Un pas en avant. Des bras qui bougent en un éclair pour arriver dans une position de défense. Un demi-mouvement, le corps tourne avec lenteur. Le contrôle se perd, le mouvement devient moins fluide, elle perd le rythme. « Danika concentre toi ! » La voix de son père claque, intransigeante. Elle serre les dents. Elle sait parfaitement que cela fait des semaines que sa concentration est en berne. Que la qualité de ses katas en pâtît, qu’elle n’est pas dedans. Elle ne sait pas combien de fois elle a répété le mouvement. Son père soupire, sa voix se fait plus douce, il redevient père avant d’être entraîneur. « Dani si tu t’es pas dedans ça ne sert à rien.  Sors. Va voir tes amies, change-toi les idées. Reviens au dojo quand tu seras prête. » Elle veut protester, dire qu’elle vient à peine d’arriver, elle qui passait des journées entières à entraîner son corps, à le préparer aux compétitions auxquelles elle participait. Mais le regard de son père l’en empêche, il n’appelle pas de contestation. Alors elle soupire et se décide à aller prendre une douche. Alors qu’elle se rend dans le bureau de son père, surplombant le dojo elle le trouve assis en train de remplir des papiers. Il a l’air fatigué.  Il lui demande ce qu’elle a prévu pour le reste de sa journée. « Je passe la soirée avec Jessian et Helena, on va au parc d’attractions. » Son père semble réfléchir. « Helena c’est la petite amie de Keith maintenant non ? » La question est innocente mais lui fait serrer les dents. Le fait que son père garde encore et toujours contact avec Keith avait tendance à la mettre hors d’elle, surtout quand elle n’avait plus aucun de contact avec lui et prenait la peine de l’ignorer à chaque fois qu’il mettait les pieds au dojo, ce qui devenu très rare heureusement. Elle ne prend pas la peine de répondre, vient embrasser la joue de l’homme et choisit de prendre la fuite pour éviter cette conversation.

Ses affaires posées chez elle, elle avait pris les transports en commun pour arriver au parc d’attraction. Elle était apparemment la première arrivée. Son regard cherchait la foule à la recherche de visages familiers. Dire qu’elle n’avait aucune envie d’être là était l’euphémisme de l’année. Elle n’avait aucune envie de voir Helena. Mais évidemment la jeune femme fut la première à arriver et elle sentit ses muscles se contracter sous la tension lorsque celle-ci la serra dans ses bras après lui avoir fait la bise. Heureusement elle n’eut pas le temps de répondre à la flopée de questions qui lui étaient tombées dessus que déjà Helena était au téléphone avec Jessian. Danika sentit immédiatement que ce coup de téléphone mettait fin à l’espoir de passer une bonne soirée. Jessian était la seule chose qui aurait permis de rendre la soirée supportable, elle aurait eu plus de facilités à prétendre que tout allait bien alors. « Morgane est malade. Jessian va rester avec elle ce soir, elle ne veut pas la laisser avec une baby-sitter alors qu’elle n’est pas bien.» Danika grimace.« Tu veux commencer par quoi du coup ? Je ferai bien un manège à sensation avant qu’on mange, histoire qu’on ait encore le ventre vide !»

Danika ne peut s’empêcher de regarder en arrière, vers la sortie, loin d’une soirée seule avec Helena. « Si tu veux on peut annuler… » Elle s’en veut immédiatement de dire ça en observant le visage de la jeune femme. Cela faisait des semaines qu’elle était de plus en plus distante sans raison apparente et Helena ne devait pas comprendre ce qu’elle avait fait de mal. « Non tu sais quoi c’est pas grave. Allez un manège à sensation ça sera bien tu as raison. » Elle était ridicule.  Elle se force à prendre un air enjoué qui sonne faux elle qui avait toujours eu un sourire trop lumineux pour être feint. « Le dojo ça va, mon père m’a virée de l’entraînement aujourd’hui parce que je n’étais pas assez concentrée. » Elle se force à agir comme elle aurait dû agir en temps normal, avant tout ça. « Ca fait un moment qu’on ne s’est pas vu, ça va toi ? » Prétendre que tout allait bien encore un autre grand talent. Les deux femmes marchent dans le parc d’attraction, Danika pointe un premier manège, un manège où tout le monde était assis sur une même ligne, l’attraction faisant des rotations sur lui-même et montant très haut pour redescendre tout aussi rapidement. « Celui là ça te va ? » Elle est distante elle le sait, mais elle essaie de faire bonne figure, de garder un minimum les apparences.  

