Elle m’énerve, vraiment. Mais je fais trop d’efforts, mon souffle est court et mes muscles sont bien trop en feu pour que j’ai la force de lui sauter dessus et lui arracher ses cheveux un à un. Je grimpe et ça m’étonne de voir qu’elle m’attend. Elle ne s’arrête pas de dire que je suis la personne la plus insupportable du monde et je fais pareil, mais elle ne m’a toujours pas abandonné et je ne l’ai pas fait non plus. On se connait depuis très peu de temps, je ne sais même pas comment elle s’appelle et je ne connais rien d’elle, pourtant, je sais qu’au fond sa présence est vitale, et tant que je ne trouve pas mieux qu’elle pour m’accompagner sur cette île je continuerai de m’engueuler avec elle jusqu’à ce qu’on meurt d’épuisement. “Je pourrai toujours en faire construire un quand on sera rentrées.” Je ne gère pas l’entreprise Hilton malheureusement, mais ça, elle ne le sait pas la blonde. Et je préfère rester optimiste, me dire que bientôt je serai rentrée chez moi et que je n’aurai plus jamais à voir sa tête.

J’aurais bien besoin de chaussons, ou de pansements vu l’état de mes pieds. Les gouttes sont de plus en plus grosses et nombreuses, alors je cours jusqu’à la grotte, je n’ai pas envie d’être plus trempée que je ne le suis déjà. Fouiller en bas, autrement dit prendre des vêtements sur les cadavres des gens qui étaient dans notre avion et qui n’ont pas survécu. Je pince les lèvres, l’idée ne me plaît pas vraiment et pourtant je sais qu’on a pas le choix. “Il devrait bien y avoir des restes de valises quelque part.” Parce que ce serait déjà moins glauque de voler des chaussures dans une valise plutôt que sur des gens morts.

Je fais le tour de la grotte, et, étonnement, il y fait très sec. “Et j’ai du bois, peut-être qu’on va réussir à survivre et à se sécher cette nuit.” J’ai tout ramené vers elle, en espérant qu’elle ait une idée ou une astuce pour qu’on puisse faire un feu.    

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« Je pourrai toujours en faire construire un quand on sera rentrées. » A-t-elle ce niveau d’influence ou bien cherche-t-elle à prétendre avoir plus d’importance qu’elle n’en a réellement ? Je l’ignore, et je crois même qu’elle pourrait être la fille du président des Etats-Unis que j’en aurais pas grande chose à foutre, ce n’est pas ça qui nous aiderait dans l’immédiat. Peut-être qu’on nous chercherait un peu plus au moins.

Elle fait la fine bouche alors que je lui propose une solution viable, mais je ne peux lui jeter la pierre. L’idée est glauque et morbide à souhait, mais à moins qu’elle en ait une meilleure elle ne vas pas avoir le choix. « Il devrait bien y avoir des restes de valises quelque part. » Je réfléchis un instant, avant d’avouer que l’idée tient la route et vaut le coup.  « La plupart doivent être restées en mer, mais peut-être que le courant aura ramené certains bagages sur la plage. Il faudra y retourner quand l’orage se calmera.  » Avant les autres, pour pouvoir prendre ce qui nous intéresse. Des vêtements, des affaires chaudes, avec un peu de chance une radio ou un téléphone en état de fonctionnement ? Nous nous sommes échoués en mer, alors je n’y crois guère.

Elle part explorer le fond de la grotte, tandis que je reste assise à contempler les reliefs de l’île. « Et j’ai du bois, peut-être qu’on va réussir à survivre et à se sécher cette nuit. » Je tourne la tête pour l’observer. Finalement, je décide de faire un pas vers elle : on ne deviendra peut-être pas les meilleures amies du monde, mais mon instinct me dit qu’on aura besoin l’une de l’autre pour survivre. Alors je glisse ma main dans ma poche pour en sortir mon briquet, et je le tiens devant moi. « Pour l’instant la pierre est trempée, mais peut-être qu’une fois sec il fonctionnera toujours. On verra. » De toute façon je ne me fais pas d’illusion, ni elle ni moi n’avons la dégaine de jeunes femmes sachant allumer un feu en frottant deux pierres ou en tournant un bout de bois entre nos doigts.

