"Vous souhaitez prendre un dessert?" Cette voix douce et féminine qui s’adresse à moi, détournant mon regard de la table à côté de la notre, je secoue la tête, devancée par l’ancien agent "Ca ira merci". Ce sourire que je lui adresse, avant de retrouver ces iris vertes qui semblent me jauger bien plus régulièrement qu’à l’habitude. Ces sourires bien trop rares dernièrement, qui se justifient par la perte récente de mon paternel. Perdre un proche n’est jamais chose facile. N’importe quel psy vous dira que le temps parviendra à combler son absence, qu’il vivra éternellement dans votre coeur, que seuls les bons souvenirs persisteront dans cet esprit tourmenté depuis l’annonce. Mais c’est faux. Comment pourrais-je parvenir à oublier les fragrances de son parfum, les débordements qu’aura entrainé sa maladie, sa façon parfois autoritaire de remettre à sa place chaque membre de notre famille, ces derniers moments de souffrance...Une période bien sombre, des questions existentielles qui trouvent leur place, et me voilà sur le chemin du deuil. Ca ira mieux, probablement. En attendant, je me retrouve prise au piège dans cet ascenseur émotionnel, capable de passer du rire à la détresse en l’espace de quelques secondes, et tout ce qui rendait mon quotidien si appréciable auparavant me semble aujourd’hui presque insuffisant, comme s’il manquait quelque chose. Et à défaut de l’exprimer, je me renferme sur moi-même, n’exprimant pas toujours mes pensées auprès d’un Cade parfois dépassé par mon impassibilité. Je donne parfois l’impression d’être éteinte, comme si plus rien ne parvenait à me stimuler. Je remarque cependant sa présence, les efforts qu’il fournit pour m’apporter son soutien, et je lui en suis grandement reconnaissante, même si je n’en donne pas toujours l’impression. Ce restaurant, dans lequel nous nous sommes rendus à plusieurs reprises ensemble laisse une sensation étrange, comme si ces souvenirs n’étaient finalement pas les miens. "Tu veux qu’on aille se prendre une glace sur le port?" demandais-je en haussant les sourcils, glissant mes avant-bras sur la table. Je veux faire des efforts, réellement. Pour lui.

Le ciel est dégagé ce soir, nous offrant une vue des plus agréables sur les différentes constellations. Je marche le long du port, ma main agrippée à la sienne alors que je m’attèle à manger mon cornet. Mon corps pivote finalement, lui proposant de s’arrêter un instant sans l’exprimer oralement. Cette rambarde sur laquelle je prends appui"Mathis me détesterait de savoir que j’ai osé mangé une glace sans lui" Un sourire qui prend place sur mon visage alors que je croise son regard, une scène bien trop rare contrairement à l’habitude. Je n’avais pas la garde du petit gars cette semaine, cela ne m’empêchait pas de penser constamment à lui pour autant. Une brise de vent vient frapper mon visage, alors que le silence qui s’installe me pousse à engager une conversation plutôt sérieuse. "Cade, je..." Je m’arrête, réfléchissant à la façon de lui poser la question, sans vouloir l’offusquer pour autant. Je plisse les yeux, me pinçant les lèvres l’espace d’un instant. "T’as été parlé à Evan ?" Je m’en voulais immédiatement de poser la question, et je méritais clairement qu’il se sente offensé par de telles accusations, mais j’avais besoin de savoir. Evan avait laisser échapper quelques mots évocateurs dans la journée, dans un calme absolu, malgré son léger amusement pour dédramatiser la scène. Je n’avais pas confiance en l’homme d’affaires,  mais s’il y a bien une personne pour laquelle je vouais une confiance aveugle, c’était bien Cade. Et cela allait à l’encontre de cette promesse qu’il m’avait faite le soir où j’avais débarqué chez lui pour tout lui expliquer. Pourtant, je reconnaissais clairement la patte de l’artiste, mais je voulais juste m’assurer que peut-être, une fois de plus, Evan cherchait le moyen de m’atteindre.

Le choc ? La colère ? Le désespoir ? A quelle étape du deuil Savannah se trouvait-elle alors que son regard, fuyant, semblait se perdre sur les tables à l’atmosphère bien plus joyeuse que la leur ? Cade ne savait pas encore répondre à cette question. Devant lui se trouvait une jeune femme qu’il paraissait rencontrer pour la première fois. Loin d’arborer ce sourire lumineux, et encore plus loin de sa répartie humoristique qu’il adorait, la jolie blonde lui offrait une mine sensible et comme renfermée. Ce restaurant, Grimes l’avait justement choisi pour lui permettre de passer un moment dans un lieu connu, confortable et qui l’entourerait de souvenirs agréables puisqu’ils y avaient déjà dîné plus d’une fois ensemble. Il voulait créer une bulle, un cocon dans lequel elle pourrait se noyer sans craindre le renouveau que sa vie familiale lui imposait avec le décès de son père. Il était bien difficile pour Cade de savoir ce qu’elle ressentait. Ses relations avec son propre paternel étaient tellement différentes, et ses sentiments tout autres que ceux d’une fille aimante qui devait en être proche malgré tout. Et il lui était encore plus pénible de trouver comment la distraire, si seulement c’était faisable. Ce repas avait donc été constitué de tentatives pour la faire sourire, de phrases ironiques pour capter son regard flou et de silences qui rendaient l’ex agent fédéral mal à l’aise, certain de ne pas faire ce qu’il devait. A défaut, elle pouvait lui demander ce qu’elle voulait, il s’y plierait. Son attachement pour Savannah était tel qu’il refusait de la voir tourmentée, et qu’il était hors de question de la laisser seule dans un moment pareil. Chose inédite, il fallait le noter. Car auparavant, Grimes n’aurait pas pointé le bout de son nez si une difficulté comme celle-là avait frappé l’une de ses multiples conquêtes, pour lesquelles il n’avait pas eu de réels sentiments. S’évertuer à réconforter un cœur blessé… il y avait quelques mois, ce n’était pas dans ses préoccupations.

"Vous souhaitez prendre un dessert?" La serveuse se tenait près d’eux et Cade prit les devants pour la renvoyer gentiment d’où elle venait, écourtant ainsi leur dîner. "Ca ira merci" Prolonger ce moment, dans cette quasi pénombre ne ferait que plonger Savannah dans ses idées, il fallait changer de décor ! "Tu veux qu’on aille se prendre une glace sur le port?" Un léger sourire vint se glisser sur le visage de Cade, un peu soulagé de voir qu’elle avait encore le goût des petites choses simples. – Bien sûr. Fit-il simplement avant de sortir son portefeuille pour déposer quelques billets sur la note. Il n’attendit pas une minute de plus. L’air frais lui ferait du bien, et à lui aussi qui repoussait encore le moment où il lui sortirait le fameux discours du mec compatissant. Il se leva et lui tendit la main pour l’entrainer à l’extérieur.

