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 and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7)

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Message(#) Sujet: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyMer 24 Fév 2021 - 22:04


Il râle bruyamment. Le nez, c’était le nez qui n’allait pas. (Pour changer.) Trop petit, trop grand, bien moins courbé qu’il ne devrait, bien trop courbé, quelle horreur, non, c’était franchement honteux, plat, énorme, banal, pincé – sans âme, un nez sans âme, un nez mort, voilà tout ce qu’il était capable de produire après trois longues heures d’acharnement. De toute évidence, la moindre once de talent pictural qu’il avait pu posséder était en train de le quitter. Le visage insuffisamment ombré, balafré de fusain avec cette force créatrice qu’il utilisait mal, en barbare frustré par les dizaines de feuilles à grain qui s’accumulaient au pied de sa chaise. (Dizaines seulement… ?) Il ne travaillait évidemment pas pour l’Académie, mais dans le simple objectif de se prouver une bonne fois pour toutes qu’il n’était pas fait pour tenir un crayon dans la main. C’était bien la peine d’avoir cru depuis son enfance qu’il exposerait toiles et compositions dans les galeries de Brisbane ; la sensation que son trait stagnait le désespérait, et parfois il pensait même régresser, tout perdre. Un jour il se réveillerait sans pouvoir écrire son propre nom. Ces dessins qui n’allaient nulle part, ces esquisses comme autant de coups de couteau dans le vide… ! On ne pouvait pas dire qu’il n’y avait pas quelque chose ; c’était un éclair de génie sur quelques centimètres carrés, une soudaine clarté d’exécution, un quart d’inspiration fébrile qui disparaissait rapidement sous une maladresse quelconque que sa patience s’usait à rattraper ; c’était le coup d’œil circonspect d’un professeur, d’un ami ou du bon dieu sur ses feuilles qui étaient un champ de bataille où il poursuivait un adversaire invisible ; il y avait bien quelque chose, mais on ne le voyait déjà plus, sous les rectifications chirurgicales avec lesquelles qu’il s’échinait à gâcher son peu d’aisance. Mais ce nez-là, c’était autre chose… ! Si seulement il pouvait l’avoir, son papier deviendrait un chef d’œuvre, il le vendrait à six millions et irait s’enterrer sur une montagne quelconque pour le restant de ses jours, débarrassé du besoin de créer comme d’une mauvaise grippe. Sauf qu’il ne l’avait pas, ni de profil, ni de face, encore moins de trois quarts – de dos, sans doute, c’était sa meilleure chance… Il ne dessinait plus un visage depuis longtemps, seulement des nez ; à chaque ébauche jetée au sol, un peu de la figure disparaissait devant la nécessité de s’attaquer au problème littéralement central de la figure. Maintenant il ne dessine même plus du tout, il s’est pris la tête dans les mains, laisse ses derniers essais glisser jusque par terre. Que regardait-il dans le noir de ses paupières ? Qu’est-ce qu’il essayait d’ordonner dans le néant, et quelles clés espérait-il agripper à l’intérieur de lui-même ? Quinze pages de badigeonnages informes et de nez, toutes satisfaisantes, mais dont aucune ne correspondait à son insupportable modèle. « Quel artiste engagé. » Il sursaute tandis qu’une, puis deux mains plus douces que sa peau d’artiste hypothermique passent le long de ses épaules. Elle anticipe la grimace, puis la remarque agacée avec laquelle il lui demanderait de se rasseoir, la balaye, penchée à son oreille. « Ça fait trois heures que je bouge pas, j’aurais pu gagner de l’argent pendant ce temps au lieu de papier gâché. » Il la laisse le railler tant qu’elle voudra, l’œil toujours fixé sur ses cadavres d’art dont il s’efforçait de faire le deuil. Peut-être que s’il retournait à la première tentative, il pourrait retracer le chemin de l’erreur, trouver ce qui n’allait pas, le moment précis où ses mains tuaient la réalité… faire l’autopsie des massacrés… « Je pourrais te payer mais ça rendrait notre relation assez problématique, » soupire-t-il en poussant du pied le cimetière de visages qui l’aguichaient silencieusement. « En effet, » répond la voix avant qu’une poignée de doigts ne finisse par détourner Bennett de ses feuilles mortes auxquelles il n’arrivait pas à donner de souffle, au profit de ce qui était bel et bien vivant. Passionné par la vie à un point où ça n’avait même plus de sens ; il sauterait d’un pont pour capter ce nez – un autre nez – quelque chose de parfait. (Pas aujourd’hui.) Lorsque leurs lèvres se séparent, les yeux de Bennett ne peuvent s’empêcher de chercher le nez plutôt que les yeux, comme si après cette éclipse le secret lui apparaitrait nettement, mystère d’ombre ou de proportion qu’il ignorait. Et le nez qui lui résistait s’éloigne de sa joue pour disparaître dans la cuisine.

