Les coups sont aussi logiques qu'ils le réveillent, le lycéen la tête éternellement dans les nuages. Pour l'heure il ne se bat pas des masses mais il apprend, laissant à Greg tous les projecteurs le sourire - sanglant - aux lèvres. L'autre ne démord pas, la brunette sait les choisir avec un compte en banque autant qu'une persévérance certaine. Et déjà Epstein se roule une clope, se la glisse entre les lèvres. Il a faim et ça goûte le fer, dans sa bouche tordue d'un rictus amusé. Quelle soirée.

« Tu te joins à nous, jolie Elise ? »
« Ce sera pas le resto gastro, tu t’en doutes, mais on fera de notre mieux. »
« Non. Sûrement pas. »
« J'rentre chez moi. »
« Dommage. »

Dommage, vraiment. Dommage mais pas dramatique, alors que le musicien reconnaît au coup d'oeil de son pote de toujours mais surtout de bagarre qu'il semble vouloir faire un détour par la supérette du coin. Ils ont l'air bien brillant, avec leurs costumes cravate en presque lambeaux, la gueule de travers. Non pas que ça ait la moindre importance dans les rues de la ville, la nuit tombée et les voitures qui ne s'arrêtent pas malgré le fait qu'ils leur lancent des insultes en français baragouinées derrière les relents du punch alcoolisé servi plus tôt dans leur gym mal décoré. Tout droit devant, c'est l'enseigne du supermarché qui ne les a jamais déçu, là où les sandwichs aux charcuteries sont pas chers du tout et où personne ne demande de pièces d'identité les autorisant à se shipper des bières dans des sacs de papier brun comme le classique cliché de l'adolescent bourré.

« Tu penses qu'elle voyage, jolie Elise? » il se moque Jack, zigzaguant dans le parking vide à cette heure, vers les portes automatiques du commerce. Sûrement qu'elle voyage, la friquée. « D'ici un an je ferai le tour du monde, moi. » et le pire (le meilleur), c'est que d'ici un an, il le commencera, son tour du monde, guitare au dos et rêves en tête.

Elise n’est pas du genre à traîner avec des voyous comme eux et il le sait, Morton, mais il ne peut s’empêcher de lui proposer de continuer la soirée auprès des deux bourrins. Il a le regard qui brille et le sourire qui lui démange les lèvres, Greg, mais il se contente de la fixer en attendant une réponse, en cherchant à la convaincre alors que toutes les expressions faciales de la brune devraient être suffisamment claires pour qu’il comprenne qu’elle n’en a aucune envie.

« Non. Sûrement pas. J'rentre chez moi. »
« Dommage. »
« Dommage. »

Et il hausse les épaules, le goujat, il fait comme si ce refus ne l’atteignait pas, mais au fond, il est dégoûté de ne plus pouvoir dévorer Elise des yeux. Peut-être qu’un jour, elle sera sensible à son charme. Enfin, évidemment qu’elle le sera : il est persuadé qu’elle finira par vouloir partager plus qu’une danse avec lui, il est beaucoup trop confiant quand il s’agit de séduire. Epstein l’extirpe du gymnase pour flâner dans la rue en insultant les conducteurs qui les éblouissent, et ils se retrouvent devant le supermarché, à l’écart de tout autre commerce. L’endroit est aussi glauque que leur tronche d’ados bourrés défigurés, mais c’est aussi le commerce le plus fiable pour ne pas se faire choper avec de l’alcool dans leur sac. Les vendeurs s’en foutent là-dedans, ils veulent juste vendre leurs trucs avant qu’ils ne pourrissent.

« Tu penses qu'elle voyage, jolie Elise? » Il charrie le canadien, n’empêche que ça a toujours marché avec les filles (Dieu seul sait comment).
« D'ici un an je ferai le tour du monde, moi. »
« Parce que tu penses que tu seras plus doué pour choper de la gonzesse en jouant les baroudeurs ? » qu’il chambre à son tour, le rire gras et les yeux plissés, provocateurs. « Eh, tu veux pas qu’on se fasse ça ensemble d’ailleurs ? J’te rejoins chez toi avec tes caribous et on s’tire. » Et c’est pas seulement parce qu’il sait à quel point ça peut envoûter les filles, de raconter des aventures, mais aussi parce que faire le tour du monde, ça le brancherait carrément. Partir loin de ses géniteurs aussi. C'est surtout ça, en fait.

Les deux gaillards rentrent dans le commerce après avoir dérangé tout le voisinage avec leurs voix graves, et saluent aussi sobrement que possible le vendeur, trop occupé sur ses mots croisés pour leur porter un regard critique cependant. Greg se dirige immédiatement vers le rayon des snacks, balance deux paquets de chips et des biscuits tout choco à son pote, puis s’empare des trois dernières boîtes de sandwich et de canettes tièdes de bière qui feront bien l’affaire pour ce soir. « Au fait, Jack ? T’as ton portefeuille ? J’ai oublié le mien chez mes darons. »

Spoiler:

 

win Jack a son portefeuille, mais pas suffisamment pour pouvoir tout acheter. Le problème, c’est qu’ils ont très faim et vraiment très envie de prendre tout ce qu’ils ont sélectionné…
mitigé Le vendeur a finalement levé la tête vers eux et il est de plus en plus en train de se dire qu’il y a une couille dans le potage. Ca pue pour eux.
fail Aucun des deux n’a de quoi payer, ils se tapent le plus gros sprint de leur vie.