Danika voit son visage se décomposer, sent immédiatement la culpabilité lui retourner l’estomac.  Elle ne comprenait pas comment elle en était arrivée là. Helena n’avait rien fait, ne méritait absolument pas comme Dani la traitait. Pourtant elle était incapable de voir cette soirée d’un bon œil, comme si chaque parole qu’elle adressait à la jeune femme était devenue forcée, comme si soudainement la conversation était difficile. « Ha, toujours aussi exigeant, le paternel ! Surtout avec toi.
Mais … pourquoi est-ce que tu étais distraite ? Tu as des soucis en ce moment ? »

Elle détourne le regard, hausse les épaules, se force à sourire. « Non, non rien de spécial. Sûrement le stresse de ma prochaine compétition. » Un mensonge. Sa distraction n’avait rien à voir avec le karaté et tout à voir avec la femme en face d’elle.  Elle préfère changer le sujet, se concentrer sur la vie d’Helena, lui demander de ses nouvelles en priant pour qu’elle ne parle pas de Keith. Mais heureusement la brune commence à parler de l’association, et Danika se détend. « J’en déduis que les bars ne te manquent pas ? »  Le ton est un peu moins chaud qu’habituellement mais elle fait un effort pour essayer de combler le fossé qui semble les séparer. Peut-être que finalement la soirée allait bien se passer ? Peut-être que leur relation allait s’améliorer ?  L’espoir disparait vite quand Helena reprend la parole.

« Et avec Keith, ça se passe bien … Tu sais à quel point Auden m’a brisé le cœur en m’abandonnant comme une vieille chaussette après 4 ans de relation … J’ai eu du mal à remonter la pente … Peut-être que Keith peut m’aider à passer outre, à reprendre confiance à moi, à me faire redécouvrir les relations amoureuses plus … conventionnelles, et moins destructrices, en tout cas.  Bref, je suis bien avec lui. J’espère que ça durera. »

Dès que le nom a été prononcé, son visage se ferme, elle détourne le regard. Elle ne voulait pas entendre parler de Keith. Rien que d’imaginer Helena dans ses bras lui retourne l’estomac.  Elle ne comprend pas pourquoi. Cela faisait quatre ans qu’ils ne se parlaient plus. Elle aurait dû être heureuse pour Helena, heureuse pour Keith également, tout semblait allait parfaitement bien pour eux. Pourtant elle n’avait qu’une envie actuellement et c’était de planter ses ongles dans le visage parfait de son amie à chaque fois qu’elle mentionnait à quel point elle était bien avec lui.

« Moi aussi j’espère que ça durera. » La voix est trop aigue, le ton est trop léger et laisse transparaître un peu trop de mépris.

Elle propose une attraction, ce qui permet de changer le sujet.   « Avec plaisir, tu sais que j’aime toutes les attractions de toute façon ! J’espère que tu as l’estomac bien accroché ! »

Danika se force à sourire de nouveau : « Toujours Horowitz ! » Un air de défi. Un instant de normalité, où le sourire semble sincère cette fois-ci. Elle sent la culpabilité lui retourner l’estomac. Helena ne méritait pas ça. Danika ne comprenait pas ses réactions, ne les contrôlait pas. Le manège offre un moment de répit. Les deux femmes s’installent. Elle rit quand le manège démarre et qu’elles se retrouvent propulsées dans les airs bien attachées à leur siège. Pendant un instant elle a l’impression de retrouver leurs soirées habituelles. Lorsqu’un peu plus tard elles descendent du manège, Danika lui lance un peu moqueuse, comme elle l’était souvent avec ses amis « Ca va la tête toujours sur les épaules ? » Elle cherchait à retrouver la normalité de leur relation mais ne savait pas comment faire, sa relation avec Keith l’obsédant. « Comment tu peux être sûre que Keith est pas juste comme Auden ? »  