Dépité mais ne s’en tirant pas si mal, il finit par tendre le bras pour repasser son t-shirt. Il n’y avait aucune trace d’ambiguïté dans les mots échangés avec Paige – elle s’appelait Paige –, et cela n’était évidemment rien qui ressemble en quelque manière que ce soit à une relation, mot qu’il avait employé avec le plus froid cynisme… quant à sa blague… oh, elle était capable d’extorquer de l’argent à ses fréquentations, la subtilité étant que Bennett n’avait pas d’argent. (Horloge.) (Déjà cette heure… ?) Voilà l’explication, le pourquoi du comment, toute la métaphysique d’une journée évaporée ; il s’ennuyait. Rien à faire, à dire, à voir ; une vague sensation de flotter dans l’air, un agenda absolument vide quand bien même il aurait voulu s’acquitter d’une obligation. Il serait même passé à l’administration si on lui avait demandé. Il s’ennuyait, terriblement, et n’avait pas envie de s’ennuyer seul. Il n’aimait pas être seul lorsqu’il n’arrivait à rien faire, car alors il ne lui restait plus qu’à penser qu’il pourrait arriver à faire quelque chose, qu’il pourrait ne pas être seul, fixer le gouffre et attendre patiemment que la noirceur vienne le chercher. Alors, tout à fait logiquement, il avait appelé Paige. Paige était drôle, pas compliquée, d’agréable compagnie et agréable à dessiner, quand il parvenait à la convaincre de rester quelques heures de plus que le temps règlementaire de leurs entrevues. Elle revient, les prunelles moqueuses, un café à la main. Il lui jette un regard oblique. Lui aussi a envie d’un café. Il ne lui demande pas. Ça n’était pas elle qui ferait quoi que ce soit qui excéderait son amusement personnel – c’est pour ça qu’elle était là, pour ça qu’il était là au lieu de fixer le gouffre. Drrrrr, le bruit menaçant de sa machine obsolète ébranle le plan de travail jusqu’à ce que l’odeur du marc remplace dans ses narines ce qu’il restait de parfum féminin. Il se rassoit. Les jambes repliées sous elle, la jeune femme consulte son téléphone. Il ne lui fait aucune remarque, pose son verre pour se saisir d’une cigarette qui avait échappé au sort des autres. Elle ne lui fera aucune remarque. La fumée en intérieur ne gênait ni l’un, ni l’autre. N’empêche, ce nez, ce nez qui lui avait résisté à chaque fois ! Elle a le visage baissé, il la regarde, secoue la tête pour personne, lève les yeux. Son nez ne lui résistait pas, c’était lui qui résistait au papier. Mais il commençait à peine à comprendre que son salut n’était pas dans l’art graphique – et d’ailleurs il n’avait pas envie de réfléchir, il n’y réfléchirait pas ce soir, c’était beaucoup plus intéressant de fumer en buvant son café, même s’il est quelque part autour de dix-neuf heures et qu’ils donnent l’impression de tout juste se réveiller. Tire encore sur la cigarette, prend son temps pour relâcher la brume en molles cascades ascendantes. Il continue de l’observer pensivement, étudiant peut-être le moyen qu’il trouverait pour lui demander de partir le moment venu, pas encore, plus tard ; rêvassant peut-être au jour où il conquerrait la beauté sous quelque forme artistique que ce soit, et qu’il n’aurait plus besoin de l’épier silencieusement autour de lui, clope au doigt, crayons par terre.
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Message(#) Sujet: Re: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyVen 26 Fév 2021 - 21:47


La seule raison pour laquelle Matt ne s’oppose pas à conduire d’un sens à l’autre de la ville pour strictement rien, c’est que justement, c’est strictement rien. Il n’a pas arrêté de passer le trajet à baisser le volume de la radio, à me mettre en garde contre des gars comme ça. Il sait de quoi il parle, lui qui n’a jamais véritablement accordé la moindre importance à ses cours et encore moins maintenant. Roi du beer pong de la fac d’architecture mais complètement paumé du moment où on lui demande à quelle heure sont ses classes le lendemain, où il a rangé ses livres, s’il a pris la moindre note depuis le début du semestre. La seule raison pour laquelle Matt me conduit sans broncher, même s’il doit s’y reprendre à trois fois parce que “le viaduc surplombant le campus de l’Académie est hyper compliqué à capter t’as pas compris Ginny c’est parce que tu conduis pas fais pas genre tu sais ce que tu aurais fait de mieux ok ça s’peut pas je fais mon possible et surtout le raconte jamais à Jill sinon elle va s’en moquer à vie mais genre elle est lourde toi-même tu sais”, c’est parce qu’il est persuadé que Bennett ne viendra pas. Qu’il est sûr à 100%, sans le moindre doute, qu’il n’y a absolument rien à craindre. Lui qui regarde qui que ce soit respire un peu trop près de mon périmètre à la moindre soirée où les parents nous trappent en sachant très bien que je vais finir camouflée par les bibliothèques peu importe où elles peuvent bien se cacher, que Jill finira par partir avec un de leurs consultants à peine un poil plus vieux que Matt et que Matt, lui, finira certainement bourré au Jack Daniels & coca. Mon aîné qui est incapable de concevoir que je n’ai rien de celle qui a besoin d’un chaperon, maintenant qu’il s’en est donné la mission. Celle de personnifier le parfait souffle chaud - suffoquant - derrière ma nuque. Matt est certain que ce soir est une recipe for disaster, l’a dit un millions de fois et de tous les sens possibles. Il a d’autres trucs à foutre que de réviser en soirée. Il a quel âge le gars, 30 ans? Ouais non, il te prendra jamais au sérieux - et autres synonymes ont simplement trouvé un haussement d’épaule de ma part, un sourire incertain mais un sourire tout de même. Mon frère n’y croyait pas, à mes histoires de bénéfice du doute. Il n’achète pas les deuxièmes chances qui en deviennent une infinité à la clé.

