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 dusted us over, covered us under (ginnett #10)

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Message(#) Sujet: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyMar 27 Avr 2021, 22:15


Qui fait ça. Qui ne cherche même pas de où ni de comment, qui fait juste apparaître et croire que c’est normal, que c’est juste ainsi que se déroulent les choses. Qui attend à la veille pour soumettre un dossier prêt depuis des semaines – presque – prêt. Qui prend un taxi en pleine nuit, qui ne dort pas la nuit, qui n’aime pas la nuit, mais ne la déteste pas non plus. Qui cherche ses mots en sachant très bien qu’elle pourrait ne rien dire, qui pianote du bout des doigts dans le vide, qui est persuadée qu’elle a oublié le formulaire caché sous des piles et des piles de dossiers à l’Académie. Qui demande par deux fois au chauffeur de changer de route, qui réalise que le dit formulaire est bien là, pas dans la pochette du fichier, non, directement sur ses cuisses depuis tout ce temps. Qui hésite. Qui regrette. Qui a confiance. Qui refuse, qui accepte. Qui comprend et qui ne comprend pas, qui compte les feux rouges et maudit les feux verts, non l’inverse. Qui va ouvrir, qui sera de l’autre côté de la porte, qui ne passe pas par la porte principale, qui cherche de la lumière. Qui en voit, un faisceau sans surprise aucune à travers cette fenêtre-là, bordant cette pièce-là, dans cet atelier-là. Qui répondra, qui répondra pas. Qui est une référence dans son domaine et croit que je pourrais bien en être une dans le mien. Sur papier, c’est un juste retour des choses. C’est un ascenseur (pas du genre social, Bennett n’est pas sociable, Bennett ne parle pas, Bennett ne me parle pas) ou un échange de services, c’est un troc ou une manière de bien clore les restes qui restent. Certains y verraient même une sorte d’absolution, une bénédiction venue quinze ans trop tard de quelqu’un qui s’en contrefichait à l’époque et qui s’en contrefichera encore aujourd’hui.

Qui attend qu’il tourne le dos pour faire du bruit, qui arrête lorsqu’il détourne la tête vers la fenêtre. Qui se dit que c’est pathétique, que c’est risible, que les adultes et les grandes personnes et juste les gens civilisés cognent ou sonnent d’habitude. Qui réalise qu’il est minuit passé. Qui gratte, alors, le cadre de bois qui laissera quinze échardes et dix autres dans son sillage sans que mes doigts n’aient véritablement mal eux qui ont vécu bien pire, bien plus pire que ça. À un moment il doit entendre, il est pas idiot, quoique j’ai bien trouvé tous les synonymes qui pourraient s’y attribuer depuis la dernière fois. Depuis les derniers mots, les siens, ceux que j’ai détestés presque autant que je l’ai détesté lui-même. Je ne suis pas retournée au groupe de parole depuis. Je n’ai même pas pensé y aller à nouveau, pas une seule reprise, pas une seule date et aucun rendez-vous n’est remonté à ma mémoire qui s’est elle-même félicité d’être particulièrement sélective dans son bonheur. Jill a trouvé une autre alternative, une nouvelle manière de guérir mieux, des visages connus et quelque chose de tangible, j’y suis allée. C’est une psychologue qui utilise peu de mots et beaucoup de hochements de la tête, c’est une dame au nom de famille imprononçable qu’elle nous force à ne pas prononcer justement, préférant qu’on l’appelle par son prénom, qu’on soit familières. Une aînée et sa cadette qui ont vidé leur sac par deux, trois, mille occurences depuis. Et plus aucun groupe de parole. Je n’y parlais pas de toute façon. Lui oui. Trop, fort, mal. Mais il a dit la vérité. Non, moi je l’ai dite. Lui il arrivait pas à l’entendre. Il t’a vue, il te regarde. Pas du tout, il est occupé à – oh.

Quand la fenêtre s’ouvre, tous les discours et toutes les justifications et toutes les explications et la salve des traditionnelles excuses n’ont pas lieu d’être. J’ai consciemment mémorisé des trous d’air, j’ai appris par cœur des silences et j’ai jonglé avec tout le mutisme dont j’étais capable. J’anticipe même rien, rien du tout. Pas de froncements de sourcils, pas de raclement de gorge. Pas de regard noir, pas de menaces, pas d’insultes. Pas la moindre trace d’incompréhension aussi, ce qu’il aurait totalement le droit de démontrer Bennett, dès lors qu’un fantôme du passé vient perdre son ombre le long du mur qui délimite son espace à vivre, son espace de travail, rien que pour une raison stupide et sordide et idiote et arrête Ginny. C’est pas stupide. C’est pas sordide. C’est pas idiot. C’est tout ce qu’il me reste, et le simple fait de lui remettre ce pouvoir-là entre les mains m’aurait terrifié, il y a à peine quelques semaines de ça. Maintenant je n’y pense plus. Maintenant je demande, j’explique, je parle, je fais. Et lui visiblement, il ne fait rien. Il attend, qui n’attendrait pas ; il attend quoi? Il attend que tu demandes et que tu expliques, que tu parles et que tu - « Est-ce que tu peux signer ça s’il-te-plaît. Après je pars, promis. » après je pars pour de vrai.

Ça. Ça c’est une lettre de recommandation, t’as vu Bennett, l’en-tête le dit. Et l’en-tête parle de Sydney et de l’école qui y est reliée, elle nargue de l’adresse et des kilomètres qui l’éloignent d’ici. Les champs sont libres, vides, blanc sur blanc, pas de noir. Il n’a pas de stylo et je n’en ai pas non plus, il travaille au plomb Bennett, je suis certaine qu’il n’a rien pour signer et ça fait pas professionnel du tout à la mine et je pense que j’ai un pastel, dans mon sac, t’as même pas ton sac Ginny, il est resté dans la voiture. Le taxi ; le taxi est parti. Qu’il signe, que je parte moi aussi.

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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyLun 03 Mai 2021, 01:43


Ce n’était pas la victoire de Samothrace, mais contre toute attente, il n’éprouvait pas – encore – le besoin urgent d’y creuser une énième retouche ou, selon les humeurs de son despotisme, une refonte totale. La vaste poche de calme et de nuit qui le supporte est de toute façon trop étanche pour qu’il se hasarde à la percer d’un maillet contre la pierre. Alors Bennett bouge ou ne bouge pas, erre dans sa glyptothèque personnelle, salue des morts et des incurables, tous figés dans le moyen qu’avait choisi le sculpteur pour enfermer leur âme volatile et l’exhiber au grand monde – pour usage individuel, aussi, quand il avait besoin de quelque créature sans défense pour parler de projets et puis ne pas leur mentir, comme il n’y avait pas de projet. C’était cette figure obscurément achillesque dans le coin nord-est qui soutenait le mieux la conversation ; relents de classicisme d’un autre âge ; se figurer qu’elle était supérieure aux créations plus alambiquées, modernes ou cryptées qui peuplaient le refuge l’aidait à garder la tête haute, lorsqu’il fallait que Bennett riposte d’une argumentation cristalline sur les raisons de la supériorité de la connaissance anatomique de tel inconnu sur tel autre inconnu. Pseudo-Achille acquiesçait, ou était-ce l’ampoule qui grillotait dans le soir ? Il fait déjà noir, allume l’autre. Il en avait mis une autre. Achille vieillit bien. Il en pense quoi ? Il avait d’autres ambitions, il avait voulu l’expo d’automne, Achille sans talon, Achille juste visage, Achille qui n’intéressait plus personne depuis que l’Antiquité et les mythes ne servaient que pour peupler les fontaines publiques. Les bouquins d’art de Bennett, dont la censure ne laisse souvent que les images, sont peuplés de ces mythologies grecques et romaines, d’Enée arrivant en Italie, de péripéties odysséennes. L’Europe où il n’a jamais mis les pieds l’a incrusté de ses légendes. Bennett fustige les imitateurs pendant le jour, rêve de Renaissance et d’art grec pendant la nuit ; Bennett fustige bien ce qu’il veut, Bennett rêve de temps qui n’existent pas, suspendus à sa propre hallucination, Achille sans faiblesse crevé d’une pneumonie en 1987, qui le regarde avec cette agonie souriante, qui pense que c’est lui, la statue. (Il avait une autre idée.) Enfin c’est opaque, ce qui se passe dans ses yeux, personne ne savait trop bien. Ouverts mais ailleurs ; immobile. Les heures qui ne trouvent pas leur réalisation dans le sommeil sont des heures où Bennett, au centre de lui-même, observe s’animer des pensées dont il n’a personne à qui faire profiter ; qui ont leur source et leur mort en lui. Qui ne sont rien du tout, et qu’il traduit en marbre. Comme on avait traduit les objets en sons. Les mirages, en religions.

Le chat est là. Plus insistant que d’habitude ; Bennett s’arrache au tabouret qui le gardait vissé à l’intérieur de son crâne pour s’avancer vers la fenêtre, tirer la mousseline floue, siffler pour signaler sa présence au félin  – « T’es en avance, toi… » Souffle-t-il en ouvrant précautionneusement les volets, tandis que – mmh. (Ce… ?) Il avait peut-être besoin de sommeil, finalement. Parce que la présence de – la présence de Ginny, sous sa fenêtre, lui paraissait tout de même hautement improbable. (T’en penses quoi, Achille ?) Pas de chat, s’il se demandait encore. Juste… (Qu’était Ginny exactement ?) Juste la seule personne qu’il ne s’étonnait presque pas de retrouver dans cette situation, sans doute.  Situation. C’est drôle. Ce n’est pas très drôle. « Est-ce que tu peux signer ça s’il-te-plaît. Après je pars, promis. » Entre obtempérer à sa demande et lui proposer d’entrer, rien ne semblait vraiment correct, dans la nuit noire où la silhouette du sculpteur fait lune éclipsée. « C’est une de mes meilleures habitudes, de signer des papiers par la fenêtre à une heure du matin. » Sans qu’on ne le mentionne, le souvenir de leur dernière entrevue devrait, selon toute cohérence, peser sur leurs attitudes. (Je devrais dormir.) Pourtant, le geste avec lequel il s’empare de la feuille est naturel. Il a contre lui cette atroce journée dont il se rappelait très vaguement, et très négativement, et très (?) ; il a pour lui plus d’une décennie d’il ne savait trop quoi. Tout entre eux a la substance du rêve ; peut-être parce que Bennett arrose les situations plus que de raison. (Il a comme un songe, la haine, la tête, un grand trou de mots, la claque.) Surtout la claque. Il se souvenait d’avoir cherché la claque, et de l’avoir trouvée. Il se souvenait d’une envie de la rendre, il l’avait peut-être rendue. Sujet aux coupes dans la pellicule comme aux latences de la montée d’alcool, le sculpteur au retour n’avait pas collecté toutes les pièces. Pourtant… (La forme de la pensée brouillée, mais intelligible, inexprimée, mais vive ; il n’avait pas les mots ; il avait cependant la situation ; et sans avoir exactement dans l’ordre les étapes de la chute, quelque chose d’instinctif lui soufflait le texte manquant, lui disait que si tu as dit quelque chose, ça doit être ça.) Bennett, la feuille en otage, calibre son regard sur les espaces vides avant les espaces pleins. Réflexe. Idée ; toujours ; combler des blancs, le noir de l’encre ou le vin rouge, ou le blanc, blanc sur blanc, la nuit blanche. Sidney ? Recommandation, qu’on l’informe généreusement. Pas la porte à côté, Sidney. Elle part à Sidney… ? Elle est connue, cette école. Elle ne lui avait pas parlé de Sidney parce qu’elle n’avait aucune raison de lui en parler, et qu’il était trop occupé à lui hurler dessus dans des locaux très laids, avec un bureau, il s’en rappelait. Un bureau dans un bureau ; prenait pas tant de risques. Elle est bien vide, la lettre. « Tu m’as frappé, non ? » Bennett garde les yeux rivés sur l’objet dont il a pourtant extrait toute l’information possible. Mais c’était peut-être quelque chose qui caractérisait bon gré mal gré leur… cheminement ; toujours au-delà de la situation, les pieds dans la merde et la tête cernée de nébuleuses. Elles sont étouffantes. Les étoiles, c’est rien que du gaz qui brûle, le gaz ça tue. Bennett ne pose pas de question sur la lettre. Bennett prend son temps, Bennett reprend le fil. Essaie de faire les choses bien, trop tard, dans tous les sens du terme. « Je l’ai peut-être pas bien dit. Mais je suis pas sûr que j’avais tort. » Il n’avait pas tort et il en était persuadé, convaincu dur comme roche et diamant, comme songe qui s’évapore dans l’odeur du vin et d’un bureau dans un bureau – souvenir. Il ne savait pas ce qu’il avait dit – il savait exactement ce qu’il avait dit. La forme ; le fond. Aujourd’hui – ce soir – cette nuit, Bennett semble d’humeur à prendre son temps. La lettre lui reste entre les doigts. Ginny partait de Brisbane, donc. Auden aussi ? Bennett ne pose pas cette question. Lorsque Bennett pose les bonnes questions, il est généralement fortement éméché, et finit par prendre une claque ou halluciner sur la table, et confondre Ginny avec un chat.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyMar 04 Mai 2021, 23:35


« T’es en avance, toi… » à qui il parle? Est-ce qu’il y a quelqu’un d’autre que moi, est-ce que j’ai été suivie, est-ce que c’est Emily, est-ce que – oh. Ça miaule, derrière le bosquet. « C’est une de mes meilleures habitudes, de signer des papiers par la fenêtre à une heure du matin. » « La lumière à trois heures est meilleure. » mais de comment il est si calme. Mais de comment je le suis aussi. De comment y’a pas de chaises qui volent ou d’insultes avec, de pourquoi il n’a pas juste verrouillé sa fenêtre et aligné assez de marbre devant pour que je sois incapable de faire quoi que ce soit sauf rebrousser chemin devant une ombre et autant de refus sans même savoir de quoi il s’agit. Une de mes meilleures habitudes, c’est de penser trop, trop vite, trop fort, trop mal. Une de mes meilleures habitudes, c’est de perdre le fil de la conversation dès lors qu’il dérobe la dite feuille d’entre mes doigts. Elle est à lui, bon elle est à mon nom, mais elle lui appartient, empruntée sans durée de retour, sans timbre à poster. La lettre dit tout et ça tombe bien, parce que les mots me manquent. Son atelier est plus petit que dans mes souvenirs. Ou il est plus rempli, il déborde, il est vide, j’hallucine. Il est tard mais c’est tout sauf ça quand on y pense. Qui était en avance?