Dehors, il faisait doux. Seule une petite brise venait se perdre dans les mèches blondes de Savannah de temps en temps. Cade l’observa choisir son parfum de glace sans grand enthousiasme, comme si la dizaine de parfums originaux étalés devant elle ne semblaient pas si incroyable. Lui n’avait prit qu’une boule de chocolat noir, sans cornet, qu’il dévora de trois petites cuillères avant d’en jeter le pot en plastique fluo dans la première poubelle qu’ils croisèrent sur le port. Là encore, leurs échanges n’étaient pas riches. Et plus les minutes passaient, moins Cade réussissait à trouver quoi dire. Il ne voulait pas être déplacé, ni même lourd ou trop indiscret. Finalement, Savannah parvint à décoincer la situation en évoquant Mathis. Son fils qui se nourrirait de sucreries si on ne l’arrêtait pas… ? ça lui rappelait bien quelqu’un. "Mathis me détesterait de savoir que j’ai osé mangé une glace sans lui" Un petit rictus amusé et il croisa ses regard bleu, fragile mais tellement stimulant. – On l’emmènera chez Barry’s un de ses quatre si tu veux retrouver ta bonne conscience ! Barry’s ou le « meilleur glacier » de Brisbane selon les dires de pas mal de monde. Affirmation que Grimes se réjouirait de confirmer dés la semaine prochaine, quand Savannah retrouverait son fils. Quelques pas de plus. Elle ne poursuivait pas la discussion. A la place, elle s’arrêta en retrouvant sur le visage cet air soucieux. "Cade, je..." Etait-ce maintenant qu’elle allait lui dire qu’elle était désolée d’être ailleurs ? Que ça passerait et qu’elle le remerciait d’être là ? Et à son tour… devrait-il la serrer dans ses bras en lui balançant que c’était la vie et qu’avec le temps, tout serait plus facile ? Le genre de balivernes et de phrases toutes faites qui n’étaient jamais digne de l’instant. Il lui faisait face, ses yeux sur elle, presque impatient d’entendre ce qu’elle semblait avoir du mal à sortir. "T’as été parlé à Evan ?" Wouaw. Il ne s’attendait pas à ce sujet. Evan… Evan oui. Finalement, il aurait largement préféré discuter de son père disparu. Cade dévia son regard et leva la tête en serrant les dents, déjà agacé que ce mec revienne encore dans leurs conversations. Il soupira même et haussa les sourcils ironiquement. – Evan… ! Cela avait été un bon défouloir que d’aller à la rencontre du type qui la colle un peu trop et qui la fait chanter sournoisement. Il n’avait fait que le coller contre le mur pour lui dire ses quatre vérité…et le menacer à peine, et l’autre n’avait pas pu s’empêcher de la ramener. Il reposa ses yeux sur Savannah, conscient de la tournure que ça prendrait et ennuyé de devoir évoquer leur petite entrevue. – Il est venu pleurnicher auprès de toi… ? Quelle question. C’était bien son genre ! Le visage de Cade se renferma à son tour. – Je lui ai simplement conseillé de ne plus t’emmerder…

J'aimerais trouver la force de surpasser ça, de ressentir de la colère, ou une tristesse absolue, mais au lieu de ça, je suis piégée, incapable de me sortir de ce tunnel si sombre que j'ai emprunté depuis près de deux semaines déjà. Et comme si la perte d'un proche n'est pas suffisante, les derniers événements ne font qu'alourdir la balance, faisant état d'une vie bien décevante. Est-ce le destin qui s'acharne, désireux de savoir si j'ai les épaules pour supporter tout ça, comme avant, comme si je n'avais pas assez subi par le passé? Il reste cependant ces halos lumineux auxquels je m'accroche avec force. Mathis, et Cade. Ma présence ce soir à cette table témoigne bien de l'affection que j'éprouve pour cet homme, défiant mes propres envies et besoins présentement. Si ce dernier s'avère être parfois détestablement silencieux, je ne peux qu'en apprécier ce trait ces dernières semaines. Je n'ai pas envie de l'entendre me dire tous ces discours surfaits, ni même découvrir la pitié dans son regard. Il est le seul à pouvoir m'épargner de tout ça, le seul à ignorer toutes ces discussions formelles, sachant plus que quiconque que les mots ne sont que tromperie à cet instant, et qu'il faille parfois mieux s'en passer. En attendant, ses remarques sarcastiques ne lui permettent malheureusement pas de retrouver son adversaire de comabt habituel. Les sourires que je feigne sont parfois quelques peu forcés, comme si oser éprouver un sentiment de joie puisse être un péché, les silences deviennent pesants, mais il reste indéniablement l'un des seuls à pouvoir guérir mes maux. Cela n'empêche pas cet état de détresse de venir s'emparer de moi subitement, tel une vague venant m'attraper sur le rivage sans prévenir. Je laisse apparaître un visage qui ne me correspond pas, dénué de toute émotion, et ce regard vide qui s'y invite. Il suffit que je croise le sien pour ressentir toute la bienveillance qu'il m'accorde, et durant un bref instant, mes états d'âme s'effacent pour honorer le combat qu'il mène au quotidien pour me changer les idées.

Cette balade sur le port est appréciable, sentir le vent frapper mon visage est bien plus stimulant que ce cornet de glace, qui n'aura finalement pas fait forte sensation. Le malaise que j'instaure malgré moi avec mes nombreux silences semblent avoir raison de l'ancien agent, qui peine à trouver un sujet de discussion qui nous permettra d'avoir un réel échange, et je me demande combien de temps sera t-il encore capable de me supporter ainsi avant de prétexter un départ précipité. C'est probablement ce qui me pousse à lancer un sujet léger, avec un protagoniste capable de pouvoir me tirer vers le haut lui aussi. "Mathis me détesterait de savoir que j’ai osé manger une glace sans lui" Je croise le regard de Cade, laissant apparaître un sourire amusé mais sincère. La passion du petit garçon pour la glace n'est plus à prouver, et mes faits pourraient s'avérer véridique si je prenais le risque de lui en faire part. "– On l’emmènera chez Barry’s un de ses quatre si tu veux retrouver ta bonne conscience ! " Une réponse qui aurait auparavant valu un bel étonnement de ma part, et une satisfaction des plus plaisantes. Si ma relation avec Cade était connue de tous, elle restait tout de même inexploitée face à ma progéniture, qui gardait encore quelques soupçons sur la nature de notre histoire. Fallait-il rappeler qu'il avait eu la surprise de le croiser un beau matin dans le couloir, tentant d'enfiler ses chaussures en même temps qu'il boutonnait sa chemise, alors qu'il s'était assoupi à mes côtés et qu'il avait oublié de déguerpir avant le réveil de Mathis? Je n'avais jamais souhaité imposer quoique ce soit à Cade à ce sujet, mais plus le temps passé, plus il était difficile de ne pas vouloir les rassembler. Et quand l'idée venait de Cade en personne, elle n'en était que plus appréciable. Enfin, de façon générale. Cette fois, cette simple idée ne parvient même pas à me faire relever les sourcils. "Ouais." lançais-je sans grand enthousiasme, s'apparentant plutôt à un 'on verra'. Je n'étais pas de bonne compagnie en ce moment, je refusais de leur imposer ça dans un même temps.

