Après trois semaines loin des tracas de la vie quotidienne en Australie, le retour à la réalité fut assez ...complexe. Une semaine déjà que j'ai débarqué dans la chaleur étouffante à l'autre bout du globe et j'ai déjà envie de repartir. En Ecosse, auprès d'Ambroise et seulement avec Sybbie, loin de tout ce qui se passe ici. Si je suis retourner directement auprès de mon père qui est à nouveau devenu chiant -signe évident qu'il est sur le point de la guérisons- et que j'ai envoyé un sms à Léo pour lui demander qu'on se retrouve autour d'une bière afin de célébré la nouvelle année en différé, je n'ai pas encore osé affronter Loan et ce que je peux ressentir à son égard.

Bien sûr, il y a beaucoup de positif aussi à mon retour. La première chose étant Moana qui ne me quitte plus depuis mon retour et qui a élue domicile dans mon lit pendant les nuits ou dès que je m'y couche. Je pense de plus en plus qu'elle a réellement souffert de mon départ. Et en plus de ça, j'ai décidé de commencé une nouvelle activité. Ou au moins essayer. Ce n'est pas dit que je la maintienne régulièrement tout au long de l'année mais j'ai, semble-t-il, enfin réussi à trouver un certain équilibre entre ma carrière et mes autres activités. Autant, donc, en profiter pour commencer quelque chose qui m'a toujours plus ou moins attiré : l'art.

Non pas que je n'ai eu un quelconque talent un jour, mais j'ai au moins réussi à ne pas dépasser lorsque je coloriais en CP. C'est déjà bien, non ? Mais alors, pourquoi l'art ? Pourquoi vouloir se lancer dans cela maintenant, à 25 ans ? J'avoue n'avoir aucune idée. C'est une lubie, quelque chose qui m'est venu comme ça, d'un coup, lors de ma discussion avec Léo la veille. Et comme j'ai envie de me trouver une nouvelle activité, peut-être que je pourrais me passionner pour le dessin et la peinture ?

C'est ainsi que je me retrouve en ce 10 janvier dans l'atelier où une certaine Ginny Mcgrath donne des cours ouvert au public. Assis derrière le chevalet, j'avoue ne me sentir pas réellement à l'aise. Peut-être est-ce parce que je ne suis venu qu'avec un pauvre crayon de papier dans la poche ? Et que les autres semblent bien plus préparé ? En arrivant, Ginny m'a sincèrement fait comprendre que tout le monde était le bienvenu, qu'elle est toujours heureuse de voir de nouvelles têtes et que je ne devais surtout pas me mettre trop pression, mais c'était mal me connaître.

Dans tous les cas, après un rapide tour de table dans lequel nous nous présentons chacun notre tour, Ginny nous explique rapidement les bases du cours d'aujourd'hui avant de nous demander de dessiner. Elle ne donne pas de directive nous devons juste « laisser notre esprit s'exprimer ». Et c'est comme ça que ça fait 5 minutes que je suis assis là, à fixer le surface blanche du chevalet, lançant des coups d’œil par ci par là, sans doute en quête d'inspiration.

Poussant finalement un soupire, je lève mon crayon et trace un trait au pif au milieux du chevalet. J'ajoute un rond au dessus, puis deux petit traits au milieu et deux traits en bas pour faire un bonhomme. Groteste, nul, moche, mais c'est un bonhomme. Et c'est comme que je m'adonne à la tache de dessiner une BD mettant en scène un bonhomme en trait et un cheval en trait ainsi qu'un soleil et une montagne.

