« Bonjour, je m’appelle Gregory, j’ai quarante-quatre ans, et je suis addict depuis quatre ans. » J’essaie de me convaincre moi-même pour réussir à convaincre l’audience, je peux y trouver une part de vérité là-dedans, je force sur l’alcool et les clopes quand j’arrive pas à passer au-dessus de tout ce qui se passe dans ma vie. Mais c’est jamais régulier, enfin, jamais sur plusieurs semaines d’affilées. Enfin, juste pour l’alcool, les clopes c’est une autre histoire. Le cercle me salue d’un habituel "Bonjour Gregory" en chœur, avant d’attendre que je développe un peu plus mon histoire. Je me rassois sur ma chaise, la position de soldat étant bien trop inconfortable et me met réellement mal à l’aise face à ces inconnus, même si je ne joue qu’un rôle. J’avais risqué – encore une fois – mon statut pour m’infiltrer au cœur d’un groupe de parole, je voulais savoir ce que les Narcotiques Anonymes ressentaient, j’avais besoin d’être dans l’action pour mieux comprendre. Je cherchais des drogués, abusés par un dealer en question, un gars qui prenait malin plaisir à torturer puis tuer ceux qui ne pouvaient plus payer. C’était leur point commun à tous les morts, décapités et démembrés par leur chef, la même marque de fabrique pour tous les crimes. Il ne s’agissait pas d’un tueur en série, mais bien d’un mec qui avait un fétichisme, une obstination pour disséminer les corps d’une façon particulière. Il fallait que je me mette en contact avec ses anciens acheteurs, et je savais que la petite Ruby faisait partie d’eux. Elle avait réussi par je ne sais quel moyen à se sortir de là, et la voilà sobre depuis presque plus d’un an, bien loin des conflits de gangs. Il fallait que je gagne sa confiance pour peut-être réussir à obtenir des informations.

Assis avec les bras croisés sur mon buste, je ressemble à un gamin qui a peur de parler et qui se protège inconsciemment au vu de ma posture. J’ai remarqué Ruby, elle a l’air de s’intéresser à moi avec un regard bienveillant : je suis nouveau, et elle cherche certainement à ce que les nouveaux se sentent à leur place. Mon silence dépassant les quinze secondes depuis que j’avais posé mon cul sur la chaise, le meneur du groupe de parole, Samuel, m’interroge du regard, et m’incite d’un mouvement de tête à continuer mon histoire. Je me racle la gorge et me frotte la barbe pour me donner l’air de vouloir me rassurer. « Je… Je préfère parler une autre fois. » que je lâche tout bas, comme si j’avais peur de dévoiler la raison de ma présence ici. Je ne veux pas paraître trop sûr de moi, je préfère jouer l’addict sur la réserve pour l’instant, le temps que j’observe tous ceux qui sont présents et ceux qui sont réticents quant à mon propos. Je baisse les yeux, fais mine de paraître gêné en attendant que Samuel donne la parole à quelqu’un d’autre. C’est seulement quand un autre homme prend la parole que je relève mes yeux, je profite de voir que tous les regards sont tournés vers lui pour les sonder et déceler ceux qui risqueraient de me démasquer. Je soupire de soulagement quand je vois que personne n’a gardé son attention sur moi. Je focalise alors la mienne sur ce jeune homme, il semble tout fébrile, un zombie complètement cerné. Il parait si jeune et pourtant déjà fatigué par la vie. Ce que ça peut foutre des vies en l’air cette merde de drogue putain. Je reste captivé par son discours, et quand Samuel passe la parole à quelqu’un d’autre, c’est tout naturellement que je regarde à nouveau le groupe. La blonde en face de moi semble me fixer, je ne sais pas si elle le fait exprès, ni depuis combien de temps, mais elle me met mal à l’aise. Je lui offre un sourire en espérant qu’elle me le rende et qu’elle détourne le regard, mais elle ne semble pas réceptive. Putain mais elle a quoi celle-là, elle est chelou bordel. Je me dis que je psychote, que c’est juste une meuf perchée qui fait pas gaffe à là où elle regarde, j’ai rien dit pour le moment qui pourrait faire croire que je suis pas sincère.