Cette discussion que j'ai eu quelques heures auparavant avec Evan suscite bien plus mon intérêt. Non pas parce que j'aime parler de mon ex, qui se trouve être également l'homme avec lequel je passe mes journées, mais parce que cette discussion relève d'une discussion que nous avions eu par le passé lui et moi, et qu'il m'avait semblé qu'un accord avait été émis entre nous. Je gérais mes problèmes avec Evan, je ne souhaitais pas qu'il s'en mêle. Avoir oser parler des événements avec Cade n'était pas un appel à l'aide, mais la volonté de rester sincère envers lui. Mais d'après les dires de Monsieur Campbell, l’honnêteté n'était pas une chose que nous partagions lui et moi. Ma main a relâché la sienne lorsque je m'appuie sur cette rambarde, prête à m'assurer que la parole de Cade est bien plus précieuse que celle de l'homme d'affaires. "T’as été parler à Evan ?" Son regard quitte le mien, nourrissant d'avantage ma curiosité alors que son attitude en dit déjà trop. "– Evan… ! ". Il l'a fait. Je hausse les sourcils, détournant le regard pour dissimuler ma déception du moment, qui se lie à l'effet de surprise. "– Il est venu pleurnicher auprès de toi… ?" Je lâche un souffle qui s'apparente à un faux rictus, soufflant pour moi-même. "Évidemment..."Je hoche négativement de la tête, plantant mon regard à l'opposé de sa silhouette. "C'est quoi le truc? Un concours pour savoir qui s'fout le plus d'moi?" Je fronce les sourcils, venant replacer une mèche de cheveux derrière mon oreille. Mon attitude calme n'est qu'un leurre, je ne trouve cependant pas la force de m'énerver à ce sujet, bien trop déçue qu'il joue lui aussi à ce jeu stupide. Et je ne veux d'ailleurs déjà plus en parler, la nouvelle étant suffisante pour la soirée. Il n'y avait plus rien à dire à ce sujet "– Je lui ai simplement conseillé de ne plus t’emmerder…" Mes mains qui presque silencieusement claquent l'une contre l'autre , mon regard trouvant le sien alors que je feigne un sourire bien trop faux, tâchant de clore le sujet. "Parfait". Mon patron a désormais entre ses mains l'arme pour me foutre dehors. "Eh bien Merci Cade"

Cade avait fait face à trop de visages fermés de ce genre. De pauvres personnes à qui on avait annoncé la mort tragique d’un mari, d’un père, d’un enfant. Une lueur qui disparait pour laisser place à un vide effrayant et effrayé. Un souffle qui cède sous les larmes ou qui stagne tel un choc impossible à faire disparaitre. Et puis ensuite, les différentes étapes du deuil. Ces longues, longues semaines où il est si compliqué de s’adresser à elles. Des semaines durant lesquelles il avait dû poser des questions lourdes en prenant des gants et en veillant à ne pas froisser des mémoires. Il en avait vu des réactions différentes face à des trépas. De la tristesse inconsolable jusqu’à la colère la plus violente. Quand Savannah lui avait apprit la nouvelle du décès de son père, Cade s’était tout de suite demandé comment elle réagissait. Et par définition, comment lui devait réagir. Face à lui, il avait la réponse. La jolie blonde demeurait impassible, fermée et il lui était impossible d’obtenir plus qu’un simple sourire fragile alors qu’il s’évertuait à lui éviter tout discours pompeux sur la vie et ses obstacles… Elle avait certainement accepté de l’accompagner au restaurant pour tenter de voir un peu de lumière mais Grimes n’était pas sûr qu’elle y prenait un quelconque plaisir. Au contraire… Dés qu’il le pouvait, son esprit et ses idées semblaient s’enfuir dans un autre décor, sans doute celui qui de ses souvenirs de famille qui la retenaient de façon normale. Si d’ordinaire Cade peinait à trouver les mots, face à Savannah, c’était encore pire. Il se réjouit qu’elle émette l’idée de prolonger la soirée sur le port. Au moins, elle ne lui demandait pas de la raccompagner chez elle pour s’allonger dans le noir, seule, et cogiter sur ce qu’elle avait oublier de dire ou de faire avec son père. Elle se poussait à affronter la réalité, et ça c’était une très bonne chose.

Elle ne fut pas plus loquace après le restaurant. A l’intérieur, Cade bouillonnait de la voir ainsi torturée alors qu’elle rayonnait habituellement. Son sourire, ses yeux bleu pétillants et sa façon de le rembarrer dés qu’elle en avait l’occasion avec son air faussement innocent… Tout ce qu’il aimait particulièrement chez Savannah n’était pas de la partie ce soir. Et il y avait fort à parier que cet état durerait plus longtemps qu’une ou deux soirées. Heureusement, quelques sujets de conversation parvenaient à lui tirer ses lèvres rosées avec timidité. Mathis était de ceux-là. Son fils comptait énormément pour elle, Cade l’avait bien compris. Elle s’en raccrochait encore alors qu’ils marchaient sur le quai sans but. – On l’emmènera chez Barry’s un de ses quatre si tu veux retrouver ta bonne conscience ! Emmener le p’tit manger une glace ? Ce serait inédit. "Ouais." Fit-elle sans vraiment y croire. Elle aurait des arguments à balancer pour illustrer son manque d’enthousiasme car Cade fuyait toujours le petit bonhomme comme s’il allait se transformer à son contact. Se métamorphoser en beau-père maladroit. Bien qu’il faisait des efforts en échangeant quelques mots avec le bambin quand il le croisait, jamais il n’avait envisagé l’officialisation de son couple auprès de Mathis. « Voilà bonhomme. Ta maman et moi… on… » Il y avait bien pensé à ce moment. Mais les mots, là encore, avait bien du mal à sortir ! Craignant qu’une autre proposition ne rende le sujet délicat plutôt que d’être source d’une communication rétablie, l’ex agent fédéral demeura silencieux.

