La brune pouvait cracher tout le venin qu’elle voulait, Clyde n’était pas en mesure de saisir les potentielles conséquences de leurs paroles mutuelles tant elle l’avait énervé. “Compte pas sur moi pour te rafraîchir la mémoire.” Il leva les yeux au ciel et balaya ses provocations d’un geste de main visant à lui faire comprendre la crédibilité et l’importance qu’il accordait à ses menaces - et autant dire que c’était infime. Non seulement la brune l’avait suivi dans le but de ruiner sa soirée, mais en plus, maintenant que son plan avait fonctionné, elle n’était pas capable de le lâcher et le laisser rentrer seul après ce repas écourté. S’attendait-elle à une médaille, une félicitation, à ce qu’il laisse cette soirée gâchée derrière lui aussi facilement ? Car elle pourrait toujours patienter pour ça, ce soir, cette nuit et même demain, étant donné le niveau d'agacement qui s’était emparé du brun. Qu’elle se soit écorché les pieds en courant et même qu’un extincteur lui soit tombé sur le pied, ce n’était pas réellement son problème étant donné qu’Halsey s’était attiré ces ennuis comme une grande, et qu’il avait autre chose à faire que voler à son secours - comme tenter de se calmer, se coucher, et voir demain ce qu’elle méritait en contrepartie de sa petite escapade nocturne. Alors qu’il allait monter en voiture, elle lui pointa son pneu crevé - comme si la soirée n’était pas assez catastrophique comme ça. “Je suis flattée que tu me penses capable d’agir à distance alors que j’ignorais que tu étais garé ici, mais je vais être obligée de te décevoir.” “Ouais, c’est ça.” Elle pouvait lui raconter ce qu’elle voulait, il n’en avait cure, car le moment n’était pas à s’assurer de sa culpabilité qui n’était plus à prouver pour les déconvenues précédentes - la priorité était de faire sortir la voiture de là, et de laisser Halsey derrière avec ses escarpins en mains. Elle avait trouvé le chemin aller vers le restaurant, et n’aurait donc aucun mal à le faire dans l’autre sens. Il regonfla donc le pneu en quelques instants à l’aide d’une bombe, sans jeter un oeil à la brune et ce qu’elle pourrait bien encore décider de lui faire subir - comme si elle n’en avait pas fait assez. Alors qu’il allait enfin monter en voiture, il la vit, confortablement installée sur la banquette arrière, et s’approcha de la vitre avec un air mauvais. “Je sors pas d’ici, je te préviens. Tu devras m’y sortir de force.” “J'ai autre chose à faire que m'occuper de toi, putain.” Ce mauvais rêve ne finirait-il donc jamais ? Durant une demi-seconde, il hésita fortement à ouvrir la portière et tirer la brune à l’extérieur, mais si cette dernière ne semblait pas avoir de limite quant à la violence à laquelle elle aimait recourir - en témoignent les escarpins - lui avait un minimum de valeurs qui l’empêchaient de lever la main sur une femme, et encore plus sur Halsey, peu importe ce qu’elle pouvait lui faire subir. Alors, contre toute attente et sûrement contre celles de la brune, il contourna la voiture pour s’installer le siège conducteur, ne tardant pas à allumer le moteur et se diriger vers la sortie du parking. “Tu sais quoi, fais ce que tu veux.” Son ton n’était même pas dédaigneux, mais frôlait l’irrespect tant il respirait l’ignorance. Il ne lui jeta même pas un regard dans le rétroviseur central - si jouer le rôle de taxi lui permettait d’avoir la paix d’ici une quinzaine de minutes, il prenait. “Mais compte pas sur moi pour t’amener à l'hôpital demain quand ton pied te rappellera ce que t'as fait.” Et encore, il ne s'était pas pris la mousse de l'extincteur dans les yeux. Sur ces derniers mots, il se tut, fixant la route qui défilait sous ses yeux.

