| | | (#)Lun 16 Avr 2018 - 17:51 | |
| | head of stone - They say every sin will have a thousand eyes To guilty fools with guilty minds But I must be cruel to be kind Deep within | | |
Pour être le papa qui joue au parc avec son fils, qui l’accompagne sur le toboggan ou le pousse sur la balançoire, on repassera. Cela ne fait pas partie de l’ADN de ma fibre paternelle, ce qui ressemble à une tare familiale, ou simplement une absence dans l’éducation ; mon propre père a rarement mis un pied dans un parc avec moi et mon frère, et quand bien même observait-il de loin, le moindre excès d’énergie ou d’enthousiasme valait une réprimande. De quoi écœurer et laisser amer. Au final, durant quelques tentatives, mon attention était plus portée sur le sentiment de ridicule qui m’envahissait que sur l’amusement de mon fils, et concluant que cela n’était simplement pas pour moi, les sorties au parc se résument désormais à promener les chiens. Impossible de gérer les quatre à la fois. Ce sont donc Ben et Milo qui nous accompagnent et se satisfassent de renifler les derrières de nouveaux camarades. Daniel s’amuse avec eux, s’émerveille de leurs tours et de tout ce qu’ils trouvent par terre, et cela est bien ainsi. Je garde un œil sur yeux, traînant quelques pas derrière avec la poussette qui s’avérera particulièrement utile dès que les gambettes du petit fatigueront. La foule autour de lui me tord souvent le ventre d’angoisse, le souvenir de sa disparition à cause de ma propre inattention demeurant frais et vif. Il n’est plus question qu’il s’éloigne de trop, ni que je le quitte des yeux ou que qui que ce soit ne l’approche de trop près. Il faut encore remercier Edward Keynes pour cela, encore trop vivant dans ma mémoire. Daniel a fini par réclamer la poussette, et les chiens ont retrouvé leurs laisses. Il me semble presque avoir une impression de déjà vu, lorsque mes yeux tombent sur la silhouette d’un petit garçon en déguisement d’homme-araignée, assis sur un banc, le masque sur les genoux, la tête basse. Sur le moment, mon regard balaye la zone et ne trouve personne qui paraisse l’accompagner ici. Peut-être s’est-il trop éloigné. En espérant que le bonhomme ne s’enfuit pas en scandant « stranger danger », j’approche et m’accroupis face à lui. “Hey, Spiderman. Tout va bien ?” D’abord, il approuve en hochant la tête ; il ne me connaît pas, ça ne me regarde pas, et on ne parle pas aux inconnus. Mais il suffit d’insister rien qu’un peu pour qu’il lâche un gros soupir. “Personne ne comprend. Je veux juste être Spiderman, mais ils comprennent pas.” “Je vois.” Le déjà-vu se renforce, la problématique me parle presque trop pour ne pas avoir envie d’en rire. Alors je m’assois sur le banc à côté du garçon, et fouille dans mes affaires afin de mettre la main sur mon portefeuille. “Quand j'avais ton âge, j'avais le même problème. Je voulais être Superman, et rien d'autre. J'avais la cape, et tout. Ça mettait mon père dans une colère noire quand je sortais comme ça.” A côté de la carte d’identité et du permis de conduire, je tire la vieille photographie, pliée en deux, de mon frère et moi au zoo de Londres, devant l’enclos des pingouins ; lui, le garçon propre, exemplaire, et moi, à peine maîtrisé par la nanny, marchant presque sur ma cape au bord crotté. Je n’avais rien d’un gamin facile, il faut l’admettre, et s’il faut être totalement honnête, cela n’a pas vraiment changé. La photo précieusement rangée, je reprends ; “Et puis, j'ai compris. Il me fallait une identité secrète. Tous les héros en ont une. Comme un costume par-dessus le costume.” “Comment vous avez fait ?” il demande, intéressé, à la fois dépité à l’idée de devoir se cacher, et excité d’être finalement plus proche encore de son héros. Juste pour le plaisir de la mise en scène, je trouve ma paire de lunettes et la dépose sur mon nez d’une façon Clark Kent clairement assumée ; “Moi, je suis devenu journaliste.” A dire vrai, la coïncidence est complètement fortuite, mais je ne peux pas m’empêcher d’y voir une douce ironie. “Toi, tu peux être ce que tu veux.” j’ajoute, avec un clin d’œil. Il acquiesce vivement. Peut-être une vocation de photographe qui vient de naître, qui sait. A dire vrai, petit, devenir Indiana Jones a également été sur la liste des aspirations à un moment donné, alors qui sait quelle voie sera la sienne ? Quoi qu’il en soit, un brin de sourire est revenu. “On va retrouver tes parents ?” je suggère, puis le petit Medhi m’indique le coin du parc où son oncle et sa sœur devraient être –morts d’inquiétude, je devine. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mer 16 Mai 2018 - 19:03 | |
| Gros dormeur, Medhi se faisait toujours un peu prier pour aller au lit à l’heure de la sieste mais tombait toujours comme une masse à peine la tête posée sur l’oreiller ; Un trait de caractère assurément hérité de son père et de cette capacité qu’avait Qasim à s’endormir sur commandes et en quelques secondes. Exemptée de sieste depuis quelques mois, sa sœur s’était installée sur le tapis du salon avec son livre de coloriage et ses feutres, laissant à Hassan le temps de faire un brin de vaisselle et de remettre un peu d’ordre dans la maison après avoir calmé les velléités d’Olivia à vouloir lui donner un coup de main « Je ne veux pas te voir bouger de ce canapé, pigé ? » Pointant du doigt, l’air faussement sévère, il avait obtenu de la jeune femme un battement de cils et un léger rire, après quoi elle avait néanmoins abdiqué et tendu la main pour se saisir de la télécommande, malgré les cernes sous ses yeux trahissant le besoin de faire une sieste plutôt que celui de se lancer dans le visionnage de n’importe quel téléfilm de l’après-midi. Elle minimisait mais la chose sautait encore plus aux yeux du brun du fait de ne plus la voir tous les jours : elle semblait épuisée, bien plus que lorsqu’elle attendait Ava ou Medhi, et si la blonde se moquait gentiment de Qasim et cette tendance qu’il avait depuis peu à la couver comme si elle était en sucre, on comprenait malgré tout un peu qu’il soit si