@Aylin Collins

Je comprends tout à fait que les addicts préfèrent se confier à des purs inconnus lors de groupe de parole plutôt qu’à leurs proches. C’est évident, c’est beaucoup plus facile et il n’y a aucun enjeu derrière. C’est beaucoup plus facile pour moi d’annoncer que je suis bisexuel face à des gays ou des bisexuels, il n’y a pas de jugement de leur part puisqu’ils ont certainement ressenti ce que je ressens, entre personnes qui se comprennent tout est plus simple. Aller annoncer à Amos que j’aime les hommes, c’était beaucoup moins évident par exemple. Ici, quand je les vois s'ouvrir les uns après les autres et parler librement, ça donnerait presque envie, d’avoir une sorte d’addiction et de savoir qu’il y aura toujours des personnes qui te soutiendront peu importe tes actions. Mais m’inscrire dans une association LGBT est inenvisageable pour moi, le lieutenant que je suis ne peut pas se risquer à pointer le bout de son nez dans une association de la sorte simplement pour ‘parler’ de mes ressentis et m’ouvrir à d’autres. Et si j’y rencontrais des personnes de mon entourage, des gens que je connais qui accompagnent simplement leur fils ou leur cousin ? Non, c’est absolument impossible.

Mon attention est totalement accaparée par le discours de chaque Narcotique Anonyme, de leurs expériences, de leurs échecs, de leurs douleurs, et je me sens presque comme un illégitime à écouter leurs secrets les plus profonds, ceux qu’ils n’ont jamais annoncés à leur famille ou à leurs amis. Je n'oublie toutefois pas la raison de ma présence ici, mon objectif n’est pas de me laisser envahir par mes émotions, mais bien d'essayer de tirer quelques informations auprès de Ruby. Je sais qu’il faudra qu’elle m’accorde sa confiance, et qu’elle accepte de s’ouvrir à moi sans forcément parler devant les autres. Mais pour le bien de notre société, il fallait que je lui vole ces renseignements, il le fallait. Je me reprends, profite du fait que tous les regards soient braqués sur le gars qui parle pour observer Ruby. Elle a l’air calme Ruby, elle a l’air apaisée, on dirait presque qu’elle n’est jamais tombée dans l’addiction. Je me rends compte que je la fixe un peu trop intensément, un peu trop longtemps, et je sens en retour un regard qui semble s’être attardé sur moi. C’est en tournant ma tête que je remarque la blonde qui me fixe, qui me met dans l’inconfort, et cette même blonde vient même m’accoster alors que je me sers une tasse de café à la fin du temps d’échange.

- Première fois que tu viens à une réunion ? C’est jamais facile hein ? Encore plus quand on voit des gens de tout âge.

J’espère qu’elle n’a pas remarqué que j'aie fixé Ruby aussi longtemps, j’espère qu’elle ne doute pas de ma présence ici. Je tente d’être accueillant malgré le fait que je ne souhaite pas lui parler, mais il serait malpoli de répondre d’un simple sourire de courtoisie, et c’est surtout ce qui pourrait la pousser à se poser davantage de questions. « Hm, oui, première fois que je viens. Et toi, tu t’es pas présentée, j’en déduis que ça fait plus d’une fois que tu fais partie des NA ? » que je lui sors. J’essaie de paraitre ouvert et de lancer une conversation, mais fais tout de même en sorte qu’elle reste banale et m’assure que je n’ai pas à répondre à ses questions concernant ma présence ici en restant vague. « Je suis pas très à l’aise pour me confier, désolé. C’est la raison pour laquelle t’as pas entendu grand-chose à mon sujet. » Je suis en train de me justifier déjà, un peu trop, comme si j’avais quelque chose à cacher. Il faut que je me calme, calme toi Greg, elle a rien remarqué.

