Après lui avoir demandé si à défaut d'emmener Liberty à la sortie scolaire River pouvait le déposer à la crèche, Liam avait quitté la maison plus tôt qu'à l'habitude. Elle ne s'en inquiétait pas plus que de raison, d'une part il était en jogging et elle savait combien la course pouvait le détendre, d'autre part il avait déposé un baiser sur sa joue pour la remercier. Cours autant que tu veux. Se surprit-elle à penser, espérant qu'à force d'expulser des toxines son mari finirait par expulser sa frustration. Jetant un œil à sa montre après avoir appliqué de la crème sur ses mains, la jeune femme s'activa. Tu as fini mon ange ? dit-elle à son fils, précédée du claquement de ses talons sur le sol de la cuisine. Liberty, hochant la tête comme signe d'approbation, entreprit de débarrasser son bol, avec l'adresse d'un bambin, quand River le prit dans ses bras. T'inquiète pas mon chou, maman s'en occupera mais là, maman est pressée. Sur ces mots elle emmenait le petit garçon se brosser les dents avant d'ajouter les seuls vêtements que son père ne lui avait pas enfilés : un manteau et les chaussures. Après plusieurs allers-retours dans diverses pièces de la maison, la brune enfila enfin son manteau noir, par dessus une tenue sobre et déjà peu colorée, attrapa son sac, ses clefs de voiture et enfin, son fils, avant de quitter la demeure familiale.
Sur la route, elle avait fait mine d'écouter les informations durant le court trajet qui la menait à la crèche, son passage dans l'établissement fût si rapide qu'une fois retournée dans sa voiture elle ne savait plus si, lorsqu'elle avait répondu que "finalement ce serait Liam qui s'en chargerait", la puéricultrice lui avait bel et bien demandé qui serait présent en accompagnant pour la visite de la ferme cet après-midi. Le mal étant fait, pressée par un boulot qui n'avait rien de bien excitant, River décida de mettre de côté sa maladresse et se décida à écouter la bande originale de The Crow en même temps qu'elle décidait de se faire une clope pour reprendre la route.


Après s'être garée et avoir jeté un coup d’œil prolongé aux alentours, la brune regretta de n'avoir pas plus poussé ses recherches, parce que le cadre provoquait plusieurs impressions différentes en elle et River regrettait de ne pas être encore capable de trancher parmi les multiples opinions qu'elle venait de se faire. Si l'on imagine souvent les investisseurs dans l'immobilier comme des personnes riches voire bling-bling, elle était très au courant que sous certaines apparences de simplicité faussement bohème certaines personnes préférait tout de même faire travailler leur argent.
Une fois entrée dans le restaurant, sans s'annoncer particulièrement, toujours encline à s'imprégner des lieux plutôt qu'à foncer dans le mur, elle estima que ce restaurant devait sans doute être né avant l'actuelle passion du gérant pour l'immobilier. Trop peu hipster pour être un nouvel établissement payé grâce à l'argent placé, pas si rempli pour être la recette du succès financier de ce Mister Strange, River fronça un peu plus les sourcils. Ok, peut-être que sa curiosité était piquée après tout.
Pendant qu'elle réfléchissait à tout cela plantée devant le bar sans rien dire ou faire, oubliant la bienséance qui voulait que l'on retire ses lunettes de soleil avant d'entrer dans un commerce, la serveuse présente lui demanda si elle était venue prendre un brunch. Un coca et un café s'il vous plaît. Ah, et, Monsieur Strange aussi.


Maintenant assise à une banquette devant sa commande digne d'un régime "liquide uniquement", River note ses précédentes pensées dans son laptop qui ne la quittait jamais, décidant de ne pas perdre de temps malgré l'absence du principal intéressé. Un comble. Lorsqu'elle considérait une affaire réellement sérieuse elle poussait le vice à copier en digital et en manuscrit ses notes, mais pour le coup la jeune femme se sentait prête à parier que sans doute rien de grave n'arriverait à son matériel, et que si c'était le cas, il ne suffisait qu'à revenir prendre un réel brunch dans le restaurant. Sa démarche actuelle n'était pas digne de son professionnalisme habituel, peut-être que pour une fois sa vie privée entachait sur son travail. Une première.