L’ambiance est un peu moins tendue, et, pendant quelques minutes, on a pas l’air d’être à deux doigts de s’entretuer. Je l’écoute et elle m’écoute aussi, on a déjà des plans pour le lendemain, la fin de l’orage, comme si on était sûr de passer la nuit. Ca va être long, et c’est très peu probable qu’on arrive à fermer l’oeil. Si on ne trouve pas de valises, on devra trouver de nouveaux vêtements, et on aura pas le choix. J’essaie d’oublier qu’il y a des centaines de personnes mortes au bord de l’eau, mais elles vont finir par y retourner, elle en est sûre. Cette grotte sera leur abris pour une nuit, elle ose espérer que la prochaine nuit qu’elles passeront elles seront au chaud dans un bateau qui sera venu les sauver. “C’est pas dans ce genre d’endroits que les orages peuvent durer des semaines ?” J’ai déjà vu des reportages à la télévision, des récits qui disent que dans ce genre de forêts tropicales l’eau tombe pendant de très longues périodes, et j’espère que ça ne sera pas le cas ici. On ne tiendrait jamais le coup si cet orage durait plus d’une nuit.

Je fouille la caverne. Elle n’est pas très grande mais j’y trouve du bois. C’est bien la seule chose que je peux faire pour qu’on soit en capacité d’avoir un feu. Elle n’a pas l’air d’être du genre à savoir faire un feu à la main et je grogne, j’aurais pas pu trouver une personne un peu plus aventurière ? Quelqu’un qui aurait pu m’être utile pendant ce naufrage. On reste calme et je pose le bois à nos pieds quand la blonde sort un briquet de sa poche. “Tu penses que ça met longtemps à sécher ?” Je sais que je n’ai pas de briquet sur moi, alors peut-être que finalement elle va me sauver la vie une deuxième fois si on arrive à avoir une flamme assez puissante pour nous chauffer. “C’est pas ce soir qu’on va manger quelque chose.” L’orage a l’air d’être bien parti pour durer plusieurs heures. On a plus qu’à attendre et espérer que le briquet va fonctionner.

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« C’est pas dans ce genre d’endroits que les orages peuvent durer des semaines ? » J’aimerais l’avoir la réponse à cette question, et j’aimerais pouvoir lui rétorquer d’un ton acerbe que je ne suis pas météorologue, mais la vérité c’est que je m’en veux d’avoir été prise à défaut : je me suis endormie pendant le vol et je n’ai par conséquent aucune idée de la distance parcourue, du temps de trajet et donc de là où nous sommes. Je grogne, avant de répondre. « J’en sais rien. » Je relève la tête vers elle en jouant avec mon briquet : bien sûr, pour l’instant impossible d’en tirer la moindre flamme. « J’ai pris un truc pour dormir pendant le vol. J’ai pas la moindre idée d’où on est. » Je suis obligée de l’admettre, et je m’en fous de toute façon, de son jugement. « On a volé combien de temps ? Y’a rien qui t’a semblé bizarre ? On a suivi le bon itinéraire ? » Cela dit vu le personnage, nul doute qu’elle a certainement regardé La revanche d’une Blonde plutôt que la carte de vol.

« Tu penses que ça met longtemps à sécher ? » Je me reconcentre sur mon briquet, et je dois bien admettre qu’il est complètement détrempé. « J’en sais rien, il fait humide en plus alors je dirais, plusieurs jours, un ou deux si on a de la chance. » Et vu qu’on vient de se crasher en mer, difficile de nous ranger dans cette catégorie. Quoi qu’on a survécu, après tout. « C’est pas ce soir qu’on va manger quelque chose. » « Bien vu Einstein. » Je crois qu’il va falloir que je me calme sur les surnoms sarcastiques. « J’ai pas faim de toute façon. » Il est temps de tester le pouvoir de l’esprit sur le corps, après tout. Mais ce n’est pas faux, pour l’instant, je crève surtout de froid.

