HALSEY & CLYDE All we know We're falling apart, still we hold together We've passed the end, so we chase forever Cause this is all we know This feeling's all we know

Clyde ne faisait pas les cent pas dans la chambre d’hôtel en attendant qu’Halsey passe enfin la porte pour lui raconter en détails son entrevue avec Raelyn. Il ne faisait pas les cent pas, car il n’était pas du genre à passer le temps en le perdant, et pourtant, les soubresauts de sa jambe gauche qui venait régulièrement heurter le bureau auprès duquel il était assis trahissaient son impatience. Son boulot impliquait de devoir régulièrement travailler de chez lui ou partir réaliser des interviews ou des investigations sur le terrain, mais il s’était arrangé pour bosser de l’hôtel ce jour-là, voulant être présent dès lors qu’Halsey reviendrait. Même si elle lui avait dit ne rien risquer en partant, il préférait tout de même rester disponible, prêt à lui répondre et à sauter dans la voiture pour la récupérer si elle avait besoin d’aide – ce qu’il avait bien entendu omis de préciser, prétextant simplement qu’il bosserait de chez lui ce jour-là, ce qui n’était en soit que la vérité. Elle n’avait pas besoin de savoir qu’il s’inquiétait pour elle plus que de mesure, car cette Raelyn ne lui disait rien qui vaille, d’autant plus après ce que la brune lui avait raconté de leur premier rendez-vous. Ils avaient pris la route de Brisbane en espérant flairer une énième arnaque qui se déroulerait sans accroc, mais la réalité apparaissait désormais tout autre. Car si Clyde avait retrouvé le trace de Raelyn sans trop de difficultés, le reste de sa vie n’était qu’un écran de fumée, et si son nom existait bel et bien dans le dossier auquel il avait eu accès auprès de la bridage des stups, il était pourtant introuvable partout ailleurs. Il n’avait obtenu ni adresse personnelle, ni historique professionnel clair, ni mention d’un mariage ou autre lien légal, et encore moins l’existence d’enfants – même si, vu le genre de personne à laquelle Halsey semblait avoir eu affaire, il était peut-être préférable qu’elle ne traine pas une tripotée de gamins. Les deux arnaqueurs n’avaient donc rien de concret auquel se raccrocher pour se rapprocher d’elle, lui mettre la pression, ou glaner des informations nécessaires à l’élaboration de leur petite stratégie qui consisterait à lui soutirer autant de fric que possible. C’était justement ce manque de détails sur la vie de l’aînée Blackwell, ou même l’absence totale de détails, qui poussait Clyde à ne pas sentir cette affaire aussi bien partie qu’il l’avait imaginé. Lorsqu’il avait mentionné le nom de sa demi-sœur à Halsey, il savait bien qu’il s’était immiscé dans des affaires personnelles qui ne le regardaient pas, mais il pensait que la brune finirait bien par y trouver son compte s’il y avait un chèque à la clé. En vérité, il n’avait eu aucun droit de se lancer dans de telles recherches, et l’avait au départ fait par curiosité plus qu’en espérant réellement trouver quelque chose. Sauf que désormais, et alors que l’étau se resserrait autour de Raelyn autant qu’autour d’eux qui savaient bien que la blonde s’intéressait à leurs personnes, il réalisait qu’il avait peut-être guidé Halsey trop rapidement vers cette piste. La plupart de leurs arnaques passées avaient été relativement faciles – parfois longues, surtout les deux mariages de la brune, mais réalisables sans trop de difficultés et surtout avec de grosses sommes à la clé. Ils avaient décidé d’un commun accord qu’ils préféraient désormais se concentrer sur des actions plus rapides, à coup de chantages en tous genres, ce qu’il leur permettrait d’engranger des revenus réguliers sans mêle avoir à s’investir personnellement. Non pas que Clyde ait déjà donné de sa personne pour leurs petites magouilles, mais Halsey si, et il se portait aussi bien lorsqu’elle n’avait pas à l’ignorer pendant des jours parce qu’elle était avec son mari. ‘Mari’, rien que ce mot le faisait grimacer, mais il n’avait jamais remis en cause l’intérêt de tels investissements, et avait lui-même poussé la brune dans les bras de son dernier mari. Mais aujourd’hui, avec cette fameuse Rachel-Lynn, il ne s’agissait pas d’une affaire facile et rapide, et quelque chose lui disait qu’il ne pourrait pas vraiment jouer le rôle d’Halsey dans cette histoire et espérer la séduire.

Ayant terminé la rédaction d’une de ses chroniques supposée être lue à la radio et traitant de la pollution du littoral attribuée à diverses entreprises de la région, il s’était levé pour arrêter de tambouriner du pied sur le parquet, songeant à commander quelque chose à déjeuner avant qu’Halsey n’arrive. A cet instant, son téléphone vibra et il l’attrapa d’un geste coulé avant de se laisser tomber sur le canapé que comportait la large chambre. Son regard se vida rapidement d’expectative lorsqu’il vit que ce n’était pas la brune, mais une de ses conquêtes à qui il avait eu la mauvaise idée de donner son numéro car elle était plutôt intéressante et pas désagréable à regarder – mais à présent qu’elle enchainait les messages en espérant le revoir bientôt, il perdait de son intérêt pour elle. Trop facile, trop prévisible. Ignorant donc la demande coulante d’envie, il laissa son téléphone glisser sur les coussins au moment même où la porte s’entrouvrait pour laisser entrer Halsey. Elle n’avait pas prévenu qu’elle rentrait, pas toqué, utilisé sa carte pour entrer comme si cette chambre était la sienne, mais ce comportement n’étonnait plus le brun, qui s’en amusait même. Donnant l’impression qu’il était confortablement installé et pas le moins du monde sur le qui vive depuis plus d’une heure en l’attendant, il se retourna vers elle sans daigner se relever pour l’instant, attendant qu’elle se débarrasse de ses affaires pour s’approcher d’elle. “Alors ?” Pas besoin de plus, ce seul mot et la curiosité qui transpirait dans sa voix suffisait à donner la teneur de son impatience qu’il peinait finalement à cacher. Car les entrevues avec Raelyn se faisaient rares, et donc importantes. “Elle a enfin cédé devant ton charme légendaire ?” S’il ironisait presque en affichant son sourire en coin dont il connaissait l’effet sur la brune, il était pourtant terriblement sérieux.

