Morton avait chargé un gars de son équipe de faire les entretiens pour les stagiaires de cette année. La brigade des sciences comportementales était très demandée en ces mois-ci, et les étudiants qui postulaient venaient des branches toutes plus différentes les unes que les autres : des futurs flics qui s’intéressaient à la psychologie criminelle, des gars en étude de psycho qui rêvaient de mettre un pied dans une section criminelle, d’autres dans le journalisme aussi qui auraient vu là une autre façon d’exploiter des écrits, ou alors des étudiants en littérature et qui voulaient s’inspirer de faits réels. Bref, les filières étaient variées, et Gregory ne voulait pas s’encombrer avec la sélection des stagiaires, il avait bien autre chose à faire, surtout depuis qu’il était sur cette affaire qui durait depuis plusieurs mois déjà. En effet, ils étaient à la recherche d’un prétendu tueur en série, rien n’avait été prouvé mais de nombreuses femmes disparaissaient dans le même secteur. Bien qu’il n’y ait pas de similitudes physiques flagrantes entre elles, le lieutenant était persuadé que c’était le même homme qui les kidnappait (et les tuait certainement pour son propre plaisir). Et, de toute évidence, l’homme en question devait connaître ces femmes puisqu’aucune effraction n’était commise quand il se rendait chez elles juste avant leur disparition. Les indices étaient encore posés en vrac sur le bureau, placardés de façon non-ordonnée sur les murs, et il fallait justement mettre de l’ordre dans toutes ces suppositions. Les flics qui avaient reçu les appels des proches, signalant les disparitions, étaient venus lui exposer cette affaire, lui refourguer cette enquête qui risquait fortement d’être de l’ordre de la psychologie, et c’est tout naturellement vers Morton et son équipe qu’ils s’étaient tournés. Ils connaissaient le statut du lieutenant, ils savaient que lui et sa section pourraient éclairer des pistes non-négligeables dans l’affaire. Ce n’était pas la première fois d’ailleurs qu’ils faisaient appel à ses compétences, et chaque cas lui permettait de se peaufiner et d’évoluer dans les techniques utilisées. Pour cette affaire, il était bien difficile pour le moment de sortir la tête de l’eau, et Gregory passait tout son temps à essayer de résoudre les énigmes qui lui trottaient dans la tête depuis qu’il avait pris connaissance des disparitions des demoiselles.

Il devait recevoir un(e) stagiaire ce matin, et il n’avait pas pris la peine de ranger son bureau. Enfin, ce n’est pas qu’il y avait mis de la mauvaise volonté, il avait tout simplement oublié qu'il devait recevoir ce stagiaire. Debout devant son bureau, il scrutait toute la paperasse récupérée sans savoir comment il allait bien pouvoir classer le tout, dans une logique qui lui permettrait de s’y retrouver. Deux coups secs vinrent le sortir de sa réflexion. « Entrez ! » Il avait son regard en direction de la porte, et quand la jeune femme fit son entrée, il n’avait toujours pas compris qu’elle était celle qui allait passer plusieurs mois à ses côtés. « Oui ? C’est pour ? » Elle semblait timide, n’osait pas rentrer dans le bureau. La jeunette devait frôler les vingt-cinq ans, et Gregory se demanda ce qu’elle venait faire ici. « Bonjour. Hannah Whitemore, je suis là pour le stage. » Les yeux écarquillés, Morton se rendait seulement compte à ce moment-là que c’était la stagiaire qu’il attendait. « On m’a indiqué votre bureau, j’espère que je suis au bon endroit. » Il se racla la gorge, gêné, avant de lâcher ses feuilles pour se diriger vers elle, main tendue. « Ah, euh oui, vous êtes au bon endroit. Je vous attendais. » mentit-il avec assurance. « Bonjour, enchanté, Gregory Morton. Et vous êtes ? Je suis désolé nous avons eu tellement de candidature, je ne me souviens plus de votre nom. » Il ajouta un sourire qui se voulait rassurant, mais il est certain que ça ressemblait plus à un sourire décontenancé qu’autre chose. « Eh bien on peut dire que vous plongez directement dans le bain, voilà mon quotidien. affirma-t-il en montrant son bureau, paume ouverte en direction du plafond. « Je suis désolé, c’est un peu le bordel… Il empila les documents posés en vrac et accumulés sur la petite table pour lui faire de la place. « Donc… Ceci sera votre bureau pour aujourd’hui, vous pourrez y mettre vos affaires. Mais vous aurez un bureau rien que pour vous avec les autres stagiaires un peu plus tard dans la semaine. Tout agité, il se hâtait de ranger tout son merdier pour accueillir un minimum correctement la stagiaire. Il n’avait pas pour habitude de déblatérer mais le fait de briser sa routine et son confort sans en avoir été averti l’avait un peu dérouté. « Est-ce que vous avez des questions, ou je vous fais visiter ? demanda-t-il, par politesse, mais aussi pour voir à qui il aurait à faire pendant quelques mois.

