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 a year from now (bennett)

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Message(#) Sujet: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyDim 27 Déc 2020 - 19:48


C’était comme ça tous les soirs, ce soir étant probablement le pire.

Et il souriait Bennett, je jure que je l’ai vu sourire entre une bière et un shot, je jure qu’à un moment y’avait une lueur dans son regard. Certains affirmeraient que c’était de l’espoir, d’autres de la connerie. J’aurais été de ceux qui auraient clamé haut et fort qu’il était heureux, qu’il avait vu flasher devant ses prunelles des miettes de bribes de bonheur qu’il devrait retourner chercher – et trouver – dans ses bras à elle, avec elle. Pourtant il était de retour à pire, prêt à souffler, prêt à rager. Il ne se bat pas, il frappe à peine. Il pique plutôt, passif agressif tendant sur le nocif. Il me fait mal à voir sachant tout ce qu’il a bien pu être et devenir, le Bennett d’avant et son homologue affalé sur les sièges de l’Académie étant bien loin lui aussi.

« Tu devrais pas. » que je m’entends presque gronder, à demi-mots, impossible à prendre au sérieux. Mes doigts se resserrent sans la moindre force, sans la moindre vigueur autour du verre qu’ils viennent de lui servir. L’alcool est âpre et l’alcool roule sur ma langue quand il a fini de brûler la sienne. Je n’y goûte pas, mon propre verre de bourbon que je sirote depuis une heure me faisant autant d’effet si ce n’est que le regard noir que j’anticipe le voir répéter à mon intention dès que je tente de le raisonner. Ça ne marchera pas, et c’est peine perdue. Il a mal et il ne parle pas ; ses silences sont pires que ses paroles de toute façon. Quand je finis par inspirer et lâcher prise, c’est bien avant qu’il n’ait dit quoi que ce soit. Le barman avait essayé, lui aussi, échoué lamentablement. Autant laisser Bennett gagner celle-là, choisir mes combats.

Et ce soir ils sont moindres, minimes, quasi absents. « Et je devrais pas moi non plus. » et le voilà, le contenu de mon verre qui attendait comme une épée de Damoclès depuis trop longtemps. La gorgée la dernière, celle qui secoue ma langue et mes sens, celle qui passe d’un trait avec l’espoir aussi naïf que stupide qu’elle amène avec elle toute la peur, toute la crainte, tous les remords, les regrets. C’est ma faute si Noah est malade et c’est ma faute si son corps lâche à défaut de ce que lui a offert comme cadeau empoisonné le mien. Le diagnostic est tombé et il a mal, à cause de l’hérédité. Il a mal et il se noie dans un lit d’hôpital bien trop grand pour lui, la chambre 204 bien trop grande tout court. Moi je noie ce qui reste, peu, de mon verre et maintenant du sien. Bennett était juste là au pire des meilleurs moments. Ou au meilleur des pires? J’ai oublié le pourquoi du comment, lorsque personne ne comprend rien, ni lui, ni moi. Ni la serveuse, qui remplit nos verres à nouveau.

c’est ton cadeau de bienvenue lol:


Dernière édition par Ginny McGrath-Williams le Lun 28 Déc 2020 - 23:09, édité 1 fois
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyDim 27 Déc 2020 - 20:17


Cette fois c’était la bonne, qu’il se disait à chaque fois, les yeux scintillants, la bouche avide. L’explosion dans son corps passée, il redescendait d’une marche ou deux, toujours, sonné, mais le regard plus allumé, le visage qui ressuscitait petit à petit. La pensée laissait place au plaisir après chaque gorgée. Il ne sait pas où il est, il ne sait pas quelle heure il est, il ne se rappelle déjà pas grand-chose de la longue journée qu’il a passée. Il ne sait pas pourquoi il est avec Ginny. A vrai dire, il oublie sa présence toutes les dix minutes, le temps de descendre encore d’un cran sur l’échelle de la dégradation. Il la voit du coin de l’œil boire, elle aussi, alors il ne pose pas de questions. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire, qu’elle soit là pour le surveiller ou pour faire la même chose ? Tant qu’elle boit, elle s’intègre dans son univers actuel, fait de verres étincelants et de feu dans les cordes vocales. Quant à lui, il souriait avec quelque chose d’extraordinairement naïf, ou d’extraordinairement puéril, il souriait, soulagé de sentir que l’effet des shots ne se dissipait pas de soir en soir, soulagé de se sentir monter dans un nuage incandescent dont il ne sentait pas la brûlure, anesthésié, lunaire. Il virevolte entre les états d’esprit, alterne entre des phases de douceur enfantine et de cynisme froid, se laisse balloter par des émotions contraires. Il est seul, même si Ginny est juste à côté, il est seul dans sa tête comme dans une boîte noire où personne ne peut rien lui reprocher, et où les variétés de boisson sont autant de promesses de bonheur.

Qu’est-ce qu’elle fait ? Il la regarde, comme dans un rêve, s’emparer de son prochain butin. Il n’a pas le temps de la foudroyer des yeux qu’elle se résigne et les doigts de Bennett peuvent souplement s’enrouler autour de son whisky. Pourtant Bennett aime la saveur du vin plutôt que celle des alcools forts, avec lesquels tout va trop vite, qui ne laissent pas l’esprit se délecter de son engourdissement. Il sait qu’elle boit du vin, elle, il le sent d’ici, il pourrait le sentir de l’autre bout du monde. Mais il n’a pas envie de se faire plaisir avec un grand cru trop délicieux, trop subtil. Il a envie que ça aille vite. Il soupçonnait le barman de lui mentir, lorsqu’il lui demandait ce qu’il y avait de plus fort ; il avait vaguement souvenir d’un rhum à 60° caché derrière. Bennett n’a pas envie de batailler. Va pour le whisky. L’ambre liquide glisse rapidement entre ses lèvres, laissant s’échapper en échange un soupir de satisfaction. « Tu devrais pas. » Il rigole, Bennett, il rit à cette drôle d’idée qu’il y avait des choses qu’on ne devrait pas faire. Ça lui parait tellement loin… Ginny elle-même lui parait tellement loin, elle lui semble un fantôme, une création de son propre esprit. Il était adulte et vacciné, responsable de ses actes. Quel contrat l’empêchait d’aller s’offrir une petite liqueur de temps en temps ? « Pas de morale, » souffle-t-il de façon presque inaudible. Il s’amusait, Bennett, il se sentait bien, il se sentait vivant. Il n’avait pas besoin qu’on le ramène de l’autre côté, encore moins de la pitié de quiconque. Si elle n’avait pas pu l’empêcher de se retrouver ici, personne ne le pourrait. « Et je devrais pas moi non plus. » Il essaie, Bennett, pendant qu’elle parle, de retenir ses mains nerveuses de s’emparer de nouveau du verre pour le finir. Il n’y parvient pas. Seulement après cette brève altercation avec lui-même, il se tourne lentement vers Ginny, comme s’il venait de la remarquer – pour la quatrième fois. « Tu sais quoi, Ginny… Ce matin, je me sentais… » Le mot ne vient pas, parmi les dizaines de mots qui expriment la confusion, la douleur, l’épuisement, la colère ; l’esprit de Bennett renonce, encore une fois. Comme il a déjà renoncé à beaucoup de choses ce soir. « …mal. Et là… » Il montre d’un geste les verres vides, leurs verres, soldats de cristal au garde-à-vous. « …là je me sens bien. Presque bien. » Il me manque encore un peu, douce mélodie qui s’élevait chaque fois que la dernière goutte fuyait dans sa gorge.

Voilà pour l’explication, voilà pour la morale. Voilà pour Ginny qui commence à vider tout ce qui lui passe sous la main. Bennett fait un signe à la serveuse, se penche vers elle, marmonne quelque chose. La vendeuse de merveilles revient, cette fois avec deux whiskys. Bennett dessine distraitement le contour du verre avec son index, s’accordant un court répit. Et il regarde encore Ginny, le rire au bord des yeux, la lumière dans les iris, rien d’autre que de la lumière – noire –, l’envie d’être bien. Simplement, que cesse ce jeu de reproches muets. « T’as qu’à partir si t’en veux pas. Me dit pas ce que je dois faire, » qu’il lâche en poussant l'eau-de-vie vers elle, croyant sans doute lui faire une faveur. Il n’est même pas sûr d’avoir de quoi le payer. Il avait pourtant promis de faire gaffe. A qui ? Personne, lui répond la surface plane, nullement troublée, de la liqueur. Et il espérait que la mer de leurs âmes rejoigne cette sérénité du whisky, sans vagues, sans tempêtes, sans rien.

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyDim 27 Déc 2020 - 22:05


Ils ne se ressemblent pas du tout, Bennett et Auden. Ils sont à des lieux d’être l’un l’autre similaires et je ne suis certainement pas ici pour chercher en lui un peu d’un autre. Auden m’aurait retiré le verre des mains, il me l’aurait lancé au visage si j’avais tenté de le reprendre. Auden serait parti, à la seconde où ma voix aurait percé le silence qu’il tenait volontairement comme une bataille de plus. Auden n’est pas là, Auden ne veut pas l’être, Auden ne m’aime pas. Ça tombe bien, je ne m’aime pas non plus.

J’avais raison ; Bennett a souri. Il l’a fait avec la mâchoire contractée, les doigts avec. Il a mal et il endure, il se blesse encore plus tant il ne lui reste que ça pour ressentir un semblant de contrôle. Bennett ne m’a jamais fait peur, avant. Malgré toutes ses attaques, ses piques, ses vannes. Malgré toute sa mauvaise foi et ses intentions qui ne valaient véritablement pas mieux, il n’a jamais réussi à craquer ma carapace. Jamais Bennett n’avait réussi à m’atteindre comme à m’effrayer. Ce soir par contre, tout est à recommencer. Il se morfond de secrets que je ne connais pas, que je ne veux pas connaître et qu’il ne veut certainement pas me dire. Il ne se rappelle probablement même pas que c’est moi qui lui ait téléphoné, que c’est moi qui lui ait demandé de passer dans un bar à l’autre bout de la ville, une enseigne comme on en oublie des dizaines d’autres. Il ne se souvient de rien sauf de ce que qui rend le reste si terrifiant en l’instant. Ils disent que ce sont toujours nos pires démons qui remontent lorsqu’on n’a plus aucune force pour tenir la moindre barrière, la moindre protection. Lui comme moi, ce soir, on en a des tas qui ont cassé le code, qui ont brûlé les barricades. « Pas de morale, » il ne le verra pas, le oui que ma tête lui concède. Il ne verra rien d’autre que le fond de son verre vide Bennett, ça et toutes les questions sans réponses qu’il tente de combler à force de le fixer.