@Aylin Collins

La blonde n’a pas l’air d’être le genre qui cherche les emmerdes ou à faire la commère, elle se fond parfaitement dans le groupe des narcotiques anonymes, comme si elle avait toujours été là mais qu’elle y revenait parce qu’elle faisait partie intégrante des drogués en reconversion. N’empêche que j’ai toujours fais en sorte de prêter attention aux personnes qui viennent m’aborder, et encore plus aujourd’hui, dans cette situation. Parce que je veux pas me faire choper, je risque gros pour mon boulot si jamais on venait à apprendre ça. J’avais remarqué qu’elle m’avait observé pendant le temps de parole, ça pouvait être une coïncidence, mais on n’est jamais trop prudent. Je tâte alors le terrain, cherche à obtenir quelques informations sur elle pour savoir à qui j’ai à faire, j’ai pas non plus tout mon temps à lui accorder si je veux pouvoir parler à Ruby aussi.

- Oui ça fait un peu plus d’un an que je viens, je suis Aylin.

Elle n’a pas l’air de vouloir s’étaler non plus sur son passé, mais elle n’a pas l’air agressive ni fermée à la conversation puisqu’elle se présente spontanément. « Enchanté Aylin, moi c’est Gregory. Enfin, appelle moi Greg. » je joue la carte du ‘tu peux m’appeler par mon surnom’ pour essayer d’obtenir un peu plus sa confiance, avant de me justifier sur la raison de ma présence. Un peu trop d’ailleurs.

- Oh tu sais la première fois je n’étais pas à l’aise non plus. Il m’a fallu au moins deux ou trois réunions avant de m’ouvrir. Tu verras ça fait un bien fou même si c’est assez intimidant la première fois.

Je fais une petite moue pas convaincue en haussant les épaules, et au fond je corresponds presque au personnage que je tente de jouer. Mes émotions sont rarement exposées à la vue de tous, une habitude qui me fait souvent défaut quand une dispute éclate avec mes proches. Le Gregory froid, silencieux et renfermé fait souvent office de mur sur lequel les gens se heurtent, certains s’entêtent à essayer de titiller la bête pour essayer d’apercevoir ne serait-ce qu’un peu d’humanité, mais la plupart des personnes qui ont eu l’occasion de me voir dans mes pires états n’ont pas eu bien plus qu’un grognement, ou au mieux des paroles cassantes qui me permettaient de reprendre le dessus. J’essaie tout de même de montrer un peu de volonté de rédemption auprès d’Aylin, il vaut mieux jouer le jeu. « Oui, c’est vachement intimidant de parler devant tous ces inconnus. J’espère que je prendrais moins de trois réunions pour pouvoir parler de… Tout ça. » J’insiste un peu sur le tout ça, je fais mine d’hésiter, ça paraîtra plus plausible que de déblatérer un texte appris.

- Tu la connais ?

Le regard de la blonde se tourne vers l’autre coin de la salle, et elle désigne du menton la personne dont elle parlait. Il me semble qu’elle me montre Ruby, mais celle-ci discute avec le gamin zombie, et je saute sur l’occasion pour essayer de ne pas me faire cramer. Si elle me pose cette question, c’est qu’elle avait bien remarqué que j’avais fixé Ruby pendant le temps de parole, ce n’était donc pas une coïncidence, ni un regard dans le vide dans ma direction. « Le gamin qui semble avoir dix-neuf ans et quarante ans à la fois ? » que je demande innocemment. « Nope, je connais personne ici. » J’essaie de changer de sujet et de rebondir sur ça pour éviter qu’elle ne me pose des questions sur Ruby. « C’est fou ce que cette merde peut avoir comme effet. Et que des jeunes comme lui soient pris dedans alors qu’ils ne sont que des enfants, ça fait vraiment chier. » Et pour rendre mon discours encore plus vrai, j’ajoute : « Même si… On n’a pas tous ce luxe de pouvoir faire les bons choix… »

@Aylin Collins

- Oui le plus dur c’est de se lancer mais une fois que tu commences, généralement tout ressort d’un coup. Par curiosité cela fait combien de temps que tu es sobre ?