Les yeux de Bennett servent de trame silencieuse, mes bras se croisent contre le bois et mon menton se cale sur mes poignets. Il ne m’a pas invitée à entrer et je n’entrerai pas, vous vous souvenez? Il doit signer et ; « Tu m’as frappé, non ? » à visage dédié à scruter les en-têtes qui parlent d’encre et d’estampes officielles se joignent un sourire en coin, deux fossettes qui font partie de la mécanique. « Dans ma tête ou en vrai ? » je sais très bien de quoi il parle. De quoi il chuchote plutôt, comme si la brise servait de parfait alibi au cas où la personne qu’il attendait passe dans le coin et s’insulte que son rendez-vous ait été remis à plus tard. J’étais en avance avec mes recommandations demandées en retard. C’est drôle ça aussi. Tu m’as frappé, non? Et tout un pan de l’Académie, tout un couloir s’est probablement levé à quelque part dans le monde pour ovationner le geste même s’il n’était pas du tout relié à cette époque-là. Un murmure de plus, pour la forme. « Je l’ai peut-être pas bien dit. Mais je suis pas sûr que j’avais tort. » regarde-moi, dis-le encore. Il ne le redira pas. Peut-être qu’il ne s’en rappelle plus, peut-être que le compte à rebours rend le sujet expiré, meilleure chance la prochaine fois, merci d’avoir participé. Bennett m’avait dit, qu’un jour je saurais ce qu’il en pense. C’était resté à gratter. Ce qu’il pense de quoi? Du lac? De la fuite? Des brûlures? Du quand? Il ne m’avait jamais dit quand, quand on serait revenus. Je sais même pas si on l’est, revenus, vraiment. « Ça a fait mal. » ce qu’il n’a pas bien dit. Ça a fait mal bien plus que tout le reste, que tout ce qu’il a bien pu dire, lui qui volait mes carnets comme il retrouve ses élans territoriaux avec mes formulaires. Ceux-là sont légitimes. Ceux-là il peut bien les confisquer. Ça a fait mal de réaliser qu’il n’avait pas tort. Que c’était moi, qui me mentait. Que c’était ma faute, autant libérateur ça avait pu être.  « La claque ? » t’avais pas tort. La question vient trop tard, mais elle aussi est légitime. Comme une trop longue explication à une blague que personne ne comprend pas même celle qui l’a racontée. Ça a fait mal de l’entendre, ça a fait mal de réaliser. Et maintenant? Et maintenant ça fait du bien d’exister.

« Ça a réveillé des trucs. » mes doigts pianotent sur le bois, inventent des chansons qui n’existeront jamais et c’est bien mieux comme ça. « Pas juste la claque. » sa joue s’en est remise. Moi aussi. Un peu plus à chaque jour, même si le picotement reste. Pas juste celui-là. Il était ailleurs Bennett, il n’a rien compris ou alors il a tout entendu. J’aime à croire qu’il luttait contre ses propres démons quand je m’occupais de comprendre les miens, que l’écho n’était pas juste d’un côté de la rive mais des deux. J’aime à croire qu’il a vu, qu’il a enregistré, mémorisé à quelque part derrière ses traits pas le moins du monde contractés. Il travaillait Bennett, ça sent la terre par sa fenêtre. La terre et la pluie, mais pas de tabac, l’eucalyptus? Le pamplemousse, je crois. « C’est une de mes meilleures habitudes, de pas savoir comment bien dire les choses. À toute heure du jour ou de la nuit. » pourquoi tu peins? Parce que je ne sais pas comment dire les choses autrement. Pourquoi tu vas à Sydney? Il ne te l’a pas demandé, Ginny. C’est bien le seul. Tout le monde veut mes raisons et tout le monde veut mes justifications, tout le monde sait bien que c’est le genre de discours que je dois exprimer, que je dois livrer, que je veux m’entendre articuler. Ça fait partie du personnage et du processus, ça fait partie de la marque de commerce et des petits caractères. « Je pense qu’à quelque part ça voulait dire merci. » mes prunelles remontent, les siennes restent toujours vissées au papier. Le plus silencieusement du monde je prends les paris à savoir s’il déchirera la feuille, ou s’il refusera de la signer. S’il ne veut pas? S’il ne veut pas je le frapperai à nouveau. C’est pas drôle, Virginia, pas très poli non plus. J’ai ri je pense, je sais plus, je veux pas savoir. Ça voulait dire merci, la claque. Un peu à lui, surtout à moi. Désolée que tu aies été pris entre l’acacia et son écorce. Désolée que tu aies un jour été un dommage collatéral. Tu t’excuses souvent pour rien. Ça, c’est pas rien. « J’ai fait peur à un chat, en venant ici. » ça non plus, quand je pouffe de plus belle, détournant la tête à la recherche de la silhouette aux yeux perçants qui a probablement filé sans la moindre envie de jouer les témoins. Personne y croit sauf moi, on dirait.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 14 Mai 2021, 00:37


Le voisinage est tout en sagesse et lignes estompées dans la nuit, lisses d’obscurité, moitié ou quart de lune jaloux de ses lueurs – ne projette qu’une ambiance diffuse, à peine claire – une touche. L’imitation de lumière naturelle projetée hors de l’atelier fait contre-jour autour du sculpteur, guipure d’ombre sur la figure de Ginny ; tâches, tâches sombres, ont le battement d’aile de l’aléatoire, sur et sous ses yeux. Les artisans du volume prospectent partout les creux – déformation professionnelle, il cherchait les abîmes ; les trouvait, souvent, pour son compte ou celui des autres. Pendant ce temps, les doigts de Bennett glissaient, pensifs, sur la toile tapuscrite, le formulaire – aujourd’hui il est un guichet d’assistance sociale et humanitaire. Cela tombe bien. La paperasse dans sa tête, les administrations. Beaucoup de piles de papier mort. Beaucoup d’œuvres qui dorment encore. Beaucoup de permissions à donner, de sceaux encore inutilisés, et puis… et puis toutes ces choses que l’hôte songe sans y songer, imprimante éternelle d’une rivière de pensées, de pensées, de penses-tu. « La lumière à trois heures est meilleure. » Trois heures seulement ? Elle ne passait pas toute la nuit dans la broussaille à écouter aux portes, elle n’attendait pas que l’aube se lève sur Logan ? Il l’avait connue plus persévérante. Elle la voulait, sa lettre, ou pas ? (Ce qu’ils observent, iris concentrés, sur le papier…) Rien, il a compris, il n’y a pas grand-chose à comprendre. Cependant Bennett est procédural, même aux heures de distance fatale entre tous les soleils, le précédent, comme le suivant. Bennett ouvre à minuit, ferme à minuit, fait grève dans la journée… ouvre pour un chat, le vent, le ciel. Ces animaux-là, sa compagnie de cernes. « Dans ma tête ou en vrai ? » Peu importe. La rive, le comptoir, les comptoirs ou le bureau – dans leur tête, ou en vrai ? C’était très discutable. Bennett réfléchissait trop, il paraissait, oui. Les situations théoriques qui habitaient ses imaginations ; le tangible des faits – confondaient, confondaient. Et les bateaux de détresse ? Et les bateaux de détresse. « Ça a fait mal. » Les regards de sollicitude, les plissements d’yeux ou les désolé dont elle sait qu’ils ne franchiront pas ses barrières, restent à l’état de probabilité improbable – impossible. Bennett, illustration de son éthique, écoute sans broncher, attentif, pas accusé. Aucun tribunal à sa fenêtre – elle n’est pas venue réclamer une peine. Il ramène les chefs d’inculpation, elle énonce les faits qui sont des émotions, les émotions qui sont des faits ; le système de Bennett marche. La douleur était une donnée comme une autre. A traiter. A comprendre. A dépecer. Diviser, pour régner (quoique le pays soit aride, et que la conquête sera celle de champs blessés, fatigués de moissons stériles). Diviser quoi ? La souffrance ? (Bennett est hermétique là-dessus, il ne servirait à rien de lui mettre l’assiette en face ; il répondrait qu’on est seul, on le traiterait de fataliste, il répondrait qu’il ne pensait pas que ce soit une mauvaise chose en soi, on le traiterait de décadent.) « La claque ? » Le haussement d’épaules du plus vieux s’accompagne d’un regard – quitte la feuille, s’attache à la route engloutie de noir, qu’il distinguait intellectuellement, abstraitement, du toucher, d’ici. Qu’il ne distinguait pas. Disons la claque. « Ça a réveillé des trucs. Pas juste la claque. » Réveil ; lumière. L’autre jour (mois) (année…), il s’était endormi à l’heure où les rayons pleurent de bonheur sur ceux qui se lèvent tôt, et elle dessinait. Ecole d’art de Sidney. Pour dessiner. Les carrés dans les carrés, les triangles… les triangles. Les angles. Les sinuosités dont elle parle sans les toucher ne se transforment pas en plaies ouvertes.

On parle. On parle. On peut parler sans saigner. « C’est une de mes meilleures habitudes, de pas savoir comment bien dire les choses. A toute heure du jour ou de la nuit. » Le rire, que la métaphore associe au cristal, la réalité à quelque chose d’infiniment plus subtil (diadème) et brutal (menhir) – le rire court dans les molécules assemblées très précisément dans cet ouvrage fluide et étincelant qu’était la Nuit. Les rires ? Les rires n’étaient pas si nombreux que ça, entre eux. « Tu peux m’envoyer des lettres. » Si c’est mieux. Ce ne serait pas le plus étonnant. Avec un timbre et une adresse en lettres attachées ; du papier spécifique et brillant. Des initiales lacées. L’ancienne mode, une élégance perdue, désuète, inutile. Du temps où les gens parlaient au balcon. Un temps, un temps passé. N’est-ce pas ? « Je pense qu’à quelque part ça voulait dire merci. » (C’est…) Pas de quoi. Littéralement, pas de quoi. A moins que… ? Bennett, éternellement présent lorsque l’humanité a besoin d’avis bancals, de discours fumeux sur la condition terrestre ; fournisseur de statues en marbre d’une autre époque, et d’arguments qu’on n’entendra pas dans celle-là, car seul le futur lui donnera raison ; dilapideur de tout le bon, accapareur du beau, distribue l’égoïsme. Le métier n’était pas simple, pas très chrétien à l’heure de la Morale – la Grande Morale ; il traverse les siècles en cherchant des clients. Il y avait eu Ginny, qui avait besoin d’individualisme quand tous les autres recherchent la vertu ; il avait donné, il y avait eu la claque (effets secondaires), et puis rien, parce que les clients restaient rares. « Je sais pas pourquoi on s’inflige ça, » – C’est un rire qui traverse sa phrase, un rire à la pensée au demeurant fort effacée de leur spectacle d’une autre fois ; la gueulade, les silhouettes en découpé très vif sur un fond très noir qui clignotent agressivement et essaient de sortir du tableau. C’était peut-être la première fois que Bennett s’offrait un tel luxe de dédramatisation – demain, il mourrait de honte à nouveau ; enfin demain, vous savez, ce qu’il avait fait en pensant ‘demain’… (Je le sais, ne réponds pas, laisse juste.) « J’ai fait peur à un chat, en venant ici. » Les miaulements s’éloignent, méfiants ; la place est prise, la conversation sera articulée ce soir. Cette nuit. C’est toujours le soir pour Bennett ; aube, midi, crépuscule, une envie de dormir les yeux ouverts.

Le silence se fait, qu’il laisse atteindre dans ses prolongements tentaculaires, les extrémités de l’espace perceptible. L’absence de son, rendue moelleuse par la profondeur nocturne, atténue êtres et évènements, désamorce les intensités meurtrières. Ne pas brûler ; elle est toute simple, la directive. Suivie du bout des doigts, s’envole au bruit d’Icare… « Ce sera moins impressionnant que celle d’Auden, » finit-il par prévenir dans le deuxième sourire qui s’autorise dans le voile de noirceur, le bruit quand il n’y a pas de bruit. Un type qui casse du caillou à longueur de journée contre la parole du meilleur peintre d’Australie ; ça se comprend, toutes les recommandations ne se valent pas. Elle a peut-être besoin de diversifier les sources, les secteurs. Il pouvait concevoir. « Tu veux juste que je signe ? » Peut-être qu’il devrait parler de la lettre. Peut-être qu’elle ne voulait pas. Saura pas sans tenter. L’espace blanc que sa propre silhouette empêche d’accéder à la lumière le nargue ; vide à remplir ; de son nom, de sa recommandation. Il n’était apparemment pas nécessaire d’être recommandable pour recommander. Aux dernières nouvelles, ça s’écrivait, une lettre. On ne met pas son nom en bas d’un papier pour laisser d’autres plumes y voler de leurs mots. Il rit, secoue la feuille en l’air comme si l’hilarité venait d’elle, et l’étincelle de l’absurde. « Je vais pas te laisser rédiger ta propre lettre de recommandation. » Elle écrirait n’importe quoi, il en savait assez là-dessus. « Des choses que je pourrais dire et qui te feraient refuser, peut-être ? » Evite la question centrale, évitent toujours la question centrale – ça ne fait rien, le chat est parti, la barre, vide de témoins, attend encore le procès de l’aube. Combien de temps ? Interrogation essentielle, qui étrangement, ne l’était pas. Peut-être parce que la certitude que si c’était définitif, il aurait été mis au courant d’une manière ou d’une autre. Peut-être l’expérience aussi, que Londres ou Brisbane n’avaient pas grand-chose à voir avec les silences qui parlent.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyMar 18 Mai 2021, 01:08


C’est comme si j’avais oublié à quoi ressemblait la voix de Bennett quand il n’était pas à sa fenêtre à chuchoter. La nuit colmate toutes les fissures, tous les nœuds dans le bois sur lequel mes doigts s’égarent, un peu de stress, okay pas mal beaucoup. Les stigmates des pourquoi tu pars trop nombreux restent tatoués partout sur ma peau, impossibles à chasser sous la douche, incapable de cacher même les yeux fermés. Je dors peu, pas serait plus juste, et si la preuve est faite ce soir encore, le curriculum vitae de mon sommeil en aurait long à dire sur sa propre lettre de recommandation. C’est pour ça que t’es là Ginny, suis un peu. « Tu peux m’envoyer des lettres. » d’une lettre à une autre, c’est du pareil au même. J’imagine que le sourcil de Bennett s’est haussé, amusé par ce à quoi ressemblerait mon écriture tachée d’encre et de pastel, presque autant que par ce qu’il pourrait bien retrouver au creux d’hypothétiques enveloppes marquées de ma part à son nom. Entre les factures d’électricité pour un atelier à demi-éclairé, et celles d’un chauffage occupé à fournir pour deux quand les carreaux sont ouverts pour eux, elle serait marrante la surprise dans sa boîte aux lettres. Elle ferait un peu plus de sens que celle d’un chat errant remplacé par mes questions existentielles. « Tu répondrais? » il ne pose pas de questions alors j’en pose pour l’équipe, je prends le dossard de capitaine et le rôle de chef exécutif. Non pas qu’une variante négative fasse que je ne lui posterai pas une carte postale de Sydney, un truc ridicule juste pour relever le défi en plus de tous les autres. Pourtant dans la seconde, j’ai eu envie de demander.

