En sortant du taxi, l’air frais vint rappeler à River de bien refermer son long manteau noir. Elle eut la sensation que la météo était un peu plus fraîche ici en bordure de ville, qu’au coeur de Brisbane; fait logique, à la réflexion, qui contribuait à la sensation d’évasion dont elle jouissait en l’absence du propriétaire des lieux. Après presque un mois son époux avait cessé de lui demander de se justifier, River aimait à penser qu’il comprenait sa situation tout en étant parfaitement consciente qu’il n’y avait rien à comprendre. Elle préférait voir les distances qu’ils prenaient sous un prisme harmonieux alors qu’au fond elle savait que Luke cessait de la questionner car il était certainement épuisé d’entendre des vérités dérangeantes ou des excuses lâchées beaucoup trop naturellement. Pourtant, ça avait été leur rituel des années durant, les fois où River se rendait à un événement mondain seule : elle débrieffait avec son mari, lui imitait les scènes les plus drôles et ils en riaient autour d’un digestif. Un vague sentiment amer, peut-être nostalgique, l’envahit à l’instant où River tournaient les clefs de la résidence Epstein dans la serrure, cet acte concrétisait l’absence d’une telle soirée en compagnie de Luke, et Ellie dormant chez une amie, la journaliste se demandait alors pourquoi elle n’était pas rentrée chez elle ce soir ? Pourquoi ?
Ôtant son manteau pour le laisser nonchalamment choir sur le sofa, River ne prit pas la peine d’ôter ses talons aiguilles : elle était plus pressée de se servir un whisky que de soulager ses pieds.

En revenant dans le salon, le verre en main, la brune observe son reflet dans la vitre sombre du salon : son teint laiteux qui contraste avec le noir de sa tenue et se laisse deviner par la dentelle fine qui habille son torse, les quelques brillants des bijoux apposés sur ses cheveux presque comme une couronne romaine. Tout ça pour quoi au juste ? Elle a un léger rire à elle-même, forcée d’admettre qu’elle est finalement douée au jeu des apparences si chères à sa famille. Son regard dévie sur les fleurs de la table basse qui avaient commencées à se faner, cueillies lors d'une excursion avec la jeune Epstein et Liberty. Puis il y a ce bruit qui la surprend alors qu’il était là depuis le début, l’eau qui coule abondamment, la douche et la lumière du couloir des chambres allumée. Ellie ? S’enquiert-elle alors, surprise que l’adolescente ai changé ses plans. Une douche si longue si tard l’inquiète soudainement, elle espère ne pas avoir merdé, a-t-elle été trop laxiste en laissant la jeune fille sortir ? Aurait-elle dût rester ici à l’attendre ? Ellie ?! Répète alors River avant de poser le verre sur un meuble et de se précipiter vers la salle de bain, s’arrêtant tout net lorsqu’elle entend le bruit d’eau cesser. Ne souhaitant pas être intrusive, la brune reste dans le couloir et hausse la voix, inquiète : Tu vas bien ? Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Elle se tourne, dos à la porte de la douche et aperçoit la chambre allumée de Jack. Instinctivement elle s'avance alors apercevant le sac de voyage de ce dernier. Jack ? Lâche River à voix haute mais à elle-même.

Il ne l'a pas entendue arriver, normal, il entend rien Jack, d'ordinaire comme dans les grandes occasions. Ne voit rien non plus, éternel aveugle perdu, la tête noyée sous le jet d'eau bouillante qui contraste à peine avec sa peau qui l'est toujours de toute façon. Il a l'impression d'être recouvert de la crasse accumulée au fil des dernières semaines ; celle qui même sous ses ongles ne semble pas prête à déguerpir. Il a tout vu et tout vécu pendant ses aventures de baroudeur, sac à dos à l'épaule et tête pleine de rêves et de souvenirs. Souvenirs qui ont marqué autant sa mémoire que sa peau, à en juger par la couleur de l'eau sale qui file de son torse jusqu'à ses pieds. Sa douche semble plus petite comme sa maison, et c'est con, c'est stupide, parce qu'il n'a jamais eu besoin de grand Epstein, il s'est toujours contenté de peu.

Pourtant, à la seconde où il a passé la porte du cocon qu'ils se sont construit ici durant les dernières années, il s'est senti pris, suffoquer. Rien qu'une douche ne lui règlera pas, rien qu'une clope et qu'un bourbon sur la terrasse ensuite ne calmeront pas. Il n'a qu'oublié où se trouvaient savons et serviettes, lui qui repèrent pourtant les affaires de River agglomérées à travers les siennes, celles d'Ellie. River en qui il avait une entière et complète confiance, River qui apparemment avait passé bon nombre de jours comme de nuits ici sans qu'il s'en plaigne une seule seconde. Savoir Ellie avec elle lui avait toujours convenu, l'avait toujours rassuré ; aujourd'hui n'était pas exception à la règle.