La main de Savannah lâcha la sienne et elle s’appuya contre la rambarde pour lui faire face. Quand elle prononça son prénom, le ton de sa voix lui indiqua immédiatement que la suite n’allait pas être très enjoué. Et alors qu’il s’attendait plutôt à une tirade sur son manque de jovialité, et sur la difficulté qu’elle avait d’avancer depuis le décès de son père, la jolie blonde lui parla d’Evan, et de leur petite entrevue. – Evan… ! Cade soupirait. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il que ce type revienne sur le tapis ? Pourquoi maintenant alors qu’elle traversait bien plus important ?  – Il est venu pleurnicher auprès de toi… ? Il l’imaginait débarquer à son bureau pour se plaindre des menaces qu’il avait reçu. Il espérait juste qu’il s’était contenté de relater les faits. "Évidemment..." Il se pinça les lèvres et reposa ses yeux sur elle, ennuyé qu’ils doivent a nouveau évoquer cette histoire. - "C'est quoi le truc? Un concours pour savoir qui s'fout le plus d'moi?" Il fronça alors les sourcils, presque surprit de la voir partir dans ce sens. – Je lui ai simplement conseillé de ne plus t’emmerder… Cherchait-il une excuse au fait de ne pas avoir tenu sa promesse ? Peut-être bien. Devait-il aussi lui avouer qu’il s’était retenu de ne pas lui refaire le portrait ? La réaction de Savannah, cette manière de le faire culpabiliser était tout bonnement détestable. Il voyait de la rancune dans ses yeux, de la déception qui ne tarda pas à faire son chemin jusqu’aux entrailles de Cade. "Parfait" Immobile, les yeux figés sur elle il ne pipa mot. "Eh bien Merci Cade". Un groupe de jeunes adolescents passa derrière lui en riant, le frôlant sans même qu’il ne leur décroche un regard, trop occupé à démêler la situation. Le chagrin parlait pour elle ? Non, ses accusations étaient fondées. Grimes avait bien été voir Campbell et ça, il ne pouvait pas le nier. – J’pouvais pas le laisser jouer avec toi comme il l’a fait Sav’. Son ton posé trahissait pourtant un agacement certain. Mais laisser sortir sa colère, c’était en remettre une couche et il n’était pas sûr que Savannah puisse encaisser ce soir. – Son statut peut te faire faire c’qu’il veut et j’ai pas envie de te retrouver derrière ma porte en robe de soirée toutes les semaines pour t'en plaindre ! Référence à la dernière fois que Campbell lui avait fait son sale coup. C’était là aussi une façon de lui dire qu’il tenait à elle et qu’il n’avait pas du tout envie de la voir plier sous un patron démoniaque et tyrannique. Un ex qui plus est ! La jalousie aurait-elle sa place là dedans ? Cade fit deux pas vers elle et fit glisser sa main sur le bras de la jolie blonde. Un contact physique dont il avait besoin pour s’assurer que rien ne fissurerait le lien qu’ils étaient parvenus à tisser sans encombre depuis plusieurs semaines. – Tu sais, j’suis pas sûr que ce soit le bon moment pour parler de ça… Non. Elle devait d’abord faire son deuil. Et pour ça, elle avait besoin de soutien. Elle avait besoin de lui.

Je ne suis plus que l'ombre de moi-même, un fantôme qui tente de garder le semblant de vie vécu jusqu'ici. J'en ai bien conscience, et je n'aime pas ça, clairement. Je ne trouve cependant pas la solution pour y échapper, comme si j'étais destinée à vivre dans ce monde qui me semble soudainement bien moins attrayant et sympathique qu'à l'habitude. Mon optimisme habituel me fait défaut. J'ai connu une chute bien plus forte par le passé, certes, il n'empêche que les jours à l'époque s'enchainaient et se ressemblaient désespérément, et ce passage de ma vie m'a fait comprendre que je n'étais pas si forte que je prétendais l'être. Alors certes, la blessure n'est pas la même, et je suis assez rationnelle pour savoir que nous vivrons pas tous éternellement sur cette terre, mais mon équilibre n'est plus, et cette période, qui me pousse à faire un pas en arrière pour observer ce qui m'entoure ne fait que m'offrir une vision bien piètre de la vie. Je m'accroche à des souvenirs heureux, qui me semblent presque dérisoires face à cet instant, et qui n'agissent que faiblement sur mon attitude. Je n'ai cependant pas envie d'y renoncer pour autant, et ma présence auprès de Cade en est bien la preuve. Alors si pour lui, cette soirée doit probablement sonner comme un désastre, elle est source d'espoir pour moi. Contrairement à l'habitude, mes différentes pensées restent secrètes, comme si je m'affairais à lui épargner un discours bien trop personnel et qui me rendrait bien trop vulnérable. Mais son attitude, à lui, est exactement ce dont j'ai besoin. Il ne cherchera pas à savoir absolument ce dont à quoi je pense lorsque mon regard se perd, ni même à vouloir partager ma souffrance. Sa présence en elle-même est un remède auquel il n'a pas idée, et c'est suffisant à mes yeux.

Afin de ne pas décrédibiliser tout ses bons efforts, je tente de me montrer parfois plus accessible, comme si un regain de bonne volonté s'emparait de moi. Évoquer Mathis avec lui a toujours été plus facile, bien que l'équation des trois réunis ne parvient à fonctionner encore à l'heure actuelle, Cade a toujours eu une image plus valorisante de mon rôle de mère, que moi-même. Peut-être parce qu'il n'y connait rien, qu'il n'a pas prit conscience des souffrances que j'ai pu infliger à cet être sans défense dès son plus jeune âge. Je n'en sais rien. Mais je sais qu'a défaut de pouvoir lui infliger la présence de l'enfant lorsque nous nous retrouvons, il se montre particulièrement attentif et réceptif à chacune de mes allusions, comme s'il connaissait finalement le petit garçon au travers de tout ce que j'ai pu lui confier depuis nos retrouvailles sur le continent australien. L'espoir qu'il puisse un jour vouloir s'impliquer d'avantage a toujours somnolé en moi, et pourtant, l'idée de se retrouver à partager une glace ensemble n'eveille guère le sentiment de satisfaction habituel, que ce soit dans mon mes pensées ou sur l'expression de mon visage, qui reste pour le coup, indifférent face à cette proposition. C'est un sujet bien plus délicat qui s'engage après ce dernier, celui qu'il vaut d'ailleurs mieux éviter lors d'une sortie en amoureux. Evan.