Il regarda avec attention Halsey se délester de sa veste, geste qu’il l’avait vue faire des centaines de fois au cour de ces dix dernières années, mais dont il ne lassait jamais. En réalité, il ne lassait jamais d’elle, quoi qu’elle puisse faire, dire, peu importe qu’elle lui lance des regards farouches, plein de défi ou d’envie. Sa personne entière l’intriguait et lui échappait tout autant qu’il pensait la connaître et pouvoir réellement la compter comme un des rares éléments de stabilité de sa vie. Il ne lassait donc jamais de la regarder, car il ne s’était jamais délesté de l’idée qu’elle en viendrait peut-être un jour à claquer la porte en lui disant que leur petit jeu avait fini par l’ennuyer. Ce n’était jamais parti dans cette direction, et il se plaisait à croire qu’elle voulait le garder auprès de lui tout autant qu’il ne comptait pas s’éloigner d’elle, mais il ne s’était jamais défait de l’idée que tout pouvait voler en éclat d’un moment à l’autre. Le risque était faible, mais il était là, car il connaissait suffisamment Halsey pour justement savoir qu’il ne la connaissait pas totalement et qu’elle pourrait lui filer entre les doigts si elle y tenait réellement. La brune elle-même ne l’avait pas lâché des yeux tandis qu’elle s’approchait de lui et qu’il daignait enfin se relever pour lui faire face et l’écouter avec attention. “Toujours pas, peut-être que c’est toi qui devrais essayer la prochaine fois.” Son sourire s’élargit légèrement, amusé, bien qu’il aurait pu prévoir sa réponse à l’instant même où il l’avait cherchée. Sa Bonnie avait beau être imprévisible et inatteignable pour ce qu’elle était réellement, il pouvait se targuer d’être parfois capable de répondre à sa place s’il le voulait – il l’avait trop entendue se jouer de lui pour être encore étonné de son ironie mordante. “Peut-être.” Il aurait volontiers épilogué pour l’attiser, mais il voyait bien qu’elle avait davantage de choses à lui révéler, qui se traduisaient par l’éclat brillant de ses prunelles. Si Halsey n’était pas du genre à avouer ses propres échecs et tentait toujours de s’en sortir par une pirouette, elle n’avait en revanche pas ce regard-là quand elle n’avait rien de nouveau à lui apprendre. “Cela dit, je ne reviens pas les mains vides.” Il ne prit même pas la peine de prendre un air étonné car il l’avait lu sur son visage depuis trop longtemps, et ne comptait pas la féliciter avant de savoir de quoi il en retournait – elle prendrait le compliment avec trop d’entrain, c’était certain. Avant même qu’il ait pu l’interroger, elle lui tendit son téléphone qui affichait une photo sur laquelle il se pencha en fronçant les sourcils. “Ce n’est pas d’une grande qualité, mais tu crois que tu pourrais essayer de trouver de qui il s’agit ? Peut-être que lui aussi a un casier, on aura sans doute de quoi creuser si tu parviens à avoir quelques infos. Enfin, si tu penses que c’est dans tes cordes bien entendu…” Évidemment que c’était dans ses cordes, surtout que le type avait clairement la tête de quelqu’un avec un casier. Il n’avait pas obtenu les informations précédentes sans quelques contacts utiles au sein des forces de l’ordre, et retrouver un individu grâce à une photo constituait la base de ce qu’ils étaient capables de faire. Si le logiciel n’arrivait pas à recouper la tête de l’individu, là en revanche il devrait s’incliner et ce serait plus compliqué, mais nul doute que la qualité photo paraissait suffisante – du moins, il l’espérait. “C’est bien beau de s’acheter le dernier téléphone à la mode, tout ça pour prendre des photos floues” ironisa-t-il en relevant les yeux vers elle, qui le fixait d’un air innocent dans lequel il aurait pu se perdre s’il ne connaissait pas ses talents d’actrice. “Ça va le faire, j’vais voir ce que je peux en tirer.” Replongeant son regard sur la photo avant de poser enfin le téléphone tandis qu’Halsey s’approchait du balcon pour fumer, il attendit qu’elle croise son regard. “Bien joué Blackwell.” Il ne savait pas comment elle avait réussi à s’y prendre pour capturer cette photo, mais elle était pleine de ressources dont lui-même ne connaissait pas toute l’étendue, et c’était ce qui l’intriguait encore après toutes ces années.

Il la regarda recracher sa fumée, pris par l’envie soudaine de s’allumer une cigarette à son tour, alors qu’il avait asséné plein de bonne volonté encore quelques semaines auparavant qu’il en avait fini avec cette merde. Il savait bien qu’Halsey n’était pas dupe et qu’il pouvait bien faire ce qui lui chantait devant elle, mais il réussit à se retenir, préférant se perdre dans les volutes qui quittaient les lèvres de la brune. Pour l’instant. “Elle a découvert mon acte de naissance, elle sait que Sydney c’étaient des conneries.” Une carte en moins. Dommage, mais prévisible, vu la personne qui se dessinait derrière cette Raelyn. Il hocha la tête en portant la main droite à son visage, se demandant réellement dans quelle histoire ils venaient de se lancer. Qui partait à la recherche d’un acte de naissance… à part des gens comme lui ? A part des gens qui avaient quelque chose à se reprocher, à cacher ou à protéger ? “Elle est douée. Mais trop méfiante pour être clean, y a quelque chose de gros derrière. Tant qu’elle cache aussi du fric…” Il laissa sa dernière phrase se perdre en suspens, n’ayant aucunement besoin d’en dire plus. Si Halsey avait accepté de ne pas lui faire sa fête lorsqu’il lui avait balancé le nom de sa demi-sœur, c’était surtout dans l’espoir d’un pactole à la clé. Et de deux ou trois secrets à exploiter. “Et j’avais raison, elle et ce type qui habite sur un bateau, c’est du sérieux.” “Et merde. J’pourrais même pas tenter ma chance.” Encore une fois, il répondait sur le ton de la plaisanterie alors que son regard songeur trahissait la réalité de ses pensées – il engrangeait les informations une par une en espérant réussir à les assembler plus tard, et monter une nouvelle approche qui pourrait les mener encore un peu plus proche de leur but. “En gros, tu sais tout. Et toi, ta journée ?” A cette question qui détonnait avec le reste de leur échange, il s’éloigna d’elle pour aller piquer une cigarette dans son sac puis la rejoindre sur le balcon. Il avait fini par craquer – et merde. Mais la voir nimbée des rayons du soleil lui donnait envie de la rejoindre et de profiter de quelques bouffées de son addiction favorite en sa compagnie. Balayant la cour de l’hôtel d’un regard, il se retourna enfin vers elle. “Passionnante.” Pas du tout, et ça s’entendait. Il avait écrit sans grand entrain, et le papier sur lequel il bossé n’était clairement pas un de ses sujets favoris, mais il ne pouvait pas se plaindre qu’on lui refile les vieux dossiers, il ne faisait que commencer. “J’espère que ma soirée le sera encore plus.” Il lui lança un regard énigmatique, à l’instant même où son téléphone se mit à vibrer plusieurs fois de suite. Il lâcha un soupir, malheureusement persuadé qu’il s’agissait sûrement de celle de tout à l’heure, qu’il n’avait pour le coup pas envisagé dans le programme de sa soirée. Mais il n’aimait pas prévoir, alors tout était permis.