@Hannah Whitemore

Phil lui avait pourtant bien donné les lettres de motivation et les CV des étudiants qui allaient pointer le bout de leur nez dans l’équipe, mais Gregory n’avait pas pris le temps de les feuilleter. Il faisait entièrement confiance à celui qui choisissait les stagiaires pour lui, ça n’avait jamais failli jusque-là. Phil connaissant le caractère bien trempé de son lieutenant, il faisait en sorte de choisir de bons profils qui n’entreraient pas en conflit avec le boss, des étudiants curieux qui voulaient réellement apprendre et qui n’encombreraient pas Morton. Alors, quand il vit Hannah débarquer, il ne s’était pas inquiété : il savait qu’elle avait été sélectionnée pour sa motivation et son dossier. Tout de même déstabilisé par le fait d’avoir complètement oublié qu’elle devait se pointer aujourd’hui, on pouvait voir un lieutenant désorganisé et un peu dérouté, ce qu’il détestait réellement. Morton était censé être le gars qui en imposait et qui intimidait, qui forçait le respect sans avoir à le demander, et pas celui qui rangeait sa paperasse dans la précipitation parce qu’il avait oublié. La première impression qu’il donna à mademoiselle Whitemore était loin d’être celle qu’il aurait souhaité avoir, mais il fallait faire avec, et c’est avec délicatesse qu’il tenta de contourner son malaise en demandant à la jeune femme de se présenter. « Hannah Whitemore. Aucun problème, j’espère juste que vous vous en souviendrez dans les jours à venir. » La stagiaire semblait vouloir s’imposer : inférieure à lui, oui, mais à qui on ne manquerait pas de respect. Son ton se voulait plutôt léger, mais sa réponse posait les bases de leur relation. Le lieutenant se jura qu’il regarderait son CV et sa lettre de motivation pour la cerner quand il aura un temps libre dans la journée, il voulait tout de même savoir à qui il aurait à faire. Il lui sourît, et acquiesça d’un hochement net de la tête. « Bien, mademoiselle Whitemore. » affirma-t-il amusé, mais qu’il se cacha bien de montrer. Il parla beaucoup, pour combler le fait d’être inconfortable, et lui indiqua qu’elle aurait son intimité et qu’elle ne devrait pas partager toutes ses journées avec lui. C’est ce qu’il pensait être ce dont elle aurait besoin si elle restait plus de six mois. Lui-même ne pourrait pas se confiner dans son bureau avec la présence de sa stagiaire à plein temps. « Ah, je pensais que j’étais la seule à avoir été acceptée pour ce stage. » Le lieutenant était pourtant conscient qu’elle serait la seule qu’il suivrait, c’était une des conditions qu’il avait imposé à Phil : un(e) stagiaire à la fois sous sa tutelle, mais il ne savait pas si d’autres stagiaires viendraient pour d’autres personnes de son service. « La seule stagiaire qui sera sous ma ‘responsabilité’, oui. Mais vous serez certainement en contact avec d’autres étudiants qui auront un autre maître de stage. » Il avait l’impression qu’elle testait ses connaissances, qu’elle voulait certainement savoir elle-aussi à qui elle avait à faire, et si le grand patron du service était aussi bon qu’il le sous-entendait. Obnubilé par son image, il n’avait même pas remarqué que sa voix trahissait une pointe de déception, elle souhaitait être la seule privilégiée pour ce stage et elle allait certainement faire de son mieux pour passer au-dessus des autres. « Vous travaillez sur quoi ? » Elle rentrait dans le vif du sujet, ne souhaitait pas perdre de temps. Il rît à cette interrogation, expliquer toute l’affaire en résumé allait être compliqué, mais il s’y tenta. « Eh bien, en résumé ? La brigade criminelle est venue frapper à notre porte parce qu’ils pensent que nous avons affaire à un tueur en série. Plusieurs femmes ont disparues ces derniers mois, toutes dans le même secteur. Il n’y a encore pour l’instant pas de preuves de leur mort, mais je doute que notre gars s’amuse simplement à les séquestrer. » Elle voulait savoir, et bien elle allait savoir. Le lieutenant ne prenait pas de pincette, il n’avait pas peur qu’elle fuit en courant. Elle été censée être préparée pour ce genre d’affaires, mentalement en tous cas. Elle devait se douter que son stage ne concernerait pas la pose de PV sur des voitures mal-stationnées. « J’espère que vous avez le cœur bien accroché, parce que dans ce stage vous verrez rarement des histoires qui se terminent bien. » qu’il se permit d’affirmer, comme s’il offrait une dernière chance à Hannah de quitter le service si elle ne se sentait pas d’assumer. La jeune femme se dirigea vers les photos des présumées victimes, disposées un peu en vrac sur le grand tableau blanc de son bureau. Il y avait écrit des annotations sous chacune des photographies, des hypothèses et des informations primordiales. La stagiaire s’arrêta devant celle d’une rousse, et le lieutenant sentit le regard interrogateur de mademoiselle Whitemore se poser sur lui. « Olivia Smith, vingt-huit ans, disparue depuis trois mois. Célibataire, elle avait été vue pour la dernière fois chez elle par son ami d’enfance la veille de son kidnapping. On n’en sait pas plus. Le seul point commun qu’elle a avec les autres victimes, c’est qu’elle a disparue, du jour au lendemain, et que sa porte n’a même pas été forcée. » répondit-il à la question muette de sa stagiaire. « Vous êtes sûre que vous ne voulez pas que je vous fasse visiter avant ? Si vous me lancez sur l’affaire, je vais avoir du mal à m’arrêter !