Ellie d'ailleurs, qui n'est nulle part. Il n'a pas annoncé son retour parce qu'il a pris pour acquis comme un con qu'il lui ferait la surprise, qu'elle serait là, peut-être même River aussi. Molly aurait pu, Elise avec. Des lubies qu'il pense, des idioties de gamin aussi, quand c'est une maison petite et un vide immense qui lui ont donné le ton quand il est rentré. Une douche, une clope, un bourbon, et une nuit de sommeil en solo donc, c'est tout ce dont il a besoin.

Qu'il croyait.
Jack ?  

La silhouette de la brune dans l'embrasure de sa porte lui arrache le plus grand et le plus soulagé des sourires. Désormais, il sprinte derrière elle, l'attrape au vol sans qu'elle ne le voit arriver. Il est hilare et il est trempé, il est con dans son jogging déchiré et dans son t-shirt qui n'est pas dans un meilleur état. « Je sais qu'on se ressemble Ellie et moi, mais j'sais pas j'pense qu'elle le prendrait comme une insulte que tu crois que c'était elle quand en fait c'était moi. » qu'il nargue, qu'il rigole de plus belle, qu'il chuchote à son oreille aussi.

Un mois et des poussières, ce n'est pas grand chose et c'est énorme à la fois. A la vue des affaires de Jack dans la chambre qu'elle s'était appropriée en son absence, River a formulé ses pensées à voix haute, et commencé à se rapprocher de la chambre à pas feutrés. Comme si, aller trop vite, les ferait disparaître. Comme pour les fixer des yeux et s'assurer que le whisky ne faisait pas plus d'effets que d'habitude, oubliant sur le moment qu'elle n'avait même pas eut le temps de le goûter pour qu'il ne lui fasse un quelconque effet. Pourquoi n'a-t-il pas prévenu ? Peut-être qu'il ne pouvait pas. Peut-être qu'il voulait faire la surprise. Peut-être qu'il voulait être seul ? Pourquoi il n'a pas prévenu l'idiot. Ellie est dehors, et River, elle, s'ennuyait tellement qu'elle s'était infligée une soirée qu'elle aurait préférer annuler pour l'accueillir, et cette pensée la pique. La culpabilise. Alors on annule des plans pour un ami et pas pour sa propre famille ? C'est comme ça maintenant ?  Une main sur le mur, River reste dans l'embrasure de la porte, persuadée -enfin- que c'est Jack qui vient de finir sa douche, mais surprise quand il se jette sur elle plus vite qu'elle n'aurait pût l'imaginer. Elle lâche un petit cri et rit instinctivement de s'être laissée surprendre aussi bêtement. Tu t'es même pas séché ! Qu'elle peine à dire entre les gloussements et l'équilibre qu'il a faillit lui faire perdre. Elle s'en fout, en réalité, mais elle le dit quand même. River accroche ses mains aux bras du Canadien, ses bras chaleureux, trempés, bronzés, qui recouvrent et contrastent son torse blanc porcelaine; elle le fait pour se maintenir, dans sa raison c'est comme ça que ça se passe, mais elle sait que la spontanéité de ce contact est surtout provoqué par un sentiment de bien-être, de joie. Elle rigole légèrement, frétille un peu au frisson provoqué par les murmures. Te revoir sans crier gare lui fera alors oublier mon affront. Je l’adore Ellie. Mais je suis contente qu’en fait ce soit toi. Son pouce caresse négligemment l'avant bras de Jack, et quand River s'en rend compte, elle cesse et se détache pour se retourner et le voir enfin. En pleine dissonance, River attrape le maître des lieux par le tissus trempé qu'il utilise comme t-shirt et entreprend de l'enlacer proprement quand son regard croise les yeux bleus de Jack après avoir détaillé son visage marqué. Elle fronce alors les sourcils. Tu t'es cassé la gueule ? Elle penche légèrement la tête. Soucieuse. J'ai trop de questions Jack, sur le jeu, sur ta figure, ton retour et quelques détails. Elle sent son sérieux habituel l'envahir à nouveau, comme un vilain nuage gris au dessus de sa tête, elle veut tout savoir, elle veut l'asseoir à une chaise et le questionner, le faire boire pour lui soutirer des informations, le réprimander légèrement, comprendre mais aussi lui proposer une fête de retour, elle hésite à aller chercher Ellie comme à préparer un brunch surprise pour son retour demain auprès de son père. Elle a pleins d'idées, d'envies, qui se fracassent l'une contre l'autre car aucune ne souhaite coopérer avec l'autre. Et pendant tout ce temps elle le fixe droit dans les yeux sans rien dire, sans bouger, sentant seulement les gouttes d'eau qu'il a laissé sur elle, couler le long de sa peau ci et là. Idiot va. Qu'elle lâche enfin avant de passer ses bras autour de son cou pour l'enlacer, à défaut de se décider elle préfère chasser le nuage parce que son sourire, son regard et sa présence sont autant de raison de profiter juste encore un peu des retrouvailles. Aussi parce qu'elle s'inquiète de ce sourire sincère, beau, mutin et émouvant qu'il a mais qui ne réussit pourtant pas à cacher la lueur maussade de son regard. Alors, elle laisse ses doléances pour plus tard et le serre fort. Bon retour à la maison. Qu'elle murmure à son oreille en fermant les yeux, espérant qu'à défaut d'être douée en paroles réconfortantes, le contact sera plus communicatif.