Cela aurait été bien mal connaître Halsey que de penser qu’elle n’allait pas relever la moquerie, d’autant plus que cette dernière n’était pas réellement fondée. Si Clyde mettait un point d’honneur à remettre la brunette à sa place lorsque cette dernière abusait - ce qui arrivait plutôt souvent - il prenait aussi parfois un malin plaisir à l’embêter même lorsque cela n’était pas mérité. Après tout, ce n’était que lui rendre la monnaie de sa pièce, pour toutes les fois passées et futures où elle n’aurait de cesse de le contredire par simple plaisir de s’opposer à lui et de le voir lever les yeux au ciel d’agacement. “J’aurais aimé t’y voir, j’en étais presque à me demander si elle n’avait pas des yeux derrière la tête. Elle est tellement… Blackwell.” Clyde n’avait pas eu l’honneur de croiser cette Raelyn en personne, et la remarque lui tira un rire sec qui trahissait pourtant davantage de la surprise que de l’amusement. Si Halsey en était arrivée au point d’utiliser son propre patronyme pour qualifier la blonde, cela ne pouvait augurer que de mauvaises choses, et le brun savait de quoi il parlait, pour pratiquer la Blackwell depuis beaucoup - trop ? - d’années déjà. “Ça promet de belles réunions de famille.” Auxquelles il n’avait aucunement l’intention d’assister, car il tenait à sa vie, tout simplement. Il se départit de son sourire moqueur lorsqu’elle lui tendit enfin la photo qu’elle venait de mentionner, et qui leur révélerait sans doute des informations utiles sur Raelyn, à travers l’identité de cet inconnu qui semblait être un des rares à posséder une place de choix dans la vie de la blonde. S’être emparé d’un tel indice était une belle avancée qui ne pouvait être attribuée qu’à Halsey, qui aurait visiblement préféré un jeter de fleurs et une liste de  compliments longs comme le bras, à la vue de ses sourcils haussés traduisant une certaine expectative. “Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirais que tu as l’air étonné Wakefield.” Clyde savait se jouer d’elle, mais également lui rendre le crédit de ses victoires, surtout lorsqu’elles touchaient à la sphère professionnelle. Si leur duo fonctionnait aussi bien depuis tant d’années, c’était en partie car ils avaient toujours su dissocier leurs affaires et leurs sentiments - quand bien même ces derniers n’étaient qu’un écran de fumée insaisissable, aux contours flous et changeants. “Jamais.” Clyde ne lui avouait que rarement ce qu’il pensait d’elle et de ses capacités en ce qui concernaient leurs magouilles, préférant se satisfaire de peu de mots lorsqu’il s’agissait de la complimenter, mais le regard qu’il lui porta alors qu’elle tirait une nouvelle fois sur sa cigarette suffisait à confirmer à la brune toute l’étendue du respect qu’il lui portait réellement.

Il aurait pu se moquer d’elle et rebondir sur le fait que Raelyn avait découvert son acte de naissance pour préciser qu’Halsey ne pouvait s’empêcher de faire un pas en avant sans en faire un en arrière, mais la vérité était qu’il s’attendait malheureusement à ce la blonde découvre rapidement la vérité au sujet de Sydney. Si ce n’était pas étonnant, c’était pourtant inquiétant, car cela les éloignait toujours un peu plus d’une affaire qui leur avait semblé facile au départ, et se révélait être bien plus complexe que prévu. Enfin, tant qu’il y avait du fric - s’il en avait - cela méritait tout de même qu’ils continuent à creuser jusqu’à avoir une idée plus claire de la personne qui se cachait réellement derrière cette Rachel-Lynn. “Tu aurais vu l’endroit où elle vit. On pourrait pas se le permettre, même en associant ce qu’il y a sur nos comptes en banque.” A ces mots, Clyde arqua un sourcil réellement étonné, et tout aussi intéressé - tout à coup, l’attrait du fric reprenait le dessus sur les difficultés auxquels ils se heurtaient pour l’instant. “J’espère que le courant est passé alors, parce qu’il va falloir y retourner.” Quelque chose lui disait que Raelyn n’avait pas accueilli sa demi-soeur à bras ouverts, mais cela ne changeait rien au plan de départ - tant qu’ils n’auraient pas d’autres pistes à suivre, se rapprocher de la blonde restait le but premier. “Si ça ne marche pas on se mettra à la plonge, vu que ça paye si bien.” Il décocha un sourire à Halsey avant de rempiler sur le fait qu’il était déçu que Raelyn fréquente quelqu’un, auquel cas il aurait pu tenter sa chance bien plus directement que ce que pouvait faire Halsey - et en plus, si la demoiselle était vraiment riche, cela n’aurait rendu la manoeuvre que plus intéressante. Si la brunette se garda bien de lui répondre, l’absence de sourire sur ses lippes suffit à satisfaire Clyde qui savait mieux que quiconque où appuyer pour agacer la jeune femme. Malheureusement pour lui, la tension de l’instant était partagée, tant et si bien qu’il finit par craquer et se diriger vers le sac d’Halsey pour lui voler une cigarette tant défendue qu’il alluma pourtant sans une hésitation supplémentaire. Les bouffées qui suivirent furent pour sa journée, bien plus ennuyante que celle qu’avait dû vivre la brune, ce que sa réponse laconique ne suffit pas à camoufler. “Te donnerait-on du fil à retordre ?” Si Clyde n’était pas friand de s’étendre sur ses émotions et ses arrières-pensées, il n’avait plus rien à cacher à Halsey en ce qui concernait ses activités, du moins plus après tant d’années. “Ils m’ont filé un dossier pourri, mais c’est le jeu, je viens d’arriver.” Pourri pour le commun des mortels, ou pourri selon ses standards à lui, qui frôlaient en permanence l’illégalité ? “Si je me débrouille bien, comme si l’inverse était possible, je devrais vite avoir des enquêtes plus intéressantes.” D’autant plus intéressantes qu’il pourrait s’en servir pour les entrecroiser avec ses recherches extra-professionnelles, et tout cela, c’était un bonus non négligeable de son métier qu’il avait su exploiter au fil des ans.

