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 patterns that fall (bennett)

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Message(#) Sujet: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyDim 31 Jan 2021 - 23:03


Je ne juge pas. Je ne juge rien du tout, ni dans le fond ni dans la forme. Ni dans l’angle parfait des réponses sur son questionnaire qui me donne l’impression qu’il ne s’est pas mis en tête de cocher autre chose que les cases dans un ordre pouvant résulter en un joli dessin vu de loin sur son formulaire. Qu’il ait fait exprès de couler son examen ou qu’il n’en ait rien à faire, la ligne est mince et lorsque je me cale un peu plus sur la chaise aussi inconfortable qu’en plastique bruyant de la bibliothèque, les paris ne fusent même pas dans ma tête. Je ne parie pas combien de temps de retard Bennett ajoutera à son compteur, je ne parie pas combien d’insultes il arrivera à camoufler sur mes dessins dans une conversation dite presque normale. Je ne parie pas sur le nombre de soupirs que mes commentaires vont lui générer et je ne parie pas non plus sur les tentatives de justifier qu’il ne peut pas rester, qu’il n’a pas pu venir, ou qu’il doit absolument partir, que c’est uNE quESTiOn dE viE oU dE MoRt. Non. Aujourd’hui, c’est avec l’esprit léger et foncièrement prête à aider que je me suis posée au beau milieu de la bibliothèque de l’Académie avec une bonne heure d’avance. Ma tasse de café me brûle les paumes alors il est à la bonne température, mon dernier bouquin préféré est presque terminé quand d’une main distraite j’en barbouille les marges et les interlignes. J’ignore qui s’est dit qu’il s’agissait d’une bonne idée, de proposer à Bennett que je sois sa tutrice pour le reste de l’année. Il est plus vieux que moi, il ne prend personne au sérieux et ne me prendra probablement que pour une victime de plus aujourd’hui en ces murs comme en dehors. Ce serait mentir de dire que je n’ai pas douté. Que je n’ai pas tourné la chose dans ma tête des dizaines de fois, que je n’ai pas dressé une (trop) (longue) liste d’arguments contre à présenter au directeur rien que pour préserver le peu de contenance que je peux avoir quand il est dans les parages. Puis, j’ai fait volte face complètement. Je n’ai pas à avoir peur ici. Je n’ai pas à craindre ses frasques ici, surtout pas, alors que je connais la bibliothèque par cœur, que je m’y sens stupidement comme sur mon territoire. J’y passe mes week-ends comme mes soirées, j’y révise ce que je connais tout aussi bien sur le bout de mes doigts de la théorie jusqu’à la pratique. J’y suis à l’aise, j’y suis dans mon élément, c’est Bennett qui devrait être stressé et c’est lui qui devrait se remettre en doute et c’est lui qui -

- et c’est lui qui vient d’arriver. Une fraction de seconde je veux me lever pour lui faire un signe lui disant que je suis là et que je l’attends patiemment, une autre je relativise en me disant qu’il sait très bien à quoi je ressemble, et encore plus ce pourquoi il est venu. Les deux scénarios se confrontent aux quatorze autres dans ma tête maintenant que je reste immobile, tête qui déborde et ce n’est pas la meilleure des choses en l’état. L’endroit est relativement vide, seules les allées servent d’alliés lorsque même la bibliothécaire et les quelques bénévoles éparpillés dans la grande salle aux baies vitrées encore plus immenses semblent se demander ce qu’il fait là. Je ne l’ai jamais vu dans le coin, le voilà qui détonne avec ses affaires sous le bras, avec son air de jeune premier qui n’en a que le nom. À ce que le directeur a bien pu dire, ses notes sont en chute libre. Son rapport d’absences frôle les trois chiffres, il rend tantôt des devoirs excellents qui lui valent tous les honneurs tantôt des horreurs qui laissent un goût de mauvaise blague dans leur sillage. Je n’ai jamais réussi à comprendre Bennett et probablement que ce ne sera jamais le cas, probablement aussi qu’il n’en a rien à faire de ce que je peux bien capter de lui ou pas. Mais lorsqu’il arrive à ma hauteur, j’ai une semie idée de comment rendre les choses un peu plus supportables pour lui, un peu plus viables pour moi. « J’ai fait un horaire, en une heure trente on devrait avoir vu tout ce qu’il y a à voir pour aujourd’hui. » Ginny et son amour des chiffres, Ginny et son amour des graphiques, Ginny et son amour des horaires bien clair et précis qui se manifeste de la plus lourde des manières lorsque je glisse sous ses yeux le dit plan de match des révisions d’aujourd’hui pour lui assurer une bonne note à son examen de jeudi. « Y’a des plages assignées à chaque tranche de quinze minutes, tu vois au fur et à mesure qu’on avance on - » du bout d’un stylo lambda, je lui pointe le fonctionnement de la to-do list comme s’il s’agissait là de la chose la plus complexe du monde avant de réaliser à quel point l’idée est aussi nulle et risible qu’enfantine. Seigneur, McGrath. « - c’est un café, pour toi. J’ai des brioches aussi. » mes doigts quittent les feuilles narguant mon planning de nerd en puissance pour lui tendre son gobelet de café à lui, avec le sac de papier kraft à l’effigie du coffee shop du campus. « J’aurais dû commencer par ça. » j’aurais dû commencer par un désolée de t’imposer ça, promis j’en ferai pas plus un enfer que ça l’est déjà.


"je suis désolée", le retour:
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyMar 9 Fév 2021 - 22:13


Etagères lourdes d’une infinité de bouquins, de la plus ancienne réflexion sur l’Art et les techniques préhistoriques de représentation aux innovations les plus récentes en matière de fumisterie analytique ; sueur d’étudiants sur fond d’examens imminents ; documentalistes aux yeux plissés s’efforçant de maintenir un niveau de silence adéquat ; pas de doute, il s’agissait de la bibliothèque de l’Académie, et dieu savait que Bennett n’y foutait pas souvent les pieds. Il détestait encore plus lire que se rendre à l’Académie, c’est dire si l’air léger qu’il avait sur la figure était anormal. La raison ? Quoi, on n’a plus le droit d’être heureux ? « J’ai fait un horaire, en une heure trente on devrait avoir vu tout ce qu’il y a à voir pour aujourd’hui. » Ginny debout (pourquoi diable l’attendait-elle debout ?), avec ses piles de cours soigneusement alignées devant elle, son air à moitié inquiet et à moitié sérieux, se dévouant avec sainteté à l’horrible tâche de tutrice à laquelle de plus fortes têtes s’étaient cassé les dents. Peut-être était-ce par compassion véritable que Bennett n’avait pas son sourire en coin habituel aux lèvres, celui qui annonçait généralement que la jeune femme allait passer une atroce journée et voir chaque infime aspect de sa personne décortiqué avec soin par son aîné. A la place, un sourire… normal. « Ok. C’est joli, ça, » qu’il fait en jetant un coup d’œil sur l’espèce de graphique qu’elle avait dû passer une heure à mettre en place, avec code couleur et lignes parfaitement noires, sans bavures. Carré, net, précis. Tout ce qu’il adorait sans jamais l’appliquer, sauf peut-être dans sa tête. « C’est un café, pour toi. J’ai des brioches aussi. » Il hausse un sourcil surpris, comme s’il avait oublié que les bonnes poires comme Ginny sont incapables de vengeance, d’animosité, ou de quoi que ce soit qui ressemble à une réponse à l’hostilité. Si Auden avait été dans les parages, il aurait pu mettre sa main à couper que le café contenait sa dose de cyanure ; mais c’était l’incorrigible Ginny, qui avait pris un café, peut-être même celui qu’il préférait, en guise en loi du Talion. Ce serait de bonne guerre qu’elle profite de tout cela pour extérioriser les récents évènements ; mais c’était Ginny. Bennett était assez confiant sur son ascendant psychologique pour ne pas s’inquiéter. Il n’était pas venu pour s’inquiéter, d’ailleurs. Pas même pour l’inquiéter elle. Pourquoi faire ? Il avait fait du stock pour longtemps… « J’aurais dû commencer par ça. » « Adorable, merci. » Le voilà qui s’empare du gobelet, lui qui venait d’en quitter un quelques minutes plus tôt, carburant à la caféine pour combler cette tare d’insomnie qui refusait de le lâcher. Aucune remarque désobligeante à signaler, aucun commentaire mesquin sur un détail insignifiant qui forcerait Ginny à y penser jusqu’à la fin de l’heure ; aucune pique, aucune trace de cynisme dans sa voix ou dans ses yeux, tout au plus une lueur de gaité sur son visage, tout à fait décente et amicale. Était-ce l’ambiance feutrée de la bibliothèque qui avait raison de l’irascible personnalité de Bennett ? Aiguisait-il ses armes en silence pour mieux les utiliser ? Pourquoi tant de questions ? Peut-être que l’étudiant était simplement de bonne humeur, et n’avait nul besoin de rabaisser qui que ce soit pour passer un agréable moment de révisions… révisions… seul point noir de cette rencontre. Qui se trouvait être la raison de sa présence.

