Saül est une véritable princesse. Une véritable, et il m'en fait encore la preuve.

Pire que toutes les femmes d'enseignants que je dois côtoyer aux grands dîners bourgeois de la faculté, celles-là même qui s'étonnent à chaque fois de découvrir que je suis professeure moi aussi, et pas seulement potiche ascendant escorte. Elles sont belles, elles ne font que ça de leur journée. Peaufiner leur maquillage et leur coiffe, choisir les tissus les plus soyeux pour enrober leurs silhouettes, grimper sur les escarpins les plus apiques comme s'ils étaient autant échasses qu'extensions de leurs corps de poupées. Leurs soirées s'étirent de bals à galas de charité, les miennes se passent apparemment à nager dans un fleuve ensanglanté et à maintenant me prélasser dans l'immense baignoire d'époque trônant au centre de la salle de bain des maîtres. Je ne changerais pas de vie pour rien au monde.

Saül la princesse donc. Il y était déjà lorsque je m'y suis glissée, marinant depuis assez longtemps pour avoir testé tous les flacons une fois et une suivante. La bouteille de scotch et les verres de crystal que j'ai montés trônent en bordure de la baignoire, à même le sol de marbre qui reçoit les gouttelettes d'eau bouillante et autres bulles de mousse s'envolant vers lui à chaque fois où il ne va pas dans mon sens, c'est à dire une fois sur une.

« Tu pues presque plus du tout, là. Y'a de l'avancement. » quand ma silhouette gomme la distance pour se rapprocher de la sienne, que j'inspire sa nuque et la mords au passage, c'est entre un rire et un autre que je lui rappelle de là où il vient. Là où on était, il n'y a qu'une poignée d'heures à peine.

La nuit est avancée, étrangement sombre et sans étoiles à travers les rideaux de velours aussi épais que foncés, bleu roi sans que personne ne s'en surprenne. À l'étage, la tablette traîne au bureau, en sécurité. Enfermée à double tour dans le coffre et appuyée contre les autres reliques accumulées au fil de nos voyages qui n'attendant que d'être évaluées.

« Tu pues presque plus du tout, là. Y'a de l'avancement. »
« Tes cheveux sont roux ou rouges ? J'arrive pas bien à discerner. »

La salle de bain leur va bien, aux deux tourtereaux qui finissent de cuir dans leur marinade. Abel est endormi depuis un moment déjà. Il n'a pas eu à assister à la drôle de scène, celle qui montrait ses parents en sang - celui des animaux morts - et en sueur. Britton est rentré chez lui, aussi. Saül porte à ses lèvres le verre amené par sa femme, lui envoie de l'eau sans autre forme de procès.

La tablette est enfermée, bien sûr. Le directeur de l'université ne s'est peut-être pas aperçu de la disparition de la note qui contenait les indications. Qui sait, pourtant, ce qui aura été libéré en dérangeant cette vieille caisse couverte d'inscriptions. Soudain, l'eau elle aussi semble se teinter de noir. Saül, catastrophé, bondit hors de la baignoire et attrape le peignoir qui se trouve à sa droite - priorités. Lorsqu'il repose ses yeux sur l'eau, elle est aussi limpide par endroits que couverte de mousse par d'autres. « Je dois être crevé. Elle était noire, l'eau, pas vrai ? » Une hallucination ou autre chose, Saül n'a pas le temps d'y penser que c'est le cri d'Abel qui retentit dans tout l'appartement.

Sur les draps du garçon, des grenouilles et des sauterelles, par dizaines. Elles sont vraisemblablement entrées par la fenêtre laissées ouverte. Il faudra de longues minutes avant de calmer l'enfant. « Le fleuve, les grenouilles et les criquets, la prochaine étape c'est la foudre et les vaches qui tombent du ciel ? » C'est à Ariane qu'il s'adresse, lorsqu'il sort de la chambre en compagnie de sa femme. La tablette parlait bien de malédiction, mais Saül n'est pas assez doué en étude des hiéroglyphes pour pouvoir les déchiffrer correctement. L'instant d'après, l'italien fouille énergiquement la planque à la recherche de la tablette - en or, elle avait raison, Ariane - qui leur indiquera peut-être un peu plus de choses sur le drôle de sort qui s'abat sur la ville.