Clyde voyait bien dans les yeux de la brune qu’elle doutait quant au sort qu’il allait lui réserver, alors que lui-même hésitait encore à la tirer dehors de la voiture comme elle le méritait presque. Lorsqu’il s’approcha de la vitre, Halsey ne perdit pas de temps pour enfoncer le clou à nouveau, ce qui n’arrangeait vraiment pas son cas. “Tu as gâché un merveilleux Sauvignon et ruiné mon maquillage, tu pourrais au moins montrer un peu de compassion à mon égard.” Oh, il allait surtout lui montrer qu’il ne comptait pas lui donner raison alors qu’elle tentait encore de le soudoyer de la pire des manières qu’elle connaissait, c’est-à-dire en l’énervant encore davantage dans l’espoir qu’il finisse par rire du ridicule de la situation. Malheureusement pour elle, la colère du brun brûlait désormais trop fort, et il aurait surtout voulu lui rétorquer qu’elle pouvait se la mettre où il le pensait, sa compassion. “J’avais presque oublié à quel point t’es superficielle.” Ces quelques mots crachés d’un air de dédain, il prit place au volant et rejoignit les routes du centre-ville de Perth qui lui offraient au moins l’avantage d’être dégagées à cette heure-là - plus vite il avalerait les kilomètres, plus vite il serait débarrassé de la tête d’Halsey qui lui inspirait tout sauf de la sympathie à cet instant. Il fut presque surpris lorsqu’elle posa son menton sur le rebord du siège passager, cherchant l’attention qu’il se refusait à lui donner. “Tu es fâché comment sur une échelle d’un à vingt ?” A défaut de constituer des excuses, la brune avait enfin décidé d’arrêter d’alimenter sa colère, ce qui eût le don de calmer quelque peu le brun qui se retint de cracher toute la panoplie d’insultes qui lui écorchait la gorge depuis de longues minutes. Durant quelques secondes, il ne répondit pas, profitant d’un long virage sur la route pour prétendre qu’il avait autre chose à faire que de s’occuper de ses petits regrets. “La réponse va pas te plaire.” Il avait craqué et finit par lui lâcher quelques mots qu’il n’avait pas sifflés, cette fois, car même dans ses moments de rancœur, il n’arrivait jamais à l’ignorer éternellement - un effet indésirable que la brune avait sur lui et qu’il n’appréciait pas autre mesure. “Si tu voulais passer la Saint-Valentin avec moi, il suffisait de demander.” Intérieurement, il aurait presque eu envie de lâcher un sourire, mais il n’était encore en mesure de se radoucir et gardait donc ses yeux fixés sur la route, ne voulant pas céder à l’appel des prunelles qui avaient le don de le faire chavirer.

“Pourtant ce n’est pas comme si je m’en cachais.” Certes, mais il y avait une différence entre se montrer superficielle face au reste du monde et face à lui - il la connaissait mieux que personne, et il savait que son ses airs de princesse uniquement motivée par l’argent et les apparences se cachait bien plus qu’elle ne voulait bien le montrer. Alors qu’elle ne vienne pas lui parler d’un maquillage gâché, car il n’était pas en mesure de rire du ridicule de cette remarque qu’il se contenta d’ignorer comme si elle n’avait pas existé. Ce ne fut qu’une fois sur la route, enfin à peu près calmé après que son crâne ait arrêté de lui rejouer la chute de l’escarpin et la douleur lancinante qui lui était parvenue, qu’il avait fini par daigner les adresser quelques mots qui ne contenaient aucune insulte - et c’était dire à quel point il s’était calmé. “Dis moi toujours, je peux encaisser.” Pas sûr. A nouveau, il attendit quelques instants avant de frôler son regard dans lequel trônait une lueur amusée qu’il ne pouvait malheureusement pas se targuer de ressentir lui aussi. Il voulait bien supporter la brune dans sa voiture et lui faire comprendre que sa colère finirait par passer, mais il ne comptait pas pour autant plaisanter aussi légèrement qu’elle tentait de le faire. “T'as réussi à dépasser le quinze, bravo.” Il ne comptait pas lui préciser que cela avait un peu baissé depuis, car il aurait préféré qu’elle prenne conscience qu’elle n’avait pas intérêt à réitérer ce genre d’exploit tous les quatre matins. Après tout, elle n’avait aucunement besoin d’en arriver à ce genre de caprice, alors qu’elle aurait simplement pu lui demander de passer la Saint-Valentin avec elle - il se serait fait un plaisir de se moquer, mais aurait fini par accepter, cela ne faisait aucun doute. “Pas la Saint-Valentin. Mais la soirée, j’aurais pas dit non.” Elle avait beau se cacher sous ses airs de femme désabusée par ce genre de fête commerciale - opinion que partageait Clyde en tous points - elle ne pouvait tout simplement pas avoir monté cette histoire juste pour une soirée comme les autres. Si Halsey ne voyait pas de signification à ce jour-là, elle semblait pour autant se refuser à ce que Clyde le passe avec quelqu’un d’autre, alors qu’elle savait très bien - en principe - que le brun s’en fichait tout autant qu’elle. A bien y réfléchir, il n’y avait donc pas beaucoup de justifications pour son comportement, qui relevait soit de la jalousie, soit du besoin compulsif de rappeler au monde à quel point elle pouvait être emmerdante et têtue. Clyde aurait penché pour les deux options tout à la fois, car la jalousie avait toujours été une compagne silencieuse de leur relation qui n’impliquait pourtant aucune attache. “Des soirées y en a tous les jours.” Jusque là, elle ne pourrait pas le contredire. “Ça méritait pas tout ce cinéma pour quelque chose auquel tu n'aurais juste pas dit non.” Si elle voulait le convaincre qu’elle souhaitait juste passer la soirée avec lui, et que ce jour ne revêtait pas plus d'importance que cela à ses yeux, alors elle devrait se montrer un peu plus honnête ou se répandre en excuses pour son comportement qui avait franchi les limites que Clyde lui connaissait pourtant - car il n’avalait pas ses justifications bancales.