Tu t'es même pas séché !
« T'as remarqué?! »

Quel grand con, quel véritable imbécile qui lui rend son faux outrage du plus grand et du plus immense des sourires qu'il a en banque. Elle râle mais pas vraiment, et il décide que pour lui donner matière à se plaindre, il s'investira en secouant la tête comme un véritable chien trempé par la pluie sous son visage de porcelaine à elle. Les gouttelettes doivent faire l'effet de la pire des tortures du moment, qu'elle se plaigne pour qu'il ne recommence qu'avec plus d'entrain encore. Te revoir sans crier gare lui fera alors oublier mon affront. Je l’adore Ellie. Mais je suis contente qu’en fait ce soit toi. à ses paroles à elle s'ajoutent ses sourcils à lui qu'il fronce, faussement outré. « Ouais, ouais, tente de te rattraper Shears. » la seconde d'après il resserre son étreinte rien que pour pouffer de rire à son oreille. Un gamin qui s'est ennuyé pour de vrai, c'est tout ce qu'il est au final.

Ses tentatives de distraire son attention de parts et d'autres ont fonctionné, un temps. Pas assez longtemps pour qu'elle ne remarque pas le visage tuméfié et les quelques ecchymoses restantes qu'il arbore le moins fièrement du monde sur sa gueule abimée. Tu t'es cassé la gueule ? ahah, très drôle. Il se l'est faite casser, s'il avait à préciser. Et il l'a totalement méritée mais ça, c'est une toute autre histoire à raconter et s'il pouvait éviter de tapisser tous ses échecs aux pieds de River ça lui ferait du bien. Pas qu'il n'a pas confiance en elle assez pour les lui confier, mais juste parce qu'il a envie de profiter d'une soirée près d'elle à juste tout oublier. C'est trop demandé? J'ai trop de questions Jack, sur le jeu, sur ta figure, ton retour et quelques détails. « Encore heureux que j'ai aucun tournage secret de prévu ce soir. » ça, c'est sa manière de lui dire qu'il répondra à tout ce qu'elle lui demandera, peu importe l'angle des questions de la journaliste. Pour l'heure, il fait son farouche, mais elle sait aussi bien que lui qu'à la seconde où elle lancera l'interrogatoire, il se fera docile et franc. Il déteste lui mentir, ne le fait jamais de toute façon.

Idiot va. l'idiot éclate de rire et l'idiot sourit de plus belle. L'idiot la rapproche de lui aussi, quand elle passe ses bras de chaque côté de sa nuque et qu'il presse sa silhouette trempée sur la sienne bien trop sèche encore à son goût. Bon retour à la maison. la maison. Un concept qu'il avait détesté par-delà les années et les scénarios, lui, l'éternel nomade en puissance. Apparemment que revenir chez lui et reprendre ses marques, refaire ses racines et en solidifier des anciennes, c'est tout ce que ça lui prenait, au final. « T'es belle. T'étais où, avant? » à lui de constater l'évidence, quand sa tenue de soirée hurle qu'elle était à l'un de ses événements guindés dont il se moquait ouvertement et elle avec, fût un temps. Elle est belle mais elle a l'air triste, et il déteste ça. Surtout sachant que pendant son absence il n'a rien pu y faire. La maison, donc. Pour eux deux du moins.

« Whisky? » il demande quand bien même il la sert autant que lui. Se détachant de River strictement pour leur remplir à chacun un verre bien généreux. Ils en auront bien besoin qu'il pense, avec raison.