@Auden Williams

Spoiler:

Elle est guillerette, elle virevolte, elle rayonne de bonne humeur et est animée de mille idées depuis notre retour à l’atelier. Ginny court encore plus de partout, bien plus qu’à son habitude, et rien que de la voir me fatigue. Alors je reste appuyé sur le battant de la porte en fond de salle, je les écoute d’une oreille distraite se présenter à tour de rôle alors que, soyons francs, je n’en ai absolument rien à faire de leur prénom à chacun. Les cours viennent de reprendre et puisque les astres sont alignés j’ai décidé d’y assister aujourd’hui, la première fois depuis bien longtemps. La plupart des artistes en herbe seront d’un ennui mortel, c’est certain, et seule Ginny fera semblant de s’y intéresser parce qu’ils auront peint un soleil jaune en coin et fait une tulipe bleue au lieu d’une violette. Quel talent.

Alors je juge, j’observe, je me moque sans cependant toujours être capable de garder mes mots pour moi. Un rire se fait entendre de temps à autres, quand les palettes sont pleines de rouge et de bleu mais jamais d’orange, quand les crayons de bois sont taillés comme des pieux. A défaut de découvrir de nouveaux talents je m’amuse devant ceux présents aujourd’hui, ombre dans leur dos alors que seule Ginny peut me voir pincer mes lèvres pour éviter de réellement exploser de rire. Le talent est toujours variable d’un groupe à l’autre mais pour celui ci je dois dire qu’il est totalement inexistant - ce qui n’est aucunement une surprise. Je suis prêt à parier qu’ils ont tous pris la bonne résolution de vivre de leurs rêves et qu’ils se pensent artiste dans l’âme, le combo ravageur.

Pourtant le jeu me lasse rapidement lorsque j’ai fini mon premier tour entre les jeunes et leur canevas, quand aucun n’a attiré mon regard, quand tous sont synonymes d’un ennui profond. Je me place sur le devant de la salle avec Ginny, lui raconte que le “petit au t shirt bleu” racontait à quel point les œuvres de “Rembrandteuh” étaient d’une profondeur incomparable. Et c’est sa connerie qui est profonde, à celui là. Mes yeux se posent distraitement sur la salle lorsque je reconnais enfin un visage dans la salle, sourire au coin des lèvres, je laisse la brune retourner vagabonder à ses activités. ”Mini Winchester.” Ouais, je sais qu’il a un prénom. Je ne sais juste pas lequel et je m’en fous. Et je contourne la toile aussitôt, me sers de mes yeux aussi jugeurs qu’observateurs pour découvrir son oeuvre d’art. Et je siffle, et j’hoche la tête de pseudo surprise, et mon regard dérive des jambes qui ne sont pas droites au ventre qui penche sur la droite - il a dessiné le bossu de Notre Dame, l’artiste. ”On tient notre vainqueur là, pas de doute.” ”C’est pas un concours, Auden !” que j’entends déjà crier dans mes oreilles ; mais ça serait quand même bien mieux si c’en était un. ”Tu viens faire quoi, ici ? A part gaspiller des toiles ? Noah, là bas, il pourra t’apprendre à dessiner des bonhommes si tu veux.” Noah, huit ans, maître peintre. Je ne rigole qu’à moitié en disant ça.

Alors que je fixe ma toile qui est parsemée de traits grossiers montrant parfaitement mon incompétence au dessin, je remarque, du coin de l'oeil une silhouette bien trop familière. Auden. Cet homme que je ne connais que d'après les récits de mon père et que j'ai rencontré la première fois lors du rapatriement de ce dernier. Nous n'avons pas beaucoup échangé -si ce n'est le fait qu'il m'ait expliqué ce qui s'était passé- et j'avoue ne pas avoir spécialement eu envie de le revoir. Non pas que sa présence me gêne ou quoique ce soit, c'est juste que nous sommes tellement différent l'un de l'autre que j'aurais rien à lui dire.

Toutefois, j'ai bien l'impression que ce n'est pas son cas à lui car, sans réellement hésiter, il s'approche de moi, se place de manière à voir mes stick man et annonce que nous avons un vainqueur. Je grimace légèrement alors que tous les yeux se braquent brusquement sur moi. Nerveusement, je joue avec mon crayon de bois et attend la suite du jugement comme si c'était le jugement dernier et me demande un instant pourquoi je stress autant. J'ai l'habitude d'être jugé, mais qu'on analyse mes performances sur scène est totalement différent.

