tête, pour plus tard, pour un Jack un peu moins alcoolisé qui y réfléchira à deux fois. Sam qui se replace, qui babille, qui a les idées qui bouillonnent et les doigts qui flattent les cordes avec engouement. Elle y réfléchit encore, elle plante toujours les bases, et la voir se mouvoir dans son inspiration me coupe le souffle à chaque fois. Parce qu’elle ne vit que pour la musique, et ils sont peu ceux qui comprennent cet amour fusionnel pour le rythme, celui que j’éprouve moi-même. « C’est toujours mieux ; quoi qu’il me semble déjà bien avancé à t’entendre. » elle est la première à statuer qu’elle est tout sauf prête, mais les quelques partitions qui traînent, ses murmures, ses mélodies - tout m'apparaît bien plus établi que ce qu’elle diminue du revers.
La nostalgie qui nous prend, les restes des tournées qu’elle énumère et tentent de classer, de quantifier, alors que d’un soupir je prends appui sur les coussins derrière moi, laisse mon vieux corps ankylosé se faire une place un peu plus confortablement au sol le temps de l’écouter, l’amusement au visage. « Elles étaient toutes différentes, je peux pas dire laquelle m’a marqué le plus. » il est sage Jack, il relativise. Parce qu’ils étaient nombreux les hauts et les bas, parce qu’elles étaient tant uniques, parce qu’il n’y avait pas un seul moment capable de racheter, de diminuer, de ressembler à un autre. Et parce que les éclats de souvenirs sont toujours plus doux que la réalité, plus mémorables lorsqu’on n’en isole que les bons côtés volontairement, mémoire qui se fatigue. « Ça, c’est parce que quelqu’un a enfin eu le guts de me dire que ma gamme de blues était 4 octaves trop graves. » et le rire est franc, il est doux, il se rappelle de la tête brune de Sam qui avait percé la foule avec une intention et une seule guidant le reste. Sa mine déterminée, ses mots justes, et de suite j’avais su qu’elle était là pour rester, à même ses présentations terminées. La voir réfléchir rend le tout encore plus attendrissant, et un brin exaltant. Parce qu’encore une fois, quand elle se mettait un truc en travers des idées, Sam arrivait toujours à ses fins. Et si son brainstorm semble embryonnaire à même son salon, les vinyles qui jouent en arrière-trame, le houblon qui adoucit les esprits et la nuit qui s’avance, je sais que si elle le mentionne, si elle y pense, si elle en parle, tout ça arrivera bien plus vite que prévu. « La faute à qui? » et j’ironise, la moue moqueuse, aucune pitié lorsqu’elle réalise qu’elle se donne elle-même envie de repartir. Pas de surprise ici, et j’assiste à du déjà-vu, à du réchauffé devant lequel je ne me blaserai jamais. Puis, y’a du mouvement par la fenêtre, y’a une voiture qui s’engage dans mon entrée, une conversation que j’entends à peine, une tête que je ne reconnais pas qui se penche dans la direction de celle de ma fille, et l’instinct du père bourru qui râle un peu, comprend à peine. « Ellie est rentrée. » affirmation rhétorique, et un soupir que je lâche comme celui du paternel qui réalise qu’encore une fois, la ligne définissant l’adolescent entre les deux n’est pas toute à fait claire. « Je crois qu’il est temps pour moi de jouer à l’adulte dans cette histoire. » la blague, et la bière que je termine d’une gorgée, l’élan vers chez moi qui est un peu moins titubant que celui de ma gamine qui elle, n’a pas modéré ses consommations - et moindre, qui suis-je pour le lui reprocher.