Réussite - Saül sait effectivement interpréter les hiéroglyphes. D'ailleurs, ils indiquent la position de la tablette suivante.
Presque - Saül sait effectivement interpréter les hiéroglyphes. Cependant, rien sur la localisation de la seconde tablette, seulement des morceaux parlant de la malédiction des sauterelles et des grenouilles.
Échec - Erreur, Saül confond tous les hiéroglyphes. #AuSecoursAriane

« Tes cheveux sont roux ou rouges ? J'arrive pas bien à discerner. »
« Et les tiens sont blancs ou blonds? C'est dur, avec les années, à discerner. »

Il me l'a donnée si facilement Saül. Sur un plateau d'argent, servi en guise de plat principal avec un bon Chianti. Il est beau quand il fulmine, le jeu ne fait que commencer dès lors que la prochaine salve de piques se terminera par une crise exagérée et toute aussi hilarante lui reprochant l'utilisation de tous mes sérums au profit de sa peau de pêche, et donc plus du tout de la mienne. Et on en parle, de mon argile à masque qui disparaît sans plus d'explications et à vue d'oeil?

Il s'élance, sort du bain vite, beaucoup trop précipité pour que je n'éclate pas de rire. Alors c'est comme ça qu'il jouera les offusqués ce soir? « Je dois être crevé. Elle était noire, l'eau, pas vrai ? » « T'as vraiment du mal avec tes couleurs mon gars. » il est épuisé, mais de le lui dire de but en blanc le ferait grogner et probablement même montrer les dents. « Mon peignoir te va bien. » alors à la place je dédramatise, détendant l'atmosphère au profit de son visage et de sa mâchoire qui sont tous les deux encore particulièrement contractés. Il aurait besoin de dormir, il bosse trop et je le lui dis mille fois par jour au moins. Mille et une, quand à la seconde où on ira dormir je le lui chuchoterai à nouveau à l'oreille.

Rien ne ressemble à des chuchotements, quand Abel hurle à pleins poumons. « Tout va bien aller, c'est rien que tu peux pas écraser du bout de tes souliers mon amour. » Saül dégage les intrus du lit du garçonnet, lui vient se blottir dans mon cou alors que je dégage son front de ses mèches hirsutes et en sueurs, mèches rousses et blondes éparses. Son souffle se calme doucement au fil du mien. « Tu veux venir avec nous au salon? » il secoue la tête de la négative, yeux piquants et fatigués. C'est un battant notre premier-né. Comme papa et maman.

« Le fleuve, les grenouilles et les criquets, la prochaine étape c'est la foudre et les vaches qui tombent du ciel ? » même s'il murmure pour ne pas alarmer qui que ce soit à commencer par Abel, sa voix résonne contre les murs ornés de toiles et d'autres artéfacts aux centaines de souvenirs. « C'est toi qui a la foi, pas moi. » je blague, pique et joue encore, laissant mes pas et ma silhouette vêtue de son peignoir filer au rez-de-chaussée puis au bureau, le temps de valider que la tablette est toujours en sécurité. Drôle de mauvaise impression.