Il fait ressortir les paillettes de sa personnalité comme de son attitude qui lui semblaient appartenir au passé depuis longtemps. Elle rit et fronce les sourcils en même temps, ennuyée par les gouttes d’eau qu’il lâche comme le plus fidèle compagnon des hommes, la surprend avec sa fantaisie propre et elle se sent gamine à nouveau. Elle va me tuer. Conclut River concernant Ellie quand Jack bafoue presque ses paroles sincères, en les qualifiant de justification, mais ça lui convient. Naturellement elle resserre son étreinte car avec Jack c’est plus facile de se laisser emporter que de résister, il n’y a pas de raison de résister, de porter le menton haut et d’avoir l’air de marbre. Pas sur le moment du moins. Il est relaxant Jack, même si elle lui en veut presque de toujours réussir à rendre léger ce qui ne l’est pas, comme lorsque River s’attarde sur les couleurs sans rapport avec le soleil qui marquent la peau du Canadien et que celui-ci blague encore. Il ne croit pas si bien dire, son esprit à elle a tourné dans tous les sens durant son absence, mais certains éléments récents ou apportés par sa simple présence à lui le font encore se tordre. Ce qui l’apaise directement, c’est que malgré sa réponse désinvolte, il ne fait preuve d’aucun réel hermétisme face à un éventuel interrogatoire. Peut-être car il la connaît trop bien pour savoir que plus il tentera de s’échapper plus elle insistera, comme lui et ses gouttes d’eau finalement. Ou peut-être car il a au fond un besoin de parler finalement ? Depuis quand n’ont-ils pas parlé ? Réellement parlé. Depuis quand n’ont-ils pas été seuls tout les deux ? Les gouttes qui glissent sur sa peau ravivent un souvenir marin vieux de bientôt dix ans, où une autre belle robe avait payée en humidité les frais du tempérament du musicien.
Merci. C’est la première fois qu’elle répond à un de ses compliments sans le détourner, l’ignorer, le modifier ou afficher un sourire gêné. A un de ses événements passionnant où on piétine sur place à grignoter, picoler et faire semblant de s’amuser. Précise-t-elle d’un ton léger, consciente qu’il a sûrement déjà deviné, quoique ça aurait aussi pu être initié par un délire de la matriarche Shears, mais pas cette fois. Les médias préparaient leur rentrée eux aussi et cela avait mené à bien des artifices qui pour une fois constituaient une sorte de divertissement pour River.
Alors qu’ils se détachent pour quitter le couloir et rejoindre la pièce principale, Jack fait une proposition simple. Un deuxième verre ne sera pas de trop, elle cherche du regard le verre qu’elle a précédemment laissé quelque part avant de se décider à abandonner, reportant son attention sur les accessoires de ses cheveux qu’elle enlève avant d’attraper le verre tendu par le Canadien. Elle trinque pour tout remerciement, le fixant droit dans les yeux et profite de la gorgée qui suit pour détailler les ecchymoses qui tâchent celui-ci avant de s’installer sur le canapé, posant ses pieds sur le bord de la table. Je commence par où ? son ton est presque solennel, et quand elle s’en rend compte finalement elle reprend son verre et une gorgée que tout machiste qualifierait de “gorgée de bonhomme”. River, dont la principale qualité était son don de savoir poser les questions qui dérangent ne réussit donc pas à les poser à Jack ? L’être d’apparence le plus simple qu’elle connaisse ? Celui qui ne la contraint à rien, ne la fige dans aucun rôle, ne lui demande rien, et ne la met jamais mal à l’aise ? Celui qui la fait se sentir bien sans rien en échange, celui qui l'apaise par sa seule présence. Vraiment ? Cette contradiction la frustre un instant. Tu n’es finalement pas revenu riche hein ? Lance-t-elle finalement, taquine, avant de boire à nouveau, cette fois-ci avec une petite grimace. A boire trop vite trop fort on ne savoure plus.

Merci.
« Tu rougis. »
A un de ses événements passionnant où on piétine sur place à grignoter, picoler et faire semblant de s’amuser.
« Passionnant, hm? »

Il est une vraie plaie, Jack, si vous demandez à River. Pas une seule fois par contre il n'adoucira son comportement face à la brunette, préférant avoir accès autant à ses sourires qu'à ses soupirs, les roulements d'yeux avec. C'est qu'il commence à la connaître par coeur la journaliste, au point où il arrive parfois même à maîtriser ses paroles comme ses gestes rien que pour recevoir la claque derrière la tête qu'il le fera éclater de rire, ou le petit merci, timide, auquel il n'a jamais droit. Tant elle arrive si bien d'ordinaire à se faufiler entre les mailles de son charme de musicien aussi érodé que le seraient les parois d'une falaise bordant l'océan de son pays natal.