Quand il me dépose devant le café, c’est en me faisant promettre de ne pas attendre toute seule trop longtemps et de le rappeler dès que je capte qu’il a raison. Il va pas retourner à la maison, je sais déjà qu’il doit y avoir un bar dans les parages qui lui fait envie. Suffira d’un texto envoyé à sa bande de potes d’université pour qu’ils en fassent leur QG. Oh que je roule des yeux, oui, Ginny 17 ans et des poussières qui roule des yeux comme si elle arrivait à tenir une bribe de sérieux et de prestance. Ils sont traîtres, mes doigts collés par les cookies aux pépites de chocolat qui jouent avec ma ceinture de sécurité. Il va venir, il l’a dit. Oh Ginny.

L’endroit est bondé, c’est la pire heure qu’il soit pour réviser. J’ai pas donné de détails sur quelle table, quelle section, m’en veux à la seconde où je balaie l’endroit des yeux. Les tabourets au comptoir de bois vernis, là où il font des cocktails en plus des cafés spécialités, sont tous occupés. Les tables aussi, celles qui s’éparpillent à travers l’immense pièce aux murs recouverts d'œuvres des étudiants au fil des années, certaines superbes, d’autres discutables. C’est un véritable petit musée d’art contemporain comme d’études de mœurs, dès lors que tout autour de moi il y en a de tous les goûts et pour tous les styles. Un groupe de photographes s’imagine être les prochains réalisateurs de notre génération, croquis et profondeur de champ à la pièce. Un couple de peintres s’occupe à se dessiner l’un l’autre avec toute la gravité et toute l’intensité que le monde ne leur a jamais véritablement données, dont ils abusent. La musique est douce, on l’entend à peine à travers les discussions enflammées qui viennent du booth du fond, là où quelques têtes familières s’obstinent sur la véritable signification du triptyque que Demers nous a donné à analyser pour la semaine prochaine. Oh, oui, vrai, le devoir. Il est déjà complété dans mon sac, revu et révisé. Annoté aussi, aux endroits où je sais que l’enseignant testera Bennett parce que ce ne sont que des détails seulement mentionnés en cours, cours qu’il a largement manqués. Il n’aura pas le diplôme mais au moins il gardera un semblant de dignité devant un professeur qui a décidé de le prendre en grippe pour le reste de l'histoire de l’humanité. Un cold brew pour moi, l’ironie des doigts glacés qui le resteront, et un arabica corsé avec des notes de bois et de noisettes pour lui. C’était ce qu’il avait bu la dernière fois, j’avais choisi au hasard, ça avait résulté en un gobelet vide en quelques gorgées à peine. Je retiens.

Il n’est pas là et Matt a raison. En soi, il n’a pas encore besoin d’être là quand un coup d'œil à l’horloge me confirme que je suis - trop - en avance. Un booth se libère, j’en profite pour m’y faufiler avec le sourire solaire de celle qui a une bonne raison de prendre quatre places rien que pour elle dans un café entièrement plein à craquer. On ne se gênera pas pour passer à plusieurs reprises me demander si je suis certaine d’en avoir besoin, si je ne veux pas troquer contre la petite chaise de bois aussi dangereusement instable qu’inconfortable en bordure de la grande baie vitrée qui fait office de devanture au commerce. Non, non ça va. J’étale mes livres et mes cahiers de notes, en sors mes crayons et mes fusains, ignore ceux qui continuent de débattre à savoir à quoi pouvait bien penser Pollock quand il étalait ses canevas au sol et qu’il s’en faisait roi. Ils n’ont rien compris, mais je ne dis rien, calée sur mon siège, une gorgée de café plus tard. Ils n’ont rien compris, et il viendra.
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Message(#) Sujet: Re: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyMar 2 Mar 2021 - 23:54