Il lit, tente de lire, n'y arrive pas et rage encore. « Va chercher du tiramisu. Du café. Et tes lunettes. » la soirée (nuit) risque d'être longue, autant s'y préparer. Calée dans une fauteuil de cuir capitonné comme il y en a plusieurs dans la pièce, j'inspire brièvement, me concentre sur les écrits pendant de longues minutes au-delà son retour. « Ça prédit une suite de malédictions apparemment. Un réveil de créature des ténèbres et sa vengeance sur le peuple qui a troublé son repos. Elles sont dans un drôle d'ordre, mais apparemment ce sont les taons les prochains sur la liste à abattre. » pour l'instant, il m'apparaît clair que quelqu'un s'amuse à nous jouer des tours, infestant la maison de sauterelles d'abord. Puis de grenouilles ensuite. D'ailleurs. « Sérieusement?! » par la baie vitrée en entre une grande, une grosse, une gloutonne grenouille, bien trop imposante pour être normale. Qui que ce soit blague devrait se la fermer, désormais. Le jeu a assez duré.

Le sang et maintenant, les hallucinations. Si Saül ne sait plus être tranquille chez lui, qu'adviendra-t-il de la quiétude de leur foyer ? « T'as vraiment du mal avec tes couleurs mon gars. » « Tu es toujours sur mon dos, je finis fatigué à n'en plus savoir discerner les couleurs. » Pauvre homme. « Mon peignoir te va bien. » Il fait mine de ne pas entendre, Saül, avant de bondir dans la chambre de leur premier né. Abel n'est pas mort, simplement effrayé par l'amoncellement de criquets qui peuplent sa chambre. « Tout va bien aller, c'est rien que tu peux pas écraser du bout de tes souliers mon amour. » La scène des animaux et des insectes a fini d'agacer l'italien, qui vient s'asseoir sur le bord du lit pour rassurer l'enfant à son tour. « Y'a même des gens qui les mangent, ces trucs là. Demande à maman, elle doit adorer les grenouilles. » Saül a-t-il déjà mentionné son aversion pour tous les français ? Presque tous les français.

« C'est toi qui a la foi, pas moi. » Abel s'est rendormi, de toute façon. Il n'a pas suivi ses parents. Saül s'est, quant à lui, penché sur la tablette sanglante. Elle reste puante, elle. Malheureusement, rien ne vient à l'esprit de Saül. Les hiéroglyphes, il ne les a plus pratiqué activement en traduction depuis des années. Tout le froncement de sourcils qu'il saura afficher sur son visage - si bien que son front ne fait plus que des petites vagues - n'aidera pas à déchiffrer la tablette. « J'ai toujours détesté ces histoires de symboles. » « Va chercher du tiramisu. Du café. Et tes lunettes. » Il connaît une petite poignée d'étudiants qui pourraient aider, en revanche. Cela serait pourtant exposer leur petit secret, celle de la quête dans laquelle ils se sont lancés à deux. Ils la finiront ensemble, si cela signifie empêcher les criquets et les grenouilles de peupler les draps d'Abel.

Les époux déchiffrent en silence - enfin, Ariane déchiffre et Saül joue les serveurs. C'est Ariane qui arrivera aux conclusions les plus pertinentes et Saül en entendra parler jusqu'à la fin de leur vie - comme cette fois où elle a su trouver le poids exact de la statuette à échanger contre un sac de riz. « Ça prédit une suite de malédictions apparemment. Un réveil de créature des ténèbres et sa vengeance sur le peuple qui a troublé son repos. Elles sont dans un drôle d'ordre, mais apparemment ce sont les taons les prochains sur la liste à abattre. » « Très intéressant. Où est-ce qu'on doit trouver le levier "stop" ? » Le café arrive fumant, Saül a effectivement enfilé ses lunettes - et un pyjama en soi, le petit roi. Quand la grenouille entre, il est en train de lire par dessus l'épaule de son épouse, à deux doigts de faire déborder les baisers qu'il garder pour ses joues jusqu'à la peau de son cou.

« Sérieusement?! » « Bouge pas. » Il n'y a rien sur la table qui puisse assommer la grenouille, sinon...