Il ne pose pas de questions, et l’air est un peu plus doux. L’en-tête doit lui répondre d’elle-même. Quand il expire je me surprends à faire pareil, copieuse de bac à sable qui finit par se découvrir une patience qui n’avait pas lieu d’être quand le taxi s’arrêtait à toutes les tranches de trois intersections et que je remettais ma vie et mes choix en cause. Tout va bien, tranquille. On respire, rien ne presse. Le temps est absent au compteur, il est sur le bon décalage horaire, sur le bon fuseau. « Je sais pas pourquoi on s’inflige ça, » il rit, il rit et je ne me rappelle que de la sensation de picotement au creux de ma main. Je ne me souviens même plus d’autre chose que des détails, des ressentis, des miettes, et les marques de ce qu’il a dit. « Sur le moment, c’était bien plus évident que maintenant. » sur le moment c’était nécessaire, presque vital. C’était la seule façon de répondre, c’était ma seule manière de le faire. C’est pour ça, qu’on se l’inflige. J’en suis pas fière. Pas parce que je regrette, mais parce que j’aurais préféré trouver de meilleurs mots pour les siens, trouver des mots tout court aurait été bien. Personne ne croirait qu’il y a à peine quelques semaines de ça il était la personne que je détestais le plus sur cette Terre, personne ne se douterait que même à ce moment-là il restait celle devant qui j’étais incapable de mentir, devant qui je n’en avais tout simplement pas la force. L’envie? Ça aussi. Sur le moment tout fait du sens, même si ça n’en fait concrètement jamais. Sur le moment c’est totalement logique que mes prunelles suivent le trajet des siennes, celles qui s’égarent sur le papier en attendant son verdict. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Il n’y a même pas de tictac au compteur. « Ce sera moins impressionnant que celle d’Auden, » le voilà, le décompte. Mes lèvres se pincent une fraction de seconde, ma salive se ravale d’elle-même. « Joue pas au plus modeste. » il tâte, il va à la pêche, il demande sans le faire et s’il sourit je jure que je sourirai aussi. Que je répondrai à ses questions dans la mesure du possible. Tout est impossible pourtant, choisis ton poison, mène à bien ton combat. « Y’en a pas, de Auden. » pas parce qu’il a refusé, pas parce qu’il ne cesse de me faire savoir qu’il déteste le projet depuis la seconde où j’ai bien pu en parler. Mais parce que je veux lui prouver que je suis capable de le faire. Je serais incapable d’échouer sous ses yeux après tout ce qu’il me donne l’impression de devoir sacrifier pour y arriver. Elle pique, l’alliance à mon doigt. Elle pique et elle serre et elle cogne par deux fois contre le bois.

« Tu veux juste que je signe ? » j’hoche docilement de la tête, des mèches entêtées me chatouillent les joues. Il n’a même pas besoin de faire gaffe à son autographe, il peut juste apposer un ‘’Bon boulot en classe de photo circa 2008, McGrath’’ et je broderai autour comme un bandit de cour de récré. La loi du moindre effort, avec l’ascendant d’une crainte de gamine que l’annonce stipulant que son meilleur ami ne soit pas impliqué dans le processus le fasse reculer, ralentir, reculer encore. C'est contre personne, et il n’est pas un second choix. Il n’est pas au poste de remplaçant de qui que ce soit. « Je vais pas te laisser rédiger ta propre lettre de recommandation. » même si Bennett avait la feuille entre ses mains depuis deux secondes et une infinité d’autres, le simple fait qu’il l’agite sous mes yeux redresse d’office ma silhouette. J’essaie de l’attraper, j’essaie de la reprendre, mais ça ne servirait à rien puisqu’elle est bien mieux entre les doigts d’un retour à l’envoyeur. À sa juste place. « J’allais parler de la claque, au moins au premier paragraphe. Et de comment je suis meilleure que toi pour dessiner des nez. » c’est sur le même ton que lui que je nargue, que j’essaie du moins. C’est bas, de parler des croquis d’études de visage pour lesquels il avait du mal à l’époque. Mais quand on a aussi peu de munitions, on les étale et on les troque, on les peaufine et on maximise l’effort. C’est une lettre de recommandation. Pas un carnet à croquis kidnappé entre deux classes pour y fourrer un regard aussi envahissant que curieux. « Des choses que je pourrais dire et qui te feraient refuser, peut-être ? » « Tu peux dire ce que tu veux. Sauf si tu veux dire des choses qui me feraient refuser. » gagne du temps, rigole toujours. On dirait que je n’avais pas réalisé l’option où il voudrait véritablement écrire quelque chose. On dirait que je n’avais absolument pas évalué que Bennett aurait pu être prêt, même sans stylo en vue, à rédiger quelques lignes, à vouloir le faire sans que je doive passer par les douze travaux d’Hercule avant d’avoir à peine une virgule. L’éventualité tellement impossible à prendre pour acquise que je réalise au fur et à mesure que c’est possible. Non seulement je veux partir à Sydney, mais je peux y partir maintenant. J’imagine qu’il mérite des détails, j’imagine qu’il mérite de savoir un peu ce pour quoi il signe. Il ne signe pas juste, finalement. « C’est pendant deux mois. Y’aura Banksy, et je suis pas une groupie, promis. Ils ont prévu des accès dans les rues pour qu’on puisse graffer sur les bâtiments dont on a envie. » un sourire de plus, bien plus facile à concéder que le précédent même si je ne lutte pas, même si rien ne lutte contre lui ou contre moi. « Je pratiquerai mes lettres sur les murs avant de t’envoyer la tienne. » on dira que c’était un rire un peu plus assumé dans l’obscurité, on dira que c’est une trêve, on dira que ça faisait longtemps que j’étais passée dans le coin. On dira que ça fait du bien. « Est-ce que je peux avoir un café? » on dira aussi qu’un coup d’œil par-dessus son épaule suffit à ce que j’aperçoive la machine qui gît sur l’une des tables bien trop rangées de son atelier. Qu’il écrive ma lettre pendant que je sirote, pendant que je pense à ce que j’écrirai dans la sienne.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyJeu 20 Mai 2021, 02:16


Il lui semble pendant un instant que l’allée résonne d’une marche irrégulière, d’un travailleur de nuit venu cocher dans de rugueux formulaires la bienséance des foyers de Logan. Au bruit qu’il croit entendre succède la vision de l’orgueilleuse créature blessée dans ses passe-droits ; mélancolique et dignement rancunière, s’éloigner dans un miaulement, à la recherche de pelouses plus noires encore, déjà que Ginny s’enfonçait dans l’ombre. L’ombre ? L’ombre a de curieuses propriétés assourdissantes. C’est étrange ; pittoresque, dirait le peintre qu’il n’est pas devenu. Parler sans que les murs ne s’effondrent – de là, à s’égosiller dans le murmure, peut-être qu’il n’y avait qu’un pas, que le chat franchissait en roulant sa colonne vertébrale sur le trottoir. « Tu répondrais ? » Avec les délais postaux, deux semaines d’intervalles seraient envisageables, et puis il avait du travail, le printemps et la sculpture, vous savez (il n’y a aucune saison favorable à la sculpture…), sans oublier ces soucis de paperasse qui perdraient à coup sûr la feuille au milieu d’autres… à voir si le charme moyenâgeux de la procédure valait le timbre… Oh, ce monde, ce monde n’avait pas perdu toute poésie, n’est-ce pas ? Et c’était Bennett qui défendait la poésie maintenant ? Drôles de croisades – drôles de croisés. Des incroyants qui aiment le paysage. « Je sais pas, tente. » Ce serait toujours plus sûr que le téléphone, qui ne sonnait jamais pour les bonnes raisons. Littéralement, puisqu’elle ne l’appelait jamais en dehors des mauvaises. Dans le pire des cas, on tombe sur répondeur. Dans le pire des cas, les papiers se retrouvent. « Sur le moment, c’était bien plus évident que maintenant. » Mais personne ne se tient derrière eux pour noter leurs intentions ; aucun recueil – aucun carnet, où l’on consignerait les trajectoires cacophoniques qui les ballottaient entre risque et vide, pire et mauvais ; dans cette dimension-ci, il était douteux que quelqu’un s’amuse à collecter leurs défaillances et leurs tentatives pour combler leur manque d’alibis. L’évidence ? Elle avait le tranchant sans remède d’une lame, l’éblouissance nucléaire, jusqu’à ce qu’une poussière de temporalité réduise les actes à ce qu’ils étaient ; des actes. Et les actes, vaguement prémédités ou vaguement revisionnés, gardaient toujours cette allure scellée ; les capsules de leur vie, absolument hermétiques. A l’intérieur ? Ça, c’était l’autre dimension, et elle ne s’atteignait pas le pied ici. « Bon résumé, ‘sur le moment’, » et les décisions approximatives, les visages passent sans s’arrêter, la colle à tourments n’a pas pris ; seul le constat détaché subsiste, comme on juge un mauvais article, une politique publique. Comme on se juge avec indulgence, quand il apparaît que séparer son être selon les temps n’était qu’une certaine manière de tuer ces êtres, qui n’en formaient qu’un. (Tranquille.) On peut bien se reposer. A quand, la prochaine guerre ? Mais je ne sais pas. On verra, sur le moment. « Joue pas au plus modeste. » Bennett n’est pas modeste – il est tellement vaniteux qu’il ne se mesure même pas au reste du monde, répondrait une première voix ; tellement persuadé d’être au-dessous de ses capacités qu’il – même résultat. Deux faces contraires équilibrées – ça ne rappelle personne. Mais peut-être qu’on pourrait accorder le point côté jardin pour ce soir, compte tenu d’anciennes dettes et d’excuses avortées. Vous savez, le passé… « Y’en a pas, de Auden. » Entendu. Ce n’était peut-être pas le plus convenable, de demander des écrits laudatifs à son conjoint – d’autant plus qu’elle portait son nom maintenant ; sans doute la direction apprécierait des formes de favoritisme plus sophistiquées ; peut-être aussi qu’Auden n’en avait rien à faire, que Ginny menait sa barque seule. Aucune de ces options ne semblait sortir du champ du réel. Le caractère du peintre avec ses facéties, apprises de gré ou de force. Bennett prenait simplement les faits, en ordinateur docile : pas de lettre d’Auden. « J’allais parler de la claque, au moins au premier paragraphe. Et je comment je suis meilleure que toi pour dessiner des nez. » Essaie donc de la ravir. Ses efforts sont vains ; il pourrait bien emporter la feuille à jamais, s’il était quelqu’un comme ça. Ce qu’il était, fondamentalement. Mais les gens comme ça ne sont pas obligés de toujours se comporter comme des gens comme ça, la feuille est toujours entre les mains du plus dangereux, intacte. « Les nez ont fait toute la différence entre toi et moi, » ironise le sculpteur en refermant les doigts sur la bordure inférieure de la fenêtre. Les yeux de Bennett montent assez haut pour tous les témoins, ne s’offre pas le luxe d’un commentaire plus développé et mielleux, inutile, réchauffé. Pour ça qu’il avait pas fini l’Académie, les nez. Pour ça que ses dessins n’ornaient rien d’autre que des monceaux de papier d’archives et de demi-caricatures à l’abandon, se tachant les uns les autres entre des pages appuyées. Pour ça qu’aucun revue d’art locale ne titrait Bennett Giller comme plasticien. Et Ginny, en excellente plasticienne, avait trouvé meilleur filon, aux portes de l’autre qui n’avait pas fait de lettre pour éviter l’accusation de court-circuit. (Tiens donc, voilà qu’une fois dans sa vie il refusait l’apocalypse et les scripts officieux démultipliés par sa passion probabiliste.) Bennett avait envie d’y croire. Il faisait nuit. C’est propice à croire. Une bête histoire de lettre. « Tu peux dire ce que tu veux. Sauf si tu veux dire des choses qui me feraient refuser. » Aucune censure ne sera acceptée, si c’était pour lui coller des procès le jour où le vent tournerait et Sidney avec, tiens. Les contacts ne lui manquaient pas. Sa lettre ne lui était pas absolument indispensable. (Elle était venue la chercher à sa fenêtre à une heure du matin.) Ce qui pouvait être un simple souci organisationnel.