Si je ne parviens toujours pas à décider si cet homme mérite de faire parti de ma vie, sur un plan professionnel, entendons-nous, ce prénom sonne inévitablement comme haineux dans la bouche de l'ancien agent. Sa question suscite un faux étonnement de ma part, pourquoi faut-il toujours qu'il dévie le sujet principal pour un problème tout autre? Seulement cette fois, et contrairement à mon habitude, je fais preuve d'un calme absolu, ce qui doit être d'autant plus déroutant, comme si l'idée faisait son chemin dans mon esprit, et que les explications n'étaient même pas suffisantes pour atténuer la déception de son impulsivité légendaire. Dois-je finalement être étonnée? Je ne blâmais pas son action en elle-même, disons juste qu'il avait clairement décidé de s'asseoir sur une promesse que je pensais sincère. S'il me mentait pour ce genre de chose, à quoi devais-je m'attendre pour le reste? Et je pouvais aussi m'estimer heureuse que sa folie du moment n'entraîne des représailles de la part de l'homme d'affaires. Je ne trouve cependant pas la force de lui faire part de tout ça, m'enfermant à nouveau dans cette bulle de laquelle je semble vouloir l'exclure. "Eh bien Merci Cade". Cette ironie qui habituellement sonne comme un moment d'amusement mais qui donne un ton bien plus dramatique à la scène présentement. Mon corps qui se tourne vers l’étendue d'eau, alors que mon regard se baisse sur mes mains, seul stratagème pour tenter d'éloigner tout conflit. "-J’pouvais pas le laisser jouer avec toi comme il l’a fait Sav’." Je hoche doucement la tête, faisant mine d'accepter cet argument qui est pourtant on ne peut plus valorisant à mon égard, mais dont je ne sais quoi faire."- Son statut peut te faire faire c’qu’il veut et j’ai pas envie de te retrouver derrière ma porte en robe de soirée toutes les semaines pour t'en plaindre ! " Mon regard qui vient se planter dans le sien fixement. Me plaindre? Pensait-il que j'étais venue uniquement dans ce but l'autre jour? Je ne l'aurais jamais mentionné auprès de lui si notre histoire, que je voulais sincère, ne m'y avait pas forcé. Peut-être préférais-je donner le sens que je souhaitais à cette remarque, n'en retenir que ce qui m’intéressait."Désolée...J'ignorais que ma visite avait sonné comme tel "soulignais-je, un brin blasée. Le rapprochement qu'il provoque ensuite suffit à m’envahir d'une délicieuse vague de douceur, et je tente de m'imprégner de chacun de ces bienfaits, parce que c'est exactement ce qui me donne l'impression de tenir dernièrement. J'en oublie cet échange, j'en oublie cette rancœur que j'aurais auparavant prit un malin plaisir à lui cracher au visage.Et puis, il y a ces mots... "– Tu sais, j’suis pas sûr que ce soit le bon moment pour parler de ça… "  Mon regard accusateur qui se plante dans le sien, comme si cette remarque donnait déjà la tendance. Pourquoi? Parce que la pauvre Savannah n'est pas en état pour parler d'autre chose que de son défunt père? Parce qu'il me pense trop faible à cet instant? Ma mâchoire se resserre sans plus attendre, et je me défais innocemment de son étreinte "J'ai froid, j'aimerais rentrer". Ce qui partait d'un bon sentiment résonne comme une attaque, et je préfère mettre court à tout ça avant d'engager un duel dans lequel je ne serais pas maître de mes émotions. Je n'attends pas son avis sur la question pour reprendre la marche.

Le trajet du retour se fait silencieusement. Je l'encourage à ne pas parler, appuyant intentionnellement mon coude sur la portière passager alors que mon visage fait face à cette vitre depuis laquelle je regarde la ville défiler. Un ralentissement à un endroit inhabituel va cependant me pousser à m’intéresser à ce qui se passe dans l'habitacle. "Qu'est c'qui s'passe?"demandais-je, voyant le regard de Cade s'attarder un peu plus loin. Mon regard qui se perd à mon tour sur cette scène qui me glace instantanément le sang et m'enlève toute notion de réalité. Une voiture retournée, témoignant du choc de l'impact par son état général. J'ai l'impression que le temps s’accélère soudainement. Cade qui s'empresse d'aller porter secours au chauffeur. J'ai le coeur qui bat si vite que je ne parviens plus à entendre que cela, comme si tout le reste disparaissait. "Savannah! Appelle les secours!" me lance-t’il alors que je suis sortie de la voiture, appuyée sur la porte passagère, incapable de me ressaisir. Je me revois. Assise à cette même place, avec le bruit strident et régulier dans mes oreilles, mon incapacité à relever les paupières plus de quelques secondes, cette vision floue, qui me permet pourtant de distinguer cette vision d'horreur qui s'en suit. "SAVANNAAAH!" Le cri de Cade qui me ramène à l'instant présent, mais auquel je suis incapable de répondre, presque paralysée sur place.

L’ombre d’elle-même. Voilà qui définissait bien Savannah ce soir. Le regard perdu, le sourire qui peinait à se montrer, et quelques phrases bateaux par-ci par-là pour lui donner un semblant de réponse. Elle était loin de la fille qu’il connaissait. N’importe qui n’étant pas au courant de la mort récente de son père jurerait que quelque chose perturbait la vie de la jolie blonde. Et pour une fois, cela n’avait rien à voir avec le couple qu’ils formaient et qui donnait certes une bien triste image au personnel de ce restaurant. Dés qu’il avait su, Cade n’avait pas eu d’autre idée en tête que celle d’être auprès d’elle. Non pas pour lui déblatérer un discours de circonstance qui ne ferait que souligner sa douleur, mais juste pour être là. Les gestes valent souvent mieux que les mots, Grimes était un adepte, malgré lui, de cette philosophie qui était présentement la bienvenue. Il se mettait à sa place. Il aurait probablement rembarré toutes les personnes qui s’approchaient pour lui balancer des condoléances, et qui sait quel geste il aurait pu avoir alors que les sentiments sont décuplés dans ce genre de moments ? Bien qu’elle ne soit pas très bavarde et que la soirée promettait d’être courte et peu enthousiaste, Cade ne lâcherait pas Savannah. Qu’elle veuille sauter, toute habillée, dans l’océan pour se libérer d’un poids, ou bien pleurer toutes les larmes de son corps contre son épaule, il était là.

Cade s’attendait à toute sorte de réaction. A des conversations nostalgiques sur la famille Williams. A quelques larmes en évoquant des souvenirs de jeune fille auprès de son père. Voir même une envie de tout laisser derrière et un fou rire pour illustrer cette page qui se tournait. Mais il n’avait pas vu venir Evan… et leur entrevue, symbole de sa promesse bafouée. Il avait du mal à comprendre pourquoi son ex et actuel patron se retrouvait soudainement dans son esprit, alors que le deuil la guettait et qu’il y avait mille autres sujets à aborder plutôt que lui. Face à ces reproches muets, Grimes tentait d’expliquer sa démarche. - Son statut peut te faire faire c’qu’il veut et j’ai pas envie de te retrouver derrière ma porte en robe de soirée toutes les semaines pour t'en plaindre ! Sa maladresse fut tout de suite commentée. "Désolée...J'ignorais que ma visite avait sonné comme tel "  Sur le visage de Cade, un air blasé. Ce soir là, Savannah lui avait avoué clairement ses sentiments, ainsi que l’impossibilité qu’il se passe quoi que ce soit avec Campbell malgré le temps qu’elle pouvait passer avec lui. Bien sûr que sa visite n’avait pas été déplaisante, au contraire. Il voulait juste s’assurer qu’elle ne devienne pas l’esclave d’un ex qui n’arrivait pas à assumer que leur histoire était terminée. Lassée de devoir chercher à s’expliquer, il s’approcha d’elle et opta pour un contact physique, et un ton doux. – Tu sais, j’suis pas sûr que ce soit le bon moment pour parler de ça… Ses yeux rencontrèrent ses iris d’un bleu plus glacial que d’habitude. Sa main glissait sur son bras et il nourrissait l’espoir qu’elle veuille bien passer là-dessus, ou au moins remettre cette discussion à un autre jour. Un jour où elle aurait l’esprit moins brumeux. Elle s’éloigne. Autant physiquement en s’éloignant, que moralement en érigeant un mur si haut et si épais… "J'ai froid, j'aimerais rentrer" Savannah reprend la marche sans même l’attendre ou lui délivrer un peu d’espoir par un regard ou un geste en retour. Encore immobile, Cade l’observe se détourner quelques secondes, à la fois contrarié par cette dernière conversation et soucieux du comportement de la jolie blonde. Il finit par la rejoindre et ils demeurèrent silencieux, ambiance qui perdura jusque dans la voiture.