Le café est atrocement fade aujourd’hui. C’est le même café qu’hier – il était délicieux –, le même que demain – il le sera aussi ; aujourd’hui il est fade. Il est certain que celui de Paige est bien meilleur, que la machine est programmée pour l’emmerder, dès qu’il osait poser ses doigts lui-même sur la pression. Chaque gorgée insipide est compensée par la légère décharge de plaisir arrachée à sa cigarette ; légère et de plus en plus légère, foutue tolérance ; l’instrument se mutile rapidement entre ses doigts. A défaut de cendrier, c’est la tasse du café précédent qui en recueille les décombres. Cela fait de petites villes poudreuses et grises dans un reste de liquide noir – des lacs de pétrole ; les restes d’incandescences donnent des cheminées aux villes, des lumières aux fenêtres, ou de brefs incendies qui ne tuaient personne. « Tu fumes trop, » lui lance-t-elle en le voyant fouiller machinalement le paquet vide. Paquet vide… quelle idée de naître dans un pays où il était si cher de perdre son souffle. Par ailleurs Paige fumait plus que lui. Un exploit dont elle devrait se vanter un peu plus, à son humble avis. « Je pensais que tu serais trop occupée à faire semblant de parler à quelqu’un pour le remarquer. » Il achève ses mots en se levant, cherche son propre portable avec la vague impression qu’il y aurait quelque chose à y voir, une notification perdue qui lui donnerait le sens de cette journée qui n’en avait pas (vingt-deux mai, ça devait bien vouloir dire quelque chose, vingt-deux mai). Mais Paige a beau laisser sonner, l’appartement ne résonne que des efforts du jeune homme pour débusquer l’introuvable – il finit par abandonner. Si aucun coup de fil n’était arrivé plus tôt, il n’en arriverait pas plus tard, et son erreur de l’avoir mis en silencieux devenait une simple anticipation. Réfléchis quand même. Un vendredi où il ne se passe rien, un vendredi sans substance, comme s’il avait sciemment décidé de reporter toutes ses occupations à un autre jour… ça ne lui ressemblait pas. Mais rien n’y faisait. Hausse les épaules. Il avait confiance en son esprit ; s’il avait oublié, c’était que ça n’avait aucune espèce d’importance. « On sort. » Pardon ? Ce on qui ne désignait rien du tout, et dont elle savait qu’il ne désignait rien, lui écorche les oreilles. « Il est dix-neuf heures, » fait-il sans lui-même savoir s’il sous-entendait qu’il était trop tôt ou trop tard pour parcourir la ville en quête d’adrénaline. « Les gens sortent à dix-neuf heures. » Mais il est dix-neuf heures dans un corps insomniaque et décapé par le tabac et l’alcool, répondrait-il si ses vingt-cinq ans ne lui prouvaient pas pour l’instant leur parfaite résistance à l’épreuve des excès. Il usait de son sac d’os et de chair à la manière d’un véhicule-test – comme si, au terme de sa jeunesse, on devait lui en fournir un nouveau, flambant neuf, épuré et prêt à repartir avec la même frénésie. Il s’appuie contre le mur, mutique, attitude qu’il observait lorsqu’il savait que les problèmes se résoudraient d’eux-mêmes. Son intervention verbale, dans ce jeu du chat et de la souris scripté jusqu’à la moelle, serait superflue. Paige assurait très bien tous les rôles à elle seule, et il n’avait qu’à corriger l’intention une fois de temps en temps, lorsque ça ne sonnait pas assez faux. « T’as pas envie qu’on me voie avec toi, c’est ça ? » Piaille-t-elle avec la dérision qu’ils partageaient pour toutes les formes d’affection naïve. Curieusement, au lieu de lui renvoyer une contre-attaque caustique qui ferait mal à tout ce qui pouvait exister de sincère et de pur en ce monde, Bennett laisse passer, fixé sur l’invisible forme de son téléphone disparu. Il ne pouvait pas l’avoir perdu dans trente mètres carrés, tout de même ? Il n’avait pas appelé Paige en criant par la fenêtre… ?