J'en ai déjà marre d'être ici. Je déteste cet endroit et je sens qu'à cause de ça je vais commencer à avoir peur de l'avion et ça me fait rager d'avance. Je soupire et je continue à marcher, sans chaussures. Ces chaussures valaient plus que toutes les vies des gens présents dans cet avion, y compris plus cher que celle de l'inconnue qui se balade à mes cotes depuis qu'elle m'a réveillé. On s'est engueulé sur la route, et on se retrouve à parler un peu plus calmement maintenant qu'on a trouvé un abris. On ne trouvera pas de quoi manger c'est certain, mais on aura peut-être la chance d'avoir un feu dans les prochaines heures. Elle a dormi pendant le vol, et moi je suis incapable de me souvenir de quoi que ce soit. Est ce que j'ai dormi aussi ? C'est bien possible. Je m'endors souvent en avion. En tout cas, je ne suis pas du genre à regarder où on va et à paniquer à chaque turbulence. "J'ai rien regardé non plus, je me souviens a peine d'être montée dans l'avion." Je fronce les sourcils, trop réfléchir me fait mal au crâne et le fait d'être assise réveille toutes les douleurs que j'essayais d'oublier en marchant. Quelques souvenirs reviennent, mais rien qui ne saura contenter la blonde qui m'accompagne. "Beaucoup de turbulences dès le début c'est tout ce dont je me souviens." Et ca me paraît étrange d'avoir autant perdu la mémoire. 


Je suis épuisée mais je suis sûre que je n'arriverai pas à dormir de sitôt. Je me recroqueville dans un coin de la grotte et je discute calmement avec ma partenaire de galère. "Plusieurs jours ?" Ce n'est pas vraiment la réponse à laquelle je m'attendais. Comment est ce qu'on va faire sans feu rien que pour cette nuit ? "Il va falloir trouver quelque chose pour survivre au moins cette nuit." Et je n'ai aucune solution qui me vient. Elle n'a pas faim, moi non plus. "Ça nous fait déjà un problème de moins alors." Je tente l'humour même si elle n'a pas l'air d'être capable de montrer un sourire amusé l'autre blonde. La nuit commence à tomber, et j'ose espérer qu'elle ne sera pas trop rude. 

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« J'ai rien regardé non plus, je me souviens a peine d'être montée dans l'avion. » Ah. C’est bien le seul point sur lequel elle aurait pu m’être utile la petite blonde, et elle a pas fait attention. J’aurais dû me douter qu’un jour le karma déciderait de me rattraper quitte à me régler mon compte. J’aurais dû me douter qu’il ne me laisserait pas m’en sortir aussi facilement et finalement, c’est arrivé plus tôt que prévu. « Beaucoup de turbulences dès le début c'est tout ce dont je me souviens. » « Tu t’es cogné la tête trop fort pendant le crash ou quoi ? Tu tournes à quoi ? » Parce que ça a l’air fort. Encore plus fort que les somnifères que j’avais pris moi.

« Plusieurs jours ? Il va falloir trouver quelque chose pour survivre au moins cette nuit. » Je joue encore avec le briquet, comme s’il allait se passer quelque chose alors que je sais pertinemment que ça n’arrivera pas. « Serrer les dents. » Maintenant que l’orange gronde et qu’il pleut comme dans une douche, je n’ai pas l’intention de ressortir de notre abri. « Surtout que j’ai pas l’intention de me serrer à toi pour nous réchauffer. » J’esquisse un sourire sarcastique, avant de compter dans ma tête combien de secondes il faudra à Barbie Casse Noisettes pour parler à nouveau. « Ça nous fait déjà un problème de moins alors." » Je la toise de haut en bas. Elle a pas un kilos à perdre, pourtant je peux pas m’en empêcher. « Ça pourra pas te faire de mal une petit jeûne intermittent. » Il faut bien que je passe mes nerfs sur quelqu’un et, pas de chance pour elle, elle est la seule présente.