Lorsque son attention fut momentanément détournée par son téléphone qui n’arrêtait pas de vibrer, il saisit furtivement le regard d’Halsey dans la même direction, même si cette dernière se retint de relever quoi que ce soit. Par pur plaisir de faire ressurgir l’agacement qu’elle semblait tenter de masquer coûte que coûte, il termina sa clope avant de se diriger vers le canapé pour y attraper son téléphone qui y était resté. Il n’eut même pas le temps de lire le dernier message reçu que la brune s’empressa de requérir son attention à nouveau. “Tu te plais ici ?” Il acquiesça vaguement d’un hochement de tête accompagné d’un grognement, faussement occupé par les messages de la dernière conquête en date. “Je suppose que oui, tu n’as eu aucun mal à trouver du boulot ni à répandre… ton charme parmi la gente féminine.” Cette fois-ci, il releva enfin le visage vers elle, puis laissa glisser son téléphone dans sa poche - prenant bien soin de ne pas éteindre les notifications pour autant - avant de se rapprocher d’Halsey à nouveau. “Je n'ai pas à me plaindre” lâcha-t-il avec un sourire charmeur qui parlait pour lui. Il n’avait pas besoin de lui faire un dessin, car la brunette savait parfaitement qu’il savait se faire apprécier lorsqu’il y mettait du sien. “J’ai trouvé un appartement.” Il arqua les sourcils tandis qu’Halsey rapprochait son visage du sien, suffisamment subtilement pour qu’il évite toute remarque à son égard, mais pas assez pour qu’il ne sache qu’elle devait être à la limite de se hausser sur la pointe des pieds pour l’effleurer ainsi. Parfaitement calme - du moins en apparence - il ne lâcha pas ses prunelles tandis qu’il venait délicatement écarter une mèche de cheveux barrant la vue de la brune. Si elle s’attendait à ce qu’il saute si facilement sur la perche qu’elle venait de lui tendre, elle ne le connaissait pas si bien qu’elle s’en targuait. Même si l’envie le dévorait de demander davantage de précisions à Halsey - tout en espérant qu’il fasse partie de ses plans, même si la question semblait l’inclure - il ne put ravaler une moquerie bien trop tentante pour être oubliée. “Raelyn t’a offert une de ses chambres d’amis ?” Si son appartement était tel qu’Halsey l’avait décrit, elle devait bien en avoir une flopée, non ?

“Auxquelles tu seras convié bien entendu, Ben.” Clyde ravala un sourire contrit en fixant Halsey d’un air soudainement plus sévère, pour que la brunette comprenne que la blague était quelque peu de mauvais goût. Si cela avait l’air de la faire rire pour l’instant, cela risquait de bien moins amuser le brun le jour où cette invention lui retomberait dessus - et il ne doutait pas que cela arriverait, car l’image que leur renvoyait Raelyn était clairement celle d’une femme méfiante et du genre à assurer ses arrières. Il y avait donc peu de chances qu’elle ne tente pas de contacter ce fameux Ben à un moment ou à un autre, et Clyde n’était que peu enchanté à l’idée de se mettre dans la peau d’un personnage qu’il n’avait aucunement choisi - d’autant plus qu’Halsey était celle qui se grimait et changeait de tête comme de personnalité, habituellement. Il fut tenté de lui rappeler une nouvelle fois à quel point cette initiative était une belle connerie, mais Halsey en avait déjà entendu parler plus que de mesure, et il doutait qu’elle soit une adepte des répétitions. Cela était d’autant plus valable qu’elle venait de leur rapporter une information qui pourrait s’avérer extrêmement utile - si Clyde réussissait à sortir le nom de l’inconnu sur la photo - et il pouvait donc se priver de commentaires désobligeants pour la soirée. S’il s’amusait de savoir que Raelyn semblait être aussi compliquée qu’Halsey, aussi Blackwell, il n’en demeurait qu’un réel rapprochement entre les deux soeurs était nécessaire s’ils voulaient espérer avancer dans leurs recherches concernant la blonde. “Disons qu’on a beaucoup de points communs.” Ce qui pouvait passer pour une bonne nouvelle n’en était pas vraiment une - car si les deux jeunes femmes étaient aussi bornées et manipulatrices l’une que l’autre, ils auraient bien du mal à exécuter leur plan. Celui qu’ils avaient rôdé tant de fois, qu’ils connaissaient sur le bout des doigts et qui ne s’était que peu de fois heurté à des accrocs - pourtant jamais à la hauteur d’une Blackwell. “Alors c’est parfait, je te fais confiance pour jouer de tes charmes comme tu sais si bien le faire.” Sauf que cette fois, ce ne serait pas envers un homme, et Clyde ne pouvait que s’en satisfaire, quand bien même il se garda de le préciser. “On a raté notre vocation Wakefield, que veux-tu que je te dise.” Même pour le fric que Raelyn semblait avoir, Clyde n’était pas réellement certain de pouvoir se satisfaire de ce type de boulot qui l’ennuierait à mourir au bout de quelques jours. Il avait besoin d’une certaine dose d’adrénaline, de rush, de pression, car c’était ainsi qu’il avait toujours avancé depuis qu’il était gamin, sous tension quasi constante. L’air faussement défaitiste d’Halsey lui tira un rire qu’il ne tenta pas de masquer tandis qu’il essayait de visualiser la brunette les mains dans le savon. “Je t’imagine en train de faire la plonge, c’est…” Édifiant, surprenant, amusant ? Sûrement tout cela à la fois, mais surtout impossible, connaissant les standards auxquels Halsey était habituée depuis qu’ils avaient la chance de compter sur des comptes en banque perpétuellement remplis. Il se contenta de lui sourire avec un regard taquin tout en tirant la première bouffée de sa cigarette salvatrice après cette journée si pauvre en rebondissements - jusque là, du moins. “Tant que ça ne te prend pas dix ans.” Penser qu’il se contenterait de jouer les larbins de service pendant aussi longtemps était bien mal le connaître, et Clyde savait pertinemment qu’Halsey essayait par là de le titiller, à un juger par la manière dont elle le regardait du coin de l’oeil. “Si je ne te connaissais pas aussi bien, je dirais que tu doutes de mes capacités ?” Et une deuxième bouffée d’air grisâtre s’échappa de ses lèvres tandis qu’il la fixait d’un air tout aussi amusé que perçant, avant que son téléphone et ses vibrations incessantes ne le détournent de leur échange.