@Hannah Whitemore

La stagiaire lui avait fait bonne impression. Elle semblait calme et réfléchie, mais il avait surtout l’impression qu’elle s’était battue pour obtenir sa place, et qu’elle la méritait sans doute. Des étudiants motivés, c’est tout ce qu’il demandait. Elle cherchait à en savoir plus sur son maître de stage, sur l’affaire sur laquelle il travaillait, et il tenta de lui expliquer brièvement l’enquête. Le lieutenant porta une attention particulière à l’expression de la jeune femme lorsqu’il lui énonça les faits, il testait sa capacité de résistance – doucement pour le moment – et observa la réaction d’Hannah. Elle n’avait pas l’air choquée d’entendre que des femmes se faisaient kidnapper et certainement tuer par la suite, et c’était bien cette attitude qu’il attendait : il ne voulait pas d’un stagiaire qui prenne peur face à chaque découverte. Certains peuvent s’être préparés mentalement chez eux mais arriver sur le terrain et se rendre compte que ce sont des vraies personnes qui se font tuer, souvent même torturer, et que la télévision et la réalité sont bien deux mondes séparés. Lorsqu’elle s’avança vers la photographie d’Olivia, Morton lui expliqua l’histoire de la jeune femme et sa stagiaire fût tout de suite interpellée par les propos tenus par son maître de stage. « Vous pensez qu’il les séduisait ? Pour entrer ainsi chez elles en toute impunité… » Presque surpris par sa vivacité d’esprit, ses lippes s’étirèrent en un sourire. « Désolée. Vous avez déjà des hypothèses je suppose ? » Hannah semblait réellement intéressée par le sujet, et le lieutenant ne pouvait que s’en enchanter. Il réitéra sa demande de visite des locaux avant de rentrer entièrement dans le vis du sujet, mais l’étudiante montrait un réel engouement pour les explications de Morton sur l’affaire en cours. « Pour l’instant je trouve ça beaucoup plus intéressant. Mais c’est vous le boss, alors comme vous voulez. » Il lâcha un petit rire, elle préférait se mettre à jour sur l’enquête, et sa détermination et sa motivation ne pouvait rendre Gregory plus heureux. Phil avait décidément bien sélectionné la stagiaire, elle allait rapidement trouver sa place parmi l’équipe, il en était certain. Le lieutenant tenta alors de lui expliquer l’enquête, plus en détails cette fois-ci : les pistes envisagées, les suspects dont les interrogatoires improductifs relevaient du superflu, et termina sur le listing des femmes, un topo sur chacune d’entre elles, sur leur vie privée, leurs hobbies, leurs cercles d’amis, leurs histoires. Il lui fallu deux bonnes heures avant d’arriver à la même conclusion qu’au début : les femmes étaient simplement portées disparues, elles n’avaient pas grand-chose en commun, et d’autres femmes continuaient à disparaitre. Les villes alentours commençaient à s’agiter, à faire parler de ces kidnappings, la solidarité féminine avait grimpé en flèche suites à ces événement, et les cours de self-défense avaient été remplis en un rien de temps – et pourtant, les disparitions s’enchainaient toujours autant. Lorsque Morton reprit son souffle face à mademoiselle Whitemore qui n’avait pas arrêté de griffonner sur son carnet de notes, il regarda sa montre et s’aperçut qu’il avait tenu sa promesse : quand on le lançait sur ce sujet, il était difficile de l’arrêter. Il avait fait de son mieux pour résumer au maximum, mais si la stagiaire voulait connaitre l’affaire, il fallait qu’il passe par certains détails primordiaux. Hannah avait fini par s’asseoir, la position assise étant plus confortable pour noter les points importants dans son carnet. Les informations qu’elle avait eu en deux heures étaient nombreuses, denses, et le lieutenant en était bien conscient. « Ne vous inquiétez pas, ça parait gros comme une montagne toutes ces informations en vrac, mais quand on est dans le bain on arrive vite à s’y retrouver. Ces documents seront toujours à votre disposition d’ailleurs, et j’aurais certainement besoin de vous pour m’aider à les ranger dans l’ordre, enfin… De façon à ce qu’on s’y retrouve quand on cherche quelque chose en particulier sur l’affaire. » affirma-t-il en montrant du menton toutes les piles de paperasses accumulées sur son bureau. « Ce sera d’ailleurs votre tâche de la semaine : vous familiariser avec l’enquête, et me classer tous les documents. C’est un bon exercice pour réussir à remettre les évènements dans l’ordre chronologique. » Il venait tout juste de trouver cette mission pour elle, il n’avait aucune idée de ce qu’elle allait pouvoir faire ici pendant ces prochains mois, d’autant qu’il ne connaissait ni son parcours ni ses compétences. La classification permettra de l’occuper pendant quelques jours, et lui permettra aussi de lui trouver une vraie mission par la suite. « Vous aurez ensuite une mission qui vous permettra d’appuyer vos apports théoriques pour votre mémoire. Parce qu’il me semble que vous aurez un mémoire à rendre, je me trompe ? » Hannah n’était pas sa première stagiaire dans la brigade des sciences comportementales, mais chaque étudiant venait avec une situation différente. Il fallait décidément qu’il se renseigne sérieusement sur son rôle de tuteur, sur sa stagiaire, et sur ce qu’elle attendait de lui.