Bennett dépose quelques pochettes cartonnées bourrées de papier avant de s’installer sur le bord de la table, la chaise étant rétrogradée pour accueillir sa sacoche. Ses doigts pianotent sur le bois, feuilllettent vaguement les dossiers comme s’il s’y intéressait et qu’il comptait réellement se conformer aux instructions de sa chère tutrice. Oh, qu’il foire son semestre… son année… cela faisait quelques mois – quelques années – que Bennett avait compris que l’Académie ne lui apporterait rien ; l’optique de bénéficier d’un diplôme ne l’encourageait pas plus que ça. Ses idées, ses accomplissements futurs étaient dans sa boîte crânienne et pas dans ses copies. Il ne les livrerait pas gratuitement à des professeurs dont ils avaient prouvé à mainte reprise leur incapacité à être autre chose que des magnétophones à ennui, rébarbatifs, dépourvu de toute vision. Pas un cours ne trouvait grâce aux yeux de Bennett ; il trouvait moyen de critiquer n’importe quelle thèse esthétique ou interprétation de l’histoire de l’art, disséquant les arguments les plus solides pour le simple plaisir de prouver qu’il recherchait autre chose, et qu’autre chose n’était pas ici, et que les professeurs pouvaient bien vaquer à leurs expositions post-modernes sans lui. Alors, que Ginny veuille l’aider à ne pas couler scolairement parlant, c’était mignon, tout au plus. Comme pour à peu près tout ce qui se passait dans sa vie, il le prenait sous l’angle du divertissement ; à la nuance près qu’aujourd’hui le divertissement ne semblait pas être de s’acharner narquoisement sur son souffre-douleur favori. Il tentait quelque chose de plus civilisé. Oui, donc ? Les révisions, c’est ça… l’histoire de l’art… pfiou… les jolis petits horaires de Ginny… non, c’est quand même très ennuyeux… « C’est toi qui as été remarquée par Demers l’autre jour, hein ? » Etrange ? Non, tout à fait honnête. Il n’était pas asocial au point de ne pas savoir ce qui se passait, qui brillait et qui ne brillait pas. Puis dans l’échelle des plus sombres imbéciles que la terre ait porté, Demers se distinguait comme un professeur à peine moins abruti que les autres. Et Bennett avait même eu la touchante curiosité d’aller voir de quoi il en retournait, lorsque le cher homme avait eu la sympathie de prendre sa camarade pour exemple devant les autres. « J’y étais pas mais j’ai vu ton travail. C’était pas mal du tout. » Pas mal du tout, il n’y avait sans doute rien eu de plus positif dans la bouche du sculpteur à propos d’art pictural depuis une bonne décennie, au bas mot. Les révisions… le travail… rattrapage… habile diversion de sa part… ou simple discussion amicale. Est-ce que tout ce que faisait Bennett était obligé de dépendre de l’esprit du chaos ? Un jour il pouvait descendre tout ce que Ginny avait pu faire depuis qu’elle savait tenir un crayon, aujourd’hui la complimenter. Quant à savoir où était la vérité… son sourire était tellement sincère et bienveillant… !

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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyMar 9 Fév 2021 - 23:24


« Ok. C’est joli, ça, » hen quoi, qu’est-ce que j’ai fait de mal encore? Mes yeux paniquent, se vrillent à gauche comme à droite. Mes doigts eux, ont bien trop de plaisir à se refermer sur le gobelet de café bouillant que le tout reste un mystère de savoir s’il se renversera ou pas dans l’élan. Oh, les graphiques et l’horaire, qu’il désigne bien moins las que j’aurais cru. Il se pose sur la table comme si tout lui était dû Bennett, il parle et il ne chuchote pas. Il fait tout de travers et ce n’est qu’un signal d’alarme que tout ça c’était une mauvaise idée. Au creux de ses prunelles, je suis déterminée à y voir de la malice, une confirmation que quelqu’un quelque part serait apte à me dire j’te l’avais dit, justement. J’ai cru que ce serait une bonne idée, j’ai dû du moins. Mais non. Non, du tout, meilleure chance la prochaine fois. Quand il sourit, il sourit pour de vrai. Quand il boit son café, il ne le recrache pas, ne râle sur rien. Il est dangereusement calme Bennett, dangereusement à sa place même si sa place rend sa silhouette bien trop présente sur le plan de travail pour que je puisse faire autre chose que de ne voir que lui en dolby stéréo, son et image. Il a des pochettes avec lui, des notes de cours peut-être. Des exemples d’examens, des pistes de réponses, des corrigés d’exercices. Grand bien m’en fasse, je suis tout sauf curieuse au point où vouloir y fouiller me soit dû, mais ce serait mentir de dire que je ne me demande pas ce qui peut bien s’y cacher. Ça m’empêche de devoir déblatérer aussi, ça scelle mes lèvres le temps qu’elles ne sont pas non plus occupées à se pincer. Mes dents ne mordent même pas l’intérieur de ma joue et à un moment, je jure que je lui ai souri. Puis il ouvre la bouche et nous y voilà. Il va rire, il va insulter, il va renverser son café sur mes notes par inadvertance, il va se tirer. Il va tout faire, dans mon imaginaire de gamine apeurée qui n’a encore rien vu de la vie et encore moins de lui - il va tout faire sauf faire ce qu’il fait là.  « C’est toi qui as été remarquée par Demers l’autre jour, hein ? J’y étais pas mais j’ai vu ton travail. C’était pas mal du tout. » oui, oui c’est moi. C’est moi et je dois encore me pincer, tellement habituée à vivre en longeant les murs et en ne proposant jamais véritablement mes projets aux yeux de tous qu’il en devient une évidence que personne ne s’intéressera à mes cahiers. Sauf Demers, sauf lui qui a finalement brisé la glace à défaut de briser mon estime en l’encensant plutôt à la classe pratique de la semaine dernière. Il n’y était pas Bennett, il n’est jamais là quand il faut et toujours quand il ne faut pas. Pourtant ses mots et juste ceux-là, ils rachètent étrangement beaucoup sans que je comprenne pourquoi.

« Il s’attendait pas à ce que quelqu’un fasse de la photo pour peindre par-dessus après, je pense qu’avec lui faut innover pour qu’il remarque quelque chose.  » et il était dans la classe lorsque le projet avait été donné. Il était là et il sait quel était le devoir, j’ai pas besoin de l’expliquer ni même de l’analyser. Il n’a juste pas été assez stimulé par l’énoncé pour y faire gaffe et avoir envie de s’y adonner. Un simple merci aurait suffit, j’imagine. Probablement que s’il l’avait fait, probablement que s’il avait eu le moindrement l’envie de se poser et de rendre un travail lui aussi, il aurait produit un truc mille fois meilleur que moi. Il pourrait me rafler quinze fois la place Bennett, s’il s’en donnait la peine. Regardez-le qui a probablement dix scénarios et dix autres en tête pour ne pas réviser, pour s’esquiver. Pourtant, il reste, il boit sagement son café sans la moindre lueur de malice au creux du regard. Eh bien. « Il a parlé de ses années à travailler l’argile, aussi, après. T’aurais aimé. » mes iris dérivent des siens à tenter d’y trouver une faille pour finir contre ses doigts, éternellement tachés de glaise sèche. Comme si c’était la réponse à toutes les classes qu’il manque, à tous les devoirs qu’il ne rend pas, à tous les examens qu’il snobbe. Ses ongles le sont à peine, tachés. Il n’est pas passé à l’atelier ça veut dire, ou alors il l’a délaissé comme il délaisse ses notes et le voilà déjà ennuyé pour le seul médium où je l’imaginais vraiment être autant doué que motivé à percer. « Pourquoi est-ce que tu t’es inscrit à l’Académie? » elle tombe ma question, avec elle quelques miettes de brioche qui salissent mes si jolies notes, mes si jolis diagrammes. Y’a absolument aucune agressivité ni la moindre presse dans l’interrogation, pourtant c’est toujours quelque chose qui me trotte en tête. À le voir gratter les minutes avant de disparaître ailleurs, s’éparpiller dans les couloirs sans jamais avoir d’endroit où aller, de but précis à viser. Il pourrait tout faire Bennett, il pourrait être un génie. S’il voulait, j’imagine. « T’es pas obligé de répondre si t’en as pas envie. C’est juste que je me le demande toujours, quand je te vois. » envers et contre tout, c’est l’une des questions sans réponse qu’il entraîne avec lui quand il entre dans une pièce, l’artiste incompris.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyJeu 11 Fév 2021 - 12:06


Bien sûr qu’il voyait tout. Pas un seul détail du malaise de Ginny ne lui échappait, il n’y avait pas le plus petit tressaillement des muscles de son visage ou nuage d’incompréhension passant sur son regard qu’il ne captait pas. Pourtant, au lieu de s’en délecter avec malveillance, il affichait encore l’air le plus ingénu – qu’on lui demande s’il avait conscience que son comportement prêtait à confusion, et il hausserait les sourcils de la façon la plus surprise et embarrassée. A quoi tu joues, pensée qui flottait dans l’air renfermé dans la bibliothèque, et que Bennett ignorait soigneusement, tout absorbé par le perfectionnement de son affabilité. Une gorgée de café. Il a le goût de la bonté. « Il s’attendait pas à ce que quelqu’un fasse de la photo pour peindre par-dessus après, je pense qu’avec lui faut innover pour qu’il remarque quelque chose. » Le jeune homme hausse les épaules. Il y avait une bonne raison au fait qu’il n’avait assisté qu’à deux classes de ce cher professeur depuis qu’il avait mis les pieds ici. « Demers est un imbécile. C’est pas grâce à son avis que je me fais le mien. » Tranchant, mais pas envers Ginny ; rehaussant même implicitement l’éclat de son compliment précédent en insistant sur le fait qu’il ne s’abaissait pas à répéter idiotement ce qu’il avait entendu, mais faisait preuve de bonne volonté personnelle ; autant de suspicions que pourrait entretenir son interlocutrice. « Il a parlé de ses années à travailler l’argile, aussi, après. T’aurais aimé. » Il sourit. Demers et sa fantaisie d’être un grand artiste qui le poursuivait, mais qu’il n’avait le courage de réaliser que dans l’autofiction qu’il dressait de sa personne en face des élèves. Ça vous parle de ses jeunes années, et puis d’un beau rêve, qu’on s’est sali les mains, etc, etc… Bennett ne tombait pas dans ce miroir lumineux qui n’était qu’un puits sans fond. Il avait usé trop de temps à essayer de tirer quelque chose de ses enseignants. « J’ai déjà eu le droit à son discours, je lui ai parlé. Il a détesté notre discussion. Je pense qu’il m’aurait insulté si le prof suivant était pas entré dans la salle. » Histoire d’amour usuelle entre le jeune homme et ceux pour lesquels il était supposé éprouver déférence et admiration. On pouvait dire qu’il le cherchait. Il ne nierait pas. « Pourquoi est-ce que tu t’es inscrit à l’Académie ? » Oh. La gentillesse commençait déjà à porter ses fruits. Ginny, au lieu de rester prostrée en elle-même, attendant les coups, posait une question de sa propre initiative, débordait le champ de la conversation ! Quelle audace ! A l’échelle de l’étudiante, du moins. « T’es pas obligé de répondre si t’en as pas envie. C’est juste que je me le demande toujours, quand je te vois. » Audace qui trouvait ses limites aussitôt après avoir osé s’exprimer – ce n’était pas Ginny sans un petit mot d’excuse ou rétropédalage expressément ajouté. Serait-ce un bon moment pour couper net ce semblant de cordialité entre eux, ricaner de cette soudaine curiosité ? Ou l’algorithme Bennett était-il définitivement cassé aujourd’hui, tous les chemins de la médisance semblant avoir mystérieusement disparu dans l’ombre d’un sourire ?