Il la suit des yeux alors qu'elle évolue dans la maison comme si elle était la sienne. Lui, il file à la cuisine chercher de quoi remplir deux verres. Le sien à elle finira fort probablement entre les mains d'Ellie qui le subtilisera sans que jamais Jack ne dégaine la moindre autorité pour l'en empêcher. Il sait, le père, que sa gamine boit et fume - autant qu'elle boive du whisky de qualité et qu'elle s'allume des clopes bien roulées. Je commence par où ? dans un soupir il lui tend son dû, le sien à lui qu'il porte d'office à ses lèvres pour une longue et salvatrice gorgée. « Le début, j'imagine. »

Ses doigts s'égarent sur les pinces et accessoires à cheveux qu'il ne comprend pas, que River aligne les uns à côté des autres sur le plan de travail posé entre eux deux. Elle n'a pas besoin de ça en plus du masque qu'elle exhibe dès qu'elle l'accompagne lui dans ses soirées passionnantes. Se gardant bien de dire quoi que ce soit comme à l'habitude, il redresse le menton et le regard avec vers la Shears lorsqu'elle reprend la parole, pensive. Tu n’es finalement pas revenu riche hein ? « J'aurais pas pu le rester, tu le sais aussi bien que moi. » un rire catégorique fend son visage. Son immaturité et sa maladresse avec le fric sont connues de tous mais encore plus d'elle. Puis, s'il avait gagné il n'aurait pas gardé le moindre dollar pour lui et aurait tout investi en ses artistes sans en douter une seule seconde de toute façon. « Ils nous ont gardés pour prêter main forte à l'une des équipes finalistes. C'est cool, c'est comme si j'avais été là jusqu'à la fin en vrai. » il n'a pas gagné, il n'est pas revenu riche. Mais au moins il a stupidement l'impression du défi achevé.

Il le dit exprès pour qu'elle se mette à rougir, elle le sait et ne peut malheureusement pas contrôler cette réaction, ces couleurs qu'il provoque sur son teint porcelaine, les éclats qu'il y provoque lui qui a la gueule plus cassée qu'à l'habitude. Elle a un sourire en coin, précédé des automatiques yeux levés au ciel. Il la brusque en délicatesse et fait céder ce qui tient toujours debout en toute circonstance face à d'autres. Hm hm.

Le début donc. En toute logique, elle a enchaîné sur le programme télévisé, ayant réellement souhaité que cette aventure puisse s'être soldée en une espèce de délivrance pour Jack, qu'il puisse relâcher un poids de ses épaules (bien qu'il donne toujours l'impression de les laisser traîner plus que de les porter, ces poids). Elle imagine bien, River, que même avec une telle somme Jack ne serait pas du genre à placer son argent pour le faire fructifier ou vouloir mener une vie de nouveau riche, il avancerait avec le cœur, avec passion, la musique avant tout et pour elle c'était là encore le témoignage de son amour sincère pour son domaine. La preuve de sa capacité à être responsable dans sa place professionnelle actuelle, ou du moins loyal. Jamais elle n'avait osé lui proposer son aide financière, ou plutôt il avait détourné chaque tentative en dérision et River, respectueuse de son libre-arbitre, n'avait ainsi jamais plus insisté. Jack rit et ce son éclatant soudainement dans la pièce lui fait relever les yeux vers lui. Il a étrangement l'air calme et agité à la fois, fier et déchiré, nostalgique peut-être ? River se retrouve à l'observer sans rien dire, se rend compte que plus elle le regarde moins se sont ses traits que ses blessures qu'elle fixe. C'est pas comme si, c'est le cas. Elle réagit enfin et termine son verre qu'elle repose et fait tourner doucement avant de s'arrêter. T'es revenu c'est tout ce qui compte. Cette impression de lâcher des banalités l'agace contre elle-même, si pour une fois elle avait pût s'empêcher d'amener ses questions, si elle avait su se laisser porter ils seraient peut-être en train de fumer ensemble, il lui raconterait tout ce qu'il a fait, la maison tremblerait sous ses rires et elle se serait abandonnée, comme à chaque fois. Le pire étant que ça l'intéresse de savoir.
C'est quoi ces blessures ?

J'ai rencontré Elise. Qu'elle lâche finalement. Non, les blessures. Ou plutôt elle m'a rencontrée ? Urgée par ce qu'elle identifie comme des incohérences dans ses pensées comme ses doutes la brune se relève finalement pour attraper ses cigarettes. Elle est venue voir Ellie, j'ai trouvé ça étrange que ta fille aie à côtoyer tes amours déjà mortes. Oh River.
River qui allume sa clope l'air de rien, pour distraire, se distraire. J'aurais peut-être dût prendre Ellie chez moi plutôt que de rester ici du coup. Dit-elle, elle qui est revenue dormir ici malgré cette rencontre, malgré l'absence de l'adolescente. Elle relève enfin la tête vers Jack. Et ces hématomes donc on en parle ? ... Rien.