Sidney, oui, Sidney. Sidney ? Sidney, apparemment. « C’est pendant deux mois. Y’aura Banksy, et je suis pas une groupie… » C’est là que Bennett aurait arrêté d’écouter, si Ginny avait l’air d’une groupie venue lui demander des accès coulisses à la rencontre de sa rock-star fantasmée ; mais c’était un pli à prendre avec la jeune femme, laisser le flot des justifications donner l’air au pont de servir à quelque chose, sans aller se jeter dedans ou tenter des barrages – en amassant des tables de bureau et des conférenciers de groupes de parole. Méthode radicale s’il en était – le flot courrait toujours. « Je pratiquerai mes lettres sur les murs avant de t’envoyer la tienne. »  Elle égrène des rêves, il fait la terre lourde, immobile, serrée à son noyau. Inlassablement railleuse envers les astronautes, les météorites aussi. Tout ce qui vole ou tombe, peu importe dans quelle catégorie il se trouvait. « Tu parles beaucoup au futur pour quelqu’un qui n’a pas de lettre de recommandation. » Un café. Est-ce que je peux avoir un café ? Il l’aurait imitée sarcastiquement, s’il n’avait pas peur de se prendre à son jeu et de laisser échapper un éclat de voix aussi peu propice au sommeil général qu’à la bulle, la bulle qui n’admettait aucun compromis. Dans le bon sens, pour une fois. Demandé si gentiment. Ce n’était pas une confrontation avec l’abîme qui allait apprendre à Ginny à réclamer franchement – donner des ordres ? (Un, deux, trois abîmes… peut-être quatre…) Les précédents ne comptant pas. « Je savais pas que ça t’intéressait, l’art urbain. » Des vues de la ville, captées à des instants très particuliers, dans un flou gaussien. Non, du tout. « C’est peu, deux mois, » remarque-t-il, le dos tourné, les gestes qui font dieu sait quoi sans provoquer plus qu’un glissement étouffé d’objets. « C’est imposé, comme durée ? » Et lorsque la silhouette de Bennett se dessine de nouveau pour heurter la lumière, et qu’il n’a rien dans les mains, que… ? « Aussi invraisemblable que ça puisse paraître, je n’ai plus de café. » Sa main plongeant sans trouver de capsule, la disparition dans la cuisine, les mains sur les hanches, recoller les dates historiques du début de la décadence. Match-retour de l’absurde. Ginny était venue au lieu du chat, et Bennett roulait sans carburant sa traversée du désert. « Pamplemousse ? » On t’a connu meilleur hôte. Elle n’est techniquement pas chez lui ; Bennett ne demandait pas aux Brisbanais de mendier des lettres de recommandation à sa fenêtre ; alors, les boissons acides qu’il proposait, c’était un peu comme du secours populaire. Tu divagues. Mmh ? Non, il est en train d’écrire la lettre.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 15:10


« Je sais pas, tente. »
« Rappelle-moi d’acheter des timbres. »

Ridicule, il est ridicule le rire qui se casse sur mes fossettes. Le roulement d’yeux qu’il ne verra pas, occupé à jouer à l’enseignant sans les lunettes vissées sur le bout du nez, sans la veste de tweed aux écussons de cuir brodés aux coudes. Allez Bennett, ajoute un post-it à la lettre, le tarif des timbres à l’heure actuelle et ta couleur d’encre préférée. Ça existe encore, du papier à lettre à paillettes? Je lui enverrai un colis ridicule juste pour tenter, un t-shirt de touriste et une casquette assortie qui se retrouveraient dans une boîte à donner à leur prochain ménage du printemps et ça serait un piège à poussière, il détesterait. J’en rigole encore plus. « Bon résumé, ‘sur le moment’, » à son colis j’ajouterai un porte-clés carpe diem, tiens, cadeau de la maison. Véritablement, je pense qu’il n’y a que la Ginny et le Bennett de ces moments-là qui ont des comptes à rendre. Comme des souvenirs flous après un événement marquant, comme une mémoire sélective qui joue les alibis trop souvent ; je fais pas de déni, il le sait, il a vu toutes ses formes sur mon visage trop de fois pour que j’en sois fière. Rien d’autre à faire que d’hausser les épaules, ou d’au moins penser l’avoir fait. Du bout des doigts, je compte les nœuds du bois, les oublie par cinq fois, recommence la seconde d’après avec toutes les meilleures intentions du monde. Il est quelle heure, là? J’ai pas de montre, et ça me va. « Les nez ont fait toute la différence entre toi et moi, » et la manche de ma veste suffit à rattraper un éclat de rire qui avait tout pour trancher bien trop fort avec le calme de la nuit qui suggère une heure où je devrais dormir depuis trente ans et des poussières. Si y’a un chat toujours dans les buissons, si ses prunelles piquantes nous scrutent, il comprendra rien, rien du tout. Le langage codé qui n’en est pas vraiment un, et c’est au tour du visage de Bennett de craquer d’un sourire dans l’argile stable, tranquille. Son argile, d’ailleurs. « Le sien est pas si mal tu sais. C’est fou ce que ça fait, la pratique. » par-dessus son épaule, c’est à lui que je parle, la stature romanesque qui fait de l’ombre à une salle que je n’assimile presque plus en trame de fond ni en coulisses.

On s’y habitue, aux fenêtres. C’est pas vraiment déranger si je ne suis pas entrée, s’il ne m’y a pas invitée. Personne ne dérange qui que ce soit, depuis bien longtemps déjà. « Tu parles beaucoup au futur pour quelqu’un qui n’a pas de lettre de recommandation. » « Je supplierai pas. » à moquerie de l’un s’ajoute la revendication de l’autre. Hausse le menton et pince les lèvres Ginny, on y croira jusqu’au bout, sauf si tu fronces imperceptiblement des sourcils comme tu le fais là. Elle est lente la réalisation, elle vient d’un cerveau d’artiste et de neurones de créative, dissipés, dissipée, qui s’amuse à faire la course aux couleurs bien plus qu’aux variables fixes et concrètes comme des temps de verbes et des dénominations. Il avait toujours été bien plus aux mots qu’aux gestes, Bennett. Un peu des deux parfois. Tu pensais à quoi? « T’as vu, encore du futur, ça doit être un truc de visualisation subconsciente. » pas très sur le moment, on s’entend, et si c’est si facile de ridiculiser la situation, n’en reste que j’ignore à quelle porte (fenêtre?) j’irai cogner, s’il refuse. C’est stupide, y’en a d’autres des artistes qui pourraient signer, qui pourraient écrire, parler. J’ai pas calculé la probabilité même si je suis arrivée ici persuadée qu’il avait toutes les chances de ne pas accepter et et et et – Ginny. « Je savais pas que ça t’intéressait, l’art urbain. » retour à la case respiration dégagée, et le ciel qui l’est lui aussi. « C’est plus grand que moi. » ce qui est en soi est une réponse suffisante pour mes oreilles et fort probablement les siennes ne l’est peut-être pas pour les autres. La peinture me limite, la photo m’enferme. Le dessin est en angles, en contorsions. Les rues et les allées qu’ils nous offrent, ça, c’est immense. Il y a de l’air, il y a tout l’air du monde et même si c’est plus grand, trop grand, c’est là où j’ai place à manœuvrer, où je peux tout essayer, où y’a pas vraiment de fin, encore moins de début. C’est pareil mais différent avec son marbre, ça se compare pas mais ça se comprend. J’imagine. « C’est peu, deux mois, » oh, ça. À la recherche du café pour Bennett, à la recherche des mots corrects pour Ginny. « C’est imposé, comme durée ? » c’est imposé mais pas par ce que tu penses. « Ils ont posé deux mois comme un minimum. » c’est un cursus d’artistes avec autant de places qu’ils en ont besoin, certains resteront plus longtemps, d’autres partiront bien avant. Une autre éventualité biffée du revers de la main tachée d’aquarelle ; parce que j’ai des responsabilités et parce qu’à la base ça devait être un projet de famille, quelque chose où tout le monde participait, où on s’entre-déchirait pas pour des semaines et des kilomètres comme ça. Deux mois c’est court parce que de base ça me semblait être un bon compromis. Il y a longtemps que les compromis en sont devenus d’eux-mêmes. « Aussi invraisemblable que ça puisse paraître, je n’ai plus de café. » café me ramène à l’ordre, absence de provoque des yeux écarquillés et une moue outrée tellement fausse que la pénombre doit se féliciter d’exister. « Scandale. » j’ajouterai du café, dans son colis estampillé Sydney.

« Pamplemousse ? » je savais que y’avait un parfum d’agrumes par ici (il ne sent plus la pluie). Je l’ai dit et je le répète, un hochement de tête de la positive qui vient avec pour siroter mon pamplemousse de gamine à la belle étoile. Ça veut dire merci, je pense, ou alors bienvenue, je sais pas trop qui dit quoi à qui parce qu’il ne parle plus et que contre toutes attentes je ne parle pas non plus. Y’a pas de paille dans mon verre sinon vous pouvez être assurés qu’on aurait entendu à un moment ou un autre l’écho d’un fond vide aussi bruyant qu’immature, mais c’est mal me connaître de croire que je ne reste pas attentive au possible, le grain du papier qu’on gratte et mes yeux qui dérivent comme le fait ma silhouette. Je regarderai pas ce qu’il écrit. Pas tout de suite, peut-être même jamais. C’est entre lui et Sydney, je suis polie, on m’a bien élevée. Et d’une tête qui se détourne le corps en entier fait pareil, glisse contre le mur, s’installe au sol, les jambes qui se croisent et l’arrière du crâne qui se pose contre la brique. Sa pelouse est trop verte même si elle est noire, trop froide même si mes doigts le sont plus. Ils s’égarent d’ailleurs entre les brins, prends ton temps là-haut, personne est pressé. « J’y pense souvent, à rester plus longtemps. » personne t’écoute Ginny, sauf mon pamplemousse et le crayon de Bennett. Il pense peut-être que je suis partie, descendue d’un étage, le chat ne vient même pas me voir et les mots s’expliquent tous seuls. « À Sydney. » personne m’écoute et ça soulage des fois, de parler pour soi. Je savais même pas que je pouvais faire ça. « Je comprends pas pourquoi c’est si scandaleux. Tout le monde -  » pardon au brin d’herbe qui passe sous le tordeur, promis je suis pas une groupie et promis je ne détruis pas son jardin. J’aime juste pas parler des autres. Je déteste les mêler à ça, à Sydney, à tout ce que ça représente, comme s’ils étaient des causes, des conséquences. Ça fait du bien de faire les choses pour soi non? Il l’a dit, mais avec de mauvais mots. Il l’a dit quand même. « - c’est juste parce que personne devait s’y attendre, j’imagine. » et il est sympa Bennett, il ne demandera pas de noms. Personne n’est là pour parler des autres de toute façon. Ils dorment. « C’est fun, de faire à sa tête parfois. T’aurais dû me le dire plus tôt. » c’est pas sa faute, mais quand je redresse les yeux pour le voir encore penché sur une feuille qu’il a peut-être fini de remplir ou alors même pas commencé à évaluer, c’est tout comme. Il l’a dit ça aussi, avec de bien meilleurs mots. Ça marque, à force.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 16:26


Elle étudie le rebord pour en cerner peut-être la fin, le début, au détour d’un cercle tracé du bout des doigts. Bennett n’y voit pas grand-chose, créateur par contraste du noir qui submerge la vision, distingue à peine les lettres qu’il verrait nettement en se tournant du côté de la lumière, qui n’était pas le meilleur. « Rappelle-moi d’acheter des timbres. » De vérifier le courrier, de froncer les sourcils en recevant autre chose qu’une notification administrative et autres tracts publicitaires éculés ; de tourner l’enveloppe, de la retourner – c’était le mauvais côté – de se souvenir. L’idée n’est plus si absurde, plus si médiévale. Elle aurait le goût du papier intact et des silences confortables – une odeur de neuf contre toutes les autres, neuf comme la nuit. Il faudrait l’ouvrir pour savoir, il ne suffirait plus de lire dans les futures rides et les fonds d’yeux, et les allusions, et les passés superposés – des lettres. Et Bennett voulait soudain des lettres. « Le sien est pas si mal tu sais. C’est fou ce que ça fait, la pratique. » Pseudo-Achille surmené par sa carrière de petit employé guère antique hocherait la tête, si Bennett savait faire quelque chose de ses mains, lèverait les yeux si les histoires d’âme et d’art étaient autre chose que des contes fuyants. Pseudo-Achille et lui ont quelques désaccords, dans la continuité de la longue liste de conflits qu’entretenait le sculpteur et les volumes inanimés ; secouant négativement la tête comme si la figure avait été vivante, et qu’il eût fallu se garder de lui manifester ouvertement ses émotions, l’expression du trentenaire parle par oscillations décryptables – je vais m’échauffer en en parlant, Achille est un sacré connard, si tu savais ce qu’il me disait tout à l’heure, je parle seul dans l’atelier, mais ce n’est pas le pire, il me répond. (Démence légère, innocente.) « Je supplierai pas. » « J’espère que j’étais pas le dernier plan, dans ce cas. » Ferait mine d’abandonner la lettre, y reviendrait quand même, à l’en-tête majuscule réclamant sa suite. Parle comme pour l’écouter, occuper sa voix. « T’as vu, encore du futur, ça doit être un truc de visualisation subconsciente. » Bennett réplique instantanément, trop simple, trop nocturne. « Encore un truc de personne capable de se projeter dans l’avenir, » rectifie-t-il sans lever les yeux, alors que les présents trop intenses, même à deux esprits, couvent ses paroles d’un sens certain, qui n’a pas à être explicité. L’ordinaire extraordinaire ; combien de fois, ils avaient cassé le temps ? Entre une clepsydre et un verre, la différence s’estompe rapidement ; un hôpital et une grande bouteille noire, c’est presque pareil, ça sent la même chose – Bennett fait de la psychologie de comptoir pour éviter de plonger aux racines. Ça ne sent pas la terre, dehors. Ça devrait ; ça devrait sentir la vérité. « C’est plus grand que moi. » Chose rare parmi les raretés, c’est avec l’éclat d’une surprise que Bennett lève les yeux de son ouvrage pour dévisager un instant la jeune femme, l’ombre d’une phrase sur le bord de lèvres, le front qui fronce légèrement. Mais la phrase reste suspendue ; il s’avère plus complexe que prévu de retranscrire verbalement l’impression qu’avait eue Bennett de recevoir un écho à lui, venu du dehors – étrange, curieux. Baroque. Plus grand. Plus fort ; extérieur ; plus vivant. Plus long, plus longtemps. Le marbre, ça durerait plus que lui. Il était à l’aise avec cette idée. La pierre, ça file pas entre les doigts. Ni les murs de la ville. Ni tout le reste qu’eux, et Bennett se décide à ne rien dire, pour éviter la banalité et l’égoïsme.  