« Pour voir. » Avoir un diplôme, rassurer sa famille, essayer de rentrer dans le moule puisqu’il n’arrivait à rien faire au dehors. Pour voir si les cadres institutionnels communs avaient des leçons à lui donner, ou s’il lui faudrait faire confiance à cet instinct profond qu’il avait de ne rien vouloir faire d’autre que de l’art, toute sa vie, et se débrouiller avec ce maigre bagage. L’Académie, au final, ne lui avait appris qu’une chose – et c’était peut-être assez ; qu’il n’était pas fait pour les arts visuels sur lesquels il s’échinait depuis des années sans parvenir à trouver cette empreinte, cette aisance du trait qui se démarquerait indubitablement des autres. De continuer, l'œil perçant ; « C’est pas les gens les plus brillants d’ici qui arriveront à faire quelque chose. T’apprendras jamais à ressentir un truc et à le transmettre en écoutant ces types-là. » Maquettes pédagogiques, dates et courants artistiques, frivolités techniques et technicités frivoles à propos de tel médium, voilà à quoi se résumait selon Bennett le bourrage de crâne de l’école. Mais il était totalement partial ; aucun système éducatif n’avait jamais trouvé grâce à ses yeux, et si on lui demandait ce qu’il faudrait pour les améliorer, il n’aurait aucune réforme constructive à suggérer. Son esprit refusait résolument cette sorte de transmission, il n’y avait pas à chercher plus loin, à voir en lui plus intelligent que ce qu’il était. « Tu regardes les projets, chaque semaine. Y’en a des pas mal, y’a des machins que je serais incapable de refaire si j’y passais ma vie. Mais au fond c’est du gribouillage, de l’entrainement. Ils récitent leurs tables, quoi. Les mecs qui l’ont fait sont pas nés pour créer ça. Tu le sens. » Toujours cette confiance résolue en son propre jugement, qui louait ou châtiait sans plus revenir en arrière ; confiance derrière laquelle se terrait la fibre d’une insécurité commune selon lui à tout artiste qui se respectait – la crainte de ne pas réussir à faire quelque chose, ce pour quoi on est né. Et tout ce qu’on épinglait dans les classes et les couloirs en guise d’exemple, à de très rares exceptions près, transpirait le renfermé, l’atrophie de l’émotion, la mort en bref et en couleur. On peignait, dessinait, photographiait, sculptait de manière guindée, convenue, pour une note, en se cherchant des points ici et là, ou un quart de portion de saveur à peine original pour se démarquer. Le fond des choses, l’envie pure de créer et de se réaliser dans la création, qui n’avait pas besoin d’Académie, passait à la trappe. Le pire étant que dans toutes les espèces de dissertations qu’on leur demandait occasionnellement de rendre, la palme allait à qui feindrait le plus de profondeur dans sa réflexion. Tout cela réuni, tiré par les cheveux, faux et superficiel, écœurait Bennett. Mais il évitait généralement d’autant développer ses opinions sur le sujet, sachant qu’on lui demanderait immanquablement : et toi, qu’est-ce que tu fais ? – Ce à quoi il ne pourrait répondre que ce qu’il voyait, mais qui n’existait nulle part d’autre qu’en lui, n’ayant pas plus de valeur que le plus quelconque travail à rendre, n’étant tout simplement pas encore. « D’autres choses que tu te demandes quand tu me vois ou on peut passer à autre chose ? Je voudrais pas prendre ton temps. » Il ne daignait même pas lui renvoyer de question, gagnant dans tous les cas ; celui où elle cèderait à la conversation, et celui où elle essayerait de revenir à l’objet du jour. « Tu pourrais réviser au lieu de le perdre ici, conseil d’ami. » Et c’était, encore une fois, de la plus limpide sincérité, sans sous-entendu ou double-sens venimeux. Puisqu’elle savait qu’il ne coopèrerait pas, autant soigner ses propres notes, sa mention du semestre, son prochain barbouillage sur photo pour Demers. Plutôt que de s’enfoncer dans une conversation qui ne tournerait jamais à son avantage, puisque Bennett devait bien avoir un plan, ça ne pouvait, décidément, pas être juste libre et agréable. Conseil d’ami.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyJeu 11 Fév 2021 - 18:22


« Demers est un imbécile. C’est pas grâce à son avis que je me fais le mien. » « Il est pas si pire que ça. » il n’est qu’un humain qu’on a relégué aux devants de la classe en lui donnant comme seule et unique mission de passer ses journées à parler d’art lui qui n’a pas réussi à s’y faire une place autrement que par les mots et certainement pas par les gestes. Ce n’est pas de la pitié et ce n’est pas non plus de l’empathie, c’est simplement la réalisation que sous plusieurs couches de regards critiques et de soupirs difficiles, Demers est simplement un passionné de plus à qui on a coupé les ailes rien que pour lui définir une place aussi approximative que possible. Il essaie faut lui donner, il essaie fort et parfois maladroitement, mais je pars du postulat qu’on a toujours quelque chose à apprendre des autres, quelque chose à tirer de chaque rencontre, de chaque discussion. Qu’est-ce que tu tires de cette conversation-ci, Ginny? Que Bennett n’a peut-être pas aimé mon travail, mais qu’il ne l’a pas détesté. Qu’il s’en est rapellé. « J’ai déjà eu le droit à son discours, je lui ai parlé. Il a détesté notre discussion. Je pense qu’il m’aurait insulté si le prof suivant était pas entré dans la salle. » à son sourire se joint mon rire bref mais quand même soulagé. Il est étrange, il est bizarre, il est pas lui-même mais on dira que la brèche aura duré une poignée de minutes et déjà, mes épaules se relaxent autant que mes doigts sur les rebords du gobelet déjà à moitié plein. « Tu vois, je t’avais dit qu’il était pas si pire. » il ne l’a pas insulté grand bien lui en fasse. Il aurait voulu, l’a sûrement fait mentalement des dizaines de fois rien qu’aujourd’hui - ce jour-là, un peu de self control lui aura suffit. Je serais curieuse de savoir ce que les gens pensent, quand ils voient Bennett. Ce qu’ils peuvent bien se dire, ce qu’ils peuvent bien anticiper de pire, ce qu’ils peuvent aligner comme préjugés, comme jugements tout court. Si curieuse, que les mots franchissent mes lèvres sans même que je réalise le genre de confort dans lequel je tombe, titube de la plus naturellement naïve des façons. « Pour voir. » oh. Alors c’est un test. Alors tout ce temps, il n’était là que pour prendre le pouls, tâter les eaux. Voir pour voir, rien de plus et rien de moins. C’est si simple que ça en devient louche, c’est dit avec tant de franchise que ça a tout pour être faux. Et pourtant je le crois bien plus que je ne l’aurais pensé, bien plus que je ne devrais. « C’est pas les gens les plus brillants d’ici qui arriveront à faire quelque chose. T’apprendras jamais à ressentir un truc et à le transmettre en écoutant ces types-là. » son discours résonne et fait écho. Il s’évertue à le laisser transpirer par tous les pores de sa peau que l’avis des professeurs ici coule sur son dos comme de l’eau sur celui d’un canard. Il n’est pas là pour écouter qui que ce soit - mes graphiques me narguent, étalés presque symétriquement sur la table - et il n’est pas là pour se mouler à la moindre classe ni au moindre projet - qu’est-ce qui se cache dans ses pochettes? Des esquisses de ses travaux, des idées à faire vivre dans l’atelier? Un plan pour tout faire brûler? « Tu regardes les projets, chaque semaine. Y’en a des pas mal, y’a des machins que je serais incapable de refaire si j’y passais ma vie. Mais au fond c’est du gribouillage, de l’entrainement. Ils récitent leurs tables, quoi. Les mecs qui l’ont fait sont pas nés pour créer ça. Tu le sens. »

Tu le sens.
T’apprendras jamais à ressentir, à le transmettre.

« T’as senti quoi quand tu t’es fait ton propre avis sur mon travail? » reprendre ses mots n’ajoute absolument aucune touche de distance à la question.

Jouer avec ses piques envers le corps enseignant non plus. Est-ce que j’y arrive, à transmettre, à faire ressentir quelque chose? Il répondra pas. Vaut mieux. « D’autres choses que tu te demandes quand tu me vois ou on peut passer aux révisions ? Je voudrais pas prendre ton temps. » et nous y voilà. Oui, oui, les révisions, et oui, oui les notes de cours. L’examen de jeudi, la bibliothèque où les quelques âmes qui y vivent ont l’air de s’être faites à la présence de Bennett qui n’est pas en train de saupoudrer d’allées en sections son petit grain de chaos commun. Tout le monde me donne l’impression de se remettre en marche, le tableau figé n’en est plus un et mes doigts repartent à la recherche de l’heure et demie divisée par tranches de buts ciblés et d’objectifs précis. Prendre mon temps. Depuis quand il en a quelque chose à faire, de mes minutes? « Y’en a des tas, mais on est pas là pour ça. » je me demande ce qu’il voulait faire, quand il était gamin. Son rêve, son ambition, ce qui pouvait bien être la seule chose à laquelle il aspirait. Je me demande qui ou quoi a bien pu le décevoir au point où désormais il part d’office en se disant que tout ce qui l’entoure ne sera qu’une nouvelle déception à passer. Je me demande à quoi il peut bien ressembler, quand il est heureux et pas éternellement blasé. Je me demande ce qu’il y a dans sa fichue pochette - je me demande quand est-ce qu’il éclatera d’un rire mauvais et finira par s’en aller. « Tu pourrais réviser au lieu de le perdre ici, conseil d’ami. » la blague, à laquelle il sourit, à laquelle je roule des yeux aussi. « C’est pas du temps perdu. T’es venu. » et dans les faits, sur papier, même au-delà des petits caractères du contrat, j’ai tenu ma part de l’engagement et lui aussi. Y’en reste beaucoup à faire, pour pouvoir cocher la case “Tutorat forcé mais nécessaire” et la marquer comme accomplie. Pourtant un petit pas suffit parfois juste à lancer le momentum. Faut simplement arrêter d’être immobile.