***

Alors qu’ils arrivaient enfin devant l’appartement de la brune - car Clyde avait fini par se dire qu’il ne pouvait pas la laisser sur le bord de la route, mais qu’elle ne méritait pas son lit à lui - il coupa le moteur avant de se tourner vers elle, enfin. “Bonne nuit.” Son ton avait perdu de sa froideur, et pourtant, il était sans appel. Il aurait pu se tirer avec ses escarpins et la laisser pieds nus dans le parking, ce qu’il n’avait pas fait pour se transformer finalement comme taxi contre son gré, alors elle avait au moins intérêt à se considérer chanceuse qu’il l’ait ramenée jusqu’en bas de chez elle.

Quinze était sans doute quelque peu exagéré, quoi qu’au paroxysme de sa colère, il l’avait sans doute touché du doigt - mais cela était redescendu depuis, sans quoi il aurait viré la brune de sa voiture sans ménagement. “Est-ce que je peux faire quoi que ce soit pour redescendre en dessous de dix ?” Son air de chien battu qu’il apercevait du coin de l’oeil aurait presque réussi à attendrir le brun, mais il lui faudrait plus que trois phrases de prétendues excuses - car il n’en avait pas entendu jusque là - pour qu’il oublie si facilement son comportement déplacé. Clyde ne releva pas, n’ayant pas encore décidé à quelle sauce il allait faire mijoter Halsey pour lui faire comprendre qu’elle avait mérité qu’il se montre dur avec elle et ne craque pas au premier sourire désolé de sa part. Il dériva donc sur la Saint-Valentin, histoire que la brune comprenne qu’elle n’avait pas à monter un plan pareil si elle souhaitait passer la soirée avec lui, ce qu’elle semblait pourtant avoir du mal à admettre - typique. “On en avait parlé de ce restaurant et finalement, je t’y retrouve avec une blonde décolorée le soir de la Saint Valentin. J’ai besoin de te faire un dessin ?” Clyde avait beau ne pas se rappeler de tout, et surtout pas de détails de conversations parfois frivoles qu’ils pouvaient avoir, la brune restait tout de même en haut de la liste des sujets qui tournaient en boucle dans sa tête - ainsi, penser qu’il ait pu oublier un lieu dont ils avaient parlé tous les deux, c’était le prendre pour un imbécile. Il n’était pas du genre romantique, mais il aimait inviter la brune dans certains endroits car il savait qu’elle appréciait toujours le cadre d’un beau restaurant, et lui faire plaisir à elle lui faisait plaisir à lui - aussi cliché que cela puisse sonner. “Pas besoin de dessin. Par contre pour redescendre en dessous de dix, tu peux arrêter de me mentir.” Il lui laissa un instant pour qu’elle percute seule qu’il ne croyait pas un mot de ses justifications, ou du moins, qu’il savait lire au-delà des lignes. “Quand tu veux passer la nuit avec moi, tu me le dis. C’est tout.” Et sur ces paroles, il tira le frein à main et fixa ses yeux dans les siens alors qu’il venait de se garer devant le bâtiment où Halsey habitait. Son rôle pour la soirée était terminé, et il n’attendait désormais qu’une chose - qu’Halsey regagne son appartement, et que lui se dirige enfin vers le sien, avant de s’écrouler sur son lit qu’il n’avait pas pourtant pas prévu de retrouver si vide ce soir. “Tu veux monter ?” Il hésita une seconde, tandis qu’il plissait les paupières en jetant un coup œil à la brune. “Pas vraiment.” Les mots étaient peut-être durs, mais ils étaient mérités et - presque - honnêtes. Y avait-il réellement une fois où il avait refusé de monter, quand bien même Halsey l’avait agacé ? “Toi, tu veux que je monte ?” La vraie question était celle-là, et il espérait qu’elle ait retenu ce qu’il lui avait précisé plus tôt, sans quoi il ferait demi-tour sans attendre son reste et la laisserait devant sa porte telle Cendrillon à minuit.