Je reste assise dans mon coin. Il est bien cet endroit, j’ai réussi à trouver un angle où je ne subis pas de courant d’air alors j’en profite. J’espère que la nuit me permettra de me sécher un peu, juste à peine et ça ira déjà mieux. Elle joue avec son briquet et mon regard fait des allers retours entre ses doigts et la pluie qui tombe de plus en plus fort. C’est une tempête ? Un torrent ? Je ne sais même pas comment je pourrais nommer ça, je n’ai jamais vu un truc pareil. Je tente de retrouver mes souvenirs mais rien n’y fait, je suis incapable de savoir ce qu’il s’est passé pendant le voyage. “J’ai rien pris du tout, j’ai jamais eu besoin de médocs pour me calmer dans un avion.” Je grogne, ce n’est pas parce qu’elle la joue fragile à prendre des somnifères pour ne pas faire de crise de panique dans un avion que je suis pareil. C’est pour ça que je trouve ça étrange. “C’est bizarre non ?” Je parle presque pour moi même. Est ce que c’est possible que ma tête ait tapé tellement fort que j’en ai perdu des souvenirs ?

“Ca tombe bien je ne compte pas être plus proche de toi que ce qu’on est en ce moment.” Plutôt mourir que passer ma nuit à serrer une fille dans mes bras pour me réchauffer. Au moins je mourrais avec un peu plus de classe. C’était calme jusque là, j’ai osé croire qu’elle ne me chercherait pas des poux pendant cette nuit. Mais elle a besoin de se défouler, et moi aussi. On est sous pression, tout est horrible et le bruit de la pluie ne fait qu’aggraver les choses. “Mon corps est parfait.” Elle ne m’énervera pas avec ça, ma confiance en moi est inébranlable. “Tu complexes sur quelle partie toi ? La couleur naturelle des cheveux ? La taille ? La poitrine ou les cuisses peut-être ?” Je la regarde de haut en bas, elle pourrait complexer sur beaucoup de points elle.

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« J’ai rien pris du tout, j’ai jamais eu besoin de médocs pour me calmer dans un avion. » Ouais. Pour ce que j’en sais elle pourrait simplement être une droguée qui ne se l’avoue pas, qui n’assume pas sa consommation. Ca pourrait coller avec sa dégaine de fille parfaite et coincée en tout cas mais je suis mal placée pour la juger : la seule chose que j’espère c’est que je ne vais pas en plus devoir gérer ses crises de manque si c’est le cas. « C’est bizarre non ? » « Peut-être que c’était un fuite de pétrole ou un truc comme ça. » J’en sais rien, j’y connais rien, je veux juste que Barbie Casse Noisette arrête de nous la jouer théorie conspirationniste.

« Ca tombe bien je ne compte pas être plus proche de toi que ce qu’on est en ce moment. »
« Parfait. Tu sais pas ce que tu manques. »

Dieu que j’aimerais avoir une cigarette là, maintenant, tout de suite pour calmer mes nerfs. Mais il paraît qu’elles sont pas autorisée en bagage en cabine - de toute façon le mien s’est échoué dans l’océan lui aussi. Le briquet non plus, mais il est passé aux contrôle de sécurité et ça ne m’est pas venu à l’idée de le leur faire remarquer. « Mon corps est parfait. » « Si tu le dis. » J’aime qu’elle prenne la mouche aussi facilement : elle ne le montre pas mais cette remarque, c’est son orgueil qui se rebiffe. Pourtant c’est vrai, elle a pas de quoi complexer, mais jouer avec les nerfs des gens a toujours été mon moyen à moi de détendre les miens. « Tu complexes sur quelle partie toi ? La couleur naturelle des cheveux ? La taille ? La poitrine ou les cuisses peut-être ? » Je lève un sourcil, passablement amusée ? « Là tout de suite ou de façon générale ? » Bon, là tout de suite on ressemble toutes les deux à rien avec nos cheveux trempés et nos vêtements déchirés, qu’on se le dise. « Parce que là tout de suite c’est mon audition. J’aurais préféré être sourde. » Pour pas l’entendre geindre.