« Tu sais quoi, Ginny… Ce matin, je me sentais… » mal, terriblement mal. Oh, ce n’est pas à moi qu’il posait la question? « …mal. Et là… » l’issue est pourtant la même. Balle au centre. « …là je me sens bien. Presque bien. » la blague. Il ne se sent pas bien. Je ne serai jamais assez ingrate pour le lui dire autant que je ne serai jamais assez forte pour affirmer que moi aussi, je mens férocement. Je mens quand Bailey me demande si j’ai réussi à dormir un peu, je mens quand Noah me demande de lui raconter des histoires et que jamais ma voix ne se casse. Je mens comme je respire, tout va bien et tout est à sa place et je suis stoïque, je jure que je le suis et un jour probablement même que j’y croirai. Aux tissus de mensonges qui franchissent mes lèvres à toutes heures du jour comme de la nuit. Il n’y a qu’Auden à qui je ne peux pas mentir – force est d’admettre que le fait qu’il se soit envolé rend la chose facile. Avec Bennett, je suis lasse d’essayer. « Qu’est-ce qui manque? » il pourrait tout avoir, s’il le voyait – voulait. Il est marié, sa famille n’attend qu’un élan supplémentaire pour s’envoler. Et le voilà à capter l’attention de la serveuse, à troquer le vide ambiant de nos verres pour du whisky de nouveau. L’odeur me pique le nez, le goût me brûle la langue. « T’as qu’à partir si t’en veux pas. Me dit pas ce que je dois faire, » « Je veux pas partir. Je suis désolée. » l’entente est tacite mais elle est bien là. Jamais je ne juge, jamais il ne critique. Si de loin on peut bien donner l’impression d’aider à se remonter l’un l’autre à la surface, les apparences sont bien plus corrosives qu’on pourrait le croire.  

« Il est là. » je ne suis pas là pour le sauver. J’ai fini, de sauver le monde, j’ai fini de voir le bon partout, de l’espérer surtout. J’ai fini de croire qu’avoir mal est le premier pas vers la rédemption, que mon petit chemin de croix n’est que la promesse d’un jour meilleur. On n’est pas dans un film, on n’est pas dans un livre, on n’est nulle part d’autre que là où nos corps désarticulés ont trouvé de quoi les supporter, vieux comptoir de bois où le vernis manque par endroits. Demain la vie sera encore aussi difficile et demain rien n’aura changé. Je n’ai plus le courage de concevoir autrement. « Le rhum. » mon index se redresse, pointe l’étagère en noyer dans l’angle. Elle est haute mais rien de bien méchant. L’étiquette qui arbore beaucoup trop d’alcool pour une si petite bouteille le nargue. « Je l’ai vu le cacher quand tu regardais ailleurs. » le barman, celui qui juge, celui qui envoie le mauvais œil et surtout celui que j’ignore, maintenant que je chuchote à l’oreille d’un Bennett probablement désormais investi d’une toute autre mission. S’il s’occupe à aller voler la bouteille, s’il garde le focus là et seulement là, alors peut-être qu’il ira mieux. C’est stupide et ça ne fonctionnera jamais, je n’y crois pas plus que lui. Il est trop tard pour me sauver, moi. Peut-être qu’il est encore temps de le sauver lui.

ambiance des fêtes:
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyDim 27 Déc 2020 - 22:57


La présence de Ginny devrait provoquer en lui quelque chose comme de la honte, de la gêne ; et pourtant, c’est encore une vaste indifférence qui emplit son cœur. Qu’elle soit là, qu’elle ne soit pas là ; qu’elle le voie, qu’elle ne le voie pas ; où cela menait-il ? La seule personne dont le jugement lui importait était précisément la personne qui avait juré de l’accepter dans la plus profonde noirceur. Et aujourd’hui, il se purgeait de cette charité, de cet amour immérité, de cet amour qui ne voyait pas ce qui crevait les yeux. Ginny n’est pas Emily. Ginny peut le juger et lui dire qu’il est pitoyable, même si elle ne le fera pas, à cause de cette abominable invention qu’on appelle la politesse. Mais elle pourrait, théoriquement. Et ça rend sa compagnie infiniment plus supportable que celle de sa femme. « Qu’est-ce qui manque ? » On avait dit pas de questions. Je ne t’ai pas posé de questions. Pourquoi me trahir ? (Mais personne ne l’a dit.) Le petit édifice de mensonges se casse avec fracas dans sa tête. Les mains de Bennett se mettent brusquement à trembler. Ses tentatives de reprendre le contrôle sur elles ne prennent pas ; il finit par les serrer de plus belle sur son verre, espérant faire éclater les muscles récalcitrants contre la paroi pour les soumettre à sa volonté défaillante. Ses mains qui sont faites pour tenir des verres. Ses mains qui n’ont pas d’alliance parce qu’il a dû la jeter contre le mur, hier, ou avant-hier, ou un autre jour, et oublié de la reprendre. Il n’était plus marié et il ne l’avait jamais été. On ne marie pas une fée et une ordure, on ne peut pas unir pour l’éternité une étoile et un trou noir. L’un bouffe l’autre. Ceux qui prétendent le contraire ont menti. Le prêtre a menti.

Pourtant il aimerait trouver la force de desserrer les lèvres. Il sent que Ginny n’est pas son ennemie, il voudrait engager une communication normale ; mais rien n’est normal, il a peur de ses propres mots, de ses gestes, de ses pensées. Il a peur de n’avoir aucune raison de se plaindre, pourtant il sent un gouffre énorme qui le traverse de part en part. Elle l’insulterait, Ginny, s’il lui disait qu’il était en train de foutre sa vie en l’air précisément parce qu’il avait trop de chance, trop de bonheur. Sûrement Ginny était-elle une bonne personne ; elle ne pouvait pas comprendre ce que ça faisait de dépendre d’une source de lumière extérieure, comme une luciole autour d’une lampe. Il ne pouvait pas lui expliquer avec des mots la douleur de se faire pardonner, la douleur de l’infériorité, la douleur de ne pas mériter un bien. L’existence l’avait comblé ; il était incapable d’en rendre quoi que ce soit. Il était, en somme, une fleur laide et stérile. Ni admirée, ni utile. Une plante sortie d’un caillou. « Mais rien ne manque, rien ne manque. » Sa voix tremblote, il l’étouffe. C’est lui qui manque. C’est lui qui n’a pas son alliance au doigt. C’est lui qui boit encore. C’est lui qui n’arrive pas à tenir la promesse qu’il a faite pour qu’elle reste. Alors Bennett a honte de son malheur et l’enfouit un peu plus, sourit un peu plus. Il ne s’était pas encore assez oublié pour parler. « On est venus pour… célébrer, non ? On va bien trouver quelque chose à célébrer. » Il tente encore l’humour aigre-froid, maladroit, imbécile, à défaut de retourner les armes de Ginny contre elle. Sa langue ne s’est pas encore déliée ; pourtant il a l’alcool poétique quand il veut. Là, il en est encore à briser les résistances de son propre crâne ; viendra le temps de la douceur et de la légèreté, viendra le temps où il se souciera des autres, peut-être. Peut-être.

« Je veux pas partir. Je suis désolée. » Une brusque odeur de culpabilité lui monte au visage dans la brume de l’alcool. Il s’est montré brusque. Pas qu’il le regrette ; mais Ginny ne le mérite pas. Il devrait simplement arrêter de parler. C’est ça, il va arrêter de parler. « Il est là. Le rhum. » Il hausse les sourcils, surpris. « Je l’ai vu le cacher quand tu regardais ailleurs. » (Elle sait se faire pardonner.) Bennett se redresse lentement. Le rhum est vraiment là. Il oublie momentanément Ginny pour évaluer ses chances, se lève nonchalamment pour s’approcher du comptoir. Attend, péniblement, qu’on vienne s’occuper de lui ; il attend pour quémander, comme un enfant, pour pointer du doigt la bouteille, prouver qu’il avait raison et réclamer son dû. Personne ne vient, on n’a pas l’air de penser qu’il a besoin d’être servi. La serveuse n’est pas là. Il cherche encore le barman, plisse les yeux, ne voit que des ombres. Et bien, s’il ne voyait que des ombres, sans doute en était-il une, lui aussi. Bennett passe la main dans l’étagère, se saisit furtivement de la bouteille, revient en une glissade à sa table. Son forfait n’entache absolument pas sa conscience. Je paierai plus tard. Il pose la bouteille. Il n’a pas le droit de me la refuser. Elle est incurvée, brillante et juste assez fraiche. Bennett sursaute presque en revoyant Ginny. Leur maigre dialogue le frappe en pleine figure, il s’arrange tant bien que mal une bafouille. « Sois pas désolée. C’est pas ce que je voulais dire. » Je voulais t’éviter de me voir comme ça. Je ne veux pas que tu restes par pitié pour moi. Elle ne l’entendra pas. C’est moi qui suis désolé. Elle ne l’entendra pas non plus. Mais il le pense si fort que le bar pourrait en trembler. C’est à elle qu’il verse le rhum en premier, langage de l’excuse. Il y a bien un langage des fleurs, il y aura un langage de l’alcool, au paradis. « C’est bien que tu sois là. » Merci de ne pas me laisser seul. Le clapotement du liquide est ce qu’il a entendu de plus beau dans sa vie. Le rituel du remplissage des verres l’emplit de calme. La régularité avec laquelle ils les vident lui procure cette maudite stabilité dont il a tant besoin, dans le meilleur comme dans le pire. Bennett semble en même temps absorbé dans une profonde réflexion, bouche entrouverte, à la recherche de l’idée lumineuse qui pourrait mettre une étincelle dans leur tristesse. Il est ridicule, il ne sait pas combien de temps il tiendra la comédie. Dernières gouttes de rhum. « Eh, joyeux Noël en avance ! » Puisqu’il n’y a rien à célébrer. Le rouge lui monte aux joues. Il a trop bu pour s’empêcher de raconter n’importe quoi, et pas assez pour dire les choses qui comptent. Il a honte, mais bientôt la honte n’existera plus et Ginny regrettera d’être restée. Comme elle.