Deux mois, c’est un minimum. « Scandale. » La caféine ne lui manque pourtant pas ; laisse l’agrume à Ginny, sa main droite chercher un stylo noir, la gauche un support. Il n’écrit plus. La première phrase, jetée quand Ginny parlait encore et que Bennett restait silencieux, attend son héritière ; mais l’écrivain recommandé palpe la justesse des mots, malaxe le verbe, attend la formule ; il n’est pas question de raturer, à une heure passée et personne pour le voir. « J’y pense souvent, à rester plus longtemps. » Disparue, avalée par la discrétion, Ginny ne laisse qu’un filet de voix sonner solitaire face à la rue. Savoir si Bennett enregistrait relevait de la divination. Penché sur la feuille, il ne semble plus faire partie de la conversation. Mais qui veut encore des conversations, quand on peut s’envoyer des lettres et parler à l’asphalte ? « Je comprends pas pourquoi c’est si scandaleux. Tout le monde – c’est juste que personne devait s’y attendre, j’imagine. » Il n’imagine pas. L’esprit au fait des faits, l’esprit des axiomes et du bon sens, n’a pas le sens du scandale ; rien de particulièrement subversif, avec les données qu’il avait, ne ressortait de cet évènement. Ginny allait passer deux mois à Sydney pour faire de l’art urbain. Comme l’écrasante majorité des artistes ne vivant pas dans les trois plus grandes métropoles du monde, poursuivant leur éternelle formation là où les opportunités se présentent. Tout le monde, tout le monde… « C’est fun, de faire à sa tête parfois. T’aurais dû me le dire plus tôt. » A l’entendre, on croirait qu’il ne passait pas la moitié de sa vie à répéter qu’il n’y a pas de vie en dehors des décisions, pas de décisions dans les yeux des autres, pas d’autres dans cet espace restreint et encombré de vieilleries diverses qui forme le fond d’une personne. Espace restreint ; une fenêtre, parfois deux, souvent aucune ; objets collants, obsessions perdues ou retrouvées, déterminants des choix. On pioche. « ‘Tout le monde’ n’est pas au courant que Brisbane n’est pas la plus célèbre ville d’art du pays. » L’identité précise de ces gens importait peu. Qu’ils existent, importait peu. Tout le monde était un nom commun pour moi, de l’avis de Bennett. Impossibilité du fatalisme. Les autres ? Pars. Toi-même ? Bats-toi. La première lutte est facilement résoluble, la deuxième n’a pas de fin. (Tout le monde.) (Excuse.) Si tu voulais ton propre bien, tout le monde pourrait bien aller mourir. « Ou tout le monde a du mal avec le concept de liberté individuelle. » Et toi tu parles au vent. Bien sûr. Le vent, qui manquait cruellement de liberté individuelle, avec une tendance génétique à se laisser enchaîner par les êtres chers et moins chers, évidente comme le nez au milieu de la figure et la souffrance qui ne s’est vue que quelquefois, quelquefois. Un scandale ? Oh, par pitié. Un scandale… et ces gens qui ne se voyaient pas mourir bouffés par la peur qu’ils prenaient pour de la patience, murmuraient en chœur quand on daignait prendre une initiative censée. La chose la moins audacieuse que Ginny pouvait faire, était un scandale – et on oserait lui dire qu’il avait tort… ? « Si tu t’en fous, c’est pas un scandale. » Elle est finie, sa lettre. Bennett a peu réfléchi, en comparaison avec ses standards. Elle est standard, la lettre ? Pas tant que ça, il n’en a jamais écrit, ni pour lui, ni pour les autres. Jamais recommandé nulle part ; les codes de l’exercice, il les devinait sans les appliquer – la lettre n’était pas du tout académique, parce que Bennett disait ce qu’il pensait. Bennett n’avait pas de diplôme en art. Ni en communication humaine. « Tu seras juste seule. » Il sourit à la fenêtre, peut-être avec moins de joie – plus de vérité.

« Les ennuis de la liberté individuelle. » Elle est seule, elle parle à l’asphalte et n’a pas de famille à Sydney, et tout le monde veut qu’elle reste ici. Si la solitude valait la liberté ? Mille fois oui. Pas quand on est habitué à se visser les veines aux autres, Ginny. L’habitude a la vie dure. Les exemples n’en manquent pas, la nuit, aux fenêtres de Logan. Conclusion limpide. « Tout ce que tu feras pour toi sera un scandale, » lâche-t-il finalement dans le son étouffé du papier qu’il retourne, pour ne plus voir ce qu’il avait écrit, ne plus en juger, ne plus en douter. Elle ne sera pas prise à cause de lui, mais de ce qu’il dit.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 17:42


Je supplierai pas, et il a un stylo entre les doigts. « J’espère que j’étais pas le dernier plan, dans ce cas. » il a été le premier comme le dernier, dans les faits, le seul avec cette feuille-là dans les pattes et jamais il ne l’entendra franchir mes lèvres. Parce que c’est pas important, le pourquoi du comment. Parce qu’il gratte le papier et qu’étrangement mes prunelles ne parcourent pas ce qu’il y fait, ou non. C’est par-dessus son épaule que mon index pointe, celui qui désigne la grande stature occupée à nous dévisager sans rien dire, son nez bien trop travaillé pour passer inaperçu. « C’est ton pote le dernier plan. Lui dis pas. » c’est son grand dadais en marbre et en attitude que j’irai voir, si Bennett refuse. Autrement dit, j’ai pas de plan. J’ai pas d’autre plan. J’ai pas de liste, j’ai pas de réserve, j’ai pas de second recours, y’a personne sur le banc de touche. Certains diraient que c’est quitte ou double, certains diraient que je joue avec le feu, que c’est risqué, insensé. À ces certains-là, ce n’est pas son pote la statue que je pointerais du doigt, mais l’encre qui commence à peupler les lignes bien trop droites et bien trop nombreuses pour que j’ai envie de regarder.

« Encore un truc de personne capable de se projeter dans l’avenir, »
« Oh, ces infâmes créatures. »

Encore un truc de Ginny, de s’installer par terre, de raconter sa vie. Un nuage passe, il est immense, opaque, on le voit à peine, noir sur pénombre. Je lui en voudrais pas s’il entendait pas, s’il écoutait pas. Qu’il fasse ce qu’il a envie de faire, je ferai pareil, de mon étage et demi de moins et de l’herbe qui arrive parfaitement à prêter l’oreille pour de la chlorophylle qui n’en a pas. Alors tout le monde a son mot à dire sur Sydney. Ils l’ont tous dit d’ailleurs, chacun d’entre eux, les gens et les paroles. J’ai eu droit à toutes les réactions, j’ai eu droit à toutes les questions aussi. Pourquoi, comment, pour qui, jusqu’à quand. T’as pensé à, et est-ce que tu crois que, et sinon ici tu ne pouvais pas ; ils s’émiettent, les morceaux de conversation et les voix associées. Les noms se mélangent, les visages aussi, j’ai pas envie de parler de l’évidence parce que c’est évident, et ça n’apporterait rien de plus au tableau. Tout le monde c’est bien, c’est vague, ça englobe un tout, ça me fait juge et accusée. Ça lui donne quel rôle à Bennett ? Le jury j’imagine. C’est drôle, ça. « ‘Tout le monde’ n’est pas au courant que Brisbane n’est pas la plus célèbre ville d’art du pays. » il étale des faits, il étale des feuilles aussi. J’entends griffonner au-dessus de ma tête, redresse le regard pour n’apercevoir que du bois, des ombres, tentative vaine mais sourire franc. Mes fossettes se voient pas, dans la nuit. Elles s’entendent je pense. « Ou tout le monde a du mal avec le concept de liberté individuelle. » moi la première. Il pourrait en écrire une dissertation s’il ne m’écrivait pas une lettre, Bennett. Trente ans et des poussières à ne pas essayer, dix minutes et c’est réglé. On pensera que c’est un test, que Ginny brise ses chaînes juste pour pouvoir le faire, qu’elle reviendra penaude, déçue, défaite. Que Sydney n’était pas comme elle se l’imaginait, qu’elle regrette. « Si tu t’en fous, c’est pas un scandale. » « Parfois, je pense à pas revenir. J’imagine que j’oublie la date de retour, juste pour voir ce que ça ferait. » c’est bref, la culpabilité vient ensuite, ma vie est ici même si elle prend racine là-bas sans que j’y sois. Un truc de personne capable de se projeter dans l’avenir, qu’il disait. Un truc de personne qui aspire à mieux, qu’elle précise. « Tu seras juste seule. » « J’aime bien être seule. » c’est pas une mauvaise chose. C’est pas un problème. Y’a un monde, mille univers dans ma tête. Y’en a un qui commence ici pendant qu’un suivant se termine ce soir. J’ai passé tant de temps dans ma tête que l’inverse est impossible. Être seule ne se compare pas à faire quelque chose que pour moi. Être seule respire par contre.

Attendre l’occasion pour vraiment vivre les choses s’est fait attendre, elle aussi. C’est petit, c’est court, c’est le minimum – et il soupire. J’ai entendu ça. J’entends tout. « Les ennuis de la liberté individuelle. » ça serait un joli titre de livre ça. Ça paraîtrait bien sur une couverture, brodé en or, la calligraphie qui glisse sous le bout de mes doigts. Pamplemousse est fini depuis un moment, il fait la pose par terre. Et la lettre ? Les ennuis. « Tout ce que tu feras pour toi sera un scandale, » à partir de maintenant, ou en général ? Quand je me décale du mur, Bennett fait pareil avec le formulaire. Il est face contre terre, contre bois, il se voit pas. « Je suis pas la seule à me projeter dans le futur apparemment. » il a dit feras, ça compte comme tel, j’ai compilé, j’ai raison et il peut bien tenter de l’ignorer. Mes doigts plissent un coin, le lâchent la seconde qui suit, j’ignore à quel moment j’ai retiré mes Converse mais elles vivent leur meilleure vie laissées lasses dans quelques recoins que ce soit de son jardin. Je nous imaginais pas comme ça si je nous avais imaginés, déjà. Ou peut-être que si. Lui dans son atelier, à parler tout seul, à boire tout son café ou à le garder jalousement des intrus insomniaques. Moi et les projets, moi et l’ailleurs, moi et le monde, à commencer par l’une des plus célèbres villes d’art du pays. « C’est juste le début, hen ? » la question est rhétorique, stupide, enfantine. La question est bien plus pour moi que pour lui, même si mes iris ont trouvé les siens dans le processus. Sydney c’est juste une étape, une première ligne à franchir, un plan de départ. Y’aura autre chose après, y’aura toujours autre chose. Y’aura une autre ville et un autre pays, une autre recommandation et garde le stylo proche Bennett, tu risques d’en avoir besoin d’ici deux mois. On peut pas faire un pas en avant quand les suivants s’hypothèquent vers la diagonale, vers l’arrière. On peut pas décider de partir sur un coup de tête qui n’en a que le nom pour revenir et s’enliser en se disant que ce qui vient de se passer n’était qu’une bulle d’air à travers tout le reste. C’est juste le début et il n’a même pas besoin de répondre, les étincelles dans mes yeux le font à sa place.

Une seconde, dix autres. « Tu faisais quoi avant que j’arrive ? » avant que je ne m’incruste, avant que je dérange, avant que je n’en ai visiblement rien à faire. Gamine aussi ingrate qu’impolie qui demande, mais qui plie tout aussi sérieusement la lettre pour la glisser dans l’enveloppe sans un coup d’œil de plus. Si je ne regarde pas la manœuvre, c’est comme s’il n’y avait pas de risque. Depuis quand j’y tiens autant, à Sydney ? Tu tiens à être seule. Je tiens à être libre.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 19:11


Et puis il n’y avait peut-être pas besoin de grand-chose de plus. L’étrange récit des retours toujours heurtés se poursuivait de page en page, entre deux plages d’absence qui ne comptaient pas – zéros après virgule. La signature gage de rien sèche encore après le point final ; Bennett n’écrit plus, le temps continue. Sourdement. Sourd ? Sourd. Qui pourrait passer et entendre ? Ils parleraient plus fort, qu’ils n’entendraient pas, pour des motifs aussi inexplicables que précieux, au caractère mêlé de contrat, de nécessité ; de croyance, peut-être. Même si elle n’avait pas d’objet ; même si la bulle n’avait aucune existence physique. On ne les entendrait pas. C’est de la croyance, dans ce cas. L’idée dérangerait Bennett, s’il y avait des idées qu’il n’ait pas encore passé en revue et classées. Dans des bibliothèques. Invisibles. Bon, moins bon, terrifiant ; trois rayons. Aucun qui ne lui brûlait pas les doigts. « C’est ton pote le dernier plan. Lui dis pas. » Personne n’entend, est ce qu’aurait dit Bennett, si l’habitude de l’économie de la parole ne lui gardait pas trop souvent les lèvres closes. Qu’Auden soit la dernière option entrait parfaitement dans l’idée que s’était faite Bennett de la situation. Il n’était pas d’humeur à détruire les dogmes et réinventer la pensée ; il se contentait, de façon plutôt inhabituelle, de ce qu’elle pouvait bien lui dire. Peut-être gardait-il en lui l’horloge des joueurs d’échecs, pour le temps de parole de l’un et de l’autre, et veillait à l’équilibre. Peut-être qu’il était simplement plus raisonnable, sans raisonner. Il fait nuit, laisse l’ombre où elle est. « Oh, ces infâmes créatures. » Méconnues d’ici ; on ne connaît rien de l’avenir, elles se projettent mais elles n’en savent rien. Les créatures. Achille peut bien se projeter – Bennett le projette, dans un futur calcaire, selon les prophéties envoyées aux muscles et aux nerfs de ses doigts par quelque chose comme ‘le génie artistique’, ou l’ennui humain un peu banal qui avait fait mettre des mains à plat dans de l’ocre, sur les murs des grottes. Plus beaux que les temples. « Parfois, je pense à pas revenir. J’imagine que j’oublie la date de retour, juste pour voir ce que ça ferait. » Sydney, d’une espèce d’aléa, de fragment isolé, devenait progressivement l’ancrage d’une conversation, qui avait l’air d’un départ, et qui pourtant ne bougeait pas. « Ou tu pourrais ne pas l’oublier et choisir d’y rester, » ajoute-t-il plus moqueusement qu’à son intention, soulignant de l’ongle les filets de pêche censés rattraper la chute du douzième – attendrissantes précautions de sécurité qui trahissaient, même après la gifle etc, l’impossibilité de tomber les yeux ouverts. Ça viendrait. Viendra ? Bennett hausse les épaules, l’expression de son visage varie dans ce dialogue interne, sans donner d’explication. « J’aime bien être seule. » La conversation n’était peut-être pas assez loin pour que Bennett expose à quel point la paix dans la solitude était la seule chose qui valait – à quel point il n’était pas besoin de théories de développement personnel pour voir que la conflictualité face à l’autre est un dérèglement intérieur exporté avec plus ou moins de succès – Bennett n’a pas envie de gâcher l’heure. (On s’ennuierait.) La phrase, qu’il ressentait comme extrêmement signifiante, reste suspendue. Ce qu’il voudrait formuler, éventuellement ; c’est que si elle ressentait ça, c’est qu’elle avait réussi. « Je suis pas la seule à me projeter dans le futur apparemment. » Horreur pardonnée, lissée par la noirceur et l’amortissement général – carpe diem, vivre au jour le jour, et toutes les banalités érigées en muraille devant la boîte en verre noir, pleine de clés sans serrures qui étaient des lésions, qu’il faudrait trouver, en plongeant les doigts, plus tard, plus tard. Elle est la seule, répond Bennett en silence, sans amertume.