Moi-même. répond-t-elle instantanément lorsqu'elle entend son nom la tirer de son attentes. Relevant la tête vers celui qui l'interpellait, la journaliste enlève enfin ses lunettes. Se lever, se serrer la main, trop peu pour elle. En principe, les interviews ne représentaient en rien son domaine d'expertise, et elle avait insisté auprès de Gary (ou plutôt imposé) que si elle prenait ce sujet elle le ferait à sa manière. Peut-être qu'elle n'avait pas envie de livrer l'entretien "de star" d'un homme au fond tout-à-fait lambda, si cela pouvait représenter moins d'investissement de sa part à elle, la démarche en elle-même la dérangeait. Vous êtes excusé, j'ai eu le temps de goûter votre délicieux Coca-Cola et votre Americano. dit-elle sans sourciller bien qu'un peu malicieuse. Est-ce là le secret de la fortune ? Finie l'injonction à se lever tôt pour posséder notre destin ? elle sourit. Ça m'intéresse, ça changerait des histoires habituelles. fit-elle enfin, observant les alentours qui l'interpellent alors. Était-ce une bonne idée de se laisser aller au naturel alors que l'homme en face de lui croyait peut-être avoir réalisé le rêve américain à Brisbane ? River se redresse alors, et, joignant ses mains, décide de reprendre un peu de sérieux. Ne vous inquiétez pas, ce ne sera pas dans l'interview. Ça n'en n'est pas une à vrai dire, enfin, pas dans les termes dans lesquels on l'entend habituellement.

Je voulais goûter quelque chose d'Américain. répond-t-elle, souriante, avant de retourner son attention sur la bouteille en verre traditionnelle du soda, la faire brièvement rouler entre ses doigts et poser à nouveau son attention sur Mitchell Strange. Penchant la tête sur le côté, River est interpellée. Je pensais que tout homme d'affaire respectable se levait en même temps que la Bourse. Je suis déçue. Elle sourit, ses petites vannes étaient un comble pour elle qui n'était ni du matin ni du soir, ou plutôt des deux. Elle se levait pour aller au travail, ou par obligation familiale, mais elle préférait absolument le soir. Quand c'était ses obsessions qui la motivaient, elle pouvait se passer du sommeil et ainsi jour et nuit étaient finalement semblables, chacun ayant juste un ordre de passage défini. Quand c'était des obligations elle n'avait aucune fantaisie ou mérite à se lever à l'heure, bien que l'attitude du gérant lui faisait presque regretter son professionnalisme. Si il ne jugeait pas cet entretien assez important pour s'imposer dix réveils différents, pourquoi devait-elle ?

Fixant l'Américain alors qu'il s'installait, River avait de moins en moins la sensation d'être venue pour travailler. Si elle doutait que le papier qu'elle tirerait de cette rencontre valait la confrontation qu'elle avait eut avec Liam quelques jours auparavant, elle était au moins satisfaite de ne pas s'ennuyer comme un rat mort. C'est précisément à ce dicton que je faisais allusion. sur ces mots, la brune baisse légèrement la tête, l'air de rien, avant d'ajouter : On est bien d'accord. Malgré les remarques qu'elle s'était permise, les dictons et les injonctions sociales n'étaient pas sa came non plus.

Plus ou moins. Si Gary lui avait offert, non, imposé, le sujet comme étant un état des lieux des affaires immobilières de Monsieur Strange, River avait envie d'au moins y trouver quelque chose moins barbant à raconter. Le but n'étant pas de rédiger le mode d'emploi en investissement immobilier, la jeune femme espérait être surprise.
Il semblait humble, à sa manière, à se dédouaner de ne pas être habitué à ce genre de rendez-vous, il ne semblait pas prêt du tout à vrai dire, et ça jouait en sa faveur. Strange lui semblait loin du cliché bobo comme du cliché de l'homme d'affaire aux réponses toute faites. Peut-être qu'au moins, à défaut de pondre un article qui la passionnait, River pourrait en tirer de l'authenticité. Cette corvée pourrait ainsi la ramener à son amour originel pour le conte.
A la vibration du téléphone de son interlocuteur, River fronça elle aussi les sourcils.



Son visage se referme alors.

Non je ne couvre pas ce genre de sujets habituellement. Il y a des gens pour lire le fait-divers sinistre d'une vieille dame donnée en pâture aux chiens comme il y a des gens pour lire qu'un voisin qu'ils n'ont jamais vus a gagné 500 dollars au Loto, n'ayez crainte, quelqu'un lira. Elle se redresse et ferme son laptop avant de sortir son dictaphone et de le poser sur la table. Je compte sur vous pour éviter le téléphone le temps de notre entretien. Sans attendre de réponse particulière River sort son carnet, étrangement décidée à aborder la rencontre différemment. J'ai en effets quelques questions pour vous, mais elles seront assez basiques pour le moment. Quand et pourquoi avez-vous ouvert votre restaurant ?