Comment rebondir après ça ? Savannah semblait l’avoir déjà condamné et il craignait de ne pas pouvoir capter sa fréquence ce soir… Il se retenait de la regarder à chaque arrêt momentané, et la seule fois qu’il l’osa, elle avait les yeux rivés sur la vitre comme si elle cherchait à nouveau à se perdre dans ses pensées plutôt que d’essayer de s’en débarrasser. Elle se noyait, petit à petit…Et il fallait vite qu’il la rattrape… Sauf que la réalité ne tarda pas à accaparer son attention elle aussi. Il faisait sombre sur cette route mais Cade pu appuyer sur la pédale de frein plusieurs mètres devant cette voiture retournée sur le côté de la chaussée. La main sur le volant, il plissa les yeux pour essayer d’y déceler les détails de ce qui semblait être un accident. « Qu'est c'qui s'passe? » Sans attendre et sans même répondre à Savannah, l’ex agent fédéral ouvrit la portière et se précipita vers la caisse. Il s’agissait d’un 4X4 citadin vraisemblablement. Et au vu de l’état de l’habitacle, il avait du faire plusieurs tonneaux avant de se retrouver dans cette position. Des perles de sang étaient visibles sur le pare-brise défoncé et avant qu’il n’ouvre la portière conducteur avec bien du mal, Cade hurla - Savannah! Appelle les secours! un homme était inconscient au volant. Une plaie sanguinolente au visage, il était dans un sale état. En prenant son pouls, Cade constata qu’il était toujours en vie mais il ne fallait pas trainer. Une hémorragie pourrait lui être fatale dans les minutes qui suivraient, d’autant plus que le tableau de bord s’était écrasé sur ses jambes. Grimes pencha la tête en direction de la Chevrolet, où Savannah semblait figée sur place. - SAVANNAAAH!  Sa voix grave traversa les quelques mètres qui les séparaient. Elle ne pouvait pas ne pas l’entendre. Mais bordel, qu’est ce qu’elle foutait ?!! La pression commença à grimper en lui. Une vie était en jeu et… Savannah ne bougeait pas. Un tel accident ne pouvait pas la rendre insensible et devait, à coup sûr, passer au-delà de son état de fragilité ! En gardant ses doigts contre le cou du pauvre homme, il tâta dans la poche de son jean de son autre main pour chercher son téléphone portable. Il se débrouillerait seul. Ses yeux étaient rivés sur la jeune femme pendant que les secours répondaient. – Accident de la route sur Kent Street. Un véhicule type 4x4 retourné sur le côté de la chaussée. Une victime de sexe masculin inconsciente à bord. Il n’avait pas perdu ses habitudes et son vocabulaire trahissait encore son ancienne profession. – Je suis sur place. Finit-il par dire avant qu’on lui assure qu’une équipe partait immédiatement. Quand il raccrocha, il se reconcentra sur cet homme qui s’en sortirait avec de la chance. – Allez allez mon pote. On va t’sortir de là. Tiens l’coup. Par « on », il voulait dire lui-même, et les secours. Car Savannah n’était pas de la partie. Cade serra les dents, quelques peu irrité par cette attitude.

Les sirènes ne tardèrent pas à se faire entendre. Deux camionnettes débarquèrent et prièrent Cade de s’éloigner pour déloger la victime tout en le gardant en vie. Plusieurs minutes après, l’homme fut évacué sur un brancard, un masque à oxygène sur le visage, la nuque et les jambes immobilisées. – Une chance que vous l’ayez croisé. Lui lança l’urgentiste en passant devant lui. - Ouais... Grimes inspira, les mains sur les hanches et son regard se braqua sur Savannah, un peu plus loin…Il ne comprenait pas ce qui s’était passé… il ne pouvait pas excuser cette passivité par la douleur qui germait en elle depuis la mort de son père.  Quelque chose n’allait pas. Il s’approcha d’elle sans dire un mot. C’était à elle de commencer. C’était à elle de lui expliquer…

Je sais ce que j’inflige à Cade depuis l’annonce du décès. Je sais que ma compagnie n’est clairement pas la plus agréable ces derniers temps, et qu’il fait preuve d’une patience absolue, attendant que je me relève, sa main désespérément tendue vers la mienne. Je suis consciente de tout ça, et bien évidemment, je lui en suis des plus reconnaissantes, même si je n’en laisse rien transparaître, même si les mots qui parviennent à s’échapper de ma bouche sont bien trop rares dernièrement. J’aimerais pouvoir surpasser tout ça, pour lui, pour nous...après tout ce que nous avions vécus, il méritait clairement mieux que d’être tant négligé. Mais je n’y parviens pas. Ma détresse prend le dessus, et je suis incapable de penser à autre chose que ma propre personne, incapable de prendre du recul sur la situation. Et lorsque je parviens à le faire, cet instant de lucidité m’offre une vision bien peu flatteuse de ma propre personne que je préfère instantanément oublier. Mes pensées ne concernent pas uniquement cette vie perdue, elle se dirige de façon générale vers tout ce qui semble foutre le camp dernièrement. L’état de ma mère qui vient de perdre l’homme qui s’est toujours tenu à ses côtés et qui se refuse à y croire, les révélations d’Ana à mon sujet, la vérité sur notre famille, qui m’a récemment coupé le souffle....et maintenant Cade, qui a son tour vient écorcher l’image que j’ai de lui par un comportement puéril et irresponsable, bien que justifié. J’aimerais pouvoir creuser les faits, découvrir ce qu’Evan n’a pas souhaité partager avec moi, les détails de cet échange, lui faire des reproches en haussant peut être un peu le ton, mais même ça, j’en suis incapable. Si j’évoque mon ex dans un moment pareil, c’est avant tout pour lui faire remarquer qu’il participe lui aussi à ma déception du moment, et peut-être aussi pour récolter une réaction de sa part qui irait à l’encontre de celle du mec irréprochable et avenant face à moi. " - Son statut peut te faire faire c’qu’il veut et j’ai pas envie de te retrouver derrière ma porte en robe de soirée toutes les semaines pour t’en plaindre !" La réponse que je n’avais pas vu venir. Se souvenait-il seulement de ce qui m’avait amené jusqu’à chez lui? Ce sentiment de culpabilité que j’avais éprouvé face à des mots trop durs lâchés quelques heures plus tôt? La tension que j’avais souhaité par dessus tout apaiser, refusant que les choses se passent ainsi entre nous? Un besoin de me retrouver auprès de lui et de lui dire ces mots que j’étouffe si souvent par peur d’y laisser ma fierté face à son armure habituelle? "Désolée...J’ignorais que ma visite avait sonné comme tel " J’étais un fardeau pour lui. Voilà une conclusion qui s’alliait bien avec ma déception du moment. Mon regard qui se perd face à moi, ce souffle que je reprends faiblement avant de sentir son corps tout près du mien, ce geste de douceur qui efface l’espace quelques secondes toutes ces pensées qui encombrent mon esprit bien trop souvent. Il me fait du bien, mais cette simple remarque qui l’accompagne gâche sans plus attendre la magie du moment. Mon regard qui croise le sien alors que ce côté protecteur  ne fait que me braquer, et écorcher cette fragilité que je déplore à cet instant précis. Irritée, je me défais de son emprise, comme s’il pouvait m’être nocif présentement. Je ne veux pas qu’il me traite ainsi, comme la pauvre petite chose qu’il faille protéger, quitte à tricher sur l’état actuel des choses. Blessée dans mon orgueil, je préfère rejoindre la voiture, espérant m’épargner une autre réplique de ce genre pour la soirée.

