Le bar est rempli et elle, elle aurait voulu en ressentir les effets. Se sentir submergée par l’ambiance et par les conversations, noyée à travers les visages d’inconnus qui pendant un instant lui auraient donné l’impression d’être des gens qu’elle croise à tous les jours, qu’elle connaît par cœur. Chloe s’ennuie et se lasse, Chloe n’écoute même plus ce qu’il dit depuis de longues minutes déjà. Il parle de son métier là, non? Ou alors il est passé au sujet de la famille, de l’enfance. Elle se souvient presque du moment où il a abordé le fait qu’il avait deux sœurs (frères?) et qu’elle a hoché vigoureusement de la tête bien plus pour se réveiller que pour acquiescer à whatever he said.

Même le vin est mauvais. Il lui roule sur la langue, il pique et il est tantôt trop amer, tantôt trop sucré, tantôt trop corsé, tantôt pas assez. Sous la table, Cohen bat des jambes et tape du pied. Au moins la foule qui les entoure s’assure très clairement qu’elle ne laisse pas l’écho de son ennui monter aux oreilles de son pauvre rencard d’aujourd’hui. Leslie avait pensé bien faire la pauvre, de lui foutre dans les pattes un des chargés de cours de l’université qui lui faisait de l’œil – qu’elle avait sauvagement aligné vers sa cadette bien plus pour s’en débarrasser que pour quoi que ce soit d’autre. Chloe aurait fait les honneurs, lui aurait réglé son compte en véritable petite veuve noire qu’elle peut être à flirter sans jamais donner de suite. Le gars aurait fui les sœurs Cohen dans la seconde et c’en aurait été assez, suffisant.

Pourtant il s’éternise et elle, elle se fait violence pour se mordre l’intérieur de la joue et ainsi éviter de lui bailler en plein visage. C’est une petite impolie Chloe, une grande ingrate. Quand elle prétexte aller à la salle de bain, c’est bien évidemment pour tenter de se trouver une piste de fuite, une issue de secours sur son chemin rien que pour mettre fin vite et bien au calvaire. Et pourtant la voilà qui ralentit le pas, lorsqu’elle arrive à la hauteur d’une brunette qui s’avère elle aussi passer un bien mauvais quart d’heure. Son rencard semble être emmerdant au possible, elle à qui Chloe glisse un coup d’œil entendu additionné d’un signe de tête de la suivre. Au bar, aux toilettes, dehors, où que ce soit. C’est bel et bien son pas qu’elle devine derrière elle d’ailleurs, quand elle finit par tourner le couloir et s’égarer dans un coin un peu plus reculé de la piste de danse de la boîte de nuit où elle se jure de mémoriser les sorties d’ici la prochaine fois.

« Le tien a l’air aussi ennuyant que le mien. Tu penses qu’ils sont frères? » elle se moque, mais elle rigole jaune Chloe. Personne n’aime perdre son temps, et elle ne se gêne pas de le penser.


   
@joy petterson

« Toi aussi, tu es en date ? » « Malheureusement. » elle est directe Chloe, probablement un peu trop. C’est qu’elle n’est pas du genre à s’en faire de perdre son temps d’habitude. Éternellement en retard, toujours un peu perdue entre deux idées, elle est la première qui réalise qu’elle a investi de longues heures à se perdre dans des idées et à refaire le monde de toutes les façons possibles et inimaginables. Ce soir par contre, elle tape du pied et elle s'impatiente, elle n’a absolument rien de la jeune hippie qui suit le fleuve tranquille qu’on met devant elle pour s’en sortir convenablement. Non, pour l’heure, elle se fait penser à sa sœur Anna, elle qui est cartésienne au point où chaque pièce du puzzle de sa vie est si bien rangée et dénudée de la moindre poussière hypothétique. Ou alors, elle a appris avec les années Chloe que les rendez-vous de ce genre sont aussi ennuyants qu’ils ne laissent aucune possibilité à ajouter une histoire de plus à la trame de son quotidien un peu trop beige à son goût, ces temps-ci. « C'est un enfer... Moi qui pensais me changer les idées, c'est une horreur. » comme un miroir, la blonde vient porter à ses lèvres son propre verre comme dans une tactique aussi étrange qu’innée d’apporter un petit peu de réconfort à son interlocutrice qui semble aussi blasée qu’elle. La vérité, c’est qu’elle pense un peu trop à Jet à l'autre bout du monde, et que le simple fait de se morfondre même de la plus minime des façons au sujet du musicien l’horripile à un niveau encore rarement atteint. Si son rencard est si nul que ça, elle restera dans les parages de la brunette qui elle aussi semble tristement vivre un vrai calvaire. « Il doit y avoir quelque chose dans l’air. Ou alors on leur inspire les sujets les plus ennuyeux qu’ils ont à aborder. C’est peut-être un don. »