Elle avait envie de se frapper mentalement. Pourquoi retourner sur un sujet quand elle connaissait déjà la réponse ? Keith ne ressemblait en rien à Auden. Parce qu’elle connaissait Keith par cœur. Du moins, elle connaissait l’homme qu’il avait été.  Mais après tout, lui aussi l’avait jetée comme une vieille chaussette après la nuit fatidique qui les avait séparés et elle n’avait jamais cherché à le faire revenir. Mais ça Helena ne le savait pas et elle n’avait aucune intention de lui dire, ayant gardé la nuit secrète au fond de son égo en miettes. « Parce que bon, Auden semblait aussi parfait au départ. » Et on ne peut pas dire que son amie avait beaucoup d’instinct quand il s’agissait des hommes, elle avait toujours un talent certain pour trouver les mauvais garçons au grand malheur de Jessian et de Danika. Du moins, jusqu’à Keith.  Elle ne se rendait pas vraiment compte que ses paroles auraient pu être considérées comme blessantes, critiquant presque ouvertement les choix de Helena. Mais elle était trop concentrée à essayer de garder un visage neutre pour ça. Elle passe devant un stand de tirs à carabine, où les gens tirent dans des ballons pour obtenir des prix. L’envie de libérer la tension qu’elle sent lentement monter en elle la pousse à pointer du doigt le stand : « On voit qui gagne le plus gros prix ? »

Elle ne savait plus comment agir avec Helena. Dès le moment où elle avait su pour Keith et elle, c’était comme si son amie lui avait planté un couteau dans le dos. Ce qui était complètement stupide, parce que Helena ne connaissait rien de son passé avec Keith, que Dani n’avait plus de contact avec l’homme qui avait été un de ses plus proches amis depuis sa naissance et que ni Keith ni Helena ne connaissaient les sentiments qui avaient été ceux de Danika. Son amie ne l’avait donc pas trahie, pourtant c’était ainsi qu’elle le ressentait.

« Toi, stressée ? Tu vas tous les exploser, comme d’habitude ! C’est quand cette compét’ ? Je pourrais ptet venir t’encourager ! Je vais en parler à Jessian, je suis certaine qu’on peut fabriquer une banderole qui te fera honte ! »

Danika roule les yeux. N’est pas capable de cacher son agacement. Ne le contrôle pas. « Pas la peine t’inquiète. » Elle avait l’impression de voir se creuser le fausser entre elle de jours en jours et plus elle était heureuse, plus Danika s’en agaçait sans aucune raison.

Il fallait qu’elle se contrôle, qu’elle se détende. Heureusement Helena parlait facilement et le sujet du bar au moins n’était pas épineux.  L’entendre parler de le passé professionnel commun eut au moins le mérite de lui arracher un sourire.  Étrangement cela manquait aussi à Danika. Cela avait été l’époque simple où les deux femmes avaient appris à se connaître, se découvrant, construisant leur amitié. Cela lui semblait bien loin maintenant. « Je te comprends, je suis contente pour toi en tous cas, ça a l’air de vraiment te plaire ce nouveau boulot ! » Elle essayait tant bien que mal de faire bonne figure, mais on n’allait pas se mentir une partie d’elle ne pouvait s’empêcher de se dire que peut être que si elle n’avait jamais arrêté de bosser dans les bars, elle n’aurait jamais rencontré Keith et que leur amitié ne serait pas en train de s’étioler.