Habituellement, elle l’aurait assailli de railleries mordantes, décortiqué chacune de ses expressions pour en tirer la conclusion qu’il avait changé, qu’il avait quelque chose derrière la tête, ou qu’il était devenu sentimental. Habituellement, Bennett aurait suivi ; habituellement, habituellement. Si elle ne le fait pas, c’est peut-être par lassitude de combattre un adversaire qui avait baissé les armes, et attendait tranquillement la fin de la bataille comme on reste à l’écart de la file d’attente à l’heure de pointe. Peut-être parce que tous les jeux finissent par s’user, même la divertissante comédie enrobant leur caprice d’un sursaut hors de la monotonie. « T’es bizarre. » Caprice à plat sur la table, défaillance des acteurs. Série B qui n’essayait pas d’être plus, qui connaissait son public et ses ambitions, ne s’adressant pas aux cadres supérieurs de la vie. Quand même, ça ne faisait pas partie des choses qu’elle dirait d’ordinaire. Mais l’exception devient la règle, et la succession des parenthèses finit par devenir le texte principal. Il suppose – c’était l’hypothèse fondamentale – qu’elle joue encore, ne relève pas, ne se défend pas, ce qui aurait signifié perdre. « Ton nez qui est bizarre. » A gamine, gamin et demi. Ils seraient peut-être sortis, si elle avait eu l’obligeance de lui fournir une loterie génétique nasale moins complexe. Elle ne lève même pas les yeux, habituée à cette critique récurrente qui ne l’atteignait pas. D’ailleurs son nez n’était pas exactement laid, il était inexprimable, ce qui formait une nuance importante qu’elle aimait à souligner. De toute façon, la perfection que Bennett se souciait d’atteindre dans l’art ne faisait pas de discrimination de disgrâce ou de beauté ; elle voyait plus loin. Pensait-il sans savoir où. « Je le ferai refaire d’ici la prochaine fois, » réplique Paige en enfilant son jean. Dix-neuf heures… Une pince à cheveux, un regard à la ronde pour vérifier qu’il n’y avait pas d’autre miroir que celui de la salle de bains. Elle passe devant lui pour la rejoindre. « Qui te dit qu’il y aura une prochaine fois ? » C’était cadeau. Elle se retourne, hausse ironiquement les sourcils, et désigne d’un geste la pièce entière, preuve s’il en fallait. Disparaît de sa vue pour plonger dans son miroir, dans ses cheveux. La pièce qui contenait le canapé de ses travers, la tasse pleine de cendres, l’échec de son art, tous les signes de son insupportable persévérance dans cette vie de satisfaction suffisante, à la marge, à ce qu’il ne devienne pas fou – la pièce qui le contenait lui, et lui seul, maintenant qu’elle se recoiffait. La pièce dont il ne sortait pas. Seul, mais avec ses médicaments temporaires comme Paige. Il n’avait pas peur de la solitude. Preuve s’il en fallait…
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Message(#) Sujet: Re: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyMer 3 Mar 2021 - 23:06


Ça me fait pas peur, la solitude. Ça ne me fait pas de mal non plus, au contraire, alors que dans le plus naturel des élans j’en viens à croiser mes jambes en indien sur la banquette de la plus impolie des façons. J’ai du temps pour tout faire avant qu’il n’arrive. J’ai le temps de finir le chapitre que j’étirais depuis des jours parce que le livre en entier était bien trop captivant, que je m’en voulais à fond de le lire si vite. J’ai même le temps de commencer un autre bouquin, celui de sûreté qui reste toujours calé au fond de mon sac à dos éternellement trois fois trop lourd donc du poids normal qu’il finit toujours par avoir. J’ai le temps de remonter mes cheveux en un chignon qui n’en a que le nom, comme de partir à la recherche exhaustive de mon pinceau préféré à travers les dépouilles de cahiers, de carnets, de feuilles et de clichés qui s’accumulent pêle-mêle dans le dit sac désormais vidé de tout livre, de tout matériel artistique. Personne ne râlera que j’ai pris une place trop grande pour moi seule parce que l’entièreté de mes affaires suggère qu’il y a probablement quatre autres personnes qui sont là, dans les parages, ambiantes et avec moi. C’est le paradis pour la bordélique que je peux bien être, d’avoir accès à tout ce dont j’ai besoin à portée de main. Tantôt, c’est mon argentique qui devient le héros de la soirée, celui avec lequel je m’amuse d’ombres et de lumière, de contrastes et de profondeur. J’immortalise des visages et des profils, joue des guirlandes illuminées qui bordent les murs et le plafond du café et qui font de drôles d’effets, quand le boîtier et sa lentille fuient à la seconde où le cliquetis retentit. Tantôt, ce sont mes esquisses qui reprennent du tonus, maintenant que mes fusains se chargent de me salir autant le bout des doigts que les joues, que les plis de mon jeans qui récupère au final toutes les retailles sans jamais se plaindre. Tantôt, ce sont de vieux négatifs accumulés en classe de photo et de vieilles photographies tout court, qui en viennent à se retrouver barbouillés de restes de peinture dans une suite logique d’un travail récompensé par les professeurs, par le bon Bennett aussi.

« Il arrive, d’ici dix minutes maximum. » celui qui a arrêté de me donner l’impression d’être une silhouette toujours prête à apparaître dans un sursaut au détour d’un couloir, ou à surgir avec la moindre insulte en aparté. Il a changé depuis la dernière fois. J’arriverais pas à dire comment ni pourquoi mais je suis certaine qu’il a changé, qu’il a entendu, compris. Il ne parle jamais de ces choses-là et le voilà qui en avait parlé et ça veut dire quelque chose, je sais que ça veut dire quelque chose. Quand on passe à ma table me demander si j’en ai pour encore longtemps à me prendre pour une version édulcorée de Leibovitz, Kandinsky ou Jourdan, c’est avec un immense sourire que je rassure la serveuse à peine plus vieille que moi, celle qui ajoute une nouvelle portion de café à mon verre rempli de glace mais désormais lamentablement vide au passage. La tasse de Bennett me nargue mais je ne la vois pas, bien trop occupée à révolutionner le monde de l’ordre et du rangement maintenant que je m’investis de la mission de voir à quoi ressembleraient mes affaires si elles étaient classées en ordre de couleur. Ça m’occupe pendant une bonne poignée de minutes, suffisantes pour venir avec quelques éclats de rire, deux trois moments où j’en arque la nuque à me demander si tel bleu est plutôt lavande ou Provence.