Réussite - Un bougeoir en fer, qui ne manque pas sa cible et l'assomme brièvement, assez pour qu'elle ne bondisse pas sur tous les murs de l'appartement.
Presque - Un bougeoir en fer, qui ne manque pas sa cible mais qui l'énerve plus qu'autre chose, provoquant une giclée de neurotoxines dans tous les sens.
Échec - Rien du tout, Saül a halluciné. Bravo, la grenouille bondit partout.

On a chacun nos spécialités, bien taillées et bien maîtrisées. Saül est impeccable à l'analyse, il est celui à qui je laisserais n'importe quelle relique entre les mains en sachant qu'en un seul coup d'oeil et à peine en une poignée de secondes il serait en mesure d'en évaluer sa valeur, sa composante, et son potentiel de revente sur le marché noir. Moi ma force, ce sont les langues. Celles qui décryptent les passages secrets, celles qui pointent vers le trésor. Le reste on se le partage à deux. Le reste, il se complète de lui-même quand parfois je joue les gros bras, quand à d'autres moments c'est son cas. L'équipe fonctionne parfaitement et ce depuis jour un - d'ailleurs, il ne m'a pas encore reproché la fameuse statuette que je lui ai piquée, cette fois-là, dans un tout petit temple Aztec que j'avais autant saigné que lui-même semblait l'avoir fait.

Il part, je m'installe, la lecture prend et avec elle vient le récit d'une âme en peine, d'une âme maudite. Elle erre de parts et d'autres, cherche un sens à sa vie, blablabla très émouvant gnagnagna parle-moi de la cagnotte veux-tu. On y arrive d'ailleurs, à ça, lorsque Saül revient au bureau et qu'il me laisse lui donner l'étendue de ce que j'ai bien pu traduire jusqu'à maintenant. Des bribes, rien de bien méchant. Mais de quoi en savoir plus sur la prestance de la dame à l'époque, et surtout sur le potentiel pesant d'or (littéralement) qu'elle finira par nous mener à découvrir.

« Très intéressant. Où est-ce qu'on doit trouver le levier "stop" ? »
« Apparement y'a un truc de prophétie à compléter et une fois que c'est fait elle dégage le plancher avec ses insectes et ses pustules. Je me demande si elle a un temps à son nom. » parce que si c'est le cas, c'est le gros lot.

Les plaies ne m'intéressant guère, les malédictions non plus, je les prends très peu au sérieux et la grenouille géante encore moins. Est-ce une mauvaise blague de quelqu'un croyant que de s'attaquer à notre famille passera bien et sous silence? Not on my watch. « Bouge pas. » le voilà le héros, le vrai, dans son petit pyjama de soie qui cherche un de ses bouquins de Danielle Steel pour buter le batracien. Un coup de pied ferait l'affaire, sinon?

Saül se perd, je déteste le voir ainsi sans comprendre pourquoi. D'un coup de tablette - l'or massif, ça en jette - j'assène à la gueule immense et juteuse de la grenouille venue d'outre-tombe une attaque qui la repousse en arrière vite fait. « Il t'arrive quoi? » il arrive quoi, surtout? Et ce bourdonnement, qui n'en finit plus, et cette acouphène qui monte et monte. Quand je fais volte-face, ce sont des essaims de sauterelles qui se précipitent à toute vitesse vers le manoir Williams.

Et non, pas de bougeoir bien que Saül soit certain de l'avoir vu sur la table. Rien d'autre qu'un livre qu'il envoie - mal - sur la grenouille et qui manque complètement sa cible. Elle est énervée, la grenouille. Elle bondit partout et surtout en direction des époux qui s'en protègent comme ils le peuvent - c'est à dire pas très bien. Sa peau est couverte de pustules et de tâches dorées. En bondissant, elle brise un vase et un autre. Saül a attrapé un napperon, il va au devant de l'affreuse bestiole, mais cette dernière n'a pas l'air décidée à se laisser faire. Il faut dire qu'elle a l'air d'avoir un avantage sur les époux - celui de pouvoir les tuer d'un simple contact.