J’aurais peut-être pas dû paraître ouvert à la conversation avec elle, j’aurais dû m’en douter que ça me mènerait là. Allez Greg, mentir c’est facile. Tu le fais tout le temps en interrogatoire. Sauf que là je suis pas en interrogatoire, et je risque d’y laisser mon boulot si ça venait à s’apprendre. Au bout de combien de temps les gens viennent dans ces réunions ? Ca dépend non ? Certains sont là parce que ça fait des années qu’ils essaient d’arrêter, d’autres sont là alors que ça ne fait que quelques mois, non ? Dans tous les cas, une réponse vague ne conviendrait pas. Les drogués s’en souviennent quand ils arrêtent. « Ca fait vingt jours que j’ai rien touché pour l’instant. » Suffisamment pour que ça ne se voit plus sur mon visage, et pas suffisamment pour ne pas se pointer à une réunion des NA. J’espère que ça passera sans encombre, et je finis par sauter sur le fait qu’elle me parle d’autres gens pour changer de sujet. Je me doute qu’elle parle pas du gamin mais de Ruby, mais ça me permet encore une fois de contourner le sujet fâcheux.

- Je pense qu’après un mois à avoir arrêté on devait tous avoir la même gueule que lui. Mais non je parlais de la jeune femme à côté, j’ai remarqué que tu l’observais beaucoup durant la réunion.

Ok, bon, j’aurais peut-être pas dû dire vingt jours quand elle m’a demandé depuis combien de temps je suis sobre. Je tourne à nouveau la tête pour faire mine de regarder de qui elle parle, et d’un air totalement innocent, je réponds naturellement : « Ah non, non je ne la connais pas du tout. J’ai pas remarqué l’avoir fixé pendant la réunion, je m’intéressais surtout aux témoignages des autres. » Pas le meilleur mensonge que j’ai sorti. Elle va certainement pas gober ça. « En fait, c’est juste qu’elle me rappelle quelqu’un et du coup j’ai été un peu destabilisé, c’est tout. J’espère que je paraissais pas trop creepy, c’était pas du tout mon intention… » que je sors en baissant les yeux, un air coupable passant sur mon visage. Peut-être qu’elle y croira plus à cette justification. Je reviens alors sur le gamin qui a parlé un peu plus tôt, et j’affirme avec certitude que la drogue c’est clairement de la merde. Avec un peu trop de certitude visiblement, puisque la blonde rebondit à nouveau dessus.

- Comme la plupart des gens ici, ils ont commencé jeunes après tout c’est à cette période-là que c’est le plus facile d’accès. Ce qui est important de remarquer c’est qu’ils ont le courage de se prendre en main tôt contrairement à la plupart d’entre nous. Tu as commencé à quel âge toi ?

Elle posait vraiment beaucoup de questions, à croire qu’elle cherchait à ce qu’on fasse une réunion des narcotiques anonymes à deux. Et sans parler de ses questions, elle avait l’air d’être le genre à juger super rapidement. C’est pas ce qu’on est censé éviter ici, pendant ces réunions ? Bon, j’ai peut-être pas été très délicat en parlant du gamin, mais mon ton n’avait rien à voir avec le sien, interrogateur voire même accusateur. « J’ai pas trop envie d’en parler, excuse moi. » que je me contente de lui répondre. J’espère que cette fois elle ne va pas insister, parce que l’irritation commence à monter, et quand je le sens venir, c’est pas forcément bon signe. Je m’éloigne un peu d’elle en espérant qu’elle ne me suive pas, prend un biscuit pour le tremper dans mon café, et me réfugie un peu plus loin. De là, je pourrais regarder toute la salle, et donc Ruby, sans que ce soit trop suspect. C’était sans compter sur la blonde qui ne me lâche pas du regard et qui ne semble pas comprendre que je ne veux plus lui parler lorsqu'elle se rapproche de moi. C'était peut-être pas intentionnel, mais j'en doute. « Je suis désolé si je t’ai paru brusque, mais si j’ai du mal à en parler devant le groupe, j’ai du mal à en parler à une seule personne aussi. » J’essaie de me défendre avec des excuses de merde, et j’espère qu’elle va culpabiliser pour me laisser enquêter en paix.