@Hannah Whitemore

L’affaire sur laquelle son équipe travaillait commençait à faire parler d’elle, et bien qu’ils faisaient en sorte de ne pas laisser des informations fuiter auprès de la presse pour éviter les complications, il y avait toujours des façons de détourner l’enquête pour en faire un sujet sensationnel, et les journaux l’avaient bien saisi. Le lieutenant fut presque étonné de voir qu’Hannah n’était pas plus renseignée sur cette affaire, il regardait rarement les informations dans la rubrique des faits-divers pour éviter que la colère et la frustration ne prenne le dessus, mais il était persuadé qu’on en avait parlé plus que ça. Après son long debrief de deux heures, Morton chercha tout de même à rassurer sa stagiaire face à cette montagne d’informations. Il n’y avait aucune raison de paniquer si elle n’avait pas réussi à tout noter, elle s’y retrouverait bien vite, surtout si c’était elle qui était chargée de classer dans l’ordre chronologique (ou dans n’importe quel ordre elle voulait du moment que Gregory s’y retrouvait) les événements. « Je pense avoir saisi le principal, mais il me faudra effectivement un peu de temps pour tout recouper et m’y retrouver. Il y en a beaucoup… » Il ne savait pas si elle jugeait sa façon de procéder, auquel cas cela ne lui plaisait pas. Mais il lui accorda le bénéfice du doute, d’autant plus qu’il venait de la bombarder de renseignements et qu’il lui fallait évidemment le temps d’assimiler le tout. Morton acquiesça simplement d’un hochement de tête avant de lui annoncer sa prochaine tâche. Cela lui permettra de souffler un peu, de reprendre un peu plus le contrôle des choses et de la façon dont il voulait les amener, mais surtout de se renseigner à son tour sur sa stagiaire. « Très bien. Une fois qu’il y aura plus de… clarté dans tout ça, je pourrai vous accompagner ? Durant l’enquête. » Comme il s’en était douté, Hannah était du genre à vouloir être au cœur de l’action, pas à faire un boulot de secrétaire. Mais il fallait qu’elle commence quelque part, et il lui semblait pertinent de lui laisser faire la chronologie afin qu’elle se familiarise réellement avec l’enquête, il n’allait donc pas céder à sa fausse requête, car même si elle n’avait rien demandé explicitement, il se doutait que cette classification ne l’enchantait guère. D’un haussement de sourcil, Gregory continua ce qu’il était en train de dire, lui expliquant qu’elle aurait effectivement une mission plus importante par la suite. Il ne savait tout simplement pas sur quoi elle allait porter, puisqu’il n’avait aucune idée de la branche dont venait mademoiselle Whitemore. « Une mission ? C’est-à-dire ? » Il se racla la gorge, parce qu’il n’avait aucune réponse à lui apporter pour le moment, et se maudît d’avoir oublié qu’il devait la recevoir aujourd’hui. Il aurait habituellement fait en sorte de tenter de la cerner à partir de sa lettre de motivation et de son curriculum avant même de la voir, il aurait eu des préjugés tout faits dont Hannah aurait dû se défaire pour lui prouver qu’elle valait mieux que ce qu’il