Il s’écarta brièvement, ce qui sembla suffisamment désagréable aux yeux d’Halsey pour qu’elle ne perde pas de temps et lui annonce de but en blanc qu’elle avait trouvé un appartement. Sans se faire prier, Clyde reprit sa place auprès d’elle en la laissant se rapprocher petit à petit - à se demander qui essayait d’user de ses charmes sur l’autre, à cet instant-là. “J’ai acheté un appartement.” Le brun haussa les sourcils d’étonnement - moins par déception que Raelyn ne lui ait pas vraiment offert de la loger, que par surprise qu’elle ait agi ainsi sans lui en parler. Un sentiment dérangeant s’empara de lui, tandis qu’il se sentait quelque peu laissé de côté dans cette décision, alors qu’il savait pertinemment qu’il n’avait pas son mot à dire quant aux investissements de la brune, de la même manière qu’elle ne pouvait l’obliger à faire de même. Au fond, le fait que son ego se trouve blessé d’une telle situation l’emmerdait bien davantage que la décision même d’Halsey, ce qu’il tenta de camoufler sous un regard mystérieux qui s’était pourtant bien rapidement départi de toute lueur d’amusement. “Félicitations, alors. On ne se refuse rien, à ce que je vois.” Et une plaisanterie de plus pour gagner du temps, alors qu’il se retrouvait pris de court et ne savait réellement quoi dire à la brune. Était-ce le moment de lui révéler qu’il n’était pas venu à Brisbane que pour la suivre, et qu’il n’était pas vraiment certain de son avenir dans cette ville ? Que cela dépendrait de ce qu’il y trouverait, ou n’y trouverait pas, concernant son père ? Non, ce n’était pas le moment, car il n’était pas prêt à encaisser sa réaction face à ce qu’il savait être une sorte de trahison bien pire que l’achat d’un appartement, alors que lui-même n’était même pas plus avancé que tous les questionnements que lui aurait sûrement retourné Halsey. “Je te présenterai mon agent si tu veux, il est fabuleux.” Clyde n’eut aucun mal à saisir l’allusion, ce qui lui tira un sourire tandis qu’il se reculait de quelques centimètres pour se soustraire à la pression qui lui imposait inévitablement une telle proximité avec Halsey. Et puis, il préférait largement observer son sourire déçu de loin, ce qui lui tira une moue par avance. “Qu’est-ce que je ferais d’un appartement ? J’ai pas besoin d’un dressing immense.” A se demander qui avait besoin d’un tel dressing. Puis surtout, il n’avait pas besoin de préciser à la brune qu’il avait de quoi payer une chambre d’hôtel ainsi qu’un local pour bosser pendant de longs mois s’il le désirait - et c’était ce qu’il souhaitait, prendre le temps de voir comment allaient tourner les affaires avant de prendre ce genre de décision. “Et puis je suis certain que tu me réservera la chambre d’amis, n’est-ce pas ?” Au milieu de toute l’incertitude qui l’entourait, il n’était pourtant pas prêt à lâcher la brune, quand bien même son envie de laisser planer le doute, de lui rappeler qu’il était insaisissable, l’avait un instant amusé. “Il est où, cet appartement ?” Non pas qu'il aimait être proche d'Halsey - dans tous les sens du terme - mais tout de même, il préférait. Pour parler affaires, évidemment.

Halsey en train de faire la plonge était une image édifiante et pourtant trop improbable pour que Clyde puisse réellement l’imaginer. Tout ce qu’il pouvait visualiser en y songeant était la moue agacée d’Halsey qui rechignerait à la tâche à la première occasion venue - comme pour toute chose qu’elle devait faire sans l’avoir décidé elle-même. “… Une image qu’aucun de nous n’a envie de visualiser, je sais.” Peut-être pas elle, mais le brun s’en amusait pourtant, quand bien même il préférait largement la savoir à ses côtés en train de réfléchir au meilleur moyen de se rapprocher de Raelyn - si tant est que la brune ne doute pas de ses capacités à obtenir les informations nécessaires sur l’individu présent sur la photo qu’elle venait de lui transférer. “Jamais.” Clyde hocha les épaules en découvrant un fin sourire sur ses lèvres, avant de se détourner pour faire cesser les vibrations incessantes de son téléphone qui ne laissaient aucun doute sur leur origine. Il imaginait bien qu’Halsey n’était pas dupe, et quand bien même il ne lui faisait pas l’affront de la fixer dans les yeux tandis qu’il répondait à sa conquête de la veille, il pouvait se figurer son sourire pincé qu’elle devait certainement lui offrir. Il ne finit par relever les yeux que lorsqu’elle jugea bon de le ramener auprès de lui pour discuter de leur futur à Brisbane, ce qui lui semblait être un sujet suffisamment important pour se détacher de ses messages un instant, dont il n’avait en réalité que faire.

Lorsque la brune lui révéla avoir acheté un appartement, Clyde ne put s’empêcher de laisser son sourire s’effacer tandis qu’il la fixait plus sérieusement, d’une expression neutre que lui-même n’aurait su définir. Cette annonce était aussi surprenante que prévisible, et pourtant, cela le prenait de court car il n’avait pas été mis au courant d’une décision qui les concernait tous les deux. L’appartement était au nom de la jeune femme, certes, mais nul doute qu’elle comptait sur lui pour rester dans les parages, à en juger par ses allusions qui se voulaient voilées mais ne laissait pas une once de doute au brun. Or, lui-même ne savait ce qu’il découlerait des mois à venir à Brisbane, ni même s’il aurait envie de rester ici une fois que l’histoire avec Raelyn se serait décanté, et qu’il aurait enfin décidé d’ouvrir la porte de son propre passé. En investissant en ville, Halsey lui coupait en quelque sorte l’herbe sous le pied, le privait de son opportunité de partir sans se retourner - cette liberté qu’il avait toujours tenue comme principe fondamental de son existence. Bien évidemment, il pourrait s’opposer à ce choix et décider d’en faire un qui serait opposé - mais il ne le pouvait pas réellement, ou ne le voulait pas, plutôt. Où aurait-il intérêt à aller si Halsey n’était plus à ses côtés pour faire fonctionner leur duo qui semblait désormais essentiel à leurs affaires ? Clyde se priva pourtant de partager tous ces questionnements avec la brunette, préférant la féliciter d’un ton qui se voulait détaché - après tout, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait de son argent, principe qu’elle avait toujours appliqué jusque là sans lui demander son avis. Sauf qu’habituellement, elle achetait une paire de Louboutin, pas un appartement, mais soit. “Merci. J’étais fatiguée de vivre à l’hôtel, ça manque… de personnalité.” Clyde afficha une moue compréhensive, car il pouvait difficilement la contredire sur ce point-là - à la différence près que lui se fichait bien de décorer un appartement ou encore de se considérer propriétaire. Tout ce qu’il recherchait, c’était la discrétion, et jusque là l’hôtel les avait bien servi, puisqu’aucun des deux n’avait utilisé leur vrai nom pour réserver leurs chambres - ce qui serait sans doute plus complexe pour acheter un appartement. Pour autant, il comprenait qu’Halsey veuille rester à Brisbane - au-delà de leur intérêt pour Raelyn et de toutes les arnaques potentielles à suivre, le brun concevait qu’elle puisse apprécier la ville, ou plutôt le changement de décor radical après tant d’années à Perth. Clyde n’avait jamais été en possession de tous les détails de l’enfance de la brune, mais si elle avait été aussi merdique que la sienne, il imaginait aisément qu’elle n’ait aucun problème à s’éloigner de cette ville sans même se retourner, comme c’était le cas pour lui. Rien ne les avait jamais vraiment retenu nulle part, à part eux-mêmes, à part eux deux.