T'es revenu c'est tout ce qui compte. se demander depuis quand River tanguait vers les niaiseries du genre n'était pas au menu ce soir, quand il est franchement attendri par l'accueil tous en rires et en grognements qu'elle lui a dédié. Il n'est pas là pour faire autre chose que de tanguer dans la nostalgie Jack. Il est doué pour ressasser et pour ressentir, en a fait son métier et en compose des dizaines de chansons qui y sont dédiées depuis des années. Le baiser qu'il perd à la volée contre sa tempe et à travers ses mèches n'est qu'un merci de plus.

J'ai rencontré Elise. « Ah ouais. » la cuisine est plongée dans le calme entre chacune de ses interventions qu'elle lâche au compte-goutte. La brune trouve le temps de retirer chacune des horribles pinces qui rendaient ses cheveux bien trop guindés aux goûts du musicien. Chaque bijou comme un énième argument, un élément de plus qu'elle dresse comme lui dresse leur table de deux verres de whisky et du cendrier qu'il approche plus par anticipation que pour autre chose. Ou plutôt elle m'a rencontrée ? « Ah ouais? » usant du même ton de fausse ingénue qu'elle utilise toujours quand elle en est à apporter critiques et commentaires, il se cale sur le comptoir derrière lui les bras croisés sur son torse, mettant à peine un mètre de distance entre la surface de travail à laquelle River s'accoude au même moment. Elle est venue voir Ellie, j'ai trouvé ça étrange que ta fille aie à côtoyer tes amours déjà mortes. oh River.

Son rire est las, sec. Son sourire en coin avec, et le bruit du briquet est le seul élément qui casse le silence que ni lui, et probablement ni elle ne trouve pesant. Ils se sont déjà dit bien pire. J'aurais peut-être dût prendre Ellie chez moi plutôt que de rester ici du coup. « Tu joues les jalouses, là. » le voilà qui statue l'évidence au même moment où il s'étire par-delà l'îlot pour lui piquer sa clope des lèvres et en inspirer une longue bouffée salvatrice. Il ne sait pas grand chose dans la vie et en voit encore moins, mais dans l'état il se doute que si les commentaires remontent c'est simplement parce que la Shears avait à coeur de s'occuper d'Ellie elle et elle seule. En soit, les raisons ne sont pas mauvaises. Il n'aime seulement pas comment elle les a si sournoisement amenées.

« Vous vous seriez rencontrées un jour ou l'autre. » ça aussi, c'est simple, c'est vrai, c'est normal. La nicotine s'envole en fumée entre eux. Jack lui redonne sa clope avant de troquer le bâtonnet niché sur ses lèvres d'une longue gorgée de whisky à sa place. « Et Ellie la connaît déjà. Amours mortes ou pas. » ce qui veut dire qu'en clair, ce n'est pas la première ni la dernière fois qu'elle la voit, Elise. C'est la mère de Cosimo après tout - et la femme de Saül, surtout.

Puis, le voilà qui déteste l'ambiance et qui déteste la lourdeur des accusations qui n'en sont peut-être pas mais qu'il prend comme tel. « Ça date de quand ça? » qu'on l'entendra demander une fois le frigo ouvert et un plat au contenu non-identifié qu'il brandit sous les yeux de la brunette enflammée.