préoccupé. La vaisselle terminée Hassan avait regagné le salon à son tour, amenant avec lui deux tasses de tisane aux fruits question de solidarité avec celle pour qui la théine était prohibée, il s’était installé à côté de la mère de famille dans le canapé. « Non, tu regardes toujours ce truc ? » avait-il alors questionné en reconnaissant les protagonistes de Home and Away, soap opera tellement vieux qu’il avait encore vaguement en tête l’image de sa propre mère, pendue aux lèvres des personnages de la première génération en faisant sa dose de repassage hebdomadaire. « Shhhht. » lui avait de son côté intimé Olivia en plissant les yeux d’un air mauvais, tirant la langue en se saisissant de sa tisane pour s’y réchauffer les doigts, avant de le gratifier d’un « Merci. » et d’un clin d’œil complice. Couchés à leurs pieds, Spike et Bandit n’avaient relevé les oreilles et la truffe qu’au moment où Medhi était réapparu au bas des escaliers, le pouce dans la bouche et le visage encore ensommeillé, et avec à peine le temps d’émerger qu’Ava bondissait elle aussi en s’exclamant « Cool ! On peut aller au parc maintenant ! » un trait de feutre bleu décorant le bas de son menton. Fort de la sieste qui avait rechargé ses batteries, Medhi ne tenait pas en place ; Il grimpait, sautait, courait partout et même Spike d’ordinaire si prompt à le suivre semblait en avoir le tournis. Et Hassan de comprendre un peu mieux pourquoi, au même âge, ses parents l’avaient collé au rugby à la première occasion dans l’espoir d’user son trop-plein d’énergie. Obnubilé par le cerf-volant d’Ava, Bandit jappait de son côté joyeusement après l’objet fait de baguettes de bois et de papier journal, l’équilibre de plus en plus assuré et la démarche hésitante de ses débuts sur trois pattes presque un mauvais souvenir. « Oh non … » Un coup de vent plus tard, et voilà la fillette qui se lamentait tandis que son cerf-volant s’accrochait dans les branches de l’arbre le plus proche. « Medhi ne t’éloigne pas trop ! » Dodelinant la tête en semblant n’écouter qu’à moitié, se targuant d’un « Oui, oui … » à moitié étouffé par le masque de son imperturbable costume de Spider-Man. « Oncle Hassan mon cerf-volant ! » L’attention revenant sur Ava, il avait posé un genou à terre « Grimpe, zibâ. On va le récupérer. » Juchée sur ses épaules, la petite avait levé les mains pour frôler son jouet du bout des doigts, bataillant quelques secondes avant de finalement s’en saisir, retrouvant la terre ferme en même temps qu’un brin de déception en remarquant la déchirure dans le papier journal. « Il ne va plus voler maintenant … » Sans doute pas, non. Mais remettant en place une des nattes de la petite le brun avait déposé une baiser sur sa joue et promis « On en refera un autre, va. Pourquoi tu ne joues pas un peu avec ton frère en attendant ? » Mais si Spike avait choisi cet instant précis pour revenir traîner dans leurs pattes, le garnement lui avait profité de ces quelques instants pour quitter leur champ de vision. « Medhi ? » Le regard faisant un tour d’horizon sans pour autant trouver trace de son neveu, Hassan avait réitéré « Medhi ? » et senti l’inquiétude l’envahir. Il n’avait pourtant pas pu disparaître, il ne l’avait quitté des yeux que quinze ou vingt secondes, à peine … « Il est parti où ? » avait alors questionné Ava en levant les yeux vers lui, et l’attrapant par la main Hassan avait sifflé pour attirer l’attention des chiens et répondu « On va le retrouver, il n’a pas pu aller bien loin. » en entraînant toute la petite troupe avec lui. Les dix minutes – à peine – qui avaient suivi semblèrent durer une éternité, oncle et nièce appelant régulièrement après le petit garçon dans l’espoir d’obtenir une réponse, mais outre quelques passants du parc jetant de regards curieux mais à qui les renseigner ne serait pas venu à l’esprit, aucune trace … Jusqu’à ce que, désormais grimpée dans ses bras pour qu’ils puissent avancer plus vite, Ava s’était mise à gesticuler pour descendre en s’exclamant « Il est là ! » Et en effet, un peu plus loin sur le sentier à leur droite le Spider-Man miniature marchait en trainant les pieds, sa cagoule dans une main et suivant docilement le quatuor composé d’un homme, d’une poussette et de deux chiens auxquels Hassan n’avait d’abord pas prêté attention, tout au soulagement d’avoir retrouvé l’évadé en culotte courte. « Medhi ! » Hésitant une fraction de seconde, la peur peut-être de se faire passer un savon, l’enfant les avait finalement rejoint, l’air penaud, le brun s’abaissant pour se mettre à sa hauteur « Je t’avais dit de ne pas t’éloigner. Est-ce que ça va ? Il ne faut pas disparaître comme ça, tu nous as fait peur. » Bandit tentant maladroitement de garder son équilibre en suivant le teckel qui lui tournait autour, Hassan avait de son côté levé les yeux, se fendant d’un « Merci, c’est … » coupé en plein vol lorsque son regard avait croisé celui de Jamie. Et au vague frisson provoqué par le souvenir de la dernière fois qu'il avait eu l'homme en face de lui avait succédé la voix enfantine « Je voulais attraper l’oiseau, et puis je me suis perdu. Et papa et maman m’ont dit de pas parler aux inconnus, mais le monsieur m’a dit que lui aussi c’était un … » S’interrompant et portant les mains à sa bouche comme s’il venait de dire quelque chose qu’il n’aurait pas dû, Medhi avait levé les yeux vers Jamie avec confusion tout en attrapant du bout des doigts le bas du blouson de son oncle. « Et tes parents ont raison, on ne parle pas aux inconnus. Mais le monsieur été gentil de t’aider à nous retrouver, il mérite un merci, tu ne penses pas ? » Décidant de garder pour lui le fait que la situation ne l’enchantait pas en préférant favoriser la leçon de politesse et de gratitude qu'en retirerait son neveu, le brun avait à nouveau porté son regard sur Jamie, au moment où Medhi murmurait un « Merci monsieur … » timide, tandis qu’à côté Ava s’était accroupie devant Ben et Daniel sans que l’on ne sache vraiment pour lequel était destiné le « Il est trop mignooon. » qui lui avait échappé.