@Aylin Collins

Je crois que je suis en train de me faire griller ma couverture, la blonde pose beaucoup trop de questions et à en voir ses réactions, je sais qu’elle ne m’interroge pas uniquement pour être gentille. Elle se doute de quelque chose, depuis le début, et elle vient juste confirmer ses hypothèses. Putain t’es vraiment trop con Greg, t’aurais juste dû la fermer en prétextant ne pas être à l’aise. Elle gobe pas vraiment mes mensonges, encore moins celui où je lui dis que je suis sobre depuis vingt jours. Ca aurait pu être le cas, non ? J’essaie de me rattraper comme je peux, faut absolument pas que je me fasse prendre. « Et tu sais quand j’ai dit vingt jours tout à l’heure, c’est vingt jours que je suis vraiment sobre. J’avais arrêté entre temps, puis replongé, et rebelote. Enfin tu sais c’que c’est. » Je suis conscient que ça sera pas bien fructueux, et je décide alors de m’éloigner d’elle en prétextant ne pas être à l’aise et de ne plus avoir envie de parler. Quand je reviens à nouveau vers elle (enfin techniquement c’est elle qui est revenue), je m’excuse encore une fois pour mon comportement. Mais à nouveau, elle s’en contrefout.

- Arrête tes conneries, je sais que tu as jamais rien touché ça se voit. Tu es quoi un dealer en quête de victimes faciles ? Tu seras pas le premier à faire ça, enfin arrête de tenter de m’embobiner sinon je vais dire aux autres de prévenir la police et tu seras encore plus dans la merde.

Je m’attendais à tout sauf ça. Est-ce que j’ai une gueule de dealer ? Je pensais qu’elle avait cramé ma couverture, qu’elle allait me dénoncer aux autorités et que j’en perdrais mon boulot. Une erreur comme celle-ci, ça ne pardonne que rarement. Il va falloir que je calme mes pulsions et que je retourne aux procédures plus conventionnelles si je veux pas que le grand chef me colle quelqu’un pour me fliquer à longueur de journée. Si je veux garder un semblant de liberté dans mes mouvements, je dois arrêter d’abuser de mon statut de lieutenant. « Déjà baisse d’un ton madame je monte sur mes grands chevaux. » Pas la meilleure façon de la calmer Greg, ça risque de faire l’effet tout l’effet inverse, garde ta fierté enfouie dans ton cul mon gars. Je cherche quoi répondre, mes yeux s’affolent et je regarde autour pour m’assurer qu’on passe toujours inaperçu auprès des autres, surtout auprès de Ruby. « Ecoute, je suis pas un dealer. J’ai la tête d’un dealer ? » Je lui demande ça vraiment sérieusement, je veux bien qu’on m’assimile à un flic, j’en suis un. Mais à un dealer ? Sérieusement ? « Mais t’as raison, j’ai jamais consommé de cette merde, ça me fait trop flipper. Je suis juste ici parce que je m’inquiète pour Ruby. » que je dis tout bas en jetant un bref coup d’œil en sa direction. Elle ne regarde pas par ici, c’est déjà pas mal. « C’est une amie proche de mon cousin, elle ne me connait pas, et elle doit surtout pas savoir qui je suis. Je suis juste là pour m’assurer qu’elle va bien parce qu’elle a coupé tout contact avec mon cousin, c’est tout. » Je mentirais presque bien, putain. Je prie pour qu’elle ne me pose pas davantage de questions, mais vu la grande gueule qu’elle semble être, ça m’étonnerait. Je suis vraiment en train de suer de tout ce que je peux, il va vraiment falloir que je fasse plus attention la prochaine fois.

@Aylin Collins

- Je monte sur mes grands chevaux si j’ai envie de monter sur mes grands chevaux, surtout quand c’est en face d’un menteur.

Ses remarques ont le don de m’agacer, et de m’irriter encore plus que ce que je ne suis déjà. Je sais que je risque mon job, je sais que j’aurais peut-être pas dû lui répondre à cette grande gueule qui ne cherche qu’à commérer, et pourtant je suis encore plus en train de risquer mon statut rien qu’en étant encore en train de débattre avec elle.

- Non je dirais que tu as une tête de flic à première vue. Mais bon ça serait idiot pour un flic de se ramener dans ce genre de réunion, ils sont encore plus mal vu que les dealers.