« Juste cinq minutes encore. » de l’ordre des couleurs je passe à celui alphabétique. Livre vient avant pastels, notes de cours se retrouve en suspens entre mes doigts maintenant que j’ignore si sa place se trouve avant diagramme de révisions ou après organigramme des examens. La même serveuse et son même sourire solaire, la même question et ma réponse qui varie de cinq minutes de jeu, sans même jeter un coup d’œil à ma montre cassée de je ne sais plus quel atelier de sculpture. C’est à ce point que je sais, que j’en suis persuadée. Pas juste parce qu’il l’a dit, mais parce que je ne peux juste pas le concevoir. C’est ça le soucis, avec les secondes chances, avec la capacité de croire que qui que ce soit sur cette planète est en mesure de faire les choses bien au moins une fois dans sa vie. Jill me le reproche tout le temps, Matt fait pareil en haussant le sourcil immanquablement. C’est inné pourtant, clair et limpide à mes yeux. Une fois qu’une fissure a laissé paraître qu’il y avait plus, qu’il y avait mieux, ce n’est qu’une question de temps avant que ça en devienne la normalité.

« T’es sûre? » pas elle. Elle ne l’est pas la serveuse, pas plus que le petit groupe de poètes approximatifs du pan lettres de l’Académie qui tapent tous du pied dans l’embrassure du café. Ils sont kitsch à mort avec leurs pulls noirs à col roulé, avec leur peau pâle et diaphane de pseudo-fan de The Raven, avec leur air blasé en permanence. Les artistes avec un grand A qui lorgnent sur mon booth mais surtout sur la possibilité que j’ai fait tout ça exprès. Bien sûr que non, rien de tout ça n’est volontaire. « Certaine. » et son retard encore moins. Quand mes prunelles remontent une fraction de seconde à peine vers l’horloge au mur, je me déteste de douter, c’est pas juste Ginny, il a une bonne raison. Il est pris dans les embouteillages. Il est pris à l’école. Il est pris au comptoir à ne pas savoir quelles sont les meilleures brioches à emporter à notre table. Il est pris à chercher un parking – est-ce qu’il conduit, seulement? Ou alors, plus plausible encore, il est passé à la bibliothèque parce qu’il a oublié que c’était ici qu’on se rejoignait ce soir. Oublié. Quel drôle de concept.
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Message(#) Sujet: Re: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyMar 16 Mar 2021 - 23:34