Il était évident que la brune n’allait pas s’avouer vaincue si facilement, et encore moins lui avouer tout haut ce qu’elle pensait tout bas, et qui avait sans aucune doute motivé son idée machiavélique de venir gâcher la soirée de Clyde. “J’y penserai la prochaine fois.” La prochaine fois qu’elle voudrait passer la soirée en sa compagnie, ou la prochaine fois que lui passerait la nuit avec quelqu’un d’autre ? Car s’il s’agissait de la seconde option, la brune avait intérêt à comprendre qu’il ne fallait pas qu’il y ait de prochaine fois. Surtout pas, si elle ne voulait pas que l’intégralité de son dressing disparaisse mystérieusement du jour au lendemain. “Tu peux le mettre en application dès maintenant” qu’il lança avec un air de défi, avant de lui répondre clairement que son envie de passer la nuit avec elle avait été quelque peu effritée par le cinéma qu’elle venait de jouer - en revanche, si elle lui demandait clairement ce qu’elle voulait, il y songerait plus sérieusement. Elle finit par laisser retomber sa main qui était déjà sur la poignée, pour se retourner vers lui et hocher la tête d’un air qui ne paraissait pas réellement ravi de devoir prononcer ce mot qui n’était pourtant pas sorcier. “Oui.” Clyde se fendit enfin d’un léger sourire, se retenant d’ajouter que ce n’était pas si difficile, après tout. “Je ne suis pas Kate, mais bon.” Comme si elle y croyait. Se rabaisser n’était qu’un stratagème de plus qui visait sans doute à ce que Clyde lui rappelle d’une manière détournée qu’elle n’était pas Kate, mais qu’elle était mieux - cependant, elle tombait mal, car il n’était pas d’humeur à la complimenter après cette soirée avortée. Il haussa donc les épaules à son tour, tout en retirant les clés du contact et en posant à son tour la main sur la portière, prêt à sortir de la voiture, finalement. “On se contente de ce qu’on a.” La compagnie de la brune n’était habituellement pas si mal et lui convenait bien plus que celle de n’importe quelle inconnue qu’il pouvait rencontrer, mais ce soir-là, elle n’était que son lot de consolation - ou plutôt, il comptait au moins en maintenir l’illusion. Alors que la brun faisait le tour de la voiture, il finit par laisser tomber son regard sur les pieds de la brune, dont l’un d’eux avait clairement doublé de volume. Il prit un air pincé, alors que rien ne l’obligeait en soit à aider la brune - mais il ne pouvait s’en empêcher malgré tout. “Besoin d’un coup de main ?” Il aurait bien aimé la voir lâcher quelques larmes de douleur, mais toute cette mascarade ne méritait peut-être pas qu’il se montre sadique à ce point.

Durant les quelques instants où la brune pinça les lèvres alors que Clyde lui faisait bien comprendre qu’il la ramenait chez elle seulement car son idée de départ pour cette soirée avait été avortée, il se serait presque attendu à ce qu’elle rejette son aide par simple fierté - ce qu’elle avait fait suffisamment de fois pour que cela ne l’étonne plus. Pourtant, elle ne mit qu’une seconde à hocher la tête, ce qui suffit à faire comprendre au brun qu’elle ne s’était pas loupée et que la douleur devait être bien plus intense qu’elle ne voulait bien le montrer. Plutôt que de s’en satisfaire, il ressentit une pointe d’inquiétude à son égard, car la voir souffrir était tout autre chose d’essayer de l’agacer ou de l’énerver. “Tu vois, le karma s’est chargé de me faire payer mon esclandre de ce soir. Tu peux donc arrêter de me râler dessus.” Il hocha la tête tout en l’attirant à lui. “Il ne t’a pas loupée.” Ou plutôt, elle ne s’était pas loupée, car l’idée de se saisir d’un extincteur faisait encore partie de ses réactions extrêmes qui finissaient forcément par tourner mal - même si le plus souvent, ce n’était pas pour elle, raison pour laquelle Halsey se croyait parfois plus invincible qu’elle ne l’était vraiment.