Quand j’inspire, ma silhouette se redresse sur la chaise et en fait craquer le bois, reprend sa place de professeur qui n’en a que le nom. Pour voir. « Et ça veut dire que tu veux voir, pour ça aussi je pense. » ah ben voilà, au fond. Pourquoi il est venu. Parce qu’il veut voir à quel point je suis prête à endurer ses frasques pour tenir ma part du deal. Pour voir si vraiment ça peut changer quoi que ce soit ou si c’est voué à l’échec - la réponse est dans la question, bien sûr. On m’a appris à faire fi des combats perdus d’avance. À forcer juste un peu, à changer ce qui peut encore l’être. La finalité restera la même et je doute que quelques heures dans l’année changent une vie entière à s’en contrefoutre de tout comme de rien. On dira qu’il s’agit là de petites parcelles de facilité, de petites bulles d’air en aparté. Et si j’arrive au moins à faire ça, ce sera déjà un brin gagné. « Ils vont vouloir que tu travailles les ombres, les silhouettes. Je sais que c’est pas nécessairement le truc que tu préfères. » ma lecture de l’énoncé de l’examen transpose exactement ce qu’on lui reproche, dans le peu de classes où il finit par passer perdre son temps. Il est trop franc dans ses traits, il est tantôt trop blanc comme trop noir. Il n’a pas de nuance ni de juste milieu, il tranche. Ils veulent savoir qu’il a entendu, ils veulent confirmer qu’il met en place. Qu’il avance, peu importe ce que ça veut dire ; et ce serait mentir de dire que moi non plus, j’ai pas envie de voir le résultat. Il m’intrigue autant qu’il me ridiculiserait s’il savait. « Mais si tu mets l’accent là-dessus je crois vraiment qu’ils vont te lâcher du leste. Comme si t’avais écouté ce qu’ils ont dit et que tu l’appliquais maintenant. » oh, oh les arguments qui se contredisent. Oh, oh les justifications qui risquent de relancer le Bennett en mode habitat naturel à faire de ma vie et de la vie de quiconque gravite autour de l’électron libre qu’il peut bien être un enfer. « C’est pas la bonne manière de te vendre le truc hen? De te dire quoi faire pour qu’eux pensent que tu vas dans leur sens? » la, réponse, est, dans, la, question.

« Tu pourrais cacher des insultes sous les couches de fusain, sinon. » bien joué Ginny. Balle au centre.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyVen 12 Fév 2021 - 22:45


Combien de politesses et de douceur lui faudrait-il encore déployer pour qu’elle baisse sa garde et cesse de le considérer comme un animal brutal, sans cesse au bord du gouffre des anciens vices ? C’était l’apôtre des secondes chances qui se détendait petit à petit, gagnée par les agissements normaux de Bennett. Lui aussi était un grand pardonneur, ils pourraient s’entendre. Mais il pardonnait de manière pessimiste, en anticipant le pire même chez les meilleurs humains ; ce n’était sans doute pas l’état d’esprit de Ginny. « T’as senti quoi quand tu t’es fait ton propre avis sur mon travail ? » Il cesse de laisser ses prunelles vaguer sur la table pour les planter dans celles de Ginny, comme s’il cherchait écrite là une réponse à sa question. Plus laconique cette fois, éludant de s’étaler, sachant pertinemment qu’il devenait de moins en moins clair à mesure qu’il s’enfonçait dans les conversations de ce genre. « Ça manque pas de talent, ça manque de liberté. Mais ça respire. » Le talent, ils étaient nombreux à l’avoir, dans des proportions variables. Quant à la liberté… Mordante ironie. Il passait son temps à la faire douter de cette liberté, à ébranler toutes les décisions de la jeune femme, à contester la pertinence de chacune de ses interventions. Peut-on être libre avec un Bennett par-dessus son épaule ? Peut-on respirer ? La respiration, l’œuvre qui vous transporte et vous cloue sur place, qui parait tellement nécessaire à ce monde où elle n’existait pas, quelques heures, quelques semaines ou quelques années plus tôt… il aimait bien ce que faisait Ginny, mais ce n’était pas encore elle. Qui était-il, pour tracer cette ligne-ci ? Personne. Ça se sent. L’absence d’intermédiaire entre l’âme et le moyen de l’art, sans parasites ni gaucherie. Il avait déjà renversé son café sur des griffonnages improvisés de Ginny qui avaient beaucoup plus de vérité que les projets qu’elle rendait dans les délais scolaires. Mais tout ça, c’était des théories dans sa tête, de longues dissertations intérieures, du fatras, du boucan. Une vie intérieure luxuriante mais incompréhensible dont Ginny n’aurait que douze mots. Il s’enthousiasmait toujours quelques secondes à parler d’art, avant de reculer devant la sècheresse du langage, inapproprié, vulgaire, à côté de la plaque, maladroit, abrupt, dégoulinant de mensonges même de la bouche la plus sincère. Voilà en partie pourquoi il haïssait les devoirs écrits... « Y’en a des tas, mais on est pas là pour ça. » Oh que si. On est venu pour une petite séance de psychanalyse improvisée au coin des bouquins, pour creuser toutes les petites failles qui se présenteraient spontanément chez sa chère camarade, pour faire d’une ennuyeuse heure de révisions quelque chose de tout à fait divertissant et même, il osait le mot, enrichissant. Par ailleurs, elle mentait. Il n’y avait pas tant de questions que ça à lui poser, pas tant d’angles sous lesquels l’étudier. Elle tournerait rapidement en rond, comme lui tombait à sec devant les œuvres qu’on leur demandait inlassablement d’analyser. Elles ne valaient pas le coup d’œil, ni l’effort. « C’est pas du temps perdu. T’es venu. » « T’en doutais ? Je suis si détestable que ça ? » Il n’en était pas encore à ne pas venir quand on lui demandait, lâcheté certes hilarante, qui demeurait une arme destinée à aux professeurs plus qu’à ses amis. « Et ça veut dire que tu veux voir, pour ça aussi je pense. » « Perspicace. » Tu vois quand tu veux. Tout à fait vive d’esprit. Il fallait la déboussoler un peu, faire bouger le sol sous ses pieds, et voilà la Ginny la plus sagace qu’il ait jamais eu l’occasion de voir. Il était en stage d’observation dans la vie. Regarder comment ça se passe, faire bouger les choses de temps en temps, lorsqu’il s’ennuyait – il s’ennuyait souvent. Elle en avait fait les frais. « Ils vont vouloir que tu travailles les ombres, les silhouettes. Je sais que c’est pas exactement le truc que tu préfères. » Il roule des yeux avec une indicible exaspération, ombres étant ce qu’on lui avait le plus rabâché dans les quelques années qu’il avait passées ici. Ombres, ombres… quoi, ombres ? Est-ce qu’il y avait quelque chose dans ses dessins qui réclamait de l’ombre ? Est-ce qu’ils ne connaissaient que ça pour donner du relief ? Le relief c’est l’idée ; et surcharger d’ombres passait selon Bennett pour un procédé de maquillage qui gâtait plus qu’il ne donnait vie à quoi que ce soit.

Pourtant il se coud la bouche et laisse tranquillement la soudaine poussée de parole de Ginny briser l’ambiance silencieuse de la bibliothèque. « Mais si tu mets l’accent là-dessus je crois vraiment qu’ils vont te lâcher du lest. » Pour la première fois, c’est le familier sourire de malice qui étire les lèvres de Ben – sans pour autant s’offrir le luxe de la nuance de raillerie brutale à laquelle Ginny s’était habituée. Il laisse couler, encore, ménageant ses effets dans le temps. « C’est pas la bonne manière de te vendre le truc hein ? De te dire quoi faire pour qu’eux pensent que tu vas dans leur sens ? » A la limite, ça lui donnait plus de moyens de faire le contraire… Comme quoi leur relation allait dans les deux sens : il connaissait tous les moyens de la désespérer, elle commençait à décrypter ses mécanismes à lui. Et en effet, elle le vendait très mal. Mais s’il était là, c’est qu’il avait acheté d’avance. Personne ne lui avait demandé ce qu’il comptait faire du produit. « Tu pourrais cacher des insultes sous les couches de fusain, sinon. » T’imagines bien que je l’ai déjà fait, Ginny, plus de fois que j’ai eu au-dessus de 10 en histoire de l’art. En homme de théâtre qui n’avait jamais mis un pied dedans, il ne reprend pas la parole sans laisser quelques secondes de suspense flotter dans l’air. « J’aurai jamais le diplôme, Ginny. » Tu te donnes du mal pour rien. Il allait encore se contenter du strict minimum, peut-être laisser complètement tomber la dernière année pour découvrir d’autres horizons, peut-être rester pour la forme, comme on regarde le plafond pendant quatre heures d’examen alors qu’on va rendre copie blanche. (Pauvres graphiques qui attendaient douloureusement leur heure…) Il s’était fait haïr par à peu près tous les professeurs, ne prenait aucune remontrance en compte, avait passé plus de temps hors des cours qu’à les suivre ; si une personne devait remplir les quotas de non-diplômés, ce serait lui. Ses relations les plus personnelles n’étaient pas les amitiés envers d’autres étudiants, mais ses animosités envers les membres du personnel, datées du temps d’innocence relative où il croyait ordinaire de contester acerbement tout ce qu’il voyait. Il allait droit dans le mur, et s’il n’avait pas par un miracle des anges décroché une bourse en entrant ici, cela ferait longtemps qu’il aurait laissé tomber cette dépense inutile. Alors, Ginny ? D’autres balles perdues, peut-être… mais on peut encore jeter les dés, après tout. Il allait dans le mur, mais on a plus d’une manière de casser son crâne contre. Ce n’était pas parce qu’il ne le rendait pas qu’il ne savait pas ce qu’on voulait de lui. « Qu’est-ce que j’ai en échange d’une bonne note ? Ta reconnaissance éternelle ? Tu veux juste valider le tutorat. » Tout se négocie, Ginny. Surtout l’amabilité de Bennett. « Tu dessines pourquoi ? » Toujours sur la limite, toujours à deux doigts de retomber. A deux doigts de lui confirmer à quel point il était détestable ; à deux doigts de lui prouver le contraire.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyDim 14 Fév 2021 - 2:23