pensait, et il aurait dans tous les cas eu l’ascendant. Il détestait être dans le flou de cette façon, et il fallait y remédier au plus vite. « Nous parlerons de votre mission un peu plus tard si vous le voulez bien. Je pense que vous avez suffisamment de choses à assimiler pour l’instant, n’est-ce pas mademoiselle Whitemore ? » Avec son n’est-ce pas qui faisait office de tais-toi maintenant, Greg essayait de se redonner un peu de contenance, il cherchait juste un moyen de contourner le problème et les questions de sa stagiaire avant de l’interroger du regard pour qu’elle réponde à sa question sur le mémoire. « Oui j’aurai un compte-rendu à faire sur ce stage, une espèce de rapport sur lequel m’appuyer ensuite pour la fin de mon cursus. De mon côté, c’est l’aspect psychologique qui m’intéresse. » Ah, donc elle était dans la branche de la psychologie. Ce profil l’intéressait particulièrement, lui qui avait passé la plupart de ses journées avec le nez plongé dans tous les bouquins de psycho qu’il trouvait à la grande bibliothèque de l’Hôtel de Ville lors de ses années à Paris. Un sourire apparu sur son visage, il n’avait même pas eu besoin d’avoir à feindre une autre excuse pour contourner le fait qu’il ne savait rien sur le cursus d’Hannah, savoir qu’elle était en psychologie lui suffisait amplement. « Très bien, c’est noté, nous trouverons du temps vous et moi pour pouvoir discuter de tout cela. » Il ne voulait pas s’avancer, mais il était persuadé que mademoiselle Whitemore ferait une bonne stagiaire. « Bien, maintenant que les bases sont posées, je peux vous faire visiter ? » demanda-t-il pour la troisième fois, qui fût la bonne puisque sa stagiaire ne refusa pas. Le tour fût rapide, mais il était tout de même nécessaire qu’Hannah sache où se trouvent les pièces importantes, mais surtout le quartier où elle pourrait trouver des archives et des données exploitées ou à exploiter. « Si vous voulez, vous pouvez prendre votre pause déjeuner dès maintenant. » s’empressa-t-il de lui dire alors qu'ils venaient de retourner dans son bureau. Parce qu’il avait besoin d’un café, de sa clope, et de trouver Phil pour lui demander le CV de sa stagiaire. « Enfin, vous savez ce que vous avez à faire pour la journée, vous vous organisez comme vous voulez, je veux juste que dans une semaine maximum, tout soit rangé dans l’ordre. » Il ne voulait pas la décourager face à la grosse paperasse, et en guise d’encouragement, il ajouta : « Et si vous avez terminé avant, ce sera encore mieux puisque l’on pourra plus vite s’attaquer à votre compte-rendu, et vous consacrer sur l'aspect psychologique que le stage pourra vous apporter. » Le lieutenant fouilla dans ses poches pour s’emparer de son paquet de cigarettes, il sentait que sa dose de nicotine n’avait pas été respectée en cette matinée, et qu’il avait besoin d’enfumer ses poumons comme il avait l’habitude de faire. « N’hésitez pas à vous servir dans la salle de la cafet’ pour ce midi, on se retrouve à 14h dans mon bureau. » finit-il par lâcher alors qu’il se dirigeait vers la sortie.