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| | | | (#)Ven 25 Mai 2018 - 11:39 | |
| | head of stone - They say every sin will have a thousand eyes To guilty fools with guilty minds But I must be cruel to be kind Deep within | | |
La silhouette aurait pu m’être plus familière que cela, à quelques mètres, si je l'avais noté au loin, mais mon attention est rivée sur le petit Medhi, trois de ses pas valant à peine l'un des miens, et sur le reste de la troupe dont les chiens qui insistent un peu trop sur leurs laisses, même si ce détour dans la balade et donc ce temps de parc supplémentaire n’est pas pour leur déplaire. Ce n’est que lorsqu'il m'est pointé d'un doigt enthousiaste que mon regard trouve Hassan et la fameuse sœur de mon Spiderman fugitif ; mon cœur bondit, se serre, se souvient, soudainement tétanisé, le souffle furtivement coupé. J’ai évité ce moment bien trop longtemps, visiblement, pour que le destin me mène droit à lui, me mette face à mes obligations par tous les moyens. Bien plus nerveux que je n'aurais jamais pensé l'être face au brun, mes mains légèrement moites se saisissent plus fort de la poussette. Je me fais discret, invisible, le regard bas comme si cela l'empêcherait de me remarquer tandis que toute l'attention d’Hassan est accaparée par les retrouvailles avec son neveu et laisse le temps à mon esprit de mouliner, chercher quoi dire, comment le dire -comme cela est le cas depuis des mois, comme si la réponse allait apparaître immédiatement bien plus facilement que durant tous ces jours où j'ai cherché le courage d'affronter cet exercice de fierté que sont des remerciements. De simples remerciements. C'est si simple dans la bouche d’Hassan, fluide, naturel, alors qu'il découvre qui lui a rendu Medhi et que nous partageons ce même malaise l'espace de quelques longues secondes. Puis je fuis à nouveau son regard. Un léger sourire flirte sur mes lèvres face au récit du bonhomme et l'air paniqué qu'il tire en croyant avoir trahi mon secret. Je lui adresse un clin d'oeil et lui fais signe de faire attention à tenir sa langue d'un index posé sur ma bouche, comme un secret entre nous qu'il approuve d'un signe de tête. “Pas de quoi, Spidey.” Côté poussette, sa sœur s’extasie devant le bambin et les chiens. Comme un excellent moyen de repousser encore une fois l'échéance, je m'approche et m’accroupis à son niveau. “C’est Daniel. Lui c'est Ben, et lui Milo.” dis-je en les indiquant tour à tour. Daniel lâche un babillement pour salut, bien à lui. Quant au golden retriever et au teckel, constamment enthousiasmés par les nouvelles rencontres, ils battent la poussière du bout de leur queue. Ben, toujours le plus pataud des yeux, ayant bien compris que nous allions stationner ici quelques instants, s'est allongé là, aux pieds de son petit maître. Milo, au contraire, est fidèle à sa nature de pile électrique en aboyant et sautillant dans l'attente de caresses ou d'un jeu avec sa nouvelle grande copine. “Tu peux y aller, ils sont habitués.” j’assure à la fillette aux dix doigts curieux, nerveux, qui n'ose pas demander la permission. Elle lève les yeux vers Hassan, sagement. “... si ton oncle est d'accord, bien sûr.” je précise donc. Fut un temps, je n'aurais pas conseillé à qui que ce soit d'approcher Ben de trop près. Il n’y a pas si longtemps que cela, cette gueule là était constamment prête à mordre, répondant au sentiment de peur omniprésent hérité de son ancien foyer par l'attaque. J'en faisais souvent les frais. La patience et les années ensemble l’avaient assagi, mais ce n’est véritablement que depuis qu'il s'est donné la mission de veiller sur Daniel qu'il s'est transformé en ce fidèle compagnon. Milo, lui, n’a d'autre défaut que l'absence de bouton off et une tendance à filer à l'anglaise qui ne sont pas des problèmes tant qu'il demeure bien attaché. En somme, rien à craindre de ces deux-là. Daniel, lui, s'occupe avec son doudou, ses deux mains et ses deux pieds, comme seuls les tout petits en ont la capacité. Je me redresse finalement, sans me sentir plus prêt maintenant que la minute précédente à m'adresser directement à Hassan, aborder le sujet, puisqu'il doit absolument l'être. C'est étrange, d'être redevable à celui que l'on pensait détester le plus au monde -et qu'il n’est finalement plus de raisons de détester. Il manque les regards noirs, les piques cyniques, les joutes acerbes qui ponctuent normalement nos rares échanges. J'imagine que je n’ai plus qu'à faire profil bas. Je ne souhaite pas paraître ingrat, bien que le délai entre l'incident et aujourd'hui m'en donne certainement l'air malgré moi, et je ne rechigne pas parce que c'est lui ; il n’est pas aisé de se replonger dans ce souvenir, ouvrir une malle que l'on garde fermée à tout prix, déterrer une vérité qui fut touchée du doigt et étouffée aussitôt. Néanmoins, devoir la vie à cet homme-là égratigne un peu plus l'ego et laisse bien plus vulnérable, je dois l’admettre.Quoi qu’il en soit, puisqu’il n’existe pas de carte au rayon papeterie annotée “merci de ne pas m’avoir laissé mourir”, je n’ai plus qu’à prononcer quelque chose. “Je n’ai pas eu l'occasion de vous remercier pour, vous savez…” Il n’est sûrement pas nécessaire de préciser ce dont je parle. “Well, pour m'avoir sûrement sauvé la mise.” je souffle, me hasardant à un sourire ironique. “Oncle Hassan t'as sauvé ?” intervient Medhi qui n’a rien manqué de cette révélation. Il se tourne vers lui avec des prunelles illuminées par l’admiration, imaginant sûrement une histoire beaucoup plus marvellesque que la réalité -même s’il ne démérite pas. “ Alors tu dois aussi être une sorte de héros !” Je réprime une grimace et approuve avec un dodelinement résigné. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 18 Juin 2018 - 12:59 | |