Pourquoi est-ce que c’est si inconcevable, qu’il ait retenu ce que j’avais bien pu faire? Pourquoi est-ce que ça sonne comme une blague, tout ce qu’il peut bien amener au sujet d’un projet qui avait été souligné par un enseignant qu’il n’appréciait même pas? Pourquoi même sans son éternel sourire de bourreau il n’arrive pas à mettre les bons mots sur le bon boulot? « Ça manque pas de talent, ça manque de liberté. Mais ça respire. » et, je, il, okay. Et je comprends qu’il a compris. Okay, ça va, ça passe, c’est acté, ça fait mal et c’est vrai aussi. Je ne serai pas ingrate au point de lui demander d’extrapoler. Je ne serai pas sotte au point où je gratterai une minute de plus de son temps pour en faire de même avec son talent. Il donne tout mais au compte-goutte Bennett, sauf quand il s’agit de bousiller des devoirs ou des cahiers, là il donne tout tout court. Cet après-midi pourtant, sa voix qui ne chuchote pas et ses yeux qui ne fuient pas non plus avaient un truc à dire, avant qu’on continue. Et turns out que je l’ai entendu.

« T’en doutais ? Je suis si détestable que ça ? »
« Je t’avais pas vu ce matin, c’est tout. »

L’explication simple et logique, bien arrêtée. Inutile. Je ne le vois presque jamais parce qu’il n’est jamais là de toute façon. Quand on est en classe, il terrorise les couloirs. Quand on est au café de l’Académie, il entre dans l’école pour y faire sa vie. Il a l’air éternellement à la recherche de quelque chose et je pourrais parier que même s’il le trouvait, il s’en lasserait, il finirait par réclamer autre part, par changer de mission et d’angle et de désir en un claquement de doigts. Pourquoi je pense à ça?

Alors je pense à ce qui stagne sur la table. Je pense aux notes de Bennett qui même additionnées toutes ensembles ne valent pas la moyenne d’un seul cours. Je pense au temps que j’ai pu passer à tenter d’édulcorer le plus possible la matière pour arriver à retenir son attention qui se dissipe si vite sur un compteur à mes yeux suffisamment long. Il est toujours entre deux Bennett, toujours prêt à arriver comme à partir. Ce n’est pas pour rien qu’il ne s’est pas installé sur la chaise prévue pour lui, face à moi. Ce n’est pas pour rien qu’il a laissé son sac d’un côté et qu’il ne le regarde même plus. Il boit son café sur le pouce, il parle et laisse aller contre ses lèvres une salve d’éternelles conclusions. La pire d’entre elles vient alors que j’ai l’idiote idée de lui demander ce qui justifie que malgré tout ce qu’il ne se gêne pas pour dire sur l’établissement et son personnel, il est encore là.  « J’aurai jamais le diplôme, Ginny. » il a le mérite d’être honnête, lucide, de ne pas romancer les choses. Il a le mérite de savoir intelligemment que ce qu’il fait là, que tout son auto-sabotage, ne partira pas impunément entre un espoir et un bulletin relativement correct. Il se nourrit du chaos alors, quand bien même il suit les règles de base. Il passe à l’école relativement chaque jour, il participe aux examens plus de fois qu’il les snobe. Il erre mais il pourrait errer n’importe où qu’ici, il est face à moi alors qu’il scande que son diplôme ne serait jamais le sien. « Comment on se sent quand on le fait pas pour ça? » est-ce que c’est ça, la liberté dont il parle, celle qui me manque? Celle de savoir que lorsqu’on entre par les grandes portes en bois travaillées, que lorsqu'on passe sous les arches de marbre à l’entrée on vient pour l’art et seulement lui. On bosse pour ses idées, on dessine pour ses convictions. On n’écoute personne parce que leurs diktats ne font aucun sens, surtout pas dans une discipline où on nous enseigne avant d’apprendre à marcher que le goût est suggestif, relatif. Soit il a tout bon et on n’est qu’une bande d’idiots, soit il se conforte dans sa raison et je tends à travers. Et là, juste là, je suis jalouse. Verte de jalousie de voir que c’est aussi simple que ça, qu’il l’a lui-même si bien compris. L’avis de professeurs qui guident notes et humeurs. Les limites qu’ils mettent, les gabarits qu’ils imposent. Ne dit-on pas que l’art naît des mains de ceux qui ne suivent rien d’autre que ce qu’ils ont décidé de créer? Tout se mélange et tout se questionne comme se répond. Encore une fois, qui ça étonne que je corresponde parfaitement à ce moule-là ; c’est comme ça qu’on m’a éduquée, c’est ainsi que j’ai toujours fait. On montre et j’obéis, on dicte et je suis.

« Qu’est-ce que j’ai en échange d’une bonne note ? Ta reconnaissance éternelle ? Tu veux juste valider le tutorat. » « Je l’ai déjà validé avec Suzie. Ça c’est du bonus. » ma voix est perdue, enrouée d’avoir trop pensé. C’est presqu’étonnée que je réalise qu’il n’est pas encore parti, et qu’en plus de tout ça, il vise déjà la négociation, la bonne note. À quoi est-ce que je peux bien m’attendre, de celui qui fait un pied de nez à son diplôme pour des raisons bien moins nobles que celles que je semble revendiquer en jouant nerveusement avec le coin de ma brioche déjà bien entamée. « Qu’est-ce que tu veux, toi? » c’est bien ça et rien que ça qui finira par le motiver à se bouger, à faire quoi que ce soit. Si je suis celle qui décide et donne la carotte, tout porte à croire qu’il n’en voudra pas, qu’il la rejettera de la plus logique des manières. Mais il a posé une question et la docile petite gentille Ginny a apparemment à cœur d’y répondre. « Si t’as une bonne note pour cet examen-là, t’auras le droit de choisir où on révisera la prochaine fois. » qu’il considère le tout comme un canevas blanc duquel commencer, qu’il voit avec quelles cartes je tente de jouer.

Mon paquet n’est fait que de cartes bateau, le sien est composé de toutes les frimes. « Tu dessines pourquoi ? » il a pas le droit de poser les questions, il a pas le droit de s’intéresser, et pourtant je le lui donne, le droit. Probablement que j’ai déjà compris qu’on n’allait pas réviser du tout, probablement que les graphiques que je finis par ignorer, ingrate, posant mon gobelet de café désormais vide dessus ne sont qu’une confirmation de plus. Pourquoi tu dessines Ginny? « Parce que je sais pas comment dire les choses autrement. » et c’est ça, la liberté qui me manque. C’est ça qui reste transcrit, transposé dans mes croquis. Même encore à l’aquarelle et à l’huile, même encore avec l’argentique, il manque l’interprête, il manque les paroles aux gestes. Même avec quelques pièces étalées on anticipe et on analyse de manière erronnée. Demers avait vu des choses dans mon travail, il les avait exposées comme s’il s’agissait de la vérité infuse. Il avait tout faux. « Même moi, souvent, je sais juste pas ce que je veux dire tout court. » et souvent, c’est en dessinant que j’y arrive, que je prends le temps de le faire. Les mots restent pris dans ma gorge, ils remontent pour de suite se convaincre de redescendre. Quand on est la seule personne derrière un tracé qui arrive à véritablement bien l’expliquer, le reste devient superflu, l’avis des autres ne compte plus. « De pouvoir me reprendre et essayer des tas de manières de le faire, ça aide. » lui bien plus que qui que ce soit sait à quel point j’ai dû mal à m’exprimer. Il en est autant le témoin que la cause, et ironiquement aujourd’hui, c’est probablement la manière la plus claire, la plus évidente, la plus simple que j’ai pu trouver depuis bien longtemps pour arriver à cerner ce qui se passe à l’intérieur, ce qui ne voit jamais le jour, ce qui se teinte bien trop souvent de soir. La réflexion de l’un ramène la réflexion de l’autre. De l’index, je repasse sur la reliure de mon cahier fermé, celui que j’avais pris la peine des tas de fois de garder de ses frasques, celui qui étrangement aujourd’hui trône sur la table sans café renversé sur ses pages. J’ai oublié, je pense, qu'aurait pu être à un moment son statut. « Y’a vraiment rien de rien que t’aimes ici? Pas de matière, pas de professeurs? » j’ai oublié aussi, que la partie était entre deux miettes d’être terminée. « Pardon, on avait dit pas de questions. »
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyVen 19 Fév 2021 - 22:33