On aura pas le fin mot de l’histoire sur ce crash, et j’aurais beau poser des centaines de questions cette blonde serait incapable d’y répondre. Puisqu’elle a apparemment eu besoin de faire une partie de sa nuit pendant le voyage. Je lève les yeux au ciel, je crois que j’aurais vraiment préféré mourir noyée plutôt que de passer des heures et des heures seule avec elle. Comment c’est humainement possible d’être aussi insupportable ? Je pince l’arrête de mon nez à l’aide de mes doigts pour tenter de calmer mon mal de tête et je soupire. Je ne dis rien, ça ne sert à rien de continuer cette conversation dont la blonde se fiche.

Ma tête est posée sur mes genoux et je tente de me réchauffer avec ma chaleur corporelle. Tous les moyens sont bons pour ne pas mourir tout de suite. Et si elle pouvait se taire l’autre, ça m’arrangerait. Ca m’éviterait de dépenser de l’énergie à lui répondre puisque je déteste qu’elle veuille avoir le dernier mot. Mon sourire répond au sien, elle est épuisante. “Peut-être que ça arrivera quand on sera vraiment au bord de la mort.” Et même là, je lutterai jusqu’au bout pour ne pas avoir à faire ce genre de chose.

Mon corps est parfait et c’est un fait. Elle peut bien s’amuser à le critiquer pendant des heures je saurais qu’elle est seulement jalouse. Elle veut jouer sur le physique alors je la suis, il faut bien qu’on occupe les heures qu’on a devant nous pas vrai ? Je la laisse parler, attendant la prochaine connerie qu’elle peut sortir. Elle a une bonne répartie la blonde et ça m’amuse, mais je me retiens bien de lui dire. “T’aurais pu choisir la voix, tu serais bien mieux si aucun son ne sortait de ta bouche.” J’ai le même sourire qu’elle, et on doit être aussi affreuse l’une que l’autre à cet instant.

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« Peut-être que ça arrivera quand on sera vraiment au bord de la mort. » Elle a de la répartie, je dois bien l’admettre même si ça m’arracherait la langue que de devoir le dire à voix haute et je me dis qu’aussi insupportable qu’elle soit j’aurais pu tomber pire. Parce que insuportable je peux gérer, quand je me serais fracassée la tête contre un rocher si j’étais sur une pleurnicheuse mièvre à mourir. Je l’aurais de toute façon abandonné en bas si elle ne m’avait pas semblée capable de s’occuper d’elle même et d’encaisser et, au moins, le son de sa voix me tient compagnie, même s’il y a plus agréable comme compagnie. « Peut-être. » Alors, je me déride et un sourire amusé étire mes lèvres. Comment c’est possible dans ce conditions je l’ignore, mais je refuse de me laisser abattre et de me mettre en boule dans un coin attendant d’être cueillie par la faim et le froid. Je me réchauffe de sarcasmes : ça a toujours bien marché après tout.

« T’aurais pu choisir la voix, tu serais bien mieux si aucun son ne sortait de ta bouche. » « J’ai une voix géniale, c’est hyper offensant ce que tu dis. » Non, ça l’est pas et je m’en fous. Elle a pas besoin de savoir que le timbre grave de ma voix me permet - me permettait - de mettre n’importe quel mâle dans ma poche et d’ensuite le mener à la baguette. « Arrête d’essayer de chercher des solutions. » Pour le froid, pour la faim, pour les vêtements. « C’est pas maintenant qu’on va résoudre le moindre problème. » Pas alors que l’orage gronde, que les survivants fuient vers la forêt, que d’autres crèvent de froid sur la plage et que la plupart des passagers de l’avion sont simplements morts dans le crash. « Pour l’instant, on peut juste prier pour que ça passe. Et espérer que ton karma est meilleur que le mien. » Parce que sinon on ne quittera jamais celle île.

