Un nouveau roman pour s'évader

Une nouvelle semaine de boulot s’était achevée tardivement la veille. Helena ne comptait plus ses heures supplémentaires au travail ces derniers temps, cherchant d’arrache-pied différents professionnels à présenter aux jeunes en service civique qu’elle encadrait pour l’association qui l’employait. Les jeunes, âgés de 16 à 22 ans, devaient réfléchir au métier qu’ils voulaient exercer, puis se renseigner sur les études à effectuer. Ils devraient ensuite postuler dans différents cursus pour rejoindre une formation d’ici l’année prochaine. La jeune femme espérait que ces jeunes en décrochage scolaire allaient pouvoir trouver leur vocation. Elle avait ainsi interrogé les jeunes sur les métiers qu’ils souhaitaient découvrir. Leurs demandes étaient nombreuses et variées, allant du peintre en bâtiment au policier, en passant par l’avocat ou le journaliste … Les vocations semblaient diverses. La jeune femme se démenait pour faire intervenir ces professionnels au sein de l’association, leur volant une heure de leur temps pendant laquelle ils feraient découvrir leur métier aux jeunes en service civique.
Le carnet d’adresses d’Helena avait beau se remplir petit à petit au fil des mois à travailler au sein de cette association, elle rencontrait des difficultés à trouver un banquier qui accepterait d’intervenir pour une présentation de son métier. Elle avait donc passé sa journée du vendredi à se rendre dans de nombreuses agences bancaires, en vain. La recherche de professionnels n’était pas la partie la plus intéressante de son boulot, et Helena était rentrée chez elle rincée et dépitée. Elle s’était alors promis de profiter de son samedi pour s’occuper d’elle et prendre du bon temps.

Le soleil brillait sur Brisbane. Les températures étaient clémentes la journée, et fraîches le soir. La jeune femme se prépara un petit pique-nique et partit pour la plage. Elle adorait s’y rendre pour se baigner, mais surtout pour prendre un bain de soleil et lire tranquillement. Ce samedi-là n’y fit pas exception. A peine arrivée, elle ôta sa robe, dévoilant son bikini blanc tout simple. Elle alla immédiatement tester la température de l’eau et s’y plongea pour quelques brasses. Elle dégusta ensuite sa salade, installée sur sa serviette, puis chaussa ses lunettes de soleil. Elle s’allongea ensuite sur sa serviette et ouvrit son roman à la page où elle l’avait laissé. Elle se plongea alors dans la lecture, occultant tout ce qui se passait sur la plage autour d’elle.
Helena lut une grande partie de la journée, obnubilée par son roman, un thriller psychologique qui faisait durer le suspense jusqu’à la fin. Lorsqu’elle reposa son livre après la dernière page, il était déjà 17 heures et les températures commençaient à chuter. Helena enfila sa robe blanche de plage en dentelle, rassembla ses affaires et se mit en route pour Toowong. Elle devait absolument faire un crochet par sa librairie préférée avant de rentrer chez elle afin de trouver un nouveau roman à dévorer.

La brunette entra finalement dans la boutique avec son sac de plage. Elle déambula entre les rayons, s’arrêtant à chaque devanture pour découvrir les coups de cœur du libraire. Son attention fut finalement attirée par un roman de Gillian Flynn, un thriller dont les critiques ne tarissaient pas d’éloge. Helena se plongea dans la lecture de la quatrième de couverture afin de découvrir de quoi parlait ce roman.

Un nouveau roman pour s'évader

Après avoir profité de sa journée à la plage, entre baignade, bronzage et lecture, Helena s’était hâtée de rejoindre sa librairie préférée, dans le quartier de Toowong. Elle devait absolument acheter un nouveau roman pour s’occuper le lendemain. Le dimanche de la brunette serait bien triste si elle ne pouvait pas se plonger quelques heures dans un autre univers. Depuis sa plus tendre enfance, elle adorait lire. Les parents d’Helena n’avaient pas été présents sur le plan éducatif. Forain, son père avait été très occupé à tenir le stand des auto-tamponneuses, principalement pendant les vacances et les week-ends. Quant à la mère d’Helena, elle n’était tout simplement très éduquée et ne s’était pas vraiment intéressée à l’éducation de ses enfants. Le grand frère de la jeune femme souffrait d’ailleurs d’illettrisme. Helena, au contraire, avait lu tout ce qui lui tombait sous la main, livres d’enfants, magazines publicitaires et même notices d’utilisation. Tout était bon pour s’occuper. En grandissant, la passion de la petite fille pour la lecture n’avait fait que se renforcer.

En cette fin d’après-midi, Helena se dépêchait ainsi de rejoindre sa librairie préférée avant la fermeture. Ce qu’elle adorait, dans cette librairie, c’était la passion du patron. Il savait de quoi il parlait et lisait tous les romans qu’il vendait. Il mettait ensuite en tête de gondole ses livres préférés et en faisait une rapide description. Pour Helena, ses conseils étaient précieux. Son attention fut donc attirée par un thriller de Gillian Flynn, largement recommandé par le libraire : « Les apparences ». La quatrième de couverture parlait de la disparition d’une femme, de l’enquête qui en découlait, et de ses secrets de couple qui étaient révélés au grand jour, surtout ceux de son époux.

Helena sursauta en entendant une voix à côté d’elle. Elle tourna la tête vers le jeune homme qu’elle n’avait pas entendu approcher.

« C’est un très bon roman. L’enquêtrice a des pratiques très empiriques pour résoudre les crimes. »

La jeune femme sourit : elle n’avait certes pas lu le livre, mais son résumé ne mentionnait aucunement une enquêtrice. Peut-être qu’une femme était en charge des investigations, mais elle ne semblait pas être l’un des personnages principaux. Le cas échéant, elle serait mentionnée sur la quatrième de couverture.
Helena avait beau être naïve, sa candeur avait des limites.