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 5:42


Je ne devrais pas poser la question. Ne pas la lui poser à lui, craindre mes réponses aussi. Il ne répondra pas Bennett, il n’a pas à répondre, il balaiera le tout du revers de la main alors que mes dents seront occupées à mordre l’intérieur de mes joues, que mes doigts se triturent entre eux. Les voilà les siens de doigts, qui tremblent, alors que je ravale durement une gorgée ou mes démons, ou tout simplement les deux. « Mais rien ne manque, rien ne manque. » dis-le une fois encore et ce sera presque plausible. Je hais le trémolo qui se casse dans sa gorge, je hais son regard qui fuit. Je hais l’hésitation sur la fin, presque aussi pire que celle sur le début. Et je hais ma paume qui se referme sur la sienne, bien trop familière et bien trop réconfortante, celle que je retire une fraction de secondes après avoir osé.  

Le Bennett d’avant est loin. Celui qui me forçait à me tapisser sur les murs des couloirs de l’Académie, celui qui volait mes cahiers pour rire de leur contenu. Le type au dossier de réprimandes aussi élevées qu’était son égo, le gars à cause de qui je changeais de salle de classe à la seconde où je voyais son air rieur flirter vers le mien. Je n’ai rien à faire avec lui comme il n’a rien à faire avec moi, et nous voilà tous les deux à jouer les épaves au fond d’un bar presqu’aussi pathétique qu’on peut bien l’être. Je donnerais tout pour redevenir la Ginny aux prunelles brillantes et à la cadence chancelante, autant que je serais prête à parier qu’il ne négocierait même pas si on le renvoyait à ses années à étudier les tracés bien plus que ses déboires.

Il part, je reste. Mes prunelles noisettes le suivent et le détaillent, le voient voler comme revenir, sursauter, se rappeler. Jamais je ne lui tiendrai rigueur d’oublier ; si j’en avais la force, j’oublierai tout d’un claquement de doigt. À l’heure qu’il est, Noah dort profondément, emmitouflé dans toutes les couvertures que j’ai bien pu lover sous sa silhouette trop blanche, trop rachitique pour son âge. Je devrais être à son chevet mais jamais je ne me pardonnerais de le laisser me voir ainsi. « Sois pas désolée. C’est pas ce que je voulais dire. » « Tu peux dire tout ce que tu veux. » mes mots flottent et piquent, se précipitent comme s’étouffent. Il n’a pas à avoir le moindre filtre, autant parce que j’ai déjà vu le pire de lui des centaines de fois, surtout parce qu’il n’a rien à me prouver, à moi. On en est loin, des enfantillages d’apparences et de premières impressions. Deux épaves, que je disais. « Je m’en rappellerai plus demain. » mensonge, tu mens Ginny. Je me souviendrai de tout, j’aurai tout enregistré, non pas pour m’en souvenir, mais bien pour m’en torturer. Pour aligner sous mes yeux d’énièmes preuves d’à quel point on peut bien dire que je ne vois que la lumière dans la vie, autant lorsque je touche le fond il est là et il est sombre et elle est terrifiante, la pénombre.

« C’est bien que tu sois là. » je suis désolée de ne pas être elle.
« Ça goûte bon, tu crois? » presque autant que je suis désolée que tu ne sois pas lui.

Et oui, le rhum goûte bon. Il goûte le sucre et il goûte le soleil, il goûte les espoirs qu’il annihilera demain matin quand on fera comme si tout ceci n’était qu’un mauvais rêve. Un autre. « Eh, joyeux Noël en avance ! » certains clients se tournent vers nous, le barman aura tôt fait de remarquer l’étiquette dérobée sans être payée. Il est loin, le rêve d’être des artistes et de s’acheter tout ce qui nous fait envie. Je n’ai pas peint depuis des semaines, je parierais que lui aussi. Ses doigts sont trop propres et ses ongles avec, les miens sont immaculés. « Cette année, on prend aucune résolution. » ma façon à moi de lui dire bonne année. Ma façon à moi de passer un linge sur les prémices qui à quelques semaines à peine de la date fatidique ne sont que pires. C’est l’anniversaire d’Auden, à Noël. Quelle idiote d'amoureuse éprise j’ai bien pu faire.

« Viens. » quelle idiote d'amoureuse éprise je tente de ne plus être. D’une main j’attrape son dû, son vol. De l’autre, c’est son poignet qui est sous mon courroux. « Ils vont nous la reprendre si on ne bouge pas. » personne ne s’aventurerait à notre table, personne n’oserait rôder autour des deux âmes (ridiculement) en peine qu’on peut bien donner l’air d’être. Pas juste l’air. Et puis voilà, c’est de l’air dont j’ai besoin. De l’air et du vent et la brise, et la ruelle qui mène à l’échelle de secours, celle-ci grimpant jusqu’au toit. L’immeuble est perdu au beau milieu de la ville, il n’est pas bien haut. À son sommet toutefois on les voit, les milliers d’infinités de buildings qui s’étalent, de voitures qui sillonnent les rues réfectoires. .« Si tu pouvais voler la vie de n’importe qui parmi eux. » et ma silhouette elle tourne. La bouteille entre mes paumes manque de tomber, je la rattrape de mes lèvres colorées par l’alcool ambre, par le sucre et par les mauvaises décisions qui se chevauchent. « Ça serait laquelle? »


joyeux boxing day en retard:
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 14:01


Il sent la furtivité de la main qui passe sur la sienne trop rapidement, par erreur, s’arrêtant sans s’arrêter. Geste inachevé, trop long pour qu’il l’oublie immédiatement, trop court pour qu’il lui fasse du bien – alors il lui fait du mal, encore. Elle est cruelle, Ginny, elle change de visage, elle est sa pire ennemie et sa meilleure amie ; elle lui montre le rhum, puis elle enflamme ses plaies. La caresse d’une seconde s’estompe, comme si les doigts de la jeune femme s’étaient ébouillantés ; pourtant pas de cloques sur la peau de Bennett. Ginny, son souffre-douleur absurde, Ginny la cible de toute sa médiocrité, Ginny qu’il piquait parce que c’était si facile de la piquer. Ginny qui passait sa main sur la sienne. Blanc, noir, gris. Echec et mat. Bennett ne suit plus. Il se laisse porter par ses sensations. Un coup c’est agréable, un coup c’est désagréable ; il suit l’agréable. Luciole cherche lumière, mouche cherche sucre, abeille cherche pollen ; pas de mathématiques. « Tu peux dire tout ce que tu veux. » Elle avait raison, il n’avait pas à s’excuser, il ne lui devait rien, à Ginny. « Je m’en rappellerai plus demain. » Elle lui plait bien, cette idée, à Bennett. Il aimerait qu’elle dise vrai. Il y a peut-être des choses qu’il lui dirait, s’il était sûr qu’il n’en resterait rien ; mais l’idée de confessions l’écœure d’avance, il préfère garder farouchement ses couteaux dans la chair, laisser la cire lui couler sur le visage en sillons de lave. « Cette année, on prend aucune résolution. » Bennett lui répond en portant mécaniquement l’alcool à ses lèvres. Il était en train de détruire toutes les résolutions de sa vie une par une, et il comptait faire en sorte que sur les ruines qui en resteraient, plus rien ne soit construit. Politique de la terre brûlée ; il voulait rendre le champ aride pour de bon. Table rase pour la nouvelle année ; ils se purifiaient religieusement pour ne pas y emporter leur crasse et leurs regrets. « Ça goute bon, tu crois ? » Il n’a pas le temps de lui répondre, et à vrai dire ça n’a pas vraiment d’importance. Son palais ne discerne plus le rhum d’un bordeaux ; il enregistre simplement la différence entre 40 et 60°.