« Eh, tu veux pas qu’on se fasse ça ensemble d’ailleurs ? J’te rejoins chez toi avec tes caribous et on s’tire. »
« On part ce soir? »

Jack qui n’en a rien à foutre de ses engagements, des règles et autres annexes qu’il doit suivre maintenant qu’il est ici et qu’on lui donne le beurre, l’argent du beurre et la laitière avec. Il rêve de voir du pays et il en voit, ici - mais, mais. Il stagne. Il sait déjà que les fourmis dans ses jambes n’iront qu’en augmentant, il sait déjà que la sensation d’être ancré à un endroit n’en deviendra que plus amère au fil des années. C’est pas un truc qui s’estompe avec le temps, c’est une ambition qui s’amplifie plus on essaie de la comprimer.

Le supermarché est leur nouveau terrain de jeu. Il a la dalle, Epstein, lui qui se nourrit continuellement de pizzas surgelées et de cocas des distrubitrices du lycée. Son régime alimentaire est douteux comme le sont ses choix de vie, quand son seul et unique budget de la soirée mise sur un briquet avec des roses bleus à paillettes et des flammes en 3D qu’ils vendent hors de prix ici. Désormais, il s'agit de la possession la plus précieuse de l'australien d’adoption.

Sandwichs presque passés et bières à température pièce, ils ne sont pas les plus inspirants des adolescents pour l’heure. Leur bal de promo a été un flop total et ils en sont conscients, c’est déjà ça. Jack n’avait aucune attente comme pour tout ce qui touche de près ou de loin son quotidien : il se laisse juste mener, guider par le flot, sans jamais brusquer à contre courant. Sa gueule lui fait de plus en plus mal, la morsure des poings de leur bagare de gamins qui laisse des marques par ci par là sous forme d’ecchymoses sur ses joues. « Au fait, Jack ? T’as ton portefeuille ? J’ai oublié le mien chez mes darons. » leur pas ralenti, Epstein évalue les sorties de secours. S’ils piquent le matos, c’est pas si grave non? Ils reviendront demain donner des billets à la caissière ou mieux encore, les cacher à travers les tablettes comme des Robin des bois nouveau genre de l'allée des surgelés.

La vérité? Il a pas du tout envie de payer. « Je peux faire distraction. » le voilà qui suggère, ouvre la porte sans y mettre le pied. Un vendeur dans l’allée les scrute, Jack n'a même pas remarqué. Ça sent mauvais mais il est si imbécilement aveugle qu’il ne le saura jamais. « Dans 3? »

WIN : 3...2...1… Jack fout par terre toutes les conserves, le commis vient l’aider à ramasser.
SO CLOSE : 3...2...1… Jack fout par terre toutes les conserves, le commis demande le gérant à sa rescousse.
FAIL : 3...2...1… Jack fout par terre toutes les conserves, le commis appelle la sécurité.

« On part ce soir? »
« Deal. »

Le sourire qu’il affiche sur sa tronche d’éméché est grand, aussi grand que ses ambitions pour ce soir. Mais ce soir, le trajet le plus long que ces deux gamins risqueront de parcourir, c’est celui vers la taule. Oui parce que quand tous les habitants en auront marre d’entendre des gars bourrés chanter sur du Céline Dion à tue-tête en plein milieu de la rue, qu’ils en auront assez de ces ados qui se sentent invincibles, ils appelleront sans doute les flics. Pour l’instant, la rue peut se reposer, ce sont les vendeurs de cette supérette qu’ils viennent faire chier, Morton et Epstein. Surtout qu’ils n'ont pas un rond sur eux, les petits cons. « Je peux faire distraction. » qu’il propose, Jack. Leur regard se croise, et l’étincelle qui anime leurs pupilles vient sceller leur stratégie : c’est Greg qui va devoir se barrer avec les courses sous le t-shirt. Il cale les paquets de chips entre son pantalon et son haut, fourre les bières dans les poches de son veston et glisse les biscuits dans son froc. Il a à peine le temps de cacher le tout que Jack fout toutes les conserves au sol, et v’là Greg et sa démarche de crotte au cul s’empressant de se diriger vers la sortie. Il ne jette pas un seul regard en arrière Morton, trop apeuré de se faire arrêter dans son élan par un personnel de la supérette. Et quand il met un pied dehors, il se sent tout puissant, le voyou, il se sent monstrueusement fort alors que la vendeuse est sortie de sa caisse pour voir ce qu’il se passe dans l’allée.
Il vide alors ses poches et son froc pour jeter le tout derrière les grosses poubelles, et s’y cache par la même occasion. Dans le noir, à l’abri des lumières il est persuadé que personne ne les verra.

WIN : La vendeuse a cramé. Elle court vers l’extérieur mais ne trouve personne. Jack s’en sort indemne.
SO CLOSE : La vendeuse a cramé. Elle court vers l’extérieur, mais Greg ne sait visiblement pas se cacher : il se fait prendre, mais elle ne trouve rien sur lui.
FAIL : Leur petit manège ne fonctionne pas. La vendeuse crie au vol, les ados se font choper, les flics sont appelés.