Alors qu’il passait un bras de la brune par-dessus son épaule, il avisa d’un regard les escaliers qui menaient au bâtiment, dans lequel ils devraient encore marcher pour atteindre l’ascenseur. Déjà plié en deux, l’idée de supporter la brune pendant ce qui allait durer comme une éternité ne lui semblait finalement pas la meilleure. Alors, contre tout bon jugement et contre sa propre volonté qui lui soufflait de laisser Halsey galérer jusqu’au bout, il la souleva et la hissa dans ses bras, tandis qu’il commençait à avancer vers la porte de l’immeuble qu’il pointa du menton pour qu’elle l’aide à l’ouvrir. Il ne prononça pas un mot, ne lui fit pas le plaisir de la regarder dans les yeux alors qu’elle devait être certainement satisfaite d’imaginer qu’il avait craqué - non, il avait simplement opté pour la solution la plus pratique, pour lui comme pour elle. Quand bien même son air impassible ne laissait filtrer aucune émotion, il ne put chasser de son esprit le souvenir vif qu’il avait encore de la première fois où il l’avait ainsi prise dans ses bras. Des années plus tôt, autant dire une éternité auparavant, et un instant qui restait pourtant gravé dans sa mémoire sans qu’il ne puisse effacer ce souvenir du jour où il l’avait enfin attirée à lui. Ce moment où il avait enfin craqué, et qui s’était révélé être tout à la fois la pire et la meilleure décision qu’il ait jamais prise.

“Il faut dire que ça n’était pas une très bonne idée.” Nul doute qu’il s’agissait sûrement des aveux les plus aboutis qu’il obtiendrait de la brunette, qui malgré son sourire de façade avait fini par baisser les armes et visiblement réaliser que le karma lui était retombé dessus - pour cette fois, et pour toutes les autres où elle s’en était sortie sans une égratignure, et c’était sans doute mérité. Pourtant, Clyde ne prenait aucun plaisir à regarder Halsey serrer les dents à l’idée de poser son pied par terre, raison pour laquelle il l’attira à lui sans faire plus de manières malgré sa raison qui lui criait de laisser la brune se débrouiller seule et d’assumer la responsabilité de ses actes. Mais elle avait mal, trop mal, et il la connaissait suffisamment pour savoir que cette douleur n’était pas feinte - ainsi, il ne pouvait tout simplement pas la regarder sans rien faire, même s’il aurait pu se contenter de la traîner le long des étages. Il opta pour une solution plus radicale et la hissa dans ses bras, évitant soigneusement de fixer Halsey qui n’était visiblement pas encline à chercher coûte que coûte le regard du brun. La sensation du visage de la jeune femme posé quelques instants sur son torse, sans qu’aucune parole ou qu’aucun acte insensé ne vienne briser ce moment, eut pour effet de calmer encore un peu plus les battements de son cœur qui avait été bien trop affolé par la colère que la brune avait réussi à susciter en lui - sans doute même au delà de ses espérances et de sa volonté première.

Alors qu’il poussait la porte de chez elle, il l’interrogea du regard quand au lieu où la déposer tandis qu’elle lui indiquait la cuisine - après tout, quitte à la monter jusqu’à son étage, il n’y avait plus vraiment de règle qui l’empêchait de rentrer chez elle. Ce n’était pas la première fois qu’il franchissait cette porte, et sûrement pas la dernière, quand bien même la mascarade orchestrée par Halsey n’était en principe pas supposée aboutir à ce qu’il mette les pieds dans son appartement ce soir. “Merci.” Il hocha la tête en la regardant se précipiter sur le premier sachet de surgelés qui lui tombait sous la main. “Si tu veux boire ou manger sers toi, après tout j'ai un peu gâché ton repas.” Clyde arqua les sourcils, la méfiance ne l’ayant pas quitté malgré l’aide qu’il venait de porter à la brunette - et bien qu’elle ne semble pas réellement se moquer de lui, il n’y avait qu’un pas entre ce qu’Halsey voulait bien afficher et ce qu’elle pensait réellement. “Pas qu’un peu.” Au-delà d’un délicieux repas gâché, il n’y avait nul besoin de faire lui faire un dessin quant à ce qu’elle avait gâché d’autre - elle était suffisamment grande pour l’imaginer. “C’est la dernière fois que tu fais un truc pareil, tu m’entends.” Et ce n’était clairement pas une question, au cas-où la brune y voit une ouverture. La gorge sèche, las d’avoir contenu tant de remarques désobligeantes à la bordure de ses lèvres, Clyde se saisit d’une bouteille d’eau fraîche afin de se remplir un verre avant l’avaler d’un trait, lâchant au passage un soupir de soulagement. Vu l’état dans lequel était Halsey, elle avait terminé de lui causer des problèmes pour ce soir - même si son état inquiétait davantage le brun bien plus qu'il ne voulait bien l'avouer. “Ça va aller pour cette nuit ?” Qu’elle soit encore vivante et en état de fonctionnement au matin - ce n’était pas qu’il avait besoin d’elle, mais un peu tout de même.