En attendant qu’il se décide sur son avenir à Brisbane, Halsey serait sans doute suffisamment sympathique pour lui réserver la chambre d’amis - encore plus s’il lui demandait avec un sourire charmeur, n’est-ce pas ? “Ça fait beaucoup de certitude je trouve.” Beaucoup de certitudes mal placées lorsqu’il s’agissait d’Halsey en face, surtout. Pour autant, Clyde ne se démonta pas et il lui offrit son plus beau sourire en coin, celui dont il connaissait l’effet sur la brune après tant d’années, et qui lui ouvrirait sans aucun doute les portes de sa chambre - peu importe le quartier dans lequel cette dernière se trouvait. Cependant, le brun aurait menti s’il avait dit que la nouvelle de savoir Halsey plus loin de lui désormais l’enchantait, car il avait pris goût à ses derniers mois en ayant la brunette à quelques pas de lui seulement. Son agacement ne l’empêcha pas de se montrer plutôt curieux quant à l’investissement de la brune, car cela allait clairement impacter leurs conditions de vie et de travail si elle avait décidé de s’exiler hors du centre ville - ce qui serait tout de même étonnant, étant donné sans attraits pour le pourcentage élevé de boutiques de luxe au mètre carré que le quartier offrait. “Près d’ici, à Spring Hill. Je t’inviterai à la crémaillère.” “Trop d’honneur, Blackwell” contra-t-il d’un ton railleur qui masquait tant bien que mal le fait qu’une invitation à une soirée ne suffirait sûrement pas à combler le manque qui allait malheureusement s’insinuer dans sa vie lorsque la brunette ne serait plus de l’autre côté du mur et qu’il ne pourrait plus s’inviter dans ses draps à sa guise - à elle, évidemment. Heureusement, il pourrait encore compter sur elle dans le même quartier que lui, chose qu'il avait espérée silencieusement depuis qu'elle lui avait annoncé cette nouvelle. “Tu comptes partir ? Quand ça sera terminé.” Voilà qui devenait intéressant, comme d’habitude lorsqu’Halsey daignait enfin se montrer vraiment honnête et lui ouvrir le fond de sa pensée. Elle lui avait proposé de rester de manière détournée, et le brun avait pris un malin plaisir à laisser s’insinuer le doute quant à son avenir en ville - doute qui était pourtant bien présent - alors qu’il ne pouvait pour autant pas s’imaginer repartir tant que la brune serait encore là. Alors, si elle décidait de se montrer enfin plus franche envers lui, il n’était pas suffisamment bête pour continuer à jouer le jeu seul, d’autant plus que la question lui semblait nécessaire à aborder, à un moment ou à un autre. Si cela devait être dès à présent, il doutait que sa réponse lui plaise, quand bien même cette dernière était d’une honnêteté rare. “J’en sais rien.” Il lui aurait voulu lui dire que oui, il resterait, ou que non, il n’avait aucune raison de rester simplement pour suivre la décision que madame avait prise unilatéralement. Mais la vérité était qu’il n’en avait aucune idée lui-même, et qu’il n’avait pas envie de lui expliciter maintenant toutes les raisons qui jouaient dans cette incertitude. Il tira une dernière bouffée sur sa cigarette avant de l’écraser dans le cendrier et de fixer la brunette droit dans les yeux. “J’en ai aucune putain d’idée. Mais j’suis là pour l’instant.” Et c’était tout ce qui comptait, non ? Pour appuyer ses mots, il l’attira à elle et plaqua ses lèvres sur les siennes, espérant que cette réponse suffise à apaiser Halsey. Pour l’instant.

*** 1 mois plus tard - Juin 2020 ***

Ce n’était pas la première fois que Clyde sonnait à l’interphone du nouvel appartement de la brune à Spring Hill, et pourtant, il se faisait encore la réflexion que cela aurait été bien plus simple qu’elle conserve la chambre d’hôtel attenante à la sienne. Question de confort, de praticité, mais aussi de besoin lors qu’il se glissait dans ses draps à lui et réalisait qu’il aurait préféré être dans ses draps à elle. Pourtant, il ne pouvait se retrouver auprès de la brune en quelques secondes à peine, et cela lui manquait, quand bien même il ne lui avait pas précisé dans ces termes. Après tout, ils étaient à Brisbane pour une raison professionnelle, et la brune ne manqua pas de sauter directement sur le sujet alors qu’il avait à peine franchi la porte du salon. “Dis-moi que tu as du nouveau.” Il l’avait appelée pour la prévenir qu’ils devraient discuter de la fameuse photo qu’elle avait volée chez Raelyn, certes, mais un simple bonjour ne l’aurait pas tué, et il ne manqua pas d’afficher un sourire face à sa mine sérieuse pour le lui rappeler. “Bonjour à toi aussi. Bien dormi ?” Clyde ne faisait que céder à son envie permanente de titiller la brune, car lui aussi était arrivé devant chez elle armé d’un sérieux à toute épreuve. Non pas car ils devaient discuter d’un sujet sensible, mais parce qu’il était sur le point de lui mentir effrontément concernant une information qu’elle méritait pourtant de connaître. Raelyn était bien plus dangereuse qu’il ne l’avait imaginé en la recherchant, ni même qu’ils ne l’avaient espéré en initiant le premier contact. Si la blonde était loin de la soeur parfaite qu’il aurait été bien plus facile de piéger, aucun d’eux ne s’attendaient pourtant à ce qu’elle traîne dans des affaires illégales à ce point-là. Au point où, plus jeune et camée jusqu’à la moelle, elle ait perdu son petit-ami dans une sombre affaire lors d’une intervention des forces de l’ordre ayant mal tourné.

Lorsque Clyde avait obtenu l’identité de cet inconnu sur la photo qui traînait chez Raelyn, un fameux Aaron, son sang n’avait fait qu’un tour en réalisant qu’ils s’étaient embarqué dans quelque chose qui risquait cette fois de les dépasser. Il n’en savait pas plus, le reste de l’affaire étant classé - question de bavure policière, sans doute, et son contact n’avait rien pu faire de plus pour lui. Cependant, il n’avait pas besoin de preuves concrètes pour craindre que Raelyn soit désormais réellement liée au Club, le gang auquel appartenait cet Aaron. Il n’y avait qu’à s’arrêter quelques secondes devant l’endroit où elle habitait - seul quelqu’un ayant un poste à grosses responsabilités, légales ou illégales, pouvait se permettre de vivre dans un immeuble pareil, sans compter le fait qu’elle n’était pas une inconnue au restaurant toujours fiché dans le dossier des stups. Si Raelyn était liée au Club depuis cette date, la mort d’Aaron remontant à plus de dix ans, Clyde était prêt à parier qu’elle n’était pas n’importe quelle dealeuse - et son air intouchable et menaçant ne faisait que le confirmer. Cependant, le brun n’avait pas l’intention de révéler tout cela à Halsey, puisqu’il prévoyait de couper net cette piste-là en assurant que l’identité de l’homme était impossible à faire ressortir dans les fichiers. Plusieurs raisons le poussaient à vouloir cacher une telle information à Halsey, pour la première fois depuis qu’ils s’étaient associés tant d’années auparavant, mais la première relevait d’une réelle inquiétude. Si Raelyn était si létale qu’elle en avait l’air, Clyde ne voulait pas que la brune traîne autour d’elle plus longtemps - et puis après tout, si elle ne représentait plus un pigeon idéal, ils n’avaient plus de raison de mener cette piste plus loin. Il s’en voulait bien plus qu’il ne l’admettrait devant la brunette, mais il avait conscience d’être celui qui les avait mis dans cette situation, et il espérait réussir à les en sortir sans qu’Halsey n’ait plongé trop loin dans les filets de Raelyn, ou pire, que cette dernière ait eu la très mauvaise idée de trop creuser de leur côté à eux.