La faculté, tardivement acquise, mais acquise, qu’il avait d’imaginer la suite, s’était contractée sur elle-même selon des processus qu’il n’avait pas le temps d’analyser – n’est-ce pas, Bennett qui ne faisait pas que ça de sa vie… – et Bennett n’allait pas beaucoup plus loin que la minute, quand il fallait. L’organisation gardait les apparences intactes – les embellissait même, donnait à la ponctualité l’air naturel. Le futur ? C’était particulièrement vague… pas l’intérêt d’y penser. Il n’était pas un homme de futur, voilà tout. Il avait tenté. Ce n’était pas son goût, comme d’autres n’aiment pas une certaine odeur de thé vert. Non, ça ne l’angoissait pas. Ça… ça ne l’intéressait tout simplement pas. Le « futur ». Maintenant, maintenant est assez riche. Il prend à fond. Il creuse. Il savoure. Hein ? Il garde le cap. C’est tout ce qu’il y a à faire, un grain de riz et ça fout le camp. « C’était purement accidentel, » répond Bennett à voix basse, le ton aussi neutre qu’il pouvait exister de neutralité. (Métaphores ?) (Certes…) Il avait essayé le thé vert. Il se trouvait qu’il avait hérité d’une quantité assez astronomique de cette boisson, qu’il trouvait assez pesante. Il n’allait pas se projeter en train de boire – le thé vert. (Le… ?) Il avait un nom. Qu’il lui avait donné. Le futur qui ne l’angoisse mais dont il n’est pas sûr d’avoir envie. Ce n’est pas le moment. Mais ça n’était jamais le moment, avec Bennett. « C’est juste le début, hein ? » Il revient, facilement, la fluidité tranquille. Dans la bulle à l’extérieur de laquelle personne n’entend et à l’intérieur de laquelle personne ne voit, Bennett hoche la tête. L’air transmettrait son signe mais l’air est un traître, et un paresseux. L’engagement n’a rien de glorieux ; le début de quoi ? Bennett aimait mieux l’idée d’un commencement permanent que celui de l’éternel retour. Avaler le présent jusqu’à la lie, passe encore ; quant à revivre, revivre et revivre, il laisserait son tour à quelqu’un qui avait plus d’idéaux. D’énergie ? Moins de pensée. Moins d’attachement à la phrase une bonne fois pour toutes, qui rendait le bon génial, et le mauvais impossible à regarder en face. « Tu faisais quoi avant que j’arrive ? » Ni dans le début, ni dans la fin ; ni dans l’attente ; il n’aurait pas été exactement juste de dire que Bennett ne faisait rien – il ouvrait la fenêtre au chat, ses mains s’activaient en vue de ne pas mourir (c’est comme ça qu’elles appelaient être immobiles), ses réflexions vaquaient aux paradoxes en compagnie d’un héros grec à qui manquait la cigarette ; mais il n’aurait pas été beaucoup plus juste de dire qu’il faisait quelque chose. Son état naturel, par défaut, en l’absence d’interaction avec l’extérieur. Ce qu’il faisait sans s’en rendre compte. Ce qui n’avait pas de nom, à part qu’il était éveillé, et… ? Voilà Bennett qui n’hésite jamais, en prise avec la plus simple des questions à laquelle il n’avait aucune prévision de réponse, à moins de déclamer une liste mécanique de comportements insignifiants… « Euh… » …parler à Achille, penser à une commande, s’énerver de la réponse d’Achille, trouver un argument splendide pour une controverse datée de huit mois, se lever, avoir envie d’une clope, se ronger les ongles, il n’y a pas de clopes dans la maison, Achille a toujours tort, il devrait recommencer, ce visage. Souvent, il recommençait. « Je réfléchissais. » On peut dire ça comme ça. Un geste qui tourne près de sa tempe et de son oreille, raconte dans un langage muet une définition absente de ce qui peut se formuler – hasard, il ne sait pas, la question le prend au dépourvu, elle est pourtant simple ; silence. Des châteaux en Espagne, ou mieux, des raisonnements qui ne mènent nulle part. Habitude, machine ordinaire. Hygiène mentale. Routine. (Bennett attend le début.) « J’attends de voir si tu préfères respecter ta promesse de partir dès que t’aurais le papier ou ton serment d’en faire qu’à ta tête. » Détournement. Superficiel, mais pas superficiel – il est quelqu’un qui écoute, aujourd’hui. Qui ne dit pas ce qu’il absorbe. Réserve aux futures crises – c’est drôle – pas tant que ça ; y avait-il le choix entre lui et Ginny ? « Les ennuis de la liberté individuelle et des promesses. » Et Bennett fait appel à des valeurs floues, des Principes. Les serments ? C’est plus grand que lui, ça l’a toujours été, on ne jure pas de nuit, la nuit il ne sait pas dire ce qu’il fait. Quant aux grandes décisions, c’est plus grand qu’eux. Plus maintenant, elle partait. Que lui seulement.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 21:16


« C’était purement accidentel, »
« Évidemment. »

J’irai pas là, je nargue juste. J’imaginerai pas ce pourquoi il n’y va pas lui-même, je chercherai pas des réponses où j’ai même pas trouvé les questions qui y seraient associées. Bennett se décharge de toutes responsabilités et le pamplemousse est tantôt trop sucré, tantôt trop acide. Il a fini d’écrire. Il a terminé ce qui devait barbouiller les pages, il me donne pas l’impression d’avoir barbouillé. Il a écrit. Et statuer les faits me rassure. Le gazon est froid. L’air chatouille. Le chat regarde – regardait. Les voisins dorment. Lui, lui il hésite. Je savais pas que j’avais des capacités d’interviewer, je savais pas que j’étais celle avec les cartes et les notes qui renferment les pires interrogatoires, ceux qui viennent comme des labyrinthes occasionner des silences, des onomatopées et des regards pensifs de trop penser. « Je réfléchissais. » dans ta tête ou en général ? Je sais pas ce qui se passe, dans sa tête. Parfois, j’imagine que tout y est (trop) bien rangé. Marqué par codes alphabétiques, des employés qui s’assurent que tout roule à la seconde près, que la machine a tout ce dont elle a besoin pour fonctionner sans heurts. Le strict minimum pour ne pas avoir à gérer de surplus et de réserves, pour jouer les avions avec le bon pourcentage d’essence, jamais moins, jamais plus. Un robot qu’ils disaient, à l’Académie. D’autres fois je le pressens à taper du pied, à être impatient de tout, à tout anticiper, à tout critiquer, à comparer le monde entier comme si c’était la solution. Mais ça voudrait dire qu’il penche plutôt vers le conditionnel que vers le reste. C’était accidentel. Alors j’irai pas là. T’as déjà dit, ça. « J’attends de voir si tu préfères respecter ta promesse de partir dès que t’aurais le papier ou ton serment d’en faire qu’à ta tête. » j’attends de voir moi aussi. « C’est une décision pour la Ginny du futur, ça. » la Ginny qui est patiente, la Ginny qui n’a pas remis ses espadrilles mais qui range savamment la lettre dans son enveloppe. Entre une minute ou une heure de sursis, je n’ai pas de montre, et il réfléchissait. Je ne dérange pas, donc. La Ginny du futur qui pourrait ne pas l’oublier. Sydney. « Les ennuis de la liberté individuelle et des promesses. » c’est qu’il aurait dû faire poète, Bennett. Ça rime et ça me fait rire, il ne comprendrait pas, j’expliquerai pas non plus. Oublier c’est laisser le contrôle à ma mémoire, c’est confirmer ce qu’ils pensent tous, ceux qui dorment éparpillés dans la ville ou à quelques mètres à peine : choisir c’est mieux. Choisir c’est le bon mot aussi. Je l’avais averti, que je savais pas quel lexique devait être utilisé pour dire quoi. Alors, la promesse ou le serment ? C’est pas encore le moment de décider, je gagne du temps.

J’en gagne en pliant les coins de l’enveloppe, en la faisant glisser sur les rebords du bois parfaitement vernis par endroit, dramatiquement desséché à d’autres. L’éloigner juste pour la rapprocher un peu plus. « Je la lirai pas. J’espère que t’es pas fâché. » j’ignore la couleur de l’encre qu’il a choisie, Bennett est plutôt noir, non bleu. Il est pas du genre à laisser des marques sur ses mains, il fait ça propre, j’aurai aucune preuve. Ses lettres doivent être droites, il aurait dû faire calligraphe, il sait mieux dire les choses que moi, même s’il le pense pas. « T’as déjà remarqué que y’a pas d’entre-deux, la nuit ? » c’est lui qui a commencé. C’est lui qui a tendu la perche et c’est lui qui a mis en opposition une promesse de faire quelque chose, et un serment de faire l’inverse. C’est lui que je regarde avec des grands yeux de gamine fière de sa réalisation, lui qui doit déjà y avoir réfléchi quinze fois et quinze autres pendant ses moments d’insomnie commandités par l’argile et par le manque de café. Explique-toi Ginny, tu m’intrigues. « Soit tout est silencieux, soit tout fait un vacarme impossible. » soit je pars, soit tu restes. C’est qu’il n’est pas tout seul à s’enfermer dans ses pensées, dirons-nous. Y’a quelque chose d’évident la nuit. Y’a quelque chose de différent du jour, de plus tranchant, de plus vrai, de plus facile mais pas nécessairement de plus simple. Y’a des murmures qui sont enrobés de coton, eux qui font place à l’écho d’un craquement qui pourrait écorcher les tympans de qui que ce soit ne tendait même pas l’oreille. La nuit, y’a pas de zone grise, y’a pas de limbes, y’a juste les mouvements au ralenti, ou ceux qui sont parfaitement assumés. Je sais même pas pourquoi je parle de ça, je sais même pas pourquoi ça m’apparaissait logique comme réponse. Je sais même pas s’il comprendra, sûrement pas. C’est pas lui de penser à ça, meilleure chance la prochaine fois. C’est la nuit où je me dit que je ne reviendrai pas. C’est pas le matin où j’ai les meilleurs arguments pour le faire ; c’est lorsque je pose la tête sur l’oreiller et que j’aspire à m’endormir sans jamais vraiment y arriver. « C’est idiot. Oublie. Continue à réfléchir. » Virginia parle beaucoup ce soir, Bennett écoute apparemment plus qu’à son habitude. Ou alors l’une parle parce que l’autre écoute et l’autre écoute parce que l’une parle, justement. J’ai jamais vraiment capté à quel point j’avais bien pu lui dire des choses, depuis le temps. C’est ironique venant de celle qui - « Je vais continuer à repérer quel arbre fait plus de bruit que les autres. » celle qui sursaute quand la branche tout en haut, impossible à voir mais flagrante à entendre craque comme pour confirmer la théorie de l’absence d’entre-deux. Celle qui sursaute quand le papier rêche a fait place à des doigts froids, sans encre, sans preuves.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyVen 21 Mai 2021, 23:06


« C’est une décision pour la Ginny du futur, ça. » Il lui concède, et le futur reste dans son coffret, avec quelques autres peintures assez mauvaises et puis des indésirables auxquels Bennett réfléchirait plus tard. Ginny, parlons de Ginny, alors. Ginny qui ne craque ni ne plie ; une volonté différente. Galette friable, réduite en poussière du bout des doigts, roseau qui plastique sans rompre jusqu’à l’étranglement ; telle, il l’avait connue, des épisodes saccadés reliés par des fils et du ruban adhésif. Même si elle recule ; l’air du changement, qui éclaire la bulle sans la troubler, saute aux yeux de Bennett. La Ginny du futur parle à Bennett du passé – il n’est pas comme ça, il est dans la bulle, laissez. Elle lui présentera ? La Ginny du futur. Il en connaît beaucoup. Il y a des lignes, des scripts. Des bifurcations scénaristiques, enfin des acteurs qui ne suivent pas le texte. Il y a des Ginny du futur qui sont le négatif absolu de la souffrance du lac. Il y a des Ginny qui n’existent plus – une espèce d’ombre sans objet précis passe sur les yeux de Bennett, mais tout est ombre ici, et il se sent mieux, il ne se sent pas obscur, simplement environnemental. Paysager. Se concentrer sur la Ginny du présent, empêche Bennett d’y retourner – où ? – hors de la b– on a compris. « Je la lirai pas. J’espère que t’es pas fâché. » Ah, ça. L’enveloppe renferme plus de mots qu’ils n’en ont prononcés ; tous différents de ce que Bennett produisait à l’oral – sobre, tout du moins. Aux maladresses des syntaxes qui subsisteraient dans sa réflexion longuement malaxée, la destinée substituerait peut-être une maladresse sincère qu’on nommait parfois muse (quelle expression hideuse), empêchant de couler la lettre. (Elle serait prise.) Oui, personne n’en doute. Qui doute, dans la bulle ? Tout ce qu’il avait dit était radicalement vrai. Les formules n’importaient pas. « T’arriverais pas jusqu’au bout, » rétorque-t-il énigmatiquement, sûr de lui comme pouvait l’être un Bennett avec des certitudes sous la main et pas grand-chose sous les pieds ; celle que la lettre serait tout à fait illisible à Ginny pour des raisons strictement non-calligraphiques, celle que le fond du caractère qu’il lui connaissait serait révolté contre la recommandation de son langage parce qu’elle ne savait pas dire les choses autrement. Je recommande un dialecte, je recommande une syntaxe, se dit Bennett, et ça le fit sourire, brièvement. « T’as déjà remarqué que t’as pas d’entre-deux, la nuit ? » Tout à coup. Ginny parle de la nuit, Ginny parle du silence et Ginny s’autocensure quand on ne distingue que l’ombre de son ombre et qu’elle réalise à elle seule la prophétie des extrêmes. Quand elle parle et que le mutisme autant que le vacarme cèdent leur place – n’était-ce pas l’entre-deux – non, non ; parce que c’est idiot, parce qu’oublie, Bennett, la poésie ce n’est pas pour toi. Tu trouveras ta voie. Il serait temps. Enfin dans toutes tes vies, tu auras besoin de ces bulles opaques et étanches, résistantes à tout, et brisées lorsqu’on cille. Les bulles de savon gonflées par les gosses durent plus. Elles ont le rire, ils ont… ? Bennett croise les bras sur le rebord – comme ils se croisaient sur le bord – métaphores, encore – et rimes involontaires. (A plus tard la poésie.) La nuit nous n’existons pas. Quelle était la question ? Bennett absorbe, Bennett porté. Bennett imagine la nuit dont elle parle – la peur d’une cacophonie monstrueuse, vulgaire, d’un sifflement perçant qui trancherait tous les liens vers le calme ; pas de bruit ; la musique c’est du silence, mais le bruit… ? (L’extrémité c’est lui, d’un côté ou de l’autre.) La plus grande haine ou le bateau qui flambe – pas de bruit sur le carrelage, peut-être que tout cesserait. S’il n’y avait plus aucun son ni aucune lumière, peut-être qu’il trouverait la même chose que dans l’excès de son et de lumière, le dérèglement de la mesure, du un à dix, un à mille, lui – entre-deux – un, deux. Trois secondes de silence. C’est plus grand que moi – et plus elle parlait de lui, moins il répondait. « Je vais continuer à repérer quel arbre fait plus de bruit que les autres. » Le contact surprend Bennett, sa nonchalance naturelle, son état global d’apaisement l’empêchent de se résoudre hâtivement à l’ôter comme un hasard, le dé qui tombe sur la tranche, le dé qui tombe toujours sur six. Trois fois, c’est étrange. Neuf fois, c’est… ? (Régulier ; dans l’esprit de Bennett, peut-être moins étrange.) (Que l’exception devienne la règle, tant qu’il y avait une règle.)