Je le vois le sourire amusé étirer ses lèvres pendant une seconde puis je tourne la tête vers la pluie et les arbres qui bougent au rythme des rafales de vent. Ca ne m’étonnerait pas qu’un arbre tombe juste devant nous. J’espère juste que demain les gouttes d’eau feront place au ciel bleu. Je croise les doigts, et j’ai l’impression que le temps ne passe plus. J’ai l’impression que ça fait des jours, des années que l’on est ici. Ca ne fait même pas quelques heures.

Elle essaie de m’envoyer des piques et je réponds, on est certainement inépuisable. Mais l’ambiance est bien moins tendue que pendant les premières minutes qu’on a passé toute les deux. J’aurais pu tomber sur pire, j’aurais pu me retrouver avec encore plus chiante ou beaucoup plus conne. Elle a l’air de savoir un peu ce qu’elle fait la blonde, et elle a un briquet sur elle. Ce briquet c’est le seul espoir qu’on a pour le moment, parce que, s’il ne s’allume pas dans les jours à venir, je ne sais pas comment on peut survivre. Ma tête tourne un peu et je la pose contre la parois de la caverne. J’ai froid, mais mon corps a arrêté de trembler. Je ne suis pas vraiment sûre que ce soit bon signe mais je me tais. “T’as déjà eu des compliments dessus ?” Je suis sûre que oui mais mes sourcils se haussent comme si c’était quelque chose d’impossible. “Ca fait passer le temps de réfléchir à comment on peut s’en sortir.” Et ça ramène du positif. “Vaut mieux pas avoir trop d’espoir pour le karma.” On ne peut pas dire que je sois du genre à avoir un bon karma. Et si je dois me prendre un retour de bâton, c’est sûrement le meilleur moment pour le destin de le lancer.

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

On se dispute comme des chiffonnières mais je ne prétendrais pas que ça ne me ressemble pas ? Les joutes verbales m’ont toujours stimulées et j’ai toujours préféré m’entourer de femmes avec une certain répartie, qui savent me tenir tête voir me rentrer dedans. Je me lasse rapidement, je me suis lassée de toutes les relations pseudo amicales que j’ai entretenues avec des femmes, avec qui que ce soit d’autre qu’Alec d’ailleurs mais je ne demande pas à la blonde de devenir ma meilleure amie pour la vie. Elle me change les idées, elle me permets de m’accrocher à ce que je connais et de ne pas m’effondrer et ça me suffit. Surtout que je suis sûre que, comme moi, elle est trop fière pour l’admettre, mais qu’il en va de même pour elle. « T’as déjà eu des compliments dessus ? » « J’ai pas besoin de compliment pour savoir que je fais de l’effet. Tu devrais essayer. » De ne pas attendre que ce soit le monde qui te dise que tu es belle, que tu es forte, que tu es puissante, et certainement pas un homme. De prendre ce qui te revient de droit et de m'attribuer toi même les compliments que tu mérites. Quoi qu’en terme d’amour propre, elle a l’air d’avoir ce qu’il faut où il faut la blonde.

« Ca fait passer le temps de réfléchir à comment on peut s’en sortir. » « Ça fait aussi passer le temps de faire de la couture ou des macramés, pourtant j’ai jamais eu l’envie d’apprendre. » Si elle veut passer le temps, elle peut compter les gouttes d’eau qui tombent, et dans sa tête, ça ce serait une occupation décente et que j’accepterais sans me plaindre. « Vaut mieux pas avoir trop d’espoir pour le karma. » « Ah. » Ah. Simplement ah. « Paraît que deux négatifs ça fait positif. » Quoi que là, je ne me berce pas vraiment d’illusions. On a plus de chance d’entamer une longue descente aux enfers que de trouver une chance de rédemption si on me demande mon avis. « Raelyn au fait. » Je vais continuer à l’appeler Barbie Casse Noisette qu’on soit d’accord, mais c’est pas plus mal de savoir quel nom écrire sur sa pierre tombale.