Et malheureusement, elle prend l'avantage, la grosse bête. Ariane le reprend net, d'un coup bien placé. « Il t'arrive quoi? » « Quoi ? » Et puis, ils arrivent. Les. Insectes. Saül attrape Ariane par la taille quand la nuée fond sur eux. Quand ils sont au sol, les insectes ne manquent pas de se faufiler dans leurs vêtements - et même dans leurs oreilles. Nouveau cri d'Abel qui s'est levé pour rejoindre ses parents, probablement à cause du bruit. Après avoir aidé Ariane à se redresser, c'est l'enfant que Saül attrape dans ses bras pour le mener dans le couloir. De là, les époux et leurs fils ont le temps de se faufiler dans une chambre. D'un coussin, Saül barricade le pas de la porte et achève toutes les sauterelles restantes. « Abel, tu te souviens quand on a joué à cache-cache l'autre jour ? Je vais compter jusqu'à soixante-dix-huit-mille-milliards et tu vas te cacher. Tu ne sors pas tant que je ne viens pas te trouver. Tu comprends, mon grand ? » De l'autre côté de la porte, les essaims bourdonnent comme des fous. Abel répond à l'affirmative. « Maman et papa ferment les yeux. Cache toi dans la pièce. » La porte du placard s'ouvre et se referme, Saül se tourne vers sa femme.

« Elle dit quoi, ta malédiction ? Je suis presque certain d'avoir vu un truc briller autour du cou de la grenouille. » Et de l'autre côté de la porte, les bourdonnements semblent s'être calmés. Les bruits sourds et réguliers indiquent cependant que la grenouille, elle, n'a pas cessé de bondir partout. « A trois. » L'italien pose sa main sur la poignée de la porte. Sur la table de chevet - sa table de chevet - il a récupéré l'arme qu'il garde toujours proche de son oreillers. « Un. Deux... »

Réussite - Trois. La grenouille porte effectivement un collier, orné d'une petite plaque rectangulaire. Saül tire, mais ne fait que la blesser.
Presque - Trois. La grenouille porte effectivement un collier, orné d'une petite plaque rectangulaire. Saül tire, mais manque son coup. Il ne fait qu'énerver la grenouille.
Échec - Trois. La grenouille ne porte rien du tout, encore une hallucination. Mais au moins, elle est morte.

Quand je l'ai marié, j'ai été claire et concise : même s'il peut parfois être le gars le plus chiant de l'univers et qu'il possède clairement le pire égo que la Terre ait pu porter, il est aussi l'allié dont je ne me passerai jamais, le double autant complémentaire qu'essentiel. Au-delà des chasses et au-delà des trésors, il est probablement la personne que j'ai le moins envie de tuer quotidiennement, et ça, ça en dit long sur l'amour que je peux bien éprouver pour lui.

Pourtant, Saül ne va pas. La fatigue, le boulot, le fleuve de sang, les sauterelles qui menacent Abel, la tablette incrustée aux milliers de malédictions listées : cochez la ou les cases qui comportent la ou les bonnes réponses, puis passons. Je déteste le voir ainsi et je déteste encore plus la connerie de grenouille qui se faufile chez nous comme si tout lui était dû. Qu'elle dégage, qu'elle débarrasse le plancher, et que je retrouve les côtés de mon époux qui n'en mène pas large, disons-nous les vrais choses.

Il a besoin de dormir, et j'ai besoin de fermer à double tour les fenêtres. C'est tout, rien de plus. L'autre âme en peine avec ses plaies de merde peut bien terroriser la planète au grand complet. Nous, on a d'autres choses à faire que d'écraser des insectes et de finir infusés du sang d'un bétail pas assez intelligent pour éviter les rives s'ils savent pas nager. La base.

