Mais tout à coup des voix se font de plus en plus forte et viennent les sortir de la bulle de tension et de désir.  Et elle ne peut s’empêcher de jeter un regard vers la plage, un groupe de promeneurs approchant de plus en plus. « Merde… » Elle se rend compte qu’ils vont finir par se rendre compte de leur présence dans un instant et sent soudain la panique monter. Et l’alcool n’aidant pas les réflexes, ses mains quittent la peau de Jessian et viennent agripper ses bras les amenant sous l’eau pendant quelques secondes. Ce qui était totalement inutile quand il était évident qu’elles n’allaient pas pouvoir rester éternellement sous l’eau.

Lorsqu’elles sont enfin obligées de venir reprendre l’air, Danika toussote, ayant réussi à boire la tasse. Elles ont juste la tête hors de l’eau, le groupe de promeneurs nocturnes, venant sûrement de la même fête qu’elles, est un peu plus loin et ne semblent pas s’être attardés sur les deux corps féminins qui se trouvaient dans l’eau non loin du rivage. Mais le mal est fait. Le passage sous l’eau a considérablement refroidi sa peau et soudain l’effet de l’alcool lui fait tourner la tête mais pas dans le bon sens.  Un moment de silence, elle semble soudain se rendre compte qu’il y a seulement quelques minutes, elles étaient proches de l’orgasme. Elle regarde Jessian, prise de cours. Elle aimerait soudainement pouvoir revenir à l’instant d’avant où rien n’importait. Mais elle a encore le goût de l’eau salée dans la bouche, l’alcool commence sérieusement à lui retourner l’estomac et soudain tout ce à quoi elle essayait d’échapper lui revient à la gueule, brutalement. Sa voix se fait hésitante, peut-être un peu plus froide qu’elle ne le voudrait. « On devrait y aller. » Elle sait qu’elle s’est reculée, a mis de la distance entre leur corps. Elle s’assure que son maillot de bain est bien mis et n’attend pas la réponse de Jessian, cherchant à s’éloigner soudainement mal à l’aise. Elle essore ses cheveux trempés, essuie le maquillage qui a légèrement coulé de ses yeux et enfile sa robe par-dessus le maillot de bain, celle-ci devenant vite trempée. Soudain l’air frais de la nuit la fait frissonner, elle a l’impression d’avoir pris une touche glacée.  Toute légèreté a disparu, il ne reste plus que la réalité et son corps qu’elle ne contrôle pas encore totalement l’agace à présent. « C’était une mauvaise idée. Je n’aurais pas dû venir ce soir. » La peine revient de plein fouet, mêlée à une culpabilité en se rendant compte qu’elle avait utilisé Jessian pour oublier sa solitude, sa vie où plus rien n’allait. Elle ne savait pas comment revenir en arrière, son bas-ventre encore brulant du plaisir interrompu avant d’avoir pu être satisfait.

L’alcool lui fait tourner la tête, mais plus dans le bon sens. Comme si le passage sous l’eau avait soudain accéléré les choses. La fuite devient inévitable. Elle le sait dès l’instant où les mots quittent ses lèvres, où elle affirme que toute cette nuit avait été une erreur. Une erreur d’avoir laissé Jessian entrer. Une erreur de s’être laissée entraîner dans cette soirée. Une erreur de l’avoir embrassée. Une erreur d’être allée aussi loin dans cet océan où elle avait voulu noyer la peine. Sa bouche est pâteuse, l’alcool commence sérieusement à lui retourner l’estomac.
 « Je refuse de croire ça. »  Elle ne se rend pas compte qu’instinctivement elle a mis plus de distance, se reculant. Jessian n’était pas une inconnue. Pourtant Danika l’avait utilisée avec facilité pour tenter d’oublier la tristesse le temps d’une nuit.  Faisant fi d’années d’amitiés pour le temps d’un soir arrêter le temps. Maintenant que la douche froide était arrivée, que tout son corps sentait soudainement le vent sur sa peau qui frissonnait non plus d’un plaisir brulant mais d’une angoisse déchirante.  

Elle ne pouvait pas reprendre les pas qui avaient franchi la ligne de leur amitié. Elle était soudain perdue, incapable de réagir. Incapable de ne pas chercher à blesser pour se protéger un peu plus, pour qu’on la laisse dans son cocon de solitude.  

« On peut rentrer si tu veux. » Danika est incapable de la regarder dans les yeux, n’assumant plus aucun geste. Elle aimerait pouvoir lui sourire, pouvoir lui dire : viens on retourne danser. Faire comme si de rien n’était.  Mais elle se sent soudain beaucoup trop proche et beaucoup trop loin de son amie. Danika encercle son corps de ses bras, comme si c’était la seule chose qui l’empêchait de s’effondrer. L’alcool n’effaçait plus rien. Soudainement il accentuait la peine, la douleur et tout ce qu’elle avait tenté d’essayer de refouler. Elle essaye de se raccrocher à sa force de caractère, ne parvient qu’à toucher le ton glacial qu’elle maîtrisait si bien lorsqu’elle se renfermait, celui que pourtant elle n’avait que très rarement utilisé avec Jessian, consciente que son amie avait toujours été là pour elle.

« Oui. Je vais rentrer. »  Le je contraste avec le on et elle sait qu’elle vient de tracer une ligne dans le sable entre elles, une barrière qui n’avait jamais été là auparavant, un mur qu’elle érige en quelques instants. Elle n’attend même pas la réponse, sa tête tourne. Elle est déjà en train de reculer, de placer un peu plus de distance. Elle ne la regarde toujours pas dans les yeux. Danika avait beau prétendre être courageuse, elle fuyait souvent dès qu’une situation devenait difficile. Comme s’il n’y avait jamais eu d’entre deux. Soit elle se jetait corps et âme dans un combat, soit elle fuyait sans demander son reste. Et quand il s’agissait de sa tristesse, des émotions qu’elle n’assumait pas, des erreurs commises qui auraient pu être facilement pardonnées si elle avait essayé de parler,  la fuite était souvent inévitable. Danika était plus douée à laisser son corps parler qu’à laisser les mots franchir ses lèvres, elle qui avait toujours été plus à l’aise sur le tatami qu’ailleurs. Alors sans un mot sans un au revoir, elle laisse la jeune femme plantée sur la plage.

Elle ne se met pas à courir de peur de s’étaler dans le sable, sa tête lui tournant de plus en plus, mais cela a le même effet. Elle quitte la plage sans demander son reste, ne remet ses chaussures qu’une fois arrivée sur la digue, hélant un taxi qui passait par là, attendant sans doute ceux qui avaient fait la fête toute la nuit.

Lorsqu’elle arrive enfin chez elle, son premier réflexe est de passer la tête sous l’eau, tentant de calmer son cœur qui battait à la chamade, l’angoisse qui serrait ses entrailles et l’alcool qui lui avait retourné l’estomac. Non décidément, ouvrir la porte de cet appartement avait été une mauvaise idée. Elle n’avait aucune idée de comment la soirée avait pris une telle tournure. Et le souvenir des doigts de Jessian sur sa peau ne lui facilitait pas la tâche.