«- Oui papa, je sais, non je vais essayer de ne pas être en retard, mais tu sais que ça ne dépend pas de moi. J’ai beaucoup de travail oui. Non, les Dixon ont décalé d’une demie heure leur rendez-vous pour goûter les plats du mariage, je n’y peux rien. Je vais faire ce que je peux mais je ne te promets rien. Oui je sais que maman va râler si je ne suis pas ponctuelle mais je n’y peux rien et si elle est bipée au dernier moment pour une urgence à l’hôpital ? C’est la même chose papa, tu peux lui dire mais…»

Lullaby lève les yeux au ciel, c’est toujours la même chose avec ses parents. Alors qu’elle a supporté pendant des années la capacité de sa maman à disparaître au dernier moment, à ne pas être présente pendant des heures quand sa fille aurait eut besoin d’elle et de ses conseils, aujourd’hui personne ne comprend qu’elle puisse avoir des imprévus et un programme qui peut changer au dernier moment. Le soupir qu’elle pousse au combiné n’échappe pas à son paternel qui la gronde un peu, pour la forme, quoi qu’il n’ait jamais été très doué pour gronder sa seule et unique fille, sa princesse.

«- Ecoute je vais faire mon maximum mais je dois te laisser maintenant j’ai encore des choses à faire. Oui. Embrasse maman pour moi oui. Je t’aime aussi. Bisous papa !»

Sa conversation tout juste terminée, Lullaby ne lève pas le nez de  son téléphone, sortant son bloc note pour vérifier une adresse sur celui-ci, en même temps qu’elle se permet d’aller un peu plus vite pour rattraper le temps qu’elle a perdu avec son papa au téléphone. La jeune femme a encore prévu plein de trucs pour aujourd’hui et parfois, si elle veut pouvoir faire tout ce qu’elle a prévu dans une journée, il vaut mieux qu’elle ne traîne pas trop dans les rues, au risque de prendre plus de retard encore, si quelques followers lui tombent dessus. Parce qu’elle s’efforce toujours d’être disponible et qu’elle a du mal à leur dire qu’elle est occupée, craignant de recevoir de mauvaises critiques sur le web. Ouai, parce que les gens n’imaginent pas que tu puisses avoir autre chose à faire que sourire à la caméra.

Son téléphone tombe à terre dans un petit bruit caractéristique alors que la jeune femme vient de percuter une inconnue qui ramasse son téléphone. Celui-ci n’a rien, heureusement et Lullaby peut le reprendre rapidement, en remerciant la jeune fille qui vient de le lui ramasser.

«- Et vous, ça va ?»

A peine le temps de répondre avant de s’éclipser, qu’il est déjà trop tard. Quelques jeunes filles repèrent l’influenceuse à deux pas de leur lycée et se précipitent sur les deux filles en appelant Bee, prenant des photos de cette dernière, en prenant l’autre fille en même temps, sans faire attention. On se presse, on demande des selfies. Bee est prompte à activer le mode sourire insta pour ces objectifs qui foncent sur elle. Question d’habitude. Elle coule en même temps un regard désolé sur la brune à ses côtés, qui arrive sur plusieurs selfie sans rien avoir demandé et surtout, sans rien y comprendre.

«- Désolé…»

Bee ne sait même pas si l’inconnue va l’entendre alors que la foule agglutinée l’empêche de partir et retourner à ses occupations. La jeune wedding planner songe que ça va finir par se calmer. Elle continu de sourire pour quelques photos histoire de satisfaire tout le monde, puis elle dira qu’elle a du travail et qu’elle doit filer. En général, ça marche bien, si elle a laissé un peu de temps pour prendre des photos avant, les gens râlent moins. Parce qu’elle n’a pas envoyé bouler, ça passe toujours mieux. Faut bien faire plaisir à son public après tout. Dans ce boulot, le moindre coup de moins bien peut vous exposer aux critiques.

«- Dites ça fait quoi d’être amie avec Lullaby ? C’est vous qui la prenez en photo des fois ? Vous vous êtes rencontrés comment ?» telles sont les questions qu’assez rapidement, les adolescentes posent à Leah.