Pour toutes ces raisons, chacune ayant plus ou moins de valeur aux yeux du brun, il soutint sans ciller le regard d’Halsey qui attendait clairement une réponse positive. Dommage. “Je lui ai demandé de croiser tous les fichiers une dernière fois mais toujours rien. Ce mec est un fantôme.” Dans tous les sens du terme, aurait-il pu préciser. Clyde mettait toute la responsabilité sur son contact des stups, ce qui était le seul moyen crédible de justifier qu’il n’ait obtenu aucune information sur cet inconnu - après tout, ce n’était pas lui qui avait directement accès aux données policières, et il n’était donc pas responsable si rien ne ressortait dans les recherches. “Ça sent mauvais, c’est pas une affaire facile comme les autres.” Il ne pourrait jamais proposer directement à la brune de l’abandonner, quand bien même l’envie l’en démangeait - alors, à défaut, il ne pouvait que tenter de lui faire comprendre que cela les dépassait, et qu’ils feraient mieux de passer à autre chose. Si seulement il n’avait pas eu l’idée de fouiner dans sa vie, et elle de déménager à l’autre bout du pays pour le prendre au mot.

A en juger par la moue que la brune lui offrit en levant les yeux au ciel, Clyde comprit avant même qu’elle n’ait pu le formuler qu’elle n’avait sans doute pas passé la meilleure des nuits. “Pas vraiment. Et toi ?” Il aurait aimé avoir tort, mais il avait suffisamment côtoyé la tête de la brune au réveil pour connaître la moindre de ses expressions, et parfois imaginer les réponses à ses questions avant même de les poser, quand bien même il ne serait pas allé jusqu’à se targuer de la connaître à ce point-là, surtout devant elle. Il lui offrit un sourire désolé qui sonnait pourtant faux, ce qu’il ne manqua pas d’appuyer en préférant rire de la situation plutôt que de l’envenimer - surtout vu ce qu’il s’apprêtait à annoncer à Halsey. “J'étais pas dans la chambre d'à côté, c'est pour ça.” Quant à lui, il avait très mal dormi, mais la raison était limpide et il ne pouvait pourtant pas la partager avec elle, car il était sur le point de lui mentir pour la première fois sur une affaire qui les concernait pourtant tous les deux. A bien y réfléchir, Halsey avait même bien plus de droits que lui quant à ces informations, et pourtant, une méfiance sourde poussait le brun à vouloir cacher à tout prix ce qu’il avait découvert, de peur que cela ne se retourner contre elle. Contre eux. La dernière chose dont ils avaient besoin était que quelqu’un vienne fouiller dans leur passé et mette à jour leurs petites affaires qui leur permettait d’avoir le style de vie qu’ils avaient aujourd’hui - et qui serait certainement moins confortable s’ils devaient faire un tour par la case prison. Au-delà de ses craintes de se finir par se retrouver derrière les barreaux par sa propre faute, il voulait protéger Halsey d’un mal sur lequel il n’arrivait pourtant pas vraiment à mettre le doigt. Il savait que la brune n’avait réellement cure du lien de sang qui l’unissait à Raelyn, mais resterait-elle toujours aussi impassible lorsqu’elle découvrirait petit à petit que les deux avaient bien plus en commun qu’elle ne l’imaginait ? Lorsque Raelyn se retournerait contre elle alors qu’elle aurait vraiment commencé à l’apprécier ? Clyde ne faisait là que projeter ses propres incertitudes sur sa réaction lorsqu’il finirait enfin par être face à son père, et quiconque d’autre l’homme aurait engendré avant ou après avoir disparu de sa vie. Mais en réalité, ce qui l’inquiétait le plus, au-delà même de se faire coincer, était la sécurité de la brunette. Si les personnes qui en voulaient à Raelyn – et il devait y en avoir – apprenaient qu’elle avait une demi-sœur, Halsey deviendrait automatiquement une cible ambulante, et il s’agissait d’une idée à laquelle Clyde se refusait entièrement. Le premier à réellement toucher un cheveux d’Halsey dans un contexte autre que le partage d’un lit ou d’un mariage serait un homme ou une femme morte, et il ne se sentait pas suffisamment une âme de meurtrier pour vouloir en arriver là, bien au contraire.

Au milieu de toutes ces pensées qui se bousculaient dans son esprit depuis des jours et qui avaient été à la limite de le faire disjoncter cette nuit même, il garda pourtant un visage orné d’un léger sourire lorsque la brunette lui tendit un café sans même qu’il n’ait eu le demander – pas besoin d’être à l’hôtel pour bénéficier d’un service irréprochable, finalement. Clyde prit appui sur la table en avalant une première gorgée de café alors que la brune allumait sans doute l’énième cigarette de sa journée, à en juger par la vitesse avec laquelle elle s’était jetée dessus. “C’est pas normal, ça devait être quelqu’un d’important. Tu crois qu’ils ont fait une connerie et qu’ils couvrent leurs traces ?” C’était absolument ce qu’il craignait, et pourtant, ce n’était pas ce qu’il voulait qu’Halsey pense, car il la connaissait suffisamment pour savoir qu’elle ne lâcherait jamais le morceau s’il y avait davantage à connaître de cette histoire. “Ou alors ta Raelyn était sentimentale à l’époque et n’a jamais oublié son premier amour.” Clyde aurait espéré que l’histoire soit plus facile à vendre, et pourtant, vu le personnage de la blonde, il n’essayait même pas réellement de convaincre Halsey de la véracité de sa supposition. Tout ce qu’il pouvait faire pour éloigner autant que possible les soupçons de la brune était de lui faire croire que lui n’en avait pas, ou n’en avait plus. “Ça serait bien la première fois que je te verrais céder face à la difficulté.” Le regard noir qu’il lui servit n’était pas volontaire, et pourtant, il avait empli ses prunelles à la seconde près ou elle avait douté de lui – ce qui faisait aisément parti des choses qu’il détestait le plus au monde. “C’est une impasse, ça ne veut pas dire qu’on ne va pas trouver autre chose.” Une part de lui crevait de l’envie de lui avouer qu’il n’avait pas cédé face à la difficulté, et qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait, car il était doué dans ce qu’il faisait. Et pourtant, une autre part tentait tant bien que mal de muselait les remarques acerbes au bord de ses lèvres, qui n’avaient aucune valeur comparé à son but principal, protéger Halsey. Il préféra donc ne pas répondre à la remarque de la brune, de peur de rentrer dans un jeu dans lequel il risquait de se faire prendre. “Est-ce que ça vaut vraiment le coup ? On avait dit qu’on arrêtait les coups compliqués et les mois de préparation.” Les mariages, du moins, mais le cas Raelyn était encore bien plus complexe qu’un Jack, et le doute n’était plus permis. Il espérait simplement qu’Halsey finirait elle aussi par comprendre que Raelyn ne leur lâcherait jamais rien, et qu’il s’agissait d’une impasse dont il fallait se sortir avant de s’y faire piéger.