@Hannah Whitemore

La cigarette fait son effet immédiatement, le lieutenant respire à plein poumons sa dose de toxicité et ses muscles se relâchent un peu. Il déteste être devenu aussi accro au tabac autant qu’il l’est pour la course, les deux lui font un bien fou mais l’un est beaucoup plus sain que l’autre. La présence d’Hannah lui avait suffi pour perdre de sa crédibilité, et il ne supportait pas se montrer aussi faible quand il était au boulot. N’importe où en fait. Gregory est du genre fier, à ne jamais se laisser marcher dessus sans rétorquer plus fort, à toujours faire en sorte d’avoir le dessus et de prouver qu’il parvenait toujours à ses fins. Il termine sa clope plus vite qu’il ne l’aurait voulu, mais se retient d’en allumer une deuxième. Il a au moins le don d’être raisonnable. Quand il le veut. Le fait de ne pas avoir anticipé l’arrivée de sa stagiaire l’avait irrité, et bien que la faute ne pût se reporter que sur lui, c’est avec détermination et remontrance qu’il se pointe dans le bureau de Phil pour l’incendier. « T’aurais pu me prévenir que la stagiaire arrivait ce matin. » Sa voix posée et accusatrice vient expliquer ses sourcils froncés, le ton est lancé, Phil ne pouvait pas faire grand-chose à part s’écraser sur sa chaise. « Je suis désolé, j'y penserais la prochaine fois. » bafouille vaguement Phil. Le lieutenant s'assoit confortablement sur la crainte de ses collègues, et ça le rebooste un peu. « Tu peux me passer son CV et sa lettre de motivation. » Aucune formule de politesse, le Morton est remonté, surtout contre lui-même, d'autant que Phil lui a certainement déjà passé tous ces papiers. Malgré le fait qu’il ne connaisse rien de la petite, il avait tout de même réussi à s’en sortir sans trop de dégât, et il avait certainement fait bonne impression auprès d’elle, mais ce n’était pas suffisant, pas pour lui en tous cas. Phil s’exécute sans broncher, il recherche dans ses mails celui d’Hannah Whitemore, et imprime le tout en s’excusant. « Merci. » Il finit tout de même par remercier son collègue même si l’envie n'est pas là, et repart avec les documents en main en direction de la sortie. Le lieutenant ne pouvait pas retourner dans son bureau maintenant que sa stagiaire avait posé ses affaires et qu’il s’était éclipsé, et c’est donc vers un de ses restaurants préférés qu’il guide ses pas. Il se fume une deuxième clope sur le chemin, sa détermination n’aura pas duré bien longtemps, et c’est autour de 11:20 qu’il arrive, embrassant chaleureusement le gérant qui a l’habitude de le recevoir, au moins une fois par semaine.  Le restaurant n'ouvre pas avant midi pile, mais Gregory patiente avec une bière en terrasse, et en profite pour parcourir le parcours scolaire et professionnel de sa stagiaire, bien plus intéressant que ce qu’il espérait. Il commande, savoure son steak tartare, profite de son café et du soleil pour s’allumer une autre cigarette, et repart finalement en direction des locaux pour arriver à l’heure. Il ne fallait pas non plus abuser de cette longue pause qu’il s’était autorisé, il fallait tout de même reprendre l’affaire en détail pour aborder de nouvelles pistes de recherches. Alors qu’il pousse la porte de son bureau, il retrouve Hannah toute concentrée, et plusieurs piles de documents, un bordel organisé. « Je me suis permise d'aménager un peu l'espace pour commencer. » Un sourire étire ses lippes alors qu’il pose ses fesses sur sa chaise. Il lui avait attribué une semaine pour classer le tout, il pariait maintenant sur le fait qu’elle mettrait moins de trois jours avec cette efficacité. « C’est vous qui gérez, vous faites comme vous le sentez, Hannah. » qu’il lui dit, plongeant lui aussi son nez dans un dossier et l’invitant donc à continuer sa classification. Après ce premier contact et les informations récoltées dans son CV, il n’avait plus aucun doute sur les capacités de la jeune femme. « Pourquoi avez-vous choisi ce stage mademoiselle Whitemore ? » demanda-t-il en relevant les yeux pour la regarder. La question lui brûlait les lèvres depuis qu’il savait qu’elle était d’abord médecin avant d’être cette stagiaire, et bien que son statut ne soit pas remis en cause, il l’a regardait tout de même d'un œil différent. Les médecins sont plus respectés que les simples stagiaires, et Gregory s’était senti un peu démuni face à cette information. Non pas qu’il l’ait prise de haut en pensant qu’elle n’était qu’une étudiante, mais il pensait qu’elle avait le même profil que les stagiaires habituels : des étudiants qui n’ont que peu d’expérience professionnelle. Ce n’était pas le cas d’Hannah malgré son jeune âge, et s’il l’avait su un peu pus tôt, c’est avec plus de respect et de considération qu’il l’aurait accueillie. « Avec votre dossier, vous auriez pu être accepté n’importe où, pourquoi avoir choisi la police ? Cela ne s’éloigne pas de votre projet professionnel ? » Il faisait évidemment confiance à Phil, et si Hannah comptait parmi les stagiaires, c’est qu’elle le méritait et qu’elle avait bien défendu la raison pour laquelle elle voulait ce stage, mais Gregory ne pouvait pas s’empêcher de s’interroger à ce propos.