Soit Bennett s’était vraiment laissé aller à la plus innocente spontanéité, soit chacun de ses faits et gestes était calculé dans un but obscur. Pas d’entre-deux. Converti ou condamné ; totalement sincère ou passé maître dans l’art du mensonge au point d’être méconnaissable. Il ne lui en voulait pas de douter. Ou était-ce précisément ce qu’il recherchait… ? Tic, tac, balancier d’enfer. Tombera au hasard des choses… ou sur la case que Bennett visait avec vingt coups d’avance. Valse des confusions ; ce n’était pas lui qui trébucherait. « Je t’avais pas vu ce matin, c’est tout. » Gracieuse esquive – Ginny qui admettait ouvertement qu’il était détestable, il aurait rendu les armes, satisfait de sa rapide prouesse. Il devrait se contenter d’une énième pirouette, d’une vérité factuelle qui cachait l’autre, l’invisible. « Comment on se sent ici quand on le fait pas pour ça ? » La liberté lui avait tapé dans l’œil, elle en voulait plus, elle voulait qu’il lui confirme, qu’il lui dise comment c’était, là-bas. (Pas bien différent.) Si on se réveillait avec un air plus pur, des mains plus libres, les yeux brillants ; si l’indépendance payait bien ce qu’elle coûtait, en somme. Peut-être que Ginny faisait trop confiance aux mots – il avait tout intérêt à démontrer que son choix était gagnant, aucun à rassurer son envie en lui montrant d’autres failles, ailleurs, d’autres chaînes qui le cloueraient à la vie standard aussi sûrement que Ginny était clouée à l’Académie. Bennett n’avait que vingt-cinq ans. Qu’est-ce qui distinguait son irresponsabilité de celle de n’importe quel gamin capricieux qui décidait de profiter de la vie plutôt que de mener ses études à terme ? Philosophie d’existence ou simple esprit de contradiction ? La liberté qu’il payait de son diplôme – liberté d’aller et venir, de se soustraire à ses obligations, de contourner le dogme – était de qualité assez médiocre. Mais elle valait mieux que rien. « Comme un visiteur dans un musée. » Plutôt qu’une statue qu’on y admire, emprisonnée dans le verre et le regard des passants. « Je l’ai déjà validé avec Suzie. Ça c’est juste du bonus. » Evidemment. Ginny l’espérance, qu’on l’appelait dans le milieu. Si elle n’avait pas eu la chance de tomber sur un Bennett excessivement sympathique, ces mots auraient suffi à voir l’étudiant s’évaporer dans la nature. Pas ce Bennett-là. Lui qui ne prenait jamais les points à prendre, vaguait vers le négatif… aujourd’hui, cherchait le bonus. Fallait croire… la foi, la foi c’est un truc irrationnel, pas vrai ? « Qu’est-ce que tu veux, toi ? » Elle reprend assez vite pour l’empêcher de répondre. Ou bien il la laisse exprès. « Si t’as une bonne note pour cet examen-là, t’auras le droit de choisir où on révisera la prochaine fois. » Bennett fait une grimace prévisible. Ce petit mot de réviser n’avait de cesse de briser l’ambiance presque intéressante qu’il s’efforçait d’installer pour leur plus grand plaisir. Il ne se prive pas d’exprimer sa pensée à voix haute, étincelle de défi dans l’œil. « C’est tout ce qui te tente ? » Il n’insinuait rien, il n’aimait par ailleurs pas spécialement jouer de sous-entendus et d’implicite. Ginny était bien la seule, avec sa naïveté désespérante, avec qui ça ne le fatiguait pas – trop – de manier les ombres et les lumières qu’il dédaignait de faire figurer dans ses dessins. Qu’est-ce qu’il voulait ? Il y réfléchirait, qu’elle ne s’inquiète pas. « Parce que je sais pas comment dire les choses autrement. » Il hoche silencieusement la tête, sans l’idée de l’interrompre, soudainement plus sérieux qu’elle n’avait dû le voir dans toute sa vie. La voix, la seule, qu’ils avaient en eux. « Même moi, souvent, je sais juste pas ce que je veux dire tout court. De pouvoir me reprendre et essayer des tas de manières de le faire, ça aide. » La voix qui les perdait, la voix qui les sauvait. La voix qui tambourinait dans leurs nerfs, leur hurlait de créer, puis leur hurlait que la création était insuffisante, qu’il fallait plonger tout à fait, s’anéantir dans l’oeuvre, vivre devant, écraser ses doigts sur la feuille pour espérer trouver la foutue profondeur, se meurtrir dans l’argile à s’en boucher les artères. Tout le rêve et tout le cauchemar. « Je suis d’accord. » Il n’y a pas besoin d’en rajouter, de s’enfoncer dans les phrases qui saliraient le sentiment commun. Sans traduction ni notes de bas de page. Bennett qui ne cherchait pas la guerre ou la faille du raisonnement, qui approuvait sans réserve – parce qu’il n’y avait pas de combat, ou parce qu’il s’estimait déjà vainqueur ?

Et Ginny pourrait attendre ; la mystérieuse ouverture de son interlocuteur se poursuivait, par petites touches sommaires et précises qui semblaient ébranler l’intégralité de l’édifice hermétique qu’il avait été pendant des années. Y croire, c’était le saut de l’ange. Ne pas y croire, c’était rester dans les limbes. Avait-elle le choix ? « Y’a vraiment rien que t’aimes ici ? Pas de matière, pas de professeurs ? Pardon, on avait dit pas de questions. » Ni matière, ni professeur. Mais ce n’était qu’une petite part de l’expérience Académie, faite d’une infinité de moments dont certains trouvaient grâce. « Là, c’est pas trop mal, j’aime bien. » La réponse, laconique encore (mais véridique ?), manque l’essentiel. (De toute façon, c’est lui qui avait les cartes en main.) (Sélection soigneuse : ce qu’il disait, ce qu’il ne disait pas.) Il venait en grande partie parce qu’il n’avait rien d’autre à faire. Il avait essayé de travailler à la sortie du lycée ; mais l’idée d’utiliser ses mains, son corps pour quoi que ce soit d’autre que créer l’horrifiait. Il postulait à un petit boulot, tenait deux semaines, réclamait de l’argent à droite, à gauche, pour combler les trous par la suite. Il en allait ainsi de toutes ses tentatives – et ça avait duré six ans où il ne saurait pas dire exactement ce qu’il avait fait. Entre une nuit à broyer du noir et un rire grinçant de jeunesse qui s’en fout, entre l’angoisse et l’hédonisme, funambule. Il ne se sentait pas encore capable de créer ce qu’il avait dans le sang, hésitait, arts graphiques, sculpture, même photo – et ne voulait surtout, surtout pas travailler. Hantise de gagner sa vie d’une manière qu’il jugeait indigne, hantise de se lancer à corps perdu sans être sûr d’avoir trouvé la clé. Il avait préféré perdre un temps qui aurait pu lui permettre de ressortir avec un master plutôt que de… disons le joliment… trahir son idéal ? (Si idéal il y avait dans une vie qui ressemblait à celle de n’importe quel post-adolescent dissolu, les fusains en plus.) L’Académie et ses horaires qu’il ne respectait pas lui avait donné le pressentiment de ce dont il avait profondément besoin – de stabilité, qui était aussi ce que tous ses choix de vie semblaient rejeter avec une extraordinaire force de répulsion. Donne tout, donne pas. Elle avait raison. En entrant ici, il avait eu le maigre espoir d’une révélation soudaine, voire d’une voie royale vers la vie qu’il voulait ; à mi-chemin, il savait qu’il en sortirait inchangé, et devrait surmonter tout seul les contradictions qui l’éloignaient à la fois ce que qui le faisait vibrer et de ce qui devrait le faire vivre ; à défaut d’avoir les deux en un, il prenait l’option rien.

Tout ça n’était qu’un silence. On ne lit pas dans les yeux des gens, tout au plus on déduit, tente l’hypothèse, la probabilité. Mais il continuait de répondre, de relancer, ne balayait pas la conversation comme il avait pu le faire tant de fois. « Tu t’excuses souvent pour rien. » A défaut de laisser tomber l’Académie, elle pouvait commencer par ça. Ce serait peut-être le bon moment de glisser le traditionnel, si je te demande de sauter d’un pont, tu sautes ? Qui raillait l’obéissance passive avec une subtilité discutable. Mais c’est moins un reproche qu’un… conseil. C’est pas ça qui allait empêcher les types comme lui de l’emmerder, au contraire. Pardon était un mot qui attirait les malades mentaux et les bons samaritains. Les statistiques penchaient largement en faveur des premiers. Où était-il aujourd’hui, Bennett ? Un peu partout, un peu nulle part. Regardant sa propre existence comme un objet extérieur qu’on pouvait moquer et critiquer allègrement. « Comment on se sent quand je suis pas là pour te pourrir la vie ? » Quant à où il allait comme ça… il n’avait, pour le moment, pas demandé sa contrepartie, reparlé de note, préoccupation tellement prosaïque. On pouvait discuter de Ginny, briser la glace, délier les nœuds dans le ventre de l’artiste, les nœuds dans les plans de Bennett. Essayer autre chose. Mais celui qui donnait l’impulsion était souvent celui qui décidait de la conclusion. Eh bien, Ginny ? On saute, on ne saute pas ? Continuer de croire en la normalité, en Bennett ? La foi sauve, mais personne n’est là pour sauver de la foi.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyDim 21 Fév 2021 - 22:00


Il n’aura pas le diplôme et pourtant il reste ici, il n’abandonne pas. Il le fait sur papier, il en donne l’impression à qui regarde sans vraiment capter. C’est un drôle de spectacle à voir de l’extérieur, encore plus lorsqu’il y ajoute sa propre miette de vérité en précisant à quoi ça peut bien ressembler, de son côté à lui. « Comme un visiteur dans un musée. » aucune marge de manoeuvre, rien à faire d’autre qu’observer. Analyser, comprendre, apprendre par soi-même. J’aurais pu parier qu’il était autodidacte sans même en douter, Bennett qui décortique toujours tout d’un seul coup d'œil. Qui prône le factuel envers et contre tout le reste, le logique et le tangible sur l’interprétation sans fondements. Y’a un sourire qui vient se nicher sur mes lèvres, qui monte et qui reste un temps. L’image colle à la perfection, alors qu’il ne fait qu’errer de salle en salle, de cours en classe, d’atelier en vernissage, de présence en absence. Il choisit ses salles d’exposition comme il choisit ses combats ; celui de graduer n’était pas le sien. Ça doit être un jeu alors, une occupation, un passe-temps, un entre-deux. Y’a pire endroit qu’ici pour faire office de limbes. « C’est tout ce qui te tente ? » j’hausse de l’épaule, j’ai au moins tenté, au moins pris position, proposé. Je savais déjà même avant de parler que mes mots ne seraient pas pris en compte, je ne lui en tiens pas rigueur. « T’as pas répondu à ma question. » ni pour ça, bien sûr qu’il ne répondra pas, qu’il ne posera pas ses règles et ses choix. À le connaître ; est-ce que je le connais tout court? est-ce qu’on connaît vraiment quelqu’un qui met autant de distance entre lui et le monde entier au point où c’est lui et seulement lui qui décide quand il entre en scène, quand il casse tout? ; quand il se pose sur le coin de la table, quand sa voix est désormais un peu plus douce, quand il boit sagement son café et ne prend en otage aucun de mes cahiers. Et je dessine, parce que je n’ai jamais les bons mots, parce que je n’ai que les ressentis, aucune traduction valide, valable. Je dessine parce que parler m’angoisse, parce que les gestes valent mieux. Je dessine parce que personne ne peut vraiment juger le pourquoi du comment derrière, parce qu’ils n’auraient aucune preuve tangible. Je dessine parce que c’est un code secret, le mien. Je dessine depuis enfant, faut dire. « Je suis d’accord. » hm? C’est tout, c’est aussi simple que ça? C’est aussi facile, c’est un piège, doit y avoir un piège, doit sûrement avoir un - non, absolument pas. Non seulement il est d’accord, mais il comprend. J’ignore comment je l’accepte, j’ignore comment je le sens. Je sais juste qu’il ne dirait pas ça s’il n’était pas honnête, qu’il n’oserait pas s’il n’avait pas de quoi accentuer la relance.