« Viens. » Il la suit, sans force, sans volonté, presque soulagé qu’une autre âme que la sienne prenne l’initiative de déplacer son corps engourdi. Si elle l’emmenait sauter par la fenêtre, sans doute qu’il ne broncherait pas. Il la suivrait, silencieusement. Suivre quelqu’un dans le noir, c’est déjà suivre quelqu’un, c’est déjà ne pas être tout à fait seul. Ils vont nous la reprendre si on ne bouge pas. Il ne pipe toujours pas mot, Bennett, presque fasciné que Ginny ait encore la capacité de penser aux conséquences, faculté qu’il avait abandonnée à l’entrée de l’établissement. Qu’importait si on la reprenait… il la viderait trop vite, ils n’auraient qu’une coquille vide sans une goutte dedans. Et il paierait, avec son sang, ses cheveux, sa peau. Quand il émerge ils sont au grand air, encerclés d’immeubles et de ciel, dans le bruit confus des bagnoles, et Ginny virevolte sur le toit, presque gracieuse au milieu de la nuit, tandis que lui titube sourdement à ses côtés. « Si tu pouvais voler la vie de n’importe qui parmi eux… » Il l’observe, n’a rien d’autre à faire, elle a la bouteille en otage et toute l’attention dont son ivresse est capable. Il la voit tourner, comme à travers une multitude de photographies très rapprochées et pourtant jamais totalement coordonnées. Il secoue la tête. C’est sa vision à lui qui tourne. « Ce serait laquelle ? » Tout ce que dit Ginny passe dans l’esprit de Bennett comme une espèce de charade de sphynx qu’il lui faudrait résoudre pour récupérer la bouteille - une punition. Il n’a pas envie de réfléchir, elle ne fait que poser des questions. Il la hait parce qu’elle a la bouteille ; mais la partie de lui qui n’est pas noyée dans le brouillard se raccroche à sa présence comme à un fil d’Ariane. Si Ginny partait brusquement, il lui semblait que ce serait pire. Alors il fronce les sourcils pour essayer de rentrer dans son jeu, de produire une réponse intelligible. Trouve quelque chose. Mais il n’arrive pas à inventer, à imaginer, à se prendre dans la valse des paroles. Il n’y arrive pas. Il reste braqué en lui-même, incapable de dire un mot, les yeux qui balayent la rue et ses passants anonymes. Voler la vie, voilà la seule chose qui résonne lourdement dans sa tête, comme une sentence funèbre. Mais il se sent obligé de creuser encore, de creuser sous ses pieds, de combler le silence. « Je veux juste être un type. Potable. Pas plus. » Ce n’est toujours pas une réponse. Il frissonne dans l’air tiède. Il s’en fout. Il l’oublie, Ginny, de minute en minute, elle disparait, elle réapparait, elle est un songe léger, une main qui passe sans s’arrêter. Voler la vie. « Fausse couche. » Les mots tombent de sa bouche comme des banalités, comme la météo. Ça fait longtemps qu’ils n’annoncent plus les grossesses ; elles s’arrêtent avant que le ventre ne s’arrondisse. Dans les statistiques, c’est une fois sur cinq ; pour eux c’est cinq fois sur cinq. Et à chaque fois, elle garde espoir. Et à chaque fois, il se fracasse au sol, porcelaine de merde rafistolée par des soins tellement au-dessus de ce que mérite cette porcelaine. On ne répare pas ce genre de choses ; on les rachète… « Je sais pas ce qu’il faut faire. Il faut danser ? Il faut être triste ? Il faut rien dire ? J’ai juste besoin… que les choses soient simples. » A connaître la mort sans la naissance, Bennett devenait fou. « Rends-moi la bouteille. » Il n’a aucune envie de la bouteille, mais c’est tout ce que peut lui donner Ginny. Ni compassion, ni empathie. Ginny n’existe qu’à moitié, tant qu’elle n’est pas complètement descendue dans son monde, tant qu’elle essaye de le rattacher à la réalité. Il est un parasite ; il ne fait que dérober chez les autres ce qu’il n’a pas. Il s’accrochait à tout ce qu’il y aurait à prendre pour survivre ; parce qu’il ne faisait que ça, mourir un peu mais pas complètement, depuis une semaine, dans le noir, comme un bébé pas tout à fait né, qui ne peut pas tout à fait mourir. Ce soir il s’accrochait à Ginny.

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 17:39


Qu’il ne parle pas ne m’atteint pas, me blesse encore moins. Que Bennett fasse la coupure entre lui et moi ne me fait que du bien, si je suis le moindrement honnête : les autres, ils s’insurgeraient. Ils questionneraient et ils tenteraient de me pointer un autre chemin, une meilleure direction. Les autres auraient tantôt peur, seraient tantôt furieux. Lui, il ne dit rien et il ne juge pas, ne parle pas pour mieux écouter - ou à peine, et encore fois, c’est pour le mieux. Qu’il joue les murs, qu’il joue les silences de coton, qu’il joue au sourd. Il ne me sera que plus essentiel. Fût un temps, je cherchais son approbation, je me consumais à petit feu d’arriver à tirer quoi que ce soit de positif de nos échanges, d’espérer valoir le moindrement autre chose qu’un soupir, qu’un roulement d’yeux, qu’un rire piquant de sa part. Aujourd’hui il est mon égal, il est aussi bas que je peux bien l’être, il n’est ni meilleur ni pire. Pareils.

Et moi, j’ai la tête qui tourne. J’ai les doigts gelés. Les orteils aussi. « Je veux juste être un type. Potable. Pas plus. » mes Converse ont trouvé un endroit reculé du toit, sont retirés depuis j’ignore combien de temps laissant à ma peau d’autres parcelles pour être abîmée par le vent, la brise d’un beau milieu de nuit. « Tu l’es, parfois. Un type potable. » il est un type potable de jour, quand les gens le scrutent, quand il doit jouer un rôle. Il est pareil que moi, je le dis et je le répète, mais jamais je ne le lui dirai, à lui. J’aurais bien trop peur qu’il me croit. La bouteille tombe presque en bas de l’immeuble. Mes paumes la rattrapent et s’y resserrent, mission de pacotille que je viens de me donner et qui, comme tout ce que je dois bien tenter d’accomplir sans forces aucunes une fois le soleil levé ne fait qu’échouer, aussi. Je ne suis bonne à rien et ils le disent tous : mes parents, ma soeur, Auden, le monde en entier, leurs yeux braqués. Bennett l’a dit tant de fois par le passé que c’est sa voix que j’entends en écho d’acouphène, dès que je flirte avec le précipice. Ici, ce sont mes yeux qui se vissent au trottoir tout en bas, là où la bouteille a failli aller se fracasser. Là où les éclats en milliers de morceaux de verre tranchants auraient tranché, dans l’obscurité.

Ce sont ses mots à lui, d’ailleurs, qui tranchent maintenant. « Fausse couche. » il est âpre, amer, le rhum sur ma langue. Il n’est plus du tout sucré, il n’est plus du tout bouillant. Jamais je ne ferai l’affront à Bennett de le regarder avec la moindre once de pitié, alors je laisse ses prunelles se visser ailleurs, bien loin des miennes. Il ne me dit rien de sa vie, avec elle. Il ne me dit rien de sa vie tout court de toute manière, à quoi bon. Il n’est là que lorsqu’il ne va pas, et moi pareil. Les causes et les conséquences se mélangent, son quotidien si parfait, si lissé, si encensé vole en éclats. « Je sais pas ce qu’il faut faire. Il faut danser ? Il faut être triste ? Il faut rien dire ? J’ai juste besoin… que les choses soient simples. » il rit, je souffle. « Tu peux juste ressentir. » rien n’est simple, ce n’est qu’une chimère, une histoire qu’on raconte aux enfants avant de les endormir en leur disant que pour être heureux tout doit être doux, facile. Personne ne nous prépare au compliqué. Mon dos le toise, mes iris se perdent à travers les buildings illuminés, les inconnus, leurs vies à voler. Je n’en veux pas, d’aucune d’entre elles. La mienne est déjà bien assez prenante comme ça. Bennett pointe et Bennett a mal, Bennett ravale aussi, grand garçon fort et fier à qui on a tatoué sur la peau des centaines de dizaines de jugements, de prédictions, d’ambitions, d’aspirations. Il devait faire de grandes choses, autant que l’est sa verve quand il s’élance à parler de son avenir. Et pourtant nous voilà à la case départ. L’enfant prodige à la carcasse cassée, la gamine trop fragile en proie à imploser.

« Rends-moi la bouteille. »
« Allume-toi une cigarette. »

Ça sonne comme des ordres, pourtant rien n’est directif ni dans sa voix, ni dans la mienne. Mes mains lui tendent le rhum, cèdent sans jamais montrer la moindre bribe d’insistance. Je sais qu’il cache un paquet dans la poche de sa veste. Je sais qu’elles servent autant comme de futurs clous de cercueil que comme une manière bien à lui de se prouver qu’il a du contrôle, peu importe ce que cela peut bien signifier. D’une dépendance à une autre, jamais mes doigts ne viendront lui voler son mlaheur lorsqu’il le glissera entre ses lèvres, mais je guette le briquet et l’étincelle. Je guette la lueur dans la nuit, la fumée blanchâtre avec. L’odeur de la cigarette me rappelle des nuits à peindre à l’huile et non à l’aquarelle, des yeux rageurs, les siens. L’odeur du tabac brûlé me rappelle un monde d’ailleurs auquel j’ai tout abandonné. Il ne me reste que des souvenirs douloureux comme tous les autres. Ma silhouette ankylosée se cale contre un muret de briquettes, se laisse glisser jusqu'à finir assise au sol. Mes jambes repliées en indien me donnent des airs d’enfant, le chignon qui remonte mes mèches emmêlées n’en a que le nom. Si Bennett finit par s’approcher, ce ne seront que mes yeux qui capteront les siens, une question qui flotte sur mes lèvres mais que je retiendrai aussi longtemps que possible. Comment on en est arrivés à ça? La question, elle chatouille. Étrangement, elle remonte, et plutôt que d’être articulée elle finit par se casser en un rire dans la nuit bien trop avancée. Des éclats qui retroussent le coin de mes lèvres, creusent des fossettes sur mes joues. Si je ris, ce sont les nerfs qui lâchent, si je pouffe, c’est bel et bien mon corps qui lâche prise, qui abandonne. « Pardon, je - » tu quoi, Ginny? Pourquoi est-ce que tu t’excuses encore? « J’aurais jamais pensé que toi et moi, un jour, on serait là. » comment on en est arrivés à ça?