Puis, c'est la course poursuite. « Abel, tu te souviens quand on a joué à cache-cache l'autre jour ? Je vais compter jusqu'à soixante-dix-huit-mille-milliards et tu vas te cacher. Tu ne sors pas tant que je ne viens pas te trouver. Tu comprends, mon grand ? » évidemment qu'on prend l'héritier avec nous, évidemment que ces saletés d'insectes ne servent à rien d'autre non plus qu'à m'énerver, les dizaines de jurons que je leur renvoie à la tête entre un regard et un autre attendri vers Abel qui ne panique pas, évidemment. Petit génie d'adaptation qui se faufile dans les placards sous le « Maman et papa ferment les yeux. Cache toi dans la pièce. » de Saül. Dans un autre monde, j'aurais raté ma vie à ne pas lui offrir un fils.

« Elle dit quoi, ta malédiction ? Je suis presque certain d'avoir vu un truc briller autour du cou de la grenouille. »
« Il est fait du même or que la tablette, le pendentif. Il est censé ouvrir un passage, un genre de canal de communication? Je veux communiquer avec l'au-delà pour leur dire de dégager, ouais. »

Si c'était si simple. Il s'élance, je reste en retrait, près de la porte du placard au cas où Abel aurait peur de quoi que ce soit - ce dont je doute. Il est fait du même bois que nous.

« A trois. »  
« Un. Deux... »
Et rien, rien du tout.
Pas de collier qui tombe au sol, pas d'or non plus. Pas de canal pas de passage, et l'arme que je retire, encore brûlante des mains de Saül. Au moins la grenouille a crevé au passage.

« Okay ça suffit, appelle le directeur. » il est celui qui nous joue des tours de merde, il est celui qui en sait bien plus que nous. Si Saül lui téléphone, je sais qu'il ne perdra pas son sang-froid à l'appareil contrairement à moi.

Fort heureusement, Abel n'est pas là pour le carnage, ni pour voir la galère dans laquelle baignent ses parents. Abel doit compter dans sa petite tête blonde pas encore capable d'aller au-delà de cent, à recommencer à l'infini jusqu'à ce que son père ne vienne le sortir de là. C'est un enfant intelligent, Abel, il tient de ses parents. Ses parents qui, d'ailleurs, se préparent au combat de leur vie - presque. Celui qui a pour toujours marqué Saül est celui effectué contre le caïman géant qu'ils ont attrapé en Louisiane. Le crocodile avait avalé la bague d'une riche princesse, que les époux ont prétendu aider pour mieux lui subtiliser le bien. Depuis, ils n'ont jamais remis les pieds dans cette magnifique région, mais Ariane doit toujours porter le bijoux en guise de bague de fiançailles.

« Il est fait du même or que la tablette, le pendentif. Il est censé ouvrir un passage, un genre de canal de communication? Je veux communiquer avec l'au-delà pour leur dire de dégager, ouais. » « C'est qui, la croyante, maintenant ? » Et à la une, à la deux, à la trois. Le coup de feu retentit, aura certainement fait sursauter Abel. La prochaine fois, il faudra le confier à Auden qui doit certainement se dorer la pilule quelque part en ville. Lui, au moins, il ne se bat pas contre une armée de criquets - et si c'est le cas, Saül lui payerait bien des vacances loin d'ici, pour qu'il entraîne Abel et Ginny loin de ce maudit endroit.  