Si sa première réponse m’aurait presque fait sourire parce que je préfère sans aucun doute être assimilé à un flic plutôt qu’à un dealer, la suite me fait toutefois redescendre très vite. Evidemment que les flics ne sont pas bien vus dans ce genre de réunion, évidemment que de venir chercher des informations dans ici ça frôle carrément l’illégalité, en grande partie parce qu’il n’y a aucune éthique à agir de la sorte. Je me contente de pincer mes lèvres en une grimace crispée en hochant la tête de bas en haut, comme si j’étais presque étonnée que ma tronche et ma carrure puissent ressembler à celles d’un flic, et je continue de lui expliquer (enfin, plutôt de trouver un autre mensonge pour en couvrir un autre) la raison de ma présence.

- J’espère bien que ça t’a fait peur pour ne pas faire la même connerie que nous tous ici. Mais ça me semble un peu tiré par les cheveux ton histoire. Ton cousin il envoie juste comme ça, un membre de sa famille à une réunion des narcotiques anonyme pour surveiller une pote ? Alors que tu l’es même pas ?

Elle semble sceptique, comme à chacune de mes réponses. Je peux pas lui en vouloir au fond, parce qu’elle a certainement dû entendre tellement de conneries ici, elle veut plus de ça, elle cherche indéniablement à rayer les menteurs et des gars comme moi de ces réunions. D’une voix plus douce, calme et posée, je lui souffle ma réponse comme si j’avais peur qu’on nous entende : « C’est pas lui qui m’envoie. C’est moi qui m’inquiète, et pour elle, et pour lui. » Je me rapproche un peu plus d’elle en espérant qu’elle ne se recule pas, ni qu’elle finisse par gueuler que je ne suis qu’un imposteur qui n’a rien à foutre ici. « Elle a été hyper importante pour lui, et je sais que l’inverse est vrai aussi. Je me fais du souci, c’est tout. Que mon histoire soit un peu tirée par les cheveux, c’est pas faux… » Non, c’était absolument pas faux, inventée de toute part cette histoire. « …mais que tu me croies ou non, c’est la vérité. » Et je m’arrête là. Justifier plus amplement, ce serait me risquer de me perdre dans mes mensonges, et ce serait surtout beaucoup plus difficile de faire taire la blonde par la suite.

@Aylin Collins

Je me dépatouille encore une fois avec des conneries que je sors de mon cul, je sais même pas comment c’est possible que quelqu’un puisse vraiment y croire d’ailleurs. Enfin, je me doute que la blonde gobe pas un seul de mes mots, mais faut bien se raccrocher à quelque chose pour paraître un minimum crédible.

- Tu sais que si c’est vrai ça fait un poil stalker cette histoire.

Ouais, je sais. Je reverrais mon script la prochaine fois que je me foutrais dans une merde comme celle-là. T’es vraiment con Greg, t’aurais pas juste pu fermer ta gueule et observer Ruby sans t’attirer des ennuis ? Je hausse les épaules, un air innocent sur mon faciès. « Des fois, il faut ce qu’il faut… » que je finis par dire face à son scepticisme. J’étais en train de mentir à une nana qui avait certainement menti pendant toute sa vie de junkie, comme tous ces drogués qui sont là en fait, à quoi je m’attendais ? Qu’elle gobe toutes mes conneries pas crédibles alors qu’elle est bien plus professionnelle que moi sur ce plan ?

- J'imagine que maintenant tu vas rentrer chez toi, vu que tu as pu t'apercevoir qu'elle va bien et qu'elle remonte la pente. Et le raconter à ton cousin...

Ben, j’ai effectivement plus trop le choix en fait. « Hm, ouais. » C’est le seul truc que je trouve à répondre si je veux pas m’enfoncer encore plus. Tant pis pour la mission infiltration d’aujourd’hui, faudra juste que je trouve un autre moyen d’aborder Ruby dans les jours qui suivent. Faudrait pas qu’elle clamse sans que j’ai pu lui tirer des infos… « Bon, ben ravi d’avoir fait ta connaissance. » que je finis par lui dire en lui tendant une main. Je prends une dernière part de brownie, jette un coup d’œil à Ruby qui semble de toute façon occupée à parler de sa vie à d’autres gens, et me dirige vers la sortie. Je pense à l’attendre en dehors, mais je vois mal comment je pourrais esquiver l’autre blonde si je la recroise à nouveau. Alors je prends la direction du poste en ruminant, cette enquête commence vraiment à me casser les couilles.

@Aylin Collins