Nouvelle version : un Américain prétentieux a des plans magiques pour faire fructifier son argent. Cette idée l'amusait intérieurement, elle lui était venue en même temps que le "ma jolie" qui l'avait faite virtuellement grincer des dents et que la mention de son sujet vis-à-vis de sa capacité à chercher là où personne ne cherche. C'était aisé pour elle de se moquer intérieurement, mais c'était superficiel. Cette artificialité était la raison principale pour laquelle River n'avait jamais vraiment aimé les interviews et la communication, chacun, elle y comprit, cherche naturellement à se présenter sous ce que l'on considère comme son "meilleur jour". Certaines personnes jouent la carte de la fausse modestie afin de récolter des louanges quand d'autres posent leur assurance sur la table (pour ne pas dire autre chose) afin de ne pas perdre la face. River cherchait la vérité, l'authenticité, dans tout ses aspects et surtout les plus sales. C'est pourquoi elle ne pouvait pas en vouloir à son hôte pour la confiance qu'il semblait avoir en lui. Vous seriez obligés d'aller aux fourneaux ? S'amuse-t-elle à lui répondre alors lorsqu'il lui révèle un autre de ses talents. A quel moment avez-vous décidé de viser plus grand et quel a été le déclic ? Si le restaurant était comme un cadeau à votre frère, l'immobilier était le vôtre ? Depuis le début ? L'idée qu'un propriétaire de restaurant se décide à placer son argent dans l'immobilier n'était en soi pas saugrenue. Personne, à moins d'être rentier, ne se levait un beau matin avec la ferme intention d'acheter plusieurs immeubles pour le plaisir. Certes, River n'avait pas poussé les recherches, préférant se laisser surprendre, mais il était nécessaire qu'elle ait quelques questions pertinentes à poser. Vous dîtes que le restaurant ne vous suffisez pas, était-ce l'argent qui manquait ? Comment on part de la gestion d'un petit restaurant à l'entrée dans le classement des nouveaux investisseurs "à suivre" ? S'adossant au dossier de sa banquette la journaliste se surprit à longuement détailler le physique de son interlocuteur. Vous avez l'air tout à fait banal. Personne ne prendrait cette phrase comme un compliment, mais River ne la disait pas en tant qu'injure. En réalité, ça lui avait presque échappé. Si Mitchell Strange pouvait presque se ranger dans la catégorie des "grands égos" d'apparence, il n'en n'avait pas l'habit. Il lui paraissait évident que l'homme assis en face d'elle n'était pas le genre à être né avec des privilèges (ceux de son ethnie et son genre mis à part). Il semblait répondre à l'idée de l'homme s'étant établi par lui-même, un peu comme les ancêtres, lointains ancêtres, Shears. Pour autant, il n'avait pas l'attitude des nouveaux riches. Les Shears détestaient les nouveaux riches, et bien qu'elle trouvait cette idée hypocrite, River avait presque été formée à les reconnaître tellement son père les critiquait. Il ne semblait pas ghetto non plus. En fait, il avait l'air de tout et rien à la fois. Il aurait pût être garagiste ou pompier.

Les fossettes de la jeune femme ne firent leur apparition que suite à ce premier réel sourire qu'elle eut. Volontiers, mais un jour je reviendrais pour goûter un de vos plats à vous. L'idée d'un entretien-cuisine l'enchantait, mais le brouhaha d'une cuisine n'était pas idéal lorsqu'elle recueillait des propos par dictaphone. C'est une fierté pour vous d'amener la culture américaine ici ?   La vérité ne se cachant pas toujours dans les chiffres, l'idée d'une entrevue plus spontanée lui semblait de plus en plus adaptée pour traiter le sujet Strange.