Aussi évident que possible, les chiffres s’alignent et les données aussi, l’équation s’imbrique et l’explication vient avec. Bennett l’affirme comme s’il s’agissait d’une conclusion, laissant dans son sillage l’étrage sensation que pour une fois et une seule dans nos vies faisant office de lignes parallèles, on est d’accord sur un truc, on a un point fixe et commun.  « Là, c’est pas trop mal, j’aime bien. » et un autre. « C’est juste parce que j’ai choisi les brioches. Les muffins étaient pas si bons aujourd’hui. » les brioches et les muffins et les biscuits et les croissants, quels bons joueurs. La vérité reste qu’il n’est pas aussi détestable qu’il s’exacerbe à l’être au quotidien. Il fait exprès et il est passé maître dans l’art, au point où j’aurais tous les arguments des plus simplistes aux plus agressifs pour le détester de chaque fibre de mon corps. Il l’aurait bien cherché. Mais y’a quelque chose qui ne fait pas de sens, y’a quelque chose qui bloque l’engrenage. Je ne le hais pas, je hais celle que je suis quand il déploie sa malveillance. Il l’aurait fait avec n’importe qui, il aurait pris qui que ce soit d’autre comme victime que son traitement aurait été le même. Je me déteste de le laisser faire, bien plus que je le déteste en l’état. Là c’est pas trop mal, j’aime bien - et contre toutes attentes, moi aussi. Jusqu’à la prochaine fois, Ginny? « Tu t’excuses souvent pour rien. » et lui il ne s’excuse jamais. « Je sais. » ça vient avec la totale, ça vient en marge comme en titre. Ça vient au naturel, ça vient tout seul, c’est un dommage collatéral de passer ses journées à vivre dans l’éternel état de ne pas se sentir suffisante, de voir ma maladresse de tête en l’air empotée transposer autant dans mes paroles que dans mes agissements. Je pars toujours du postulat que j’ai dit ou fait quelque chose de mal, je pars toujours de l’initiative qu’on m’offre un cadeau lorsqu’on me laisse la place, lorsqu’on m’en attribue une qui aurait mieux fait à qui que ce soit d’autre. L’ombre d’une ombre s’excuserait aussi, dans ma tête, de jouer aux parasites. Et si t’essayais une autre stratégie Ginny? J’aurais envie, pour vrai, d’un jour biffer les excuses, m’en coudre les lèvres et m’en nouer la langue. C’est que dans les films qu’ils échangent de corps l’un l’autre, qu’ils prennent les défauts de leur hôte pour en faire leurs plus belles qualités. Est-ce qu’à la place de Bennett j’en profiterais pour terroriser tout le monde, ou pour jouer les repentis? Si personne ne s’attend au contraire, les dés seraient drôlement difficiles à discerner.

« Comment on se sent quand je suis pas là pour te pourrir la vie ? »
« Bizarre. J’avais même pas pensé à ça depuis presque quinze minutes. »

Pendant tout ce temps, j’avais oublié le rapport de pouvoir, j’avais oublié toutes les fois où il avait bien pu faire de ma vie un enfer sur une base régulière. Pendant presque quinze minutes et des poussières, c’était comme si - « C’est comme si y’avait deux Bennett. » je me replace sur ma chaise, la voix presque aussi sérieuse que si un jury entier m’écoutait. Si on m’avait demandé d’expliquer un mouvement artistique ou une oeuvre en détails, de tracer une chronologie exhaustive où chaque petite pièce de puzzle devait être exactement au bon endroit, calculé et jugé pour le mieux, sous prétexte que la moindre faute, que la moindre erreur me ferait échouer l’examen comme la classe à travers. Il ne me passe pas au radar Bennett, probablement même que ce que je peux bien dire fille d’une oreille à l’autre. Pourquoi est-ce que ça l’intéresse Ginny, tu crois? Pose les bonnes questions. « Celui que t’es quand tout le monde regarde, et celui que t’es quand personne te voit. » celui qui se donne en spectacle par ennui, celui qu’il cache sous des dizaines de milliers de carapaces. Celui qui détruit tout le sourire aux lèvres, celui qui reprend chaque morceau éclaté pour en construire quelque chose de mille fois meilleur. Celui qu’il a construit pour répondre d’un pied de nez aux suppostions et aux préjugés à son sujet, celui qu’il cache de force, habitué à ce qu’on le classe dans la case des enfants à problème, des artistes troublés qui ont les épaules de porter tous les péchés de l’humanité au passage. « Je m’excuserai pas d’en préférer un plus que l’autre. » parce que c’est pas pour rien. Même si ça entre d’une oreille, même si ça sort de l’autre.

On révisera jamais, c’est un fait. « On devrait être rendus à la plage horaire orange, là. » c’est probablement pourquoi mon index pointe ladite section de l’horaire, entre un rire étouffé et un autre.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyMar 23 Fév 2021 - 1:07


Elle doute, il s’arrange pour faire baisser sa garde ; elle croit voir le fantôme familier dans ses yeux, il les déplace dans la bibliothèque murmurante comme s’il pouvait se permettre de rompre le fragile contact. L’équilibre ne finirait-il pas par être brisé ? Ne faudrait-il pas qu’il déclare une bonne fois pour toutes quel était son camp, lui qui agissait exactement comme s’il voulait la faire chuter de plus haut qu’il ne l’avait jamais faite chuter, lui qui se comportait exactement comme s’il se repentait de tout… ? Les deux en même temps ? « T’as pas répondu à ma question. » (Il sourit de plus belle.) Ginny prend l’espace – qu’il lui laisse –, affirme sa voix – qu’il n’entrave pas. Quand est-ce que ces parenthèses cesseraient d’être ? Méfiance. Fatalité ? Regard en arrière, peur du précipice ? Mais les parenthèses n’avaient-elles pas déjà cessé d’exister… ? « Je réfléchis. » Il ne déploierait pas tant de patience s’il avait quelque chose en tête, il ne serait pas capable d’économiser la moindre seconde pour calculer son effet de la sorte ; Ben n’était pas aussi raffiné dans la torture, aussi subtil dans l’atrocité ; ce ne serait plus de l’acharnement mais de la persécution, et on ne persécute pas les gens en leur parlant d’art et de façon de vivre, ça ne se fait pas, il y avait quelque chose de décent, même chez la pire engeance. Une mauvaise graine ne fait pas de jasmin avant de brusquement se changer en ciguë. Bennett n’était-il pas sorti de terre depuis trop longtemps pour avoir choisi la carte noire ? « C’est juste parce que j’ai choisi les brioches. Les muffins étaient pas si bons aujourd’hui. » Oh, vraiment. Il n’avait pas touché aux brioches… Les muffins, l’air ambiant, les livres, la pluie et le beau temps. Tout cela était bien évidemment la cause. Surtout pas elle. Juste, ici ou là, un détail d’aucune importance, du gravier, rien du tout. Et surtout, surtout pas lui. « Oui, c’est sans doute grâce aux brioches. » Il accepte ce masque-ci, comme il lui avait imposé les siens. Chacun son jeu. Egalité. Egalité ? Egalité. (Quand on s’excuse on n’est jamais à égalité.) « Je sais. » (Elle sait.) Pardon automatique qui prenait la place de toutes les émotions, se bredouillait en lieu et place de bonjour, s’il vous plait, merci, je te déteste, oui, non, au revoir ; pardon comme bouclier alors que les coups venaient de derrière, anesthésiant médiocre, bandage sur ADN défectueux, vide, fumée, inutile, illusion. Pardon, Ginny ? De quoi ? De ta petite existence sur laquelle on trébucherait peut-être ? D’avoir la pensée de lever le bras pour te défendre ? Oh, il pourrait en frissonner de tristesse, parce que c’était autre chose de le voir maintenant, dans l’égalité et non le rapport brutal des volontés. Le sentiment de pouvoir n’était jamais aussi fort que lorsque la victime demandait pardon ; et pour connaître ce pouvoir, mystérieusement, Bennett décidait de ne pas rester silencieux, cette fois. « T’as pas à t’excuser quand c’est l’autre qui est en tort. T’as raison. Vaut mieux encore la fermer et prendre le coup que donner ça. Il commencera pour te faire mal, il continuera pour que tu lui demandes pardon. » Aparté étrange, qui dans sa bouche semblait presque naturel ; comme si entre deux frivolités d’artistes et d’étudiants, une obscure leçon de vie pouvait paisiblement s’intercaler sans briser le réseau des rythmes et des regards. Tout se passait comme si il n’était pas lui. Ça ne l’était pas. A cet instant précis, ça ne l’était pas.