D'autant plus qu'Auden continue sur sa lancé en me demandant ce que je fais ici, précisant qu'en plus Noah -le gamin assit dans un coin et penché sur sa feuille- saurait mieux peindre que moi.  « TOUT LE MONDE sait mieux peindre que moi» précisais-je en levant le regard sur Auden  «Je n'ai absolument pas la prétention de dire que je sais faire quoique ce soit d'artistique. Du moins pas en ce qui concerne la peinture ou le dessin » haussais-je les épaules  «Mais mon ami m'a parlé de cet atelier et comme c'est un cours ouvert à tout le monde je me suis dis pourquoi ne pas tenter un truc ?» j'avoue être un peu déboussolé lorsque je désigne Léo comme étant mon ami (et surtout comme il est simple pour moi de parler ainsi de lui) mais ne laisse rien paraître  «T'es un pro en peinture toi, hein ? » ce n'est pas tant une question rhétorique qu'une affirmation  «Comment ...enfin est-ce qu'il y a des règles ? A part les proportions correct qui demandent quand même un peu plus de pratique que 20 minutes mais ...je sais pas, j'ai absolument rien compris à l’exercice en fait » autant me ridiculiser jusqu'au bout, je ne suis plus à ça près.

@Auden Williams

Il précise ne pas se prétendre artiste peintre ou même dessinateur et ça, vraiment, tout le monde aurait pu en mettre sa main à couper sans qu’il ne ressente le besoin de le spécifier par des mots. On l’avait compris, qu’ils n’avait aucun talent de ce côté ci ni même aucun repère sur la toile, aucune connaissance des proportions ou quoi que ce soit d’autre. ”Cest qui, ton ami, histoire que je lui demande de ne plus faire ce genre de choses ?” Il y a pourtant 99.9% de chances que je ne connaisse son ami ni d’Eve ni d’Adam mais je ferai tout comme, je hocherai la tête, je lèverai doucement les sourcils, j’afficherai une moue surprise comme si j’étais impressionné de quelque chose - tout ça pour lui avouer que je ne m’intéresse absolument pas à tous ceux qui viennent à l’atelier, ils se perdent tous dans la masse. Ginny serait capable de donner le nom de leur grand mère ainsi que celui de leur premier animal de compagnie mais moi si j’arrive à me souvenir les avoir déjà vu une fois, c’est déjà beaucoup.

Mes yeux divaguent entre son visage d’adolescent et son chef d’oeuvre (un carnage, c’est un véritable carnage) sans cesser une seule seconde de porter un jugement sur l’un ou l’autre. «T'es un pro en peinture toi, hein ? » Je rigole brièvement de ce genre de rire qui n’a rien à voir avec de l’amusement. ”On appelle ça un peintre généralement, ouais.” Et c’est là, c’est à partir de cette question précise que je me souviens pourquoi je ne me mêle jamais à ces incapables de débutants qui vont et viennent en se pensant déjà en terrain conquis, qui laissent goûter leurs pinceaux sur le sol, qui se parlent d’un chevalet à l’autre comme si je n’étais pas en train d’essayer de dormir dans la pièce d’à côté.

Le voilà qui me pose mille questions et ma patience qui s’envole déjà. ”T’as vu un panneau ‘point d’information’ au dessus de ma tête ou quoi ?” Il ne manquerait plus que ça, tiens, qu’on me considère comme le gentil de l’histoire, qu’on me pense capable de répondre à toutes ces questions qui ne font aucun sens - sans doute parce qu’elles n’en ont aucun. Je ne cherche pas à guider les artistes tourmentés et refoulés vers la lumière, ce n’est en aucun cas mon but premier dans la vie et sûrement même que cela ne le sera jamais. Je me soucis aussi peu de lui comme du reste du monde et le fait qu’il partage des gènes commun avec Allan ne saurait en aucun cas le sauver. ”Il n’y a pas de règles. C’est inné.” C’est inné et ça s’apprend ensuite, à force d’usure, à force de patience et de temps, beaucoup de temps. Sauf que le fait que ce soit inné doit passer avant toute chose, c’est la condition sine qua non pour que l’alchimie soit menée à terme, pour que ça ait un minimum de sens et que cela ressemble à autre chose qu’à des bâtons et des ronds de merde. ”Tu fais pas du tutu, toi ? Tu devrais rester à ça.” Allan n’avait pas qu’à me parler de lui. Je ne fais que me resservir des informations que l’on a au préalable portées à ma connaissance.