| Hassan avait atteint ce stade où l’ironie de la situation ne l’étonnait même plus, comme si une partie de lui s’attendait déjà à ce qu’un beau jour la route de Jamie croise la sienne pour forcer ce que ni l’un ni l’autre n’accompliraient jamais par eux-mêmes. L’espace d’un instant il n’avait pas vu l’homme pour qui il avait perdu Joanne, il n’avait même pas vu l’homme méprisable de l’ascenseur, mais uniquement l’homme qu’il avait vu s’écrouler devant ses yeux en l’espace d’une seconde et qui maintenant se tenait à nouveau debout face à lui – presque – comme si de rien n’était. Et malgré lui un frisson était redescendu le long de sa colonne vertébrale, avant que Medhi n’interrompe ce moment fugace où les deux hommes s’étaient scrutés avec malaise. Et parlant de malaise, le brun avait eu la chair de poule rien qu'à l'idée qu'il aurait pu ne pas retrouver son neveu, au fait qu'il lui avait fallu dix secondes à peine d'inattention et qu'il aurait pu lui arriver n'importe quoi. Le cœur battant la chamade, il avait néanmoins pris sur lui de ne pas en faire – encore – mention et avait invité le petit garçon à remercier Jamie, que rien n’obligeait à prendre de son temps pour l'aider à retrouver son chemin – et dont une partie de lui ne pouvait s'empêcher de se dire qu'il ne l'aurait peut-être pas fait s'il avait su à qui il aurait affaire. « Pas de quoi, Spidey. » L’attention dérivant directement à sa gauche, là où Ava s’était laissée happée par le regard espiègle de Daniel – qui avait grandi – et où le modèle réduit de ses deux chiens jappait joyeusement pour obtenir l’attention de la fillette, Jamie avait présenté « C’est Daniel. Lui c'est Ben, et lui Milo. » N'osant maintenant plus s'éloigner d'une semelle, Medhi serrait fermement sa main sur le bout de tee-shirt d'Hassan, tout en se hissant sur la pointe des pieds pour observer le manège de Milo et Spike se reniflant avec curiosité. Tendant une main hésitante vers le Golden Retriver – en bien meilleure forme que la dernière fois qu'Hassan l'avait vu – Ava avait relevé les yeux vers les deux hommes comme pour obtenir une approbation « Tu peux y aller, ils sont habitués. » lui avait alors assuré Jamie, avant de se reprendre un peu précipitamment « ... si ton oncle est d'accord, bien sûr. » en jetant un regard en coin à Hassan. Acquiesçant d’un léger signe de tête, le brun avait simplement ajouté « C’est bon, mais fais attention. » parce qu’au même titre que Spike et Bandit n’étaient pas des peluches les deux animaux de Jamie n’en étaient sans doute pas eux non plus, et n’avaient peut-être pas la même aisance à se faire tripoter par des humains miniatures. L'espace d'une seconde Daniel s'était, lui, désintéressé de ses chaussures pour relever les yeux vers Hassan et lui offrir un sourire enfantin, auquel le brun avait répondu d'un autre sourire plus hésitant, presque mal à l'aise, tandis que les réticences de Joanne à laisser son fils à proximité de lui revenaient à l'esprit. « Je n’ai pas eu l'occasion de vous remercier pour, vous savez … » L'attention retournant à Jamie, le professeur avait laissé paraître un air surpris, tant parce qu'il ne pensait pas entendre ces mots de la bouche du britannique un jour que parce qu'il n'avait jamais espéré après, au fond. « Well, pour m'avoir sûrement sauvé la mise. » La pudeur de la formulation avait arraché un début de sourire à Hassan, et un léger signe de tête tandis que son regard passait à nouveau furtivement de Daniel à Jamie « Ce petit homme méritait d'autres sorties au parc ... c'est bien, que ce soit arrangé. » Tant parce que l'homme semblait être revenu sur sa position à ce sujet depuis leur dernière conversation, que parce que la faucheuse avait finalement renoncé à s'en mêler. Et si brin de fierté il y avait chez Hassan c'était sans doute un peu d'avoir empêché un orphelin. « On oublie trop facilement que les choses tiennent souvent à rien ou presque. » Et outre la piqûre de rappel assurément infligée à Jamie, Hassan lui aussi l'avait reçue avec vivacité ; Si Jamie n'avait pas pris la décision de venir lui dire les choses qu'il avait à dire, ce jour-là, sans doute aurait-il été dans l'ascenseur ou pire, au volant peut-être, et alors l'issue n'aurait pas été la même. Quant à lui, peut-être n’aurait-il jamais eu l'occasion d'ouvrir les yeux au sujet de Joanne. Une oreille occupée à écouter le concert de jappements de Milo et Spike et l'autre occupée à suivre la conversation, Medhi s'était exclamé avec son innocence d'enfant « Oncle Hassan t'as sauvé ? Alors tu dois aussi être une sorte de héros. » Un rire nerveux lui échappant, Hassan s'était baissé pour hisser son neveu dans ses bras « Je ne vois qu'un seul petit héros ici, et il porte un costume d'araignée. » Riant d'un air visiblement satisfait, l'enfant avait soudain eu comme une épiphanie et questionné avec hésitation « On le dira pas à Papa que je me suis perdu, hein ? » Et bien que pas des plus enchanté à l'idée de devoir l'admettre à son aîné, Hassan s'était contenté d'un « On verra. » qui ne promettait rien du tout. « Tu dis au revoir à tout ce petit monde avant qu'on s'en aille ? » lui avait-il plutôt proposé en le reposant par terre, tandis que Bandit décidait de son côté de s'en venir renifler les chaussures de Jamie avec curiosité « Shhht. » avait alors rabroué gentiment Hassan, désireux de ne pas abuser de ce que Jamie était disposé à donner en terme de temps et d’amabilité. « Désolé, il est curieux. Et merci, d'avoir pris le temps de ramener Medhi. » Car s'il avait enjoint le petit garçon à remercier il avait bien fallu qu'il s'en donne la peine lui aussi, et avec moins de mauvaise grâce qu'il ne l'aurait imaginé.