« Pardon, je voulais pas vous faire peur. Wim. Ravi de vous rencontrer. »

La brunette rougit légèrement. Elle se sentait un peu gênée d'avoir été ainsi effrayée.

« Helena. Le plaisir est pour moi. »

Sa politesse l'emportait toujours. La jeune femme était en outre très sociable et était toujours ravie de discuter.
Elle observa un instant le livre qu’elle tenait entre ses mains avant de reporter son attention sur le brun, bien décidée à le tester.

« L’enquête sur ce braquage a l’air palpitante. Ce roman vous a plu ? »

Une lueur d’amusement éclairait son regard.

« Alors comme ça, vous aimez les thrillers ? »

Un nouveau roman pour s'évader

Helena adorait cette librairie. C’était sa préférée de tout Brisbane, et elle s’y rendait aussi souvent que possible, même si ce n’était pas du tout dans son quartier. Le détour en valait la peine, sans hésiter. Les nouveautés y côtoyaient les livres anciens, dont l’odeur donnait envie à la jeune femme de s’y plonger sans hésiter. Quant au propriétaire, c’était un passionné de lecture, et non un commercial. Il lisait tous les romans qu’il vendait, et donnait des indications aux clients sur ses coups de cœur. Cet endroit était le lieu rêver pour tous ceux qui dévoraient des bouquins.

Plongée dans la quatrième de couverture d’un roman dont le propriétaire des lieux avait fait l’apologie, elle ne remarqua pas le jeune homme qui s’adressa à elle, la faisant sursauter. La conversation s’entama.

« Très joli prénom, ça fait très princesse grecque. Des origines de ce pays peut-être ? »

La jeune femme haussa un sourcil, amusée.

« Loupé, rien à voir avec Hélène de Troie, c’est simplement un prénom roumain. Mes parents sont originaires de Roumanie, et dans ma fratrie, on a tous écopé de prénoms à consonnance roumaine. »

Helena était naïve, mais pas stupide. Et elle n’était absolument pas convaincue que son interlocuteur avait lu le roman qu’elle tenait en mains. Alors que la quatrième de couverture parlait de la disparition d’une femme, elle interrogea Wim sur un braquage. Il sauta à pieds joints dans le piège tendu par la brunette, dont la lueur d’amusement ne quittait pas le regard.

« Très bon roman oui, passionnant, ça se lit très facilement. Par contre je trouve le braquage fait jeunement. Les braqueurs ont été arrêtés rapidement, c’était mon seul regret. »

La jeune femme leva les yeux au ciel en souriant.

« Bien tenté, Wim, si tant est que ce soit ton vrai prénom et pas un mensonge supplémentaire. Mais c’est un roman sur la disparition d’une femme, rien à voir avec un braquage. »

Il poursuivit, toujours sûr de lui.

« Je suis plus roman policier. Les thrillers, c’est exceptionnel, j’accroche rarement. Les résumés ne m’inspirent pas tellement. »

Helena ne put s’empêcher de rire.

« Les thrillers … Ce sont des romans emplis de suspense, avec beaucoup de tensions. Ça vient de frémir … Donc ce sont principalement des romans policiers, en réalité. »

Elle haussa les épaules.

« Bien tenté, mais peut-être que la prochaine fois tu devrais choisir un sujet que tu maîtrises, pour aborder une fille. Ou bien un lieu qui t’es plus … familier. »

La jeune femme souriait toujours lorsqu’elle changea de rayon, le roman toujours à la main.

Un nouveau roman pour s'évader

Ce Wim avait tout faux. Il mentait sur le roman, il ne connaissait pas les genres littéraires, il se plantait sur les origines d’Helena … Il était vraiment à côté de la plaque. Pourtant, il suscita la curiosité de la jeune femme en parlant des Pays-Bas. Pas qu’elle trouve « amusant comme coïncidence » qu’ils aient tous les deux des origines européennes. Simplement, elle adorait les autres pays, les autres cultures, et rêvait de pouvoir un jour quitter l’Australie et découvrir le monde. Ses yeux pétillaient enfin lorsqu’elle reprit la parole.

« Les Pays-Bas ? Amsterdam, Maastricht … Des villes très attirantes. J’adorerais les visiter. Tu viens de quel coin ? Tu y as vécu ? »

Le jeune homme marqua à nouveau quelques points en faisant une analogie entre le genre littéraire et la chanson de Michael Jackson. Sa blague était pourrie, en réalité, mais Helena était bon public, alors elle rit.
Les quelques rattrapages effectués n’effaçaient pourtant pas la première impression désastreuse qu’il lui avait faite. Alors Helena le remercia gentiment et changea de rayon, bien décidée à poursuivre sa quête de romans à ramener dans son petit appartement.
C’est alors qu’une voix féminine attira son attention, demandant à Helena si elle avait participé à une émission de télé. La brunette se referma instant, pendant que Wim rebondissait sur cette information. Helena pourrait peut-être nier, affirmer à cette jeune fille qu’elle se trompait. La croirait-elle ? Elle préféra éluder le sujet.

« Brièvement, oui. Mais je préfèrerais … ne pas en parler. Ca ne reflète pas celle que je suis. »

La brunette esquissa un sourire poli puis changea à nouveau de rayon : non, la télé-réalité, pas le bon angle pour aborder Helena, déçue par cette expérience. Elle avait l’impression d’avoir été trompée, d’avoir souffert des montages. Elle voulait qu’on l’oublie, qu’on arrête de la questionner sur cette parenthèse.