@Hannah Whitemore

Cette pause méridienne avait permis au lieutenant et de reprendre le contrôle de la situation, de mieux se positionner quant à sa stagiaire et d’anticiper ses attentes. Il n’avait pas été surpris de voir que la jeune femme s’était activement affairée à la tâche, déménageant une partie de la paperasse pour se faire une petite place afin de s’organiser, et rentrant dans son travail avec détermination. En voyant le profil d’Hanna, Gregory pensa immédiatement à l’amener avec lui lorsqu’il interrogerait des suspects, il était certain que le côté psychologique pourrait palier à certaines de ses lacunes bien qu’il en sache déjà beaucoup sur le sujet, et cela pourrait également faire office de matériau empirique pour le document qu’elle devrait rendre à la fin de son stage : ils étaient gagnants tous les deux. Curieux de connaître les motivations de la jeune femme, il l’interrogea sur son choix pour ce stage au sein de la section des sciences comportementales. Ce profil était relativement atypique et peu commun pour un simple stage comme celui-ci, elle aurait pu effectuer son stage dans une clinique où elle y aurait certainement appris plus qu’au poste. « A vrai dire, j’ai un peu été poussée à me diriger vers une voie différente de celle que je me suis choisie depuis un moment. » Le lieutenant releva un sourcil lorsqu’elle annonça que ce n’était pas sa première volonté, qu’elle y avait été "poussée". Serait-ce une façon plus polie de dire qu’elle y a surtout été forcée ? Par qui, et surtout pourquoi ? « Si ça ne tenait qu’à moi, j’aurai plongé les deux pieds dans le premier stage qui m’aurait permis d’évoluer dans le milieu hospitalier. Mais on m’a conseillé de ne pas me fermer toutes les portes et d’évaluer d’autres possibilités. Je ne vous cache pas que j’étais un peu déboussolée à cette idée… » Morton se redressa sur sa chaise en croisant les bras sur son torse. Intrigué bien que sceptique, il attendait que sa stagiaire s’explique un peu plus. Est-ce un choix par dépit ? Si tel était le cas, il risquait de changer de comportement avec elle. La place qu’elle occupe est relativement demandée, et même si elle semblait motivée, elle avait tout de même pris un stage que beaucoup d’autres auraient voulu afin de booster leur CV par exemple, ou tout simplement pour se faire leur propre idée concernant le domaine. « Ensuite, j’ai vu l’engouement des étudiants pour ce stage-ci. Je me suis renseignée, sur vous et sur votre département… Et là je me suis dis que vous aussi vous usiez de la psychologie, à votre manière. J’ai trouvé ça intéressant, alors je me suis lancée… et me voilà. » Elle avait au moins la décence d’être sincère. « En effet, vous pourrez trouver du travail aussi par ici avec votre cursus. Nous n’avons pas encore de psychiatre avéré dans la section, et une personne de cette branche là pourrait grandement nous être utile. J’ai, évidemment vous vous en doutez, de solides connaissances sur tout ce qui touche aux psychopathes et à leur psychologie, mais j’ai surtout énormément appris sur le terrain et il est vrai que de la théorie pourrait nous être grandement utile. » Il avait adopté un ton solennel plutôt que tranchant, après tout elle semblait tout de même intéressée, et il restait persuadé que si elle avait réussi à convaincre Phil, c’est qu’elle méritait sa place, comme n’importe qui. « Vous avez été franche et je vous en remercie. Je vais l’être avec vous également : ce stage est très demandé, vous le savez. Je comprends parfaitement qu’il ne faut pas se fermer de portes comme vous le dites, mais si vous êtes réellement persuadée de finir psychiatre dans un hôpital, je pense que vous n’avez rien à faire ici. » Ce n’est pas qu’il ne voulait pas d’elle, mais c’était leur rendre service à tous les deux en finalité. « Pensez-vous réellement que vous vous rendrez service en restant ici ? Pensez-vous y apprendre des choses qui vous permettront d’avancer dans votre projet personnel ? » finit-il par dire sans accusation. Le lieutenant mâchait rarement ses mots, mais il avait tout de même fait en sorte d’utiliser des formulations qui ne se voulaient pas brutales : le but n’était pas de la faire fuir, mais il fallait qu’elle se pose les bonnes questions. Gregory détestait perdre son temps, elle avait certainement beaucoup à lui apporter, lui-aussi dans un sens, mais si elle était persuadée de ne pas finir dans cette branche, il ne servait strictement à rien d’y effectuer un stage de plusieurs longs mois.