River évitait de porter son alliance lorsqu'elle enquêtait et bien que cette entrevue n'avait à priori rien en commun avec son terrain de jeu habituel, elle n'avait pas dérogé à la règle. Aussi, elle appréciait que sous couverts de politesse formelle, son interlocuteur semble se laisser allé de plus en plus au naturel. Du moins, l'échange paraissait spontané, n'importe qui les observant actuellement ne pourrait se douter de la teneur professionnelle de la situation, à moins bien sûr de remarquer le dictaphone posé sur la table. Il livrait enfin quelques aveux, minimes, sur ses défauts, ou du moins l'un d'entre eux : son désordre en cuisine. Alors que le businessman répondait à ses questions, la jeune femme l'écoutait attentivement, sans le quitter des yeux, sans laisser cette fois-ci transparaître quoique ce soit si ce n'est quelques légers mouvements de tête en signe d’acquiescement. Le récit que lui livrait Strange demeurait vague, comme si il avait une vague idée de comment il en était arrivé là mais que le hasard avait eut son pesant dans la balance. Peut-être n'était-il pas le genre de personnes à fournir des détails facilement, peut-être était-il de ces personnes qui se concentrent sur les faits directs, sans plus de goût pour les descriptions poussées. Vous parlez d'économies, vous avez commencé à épargner avant d'arriver à Brisbane ? Je n'ai pas en tête le coût de la vie Américain, mais je dois avouer que j'admire l'idée que vous ayez réussit à économiser assez malgré les loyers exorbitants australiens. ces mots furent lâchés en toute simplicité, mais la jeune femme n'en pensait pas moins. Lorsque Strange confirma que l'habit ne faisait pas le moine, River bondit sur l'occasion, elle n'avait l'air de rien, mais sans le remarquer elle s'était redressée, intriguée. Vous vous considérez alors comme extraordinaire ?

Ah bon ? A quoi ressemble une journaliste selon vous ? Reposant son dos sur la banquette, River esquissa un sourire amusé. Je crains de n'avoir rien à fournir au journal si j'utilise notre entrevue pour parler de mes choix. Elle n'intellectualisait pas réellement le parti prit de Strange à lui retourner la plupart de ses questions, voire d'en poser d'avantage. Peut-être était-il simplement curieux, peut-être était-ce pure politesse. Mais qui, QUI, préférait se renseigner sur la journaliste plutôt que de profiter du micro pour faire porter sa propre voix ? Il parlait de la vision américaine de la vie, il avait estampillé son restaurant de cette même vision, et pourtant, au lieu de clamer haut et fort sa recette du succès, il se contentait de banalités. Qui était-il ? A près d'un quart d'heure d'échange, si ce n'est plus, River ne le savait toujours pas. Du moins, elle n'en n'avait toujours pas la moindre idée, même vague. Le sourire communicatif de Mitchell Strange l'atteignit alors. Si c'est un dîner qu'il vous faut pour me fournir un peu plus de matière à mon papier, je ne refuserais pas. Dans sa tête, tout était professionnel, même ce qui ne l'était évidemment pas. Cela lui rappelait une des nombreuses conversations qu'elle avait pût avoir Liam au cours des nombreuses années qu'ils avaient partagés ensemble : ce qu'elle faisait ou non pour son travail ne le regardait pas, en retour il lui faisait confiance pour ne pas franchir certaines limites de la morale, plus particulièrement les limites liées à leur vœux de mariage et River était en accord avec ce serment officieux qu'ils s'étaient faits. Ne pas mêler vie privée et vie professionnelle était nécessaire pour River, et tout autant impératif pour Liam qui avait avoué qu'il se ferait moins de soucis si il n'était tout simplement pas au courant. Ainsi, il ne savait pas que River ôtait régulièrement leur alliance, car elle la remettait à chaque fois qu'elle retournait dans sa voiture en direction de leur domicile. Était-ce ce simple geste qui avait mené Strange à "ne pas inviter" River à un dîner non professionnel ? Cet entretien apportait finalement plus de questions que de réponses. Bien, vous avez vos immeubles et appartements, suite à une mystérieuse "chance", et la gestion de vos biens, qui s'en occupe ? Il me semble que vous louez à des particuliers, vous n'avez rien des promoteur immobilier, pourquoi ce choix ? poursuivit-elle en attendant son plat.