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| | | | (#)Lun 25 Juin 2018 - 19:08 | |
| | head of stone - They say every sin will have a thousand eyes To guilty fools with guilty minds But I must be cruel to be kind Deep within | | |
Pourtant, la Terre ne tourne pas à l'envers, je suis toujours moi, et Hasan est toujours Hassan ; et nous connaissant, la scène est irréaliste. Où sont les joutes verbales qui piquent, les langues qui claquent, les mots âpres, le cynisme acerbe, les attaques incisives à peine voilées ? Où ont disparus les regards noirs, les yeux assassins, les visages fermés, les traits durs, et ce rejet, ce dégoût pathologique se devinant dans le moindre muscle crispé ? La confrontation classique, l'incompréhension perpétuelle, comme les deux mêmes pôles de deux aimants, ont disparus au profit d’une étrange banalité. Le tout sonnerait presque faux, trop beau, trop facile. Dans la chaleur des couleurs automnales du parc, dans la normalité d'une rencontre au détour d'une promenade, pas de prise de bec, pas de confrontation, de menaces, de provocations. Ce gazon ne sera pas un énième champ de bataille foulé par nos sabots. Les chiens font connaissance, s’apprivoisent et s'entendent, car tout est plus facile pour eux. Les enfants gravitent autour des quatre bestiaux, caressant l'un, puis l'autre, et Daniel à la fois fasciné et intimidé par toute cette soudaine agitation aux alentours de la poussette s'enfonce au fond de son assise. Et c'est le calme entre les adultes, malgré le malaise en fond de cette entrevue fortuite, malgré le sujet abordé, grave et encore douloureux. Est-ce la présence des bambins ou l'événement en question qui relègue les ressentiments au placard ? Le sont-ils vraiment ? Quoi que je n’ai aucun moyen de savoir ce que Hassan pense à cet instant, de moi, de tout ceci. Il ne paraît pas s'en émouvoir outre mesure et accepte les remerciements avec une pointe de compassion, me rappelant au passage qu'il ne sait que trop bien de quoi il parle. “On fait plus délicat comme piqûre de rappel.” dis-je avec un maigre sourire et un léger haussement d'épaules. Néanmoins, le message est bien passé, avec quelques résolutions qui se sont imposées au passage afin de vivre plus serein, plus vieux. D’apprendre cela, par bribes, sans détails sordides, le petit Medhi est gonflé d'admiration pour son oncle. Il n’a pas complètement tort ; Hassan s'inscrit dans cette liste large de héros du quotidien, et que cela me fasse mal de l'admettre n’y change rien. À vrai dire, je fais aussi bien de m’y résigner, car nier et détourner le regard ne changera jamais ce qu'il s'est réellement passé, que je lui dois la vie, ni plus ni moins. Tandis que l'homme songe à prendre le départ -songeant certainement que la durée de cette rencontre ne doit pas excéder le moment où le naturel serait susceptible de revenir au galop, et la guerre de reprendre son cours normal, la Terre de tourner à nouveau à l'endroit- le chien à trois pattes et son bout du museau curieux approche. Je m’accroupis afin de passer les doigts entre ses oreilles, répondant d'un distrait “Pas de problème.” aux remerciements du brun concernant le petit garçon perdu. Celui-ci craignait, sûrement avec raison, une belle séance de réprimande de la part de ses parents s'ils l'apprenaient. “ C’est une sacré blessure que tu as là, brave bête.” dis-je à l'intention du beau Bouvier en passant la main dans son poil, attendri. Il y semblait bien adapté malgré tout. Lassé du bruit, de l'extérieur, de la poussette et des inconnus, Daniel s'agita un peu, couinant pour déclarer officiellement sa fatigue avec un moindre effort. J'attrape une peluche dans le filet du trolley et lui confie afin qu'il s'occupe. Car si Hassan estimait en avoir terminé avec moi, ce n’était pas mon cas le concernant. “ J’aimerais vraiment vous rendre la pareille, je reprends en me redressant sur les deux jambes. Je ne sais pas comment, mais…” Je ne sais tout simplement pas comment. Non seulement je n’ai pas d'idée de la manière de montrer ma reconnaissance, mais encore moins d'être quittes. Je doute d'avoir bientôt l'occasion de lui sauver la vie à son tour pour que nous soyons à un partout. “ Peut-être que j’ai eu tort, à votre sujet.” j'avoue dans un souffle timide. Puis mes lèvres se pincent, mes yeux glissent sur le parc, comme une parenthèse dans le fil de mes pensées. Un moyen d'offrir deux ou trois secondes de répits à ma fierté largement mise à mal en une poignée de minutes. Je crois que dans le fond, nous ne sommes pas si différents. Du moins, nous avons bien des points qui nous rapprochent, et de nombreux préjugés pour nous tenir à distance. La balance a toujours été déséquilibrée. Pourtant, nous ne savons rien l'un de l'autre que ce que nous sommes capables de projeter. Désormais, deux ex-cadavres ambulants en puissance, nous pouvons au moins nous comprendre à ce sujet. “Je sais que ça fait léger de le dire, mais je suis désolé de mon comportement par rapport à vous.” C'est un peu tard, ça ne change rien, je vous emmerde, toutes les réponses étaient prêtes à être encaissées dans mon crâne. Quoi qu'il en soit, les excuses sont sincères, difficiles à articuler, et mettent finalement à genoux ma fierté livrée sans armes devant celui qui a toujours été l'ennemi, l'homme à abattre, la cause de tout mal, et ce pour la seconde fois. “Et je voudrais vraiment me racheter et vous remercier. Dites-moi seulement comment.” LOONYWALTZ |