Dois-je réellement dire à Auden que c'est Léo qui m'a parlé de cet atelier ? Enfin, en vrai il n'a même pas parlé de l'atelier, il a juste évoqué sa nouvelle peinture sur laquelle il bosse et j'ai fait les recherches moi-même et c'est, tout seul, que je suis tombé sur l'annonce de cet atelier ouvert à tous.  « Léo ne m'a pas réellement parlé de cet atelier » précisais-je, prononçant le prénom de mon ex sans réellement le vouloir.  «Sur internet y a écrit que l'atelier est ouvert à tout le monde, du débutant qui n'a jamais peint de sa vie à celui qui a déjà bien plus d'expérience » haussais-je les épaules, comme pour essayer de justifier que ma présence ici est acceptée et que je n'ai aucune honte à avoir.

Toutefois je me rend très rapidement compte que l'homme n'a pas réellement envie de répondre à mes questions. Je peux le comprendre, moi non plus j'aurais pas envie de répondre à mes questions à sa place, mais son ton est quand même franchement détestable  « Ben écoute, t'es venu tout seul ici pour me dire que je suis nul, donc j'ai juste envie de savoir ce qui est si mauvais. Mais après tu peux aussi déguerpir et je demande à Ginny » répondais-je en haussant les épaules.

Ok, alors d'après le peintre, savoir peindre/dessiner, c'est un truc inné.  « Donc seulement un certain pourcentage de l'humanité porte le gène artistique ?» demandais-je en relevant mon regard sur le jeune homme  « Et le reste ? Impossible qu'ils deviennent peintre ?» Ce sont des vraies questions et je suis persuadé qu'une quelconque personne différente d'Auden répondra sans doute avec des faits scientifique ou je ne sais quoi. En vrai, je ne m'attend pas à une réponse très poussé de la part du peintre.

 « Ah t'inquiète pas, la danse je la continuerais dans tous les cas hein» soufflais-je lorsqu'il me dit que je devrais rester 'à faire du tutu'.  «Mais on peut bien tester de nouveautés, non ? Ou C'est interdit ? »

@Auden Williams

Oh, Léo. C’est donc lui qui m’a amené cette espèce de machine à problèmes sur pied. Aucun doute que je risque de lui reprocher pendant un moment encore, même si le faux artiste en herbe tente de faire de son mieux pour se trouver des excuses quant à sa présence en ces lieux. Sans que cela n’étonne personne, c’est Ginny qui a rédigé tout le site internet sans quoi je me serais chargé de le faire en stipulant que “vous êtes tous nuls allez voir ailleurs si j’y suis”. Ca c’est la version soft, sans le vocabulaire spécial Auden (les gens appellent ça des insultes, apparemment). Mais la petite chose fragile tente de se défendre avec le peu d’armes qu’il a entre les mains et j’avoue que ses tentatives sont assez drôles, alors je le laisse faire, bras croisés, yeux vissés dans les siens. « Mais après tu peux aussi déguerpir et je demande à Ginny. » C’est une menace, là, vous croyez ? Il menace d’aller voir quelqu’un d’autre si je ne suis pas assez bien ? Oh, Clément. S’il savait à quel point son sort m’est aussi indifférent que n’importe qui d’autre sur cette Terre, s’il savait à quel point l’identité de son géniteur ne lui offre aucune traitement de faveur dans mon esprit. Déguerpir, qu’il dit, comme si j’allais réellement fuir devant lui pour des raisons aussi floues que fantasques. ”Elle est juste là bas si tu veux aller te réfugier dans ses jupes. T’auras la compagnie de son fils, il a 8 ans, vous devriez bien vous entendre.” Ginny au loin que je pointe du doigt sans m’en vouloir à un seul instant ni même tenter de cacher mon index étendu au dessus de la tête des artistes.