Il n’y en avait pas. Bennett pensait dans le vide. Par superstition de la nuit, qu’il restait là, comme si ne pas se voir et ne pas savoir était autre chose qu’un jeu de sons ? « Mais tes mains sont gelées. » Lui proposer d’entrer aurait le mauvais goût d’une plaisanterie éculée, rapiécée, qui ne faisait plus rire qu’à cause de la gueule de celui qui la déclamait ; alors la phrase de Bennett échoue un peu à tout, à résoudre un nœud inexistant ou à noter un fait digne d’intérêt, à amorcer une action, à prononcer la sentence. Ce sont ses mains à lui, qui sont froides. Si on lui demandait le sens de sa phrase, Bennett ne saurait pas quoi répondre. Sans doute pour cette raison, que ses paroles suivantes semblent se détacher tout à fait de l’évènement. Pour ça qu’il pouvait croire à l’accident, croire aux feuilles qui bruissent, aux échanges de peau. Ne pas croire. Un peu sceptique, un peu en-dehors. Un peu lointain pour ça, dans l’esprit – il y a des chemins bloqués, des éboulements. Des cavernes marquées de paumes millénaires fermées à tous les publics de tous les avenirs – tu es poétique ce soir – mmh. « J’ai jamais aimé le lever. » Et si Bennett dormait, il se levait tard, trop tard pour voir pâlir le jour sur les restes du doute, sans pouvoir le faire fondre. Alors oui, avec un bloc de glace entre les côtes, les aurores… la poésie, c’était une affaire d’alcolo sur les toits, pas de chouette insomniaque goudronnée par l’espoir. Du goudron dans l’espoir. Hein ? Il continue, il arrive. « Je sais que toi oui, mais… » Mais ses mains sont gelées – mais tes mains sont gelées ; mais tu n’aimes pas la chaleur – l’aube – oui, voilà. Le soleil. Mais la lumière, si ? Bon, restons-en là. La théorie marchait plus pour lui que pour elle – un jour de détresse, elle avait souligné la ligne qui sépare la nuit de la vérité, avec des couleurs qu’il était incapable de voir, et il avait dû rire. (Il avait proposé ; il ne s’en rappelait pas.) « Un entre-deux. » Le rire est à peine moins sincère, à peine plus dans la gorge, et Bennett s’en veut de ce qu’il n’arrive pas à contrôler. La nuit, oui. Ailleurs. Quand on n’y voit rien, on interprète ce qu’on veut. Peut ? « Je t’écoute, je sais pas pourquoi tu t’arrêtes. » Je ne vais ni avancer, ni reculer. Ginny savait, ou ne savait pas, le réflexe inscrit au passif, en caractère profonds, quelque part à l’arrière de sa nuque et du côté du foie ; cette chaîne instinctive, cette demande obsédante ; ce qu’on voulait de lui. Si elle ne le savait pas, la phrase de Bennett n’était qu’une bizarrerie parmi celles qui semaient le chemin de l’hôpital, de Samsonvale, du bar Fortitude. Si elle le savait, le fait que Bennett ne lui demande pas qu’elle explicite son geste était plus étrange encore, car le brun n’aime pas ne pas connaître les termes de l’échange. Le sculpteur est une poussière dans le temps qui laisse sa main sur le rebord de la fenêtre, par respect pour une loyauté sans paroles. N’avance ni ne recule – l’entre-deux, disait-elle ? Il hait l’entre-deux. Il hait l’entre-deux. Mais les chemins pour en sortir ne sont pas bons, pas sains, tu l’as bien appris. La leçon dépérit quelque part en lui. (Entre-deux.) Ce n’était pas une caractéristique de la nuit, ça, Ginny. Sa main sur la sienne fait un vacarme impossible, dans un silence insondable.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptySam 22 Mai 2021, 05:02


Il parle de Demers. De comment sa grosse voix nasillarde citait mes photos. Il parle de mes photos aussi, sûrement, de celles qui jouaient avec les ombres. Il parle peut-être du fait que je dessinais trop, que je ne peignais pas assez – ou l’inverse, j’ai oublié quelles étaient mes lubies à l’Académie tellement y’en a eues beaucoup. Il parle assurément de tous les vernissages où on voyait mes toiles mais où on ne me voyait jamais. Il se moque peut-être de la quantité de cahiers que je pouvais remplir à chaque mois, de l’encre et du fusain que j’avais toujours sur les doigts. Je pourrais continuer longtemps, à essayer de lire à travers ses formulaires dans la pénombre, ou je pourrais abandonner le navire de papier brûlé sans l’être vraiment pour juste me dire que non, je ne lirai pas. Pas juste me le dire à moi. « T’arriverais pas jusqu’au bout, » « Frimeur. » du plus humble il passe au vantard de la prose, et il a pas écrit aussi longtemps que ça Bennett. Il a dû faire que des tracés, leur dire de surveiller mes nez. Que j’allais renverser de la peinture partout et me prendre dans les étalages, que les murs de Sydney allaient devoir eux aussi recevoir un mémo parce que McGrath aimait l’art urbain, dorénavant. McGrath sursaute et Giller constate. « Mais tes mains sont gelées. » un peu plus et j’aurais pu penser que c’étaient les miennes, de mains, qui s’étaient trouvées de part et d’autre de l’enveloppe. Les doigts qui se triturent et qui font des nœuds au creux de la nuit. Mais à la place il y a lui et il y a un rire, ou c’est l’arbre encore qui craque, qui parle, qui en a tellement à dire. « J’ai jamais aimé le lever. » hm ? Je regardais même pas ailleurs, j’écoutais même pas les branches. J’avais posé des questions mais les réponses sortent autrement et il dit quelque chose et il murmure et non, sa voix prend toute la place. Sa paume pique, il met pas assez de talc lorsqu’il travaille ses structures de pierre. Pour qui tu te prends, c’est lui qui recommande. « Je sais que toi oui, mais… » « Mais ? » chut, dis rien. J’ai même pas osé, pas par crainte de déranger, juste parce que l’expiration s’est mêlée au tableau, qu’elle a chassé le point d’interrogation dans le vent. Ça date, c’est ailleurs ça aussi, c’est sur une page du calendrier et sur plusieurs autres. Y’avait du corail, tout en haut des toits. Et y’avait Bennett qui ne regardait pas. Pas comme ça.

« Un entre-deux. » entre ses phalanges je parierais que ; « Je t’écoute, je sais pas pourquoi tu t’arrêtes. » tu paries rien, Ginny. C’est toi qui fait la conversation, oublie pas. Mais je – tu quoi ? « Tu juges. » pas moi. Il juge les levers et il juge les promesses que je ne tiens pas et il juge les serments qui flottent et il juge la température de mes doigts. « Je m’arrêtais pas, c’est toi qui parlait, j’écoutais, je suis polie. » je pense qu’il veut dire quelque chose, Bennett. Ou alors il réfléchit encore un peu. Peut-être trop. C’est comme s’il attendait que je recommence à parler pour ne rien dire. Il y croit pas, à la théorie du silence et de l’écho. C’est drôle ça. Il parle pas et j’entends ma voix qui résonne sur les parois de son atelier qui est patient lui aussi. Pourquoi est-ce qu’il(s) ne le serai(en)t pas. Il attend donc. Il tape pas du pied et il ne pianote pas des doigts. Mais il retient quelque chose à l’intérieur et j’en fais un jeu. Un jeu avec moi-même, parce que lui ne joue pas au-delà. « Ajoute-le à ma lettre. » que je suis polie. Que je ne creuse pas. Que je ne parle plus du futur et que je ne lui demande pas ce qui ne va pas. Ou ce qui va, tiens, on commence par là. « Les tiennes sont pires. » y’a cette espèce d’envie d’équilibrer les cartes et de mettre de l’ordre dans la balance qui suggère à quelque part que si Bennett juge, j’ai le droit de juger moi aussi. C’est sympa, de pointer du doigt sans bouger la moindre jointure. Elles sont occupées à chercher l’argile sous ses ongles mais surtout à accumuler des pièces à conviction pour la suite. « Tes mains. » les siennes sont bien plus froides et je mets ça sur l’absence de tasse bouillante dans les parages. Il pourrait au moins avoir du thé. Ça dépanne, il doit maudire le goût, trouver que ça ne sert à rien. Tu ries, non là c’est lui.

Et ses mains froides ne sont plus. Elles papillonnent sur le rebord de la fenêtre, les miennes font pareil, désormais investies de la mission de prendre le pouls sur autre chose que ses poignets et plutôt l’intérieur des poches de mon jeans. « Je vais te montrer. » et si dire les choses est compliqué les expliquer l’est encore plus. Dans ma tête, ça fait sens. C’est la solution, c’est pas si complexe et c’est encore moins risible. Bien moins risible que d’avoir des éclats de pastel qui s’accumulent dans les replis d’un pantalon taché au préalable par eux, le même duquel j’exhibe mes trouvailles sous forme de crayons tantôt cassés, tantôt dépareillés, tantôt trop nombreux pour l’endroit où ils vivaient juste avant. Elle n’a pas ses clés et elle perd toujours son téléphone et son sac fait pour la troisième fois le tour du quartier sur le siège arrière d’un taxi à la carrosserie bordeaux et vous pouvez être sûr que j’ai toujours des couleurs dans mes poches. « Comme ça t’auras de quoi te pratiquer, en attendant le vrai. » se pratiquer à aimer les levers ; voyons, qui suit, qui ne suit pas ? C’est pas illégal c’est de l’art urbain, c’est la mine de biais d’un ocre que je rapproche d’un coin de bois, les nervures et les nœuds qui deviennent dorés pendant une seconde et dix autres. Pas un vrai graffiti, absolument pas quelque chose à ajouter à ma lettre, mais des couches et des lignes et des angles et des airs de soleil qui se lève les yeux secs et la bouche pâteuse. Qui s’étalent et s’étiolent sur l’arc de sa fenêtre ouverte. Son propre triptyque de réveil, son dessin d’aube en guise de devoir, de tentative. Parce que c’est comme ça qu’on apprivoise, à l’avoir sous les yeux un peu plus, un peu mieux. Mais Bennett est un adulte et Bennett se retient de dire des choses et Bennett est le roi des responsabilités et de l’horaire bien tailladé.

Bennett n’aime probablement pas le vandalisme ; « Ça part à l’eau. » qu’il se rassure de savoir que tout va disparaître dès que l’Australie décidera qu’un peu de pluie ne ferait pas de tort à mon canevas de jour en pleine nuit. Et un coup d’œil qui se relève vers son air d’adulte sérieux au sourire en coin quasi assumé. J’ai presque fini.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptySam 22 Mai 2021, 16:04


Dix fois, il croit encore à l’erreur, la onzième est celle du rappel de la trêve, du laisser-faire, de l’expectative. Ne bougera pas si on ne bouge pas, n’attaquera personne et ne défendra aucun terrain. Treize ans d’Académie, pour cette fine marge qu’il laissait au bénéfice du doute, parce que les mains avaient été la promesse du combat avant de devenir les artisans de la défaite, à laquelle on ne pense pas, évidemment pas, Waterloo et la Grande guerre, ne laissent que des creux et des bosses dans la terre – les mains avaient d’abord été le bien. Argument chronologique bancal qui laissait Ginny parcourir ses os comme la carte des creux et des bosses imprimés à la glaise, et à la vie quand il fallait combattre. « Mais ? » Mais rien, mais on réfléchit trop, et on fait semblant de réfléchir à des problèmes qui ne se posent pas ; d’un niveau inférieur de plusieurs années, à celui qu’ils devaient avoir. La comparaison ne mérite pas d’être filée ce soir. Laissons la nuit. « Plus tard, » souffle-t-il avec l’écho lointain d’un autre je t’expliquerai – les circonstances, avec tout ce que ce mot avait de pragmatique, n’avaient jamais laissé place à l’explication entre eux ; c’était une blague sur le long terme, un prêt sur vingt ans, ou une promesse qui avait besoin d’autres conditions, aussi opaques pour Bennett que pour celle à qui elles s’imposaient. Lorsqu’elle aurait besoin de savoir, ça se ferait, indépendamment de lui, de sa bouche qui ravale, de sa tête brique à hiéroglyphes. (Lorsqu’elle aurait besoin de savoir ce serait encore crise, paroxysmique et trop, trop, beaucoup trop.) C’est cela. Il hausserait les épaules si on lui faisait remarquer – ça avait commencé comme ça, ça continuerait sans doute, les éclairs prévisibles qu’ils ne veulent pas prévoir, entre deux vacances complètement creuses de la présence de l’autre importun et un fil bleu illisible sur l’eau. Ils n’étaient simplement pas très préventifs. Ils aimaient les grandes actions ; panser les plaies est plus héroïque qu’avaler les deux pilules, une blanche, une verte, à heures fixes. Ce n’est pas à la mesure d’eux. C’est l’iode aux survivants nucléaires… « Tu juges. » « Hein ? » Haussement de sourcils, bouche qui se fend sous le procès d’intention. « Je m’arrêtais pas, c’est toi qui parlais, j’écoutais, je suis polie. » Non, Bennett s’était fait réceptionneur, oreille attentive, laissé tomber le je pour un temps – non ? Il était revenu ? (Un peu.) Décidément, il n’avait pas pu empêcher je de lui tirer la manche, avec des pots-de-vin, de passer en contrebande. Bennett désintéressé ne fonctionnait pas très bien. Le prototype avait du mal. Ego, je, moi, elle parle de nuit, il finit la nuit, il impose le soleil avant de s’en plaindre. Ego, je, moi – il était pourtant sincère ; ego, je, moi, étaient juste la réponse par défaut, lorsqu’il craignait que l’autre aille trop loin, et que le rôle qu’il avait dans la bulle soit brusquement outrepassé. L’orgueil réplique que craindre est imbécile, qu’il devait relever la tête, qu’on ne l’y prendrait plus. L’orgueil lui aurait fait couper les ponts avec beaucoup de gens, il fut un temps. « C’est pas ce que je voulais… » Dire, encore, et il ne fait que ça, répéter à qui veut l’entendre que non, on ne l’avait pas compris, on avait la lettre mais pas l’esprit, et vous ne comprenez décidément rien – c’est normal ; Bennett, ne parle pas, il rattrape seulement. Les points qu’il met lui-même sont prétexte à coudre par-dessus des chemins de croix qui prennent la montagne plutôt que la plaine. « Ajoute-le à ma lettre. » « Virginia est autoritaire, » constate Bennett avec une déception feinte de ne pouvoir saisir un stylo de conception industrielle et laide, avec une marque de pharmacie en caractères hideux, pour étoffer sa description recommandable et recommandée de l’être en face de lui. Elle descend ses phalanges sans qu’il n’esquisse un mouvement. Cherchait-elle le jour ou la nuit, là où finissait sa peau ? Ce qu’elle examine, ce qu’elle ne dit pas. « Les tiennes sont pires. » Il sait, il sait ; nous avions dit pas de banalités, à moins qu’elles ne s’imposent comme l’obscurité banalement noire, silencieuse, et pleine de vacarme. L’imprécision du constat tombe sous le sens, alors que s’effeuillent les multitudes de possibilités de l’oracle : les choix, les traits de charbon graphique, les saveurs d’aurore, les espérances et les non-espérances, les phrases en feu, les tiennes sont pires ; de factures, de décisions, de feintes ou de vérités ? – Les factures, sans doute, qu’ils s’échangent sans jamais les regarder, une gifle ou un enfant malade qui va mourir alors que personne ne mérite de mourir ; le fournisseur et le receleur changent de rôle, l’affaire continue sans un mot. (Rendez-vous dans trois ans, je n’y serai pas, alors demain, j’étais hier, c’était moi.) Et si un jour il fallait faire un bilan… ? « Tes mains. » L’évidence, A et B, guère besoin de chercher tant de sophisme et d’allégories, Giller. L’un ou l’autre délie le geste, et les mains qui voudraient être moins sèches du sculpteur n’ont pas à bouger d’un quart d’atome, puisqu’on s’occupe à sa place d’abolir un contact qui n’avait jamais eu lieu, qui ne voulait rien dire tant qu’on ne l’interprétait pas. « Je vais te montrer. Comme ça t’auras de quoi te pratiquer, en attendant le vrai. » Elle sort des couleurs de ses poches comme un musicien ne pourrait pas sortir son violon – et grave des signes qu’il distingue à peine pour se venger d’ego, je, moi qui avait parlé de l’aube pour ne pas perdre la nocturne. Elle prolonge son erreur. Si elle allait assez loin, ça n’en serait plus une.