ça suffit:
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 20:46


Dans le calme soudain de la nuit, au-dessus de la rumeur du bar, les masques craquent tout doucement, avec des bruits de souris. Ça fait des courants d’air dans l’âme, des couloirs où s’engouffrent les bourrasques et la poussière. Minute après minute, il sort de lui-même, le pseudo-artiste ; ses propres gestes lui sont étrangers, et sa conscience suit sa pensée de loin, comme on regarde un petit train mécanique faire le tour de ses rails, inlassablement. Il ne sait pas très bien ce qui l’a poussé à cet aveu absurde, à contretemps ; la douleur avait cessé d’être lancinante, elle était juste une pulsation de basse dans sa poitrine, plus un cri aigu comme au moment de l’annonce. Mais il l’avait quand même dit. Et ça ne changeait absolument rien. On ne soigne pas une tumeur en la mettant à l’air libre. « Tu l’es parfois. Un type potable. » Il aurait bien envie de ricaner, Bennett, mais rien ne sort de lui, sec comme un désert, bouche qui attend la pluie. Petit train continue de tourner dans sa tête, et dépose au passage un peu d’éthanol sur les récepteurs de malheur. La remercier, peut-être ? De la franchise de ce parfois. Parce qu’actuellement, il n’était qu’un déchet, qu’une poubelle dans la mer ; c’est lui qui empoisonnait l’eau à des kilomètres à la ronde. Le parfois rétablissait la justice. « Tu peux juste ressentir. » Elle ne le voit sans doute pas dans la pénombre, mais dans le regard que lui jette Bennett, il y a ce qui se rapproche le plus d’une touche de reconnaissance, diluée dans la confusion et la léthargie. Garder espoir, aller de l’avant ; c’est le mot de ceux qui ne savent rien et qui ne sauront jamais. Si Ginny ne souffrait pas, si Ginny était une amie ordinaire, elle lui ferait voir des lendemains meilleurs, lui peindrait de belles utopies, avec des couleurs criardes qu’il détesterait parce que lui sculptait des silhouettes couleur de terre. Mais elle lui donnait mieux ; elle lui donnait la dignité dans la douleur. Elle était dans son camp. « Allume-toi une cigarette. » Oui. Après avoir laissé trois longues gorgées lui parcourir le corps d’un frisson de plaisir, il pose la fiole sur le béton avec un bruit sourd. Ses mains obéissent docilement aux ordres de Ginny, lui qui a si sèchement signifié qu’elle n’avait pas à lui dicter sa conduite ; les doigts ne tardent pas à épouser la silhouette carrée du paquet qui ne le quittait jamais. Il prend son dû et dépose la petite boîte cartonnée à côté de la jeune femme. Il ne se souvenait plus, fumait-elle ? Etincelle, fiat lux.

Avec le vent, la nicotine et le tabac l’enveloppent d’une nuée bleue-grise, nuances invisibles dans l’obscurité. La fumée lui revient dans le visage à mesure qu’il l’exhale. Il bouffe de l’amiante et du cancer à pleine bouche. Deux expirations plus tard, il s’assoit, lui aussi, automate qui ne fait que l’imiter, elle, sans bruit. « Pardon, je… » Elle rit et il ne relève pas l’excuse. Il aime bien son rire. Il aurait voulu qu’elle continue à rire, même nerveusement, qu’elle emplisse la nuit avec, qu’on n’entende plus que ça. Il aimait ce son comme il aimait tout ce qui n’était pas lui. « J’aurais jamais pensé que toi et moi, un jour, on serait là. » Où ça, là ? A la croisée des chemins ? Là, dans le noir et dans la douleur ; comme sur le toit d’un bar. Là tous les deux, après tant d’années laides et tortueuses ; là comme de vieux amis, de vieux ennemis – quelque chose de vieux, qui n’avait pas d’âge, la boule dans la gorge. Il voudrait lui proposer un ailleurs ; il l’emmènerait chez lui et lui montrerait la collection de bouteilles de vin qu’il entassait déjà quand il n’avait pas encore de quoi les payer ; il disait « collection », parce que ça sous-entendait qu’il n’y touchait pas, et il montrerait à Ginny que c’était un mensonge. Mais il ne pouvait même pas rentrer chez lui ce soir - pour des raisons évidentes. Alors pas d’ailleurs ; rien que la ville, antipathique, avec ses lampadaires et ses toits, ses petites fenêtres sagement éteintes, ses quelques fêtes à perte de vue. La cendre trop longtemps oubliée tombe mollement de la cigarette. Un haussement d’épaules, il porte de nouveau le filtre amer à sa bouche. « On a ce qu’on mérite. » Il secoue brusquement la tête. « Non, c’est pas vrai. Pas toi. » Les remarques acerbes, le cynisme constant, le mépris, l’arrogance, la persécution. Et tout ce qui se passait ce soir et que Bennett ne savait pas, ne demandait pas, sa famille, ses déboires, Auden, Noah, il refusait de lui demander, parce qu’il était égoïste et qu’il l’avait toujours été. Il sentait que Ginny n’allait pas mieux que lui mais il ne l’interrogerait pas. L’altruisme est une tare qui sert à humilier les gens normaux. Jamais il ne serait altruiste, parce que personne ne mérite les altruistes à part eux-mêmes. L’altruisme, c’est l’aumône qui ne demande rien en retour ; comme l’amour. C’est trop profond. Lui voudrait le simple, le superficiel ; l’agréable, pas le transcendant. « Moi, je suis à ma place. Toi, tu devrais être où ? » Défi à peine voilé qu’il lâche du bout des lèvres embrumées. Il n’a nulle part d’autre où aller ; sa destinée mène ici, ponctuée d’étoiles mourantes et de gouttelettes de rhum. Elle n’avait qu’à lui dire, Ginny, ses alternatives, ce qui l’éloignerait de Bennett dans leur communion médiocre. Elle n’avait qu’à oser. L’alcool a cessé de lui arracher les sens depuis quelques gorgées ; il cherche d’autres dangers où brûler ses doigts.

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 23:08


La pierre craque, le filtre avec. Dans la nuit, c’est la lueur de sa cigarette qui les supplante toutes, les étoiles et les phares et les fenêtres trahissant ceux qui comme nous restent éveillés la nuit. Elle brille et elle fume, elle est teintée de rouge et d’orange et de doré, de noir, de gris. Mes doigts tremblent mais ils trouvent un semblant de répit en se glissant sous mes cuisses. Ce n’est que lorsque Bennett dépose le paquet à mes côtés qu’ils cèdent, attrapant l’un des bâtonnets du Diable entre eux. Jamais je ne l’allume, jamais je n’y pense même. Mais de tourner la cigarette entre mon index et mon pouce, de lui donner un air d’aller pour le lui reprendre de suite, c’est en l’instant ce qui me semble être la seule chose pour laquelle j’ai la moindre force.

« On a ce qu’on mérite. » il s’est laissé choir à côté de moi, l’artiste déchu. J’arrive à sentir son parfum de terre et d’argile, quand bien même je parierais qu’il n’est pas entré dans son studio depuis des lustres. Il a toujours eu une odeur que je n’arrivais pas à cerner, Bennett. Jamais capable de dire ce qui se cachait sous la carapace, sous les relents de tabac, de whisky (de rhum) et de rage pour être en mesure de dire ce qu’il sent vraiment. « Non, c’est pas vrai. Pas toi. » et le voilà qui se reprend, qui essaie de faire la bonne chose, de la dire aussi. J’ai ce que je mérite et je ne le nierai jamais. Noah ne serait pas aussi malade si je n’avais pas porté le gène problématique, Noah ne serait pas aussi malade si je n’avais pas lâché prise à l’annonce de ma grossesse, si mon corps n’était pas resté une poupée désarticulée pendant tous ses mois à l’intérieur, sa première année de vie. Ils me voient tous comme la pauvre gamine enlisée par la vie, celle sur qui le monde entier s’acharne, alors que ce n’est que ma faute, la mienne entièrement. J’aurais cru que lui au moins le comprendrait, qu’il ne me ferait pas porter le masque de la victime encore une fois. C’est probablement ce pourquoi je reste là, à espérer stupidement. Qu’il redevienne le bourreau d’avant, qu’il redevienne celui qui ne me laisse aucun libre arbitre, qui discrédite tout comme mes démons le font pour moi depuis si longtemps. « Moi, je suis à ma place. Toi, tu devrais être où ? »

Nulle part. D’autre.
« Je devrais dormir. » mes paupières se ferment lorsque ma tête se laisse tomber vers l’arrière. Le muret la supporte, un temps, l’inspiration l’ancre un peu plus sur le béton glacé. Ma peau l’est aussi ; gelée. La question restera sans réponse parce qu’il le sait autant que moi, le sculpteur d’une autre vie. Que je n’autoriserai personne à me voir ainsi, que je ne tolèrerai jamais que qui que ce soit puisse avoir une autre preuve à ajouter à la longue liste de toutes les fois où la pauvre petite Ginny n’était qu’un mess incapable à canaliser, à catalyser. Je ne devrais pas être à l’hôpital parce que mon fils mérite d’avoir une mère aussi forte qu’il peut l’être face aux examens sans fin et aux résultats horribles des médecins. Je ne devrais pas être à l’atelier parce que je n’arrive même plus à peindre depuis une éternité. Je ne devrais pas être chez Auden parce que sa porte est verrouillée de l’extérieur pour moi depuis des semaines déjà. Je ne devrais être nulle part, alors je suis ici à défaut d’ailleurs qui ne fait que mal. Qui est accessible pour eux tous, que je ne mérite pas.

Elles sont toujours closes, mes paupières. Such a shame, quand on voit à quel point le ciel est clair ce soir. On a accumulé nous-même tous les nuages noirs de l’histoire de l’humanité au-dessus de nos têtes, oh l’ironie, dès lors que les étoiles s’amusent à faire la course entre elles. Elles forment un autre monde en entier, où je ne serai jamais assez lâche pour avouer vouloir mettre le pied. « T’es pas épuisé, toi? » inspirer est presque aussi difficile qu’expirer. La cigarette a depuis longtemps fini de tourner entre mes doigts, le rhum m’ennuie et mes ongles ont suffi de se planter dans mes paumes comme si ressentir quelque chose s’arrêtait à ça. « T’as l’air. » il y a un sourire qui se niche sur mes lèvres. Il est moqueur, il essaie, il remonte avec mon index menaçant. Celui-là même qui, désormais yeux ouverts, s’affaire à pointer des cernes que je ne discerne pas bien dans la pénombre mais que j’imagine comme de véritables traîtres trahir son visage. Bennett ne dort pas plus que moi. Il est toujours là, il se traîne dès que le soleil en a eu assez de l’horizon, il est ambiant et il flotte de nuit. Dormir est pire même si c’est ce à quoi j’aspire, on. Dormir ramène les meilleurs scénarios, ceux où on est heureux. Ceux qu’on nous arrache au réveil quand les cauchemars sont bien plus réels que tout le reste.