Il pouvait se donner l’air d’un imbécile, il l’était à beaucoup d’égards. Mais il avait confiance en sa compréhension des gens. Dans les excuse-moi, il lisait des défaillances de caractère comme chacun en a, des qualités tellement énormes qu’elles devenaient des maladies. La maladie du pardon bouffait la vie, il n’y a pas de docilité, de générosité, d’oubli de soi qui tienne dans l’existence – en tout cas dans le bonheur. Il le savait, ou pensait le savoir : il était du côté des bourreaux, après tout. « Bizarre. J’avais même pas pensé à ça depuis presque quinze minutes. » Même ses épaules à lui sont parcourues d’un rire. Tout cela est absurde, pas vrai. Ça ne devrait pas être. Et ça ne pouvait pas, jusqu’à ce qu’il en décide autrement. Quinze minutes qu’il tenait à sa merci ; quinze minutes qu’il ne trahissait pas. « C’est comme si y’avait deux Bennett. » On y arrivait. Bennett bourreaux des innocents, Bennett défenseur des coupables. Il n’y avait aucun monde où il n’était pas pris dans le paradoxe – la facilité, le penchant naturel vers la malveillance ; l’instinct, l’élan irrésistible de se placer entre la justice et le châtiment. Mais peut-être ne protégeait-il la médiocrité que dans l’espoir qu’une autre âme idiote en ferait de même pour lui. Rien d’admirable là non plus. Essaye encore… « Celui que t’es quand tout le monde regarde, et celui que t’es quand personne te voit. » C’est comme s’il y avait deux Ginny ; celle qu’elle était quand il était là, celle qu’elle était lorsqu’il cessait de lui comprimer les ailes. Ça marchait dans les deux sens – à la nuance près que c’était Bennett qui choisissait la configuration. « Si j’avais su... » Et il ment, bien sûr qu’il ment, bien sûr qu’il ment – bien sûr qu’il est sincère, ça ne pouvait pas en être autrement – oui – non – sans doute… doute… et ses expressions qui suivaient avec une fluidité qui décidément, ne pouvait pas relever de la comédie… et son cœur qui décidément, ne pouvait pas ne pas être rempli de cendre et de sadisme… est-ce qu’il pourrait oser se foutre ouvertement de la gueule de Ginny avec une aisance pareille ? Est-ce qu’on peut disséminer trois points de suspension hésitants face à quelqu’un qui essuyait depuis trop longtemps le tranchant de sa personnalité ? Il était absolument impossible qu’il mente, personne n’était assez salaud pour le faire aussi franchement. Il était absolument impossible qu’il dise la vérité, personne ne serait assez naïf pour croire à cette rédemption de carton mâché. Mais du carton mâché, pour une Ginny de papier de soie, n’était-ce pas déjà garantie de fer et d’airain ? Il hausse les épaules. (Pourquoi pas.) Un Bennett pour le spectacle, un Bennett pour l’invisible. Ah bon… ? « Tu me vois, là, non ? » Et même Ginny parlant d’elle-même, disait personne. Bennet disait tu. « Je m’excuserai pas d’en préférer un plus que l’autre. » Des lumières gaies, pas de celles qui portaient leur poids en ombre dans ses pupilles, dansent sur ses yeux, sur son visage, miroir de l’épanouissement progressif de Ginny, d’une liberté de plus en plus grande qu’il n’avait jamais pris le temps d’apprécier au cours de ses expérimentations sur la résistance psychologique humaine. Elle ne s’excuserait pas – lui non plus. Cette absence de regrets – de conscience ? –, cette habileté dans le mal lui reviendrait peut-être un jour dans la figure, lorsque les années alourdiraient le fardeau de ses fautes au point où l’ignorance ne serait plus un remède. A vingt-cinq ans, Bennett pensait que s’excuser était une bassesse. Il ne s’excuserait pas. Mais ce n’était pas le seul chemin. A errer hors des sentiers battus, on développe un certain sens de l’alternative. « On devrait être rendus à la plage horaire orange, là. » Ses yeux passent sur l’emploi du temps, remontent à Ginny, et il lâche – « Peut-être que tu devrais me reparler de ces graphiques la semaine prochaine au café. » Qu’est-ce qui était en train de se passer ? Rien, rien du tout. Rien que d’infiniment naturel. Rien que la réponse qu’elle lui réclamait tant. Rien que quelque chose de démentiellement inconcevable, dans un univers où il n’y avait pas besoin d’ombres, puisque le noir devenait blanc, le blanc devenait noir, la folie totale ? 2 + 2 = 4. « C’est le bon Bennett qui viendra. » C’est le bon Bennett qui viendra.
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Message(#) Sujet: Re: patterns that fall (bennett) patterns that fall (bennett)  EmptyMer 24 Fév 2021 - 21:22


Les aiguilles de l’horloge au plafond me narguent. À chaque nouveau tour elles pointent les cahiers intouchés, les crayons avec. Les cafés eux, restent la vedette, alors que son gobelet comme celui entre mes doigts semblent être finis depuis un moment déjà. « Oui, c’est sans doute grâce aux brioches. » aux, pluriel. J’ai juste pris une bouchée de la mienne, la sienne est intouchée. Passons. « T’as pas à t’excuser quand c’est l’autre qui est en tort. T’as raison. Vaut mieux encore la fermer et prendre le coup que donner ça. Il commencera pour te faire mal, il continuera pour que tu lui demandes pardon. » mais d’où, de comment? Il a même baissé la voix, Bennett qui agit comme s’il passait son savoir, comme si c’était moi et moi seule qui devait prendre le tout en notes. Il explique et il relativise, il apporte ses points et limite il triche. Ouais, c’est ça, il triche là, clairement. En mettant son jeu sur la table, en dévoilant toutes ses cartes. Toutes? Non, non c’est fait exprès. C’est fait exprès et il ne me pointe que l’endroit où aller pour m’assurer de foncer bien droit vers le mur qu’il a lui-même érigé et faut pas que je tombe dans le piège de sa marche à suivre et faut pas que je crois à sa recette magique et faut surtout pas que je - « Et il finira quand? » pas de conditionnel. Il a parlé de commencer, il a parlé de continuer. Bennett mentionne tout sauf ça, sauf la conclusion. Peut-être parce que ça ne se terminera pas, que ça n’a aucune raison de l’être. Peut-être parce que la fin n’est jamais juste qu’une donnée perdue dans le brouillard, qu’un oasis qu’on croit être capable d’atteindre mais qui ne fait de sens pour personne. Pourquoi est-ce qu’il arrêterait? Qu’est-ce qu’il y gagnerait? C’est un jeu, c’est juste un jeu. J’aimerais tellement qu’il arrête de jouer.

Au moins, l’artiste qui en ces murs n’en a que le nom a mis la partie en pause, depuis quinze minutes. Quinze minutes où son regard sur moi ne brûle pas, quinze minutes où je ne doute pas du moindre de ses mots, de la plus minime de ses confessions. C’est lui qui décide où il va et de quelle manière, mais pour l’une des premières fois depuis que j’ai croisé Bennett dans les couloirs de l’Académie et qu’il a tagguée une cible sur mon dos, je respire bien, mieux. Le dire est aussi étrange que de m’entendre le faire. « Si j’avais su... » à sa voix mes yeux se redressent, à sa suspension mes prunelles s’accrochent aux siennes. Alors c’est comme ça qu’on se sent, quand on réalise que personne n’était bien dans cette situation? Que mon cas ne faisait que s’aggraver sans étonner personne, mais que le sien ne validait pas les limites qu’il franchissait. Je voudrais tellement, j’espèrerais à m’en épuiser qu’il soit honnête maintenant comme il l’est depuis qu’il a mis le pied ici. Je veux juste qu’il réalise, je veux juste qu’il enregistre. Je ne demande même pas qu’il change, sachant que le problème vient bien plus de moi qui le laisse faire que de lui qui prend le monde en entier pour son terrain de guerre. « C’est déjà fait. » et ça ne sert à rien de ressasser. Il a merdé, et maintenant il sait. Il y a deux Bennett. Celui que je donnerais tout pour détester, et celui qui brise le silence d’une question qui ne ferait aucun sens pour qui que ce soit traînant autour de nous. « Tu me vois, là, non ? » quel premier degré, quelle blague, quel parallèle qui inviterait les autres élèves à pouffer de rire quand bien même je n’ai pas besoin de lunettes. Il faudra que j’inspire une longue seconde, il faudra que je prenne le temps de creuser à même ses iris bien moins noirs qu’à l’habitude pour me faire une idée, même si je sais déjà qu’est-ce que je peux bien lui répondre. « Oui. » toi?

Étrange, mais viable. Bizarre, mais concevable. Ce n’est que parce qu’on entend en amont les conversations hors de la bilbiothèque que je réalise l’heure qu’il peut bien être et le retard qui vient avec sur l’horaire du jour. J’avais imaginé tous les scénarios possibles, les avait classés sur des tas de frises du plus extrême à l’autre compte tenu d’à quel point la séance d’aujourd’hui visait l’échec. J’étais prête à prendre le blâme pour bien des choses, bonne petite poire de pacotille qui l’aurait laissé faire, ou qui aurait juste pu rester ici pendant une longue heure à taper du pied en voyant qu’il ne se serait jamais présenté. Mais voilà qu’il est venu. « Peut-être que tu devrais me reparler de ces graphiques la semaine prochaine au café. » et voilà qu’il souhaite revenir, aussi. Tout le monde avait parié que ce tutorat ne durerait qu’un ramassis de quelques minutes sans plus. Tout le monde était persuadé que jamais je n’arriverais à faire sortir quoi que ce soit d’autre de lui que des rires mauvais, quelques soupirs excédés et surtout un bon pied de nez d’absence de plus à son carnet de notes. Tout le monde s’était trompé. « C’est le bon Bennett qui viendra. » j’ignore ce qui se passe, j’ignore ce qui change. J’ignore même si ça n’a pas déjà changé du moment où il a arrêté d’être la version qui me force à m'excuser, d’être plutôt celle que je n’excuse pas. J’ignore quand il est devenu lui mais ce que j’y vois est beau, ce que j’y vois est vrai. Ce qu’il est ne ressemble à rien d’autre de ce que je peux bien connaître, et si on me traite d’idiote et de naïve et de stupide petite gamine aux étoiles plein les yeux soit. Je saurai qu’à un moment un seul, il y a quelque chose de bien qui est sorti de lui. Et ça, ça me suffit. « Tant mieux. » qu’elle annonce avec assurance, ma voix qui guide le geste alors que je laisse glisser entre mes doigts le stylo prévu pour des révisions qui ne verront jamais la lumière du jour. Des révisions qui seront remises à vendredi, 19h30. C’est ce qu’il dit, le message gribouillé sur son avant-bras de la mine de mon marqueur qui conclut d’un “zone orange” comme titre exhaustif.
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