Face à la vitre, je ne cherche pas à engager la conversation, bien au contraire. Les traits de mon visage sont probablement hors de portée face à un Cade qui pourrait chercher à lire une quelconque réaction sur mon visage. Je ne veux pourtant pas être contre lui, je ne veux pas me détourner d’une des seules personnes capables de me ramener à la raison. Mais ce soir.... Ce soir, je n’ai juste pas l’énergie nécessaire pour m’y atteler. Un arrêt imprévu va détourner mon regard, et bien vite, cette scène dont je suis témoin me replonge dans un passé avec ce lot de détails que j’étais parvenue à oublier avec le temps. L’odeur de frein sur le bitume, cette musique qui continue de jouer en arrière plan malgré l’aspect dramatique du moment, cette fumée qui s’extirpe du capot de ma voiture. ...Mais surtout, cette voiture que je découvre à quelques mètres de la mienne, avant que mes paupières ne se ferment à nouveau, et ce, jusqu’à mon réveil à l’hôpital. Appuyée à la voiture de Cade, je suis complètement sous le choc, et j’en oublie même la réalité du moment, celle dans laquelle cet homme peut encore être sauvé, contrairement à celui qui hante encore mes rêves. La voix de Cade qui s’élève à mon égard n’a aucun effet. Mon visage stupéfait accompagne ma paralysie du moment. Je suis tout bonnement incapable de bouger, et le seul moment où je parviens à me ressaisir en reprenant une grande bouffée d’oxygène est déjà trop tard. Je récolte un regard réprobateur par le jeune homme qui s’attèle également à prévenir les secours, en plus d’accompagner la victime du moment. Mon teint pâle lui échappe probablement, tout autant que cette sensation de malaise dont je tente de me défaire en me concentrant sur ma respiration. Affaiblie, je finis même par m’asseoir sur le siège, sachant pertinemment que mes jambes pourraient me trahir soudainement.

Quelques minutes avant que les secours n’arrivent, et pour ma part, je suis restée à distance de la scène, sachant pertinemment que ma présence n’est de toute façon pas souhaitée par mon inefficacité du moment. J’observe au loin, m’assurant du bon déroulement des choses. Mon regard qui scrute régulièrement la silhouette du chauffeur, comme si j’avais besoin de m’assurer de sa survie. Debout, à proximité de la chevrolet, je croise le regard de Cade qui échange avec l’urgentiste, et je décèle à travers ce dernier tant d’accusation qu’il sera difficile pour moi d’affronter. Il revient à ma hauteur, alors que je croise nerveusement les bras contre ma poitrine. La gorge nouée, je finis par demander "Il va s’en sortir?" J’avais besoin qu’il m’assure que oui. Je refusais d’avoir provoqué une fois de plus la disparition d’un homme. Le silence qui s’en suit après sa réponse révèle cette déception que je dois susciter en lui. Comment parvenir à lui expliquer tout ça? Comment lui avouer que ce traumatisme vécu par le passé continue de me hanter, et qu’il m’a tout simplement paralysé sur place dans un moment de panique? Je ne peux juste pas. Je ne peux pas parler de ça avec lui, comme je refuse d’en parler avec les autres. Il ne doit pas savoir. L’image qu’il a de moi changerait à tout jamais, et je refuse de la lui infliger dans un tel moment. Alors je tente de m’en sortir avec ce que je peux trouver. "Je..euh..." je ferme les paupières douloureusement avant de me pincer les lèvres. "J’suis désolée...J’étais sous le choc, j’ai pas réussi à me reprendre" lançais-je en croisant nerveusement son regard, haussant faiblement les épaules.Va t-il se contenter de si peu?

Assise à ses côtés lors du trajet qui nous amène jusqu’à chez moi, ma silhouette a reprit une posture plus adéquate, comme si je tentais de me faire pardonner des événements précédents par un comportement qui se doit d’être irréprochable. Du coin de l’oeil, je l’observe cependant, le regard perdu sur la route, l’esprit probablement tourmenté par des questions auxquelles je ne saurais lui apporter de réponse. Ma bouche s’entrouvre à plusieurs moments, mais aucun son ne parvient à s’en extirper et cette main que j’ai imaginé agripper reste positionnée sur sa cuisse. Est-il entrain de réaliser l’être abominable et sans-cœur qui se trouve à ses côtés? Nous passons la porte de mon appartement, qui bien que rangé, est envahi de cartons. Le déménagement dans la maison est presque imminent, les derniers grands travaux ont été lancés afin que nous puissions arriver dans des conditions plus favorables. Je pose mes clés sur le bar, incapable de me défaire de l’idée que Cade se fait probablement de moi. Je ne suis pas sûre de pouvoir supporter ça ce soir, et dans un élan d’impulsivité soudain, j’attrape mon téléphone, simulant la réception d’un message. «J’viens d’recevoir un message d’Auden...» Je me mordille intérieurement la lèvre, regardant mon écran qui n’affiche pourtant que de vieux messages échangés avec ce dernier. «Il souhaite passer pour m’parler d’un truc.» Je relève le regard vers Cade, un regard qui en dit déjà beaucoup, mais qui j’espère ne trahi pas ce mensonge inventé de toute pièce. »Vaudrait p’t être mieux que tu rentres chez toi, tu sais comment il est...»