| | | | (#)Mar 10 Juil 2018 - 14:52 | |
| On n’aurait pu en douter, de la possibilité de cette situation. Des deux hommes échangeant quelques mots au milieu d’un parc sans heurts ni vindication, tout d’abord, mais pas uniquement. Des possibilités sur lesquelles Hassan n’avait ni main mise ni véritablement d’avis, mais dont la solution semblait tendre vers un apaisement que sa nature pacifiste ne pouvait que voir d’un bon œil. « On fait plus délicat comme piqûre de rappel. » Probablement, oui. Mais il n’y avait généralement qu’en se prenant une grande claque dans la figure que l’on prenait véritablement conscience des choses, et quelque part Hassan espérait sincèrement que la fugacité de sa propre vie n’était pas la seule chose dont Jamie avait pris conscience après cet événement. Et le brin d’amertume pas totalement disparu à l’égard du bonhomme lui faisait penser que délicat n’était peut-être pas le meilleur moyen d’obtenir quelque chose, dans son cas. Sentant quoi qu’il en soit la situation s’enliser dans une sorte de malaise qui ne disait pas son nom, le brun avait répondu aux sollicitations de Medhi avec bienveillance tout en initiant la possibilité de prendre congé, là où faute de savoir s’y prendre avec ses congénères Bandit se révélait bien plus enclin à faire connaissance avec les autres bipèdes. Daniel faisant vaguement remarquer son impatience et Ava et Medhi se lançant en l’observant dans un débat pour savoir si leur futur frère ou sœur serait aussi petit – selon l’un – ou plus petit encore – selon l’autre – les deux hommes s’étaient à nouveau scruté un quart de seconde avant que Jamie ne reprenne la parole. « J’aimerais vraiment vous rendre la pareille. Je ne sais pas comment, mais … » Un brin surpris par la confession, probablement trop pour parvenir à le cacher, le professeur avait secoué la tête par automatisme et répondu dans un fin sourire « Ne le prenez pas personnellement, mais j’espère sincèrement que vous n’aurez jamais l’occasion de le faire. » Parce qu’au chapitre de la vie qui ne tenait plus qu’à un fil, tant par fatalisme que volontairement Hassan avait déjà suffisamment donné, et comptait bien sur un peu de répit. Pour lui et pour ceux que ses hauts et ses bas malmenaient par ricochet. Mais pris dans un visible besoin de vider son sac – ou d’apaiser sa conscience – le britannique semblait ne pas en avoir terminé, et avait repris d’un ton qui traduisait l’effort que cela lui demandait « Peut-être que j’ai eu tort, à votre sujet. » Et à nouveau la stupeur de se lire sur le visage d’Hassan, qui n’aurait pas pensé le bonhomme capable d’un tel revirement et encore moins capable de l’admettre à voix haute. « Je sais que ça fait léger de le dire, mais je suis désolé de mon comportement par rapport à vous. Et je voudrais vraiment me racheter et vous remercier. Dites-moi seulement comment. » Ouvrant une première fois la bouche sans savoir quoi répondre, le brun avait passé une main sur sa nuque avec gêne « Vous n’avez pas à me remercier. Vraiment. » Hassan estimait ne rien avoir fait de plus que se comporter en personne civilisée, on ne méritait pas de médaille pour ça, quand bien même il avait conscience que l’homme en face de lui avait beaucoup pris sur lui pour formuler ces quelques phrases. « Mais vous avez droit à une seconde chance, alors … Ne la bousillez pas. C’est tout ce que je vous demande. » Qu’il considère cela comme la meilleure manière de se racheter, de lui prouver que de lui avoir « sauvé la vie » - quand bien même l'expression mettait Hassan presque mal à l'aise – était pour le mieux et non pas pour les travers dont Jamie s’était rendu coupable par le passé. Qu’il prouve être ressorti changé pour le mieux de cet incident de parcours. « Et pour ce que ça vaut ... » À son tour il s’était retrouvé la gorge serrée et le ton hésitant, mais gageant que le mea culpa devait avoir lieu dans les deux sens il avait repris « Je ne suis pas entièrement fier de mon comportement envers vous non plus. » et croisé nerveusement ses doigts devant lui faute de savoir quoi faire de ses mains. « Je m’efforce de croire que les personnes peuvent changer et racheter leurs mauvaises actions, et j’essaye d’être un homme de pardon ... Mais avec vous je ne m’en suis jamais vraiment donné la peine, et j’en suis désolé. » Et si pour d’autres le cas de conscience semblerait sans doute dérisoire, dans le cas d’Hassan il en allait de valeurs profondément ancrées dans ses croyances et sa façon de vivre, et « le problème Jamie » faisait l’effet d’une vilaine tache d’huile sur sa conscience. « Alors je suppose que nous sommes quitte. » L’un était désolé, l'autre également, et si le second n’attendait pas après des remerciements le premier avait malgré tout eu l’occasion de les formuler pour sa propre conscience. Il était probablement temps de clore le chapitre et de passer à autre chose, et après une brève hésitation Hassan avait tendu une main vers Jamie comme on proposerait une armistice.