@Hannah Whitemore

Elle m’avait clairement exprimé ses motivations, je ne pouvais que lui rendre la pareille et être honnête avec elle : je ne suis pas sûr qu’elle soit vraiment à sa place ici. Maintenant, si elle pouvait défendre sa position, si elle pouvait argumenter, alors j’étais prêt à l’écouter. Mais de savoir que j’allais peut-être perdre mon temps avec elle alors qu’on aurait aucune chance de pouvoir la voir dans nos rangs un jour, ça ne me rendait pas très enthousiaste à l’idée de la former. Tout le monde peut se montrer curieux, tout le monde pourrait faire des stages simplement pour observer, mais un stage de plusieurs mois comme celui-ci est conséquent, je n’ai pas envie de consacrer mon temps à une étudiante qui est certaine du métier qu’elle souhaite faire et qui n’est pas en lien avec ce que nous faisons ici. « Je dirais simplement que même si c’est la voie que je poursuis depuis le début, ce que l’un de mes professeurs m’a dit au sujet de mon cursus m’a poussée à l’introspection. Alors peut-être que je finirai effectivement psychiatre dans un hôpital, ou peut-être que je découvrirai une nouvelle voie en apprenant à vos côtés. Qui sait de quoi l’avenir sera fait ? » Elle sait s’y prendre avec les mots, elle sait jouer sur les tournures qui porteront en sa faveur, et elle réussit encore une fois à obtenir toute mon attention. « A mon sens, je pense qu’on peut beaucoup s’apporter mutuellement. A commencer par ça… » Elle me montre la pile de dossiers qu’elle avait commencé à trier, et il est vrai que j’aurais bien besoin de quelqu’un pour m’aider à ordonner tout ça. Mais si ce n’était que ça, je pourrais très bien le faire faire par quelqu’un d’autre. Ce travail lui prendra une semaine tout au plus, ce n’est pas le plus gros du boulot. « Le stage dure plusieurs mois. Si vous pensez à un moment donné que vous avez un meilleur candidat que moi, alors libre à vous de le choisir à ma place. Mais ça n’arrivera pas. » Elle a confiance en elle, mademoiselle Whitemore, et au fond, ça me plait. Je déteste les gens imbus d’eux-mêmes, mais Hannah, c’est différent : elle se vend pour sa place ici, elle fait encore une fois ses preuves, comme elle a dû le faire avec Phil, elle sait comment obtenir mon attention, elle sait comment parler pour que les dés soient en sa faveur. « Bien, maintenant que les choses sont claires, vous pouvez retourner au travail. » C’est ma façon de lui dire qu’elle peut rester, je me raccroche au fait qu’elle veuille s’ouvrir d’autres portes et qu’il n’est pas impossible qu’elle finisse dans la section des brigades comportementales. L’après-midi se termine ainsi dans le silence, Hannah continuant son classement tandis que je m’engage sur une nouvelle piste. Vers 19h, il me reste encore un suspect à interroger. Il est dans la salle depuis un peu plus d’une heure, il me reste encore une bonne heure et demi à patienter avant d’aller le voir. 2h45 d’attente, nous avions établi dans l’équipe que c’était ce qui était le plus efficace pour obtenir les informations que l’on souhaitait avoir. Quand je reviens dans mon bureau, mademoiselle Whitemore n’est toujours pas partie, et encore une fois, elle me prouve que c’est une bosseuse. « Je vais me commander un plat avant le prochain interrogatoire, vous comptez rester encore longtemps ? » C’est ma façon de lui proposer de manger avec moi ce soir. Non pas que je veuille manger avec elle, le lien maître de stage/stagiaire doit rester professionnel, mais si elle travaille jusqu’à tard, autant commander pour deux.

@Hannah Whitemore

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