Maline, habituée aux enquêtes, certes, mais pas mentaliste pour autant, River écoutait attentivement Strange. Ou du moins son attention était portée sur lui et son image, elle se laissait porter par les mots de son sujet et savait pertinemment qu'elle devrait de toute manière les écouter à nouveau au moment du dé-rushage de l'enregistrement. L'homme "d'affaires" commençait enfin à se faire plus bavard, il dessinait enfin son portrait : les Etats-Unis, la mort de son père, l'héritage, les motos, la persévérance. Finalement, l'entrevue, bien que divertissante, ne faisait que confirmer ce que River pensait déjà. Demander aux personnes qui réussissent leur recette n'avait pas réellement de sens. Ce que beaucoup oubliaient en lisant ce type de compte-rendu c'était le facteur chance. Impossible de mesurer la chance, de savoir à qui, comment et pourquoi elle s'applique. Strange avait-il aussi méticuleux qu'il le disait ou était-il vraiment tombé sur une poule aux oeufs d'or ? Je suis désolée pour votre père. Dit-elle par politesse, avant d'ajouter : Vous avez été pilote de course alors, waw, la sélection n'est pas des plus aisées il me semble, ce sont les sponsors qui vous font le plus gagner d'argent dans ces cas-là ? Vous auriez pût gravir les échelons un à un jusqu'à participer au motocross des nations ou au championnat mondial, votre accident a dût être difficile à digérer. Quel genre d'accident avez-vous eut ? River avait posé ses questions tout naturellement, intéressée, mais elle n'en était pas moins intriguée.
Qu'il se qualifie comme bosseur ou persévérant ne la surprenait pas, malgré le possible facteur chance, il fallait une certaine détermination pour en arriver là où Strange semblait être. Et ces principes étaient familiers pour River qui malgré son nom n'avait pas eut plus de chances qu'autrui au début de sa carrière, l'université Griffith mise à part. On l'avait traitée comme n'importe quel autre bleu et jamais River n'avait été amère à ce propos, ce traitement d'égalité l'avait stimulée. Elle avait travaillé comme une acharnée, mis son nez partout jusqu'à trouver l'affaire qui prouverait sa valeur aux yeux de ses supérieurs comme aux yeux de l'univers journalistique. Seule sa dernière grosse affaire lui laissait un goût amer, elle avait été mise de côté comme une paria, l'ingratitude de ses supérieurs lui avait permis de reprendre un semblant de vie normale mais ces prises de décisions l'inquiétait quant à l'éthique du journal. La fermeture annoncée de l'unique agence de presse australienne ne faisait que renforcer ses inquiétudes, la campagne de dénonciation de la censure australienne à laquelle les journaux nationaux avaient participé l'année passée ne l'avait confortée qu'un temps. On l'avait écouté sur ce coup là, mais cela n'avait été que pure hypocrisie...

Je pense que vous aurez suffisamment d’éléments en partant d’ici. Vous pensez ? s'amusa-t-elle légèrement avant de pouffer face à la remarque de Strange quant à son apparence, ou non, de gestionnaire. Non plus effectivement, mais je sais les apparences trompeuses. Le sourire de River ne quitta pas son visage dès lors.
Elle passa brièvement une main derrière son oreille, comme pour replacer une mèche de cheveux bien qu'il n'y ai rien à replacer tellement ceux-ci étaient plaqués, son regard se dissipa quelques instants par la vitre qui donnait vue sur la ville, sur son dictaphone, avant de remonter vers l'Américain quand il rebondit à propos du dîner. L'un des sourcils de la jeune se haussa légèrement, elle ne savait pas si c'était le ton grave et doux -qui n'avait pas changé depuis le début- de son interlocuteur qui la fit douter ou simplement qu'elle n'assumait plus ses propres initiatives, mais l'idée d'un dîner la rendit perplexe l'espace d'un instant. Avait-elle une bonne raison de se débiner ?
Son visage se détendit à nouveau, ses grands yeux fixaient à nouveau Strange. Seulement mes oreilles et mon carnet. Prête à plier aux exigences d'un interlocuteur pourtant pas timide, River tenait toutefois à ne pas oublier les "secrets" qu'il prétendait lui livrer à l'occasion. Je dois avouer que je suis très curieuse quant à vos projets futurs, elle attrapa son téléphone, puis-je noter une date, une heure et un lieu ? La jeune femme tenait à s'assurer du rendez-vous avant de mettre fin à leur entrevue, et cette fois-ci, elle irait préparée.
 