« Bennett je veux pas y retourner. » il sent la cannelle, il sent les épices. Quand ma tête tombe lourdement à une poignée de millimètres de son épaule et qu’elle y trouve une bribe de proximité éphémère, c’est ça, la note manquante. Le reste ne me manque pas. Le monde d’après la nuit blanche, d’après les toits et d’après l’alcool volé me fait peur, encore une fois.

okay avoue il est drôle lui:
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyLun 28 Déc 2020 - 23:59


Doucement mais sûrement, Bennett se laisse glisser ; et la bulle de morphine fictive autour de lui l’autorise à respirer, enfin. Cette légèreté, cette légèreté… ! Voilà pourquoi il n’avait jamais cessé d’aimer l’alcool, malgré l’hypocrisie et la modération, mot d’ordre absurde inventé par des ministres dans un cabinet. Il comprenait qu’on s’impose une discipline, qu’on fasse œuvre d’ascète, qu’on s’empêche la tentation, par conviction, par retenue, par sacrifice ; mais dans tout cela, il y avait une perte, nécessairement. Il entendait qu’on puisse se priver d’alcool, pas qu’on puisse ne pas l’aimer ; comment ne pas aimer cette sensation ? Comment ne pas en vouloir plus ? Il n’y avait que cette imbécile civilisation pour faire croire que l’alcool n’était pas le remède. Lui, Bennett, rationnel et sain d’esprit, savait que le salut était dans la bouteille. En tout cas il n’était pas en dehors d’elle ; et il y avait au moins quelque chose dans la bouteille, alors que dehors il n’y avait rien, rien du tout. Pas même l’ombre d’un être qui compte. Oh, maintenant, maintenant il commence à sentir qu’il se désagrège, qu’il n’a plus besoin de faire semblant d’être éméché, parce qu’il l’est vraiment. Et si on le trouvait dans cet état, s’il continuait à boire, jusqu’à ne plus pouvoir avaler une seule goutte supplémentaire – qu’est-ce qu’on pourrait bien lui faire ? Il n’y avait pas de piqures pour rendre sobre. Ils devraient attendre, impuissants. Et Bennett serait condamné à se sentir bien, le temps que tout s’estompe… que revienne la réalité si noire, si crue, sans soleil, - même en plein jour ; pomme sans chair, fleur sans pétales, ventre sans… et pourtant il aimait tant les fleurs… les pommes,… ! « Je devrais dormir. » Dormir… il est tellement loin de la somnolence, Bennett, que le mot lui écorche les oreilles. Dormir évoquait un sentiment de bien-être, la capacité à s’allonger dans un lit et à laisser de côté sa conscience ; dormaient les gens fatigués après une bonne journée de travail. Les gens… il n’avait pas le mot, mais les autres, ne pouvaient dormir ; surexcités, électrisés par l’affaiblissement, ils étaient incapables de se régénérer. « T’es pas épuisé, toi ? » Epuisé, voilà le mot qu’il cherchait. « T’as l’air. » L’ivresse allège son âme mais pèse sur ses membres rompus, il le sent bien lorsqu’il peine à soulever la bouteille – pourtant déjà presque vide. Elle peut le déceler dans l’obscurité, il le reconnaît ; elle voit écrite sa vie sur son visage qu’elle ne distingue pas. Rien de tout cela n’a l’air d’un paradoxe pour Bennett. « Je suis trop crevé pour dormir, » rétorque-t-il, malice à l’œil, presque fier d’avoir réussi à exprimer si clairement l’horreur de l’éveil permanent. Combien de temps depuis la dernière nuit complète ? Il ne saurait l’imaginer ; une heure après avoir posé la tête sur l’oreiller, des bruits inexistants, des visions fugaces le tiraient des bras de Morphée, l’attiraient tantôt sur le balcon, tantôt dans la cuisine ; pieds froids sur le carrelage nu – ou était-ce l’inverse ? Il faisait les cent pas dans le noir, espérant s’épuiser et tomber de sommeil, littéralement. Il s’épuisait – il ne tombait pas. Son corps criait grâce mais son esprit refusait la défaite, produisant un flux sans cesse renouvelé d’images et de souvenirs. Les sens de Bennett, aiguisés dans la nuit, prenaient alors n’importe quel prétexte – un bruit de plomberie, un froissement de drap, une lueur par la fenêtre – pour recréer tout un monde décousu, irréel et pourtant crédible, fait de réminiscences vagues et d’hallucinations ; un pied dans le songe, l’autre dans l’angoisse. Attaché à l’usine à malheur comme un malade à son respirateur. Il attendait de tomber, et ne tombait jamais. Toi aussi, n’est-ce pas ?

« Bennett je veux pas y retourner. » Il n’y a plus un bruit autour, plus une voiture, plus un passant dans la rue, en bas. Peut-être que tout le monde est parti… les a abandonnés pour de bon… Alors Bennett lève le bras pour le passer sur les épaules de Ginny, silencieusement, religieusement. Elle avait peut-être les mots ; mais lui seul assumait ses gestes, car ceux de la jeune femme étaient fuyants, jamais achevés, toujours dans l’entre-deux – une main qui passe, une tête qui frôle. Il savait, Bennett, qu’il dépendait des autres humains, qu’il ne faisait pas partie de ces gens capables de vivre seuls et de philosopher tranquillement aux côtés d’eux-mêmes ; il avait besoin d’amitié ou de haine, de chaleur ou de coups, mais il avait besoin des autres, il ne se maintenait hors de l’eau que s’il avait quelqu’un à sauver – ou quelqu’un à empêcher de le sauver. « On reste ici, » qu’il chuchote comme si on pouvait les entendre ; sans doute pour ne pas éveiller les soupçons de l’horloge universelle qui ferait lever l’aube, détruisant sa maigre promesse. Ou peut-être que l’horloge universelle ne suffirait pas et qu’on viendrait les chercher par le col, leur faire payer le rhum, comme si ce n’était pas ça qu’ils faisaient depuis des semaines, des mois, des années – payer, encore et encore. Pour rien. « On attend. Peut-être qu’ils viendront. Peut-être pas. Tu pourras dormir ici. Je regarderai… » Il s’arrête, il a la tête qui tourne mais la volonté insuffisante pour arrêter le flot de paroles. Lui qui aimait le silence lui ôtait ses droits, pour ne pas avoir froid, même s’il ne fait pas froid – il ne fait jamais froid à Brisbane - ; mais il fait froid autre part. « …autour de toi, je te réveillerai s’ils arrivent. On cherche un autre endroit. Je prendrai une autre bouteille. Tout ira bien. Peut-être pas. Et ma… » Veste. Il l’a laissée en bas. Face à cette insoluble contradiction – être venu avec une veste et ne plus l’avoir sur le dos -, l’esprit de Bennett s’éteint sans chercher à combattre. Quant à la machine à paroles, huilée par le rhum, elle grince encore, mais elle marche ; et la voix altérée de Bennett continue de retentir, avec plus de vie, cette voix qu’il prenait pour exposer des arguments logiques et imparables – cette voix qui ne devait jamais traiter de sentiments et de grandes choses, dont il ne parlait de toute façon jamais, avec quelque voix que ce soit. Sa voix d’esprit net et géométrique qui se perdait dans les spirales de sa décadence mentale. « T’as rien répondu. Mais je le pensais vraiment. Tout à l’heure, je veux dire. Je m’en fous de ce que vous… faites. Même si c’est mal, ou carrément merdique. Tu peux bien avoir tué quelqu’un, qu’est-ce que ça peut me faire ? » Il étouffe la fin de sa phrase avant qu’elle ne se brise, reprend rapidement son articulation. « Et en même temps je déteste qu’on fasse ça avec moi. » Comprendrait-elle ? Dans son esprit, ses paroles étaient limpides et étincelantes de lumière, recelant une vérité universelle ; dans la réalité, il parlait sans souffle, cherchait ses mots, hésitait. « C’est vrai. C’est mieux de le mériter. J’ai pas le... droit de t’enlever ça. On se sent mieux. Même si t’as rien dit. » Voilà ce qui différenciait, même dans les profondeurs viscérales de l’ivresse, chez Bennett, la compassion – inacceptable, déshonorante et injuste - de la loyauté.

Il regarde le ciel. Son monologue l’a perdu. Dans l’ombre déployée sur Brisbane, une seule étoile rompt la monotonie noire. Bennett essaye de trouver sa pareille, quelque part au-dessus d’eux ; mais leur carré d’espace reste désespérément opaque, et il a beau plisser les yeux, la toile demeure muette. Comment pourrait-il distinguer les astres, lorsqu’il ne distinguait plus le bord du toit, et cessait, minute après minute, de distinguer ce qui relevait de la réalité et ce qui n’était que son imaginaire détraqué ? Oh, il était perdu, complètement perdu. « Ginny ? » Mais il ne faut pas plus de quelques secondes pour que Bennett oublie complètement ce qu’il voulait dire – s’il avait eu quelque chose à dire, ce qui n’était pas bien sûr. Et il n’y a plus dans sa tête qu’une espèce de grand effacement, d’intervalle de silence durant lequel il ne sent plus que le dos de Ginny contre son bras, l’odeur lointaine de ses cheveux se confondant avec l’haleine saoule, l’écho déformé de sa voix, une collection de petites sensations qui s’additionnent dans son vide intérieur pour créer une minuscule étincelle. Il est à bout de souffle, quoique immobile ; toujours à deux doigts de dérailler, quoique immobile. Mais la présence de quelqu’un le renouvelle sans cesse, en sursis.  Une odeur de cheveux, une voix dans la nuit. Ginny ?    

Pas mal, pas mal:
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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyMar 29 Déc 2020 - 2:12


« Je suis trop crevé pour dormir » le paradoxe me fait rire, ne devrait pas. C’est qu’il est tout en angles Bennet, jamais véritablement droit. Il est tout même s’il ne veut être absolument rien, il n’est rien que lorsqu’il a tout. Et le silence, le synonyme de rien, c’est tout ce dont on a besoin. En bas, les conversations se mélangent et les voitures aussi. Tout le monde semble avoir quelque chose à dire à quelqu’un, quelque part où aller. Je ne me suis jamais sentie aussi confortable à stagner.