Le manège permet au moins une trêve qui permet à Danika d’essayer de se convaincre que Helena n’y est pour rien et qu’elle n’a pas à lui en vouloir.  Quand Helena lui demande si elle n’est pas trop barbouillée, elle sourit. « Non ça va, mais t’as raison ça ne serait pas passé si on avait mangé ! »

Elle n’aurait pas dû ramener le sujet de sa relation avec Keith sur le tapis, elle le sait.  Elle voit les yeux de son amie s’écarquiller, blessée par sa remarque et par la mention d’Auden.Elle aimerait ravaler les mots, arrêter d’être aussi blessante mais elle en est incapable. Comme une machine bien huilée elle fonce vers la chute libre et en est tout à fait consciente.

« Comment est-ce que tu peux dire ça … ? Je sais que j’ai souvent manqué de jugement en matière d’hommes, mais c’est bas, Danika … Auden était si … Tu ne dirais pas ça si tu connaissais Keith. Lui veut s’engager, il est droit, sérieux, et sait tout simplement ce qu’il veut. C’est le contraire d’Auden …
»

Les mots raisonnent, elle aimerait pouvoir dire qu’ils ne lui font rien. Mais Danika savait qu’elle avait raison. Keith était à l’opposé d’Auden.  Elle ne savait pas ce qui la blessait plus. Entendre Helena dire qu’elle ne connaissait pas Keith quand elle avait connu chacun de ses sourires, chacun de ses gestes, qu’elle avait toujours lu en lui comme dans un livre ouvert, qu’ils avaient été liés par une amitié sans faille, brisée par une nuit de trop. Ou alors savoir que sans doute elle avait raison, elle ne le connaissait pas, car elle ne le connaissait plus. Et peut-être que l’homme d’aujourd’hui était prêt à s’engager, à aimer la magnifique femme qu’était Helena. Peut être simplement, que c’était avec elle qu’il n’avait pas voulu s’engager et c’était pour ça qu’il l’avait fuis, qu’elle n’avait jamais été assez pour lui faire oublier Andréa.

Elle pourrait faire le choix de ne rien répondre, de laisser couler, de parler d’autre chose, du dernier film qu’elle avait vu au cinéma, de la dernière soirée qu’elles avaient faite ensemble quand leur amitié n’était pas hantée par cette distance et cette jalousie maladive qui rendait Danika bien plus glaciale qu’en temps normal.  Le stand de tir offre un défouloir que Helena semble accueillir avec le même besoin qu’elle.

« Parce que tu crois vraiment avoir une chance, Danika ? »

Danika avait un esprit de compétition parfois un peu trop présent. Il l’était encore plus aujourd’hui face à Helena « Évidement. » Le sourire est un peu trop crispé, le ton un peu trop sec comme si elle était incapable d’être naturelle, elle paie leurs tickets pour la partie de tirs. Si lorsqu’elle tire avec la carabine, le premier coup trouve sa cible, ses pensées par la suite la ramènent inévitablement à Keith.

« Tu sais toi non plus tu ne le connais pas.  Ca fait combien de temps que tu sors avec maintenant ?  Moi je cherche juste à te protéger Helena,  tu es sûre que ce n’est pas un énième type que t’as envie de réparer et avec qui ça ne donnera jamais rien ? Tu penses que c’est le bon ? »

Des mensonges toujours. Des questions dont elle ne veut pas connaître la réponse aussi.

Elle n’est pas sûre que les laisser avec une carabine dans les mains était la meilleure des idées.  Pas quand la conversation était en train de déraper. Pas quand Danika était en train de perdre pieds et aggravait la situation à chaque mot prononcé. Elle tire et manque sa cible pendant qu’Helena parle. Elle avait raison bien sûr.   Cela aurait été n’importe qui d’autre, elle l’aurait encouragée vers un nouvel homme qui aurait pu lui faire oublier Auden. Mais cet homme-là, cela l’insupportait. Danika se rendait bien compte qu’Helena était blessée, mais elle était incapable de faire un pas en arrière, de s’excuser, de retrouver leur complicité.