« Okay ça suffit, appelle le directeur. » « Il dira rien. » L'instant d'après, Saül se dirige vers le téléphone. Du pied, il retourne la grenouille. Elle est énorme, doit être lié à une autre du même genre. Les insectes sont tous morts comme frappés d'un maléfice. Qui sait quand ils reviendront ? Quelques minutes plus tard, Saül a attrapé le combiné noir du téléphone. Lorsqu'il est assit à table, il tourne le combiné vers Ariane pour qu'elle entende, elle aussi. D'un mouchoir posé contre l'appareil, Saül s'assure que le directeur ne reconnaisse pas sa voix. « Monsieur. Où se trouve la note de votre cabinet ? Celle qui mentionne l'emplacement d'un bateau qui doit transporter une ancienne tablette en or ? » « Qui êtes-vous ? Je ne- » Face à la résistance du directeur, Saül attrape la note, qu'il lit à son interlocuteur. Ce dernier fait silence, quelques instants. « Vous saviez qu'elle appartenait au musée. La détourner, c'est s'exposer aux conséquences de la législation, très cher Angus. » « Vous n'avez pas de preuves. » « Les lettres que vous envoyez à votre maîtresse, cela devrait me suffire pour prouver que la note trouvée avec était en votre possession. Dites moi où est la suite de la note. » « Non. » « Je me chargerai d'aller prévenir votre femme, dans ce cas. Serait-elle ravie d'entendre que vous abusez aussi des étudiantes ? Peut-être que pour ça, je devrais prévenir la police. » « Non ! Attendez, je vais tout vous dire. »

Réussite - « La grenouille, c'est la grenouille. Elle est en ville. » Et il donne l'adresse, l'imbécile.
Presque - « Je n'ai pas déchiffré toute la note, mais elle mentionne une adresse. » Et il donne l'adresse, mais Ariane et Saül ne savent rien de ce qui les attend.
Échec - « J'ai perdu la note, je ne sais pas où elle se trouve... Je connais quelqu'un qui pourrait vous renseigner, en revanche. » Si lui ne parle pas, peut-être que le prochain qui se trouvera sur la route des aventuriers le fera.

On ne cache pas notre fils parce qu'on veut lui apprendre à avoir peur, ni même parce qu'on souhaite lui inculquer des valeurs prônant la fuite contre l'ennemi. Non, on le cache parce que si quoi que ce soit lui arrive, la Terre entière n'est pas prête pour la déferlante de rage, de vengeance et de chaos qu'on amènera en guise de revanche. Les grenouilles géantes et les fleuves ensanglantés n'ont qu'à bien se tenir ; si Abel est touché ou pire blessé, c'est nous qui seront les véritables plaies d'Australie.

Puis, je souffle, rassurée. Saül a une arme, il vise, le batracien verreux touche le sol, tout est bien qui finit bien. Les bourdonnements ne cessent pas par contre, ça serait bien trop beau, et je rage, bien sûr que je rage. Fermant fenêtres, baies vitrées et battants à rideaux, sillonnant la maison en entier à la recherche de quoi que ce soit étant encore ouvert. Pas ici, pas maintenant. Au retour, c'est un Saül perdu que je retrouve, perdu en lui-même bien plus que dans la pièce. Même si à vrai dire, il me semble minuscule à travers les trésors et autres reliques accrochés à nos murs en guide de victoires nombreuses, variées, tantôt méritées, tantôt volées dans la plus grande et sournoise des violences.

C'est son tour, de jours les opératrices téléphoniques. C'est à lui d'appeler le directeur et de voir enfin avec lui qu'est-ce que ce merdier veut bien dire. À Saül de se démerder pour ne pas nous faire prendre, à lui de trouver excuses et autres histoires pour qu'on s'en sorte indemnes - encore, comme toujours. Je reprends d'office la tablette, égarant un baiser contre ses lèvres et un autre contre sa nuque, mes études dérangées par un Abel chantonnant derrière les portes du placard lui qui ne sait rien ni ne voit rien. Pour l'instant.