L’échantillon jetable, d’une lumière invisible, virtuelle, d’un coin d’avril individuel. « Ça part à l’eau. » Ses mains ? (Tout à l’heure, ça.) L’aube, alors. Tu fais exprès de ne pas comprendre ? Il va bientôt être deux heures. Tu te moques. Mais non, il est naturel, et presque pas détaché. « Tu travailles pour les archéologues du futur. » Bennett si classique, Bennett les yeux grands ouverts d’absorption et de beauté devant les grands maîtres romains et la Renaissance, dès môme, dès môme – Bennett si moderne, Bennett qui haïssait les innovations laides mais recherchait le futur de l’art, c’est-à-dire quelque chose qui ne s’inscrit pas dans le temps ordinaire qu’on appelle les années – Bennett, au milieu d’un attachement aussi élitiste qu’universel à ce qui faisait peindre ou danser les hommes, aimait les gens qui avaient appliqué leurs mains sur la pierre, avec une sensibilité inexplicable. La femme ou l’homme qui ne comprenait pas la foudre et chantait pour éloigner la pluie, écarquillant les yeux sur le bord de sa grotte comme lui dans un musée, vingt mille ans plus tard ; elle avait grincé des dents en rentrant, elle avait fait un feu, il faisait froid dans la grotte qui abrite la fin d’un singe et le début d’un astronaute. Les mains qu’elle avait frotté dans les pigments rouges avant d’en palper la pierre, paumes écarlates et jaunes passées de vie, d’un être qui ne comprenait pas la foudre et peut-être pas la mort, que voulaient-elles dire ? (Ne m’oubliez pas.) Ces gens ne savaient pas écrire ; ils ne s’envoyaient pas de lettres ; ils étaient muets pour ceux de l’avenir. Ceux qui oubliaient le bras qui avait épongé la sueur préhistorique du front (peut-être des larmes ? Ces gens pleuraient, et peut-être y avait-il quelqu’un à pleurer ?) et qui traçait maintenant sa présence solitaire et balbutiante sur la paroi – il y aura des gens après, ils viendront, ils verront, ils sauront que j’étais là. (Au milieu de la fumée, elle faisait transpirer l’ocre, elle attendait qu’un autre revienne, parce que la foudre n’avait pas frappé, qu’il était toujours revenu.) Et ils ne m’oublieront pas. Elle avait rêvé d’une main pleine de pluie se serrant sur son bras. (La grotte est bourrée de fumée.) Ma main rouge sur le mur les oblige à ne pas m’oublier. C’est une promesse du futur. Ils sauront que j’étais seule dans la grotte. Que j’ai disparu le 21 novembre -38901, qui est une date qui n’existe pas, moins qui, moins quoi ? Je dis ‘disparu’, parce que mourir, sans écrire ni parler, c’est assez abstrait. J’attends. Je pense que c’est la fumée qui m’a emportée, ce jour-là, parce que je n’avais personne à qui parler, à part les personnes du futur. Parce qu’il n’est pas revenu.

Ginny dessinait l’aube dont il ne voulait pas, avec des outils étranges et précis, au lieu de gratter la terre et de chercher à comprendre d’où venait la foudre. Aucun archéologue ne comprendrait que Bennett n’aimait pas le lever et qu’il fallait l’y éduquer. Qu’est-ce qu’ils croiraient ? Ils ne croiraient rien, ils ne verraient rien. « Ils essaieront de comprendre ce que t’as voulu dire. » Achille maussade peut bien marmonner dans son dos, son nez n’est pas trop mal, son humanité est bien exécutée – mais on n’a pas beaucoup avancé, depuis les mains sur les murs. Quand Bennett voulait troubler l’eau au point de s’embarquer pour les causes profondes, les racines et la première impulsion, il trouvait fascinant que sous un certain angle, la Renaissance et la baroque et le génie ne valaient pas les traces dans les grottes et les restes du feu. Peut-être était-ce l’absence d’écriture et l’impossibilité du témoignage, qui rendaient l’âge de pierre émouvant. Peut-être était la communauté de haine pour le langage avec ces inconnus très vieux morts très jeunes, qui étaient muets pour l’Histoire, qui troublait Bennett face à une feuille blanche, une argile informe. Un bloc de pierre arraché à cette non-histoire silencieuse, qui faisait des pieds et des mains, pour qu’on l’entende à travers les siècles. (Et pourtant tu recommences.) Pourquoi avaient-ils laissé leurs mains ? « Ils ne voulaient pas qu’on les oublie. » Et elle, qu’est-ce qu’elle voulait ? Pour les archéologues, pas pour les simples passants... « Ou bien ils faisaient ça juste comme ça. » Bennett baisse les yeux sur Ginny, pour obtenir des réponses absentes ou confirmer l’absence de réponse, de ceux du passé. Ceux qui dessinent des aubes sur une fenêtre à deux heures. Trois, parce que Bennett avait mal vu. Deux, c’était les étages, ou les sens.
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Message(#) Sujet: Re: dusted us over, covered us under (ginnett #10) dusted us over, covered us under (ginnett #10) EmptyMer 26 Mai 2021, 18:00


« Plus tard, » d’accord.
« Hein ? » quoi ?
« C’est pas ce que je voulais… » tu les coupes courts, tes ongles.

J’ai ri, à un moment. Ou alors c’est lui, c’est flou. Les arbres craquent encore et j’ai arrêté de parler, c’est à mon tour de réfléchir. J’ai l’impression de faire que ça depuis des semaines. Penser à tout, anticiper sans que rien ne change, n’arrive. Réfléchir à partir, réfléchir à rester. Réfléchir à Brisbane ; à ce qui est à Sydney. Ce qui m’y attend aussi, peut-être. Ça dépend de la lettre. Ça dépend de bien des choses et ça ne dépend pas que de ce qu’il a écrit et ça dépend pas que de Bennett, même s’il fait froid. Pas vraiment. « Virginia est autoritaire, » « Benedict aime pas qu’on lui dise quoi faire. » Virginia n’est pas autoritaire du tout. Si on faisait la liste de tout ce que je suis, ça serait en dernier, tout juste avant ordonnée, rangée, soignée, lisse. J’ai des cicatrices de partout, j’ai appris à en faire des arcs-en-ciel.

Et l’entre-deux est pour le jour. Il est pour les conversations avortées avec un Auden qui change immanquablement de pièce quand je choisis la même que lui. L’entre-deux est pour les matins où sa tasse de café attend sur l’îlot pendant que la mienne me brûle les doigts même si je ne le sens pas. L’entre-deux est passif, pourtant c’est celui qui fait le plus mal. Certains diraient que parce qu’il fait noir, c’est comme si on fermait les yeux. Qu’il est encore là l’état de limbes, mais qu’avoir les paupières si définitivement closes le fait disparaître comme par magie. Certains me demanderaient ce que je cherche quand j’arrive même pas à voir sa ligne de vie. Je cherche des pastels au fond de mes poches. Je cherche des arguments aussi. « Tu travailles pour les archéologues du futur. » je travaille surtout dans les coins pour éviter de finir avec des échardes dans les doigts, mais chacun son combat. « C’est bien dit, ça. » j’ai pas le vermeil que je voulais, il doit être resté dans mes affaires à la maison. C’est lui qui se serait bien mieux marié avec le grain du bois, c’est lui qui est plus crémeux, qui aurait couvert un peu mieux. Bennett ne dit pas un mot et c’est constant, on se maintient. Ou il parle dans sa tête et je juge pas, j’écoute juste. J’écoute les écorces qui suivent les traits, j’écoute ce que les minutes qui passent me donnent comme canevas. À défaut d’avoir la tête pleine ce sont mes mains qui le sont à nouveau mais pas comme on pense, elles le sont parce qu’elles s’investissent d’une mission qui me fait tantôt autant sourire que froncer des sourcils. Bennett avait raison : Virginia est autoritaire avec ses crayons. Elle les veut à quelque part et pas ailleurs, elle les veut qui font ce qu’elle s’amuse à prédire avant de le voir prendre forme. Il parle d’archéologues et je joue les devins et personne ne se projette de l’autre côté de sa fenêtre. L’exercice est facile, difficile, simple et compliqué. L’exercice tache l’intérieur de mes paumes et le creux de mon poignet. Mon t-shirt, mon t-shirt lui est taché depuis bien plus longtemps que ça. « Ils essaieront de comprendre ce que t’as voulu dire. » si t’arrives à comprendre avant eux qu’est-ce que tu gagnes ? Et si moi je finis la première ? Le problème, c’est que je l’analyse qu’après. C’est que je prends le temps de détourner les yeux vers Bennett comme s’il avait lui-même les réponses, la première couche sur laquelle il perd son attention devient la dernière pour la mienne. « Ils ne voulaient pas qu’on les oublie. » qu’est-ce que t’as voulu dire Ginny ? Est-ce que je voulais dire quelque chose seulement ? Personne pose ces questions-là parce que personne ne veut les réponses. « Ou bien ils faisaient ça juste comme ça. » j’aime pas qu’il fasse l’interrogatoire sans qu’il y ait de points d’interrogation, j’aime pas qu’il suggère des paroles que je ne vois pas. Je vois rien, il fait noir mais j’ai pas les paupières fermées – arrête de le regarder.

« Ils essayaient de se rappeler de quelque chose d’important à cet instant-là. » sur le moment, c’était bien plus évident que maintenant. Y’a un soucis avec la temporalité. Je pourrais pas mettre le doigt dessus et je sais même pas quand ça commence, ni quand ça finit, oh l’ironie. Mais y’a un soucis de décalage, de fuseau horaire. Y’a un disque qui saute et une impression de déjà-vu. Gratte pas le bois Ginny ; mais les traits dépassent des lignes. Ce sont les traits, les lignes. « Mais ils sauront jamais vraiment ce que c’était, je pense. » qui ça, mais de qui est-ce que tu parles. Lui, de qui est-ce qu’il parle. Ça bloque, mais pas assez. C’est pas vraiment des questions à réponses courtes : sur le formulaire ils demandaient d’élaborer. Oui et non ne finissent pas en aquarelle sur le cadre, peut-être et jamais ne sont pas les choix habituels à cocher avant de poster des lettres. Et tout est à sa place. Mes pastels roulent, y’en a un qui tombe chez lui, deux qui finissent leur course à mes pieds. Tout est à sa - « C’est la meilleure place. Ma préférée. Celle où t’es laissé à toi-même pour interpréter. » en classe, ils nous disaient toujours ce qu’on devait penser. À table, ils me disaient toujours ce que je devais dire. À la maison, on me dit ce que je devrais faire. Ici, ici les fenêtres parlent la nuit pour dire que le jour est bien meilleur mais pas au complet, juste son début. Les archéologues du futur s’arracheront les cheveux et on jouera au sphinx, Bennett et moi. Sa statue et le chat aussi, j’imagine. « T’as vu, c’est pour ça que je dois aller à Sydney. Y’a du travail à faire si je veux faire mon stage à Lascaux. » si elles pouvaient s’entendre dans ma voix, ça serait exactement là que mes fossettes auraient leur mot à dire. J’ai arrêté de froncer le sourcils quand j’ai compris qu’on ne comprend pas, après. Ni avant. C’est ça, ce que Bennett voulait dire avec le futur et ses appréhensions muettes mais pas pour ceux qui écoutent. Ce que je méprise du passé. Ça fait élitiste et ça joue dans les extrêmes, c’est éphémère et si tu le manques, t’en as pour une vie à attendre le prochain. C’est pas hier que je saurai, que j’aurai la réponse, ni demain. C’est sur le moment.

Le moment est passé, il fait dire merci. « J’aime pas les au revoir. » encore moins que les questions sans questions et que les réponses qui vont avec. « Ferme les yeux. Ça va être court, deux secondes, okay peut-être dix. » et si je chuchote, c’est juste pour ne pas le faire sursauter comme moi et comme les branches. Comme ma main sur ses yeux. T’as pas besoin, on les ferme la nuit. Pas nous. Comme le pastel qui colore ses joues. Comme le au revoir qui n’en est un que sur le moment. Une ombre qui avait promis et qui a attendu que la lumière soit meilleure pour prêter serment. Il est 3 heures 1 minute, quand le chat revient prendre ma place, et qu’il gruge les bâtonnets de couleur laissés derrière comme une minuscule petite trace.
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