« Et ne me dis pas que tu te comportes comme une amie et que tu veux me protéger … Une amie m’encouragerait à oublier Auden. Une amie me rassurerait, m’aiderait à reprendre confiance en moi. Une amie ne critiquerait pas mes choix, sans même connaître cet homme …
Et si j’en avais besoin, si j’avais encore le cœur brisé, alors mon amie serait là à ce moment-là … »

Danika grimace, détourne le regard, se concentrant sur le jeu et enfin arrive à viser juste, concentrant sa colère sur la cible.

« Qu’est-ce que je t’ai fait Danika ? Qu’est-ce qui ne va pas ? »

L’envie de fuir est là, violente, prenant toute la place. Danika pourtant a toujours les pieds ancrés dans le sol, elle reste un instant silencieuse, observant les yeux tristes de son amie, la carabine sur le rebord du stand, la fin du jeu. Elle pourrait être honnête alors. Elle pourrait enfin lui avouer qui était Keith pour elle. Ce qu’il représentait. Lui expliquer pourquoi elle vivait si mal le fait qu’ils soient ensemble. Mais pour cela il aurait fallu qu’elle admette enfin les sentiments qu’elle avait pour cet homme à qui elle avait été liée dès la naissance. Il aurait fallu admettre à voix haute que malgré l’absence, malgré la fin de leur amitié, les sentiments eux étaient toujours là. Et ça, Danika n’en était pas capable. Elle avait trop d’égo. Elle préférait prétendre que Keith Weddington n’avait plus aucune emprise sur elle, que son absence n’était pas une plaie béante dans un cœur, qu’il n’était plus rien, que cela n’avait aucune importance. Que rien ne lui manquait, ni leurs combats perpétuels, ni leurs défis, ni sa main dans la sienne, la manière dont il prononçait son nom, les baisers qu’il déposait sur son front. Keith lui avait fait comprendre il y a longtemps qu’il n’en avait rien à faire d’elle, que leur amitié n’avait pas été assez importante pour passer au-dessus de cette nuit qui les avaient séparés. Admettre ses sentiments, c’était admettre qu’elle avait perdu, qu’il l’avait rendu fragile, dépendante de sa présence, trop attachée à ce qu’il avait représenté. Elle n’en était pas capable. Alors son regard se fait fuyant, elle a fait un pas en arrière et envisage déjà de partir.  Mais là où la fuite est facile, elle réalise que la colère et la mauvaise foi l’est tout autant. Cela faisait un moment que son comportement n’avait plus rien de raisonnable.   Aussi son visage devient glacial, comme un réflexe d’autodéfense.

« Je vois pas de quoi tu parles. Ca va très bien. J’ai aucun problème avec toi. » Danika repense à ce qu’elle lui a dit sur Auden, au comportement qu’elle aurait dû adopter en tant qu’amie.  Et décide de faire l’exact opposé.

« Qu’est ce que tu t’es en train de me dire là ? Que t’as encore le cœur brisé d’Auden ? Crois moi je t’encourage à l’oublier. Parce que sérieux, il serait peut-être temps de passer à autre chose non ?  Ca commence à devenir pathétique. » Danika ne se rendait même pas compte de l’ironie en prononçant ses mots elle qui n’était toujours pas passé autre chose non plus. Elle est prisonnière de sa colère, de sa jalousie, s’accroche maladivement aux défauts de la jeune femme pour la faire souffrir.

« Tu dis que je n’essaye pas de te protéger mais en même temps, t’es tellement naïve Helena, que je sais plus quoi faire pour te protéger. » Sa voix raisonne de cette colère froide et tranchante qui la caractérisait. Elle sait qu’elle va trop loin mais est incapable de s’arrêter. Une dispute était un combat de plus et elle n’était pas prête à le perdre.