”Tu demanderas à Léo, si tu traînes assez avec lui t’apprendras peut être à dessiner des personnages en traits.” Et là je sous entends absolument pas que Léo a une fibre artistique, je ne sous entends même rien du tout parce qu’il n’y a rien à retenir de cette phrase. Le seul but là dedans c’est seulement de le pousser vers Léo après avoir tenté Ginny et peut être que ouais, avec un peu de chance il finira par s’en aller. C’est aussi à ce moment là que les fils se connectent dans mon cerveau en même temps que se rassemblent les informations écoutées d’une oreille distraite au fil des mois. Oh, tout est si drôle quand tout le monde semble se connaître, quand tout le monde pense aussi connaître tout de l’autre alors qu’il n’y aurait rien de plus faux. ”Il a eu des cours particuliers, il est bien placé pour parler.” Mon sourire s’étend doucement, sans entendant sans aucune délicatesse que ce ne sont pas ce genre de cours particuliers là que je suis prêt à enseigner à qui que ce soit d’autre. ”Tiens toi en au tutu pour ce que ça te concerne, la peinture n’est pas une nouveauté qui te va au teint. Et si tu comptais le ramener dans ton lit avec une toile, change de tactique.” Roh merde, j’aurai pas su tenir ma langue plus d’une seconde. Oups ?

Si au début j'avais une certaine crainte vis à vis d'Auden car mon respect pour lui est quand même bien grand, cette crainte se transforme peu à peu en malaise puis ennuie. En vrai, il est juste chiant, toujours dans l'attaque personnel, jugeant une personne et non un fait et se sentant sans doute aussi supérieur aux autres. Typiquement le genre de personne que j'abhorre totalement. Son but est sans doute que je me casse ? Que je fuis face à sa grandeur ? Me voir partir serait sûrement une victoire pour lui, minime, certes, mais une victoire tout de même.

Lors de sa nouvelle attaque il me dit que je pourrais bien m'entendre avec le fils de Ginny et je décide de ne pas réagir plus qu'un simple haussement d'épaule avant de reporter mon attention sur ma toile. Relevant mon crayon de bois, j'ajoute quelque détails maladroits à la montagne et au dessin en général alors qu'Auden reprend en mettant Léo sur le tapis.  «Ah ouais, bonne idée » dis-je avec une sincérité parfaitement jouée (merci mes années de théâtre et de comédie qui me permettent de totalement cacher mes réels ressentiments).

La suite est un peu moins jolie et met mes talents de comédiens à rude épreuve. Il faut être très con pour ne pas comprendre ce que sont les 'cours particuliers' dont Auden parle. Additionnant 1+1 je commence tout doucement à comprendre que le peintre et Léo ont couché ensemble. Couchent encore ensemble ? Depuis longtemps ? Que c'est lui l'homme avec qui il m'a trompé ? Il faut avouer qu'Auden est, physiquement, attrayant. Mais cette attraction est bien vite mise à mal dès qu'il ouvre la bouche.

Baissant mon crayon, je soupire doucement et relève mon regard sur l'artiste  « Bon arrête un peu de paraphraser et sois direct : où est-ce que tu veux en venir ?» demandais-je  «Tu pense pouvoir m'atteindre en me disant que t'as couché avec Léo ? » Et c'est le cas, ajoutais-je pour moi, m'efforçant de garder une mine neutre  « Écoute mon vieux, je ne suis pas venu ici pour que tu me fasse la morale sur le fait que j'ai envie de m'essayer à autre chose ou pour que tu me fasse comprendre que c'est avec toi que Léo m'a trompé» ça fait quand même un peu mal  «Mais tu semble tellement friand que ça me briserais le cœur de te stopper dans ton élan » je lui offre un sourire  «Alors voilà. Tu peux continuer à parler et à m'insulter pendant que je continue mon chef d’œuvre. Deal ?» et sans un mot de plus je me remet à mon dessin, essayant tant bien que mal à ignorer la présence d'Auden à mes côtés.