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| | | | (#)Ven 20 Juil 2018 - 10:50 | |
| | head of stone - They say every sin will have a thousand eyes To guilty fools with guilty minds But I must be cruel to be kind Deep within | | |
Sans cynisme et sans arrière pensée, j’esquisse un sourire comme je n’aurais jamais pensé en adresser un à Hassan. Léger, presque amical, un brin amusé par la touche d'ironie avec laquelle il détourne ma volonté de lui rendre la pareille. Certes, ni lui ni moi n’avons envie de nous recroiser dans un contexte similaire à celui de la dernière fois, et encore moins d'être les témoins tragiques de pareils drames, et je l'approuve d'un signe de tête. Je ne suis pas peu soulagé de n'avoir aucun souvenir entre le vague moment où ma tête a touché le sol ce jour-là, et mon réveil à l'hôpital plus tard. Mais agir comme on me l'a rapporté demande un certain courage et de la morale. Cela demande d'être en présence de la bonne personne, celle en mesure de changer la donne, retarder le tic-tac d'une minuterie macabre. Et je n'aurais jamais parié un penny sur Hassan. Il aurait suffit qu'il décrète que je le méritais, qu'il refuse de me venir en aide lui-même, ou simplement qu'il panique, et absolument tout serait différent. Ces si faibles probabilités qui ponctuent ces heures me donnent toujours le vertige, lorsque j'y songe. Mais tout commence par sa réaction, qui n’est absolument pas celle que je lui aurais prêtée si le scénario m’avait traversé l'esprit. J’ai eu tort, sur toute la ligne. Il y a un effet cathartique à l'avouer tout haut. Je me débarrasse du poids accumulé par tout ce temps qui m’aura été nécessaire pour tenir cette conversation, faire littéralement face à cette réalité que je repoussais par la même occasion, et je le remplace par l'immense gratitude qui gonfle ma poitrine. Sans réclamer quoi que ce soit de palpable de ma part, Hassan ne me demande que ce que je me suis déjà juré ; chérir cette deuxième chance, ce nouveau départ, chaque minute, chaque seconde de celui-ci. J'acquiesce à nouveau, bouche close, largement plus touché par la scène qui se joue entre nous que je ne pourrais jamais l'avouer ou y songer à nouveau dans dix ans. Les excuses formulées par le brun me paraissent bien sottes désormais et sans aucune nécessité. La vérité, celle que je ne voulais pas voir, encore moins accepter ; celle qui me faisait peur même, et qui faisait ressortir tout ce qu'il y avait de pire en moi ; c'était qu'il soit meilleur que moi. Néanmoins, j'en ai eu conscience, dans le fond. Je ne peux que l'admettre aujourd'hui, et m’estimer un peu plus heureux encore de tout ce que j'ai et dont je ne me suis pas toujours montré méritant, contrairement à tout ce dont je me suis targué jusqu'à présent. Je ne contredit pas Hassan cependant. Je demeure silencieux, acceptant ses dires avec plus de discrets signes de tête. Puis je saisis la main qu'il me tend et souffle un “Merci”. Quittes, nous le sommes, mais je tire une carte de visite de l'étui de mon téléphone malgré tout et la lui donne avec une certaine détermination qui ne laisse pas la place au moindre refus de la part de l'enseignant. “Je sais qu'il y a peu de chances que vous en fassiez usage, mais…” Je hausse les épaules. “S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire un jour. N'hésitez pas.” Je suppose que j'ai eu toutes les occasions de prouver quel genre d'ennemi je peux être aux yeux de Hassan. Et s'il est curieux, un jour, un coup de téléphone pourrait démontrer quel allié je suis capable d'être également. “Quoi que ce soit.” j'insiste. Du plus gros service à la moindre broutille. Sans m'être concrètement penché sur la question et préférant encore ne pas le faire, j’ai cru comprendre que les relations entre Joanne et le brun ne sont pas au beau fixe pour des raisons, somme toutes, limpides. Ainsi, il n’aurait donc pas besoin de passer par son intermédiaire, et cette perspective lui donne une excuse de moins pour ne pas abuser des quelques chiffres sur ce bout de papier. Étrangement, je ne me vois pas confier à la jeune femme que son ex-mari et moi avons fait la paix. Il n’est pas non plus question de l’inviter à prendre le thé chez nous régulièrement. A vrai dire, je ne sais pas comment nous aurions l’occasion de nous revoir de sitôt. Dans la poussette, Daniel s’impatiente un peu plus. Il secoue ses gambettes potelées aux petits pieds chaussés, repoussant les chiens et les autres enfants, et il couine, menaçant doucement d’éclater en sanglots s’il n’obtient pas toute l’attention nécessaire. Medhi et sa soeur le regardent avec incompréhension, puis m’observent à mon tour avec cette moue inquiète. Rapidement, je détache le petit du siège et le prend dans mes bras. Ses doigts s’agrippent à mes vêtements, sa tête se pose lourdement sur mon épaule. “Oui, bonhomme, on va rentrer à la maison.” je lui murmure avant de l’embrasser sur la tempe. Les étreintes de papa ne sont jamais tout à fait aussi efficaces que celles de maman, et il la réclame dans un babillement fatigué. Habituellement, je le pousserais à dire au revoir tout de même, mais il semble bien trop grognon pour l’effort. “ Dernières caresses, puis il faut qu’on décolle.” dis-je aux deux enfants qui flattent affectueusement le poil de Ben et Milo sur le flanc et entre les oreilles. Le plus petit ne se fatigue jamais de faire des cabrioles pour divertir et le plus grand paraît déjà sur le départ. Je berce légèrement Daniel qui a retrouvé son calme. Il y a autant de chances qu’il finisse par piquer un somme que de perdre patience à nouveau. Quoi qu’il en soit, j’abuse encore un peu du temps d’Hassan ; “La sensation de… sursis, ça ne s'en va jamais vraiment, n’est-ce pas ?” je demande timidement. Comme la certitude qu’il y aura une prochaine fois, une nouvelle occasion de sentir ce souffle froid sur la nuque ; comme si les choses ne pouvaient décemment pas en rester là et simplement aller bien. Une impression d’imminence et de fatalité. Un vide, un trou, laissé là où demeuraient une foule de certitudes. Je demande ça parce que je sais que l’enseignant aura un élément de réponse. Lui aussi s’était vu passer l’arme à gauche, lui aussi avait été remis sur pieds. Je suppose que personne ne vit pareil bouleversement de la même manière, mais partager cette émotion avec quelqu’un a un aspect réconfortant. Je ne me suis pas épanché auprès de mes proches à ce sujet, je l’ai balayé, n’admettant pas plus de moments de faiblesse à partir de ma sortie de l’hôpital. Et personne ne prend la peine de demander, d’ailleurs. D’un commun accord, le sujet s’enterre comme un tabou. Alors je me sens seul avec moi-même et ces angoisses amères au goût de cendres. LOONYWALTZ |