Lorsqu’il chuchote, je sursaute. Son bras est lourd contre mes épaules qui sont habituées à supporter toutes seules le poids du monde sans broncher. « On reste ici, » son souffle est bouillant, embaume le tabac brûlé. Il chatouille même si je ne ressens tantôt plus rien, tantôt trop fort. Pour le moment, l’alcool s’est chargé de calmer et de mettre l’univers en entier en sourdine. Je me replace, me recale, frôle ses doigts, gratte sa peau. « On attend. Peut-être qu’ils viendront. Peut-être pas. Tu pourras dormir ici. Je regarderai… » tout en angles. Son silence a laissé place à des dizaines de miettes de paroles. Certaines font du sens que pour lui, d’autres pour nous deux. Il gratte des souvenirs qui lui appartiennent, qui parfois font ambiance similaire avec les miens, les nôtres. Je n’ai rien à faire avec lui et il n’a rien à faire avec moi - pourtant, ma silhouette a fini par se confondre dans la pénombre avec la sienne. « …autour de toi, je te réveillerai s’ils arrivent. On cherche un autre endroit. Je prendrai une autre bouteille. Tout ira bien. Peut-être pas. Et ma… » il surveillera. Il surveillera et ça devrait servir d’arguments pour que je puisse fermer l'œil. Ça devrait justifier ma fatigue, balayer du revers la sienne. « T’as rien répondu. Mais je le pensais vraiment. Tout à l’heure, je veux dire. Je m’en fous de ce que vous… faites. Même si c’est mal, ou carrément merdique. Tu peux bien avoir tué quelqu’un, qu’est-ce que ça peut me faire ? » et me voilà à jouer les coupables, à cumuler les remords comme les regrets. Je n’ai pas le droit de lui cacher quoi que ce soit, lui qui m’en montre tellement que ce serait ingrat de rester pantoise en échange.

J’ignore à quel moment ma main s’est resserrée sur les pans de son t-shirt, j’ignore pourquoi elle relâche sa prise presque aussitôt. J’ignore tout du plan, de la suite, des potentielles répercussions. J’ignore tout par défaut, bien plus à l’aise sous l’eau qu’en surface. Il m’a appris à me noyer seulement parce que je l’ai imploré.  « Et en même temps je déteste qu’on fasse ça avec moi. » est-ce qu’il est fâché? Est-ce que Bennett est furieux, est-ce que j’ai dit quelque chose qu’il ne faut pas? Est-ce que rester muette, interdite ne suffit pas? « C’est vrai. C’est mieux de le mériter. J’ai pas le... droit de t’enlever ça. On se sent mieux. Même si t’as rien dit. » son monologue finit sur un soupir, ma tête s’est calée contre sa mâchoire. Elle la sent tendue, contre ma tempe ce n’est que l’os qui résonne et qui blesse, qui pique. « J’ai tué personne. » l’ironie fait mal, celle où fût un temps, c’était moi ma seule et unique victime. Depuis j’ai appris, j’ai avancé. J’ai laissé de côté les cachets nocifs de ma sœur, accepté sans broncher ceux que ma psychologue a glissé au creux de ma paume il y a des semaines déjà. Dans la nuit, je me jure que si un jour je commets un crime, il sera le premier à qui je le dirai simplement pour m’assurer de ne pas lui avoir menti ce soir comme dans un futur aussi hypothétique que ridiculement inventé. « Je veux rester ici. » ça non plus, ce n’est pas un mensonge. Ce n’est rien d’autre qu’un souffle, définitif et défini, qui pointe l’idée derrière le geste, derrière ses mots. S’il sombre, je ne le laisserai jamais derrière, jamais tout faire. Il n'est responsable de rien et je prends le contrôle de mes tares, les siennes sont simplement complémentaires. Et la voilà, l’inspiration qui accompagne mes paupières, celles qui devraient être fatiguées, celles qui selon mes confessions devraient n’avoir envie que de se fermer pour quelques heures au moins. « J’étais certaine que ton parfum sentirait le bois. C’est quoi, ton odeur préférée? » il ne sent pas le bois, il sent les épices. Je ne connais rien de lui, et pour l’heure malgré ça on dirait que je sais tout. Sauf les détails, sauf le superflu, sauf les bases, faites bien plus à partir de planches craquelées et vieillies que de béton armé. Les armes, on les a lâchées depuis longtemps déjà.

T’as rien dit.  « Je suis pas prête à le dire encore. » elles réagissent à retardement, mes lèvres qui cèdent un secret que même moi j’assume à peine. Je ne suis pas prête à dire quoi que ce soit, bien trop terrorisée de le rendre plus vrai encore si mes paroles le décrivent, le précisent. Ça n’a rien à voir contre lui ; et voilà que j’ai peur qu’il le pense. « Même si je sais que tu es capable de l’entendre. » à défaut de l’être moi-même, voilà que c’est à lui à qui je fais confiance.

Et elle est douce, l’ironie. D’être celle qui voulait dormir, de ne pas avoir réussi à fermer l'œil. Qu’il soit celui qui s’y refuse, mais que sa tête ait fini par être pesante sur la mienne. « Ginny ? » sa voix panique même s’il reste calme, lové contre le muret, à quelques pas des miens qui se sont perdus sur le toit immense. Au loin la journée n’a rien de commencé, pourtant elle se lève je pourrais jurer. « Je suis là. J’ai pas bougé, je suis restée. » si ça sonne comme une promesse, c’est que c’en est probablement une. Des mètres entre nous deux je les réduis bien plus vite que lorsque je me suis détachée de lui pour errer jusqu’aux rebords, pour fixer la ville par-delà les côtes. D’ici, lorsqu’on tente fort, on le voit. Le faisceau doré, celui qui colore finement l’horizon. Demain a presque commencé à arriver. « Promis, tu l’aurais pas manqué. » le lever du soleil. Celui pour lequel je lui tends la main, celui pour lequel je l’invite à se redresser. Je ne sais plus s’il écoute, je ne sais même plus si lui, il veut rester. Il doit être attendu ailleurs, elle doit vouloir prendre un café avec lui avant de filer travailler, il doit avoir une longue liste d’autres priorités. « C’est mon moment préféré. » la mienne de priorité par contre, c’est de ne pas nier une seule seconde d’un début de journée. D’une promesse d’avenir peut-être meilleur que je, sans douter une seule seconde, trouverai une façon de gâcher.

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyMar 29 Déc 2020 - 13:05


Il est dans le cycle haut, rebond du cycle bas qui lui avait fait lâcher trop de mots tout à l’heure. A cet instant précis, il avait atteint son objectif – les choses étaient superficielles, simples, en deux dimensions. Il était trop fatigué et trop soul pour pouvoir encore se faire du mal. L’éreintement, canalisant l’effet de l’alcool, laissait derrière lui cette personne un peu absente, un peu bavarde, qu’était Bennett à présent. Cigarette frottée contre le sol, mais la fumée tarde à se dissiper. Encore la main qui s’agrippe et qui relâche sans rien emporter, sans doute parce qu’il n’y avait rien à prendre. Il comprenait ces choses, Bennett, même abruti par l’ivresse. Mais elle pourrait lui dire, Ginny, elle savait qu’il aimait que les choses aient un nom ; elle aurait pu lui dire, je serre parce qu’il n’y a rien d’autre à faire, mais je n’ai pas besoin de toi, je te laisse intact, tu n’as rien à donner. Il l’aurait accepté. Il lui suffisait de rester comme ça pour une durée indéfinie. Il ne demandait pas plus. « J’ai tué personne. » Il hoche la tête avec approbation, comme s’il avait oublié sa propre métaphore. Ça faisait une bonne nouvelle. Il prenait en note. Il penserait à vérifier si lui, il n’avait pas tué quelqu’un, aussi. Pour que tout soit propre quand ils partiraient. « Je veux rester ici. » Ici, ici ? Ici avec ou sans moi ? Ça n’avait sans doute pas trop d’importance. Il ne lui demanderait pas. Lui aussi voulait rester ici. Ici avec ou sans elle ? Avec elle. Pas avec elle. (La honte, toujours la même, jusque dans les tripes.) « J’étais certaine que ton parfum sentirait le bois. C’est quoi, ton odeur préférée ? » C’est cela qu’il aime, les questions simples, planes, qui ne demandent pas d’effort ni de sang et de larmes en échange ; précisément ce qu’il détestait en temps normal, lorsqu’il était sobre et éveillé. Ses narines s’élargissent comme s’il pouvait imaginer à volonté les effluves désirées ; il ne filtre plus rien, il parle juste, Bennett ; que décrire de son esprit, lorsqu’il consistait en une suite toute banale de réactions à l’extérieur ? « J’aime l’herbe après la pluie. L’air quand on est loin de la ville. Quand ça ne sent rien mais que ça sent bon. La peinture sèche… la terre. Le bois, pourquoi pas. Aussi. J’aime les odeurs qui me rappellent les gens. Parfois ils sentent le cuir, parfois ils mettent du… » Parfum. Et il reste suspendu à sa propre phrase, attendant peut-être qu’un souffle de vent vienne la compléter, apportant avec lui la fraicheur vivifiante d’une nature sauvage. Il attend la pluie et puis l’herbe qui pousserait sur le toit. Il attend que l’odeur des gens qu’il aime lui tombe du ciel comme pour lui donner raison. Il y a une odeur de rhum, il y a un peu de cheveux de Ginny. Ça lui suffit, il se sent confirmé. « Je ne suis pas prête à le dire encore. Même si je sais que tu es capable de l’entendre. » Il ouvre la bouche pour ne rien dire, et finit par faire de sa main libre un geste vague qui englobe tous les autres, qui aura, il le sait, sa traduction dans l’esprit de Ginny. Je n’ai pas besoin que tu le dises. Lui-même, qu’avait-il dit ? Rien qu’elle n’aurait pu deviner un jour ou l’autre. Il n’avait dit que ce qui pouvait se dire. Mais la douleur n’a pas de langue et sans doute ces deux petits mots, fausse couche, sont-ils un mensonge, simplement parce que ce sont des mots et non des cyclones ou des poignards, ou encore une tornade, un volcan, une bombe, un crash. Si c’était la clé, elle serait dans le même état que lui. Mais elle était parfaite et n’y était pour rien. En s’enfermant dans ces deux mots qui ne renvoyaient à rien dans la réalité des sensations, Bennett en avait autant dit que Ginny. Il s’était ouvert une veine inutilement, en somme. Tant pis ; il est anesthésié pour le moment.