Et si c’était de leur faute, en somme? Chloe pouffe de rire quand elle sait très bien qu'elle est innocente au compteur. « Moi c'est Joy au fait ! » « Chloe. » Chloe qui rime avec blasée et ennuyée, en l'instant. Chloe qui laisse aussi son attention dériver sur la carte des cocktails et qui improvise une idée comme une autre et leur libération temporaire avec. « Si tu veux on peut faire mine d’attendre notre verre vraiment longtemps. » elle insiste sur la fin, allongeant les mots comme le regard qui va avec. Une excuse bateau comme une autre mais un excellent prétexte pour être débarassée le temps qu’il faudra. Et du temps à respirer, c'est tout ce dont elle a besoin finalement. « Et parier sur lequel comprendra en premier qui s’est fait horriblement jeter. » c’est qu’il ne faudrait pas croire que ces gars-là sont idiots ou même naïfs. D’un signe de la main, elle interpelle le barman à venir à leur hauteur. Son verre à elle est depuis longtemps terminé, quand elle leur commande une deuxième tournée. « Tu as besoin de te changer les idées, alors? » Cohen tout autant, pourtant elle se garde de le préciser.

« Ouais, bah ce don est pourri. Je m'en sors pas, et plus je suis distante plus il s'accroche à moi comme une moule à son rocher. »
« Ça doit être ça, la définition de charme magnétique. »

Elle raille et elle se moque, Chloe qui déjà a oublié les quelques détails formant la plastique du visage de son rencard. Si on lui reproche d’être intransigeante sur le moment, elle ne fera que hausser de l’épaule en dédramatisant au possible, assurant qu’elle lui fait là un cadeau parce qu’il ne pourrait jamais être heureux avec une femme comme elle si elle, n’est pas heureuse avec un type comme lui. Déjà la pression sur ses épaules s’envole et elle ne ressent aucune trace de culpabilité. Il est rayé, elle le libère, l’encourage à voler de ses propres ailes – loin d’elle. « Il me faudrait dix verres au moins pour pouvoir retourner cet enfer. S'il te plaît, ne me laisse pas y retourner. » à la voix exaspérée de la brunette se joint le rire amusé de la blonde qui l’est toute autant. Ses éclats remontent aux tympans de leurs voisins de comptoir. « Jamais j’oserais. Je suis là pour mon prochain ; et surtout t’es la parfaite excuse pour dire que j’ai été retenue au bar pendant une éternité. » elle semble sérieuse et procédurale, Cohen qui a probablement bien trop souvent fait un coup du genre pour ne pas voir son karma entaché à force de lâcher les gens qui la blasent.

« Crois-tu vraiment qu'ils finiront par comprendre ? » le vin à la robe rubis de Joy arrive, Chloe attendant patiemment sa coupe de blanc. « Bah, à un moment ce n’est plus notre problème. » l’australienne le dit avec de la douceur dans ses paroles, même si ses mots sont relativement piquants. La vérité, c’est qu’elle n’est pas de ceux qui s’éternisent sur une conquête. Elle va et elle vient, elle flotte et apparaît rien que pour mieux repartir. Elle a seulement oublié qu’elle est probablement la seule dans le périmètre, et qu’on ne fonctionne humainement pas tous ainsi. Et sa copine d’infortune elle, elle cherchait mieux aussi. « Je n'ai pas l'habitude de prendre du temps pour moi, et me rendre compte que j'ai bloqué cette soirée pour un mec pareil, ça me désole. Quel gâchi ! Et toi ? » Chloe enregistre les informations, dresse un portrait de la jeune femme en quelques mots à peine. La voilà capable de voir évidemment comment elle doit être blasée de se retrouver avec enfin une soirée de liberté une seule entre les mains, et de la gaspiller avec si piètre candidat. « J’essayais de rendre un autre gars jaloux. Ça m’apprendra à jouer à la plus immature des deux. » Cohen devrait s’étonner, d’être aussi honnête. Elle n’en dévoile jamais autant à quiconque, mais le fait de se trouver face à une inconnue qui partage sa misère la rend bien plus loquace qu’à l’habitude.