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Je devais bien admettre au demeurant que parfois ma vie pouvait s’avérer compliquée et qu’une simple sortie de chez moi pour aller aux courses ou pour m’occuper des mariages de mes clients, pouvait tourner à mon désavantage. Aujourd’hui en était encore la preuve alors que je venais tout juste de percuter une demoiselle qui ne regardait pas d’avantage que moi. Alors que je m’assurais que tout ailles bien pour cette dernière, je fus rapidement assaillis par quelques jeunes filles piaillantes, téléphones brandis en avant pour me demander de prendre des photos avec ces dernières. Je me pliais à l’exercice, comme toujours, souriant pour chacune, essayant d’accorder mon attention à toutes ces filles en même temps que mon regard se déviait en direction de l’inconnue, prise dans ce tourbillon un peu fou contre son grès. J’étais désolé pour elle, désolé de lui infliger ça, quand il aurait suffit que ces jeunes filles arrivent une minute plus tard seulement, pour que cette dernière soit tranquille. Mais non. J’aurais dut parier que rien ne se passerait comme je l’avais prévu, parce que c’est toujours quand on est pressé que des évènements surviennent dans le but de nous ralentir encore.

Les jeunes filles piaillantes se tournaient vers l’inconnue, la questionnant à mon sujet et sur notre potentielle amitié. Il était si facile de faire des amalgames et des suppositions à partir d’une seconde aperçu que ces dernières s’imaginaient déjà toute notre histoire dans leur esprit, en supposant que naturellement, cette fille dont je ne connaissais même pas le nom, m’avait sûrement vu dans les pires situations. J’essayais de sourire, en même temps que je tentais tant bien que mal de rétablir la vérité pour ne pas donner à la jeune fille l’impression de l’abandonner, mais l’exercice n’était pas des plus faciles.

Les questions pleuvaient pour essayer d’étayer notre histoire d’amitié et aucune ne semblait se rendre compte que l’inconnue n’était réellement pas une amie. Nous ne nous connaissions même pas encore, une demie heure en arrière tout juste et nous n’étions pas destiné à nous revoir non plus, notre rencontre fortuite restant de ces évènements mineurs qui peuplent une vie à priori. Nous devions nous séparer à peine quelques secondes après, si on nous en avait laissé le temps. C’était le plan, chacune allait reprendre sa vie. Et finalement ce quiproquo nous rapprochait, d’une manière assez invisible.

Enfin autour de nous la foule se dissipait et quoique nous étions normalement amenées à reprendre nos deux vies sans plus nous préoccuper de l’autre, Leah avait décidé de s’attarder auprès de moi, m’adressant une question à mi-chemin entre l’humour et la compassion, à laquelle je répondais d’un léger sourire. J’avais pris l’habitude de cette vie.

«- Non pas tout les jours heureusement mais ça arrive effectivement.» je m’excusais, gênait. «Navrée pour tout ça… j’espère qu’elles ne vous ont pas été trop pénibles.»

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Elle a l’habitude de tout ça Bee. L’habitude de ce genre d’hystéries. Elle a vu de jeunes filles l’être devant son père et c’est son tour aujourd’hui, maintenant qu’elle profite de sa propre célébrité. Ce n’est pas agréable tout les jours, mais elle en a l’habitude. Ce qui n’est pas le cas de la pauvre Leah, laquelle semble un peut surprise une fois que les filles ont enfin décidé de les laisser tranquille et de leur faire de l’air. Ce n’est pas trop tôt, d’ailleurs. Car si Bee se plie volontiers à cet exercice, consciente que sa notoriété et sa réputation l’exigent,  Leah n’a pour sa part rien demandé et pourrait rapidement s’agacer de la situation ce qui, heureusement, ne semble pas être le cas. Car elle présente ses excuses, Bee, et Leah reconnaît que ce n’est pas la faute de l’influenceuse. La brune était seulement là au mauvais endroit au mauvais moment, comme on dit habituellement.

"- Influenceuse. Bloggeuse, à l’origine et puis… Nouveaux réseaux, nouvelles manières de faire et de se faire connaître… Influenceuse, c’est plus inclusif. J’ai commencé sur un blog avant d’en venir aux vidéos et aux publications instagram."

Bee esquisse un sourire, alors que de toute évidence, Leah ne la connaît pas du tout. Faut croire qu’elle ne s’intéresse pas vraiment à tout ce qui à trait au lifestyle et à la mode, les principaux sujets de discussion de la demoiselle sur la toile, alors qu’elle apprend aux gens comment vivre bien, comment vivre mieux, partageant ses astuces et sa motivation du quotidien avec eux. Elle laisse ses boites mails ouvertes, Bee, en essayant d’adresser des réponses à un maximum de monde, essayant d’aider au mieux ses followers quand ces derniers viennent témoigner d’évènements douloureux qu’ils traversent.