En d’autres circonstances, Clyde aurait été étonné qu’Halsey ne tente pas de relever ses remarques et de s’y opposer, comme elle prenait habituellement tant de plaisir à le faire, et ce même lorsqu’elle était en tord. Pourtant, cette dernière semblait avoir compris ce n’était plus ni le moment ni l’endroit pour lui tenir tête, à moins qu’elle n’espère se le mettre à dos pour plus de temps qu’il ne prévoyait déjà de la snober du regard pour toutes ses idées plus machiavéliques les unes que les autres. S’il laissait passer ça sans lui faire comprendre qu’elle risquait réellement de le perdre un jour si elle continuait ses conneries, ce serait trop facile pour elle, et c’est ce qu’il tenta de lui faire comprendre en lui précisant qu’elle n’avait pas intérêt à recommencer. Comme si cela allait suffire à l’en dissuader. Pourtant, elle ne broncha pas, et c’était tout ce que Clyde pouvait espérer pour ce soir - que pour une fois, elle hoche la tête et lui accorde raison, en apparence du moins.

Ce fut cet accord tacite d’en rester là, et d’admettre qu’Halsey avait été trop loin, qui le poussa à rester quelques secondes supplémentaires et à se verser un verre d’eau avant de poser les yeux sur le pied toujours aussi bleu de la jeune femme. Cette douleur qu’elle ne feignait pas réussissait à inquiéter le brun malgré tout ce qu’elle lui avait envoyé - presque littéralement - dans la figure ce soir. “Je ne vais pas mourir Clyde, au pire j’irai aux urgences demain pour faire examiner ça. Et j’éviterai les talons pendant un moment.” Evidemment qu’elle conservait un semblant de fierté même dans cette situation, et qu’elle en profitait pour se moquer une dernière fois de lui - sans quoi Halsey ne serait pas Halsey, et il le savait. Il se contenta de ne pas relever la remarque, n’ayant pas prévu de la plaindre si elle-même ne ressentait pas le besoin qu’il s’apitoie sur son sort. “Mais ça me ferait plaisir que tu restes.” Cette fois, il la regarda droit dans les yeux et voulut croire à un éclair de sincérité lorsqu’elle s’adressa à lui, si bien que son idée initiale de repartir aussi rapidement qu’il était entré dans l’appartement fut ébranlée quelques secondes durant. Une part de lui voulait enfoncer le clou profondément et tourner les talons en lui lâchant un au-revoir sec, quand bien même il reviendrait vers elle dès le lendemain - cependant, une autre part était suffisamment inquiète quant à la santé de la jeune femme pour vouloir rester auprès d’elle et s’assurer qu’elle irait bien. Il jaugea les deux options tout en ne lâchant pas Halsey du regard, puis finit par reposer son verre dans l’évier après l’avoir terminé. “Je reste au cas-où, pour t'emmener s'il y a besoin.” Elle pouvait s’estimer heureuse qu’il lui cède une partie de terrain, mais elle pouvait en revanche s’asseoir sur des aveux de sensibilité et d’inquiétude à son égard.

Sans plus de cérémonie, il entreprit de tomber un à un ses vêtements - si soigneusement choisis pour l’occasion, et pourtant copieusement tachés désormais - avant de glisser dans la douche pour éponger les derniers restes d’alcool qui lui collaient sûrement encore au visage, au milieu de tout ce qui l’avait éclaboussé. Il entreprit ensuite de se saisir d’un drap avant de se laisser tomber dans le canapé, en caleçon, n’ayant besoin d’aucune parole pour faire comprendre à la jeune femme que si la trêve était déclarée, elle ne pouvait espérer signer une paix sur l’oreiller si vite. Du moins, là étaient ses espérances, mais il n’aurait juré sur l’état de sa volonté quelques heures plus tard, et sur la vue de la brune à quelques pas de lui seulement.