Puis, c’est la panique. À son oreille, Joy vient en renfort. «Je crois que tu es repérée... et fermement attendue... Ne te retourne surtout pas. » et merde. Elle inspire, Chloe aux yeux qui cherchent de nouveau les sorties les plus proches. Par-delà la baie vitrée qui longe le bar, les couple agglutinés se partagent une clope qui lui donne un éclair de génie. « Oh, oh je sais. » d’une main, elle attrape son verre, de l’autre elle allonge le bras vers un type lambda jouant avec son briquet du bout des doigts comme s’il était la bénédiction que la blonde attendait. « Je peux vous emprunter ça? » il dit oui, ou du moins il a dû, alors que Chloe lui vole son briquet et vole également Joy pour l’amener avec elle vers la terrasse, dehors. « C’est vraiment pas grave si tu fumes pas. Mais ils détestent ça. » qu’elle nargue, maintenant qu’elles sont sorties du bar et en proie à la brise australienne. Son date à elle le lui a mentionné avant qu'elle ne cesse de l'écouter, le date de Joy a froncé du nez lorsque le mec qui leur a prêté pour une durée indéterminée le briquet est passé près de lui. Chloe elle, s’allume donc la cigarette de la victoire, prête à empester la nictoine pour la bonne cause.

Chloe a depuis longtemps oublié ce que la politesse voulait dire quand elle n’est attentive qu’à ce que Joy peut bien raconter. Ça compte comme être respectueuse, si elle se concentre sur la brunette? Son rencard le lui pardonnera, même si elle n’en a plus rien à faire de lui. « Je jouerai n'importe quel rôle aussi longtemps que ça m'amène loin de ce date. » d’un rire à un autre, Cohen s’assure que le verre de son alliée du soir soit rempli, tout autant qu’elle élabore mille plans à la minute. « Je peux t'aider... » oh, hey. Pendant l’espace d’un moment volé, Chloe voit la lueur de malice qui pointe dans le regard de la brune. Son regard à elle dérive vers ses lèvres une fraction de seconde une seule, là où son « ... à rendre jaloux la personne qui t'intéresse, peut-être ? » lui confirme bien ce qu’elle avait compris. « Juste si ça t’ajoute un argument de plus pour qu’il dégage. » elle bat des cils, laisse ses fossettes creuser un peu plus ses joues. Pas le moins du monde désintéressée, Chloe est pourtant du genre à laisser les choses venir à elle autant qu’à ouvrir toutes les portes au passage.

Ils les regardent et elles n’en veulent pas, de leur attention. « C'est ça ton plan ? Puer la nicotine ? »  entre autres. « Hey, moi au moins je passe à l’action. » elle se moque, elle ricane un peu plus, buvant d’un trait le reste de son cocktail avant de filer clopes et briquet en main vers l’extérieur du bar. Joy sur ses talons, c’est qu’elle se donne l’impression d’avoir tout gagné Chloe. « De toute manière, tu as raison, ils ne sont plus nos problèmes. On fait ce qu'on veut, non? » on fait ce qu’on veut - ça pourrait véritablement être sa philosophie de vie, ça l’est un peu déjà. Inspirant la nicotine, laissant une bouffée de fumée blanchâtre quitter ses lèvres pour mourir dans la pénombre, la blonde réfléchit sans vraiment avoir besoin de le faire. « Je ne vais pas gâcher ma soirée off. » Joy lui rend la tâche facile, finalement. « Oh, si on est en mode célébration alors. » à sa constatation s’ajoute une voix chantante, une cigarette écrasée du bout de ses escarpins, et une main qui se hisse pour appeler le premier taxi du bord.

Joy doit bien lui faire assez confiance pour qu’elles finissent par sillonner quelques rues de Brisbane, aboutir dans la cour d’un supermarché à grande surface encore ouvert à cette heure. « Prends tout ce que tu veux, c’est ma tournée. » elle, elle vise l’allée du vin, puis celle des cookies. Quand elles ont finit d’aller dérober leurs victuailles de soirée de fête, Chloe initie la suite des choses en se posant sur le capot d’une voiture lambda d’où elle invite Joy à venir la joindre. Son dos se cale sur le pare-brise, ses yeux se vissent vers le ciel étoilé, dégagé. « C’est ton métier qui t’occupe comme ça? » une gorgée de rouge, un biscuit aux pépites de chocolat plus tard. « Ou ton mariage? » elle n'a pas vu d’alliance à son doigt, ne lui en tiendrait pas rigueur si elle l'avait retirée au préalable. « Je juge pas.  d’ailleurs.