"- Oui, je suis désolé. Il n’est pas impossible que vous vous retrouviez sur les réseaux, présentée comme une copine, une amie, je ne sais quoi." s’excuse Lullaby "Je tâcherai d’y être vigilante et de signaler ces contenus. Je comprendrais que vous n’ayez pas l’intention de vous afficher sur la toile. Quand on ne le choisit pas, j’imagine que c’est assez malvenu..."

Bee avait choisit de s’exposer un peu plus encore qu’elle ne l’était déjà de par le boulot de son père. Mais Leah n’avait rien demandé. Hors, il était fort probable que d’ici peu, sa tête serait partagée sur les réseaux, reblogguée, commentée, si quelques clichés la montraient aux côtés de l’influenceuse.

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Se prendre en photo tout les jours et publier ? Oui, c’est un peu ce qu’elle fait. Si son feed n’est pas mis à jour quotidiennement, la jeune femme partage tout de même un peu de sa vie, de son intimité, dans des stories et des vlogs, ne serait-ce que pour souhaiter une bonne journée à ses abonnés et leur donner une bonne dose de motivation matinale. Un rituel de chaque matin, lancer une petite phrase motivante sur les réseaux pour motiver ses troupes. Oui, elle publie tout les jours. Oui, on l’aime pour ça. Un métier qui peut sembler tellement abstrait et tellement superficiel. C’est l’avis que s’en fait la propre mère de la jeune femme, sans réaliser que sa fille peut servir de modèle à d’autres. Elle ne ment pas sur le réseau, elle reste authentique. Ses abonnés l’ont déjà vu manger de la malbouffe, pleurer, avoir la flemme de faire sa séance. Comme eux. Comme monsieur et madame tout le monde. Elle a ses complexes et elle vit avec, Bee. Elle les assume. Elle en parle de temps en temps dans ses vidéos, dans ses articles, pour se prendre en exemple et dire qu’on a qu’une vie, qu’il faut laisser le négatif derrière soit. Pas toujours facile à faire, mais on essaie.

"- Je propose du contenu lifestyle la plupart du temps. Astuces organisation, récup, hygiène de vie, lifegoals, cosmétiques maisons, recommandations de restaurants… Ce genre de choses, pour faire court. Et de la mode."

En attendant, cette notoriété provoque peut-être quelques tracas à la pauvre Leah qui n’avait rien demandé et risque de voir sa tête sur tout les réseaux, à présent. Mais elle s’en amuse plutôt en songeant qu’ainsi ses frasques de jeunesse se trouveront noyées sous l’amas de publication. Bee laisse entendre un rire léger. Elle n’est pas convaincue du côté possible, réalisable, des propos de son interlocutrice.

"- Comme ils n’ont pas votre nom, je doute que cela fasse quelque chose pour votre référencement, mais ça ne coûte rien d’y croire." elle rit avant d’ajouter.

Une nouvelle meilleure amie dans quelques jours ? Peut-être, ils en seraient capable. Ils sont capables de tout, la surinterprétation des informations, sur les réseaux, est une plaie dont il est difficile de se débarrasser. Bee lâche un petit soupir mais cette vie, elle l’a choisit, elle ne peut pas s’en plaindre à présent, d’autant plus que ça a quelques avantages aussi. C’est comme pour tout. Il y a du bon et du moins bon, tout simplement.

"- La vraie va finir par pousser un vrai coup de gueule." note la demoiselle. "Ce n’est pourtant pas faute de la montrer souvent en story… Mais c’est un monde où on aime bien avoir de petits potins, de nouvelles infos-intox à raconter..."

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Leah pose des questions, s’intéresse à ce que peux bien faire la demoiselle, l’interrogeant sur son boulot plus précisément, sur le contenu qu’elle propose à ses abonnés, sur ce qui lui a permis de connaître tout ça et pouvoir le partager. Elle fait des suppositions, Leah, s’investit dans la conversation et Bee acquiesce, comme elle touche du bout du doigt la réalité en effet. Mais pas que, fatalement, car tout n’est pas qu’une question de recherches. C’est aussi de l’imagination, pour le do it yourself qu’elle peut proposer, pour les ateliers récup, ce genre de choses. Les recettes aussi parfois. Car en cuisine, le plus important est de maîtriser les bases. Quand on a les bases, le reste vient assez facilement. Il ne reste qu’à tâtonner pour trouver les bonnes associations.