« Je suis là. J’ai pas bougé, je suis restée. » Je suis restée. Il a soudain l’impression d’être sous l’eau. C’était là, juste là, pendant une poignée d’insignifiantes secondes, qu’il avait eu une pensée qu’il n’avait même pas comprise et qu’il ne saurait formuler ; il savait simplement que ce qu’il avait pensé était mal, pour une raison tout aussi floue. Pourtant ici je suis ivre et je n’ai pas besoin d’être plus que ça, et là-bas il fera toujours froid tant que… (Tu es tellement ingrat.) Les doigts de Bennett, qui s’étaient serrés sur la manche de la jeune femme, se relâchent lorsqu’elle se lève, bouleversant brusquement l’équilibre que l’ivrogne avait trouvé à son corps titubant. Et tout recommence à bouger autour de lui. « Promis, tu l’aurais pas manqué. » Manqué quoi… ? Elle n’a pas fait trois pas sans lui que Bennett décide de se tourner vers le manque et d’empoigner la bouteille pour la finir. Il n’en reste pas grand-chose, et il veut en avoir pour son vol ; c’est que de toute façon la liqueur ne provoque plus rien en haut, elle s’assimile sans un spasme, coule en lui comme le lait et le miel en terre promise. « C’est mon moment préféré. » Déjà… le matin ? Maladroitement levé, il redresse son dos engourdi pour faire face à l’horizon où une goutte de lumière se diluait au loin. Il saisit la main de Ginny, instinctivement, mécaniquement, pour se guider. Il aurait sans doute saisi une arme à feu sans poser de question, avec la même aveugle confiance. La ligne qui sépare la ville du ciel se colore lentement, préparatifs de la gestation d’une nouvelle journée ; vraie lumière, quand eux se nourrissaient de lueurs de cigarettes, d’une étoile esseulée ; et Bennett chuchote, comme s’il était dans une église où un mot trop haut pourrait briser les vitraux – « Je ne vois pas très bien, Ginny… » Et il lâche la main de la jeune femme pour s’accroupir et empêcher sa vision de tanguer, à moins que ce soient les immeubles qui dansaient pour fêter l’aurore ? Et le premier rayon, le premier rayon tranche l’existence et lui transperce les yeux sans le réveiller totalement, toujours dans le rêve. « Tu penses que ça pourrait se peindre, ça ? » Chez lui tout est trouble et tout bouge ; les nuages sont roses et verts ; les tours à contrejour sont si noires qu’elles frisent le bleu ; et Ginny qu’il n’avait pas vue depuis si longtemps change de teinte quand il bouge la tête ; l’échelle des profondeurs, confuse, lui donne parfois l’impression qu’elle se tient au-dessus du vide, et que le soleil pourrait être touché du doigt. « Tu pourrais peindre ça, » conclut-il de lui-même, pressentant sans la percevoir nettement le charme étrange du tableau et le talent qu’il faudrait pour le retransmettre - que Ginny avait. Mais peut-être que ce charme n’existait que parce qu’ils étaient ivres et tristes en haut d’un toit de bar. Toujours un genou au sol, l’autre replié, il met la main sur le bord de l’édifice, jusque devant l’endroit où les pieds de l’autre artiste s’aventuraient dangereusement. « Faut pas tomber maintenant. » Ils n’en avaient plus le droit, maintenant qu’il faisait jour et que le jour était si beau, et que le soleil et la vie les scrutaient sans pudeur ; ils n’avaient pas le droit de tomber, le jour n’avait pas menti, il faudrait attendre la nuit, on ne tombe pas, comme des mouches épuisées, par respect pour la beauté. Parce que tout recommençait ; tout ce qu’ils avaient construit, il faudrait le briser ; et tout ce qu’ils avaient brisé, il faudrait le recommencer. Tu ne devrais pas, avait-elle dit, avant qu’ils ne s’enfoncent dans les ténèbres. Pourtant, même le soleil meurt chaque jour…

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Message(#) Sujet: Re: a year from now (bennett) a year from now (bennett) EmptyMar 29 Déc 2020 - 21:17


C’est futile, pourtant c’est ce qui reste, ce à quoi je m’accroche. « J’aime l’herbe après la pluie. L’air quand on est loin de la ville. Quand ça ne sent rien mais que ça sent bon. La peinture sèche… la terre. Le bois, pourquoi pas. Aussi. J’aime les odeurs qui me rappellent les gens. Parfois ils sentent le cuir, parfois ils mettent du… » à ses mots s’ajoutent mes paupières qui se ferment un peu plus. Il parle de pluie et il parle d’herbe, il parle de nature et il parle d’ailleurs. Il décrit un moment bien plus qu’un monde, alors je tente de faire de même, dans mon silence qui n’en finit plus de ne jamais s’arrêter. J’imagine une date inventée où le soleil grille ma peau, où les vagues se cassent sur mes orteils. J’imagine une brise qui sent le sel et la mer, j’imagine les bruissements des flots sur les rochers, j’imagine un bref instant de plénitude où ma peau ne serait pas aussi gelée qu’en l’instant – gelée de l’intérieur. Dehors il fait doux. L’été nargue, la nuit encore plus. Elle nargue la nuit, parce qu’elle est hors de portée. Dans la pénombre, je l’entends qui inspire et expire un peu plus profondément. Sa tête pèse, son bras est lourd, ses soubresauts s’effacent au fil des minutes qui s’égrènent. Pas une seule seconde de répit n’est passée pourtant, pour moi. J’aurais dû et je l’avais dit, oh que je devrais dormir ; les heures suffisent à tenter de tourner le monde d’un sens et de l’autre, trouver une issue quand bien même rien ne la personnifie. Bennett finit par arrêter de froncer des sourcils, il finit par laisser aller un souffle un seul, calmant ses traits aussi figés pour d’autres endormis au passage. Il est beau quand il ne passe pas le clair de son temps à se reprocher la Terre entière et son infinité de tares, quand il ne passe pas les miettes qui lui restent à se le reprocher à lui-même. Jamais je ne le lui dirai, même s’il doit s’en douter. Que je le préfère lorsqu’il ne croule pas sous la rage de sa culpabilité.

Le soleil ne se lève pas encore tout à fait, mais c’est tout comme. « Je ne vois pas très bien, Ginny… » ses yeux piquent des prémices de rayons je parie, et en bonne âme cassée il les laisse, ses rétines, brûler d’un réveil improbable. L’inconfort de la nuit contre le muret de béton est probablement le dernier de nos soucis. « Tu penses que ça pourrait se peindre, ça ? » sa main est là une seconde, elle sert fort la mienne ou alors c’est l’inverse – les lignes en sont changées, l’air ambiant aussi. Je jurerais qu’entre la lune et les étoiles j’ai senti la pluie, l’herbe, la nature, le sel, la mer, l’ailleurs. « Tu pourrais peindre ça, » et la seconde d’après, elle n’est plus, sa main. Qu’il le finisse le rhum, qu’il en reprenne et qu’il ne veule que ça. Que l’alcool devienne son Graal, le mien trace une trame d’horizon qu’il me voit peindre alors que mes doigts n’ont pas touché de pinceaux bien plus longtemps que les siens, de doigts. Depuis une éternité. Ce n’est pourtant pas à la page blanche et au canevas blanc et à l’immensité du syndrome de l’imposteur que je pense de suite. Bennett se recroqueville, mes prunelles le quittent déjà de même que mes pas. Pieds nus qui se précipitent sur le bitume froid, eux qui retrouvent docilement le chemin de mon sac. Petit miraculé amené sur le toit qui apparemment est devenu notre cocon le temps qu’il a dû, le temps qu’il a fallu. La ville est belle vue d’en haut, elle est bien plus synonyme de promesses que de déceptions. Et les pastels que mes mains arrivent à trouver, les feuilles aux coins cornés, jaunis d’avoir traîné entre mes affaires tachées et pêle-mêle n’ont rien d’autre à faire que ça, juste ça. Il a dit peindre, je ne peins plus. Mais il a dit que je pouvais le faire et je l’ai cru.

« Faut pas tomber maintenant. » « Personne va tomber. Pas aujourd’hui. » ma voix souffle, un secret de plus. À sa hauteur je m’installe, mes cheveux en ont fini de snober le chignon fait y’a une vie de ça qui ne sert strictement à rien d’autre qu’à éparpiller un peu plus mes cheveux emmêlés sur mes épaules. Le papier grincera sous les traits des crayons. Il aura tout d’être apprivoisé à nouveau, lui que je n’ai pas calqué depuis assez longtemps pour ne pas rester mal à l’aise lorsqu’on me qualifie d’artiste, de peintre, de créative – la blague. « Ferme les yeux. » il ne le fera pas. Bennett fait confiance avec parcimonie, il avance seulement avec les faits, sa vérité bien plus valable que celle des autres. Il a besoin de preuves et de tangibles, il a besoin de concret et il est à terre. Au sol au point où mon cœur se serre lorsque ma paume droite vient se caler doucement contre ses yeux, forçant la manœuvre d’une expiration de plus. « Une dernière fois. Juste en attendant. » une dernière fois à fermer les yeux, une dernière fois à faire confiance. Une dernière fois à attendre Dieu sait quoi, mais à attendre tout de même. Si je me raccroche à sa respiration qui prend un rythme un peu plus normal, lui, il pourra s’ancrer à mes pastels qui tatouent mon carnet d’antan, celui sans le moindre croquis, l’oublié. Le soleil et l’horizon que j’aurais pu peindre, que je dessine plutôt. Le tracé d’un moment là encore, un seul, croqué au passage et qu’on oubliera – qu’il – à la seconde où ses pieds toucheront le trottoir en bas. Bennett filera à droite, moi à gauche. Il retournera à son rôle à lui, alors que je lutte pour survivre au mien.

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