Il est seul dans l’appartement, ce n’est pas un problème, on est vendredi soir, beaucoup de gens sont seuls dans leur appartement le vendredi soir. Au départ d’une silhouette répond l’impatiente chanson d’un orage d’été – il attend son étudiant préféré, le mors aux lèvres. Personne n’a peur de la solitude, et Bennett a trop d’amis dans son crâne pour s’ennuyer longtemps – ils s’appellent vanité, saoulerie, faiblesse, marasme, et ils sont nombreux, et ils sont plus nombreux que ça ; certains n’ont pas de nom, je ne les reconnaitrais pas si je les croisais dans la rue. Ils le saluent ; ils savent tout de lui. Ils lui sourient – ils ont tout ce qu’il veut. Ils s’installent en face de lui, avec leurs faces difformes cernées d’attraits monstrueux, et leur laideur est séduisante parce qu’elle n’a pas de fond. Les fleurs du mal, dirait l’autre, mais il était mort et les morts ont tort. Les fleurs du bien ? – Soyons sérieux. – Virevoltance vertigineuse des vérités du vice, soupirant d’amènes accalmies, au hasard de l’averse. Il pleut maintenant, et Bennett renonce à ouvrir la fenêtre pour marier l’étincelle et la cigarette entre index et majeur, eux unis de longue date. Personne ici n’a peur de la solitude. La fumée stagne dans le salon. C’est bien la peine de le répéter. D’ailleurs quoi ? Qu’est-ce qu’on en fait ? On la plie, on la rogne ? Des cocottes ? Ou des singes ? Les individus ont une certaine dose de compatibilité, une certaine dose d’amusement à fournir, certaines qualités, beaucoup de défauts aussi ; il ne fallait pas leur en demander plus que ça, et la solitude était un mythe, puisque son opposé n’existait pas. Il ne le recherchait pas. Toi tu ne recherches rien. Mais je suis le seul exemple qui en vaille la peine, et mes névroses sont couvertes par ma religion de terre brûlée. L’heure tourne, il n’aime pas cette expression, il ne fait rien, il devrait ouvrir la fenêtre, l’heure tourne. Et tu mens. Je cherche quelque chose ; je fais juste en sorte de ne pas le trouver. Bennett referme la porte sur l’obscurité, qui n’avait rien de physique, tout à fait interne, émise, des trois pièces où il ne faut que quelques minutes d’errance pour retrouver l’ordre minutieux de toutes choses. Avalées, les traces de passage, au terme d’une chaîne d’hygiène relationnelle qui ferait presque oublier qu’il fréquentait des êtres humains. Qu’est-ce que c’était, être seul ? On est seul dans sa tête, on le reste bien. Quelle guerre à mener là qui finisse pas sur tapis vert ? Et puis c’est tout ce qu’il sait faire, batailler contre les objets au lieu de ranger sa vie. Connerie. Si c’est propre, rien à dire, et ça brille, c’est tellement impeccable qu’on a envie de saigner du nez dessus, ou plus encore – pour la Beauté, avec une grande lettre et des lettres aussi, du courrier, pour demander où qu’il fallait la recycler. « Putain, » fulmine-t-il en secouant la cendre tombée sur le dos de sa main. Caler les chaises contre les tables avant d’aller fracasser quelque chose – son avenir, lui-même, la mâchoire d’un cher ami, qu’importe ? Lui-même restait la meilleure cible, et d’ailleurs pourquoi n’évitait-il pas Auden ou ce genre de fréquentations douteuses, si ce n’était par pente naturelle vers la violence ? Diffuse, décalquée, trouvée par hasard ; choisissait ses belladones avec un soin d’apothicaire ; non, pas la cocaïne, ni le sucre, la liqueur, voilà, quelque chose de tout à fait normal à cet âge, et puis de répandu ; ni la recherche du métal dans la bouche dans les guerres de bandes, simplement un ennemi attitré ; Bennett faisait les choses avec noblesse, se déglinguait dans la classe, voyez, il fallait que ça ait de la gueule pour le jour où… Ouais, allo ? On devait pas aller quelque part ce soir ? Du tout, mais trois-quatre personnes à l’autre bout de la ville, si tu veux, dans le bar où… Au bout du fil, confirmation qu’il ne devait rien à personne ; je verrai si je passe ; il ne passera pas ; Bennett ramasse les feuilles éparses dans l’automne de la création – c’est que tout ce qu’il y mettait se fanait et dégageait cette odeur humide, larmes de saison déteintes dans la pluie, le fusain dans ses doigts sales et noirs de mineur de charbon. Dégueulasse, tout ce qu'il dessinait. Ça le traverse avec brutalité, ça pue la souffrance et le grain hurle qu'on l'achève – alors Bennett extermine le papier, Bennett ferme les carnets épars et les déporte aux endroits où il ne les verra plus – il se chasse encore dans les objets. La commode est son mépris des gens, la table basse, sans doute l’orgueil qui le mine ; ça avait toujours été une histoire de meubles, et le jeune homme procède à la vaporisation des preuves qu’il avait déjà tenu un crayon en main. Feuillets percés, calepins qui avaient la rage pour lui qui n’avait pas de vaccin, registres des colères qu’il ne montrait pas – la colère est tellement indigne de lui, lui qui est digne de tout. Vaporisées, les calepins. Dans l’un d’eux, qu’il n’aurait rationnellement pas dû planquer, puisqu’il contenait une esquisse due pour l’Académie jeudi prochain ; dans l’un d’eux qui aurait justement dû, selon la logique même de Bennett, passer entre les mailles de la foudre ; une inscription récente fait son deuil d’hiver. Ginny, 19h30, au bar. Vendredi. Lorsqu’il allume la télévision – Bennett déteste la télévision –, il est vingt heures sept.
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Message(#) Sujet: Re: and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) and i don't really care, you're running 'round over there (ginnett #7) EmptyMer 17 Mar 2021 - 23:35


J’ai pas son numéro de téléphone.
Je suis conne et j’ai pas son numéro de téléphone.

Pourquoi est-ce qu’il me l’aurait donné de toute façon? C’est trop intime, c’est trop dans sa bulle, c’est une trop grosse part de sa vie. Je n’ai rien à voir à ce point dans son quotidien. Y’a une coupure entre lui et moi et elle sera toujours là, pourtant pour l’heure je m’en veux royalement de ne pas avoir autre chose pour contacter Bennett que l’espoir futile qu’il téléphone au café. Qu’il appelle pour avertir, pour expliquer, pour prouver ce que siège vide et arabica froid face à moi n’arriveront jamais à réussir à démontrer. C’est ma faute si je n’ai pas été claire sur le lieu et sur l’heure, c’est ma faute s’il doit tourner comme un lion en cage à taper du pied, à rager sur mon cas, à perdre son temps à cause de moi là où logiquement je devrais être. Là où je me suis trompée à ne pas aller. J’ai oublié si y’a eu un changement, j’ai oublié si y’a eu une circonstance atténuante. Est-ce qu’il avait dit au café, ou à l’auditorium? Est-ce qu’il avait parlé de passer se rejoindre devant la bibliothèque avant de venir, ou est-ce que je suis juste là la mauvaise journée, à la mauvaise heure, sur le mauvais banc? La liste des raisons s’accumule au fur et à mesure que les regards noirs font de même dans ma direction. Les hipsters à l’eyeliner aussi foncé que l’encre tatouant leurs bras sont rejoints dans la file d’attente par une salve de professeurs qui passent prendre un verre à la fin de leur semaine de travail. Un booth de quatre places et trois sont occupées par mes livres et mes appréhensions, par les reproches que je me fais toute seule comme une grande et par l’assurance que c’est juste un malentendu, juste une erreur de compréhension. Juste, juste, juste.