"- Des recherches oui mais pas seulement. Je dirais que c’est aussi pas mal d’imagination personnelle et puis, mon expérience tout simplement, qui me permet de savoir comment mieux m’organiser la fois d’après et ainsi de suite, pour découvrir de nouvelles manières de gérer les choses et les partager sur les réseaux."

Elle ne l’importune pas, avec ses questions non. C’est même plutôt satisfaisant de voir que l’on peut s’intéresser au fond de son travail, pas seulement à la surface. Beaucoup pourraient juger bien rapidement ce que la demoiselle fait en partant du principe qu’elle s’expose sur les réseaux et gagne sa vie parce qu’elle a une belle tête. Oui, peut-être un peu. Ça aide sûrement à avoir quelques contrats, quelques partenariats, quelques débouchés intéressants. Mais ça ne fait pas tout. C’est de l’investissement aussi, que les gens n’imaginent pas toujours. Parce qu’il ne s’agit pas de faire la greluche devant une caméra et offrir des posts vides de se,s à ses abonnés. Il y a un message, derrière ses discours, la plupart du temps.

"- Rêver ne fait jamais grand mal… Du moment que l’on ne s’installe pas dans les rêves en oubliant de vivre. "

Ces mots ne sont pas d’elle, évidemment. Plutôt d’un grand sorcier aux lunettes en demi-lune et à la longue robe violine, sorti tout droit de l’histoire d’un sorcier à lunette portant une étonnante cicatrice. Le livre de sa vie, si vrai sur tant d’aspect de son existence que, sur bien des points, il la guide encore aujourd’hui par certaines réflexions qui en sont extraites. En attendant, peut-être qu’effectivement cette histoire effacera les abus anciens de Leah, même si Bee en doute. Et même si elle aura bientôt une nouvelle meilleure amie fanpropuls, au grand damne de la vraie.

"- Navrée de vous décevoir." remarque la demoiselle amusée après la remarque de son interlocutrice. "Les rumeurs semblent essentielles aux gens pour vivre, on apprend parfois des choses sur soit, dont on était même pas au courant." remarque la jeune femme, acquiesçant.

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"- Plus que les gens ne le pensent de prime abord, oui." souligne la demoiselle en gratifiant son interlocutrice d’un léger sourire.

Ouai, ils n’imaginent pas tout le travail que ça peut être, ils sont rares ceux qui s’en rendent compte, ceux qui en ont conscience, ceux qui ne s’imaginent pas qu’il suffit de se poser devant une caméra une vingtaine de minutes et que tout sera parfait dès le premier coup. Ceux qui ne s’imaginent pas qu’un youtubeur peut enregistrer 8 vidéos par jours à la chaîne et être tranquille pour tout le mois par la suite. Dans ses meilleurs jours, Lullaby tourne trois vidéos, grand maximum et elle est loin de toutes les monter le même jour, parce que le montage c’est ce qui demande le plus de temps, évidemment.

"- Je n’en fais pas beaucoup, mais j’en fais un peu quand-même oui en effet." elle esquisse un sourire. "Oui je vois. J’espère que les pompiers vous offrent des calendriers en fin d’année, pour toute cette occupation que vous leur donnez ?" elle rit un peu, passant une main dans ses cheveux.

Fan d’Harry Potter oui, elle l’est sans nul doute. La jeune femme a grandit avec après tout. Elle esquisse un sourire avant de confirmer la supposition de son interlocutrice, affirmant par la suite qu’il ne pourrait en être autrement, car l’oeuvre de J.K Rowling est selon elle la meilleure de tout les temps. Rien que ça. Même si elle aime bien le seigneur des anneaux, Harry Potter restera toujours premier dans son coeur.

"- Vaux mieux le prendre comme ça oui."

Mais la jeune femme doit partir. Bee aussi. Elle était pressée la demoiselle à l’origine. Alors elle salut la brune qui se présente, d’ailleurs.

"- Enchanté Leah. Peut-être à une prochaine fois !"

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