Elle pouffe légèrement sous son embrassade furtive, se contentant de se concentrer sur son verre, d'apparence, quand elle se concentre en réalité à mettre des mots sur ce qui l'a égoïstement perturbée. Mais à la première réaction désinvolte du Canadien, River n'est pas certaine d'avoir trouvé les bons mots. Elle poursuit néanmoins, ses verres lâchant son verre pour se mêler dans ses cheveux noirs qu'elle défait totalement, habituée aux coiffures rigides elle se sent toujours soulagée de s'en séparer une fois de retour à la maison. Ou dans une maison, dans le cas présent. Elle ne répond pas aux sons de Jack, car vu la composition de ses phrases, elle ne les considère pas comme plus que de simples sons, des sons pour l'alerter qu'elle se lance dans un terrain miné, mais River ne fait pas demi tour, au contraire. Pire, elle se donne bonne conscience d'avoir lancé une pique en ramenant le sujet à Ellie, ce qui est à la fois honnête et malhonnête.
Elle fronce les sourcils River, quand il la dit jalouse. Là est l'honnêteté, elle se sent puérile River de chérir le lien qui l'unit à la gamine Epstein au point d'estimer avoir un droit inébranlable à ce sujet. Elle n'ose imaginer ce que c'est que d'être une adolescente sans modèle maternel et s'est prise au jeu de lui en fournir un qui ressemble parfois plus à un rôle de bonne copine néanmoins. Les mensonges ? C'est que River ne veut pas voir qu'elle n'est pas jalouse qu'à propos d'Ellie, elle ne veut pas (se) formuler qu'elle aurait préféré n'avoir jamais à imaginer à quoi pouvait ressembler la vie sentimentale de Jack, un sentiment parfaitement illégitime quand elle-même s'apprête à célébrer ses noces d'étain dans quelques mois à peine. Il lui vole sa clope Jack, et elle ne réagit pas, rabattant sa frustration sur son verre qu'elle rempli à nouveau avant de le finir aussi vite. Je joue donc. Dit-elle seulement, amère qu'il mette ses réactions sur un possible faux-semblant quand elle est plus vraie que jamais. Il rigole, parle de jeu, lui vole sa clope, il dédramatise tout, toujours et River est figée. Elle le fixe sans rien dire, ne sachant pour qui elle devrait avoir de la peine, sans doute pas pour elle, elle arrive à s'auto-juger de capricieuse, mais Elise ? Est-ce pour autant que l'on devait se rencontrer comme ça ? Son attention se reporte sur la cigarette qu'il a calé entre ses doigts et River se laisse glisser contre le plan de travail pour se retrouver le cul à terre. Elle n'a pas envie de tout gâcher mais elle souhaiterait qu'il comprenne. La fin de nicotine calée entre ses lèvres, la brunette s'attelle à ôter ses escarpins qui commencent à lui scier les pieds. J'ai cru comprendre qu'elle la connaissait déjà oui. Qu'est-ce que ça veut dire même ? Il fait exprès ?  Elle m'a demandé depuis quand je te connaissais, si j'avais de tes nouvelles et Ellie lui a dit que j'étais avec vous à Charleville. Finit par lâcher la brune. Et je ne crois pas que ce soit à moi qu'elle voulait poser toutes ces questions, ou si c'est le cas alors, man, you're fucked. Elle rit, déboussolée, ironique, fatiguée tandis qu'il change de sujet Jack, sa technique favorite. Ca date de sa venue, je te l'ai gardé au frais. S'amuse-t-elle à répondre, sur le même temps nonchalant que celui qu'il se plait à adopter quand il est dérangé Jack, avec une pointe de cynisme signé Shears. Toujours par terre, River lâche son mégot dans le fond de son verre avant de pousser un soupir. Dis le si tu me trouve injuste. Souffle-t-elle alors sans le regarder.

Les amours mortes ne le froissent pas Jack, l'atteignent à peine. Il aurait très bien pu en sourire, lui ébouriffer les cheveux, passer à autre chose dans un rire supplémentaire sans que jamais River ne sente qu'elle avait dépassé les bornes. S'il n'avait pas été prompt aux deuxièmes chances, s'il n'avait pas été doux et calme, un long fleuve tranquille en personne, bref s'il n'avait pas été le gentil et candide petit canadien typique, il lui aurait pointé ses amours mortes à elle d'emblée. Takes one to know one - quand il jugeait que si elle prenait autant le sujet Elise à coeur, c'était parce que les siennes d'amours étaient belles et bien branchées sur le respirateur artificiel depuis des années. Mais il n'en pipe pas mot Jack, bien plus intéressé par le changement de sujet nécessaire qu'il arbore l'air espiègle, et le plat de plastique qu'il agitait comme un enfant sous ses yeux file direct au frigo sans plus de cérémonie.  

J'ai cru comprendre qu'elle la connaissait déjà oui.
Elle m'a demandé depuis quand je te connaissais, si j'avais de tes nouvelles et Ellie lui a dit que j'étais avec vous à Charleville.
Et je ne crois pas que ce soit à moi qu'elle voulait poser toutes ces questions, ou si c'est le cas alors, man, you're fucked.
Ca date de sa venue, je te l'ai gardé au frais.

Qu'est-ce que tu fous River, que son regard d'océan semble lui demander. C'est elle la journaliste après tout, mais c'est aussi elle qui s'empêtre dans des conneries de commentaires à deux balles qui ne valent strictement rien aux yeux d'un gars qui il y a deux secondes n'était pas du tout fatigué mais qui désormais se sent complètement épuisé. Elle prend ses aises là où elle n'a pas sa place, pour la simple et unique raison qu'il ouvre la porte à qui que ce soit ayant de bonnes intentions - mais que pour l'heure, la seule chose qu'elle lui démontre, c'est qu'elle n'est ici que pour piquer, que pour critiquer, que pour faire valoir son opinion qu'il ne lui a absolument pas demandée. Il l'aurait fait le pire Epstein, il lui aurait parlé d'Elise, aurait pris le temps d'exposer tous les faits et la situation en entier. Si elle n'avait pas profité d'une mince ouverture pour y entrer à pieds joints et tout faire chier sur son passage. Elle a manqué le coche, et lui, il gobe le reste de son verre d'un trait.