| | | | (#)Lun 6 Aoû 2018 - 22:57 | |
| La situation pesait de son importance en cela qu’elle aurait été inconcevable il y a encore quelques mois en arrière, et Hassan se surprenait d’en être finalement plus intimidé que véritablement mal à l’aise. Comme s’il était subitement question de faire connaissance avec un individu totalement différent de celui contre lequel il avait nourri rancœur et jugement durant deux années durant, et finalement la véritable ironie de l’histoire tenait dans le fait que désormais c’était Joanne qui ne faisait plus partie du tableau. De son tableau à lui, en tout cas, et cette double improbabilité terminait de le persuader de ne plus chercher le pourquoi du comment, et de simplement se fier à ce qui lui semblait juste en décidant de tendre une main décidée en guise de réconciliation. La saisissant avec moins d’hésitation que le brun ne l’avait craint, Jamie avait laissé passer un instant avant de mettre la main à sa poche pour récupérer ton téléphone et en extirper une carte de visite qu’il lui avait tendue « Je sais qu'il y a peu de chances que vous en fassiez usage, mais … S'il y a quoi que ce soit que je puisse faire un jour. N'hésitez pas. » Hésitant, Hassan s’était malgré tout saisi de la carte en comprenant que son interlocuteur n’accepterait pas un refus qui, de toute manière, semblerait sans doute un peu déplacé en cette période d’enterrement de la hache de guerre. « Quoi que ce soit. » Il peinait à voir une seule circonstance ou situation dans laquelle appeler Jamie Keynes à la rescousse puisse apparaître comme une éventualité, et la vérité c'est qu’il espérait tout de même pouvoir s'en passer. Malgré tout, l’australien avait acquiescé d’un signe de tête sans tergiverser, et non sans se dire qu’au même titre qu’il n’aurait pas parié un centime sur le fait de serrer un jour la main du bonhomme en toute bonne foi, il ne pouvait pas affirmer sans l’ombre du moindre doute que la proposition n’aurait pas vocation à être entendue un jour. Du fond de sa poussette Daniel semblait de son côté s'impatienter des risettes des deux enfants et des discussions d’adultes, et là où son père le prenait à bras Ava avait fait un pas vers son oncle en craignant d’avoir fait une bêtise. « Oui, bonhomme, on va rentrer à la maison. » Attrapant de son côté Bandit par le collier pour lui remettre sa laisse, n’espérant pas obtenir de cette boule d’énergie une quelconque demi-mesure au moment de rebrousser chemin, Hassan avait appelé « Spike, viens-là. » histoire de rassembler lui aussi ses troupes, les deux enfants encore occupés à gratter le ventre du teckel, roulé sur le dos avec contentement, les quatre fers en l'air. « Dernières caresses, puis il faut qu’on décolle. » S'autorisant alors une dernière flatterie auprès du Golden Retriever le frère et la sœur s’étaient remis debout, Ava époussetant sa robe avant de saisir la main de Medhi comme par peur qu’il ne disparaisse à nouveau d’ici à leur retour à la maison, et ce dernier claironnant un « Au revoir monsieur ! » à l’attention de Jamie. Et puisque Daniel en avait profité pour bailler à s’en décrocher la mâchoire, Hassan avait fait remarquer avec un brin d’amusement « J’en connais un qui va bien dormir, cette nuit. » et esquissé un léger sourire, avant d'adresser un signe de tête à Jamie faute de savoir comment terminer cet échange. Un pas fait en arrière comme pour véritablement prendre congé, le professeur avait néanmoins été interrompu par une dernière question posée avec dans la voix ce qu’on devinait être un brin d’angoisse « La sensation de … sursis, ça ne s'en va jamais vraiment, n’est-ce pas ? » Angoisse probablement due au fait que, comme il devait déjà s’en doutait, il possédait la réponse à cette question. Bien sûr que non, la sensation ne s’en allait jamais et Hassan mettait déjà sa main à couper que si la question lui était de nouveau posée dans vingt ou trente ans – et il se considérait déjà optimiste d'envisager être encore de ce monde dans plusieurs décennies – sa réponse serait drastiquement la même. « Non. » avait-il alors répondu sans chercher à enrober la chose de sucre ou de papier cadeau, avant de malgré tout hausser les épaules pour ajouter avec plus de nuance « Mais on apprend à vivre avec … on finit même par y trouver quelques avantages insoupçonnés. » Jamie ne le croirait peut-être pas sur ce dernier point, et peut-être était-ce aussi une question de tempérament. Mais passée cette période ou le simple fait d’y penser pesait sur la poitrine et sur les épaules et pouvait vous plonger dans une détresse plus ou moins facile à canaliser, comme en avait résulté sa dépression pour ne citer qu'elle, Hassan avait lentement appris à en tirer son parti, faute de pouvoir s'en défaire. Remettre les choses en perspectives, repenser ses priorités, se délester de ce qui n’aidait pas à remettre sa vie sur les rails … Parfois le brun se désolait d’avoir gagné en cynisme, mais en oubliant un peu vite avoir aussi gagné en lâcher prise. Se raclant la gorge avec gêne, pas prêt pour autant à partager ses états d’âme avec le britannique, Hassan s’était finalement fendu d’un « Au revoir, Jamie. » en réalisant seulement après avoir fait quelques pas et repris son chemin que c’était la première fois qu’il appelait l'homme par son prénom.
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