« Monsieur. Où se trouve la note de votre cabinet ? Celle qui mentionne l'emplacement d'un bateau qui doit transporter une ancienne tablette en or ? » je
« Qui êtes-vous ? Je ne- »
« Vous saviez qu'elle appartenait au musée. La détourner, c'est s'exposer aux conséquences de la législation, très cher Angus. » l'aime
« Vous n'avez pas de preuves. »
« Les lettres que vous envoyez à votre maîtresse, cela devrait me suffire pour prouver que la note trouvée avec était en votre possession. Dites moi où est la suite de la note. » tellement
« Non. »
« Je me chargerai d'aller prévenir votre femme, dans ce cas. Serait-elle ravie d'entendre que vous abusez aussi des étudiantes ? Peut-être que pour ça, je devrais prévenir la police. » ce connard.
« Non ! Attendez, je vais tout vous dire. »

Une adresse, c'est tout ce dont on a besoin. Et il nous la donne sans broncher le moindrement. C'est lui donc, la figure d'autorité de notre faculté? Décevant. Quand Saül raccroche, ce sont mes lèvres qui s'emparent des siennes. Le baiser est une évidence, mon souffle est brûlant, ses doigts sont glacés - l'équilibre est retrouvé.

« Je prends Abel, va démarrer la voiture. » que je chuchote contre sa peau, sa mâchoire qui je jure est de plus en plus détendue. « On se rejoint dans dix minutes devant l'allée. » et parce que je le connais par coeur, et parce que l'inverse est toute aussi vraie j'ajoute « Je sais, je sais. Ne me dis pas quoi faire. Ta gueule, je t'aime. »

C'est une petite victoire que celle qui frappe soudain les époux. A la fin de la phrase du directeur, Saül raccroche. Quand tout cela sera terminé, il ira balancer ce sale type. Il ne savait pas, pour les étudiantes. C'est un coup de poker, un vrai, un bon. Il y a des années qu'il n'a plus touché à cette merde de jeu. Ariane l'a connu dans les moments les plus obscurs. C'est elle qui l'a tiré vers le haut, elle qui a accepté de faire un bon partenariat la fois où ils se sont retrouvés sur le même coup - celui du vol d'une chaînette ayant appartenue à Napoléon. Quand il raccroche, c'est avec soulagement qu'il accueille le baiser de son épouse, la seule à savoir vraiment apaiser vraiment le fil des pensées qui se succèdent trop vite.

« Je prends Abel, va démarrer la voiture. » « Dis lui qu'il a gagné la partie de cache-cache. » « On se rejoint dans dix minutes devant l'allée. » « Ne me d- » « Je sais, je sais. Ne me dis pas quoi faire. Ta gueule, je t'aime. » Il n'y a pas de "moi plus", juste un baiser pour le souligner, quand il la rattrape alors qu'elle avait déjà commencé à filer du côté de la chambre dans laquelle est enfermé leur trésor le plus précieux. Du temps qu'ils reviennent, Saül enfile une autre chemise. Quelques minutes plus tard, il attend tout habillé dans la vieille voiture qui les mènera à l'adresse donnée par le maudit directeur. « Tu peux dormir à l'arrière mon grand, on va rouler un peu. » « On prend la fuite ? » « Mais non. C'est une nouvelle partie de cache-cache. » Il est tout content le gamin installé à l'arrière.

Quand ils arrivent à l'adresse donnée, l'endroit est déjà entouré d'un cordon de policiers. Ils ont dû trouver la grenouille. Elle n'est pas difficile à trouver, en même temps. On voit de là dépasser son trône fait d'œufs. « Tu restes ici, Abel ? » « Je veux venir. » « Si tu restes, papa te fera un tiramisu géant quand on rentrera. » L'avoir par la nourriture, toujours. Abel n'a pas encore appris les talents de négociation de ses parents. L'instant d'après, Ariane et Saül s'approchent du seul policier présent sur place. « Tirez vous d'ici. » « On est biologistes. Les gens envoyés par la police pour comprendre ce que l'animal fait là. Levez le petit doigt et j'appelle l'association de protection des animaux. »

Réussite - Il ronchonne, les laisse passer.
Presque - Il ronchonne, les laisse passer en leur indiquant qu'ils ont dix minutes... pas une de plus.
Échec - Des biologistes ? Et puis pourquoi pas des boulangers ? "Tirez-vous." qu'il répète.