Je laisse toute ma vie à Brisbane, et je ne me souviens même plus vraiment pourquoi j’ai voyagé. Il allait où cet avion d’ailleurs ? Il va falloir que je me concentre, que je prenne du temps pour moi et pour réfléchir. Retrouver la mémoire pourrait peut-être nous aider, au moins à nous localiser si j’arrive à me souvenir si j’ai vu des données gps. Je ne regarde jamais ce genre de choses, mais on pourrait avoir un coup de chance cette fois non ? “Les compliments sont juste un plus.” Mais je n’ai jamais eu besoin de personne pour savoir que tout est parfait chez moi. Et elle finira par se dire que j’ai trop confiance en moi et que je suis trop imbu de ma personne et je m’en fiche, elle ne sera jamais aussi parfaite que moi. Qu’on soit en ville ou perdu sur une île déserte, rien ne changera ça.

“Ca t’aiderait peut-être à te détendre.” Et à la fermer de temps en temps. On aurait pu trouver quelque chose. “Si t’avais au moins appris le tricot t’aurais pu faire quelque chose pour nous réchauffer.” On aurait rien eu pour coudre quoi que ce soit, mais l’espoir fait vivre pas vrai ? Il faut essayer de rester positif. On parle karma et apparemment elle n’est pas mieux que moi. Je soupire, on risque vraiment de mourir quoi qu’on fasse ici, juste parce qu’on est de mauvaises personnes dans la vraie vie. “Va falloir se raccrocher à ça. Ou peut-être qu’on peut essayer de trouver une bonne soeur à sauver sur la route.” J’ai déjà un karma négatif alors autant m’enfoncer encore un peu plus. “Ivy.” Je n’avais même pas réfléchi au fait qu’on ne s’est même pas donné nos prénoms. On a pas eu le temps entre le crash, les piques et l’orage sûrement. “Tu veux dormir ?” Vouloir et pouvoir sont deux verbes bien différents.

CASTAWAYS
Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« Les compliments sont juste un plus. » Ouais, elle m’enlèvera pas de la tête qu’elle aime trop qu’on lui dise qu’elle est belle pour que ça cache pas quelque chose. Un manque d’affection ? C’est presque touchant s’il s’agit de ça.

« Ca t’aiderait peut-être à te détendre. »
« Ca me donnerait surtout envie de me pendre. »
« Si t’avais au moins appris le tricot t’aurais pu faire quelque chose pour nous réchauffer. »
« Si j’avais des aiguilles de tricot sur moi, je les utiliserais pour te crever les yeux. »

Je lui adresse un sourire radieux, hypocrite, mais toutefois amusé. Bien sûr que je ferais pas ça, parce qu’il aurait suffit que je la laisse la tête dans le sable si j’avais voulu qu’elle y reste. A ma décharge, j’avais pas encore entendu le son de sa voix quand j’ai décidé de la secouer pour la tirer de là. Quoi qu’il en soit le tricot nous servirait à rien à moins qu’elle ai envie de se retrouver habillée en lianes et en feuilles, y’a l’air d’avoir que ça dans cette putain de forêt. « Va falloir se raccrocher à ça. Ou peut-être qu’on peut essayer de trouver une bonne soeur à sauver sur la route. » « Seigneur non. » J’ai déjà assez de la barbie écervelée, je crois que je supporterais pas de la bienveillance par dessus le marché. Un crash aérien je veux bien, mais là ce serait carrément les sept cercles de l’enfer. « Ivy. » « Barbie ça te va mieux. Tu m’en voudras pas si j’oublie. » Je vais pas oublier, y’a pas plus court que son prénom. Mais ça veut pas dire que je vais l’employer pour autant. « Tu veux dormir ? » J’ai dormi dans l’avion pendant peut-être des heures, pourtant j’ai l’impression de tomber de sommeil aussi, à cause du choc, à cause du froid, à cause de l’énergie déployée pour se tirer de ce merdier. « Je suis pas certaine d’en être capable. » Pas ici, dans cett grotte, alors que je crève de froid.

Le dé   :