Dis le si tu me trouve injuste.
« Pas injuste. Gamine. » la différence d'âge ne paraît jamais entre eux, habituellement. Elle est aujourd'hui la seule chose qu'il voit par contre, quand ses traits angéliques et sa peau de parfaite porcelaine à elle jurent avec son visage à lui qui a vu la vie en Technicolor.

« La prochaine fois, pose des questions au lieu de te contenter de spéculations. » comme s'il lui disait de mieux faire son job, tout court. Ils piquent ses mots, et il n'en a rien à foutre. Dès lors que sa main attrape son verre vide à elle, et qu'il finit sa course avec son homologue au fond de l'évier. La fête des retrouvailles avortées est terminée. « Bonne nuit. » qu'elle dorme ici pour fuir ses amours mortes ou qu'elle reparte, il ne lui demandera pas l'un ni l'autre. Quand il quitte la cuisine et ferme la lumière pour rejoindre sa chambre porte close, River est toujours installée à l'ilot.

Il l'a ramène presque dix ans en arrière avec ce regard singulier qui l'avait intimidée le jour de leur rencontre, une certaine austérité, mais là où il y avait de la peine la première fois il y a aujourd'hui quelque chose de plus froid ou du moins de personnel. Ces yeux là, River ne les a que très peu vus, et dirigés contre elle ? Impossible de s'en souvenir. Elle essaie de se remémorer, quand elle a été agaçante ainsi, et se sentir bredouille de ces recherches mentales l'effraie alors. River baisse les yeux, arrête de rire, prend une longue inspiration qui est coupée nette quand Jack la mentionne comme gamine. C'est ainsi ? Rien ne va plus même ici ? La sensation de refuge qu'elle sentait chez et auprès de Jack n'avait-elle été qu'illusion ? Ce qu'il dit l'énerve, elle est persuadée que tout ce qu'elle ressent est décuplé par l'alcool siroté au gala et avalé ici, elle est certaine que cette colère qu'il provoque en elle n'est qu'artificielle. Elle ne répond pas, il l'a laisse dans le noir et elle peut enfin arrêter de se mentir. Incapable de se lever, toujours parterre noyée dans sa robe noire, les mots du Canadien se répètent en boucle dans son esprit. Froidement elle est encore persuadée qu'il a merdé d'une manière ou d'une autre, mais ça ne l'importe plus car ce soir c'est elle qui a merdé en long en large et en travers. Ils ont toujours tout sût se dire, pourquoi n'avoir pas joué franc jeu ? Il aurait répondu en plus. C'est là le plus grand châtiment de la journaliste qui se sent le souffle coupé tandis que la lumière dans la chambre de Jack a elle aussi disparue.  Elle se sentirait bien River de ne pas se lever, de s'abandonner juste là afin de ne plus prendre aucune décision, de juste penser à rien. Elle envisage de se relever et de terminer la bouteille de whisky comme dernier outrage mais n'en fait rien, elle a cette boule au ventre qui lui donne la nausée.
Ca ne se passe jamais ainsi avec Luke, jamais. Ils marchent sur des oeufs ensemble, elle tient les rennes : lui soufflant le chaud et le froid, et lui, diplomatique, toujours, trouve toujours le moyen de communiquer avec elle de manière responsable mais seulement quand elle s'estime prête à l'écouter. Pour une fois, c'est River qui se prend un mur. Et là où elle aurait eut un soupir de soulagement d'un côté, elle a le cœur qui bat trop fort à son goût de l'autre, angoissée à l'idée d'avoir merdée. Elle se relève et se dirige tant bien que mal vers le couloir. Elle reste plantée devant la porte de Jack, tiraillée, elle finit toutefois par y toquer fébrilement. Je suis désolée. Elle a la tête qui tourne un peu, une adrénaline nouvelle : celle de la fierté enfin tue. Je regrette, ce n'est pas comme ça que je voulais t'accueillir. J'aurais dût savoir que j'aurais pu tout te demander simplement. Elle voudrait lui dire, à ce moment, qu'elle en avait tout bonnement marre de prétendre, de tout gérer, ses émotions, sa famille comme son travail, de faire semblant d'être un roc que rien n'ébranle, mais ça ne passerait que pour des justifications, et ça en serait presque puisque si River avait sincèrement cessé de prétendre elle ne se serait pas contenté de piques lancées ci et là. Jack... s'il te plaît...  s'essaie-t-elle finalement, réprimant le monologue qui urge de sortir au rythme effréné de ses pensées. Cette scène ferait sans doute plus mal à son mari que de savoir ce qu'elle avait partagé avec Jamie, et à cette idée la brune pouffe à nouveau, amère, las de sa propre personne, yeux larmoyants. Elle finit par traîner sa carcasse au salon avant de se laisser tomber sur le canapé. Malgré l'ambiance putride, River est incapable de partir, autant physiquement que moralement.