Tout petit ?! L'Amérique est vraiment folle alors ? Elle le charrie, si faire copain-copain était le meilleur moyen de détendre une personne, River n'en n'avait qu'à moitié conscience. Elle le savait pertinemment, et l'utilisait souvent, surtout lorsque la conversation semblait de plus en plus fluide comme à ces instants, mais il y avait aussi une envie sincère de chambrer Strange dans son attitude. Elle avait commencé ainsi et il avait répondu par la positive, alors elle continuait sans plus de calculs. A bien des égards, les limites en terme de relation sociales n'étaient pas ses favorites. Il y avait fort à parier qu'en tant que maîtresse d'interviews de stars à l'égo perturbé River n'aurait pas eut un franc succès, ou peut-être que si mais ses sujets l'auraient détestée. Qui vous sponsorisait à l'époque ? Vous rouliez pour quelle équipe ? Une équipe nationale ou régionale ? Je dois avouer que je ne suis pas une pro du motocross. Admit-elle enfin, comme prise au piège par sa propre curiosité, elle laissait la raison et les réflexions poussées pour l'après, une fois seule; et si sortir un article à côté de la plaque concernant l'immobilier pouvait être un pied de nez à ses supérieurs, ça l'arrangeait. Pour l'instant.
Quand Mitchell eut décrit son accident, bien qu'il n'y ai aucun détail la brunette ne pût s'empêcher de grimacer. Elle avait vaguement jeté un œil dans la même direction que son interlocuteur mais les manches de son sweat ne lui montrèrent pas ce que Strange savait être présent sur son bras. J'imagine oui... finit-elle par répondre, de bonne foi. La concernant elle n'avait que "peu" de souvenirs de son accident. Elle ne savait pas si c'était la vitesse à laquelle ça s'était produit, l'hospitalisation ou l'envie de mettre ça derrière elle qui faisaient que les images ne revenaient que par flashs, comme si elles lui étaient inconnues, mais elle se souvenait comme de la veille du sentiment mortel que ça avait laissé en elle. Loin d'être traumatisée River ne pût toutefois pas s'empêcher de pousser un faible soupir, comme pour exulter la tension du récit. Ou de ses souvenirs.

Alors qu'il mentionnait avoir tout son temps, River comprenait de moins en moins l'intérêt d'un dîner pour compléter l'interview, à sa manière Strange était perturbant. Il en disait peu et trop à la fois, finalement elle remit sa propre méthode en question. Ce genre d'entrevue n'était définitivement pas son domaine, elle avait certes été formée à toute formes de journalisme du haut de ses 35 ans cela faisait plus d'une dizaine d'années que la jeune femme avait tourné le dos à bien des domaines pour se consacrer à ses investigations. L'humain était une passion : de loin. Aussi, alors qu'il confirmait le jeu trouble des apparences avant d'enchaîner sur leur fameuse seconde partie d'interview, River se décida enfin. Faites moi confiance, je ne tiens pas à risquer d'avoir à porter plainte. Plaisanta-t-elle à son tour à l'idée d'être fouillée. Faisons comme ça. Conclut-elle face à la proposition de Strange bien qu'à ses yeux l'article ne serait certainement pas terminé avant leur dîner.
Notant le lieu et l'heure du rendez-vous à l'instant même où le gérant les lui donnèrent, la jeune femme jeta un oeil à l'heure sur son téléphone une fois le calendrier de celui-ci fermé. Il lui restait désormais près de 33 heures pour déchiffrer l'enregistrement, préparer ses futures questions et se renseigner. Pour la dernière phase, elle devrait probablement creuser en plusieurs fois, mais il fallait saisir l'opportunité. Quant à comment elle allait justifier une sortie à huit heures du soir un samedi auprès de son mari ? Elle s'en occuperait, comme souvent lorsque cela concernait Liam, le moment venu. C'est noté et ça me convient., à peine avait-elle terminé sa phrase que la serveuse arriva avec l'assiette qui lui était destinée. Décalant son verre de coca, River fit de la place pour accueillir le plat choisit par le propriétaire puis observa son assiette. La marinade a l'air délicieuse. dit-elle pour toute réponse quant aux espérances presque touchantes de Mr Strange avant de couper son dictaphone qu'elle rangea dans son sac et prendre la dernière gorgée de café qu'il restait dans sa tasse. Sortant finalement son porte monnaie, River déposa 20 dollars australiens avant de se lever. Si vous cuisinez demain, je dois vous prévenir : je suis végétarienne. Même par politesse, River ne dérogerait pas à son régime. Si la bienséance voulait de montrer une pointe de regret ou d'embarras face à la situation la jeune femme n'éprouvait ni l'un ni l'autre, elle trouvait la situation quelque peu ironique.
La brune attrapa son manteau noir afin de le remettre avant de tendre la main : Monsieur Strange, c'était un plaisir de vous rencontrer. A demain soir donc.