@Auden Williams

C’est amusant que d’observer le cheminement de l’information jusqu’à son cerveau. C’est que ça prend du temps, ce genre de chose. Il continue de faire mine de rien pendant longtemps avant de finalement se refermer sur lui même sans crier gare. Le plan fonctionne à merveille, sans doute peut être un peu trop même, mais je ne vais pas m’en plaindre parce que le gamin est quand même source d’un amusement incroyable. J’aime beaucoup l’identité qu’il tente de se forger, en tout cas, elle m’amuse à être si parfaite et si friable.

Il pose sans vergogne des mots sur ce que Léo et moi avons pu faire dans le temps et dans un passé plus que proche et cela me fait sourire. Le cours de peinture semble terminé, donc, et les choses sérieuses peuvent enfin commencer. Nul doute que Ginny m’accusera d’avoir encore une fois détourné l’attention d’un pauvre petit étudiant n’ayant rien demandé - ouais ouais, à d’autres. Ce qu’il y a de réellement amusant avec lui, c’est qu’il est loquace et fort peu avare en informations ce qui me permet d’avoir un point de vue bien plus large sur la situation. Léo l’a trompé avec moi, et le moi en question a une large part des choses dans leur rupture. Oh. ”Ca me briserait le coeur aussi que tu m’arrêtes dans mon élan.” Que je feins, que je fais la moue, que je mens comme un arracheur de dents aussi parce qu’il n’y a que ça de vrai finalement. Pour me briser le coeur il faudrait déjà que j’en ai un, et là vous voyez bien que ça commence à être compliqué.

Mais il est sympa, le gamin, il me donne l’autorisation de continuer à parler alors qu’il vient de monopoliser toute l’attention pendant au moins deux minutes et c’est long, deux minutes. Il parle presque autant que Lola, presque autant que Ginny aussi. En résumé : il est un enfer. Le problème c’est qu’en m’agaçant ainsi je ne risque pas de fuir mais, au contraire, de me prendre un peu trop au jeu pour que ce soit sain. Il veut jouer, on va jouer. Je prends le premier tabouret venu (je l’ai volé à un autre étudiant, oui, d’accord, ça vaaa) et me pose à côté du tableau, face à lui, toujours souriant. ”Mais la vraie question ça serait de savoir si ça me le brise autant que toi tu t’es senti con et humilié quand t’as appris toute l’histoire ?” Je fais l’effort de chuchoter pour faire à peu près semblant d’en avoir quelque chose à faire de son intimité et de vouloir garder ses petits secrets. ”Est ce qu’il t’a sorti le “c’est pas toi le problème c’est moi” ? J’aurais donné cher pour peindre ta tête à ce moment là, c’est sûr. Le tableau prend un zéro de plus si tu pleures, deux si on en fait une photo du moment.” Sa peine et son trouble deviennent ma raison de vivre, parce que ça ne m’émeut pas un seul instant et qu’il est la cible idéale.

Le signal, je ne l'ai pas quand j'entends leurs chuchotements qui prennent en ampleur. Je ne l'ai pas quand je vois Auden qui se rapproche de Clément un peu trop, son sourire qui le précède, ses mauvaises intentions qui me font l'effet de résonner de tous les sens dans l'atelier. Ce n'est pas non plus quand il me pointe, ni qu’il pointe Noah que je vois monter l'alarme, c'est rien de tout ça, parce qu'il fait pareil avec tout le monde et parce qu'à chaque classe que je donne il finit toujours par se trouver une nouvelle victime, peaufinant à chaque fois à merveille le rôle du bourreau.