Les tentatives du brun pour dériver Halsey semblaient rester vaines tandis qu’elle le jaugeait d’un regard irrité - à croire qu’elle lui en voulait pour quelque chose, quand bien même elle n’était pas au courant de ce qu’il se tramait réellement derrière son dos. “Si tu le dis.” Aux dernières nouvelles, Clyde était censé obtenir des informations sur l’inconnu présent sur la photo que la brune lui avait fourni, mais retrouver la trace d’un individu ne relevait pas de ses seules compétences, et il pouvait difficilement être tenu pour responsable si les recherches ne donnaient rien du côté de la police - en théorie, du moins. En d’autres circonstances, Clyde aurait été agacé à son tour d’avoir l’impression d’attirer ainsi les foudres de la brune alors qu’il n’avait en apparence rien à se reprocher, mais puisqu’il était bien trop conscient que ce n’était en réalité pas le cas, il préféra garder un sourire moqueur accroché aux lèvres, tandis qu’il tentait une dernière fois de dérider Halsey par ce qui semblait finalement être la pire idée possible. Après tout, il n’avait pas l’habitude de lui mentir ainsi, et se retrouvait donc un peu hors de son champ d’action habituel. “Tu penses vraiment ce que tu es entrain de me dire là ?” Clyde jouait un jeu, certes, mais il n’était pas un benêt et espérait que la brune en avait tout de même conscience, car cette question piquait très désagréablement sa fierté. “C’est une vraie question ?” A son tour, il leva un sourcil inquisiteur, comme pour faire comprendre à Halsey que les plaisanteries avaient leur limite, surtout lorsqu’elles n’étaient pas réellement des plaisanteries, comme cela sonnait dans la bouche de la brune. “Evidemment que non.” Tenter d’éloigner Halsey de la piste de Raelyn était une chose, mais sous-entendre que la blonde était sentimentale en était une autre. Ils avaient tous deux eu la chance, ou du moins l’occasion, de rencontrer la blonde, et ils n’avaient plus besoin de se concerter quant à la froideur assumée qu’affichait la blonde et qui transpirait d’insensibilité plutôt que de romantisme. Et c’était justement pour tout cela, et la méfiance exacerbée de Raelyn qui n’augurait rien de bon, que Clyde espérait détourner Halsey de cette affaire qui s’annonçait plus complexe qu’ils ne l’avaient imaginé.

Alors qu’il n’avait pas réellement envisagé que ses mots puissent entraîner une telle réaction de la part de sa complice, elle se leva d’un bond de sa chaise en le fusillant d’un regard toujours plus noir, si cela était encore possible. “Je n’en sais rien Clyde, pourquoi tu ne t’es pas posé la question avant de fourrer ton nez dans mes affaires et de me trouver une sœur à Brisbane ? Ne t’avise pas de me dire que tu veux laisser tomber, parce que si on est ici, c’est uniquement de ton fait.” Il était donc là, le fameux reproche latent dont Clyde avait fait les frais à maintes reprises, mais qui était heureusement resté enfoui depuis qu’ils avaient commencé à réellement suivre la piste de Raelyn à Brisbane. Le brun s’était fourvoyé lui-même en croyant qu’il pourrait y échapper à nouveau, surtout dans ces conditions où il tentait de faire une croix sur tous leurs plans qui tournaient depuis le début autour de Raelyn, et dont il était en effet à l’origine. Si Halsey avait pris la décision de déménager à Brisbane et de suivre cette piste, l’idée avait émergé dans le cerveau du brun alors que lui-même se posait de nombreuses questions sur sa famille. Trop buté, trop méfiant ou trop lâche pour se lancer sur les traces de ses propres origines, il avait alors fait ce qu’il maitrisait le mieux - il avait fouillé, dans le passé de sa comparse dont il connaissait tant et si peu de choses à la fois. La découverte d’une demi-soeur s’était imposée comme du pain béni, et l’occasion rêvée de suivre un nouveau pigeon qui ne finirait cette fois pas dans le lit d’Halsey, ce qu’il ne pouvait qu’apprécier. Des mois plus tard, il ne pouvait que regretter cette décision de se mêler ainsi du passé de la jeune femme, mais également de la situation incontrôlable dans laquelle ils étaient désormais plongés par sa faute, sans qu’il ne puisse pourtant lui avouer à quel point. “Ne rejette pas toute la faute sur moi, s'il te plait.” Clyde était fautif jusqu’au bout des ongles, et pourtant, le ton qu’employait la jeune femme commençait passablement à l’agacer. Il était à l’origine de tous ces changements, mais il n’avait fait qu’apporter les informations à Halsey, qui avait de son propre chef décidé de déménager - et de l’emporter avec elle, ce qu’il pouvait alors difficilement refuser. “L’idée de déménager et de plumer Raelyn venait de toi. Je ne t'ai pas forcée, je te rappelle.” Son ton était franc, mais pas aussi dur que celui d’Halsey, car il tentait encore d’apaiser les tensions qu’il sentait émaner de la brune jusqu’à lui - quand bien même il ne pouvait se résoudre à lui donner totalement raison. Jamais.

Quelques secondes plus tard, il vit la cigarette de la brune voler et haussa un sourcil, s’attendant presque à ce qu’elle lui saute au visage sous le coup de l’impulsivité. “C’est quoi ton problème ?” Son problème ? Plutôt simple à résumer, en réalité. Il n’existait plus réellement de doutes sur le fait que Raelyn et son cher Aaron trempaient dans des affaires plus que louches qui auraient vite fait de faire perdre la liberté, ou la tête, à Halsey et Clyde - ce que ce dernier souhaitait éviter autant que faire se peut. Malheureusement, il ne pouvait l’exprimer en ces mots à la brune, même s’il mourrait d’envie de lui expliquer que son comportement ne visait qu’à les protéger, à la protéger. “De quoi tu parles ?” Son ton se fit plus incisif, presque irrité, tandis qu’il se demandait ce qu’Halsey pouvait encore lui reprocher d’autre. Avait-elle vu clair dans son jeu, réalisait-elle qu’au-delà d’aller à contre courant de ses idées, il lui cachait réellement quelque chose ? “J’ai pas de problème mais j’vais en avoir un si tu continues à me parler comme ça.” Clyde n’était pas réellement partisan de l’adage qui disait que la meilleure défense était l’attaque, mais cela semblait être la seule solution viable à cet instant-là.