« Et si tu veux tout savoir je connaissais Keith. Il y a longtemps. Nos pères étaient amis. » Un demi mensonge. Réduire sa relation avec Keith à l’amitié entre leurs pères respectifs était peu crédible pour des gens qui les avaient connu. Mais ce n’était pas le cas d’Helena. C’est pourquoi elle choisit de s’enfoncer dans le mensonge, comme dans l’espoir de la dissuader. « Et s’il n'a pas changé, il est clairement pas fait pour toi. »

Danika se prétendait d’une loyauté sans failles. C’était une valeur qui avait été ancrée en elle depuis longtemps. Pourtant alors qu’elle utilisait toutes les faiblesses d’Helena pour la blesser, elle était à l’opposé de tout ce qu’elle prétendait être. Il n’y avait plus rien de loyal dans la colère, dans les paroles aussi glaciales que cruelles. Il n’y avait plus que la jalousie maladive, les regrets aussi sûrement et cette colère qu’elle ne pouvait pas manifester contre Keith et qui avait trouvé sa cible sur la jeune femme. Cette jeune femme qui ne comprenait pas comment elles en étaient arrivées là.

Son esprit avait beau lui crier qu’elle était en train de faire une belle connerie, que leur amitié était en train de s’effilocher à vue d’œil, il était trop tard elle le savait. Elle se laissait dominer par ses émotions, son regard ignorant le visage choqué, les sourcils froncés, la trahison qui se lisait dans son regard. Le monde continuait autour d’elle, la musique des manèges lui semblait devenir assourdissantes pendant que ses mots continuaient de se planter dans la peau d’Helena comme des lames de couteaux.

« Vous vous connaissez ? Pourquoi tu ne m’as rien dit ? »

Elle avait fait l’erreur d’admettre qu’elle connaissait Keith et le regrettait déjà. Que pouvait-elle dire maintenant. Il n’y avait rien à dire, ils ne se connaissaient plus, Danika n’avait rien à expliquer, aucune justification de son comportement. Elle ne voulait pas que la jeune femme mette le doigt sur cette jalousie, sur cet amour brisé. Danika n’était pas prête à l’admettre, à poser les mots sur sa relation brisée avec Keith et sur le bouc émissaire qu’était devenue Helena depuis un mois et demi. Elle ne détourne pas le regard, sa voix se fait nonchalante, comme si ce n’était pas important : « Parce que ça n’a aucun intérêt, on se connait plus depuis des années. C’est comme un inconnu, je n’avais pas de raisons de te le dire. » Pas de raisons à part lui demander de ne pas sortir avec lui. Ce qu’elle n’avait aucun droit de faire et ce que pourtant Helena aurait fait car elle était loyale et n’aurait pas voulu blesser son amie. Mais Danika était bien trop fière pour admettre qu’elle voulait que cette relation s’arrête. C’était bien plus simple de s’accrocher aux défauts de la jeune femme pour la blesser et la repousser. Les larmes qu’elle voit couler sur son visage lui confirme qu’elle a gagné. Gagné quoi ? Une amitié en miette, une déception de plus ? Sa mâchoire se serre pourtant elle ne s’excuse pas, n’essaye pas de revenir en arrière.

« Tu as dit que tu ne savais plus quoi faire pour me protéger ? He bien tu vas être contente, je te libère de cette obligation … »

Helena part et Danika n’essaye pas de le rattraper. Son bras ne se tend pas pour empêcher son départ, elle reste figée à la regarder disparaître dans la foule. Il n’y a plus rien à dire. Elle ne cherchera pas à s’excuser, est déjà trop heureuse de la distance qui vient d’être créée, se réjouit déjà de ne plus entendre le nom de Keith prononcé une fois de plus. Les regrets viendront plus tard. Pour l’instant, elle se contente de déverser le reste de sa colère sur la cible avec sa carabine, ignorant le regard interrogateur du forain qui a pu observer toute la scène. « Un tour de plus si vous plait. » Son visage est fermé et elle tend la monnaie sans rien dire, ignorant l’amitié qu’elle laisse de côté ce soir, oubliant sa loyauté.