Le signal d'alarme, je l'ai lorsque j'aperçois à distance le regard horrifié de Clément. Il fait tout, absolument tout pour le cacher et jamais je n'oserai lui dire que je l'ai vue, la lueur de rage, qui passait par ses iris. Je n'oserai pas non plus lui dire à quel point mon coeur s'est serré de voir tout le mal qui y remontait quand les mots d'Auden étaient surement les mêmes qu'il avait balancés à n'importe qui, lui qui a des munitions par milliers et qui tire partout où y'a une cible sans jamais vraiment réfléchir aux conséquences. Il a pas besoin d'y réfléchir aux conséquences Auden, parce que je suis toujours là, naturellement derrière à ramasser les pots cassés et les morceaux éclatés, et qu'aujourd'hui ne fera pas exception à la règle.

”Mais la vraie question ça serait de savoir si ça me le brise autant que toi tu t’es senti con et humilié quand t’as appris toute l’histoire ?” j'ai eu le temps de poser mon pinceau, de me tacher quatre fois, de discuter rapidement avec deux autres étudiants et de grincer des dents à entendre le tabouret rayer le linoléum lorsque j'arrive à leur hauteur. ”Est ce qu’il t’a sorti le “c’est pas toi le problème c’est moi” ? J’aurais donné cher pour peindre ta tête à ce moment là, c’est sûr. Le tableau prend un zéro de plus si tu pleures, deux si on en fait une photo du moment.” la métaphore est stupide ici, elle est si conne que je m'en mords les lèvres. Mais j'ai l'impression qu'en sourdine on entend la théière dans la cuisinette, la vieille dénichée dans une brocante qui crie, qui hurle, qui scille si fort lorsque l'eau bout qu'on a peur pour l'explosion à chaque fois. J'ai peur pour l'explosion, là.

« Tout va bien ici? » que ma voix souffle, le plus doucement du monde. M'assurant de me faufiler avec diplomatie entre la silhouette confortablement installée d'Auden et celle de Clément qui implose de l'intérieur si fort que j'ai l'impression que sa peau me brûlerait au moindre contact.

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J'ignore Auden. Brillamment. Parfaitement. J'arrive à faire exemption de son flot de paroles et ne réagis à aucune de ses piques. Le regard rivé sur la toile qui se remplie peu à peu de chose diverse et variées (surtout variées), je laisse le peintre faire son discours, n'en entendant que quelques bribes. Briser. Con. Humilier. Histoire. Tableau à peindre. Oh Auden comment tu te trompes. Mais tellement.

J'ai réellement envie de lui dire que tout cela ne m'affecte plus comme ça m'affectait avant -en vrai si nous avions eu cette même conversation il y a quelques mois, je crois que j'aurais été bien plus touché par ses paroles- mai je sais que lui adresser la parole maintenant lui ferait trop plaisir et lui donnera une nouvelle occasion de se foutre de ma gueule. Alors je reste concentrer sur mon tableau jusqu'à la fin de la logorrhée de l'homme, jusqu'à ce que Ginny en personne ne vienne à ma rencontre et, s'adressant à moi, me demande si tout va bien.

 « Parfaitement, oui» dis-je en hochant la tête avant de me reculer  « c'est pas du grand art, c'est même carrément médiocre, mais en tout cas merci beaucoup pour cette découverte » j'adresse un large sourire à Ginny  «Tu fais ça toutes les semaines, c'est ça ? » demandais-je. A sa confirmation, j'hoche la tête  «Bon ben, on se reverra encore souvent je pense » annonçais-je car en vrai, si on omet Auden, le cours était quand même vachement intéressant.

Sans plus tarder, je me lève et commence à ranger le matériel qui nous a été mis à disposition, ignorant encore et toujours le connard qui n'a pas bouger d'un pouce depuis qui a fini de vomir ses paroles désobligeantes.

@Auden Williams & @Ginny Mcgrath