Ce silence dans l’habitacle était lourd et rappelait douloureusement les quelques fois où il régnait un froid glacial entre Cade et Savannah. Ces fois où l’on ne pouvait prédire qui prononcerait le premier mot parce qu’ils campaient tous les deux sur leurs positions, aussi têtus qu’ils étaient l’un que l’autre. Mais ce soir, c’était différent. La jeune femme imposait un mutisme que l’ex agent fédéral craignait de briser par peur d’envenimer les choses. La conversation qu’ils avaient eut sur le port l’accablait et Savannah avait depuis ajouté quelques briques de plus sur ce mur qu’elle érigeait entre eux depuis lors. Il ne s’était risqué qu’à un regard, une seule tentative de capter son attention qui fut complètement vaine. La jolie blonde était comme aspirée par ses pensées et Cade jurerait que, quoi qu’il puisse se passer de l’autre côté de la vitre, elle n’en tiendrait même pas compte. Il reporta ses yeux sur la route, décidé à la laisser tranquille le temps qu’il faudrait, elle devait avoir besoin de ce retrait, momentané il l’espérait.

C’était sans compter sur ce 4x4 retourné sur le bas-côté de la chaussée, témoignant d’un récent accident possiblement mortel. Quand Cade quitta la Chevrolet, c’était pour voler au secours du chauffeur, coincé au volant de son véhicule et vilainement amoché. Son pouls était faible mais il y avait encore des chances de le sauver, et pour ça, il compta sur l’aide de Savannah. Il espérait qu’elle contacte les secours pendant qu’il restait à son chevet, prêt à sortir le type de là comme il le pouvait et effectuer les premiers massages cardiaques s’il le fallait. Ses multiples formations au sein du bureau fédéral ne seraient alors pas inutiles, il ne laisserait pas ce type mourir sur la route. - SAVANNAAAH! Pendant qu’il surveillait et tentait de détacher la ceinture de la victime, elle restait immobile. Plantée près de la Chevrolet sans même sortir son téléphone portable. D’abord exaspéré par cette attitude, Grimes s’occupa d’appeler le 000, seul numéro d’urgence en Australie. Il donna le signalement en ne quittant pas la jolie blonde des yeux, comme si elle devenait elle aussi une victime à surveiller. – Allez allez mon pote. On va t’sortir de là. Tiens l’coup. Le tableau de bord qui bloquait ses jambes ne bougerait pas. L’avant de la voiture était enfoncé et de toute façon, il avait bien retenu qu’il ne fallait pas déplacer un accidenté de la route sous peine d’aggraver ses blessures. Les secours arrivèrent assez rapidement et Cade ne lâcha l’affaire que lorsqu’ils prirent le relais pour constater les plaies. Il fallu scier le 4x4 en urgence pour libérer le type et il fut évacué, direction l’hôpital le plus proche. Apparemment, son état demeurait stable mais des urgentistes montèrent avec lui à l’arrière du camion pour s’assurer que son cœur ne s’emballe suite à une hémorragie. Grimes retourna auprès de Savannah.

Son visage fermé témoignait de sa rancune de l’instant. "Il va s’en sortir?" Fit-elle alors qu’elle aurait très bien pu avoir la réponse à cette question si elle s’était un peu approchée de la scène pour l’aider. – J’espère pour lui. Il se contenta de ces quelques mots avant d’observer la camionnette blanche et bleue s’éloigner. Il n’y avait pas grand-chose d’autre à dire… du moins de son côté. Il avait fait ce qu’il fallait. "Je..euh..." Il reporta son attention sur Savannah, impatient d’entendre la suite. "J’suis désolée...J’étais sous le choc, j’ai pas réussi à me reprendre" Ca, il l’avait aperçu. Le problème de fond n’était sans doute pas aussi simple à expliquer mais elle paraissait incapable de rajouter quoi que ce soit. Cade finit par dire – Okay. Il hocha doucement de la tête et continua. – T’as besoin de te reposer… Il ne s’emporterait pas malgré l’agacement qu’il avait ressentit à la voir impassible pendant qu’il essayait de sauver la vie de cet homme. Il préférait mettre ça sur le compte de son état actuel. Il resta néanmoins inflexible et plusieurs minutes seraient nécessaire pour qu’il digère ce qu’il venait de se passe. Sur le reste du chemin vers son appartement Cade ne broncha pas, se repassant l’image d’une Savannah de glace, complètement figée et comme…effrayé ? Une réaction incompréhensible quand on savait qu’elle avait eut les idées bien claires quand elle lui avait parlé d’Evan, un peu plus tôt. Quelque chose n’allait pas. Ce n’était plus une question.

La Chevrolet heurta tranquillement le trottoir pour s’arrêter finalement. Il ne lui demanda pas son avis et la suivit à l’intérieur, peut-être avec un mince espoir qu’elle soit un peu plus bavarde maintenant qu’ils étaient dans un espace clos et familier. Un endroit où ils avaient vécu pas mal de choses et où elle pourrait se confier à lui sans restriction et sans crainte de se perdre. Le salon était jonché de cartons et sur l’un d’entre eux, Cade pu y lire « JOUETS MATHIS ». Le petit garçon aurait bientôt une chambre de rêve si sa maman retrouvait le cœur à s’engager dans la décoration de cette maison… Il avance à pas lents en regardant autour de lui et puis, il pose ses yeux sur Savannah. «J’viens d’recevoir un message d’Auden...» Un haussement de sourcils montra sa surprise. Il n’y avait pourtant rien d’anormal à ce que son frangin un peu taré ne prenne de ses nouvelles, surtout en ce moment. «Il souhaite passer pour m’parler d’un truc.» Soit. Il était désormais capable de supporter Auden pendant quelques minutes, voire même une petite heure s’il s’éternisait. Grimes ne s’attendait pourtant pas à être mit dehors… « Vaudrait p’t être mieux que tu rentres chez toi, tu sais comment il est...» Il aurait pu s’en douter ! – Quoi… j'vais quand même pas te sauter dessus devant lui… Une touche d’humour et il feignit un sourire qui allait avec. Mais la jolie blonde ne semblait pas vouloir revenir sur sa décision. La visite d’Auden était peut-être un prétexte pour rester seule, il ne saurait le dire avec précision, mais il s’apprêtait à faire ce qu’il s’était promit de ne pas faire : déserter les lieux et la laisser avec ses pensées. Son sourire avait disparu, et il serra les dents, contrarié par cette fin de soirée qu’il s’était imaginé passer auprès d’elle pour tamponner la moindre de ses baisses de moral. – Bien... En baissant la tête, il fit tourner nonchalamment ses clés de voiture entre ses doigts et il se dirigea ensuite vers elle pur déposer lascivement un baiser sur sa tempe. Il se dirigea ensuite lentement vers la porte d’entrée qu’il ouvrit – Appelles moi quand tu veux… Lança t-il, main sur la poignée, la regardant avec un air sensible. Ce n’était pas ce qu’il voulait. Partir et la savoir chez elle à ruminer… Il se pinça les lèvres et referma la porte. Au volant de sa voiture, il ne pu s’empêcher de lancer un dernier regard vers l’immeuble, se doutant qu’il faudrait un peu de temps avant qu’il ne retrouve la Savannah qu’il adorait.