« Qu’est-ce que je disais. » à la serveuse qui a abandonné sa mission pure et dure de me faire sentir comme une intruse et/ou de s’associer à une possible overdose de café – c’est bien mal me connaître que de croire que 3 cafés going on 4 me feraient quelque effet que ce soit – s’additionnent Matt et sa voix chantante qui finit par venir se glisser sur la place face à moi. Celle qui n’est pas la sienne, celle que Bennett investira dans quelques minutes en s’énervant de mon retard, en reversant son breuvage sur mes feuilles comme un énième acte de rébellion bien mérité. On y croit. Matt chantonne, Matt a bu mais juste un peu. Son regard n’est pas trop vitreux, il sent le rhum mais il sent le coca aussi. Qu’il nargue ne fait que me donner un argument de plus à lui mettre sous le nez, prête à justifier à quel point il avait tort dès que Ben- « Y’a un food truck à tacos sur ton campus. J’aurais dû faire art. » pour le moment, il fait la conversation. L’aîné qui boit en deux gorgées top chrono la tasse destinée à un autre, qui laisse déjà son regard farfouiller les visages et analyser les candidates potentielles aux alentours. Il s’arrête sur une blonde de ma classe de croquis, au même moment où je laisse échapper un rire, secoue la tête de la négative en désapprobation même si mon avis ne sera jamais pris en compte. Il aurait dû faire art et il aurait dû faire bien des choses, il aurait dû faire n’importe quoi sauf architecture, l’enfant (tout sauf) prodige qui tente éternellement de suivre les traces de papa dans l’espoir que ça paiera un jour. Moi, je joue avec mes crayons et moi, je replace mes cahiers, ayant désormais une raison d’avoir l’air occupée à préparer ma séance de tutorat maintenant que mon frère est là pour en être témoin. Il secoue la jambe nerveusement sous la table, ça, c’est son réflexe de quand il est prêt à s’envoler ailleurs, de quand il est déjà sur le point de partir incapable de rester posé plus de cinq minutes et encore. « C’est pas ta faute. C’est la sienne. » incapable de me laisser là aussi. Il se moque Matt, il pique au possible. Mais lorsque je relève la tête et croise ses prunelles, ses vannes de monsieur je sais tout j’ai tout vu j’ai tout entendu je connais la race humaine et encore plus les racailles masculines en son genre n’est plus. Il essaie vraiment de rassurer, de faire au mieux. Il savait, il le dira autant de fois qu’il le faudra, mais il sait ça aussi. Mes doigts se sont arrêtés pendant un moment qui semble être aussi bref qu’effacé, de se triturer contre les rebords de la table au bois gravé.

Il attend Matt, il ne force pas. Je jure que sa jambe sous la table ralentit sa cadence aussi. Moi, j’ai le parfait petit kit de la tutrice qui se met en place sous ses yeux, la bonne page et le bon graphique, les bonnes notes de classe et les bons récapitulatifs. « Tu viens, là? » il a attendu les quinze minutes règlementaires, je le sais parce que j’ai regardé une nouvelle fois l’horloge, en m’en voulant encore plus. Tu peux pas donner de secondes chances, Ginny, et les faire venir avec leur lot de doutes, de responsabilités venimeuses. C’est comme donner un cadeau et en attendre un en retour. C’est comme prendre part à une conversation dont le seul but est de s’entendre parler. C’est pas comme ça que ça fonctionne, c’est pas comme ça que je fonctionne, et si le second Bennett existe c’est pas du tout en doutant de lui même une fraction de seconde que je ferai mes classes, serai prise au sérieux ensuite. Matt s’en fout, des deux Bennett, de Bennett en général. Au point où il se met simultanément à ranger mes affaires avec beaucoup trop d’ordre et de minutie, lui qui essaie de gagner du temps parce qu’au final il doit se dire qu’autant j’attends autant j’ai de chances de comprendre ce qu’il semble savoir depuis le tout début. Sadique grand frère qui est pris à son propre jeu alors que je finis par rattraper une mèche pour la glisser derrière mon oreille, et qu’au même moment mes prunelles se perdent vers l’entrebâillement menant vers la terrasse du commerce. « Non attends, c’est lui! » y’a une tête brune, y’a une silhouette qui a l’air de traîner de la patte. Y’a même un écran de fumée qui flotte au-dessus de lui comme si j’avais besoin d’une confirmation de plus. C’est stupide de voir à quel point j’arbore l’œil brillant et le sourire de la victorieuse à mon tour, c’est stupide comment je me hisse vite sur mon siège, le bras avec, l’agitant pour attirer l’attention de celui qui confirmera ce que je me tue à dire à quiconque s’évertue à prêter les pires intentions du monde à Bennett depuis cet après-midi-là à la bibliothèque et -

Et c’est pas lui.
Bien sûr que ce n’est pas lui Ginny.
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