Vendredi 12 février, 20h30. La journée a été longue à l’hôpital. Encore plus lorsque j’ai entendu la nouvelle à la télé… Le Club est tombé. L’information n’a fait que tourner en boucle, relayé largement par les médias, image à l’appui. On y voit la perquisition du Club et le portrait de Mitchell Strange placardé tel un criminel en fuite. Les policiers ne semblent pas lui avoir mis la main dessus. Et même si je peux comprendre les commentaires que j’ai pu entendre toute la journée, disant qu’il fallait qu’une telle organisation finisse par tomber, je n’arrive pas pour autant à me ranger à cette opinion. Parce que je suis impliquée dans ce gang, et surtout, parce que j’ai appris à connaitre les deux personnes qui sont à la tête de celui-ci. Et que sans eux, je n’aurai peut-être pas réussi à faire face. Face aux dettes accumulées par mon père, qui ne faisait que nous enfoncer un peu plus chaque jour avec ses jeux d’argent, espérant que cette solution nous fera voir de meilleurs jours. Or, il ne fait qu’empirer la situation, surtout lorsque Mila et moi recevons la visite, certains soirs, d’hommes réclamant leur dû. Evidemment, étonnamment même, ces soirs-là, notre père est aux abonnés absents. Je dois là aussi endosser la responsabilité de les repousser, de me dépatouiller comme je peux pour qu’ils nous laissent tranquille et préserver Mila de tout ça. Parce que, malgré tout, des menaces peuvent fuser et c’est ce qui me pousse de plus en plus à vouloir fuir avec ma sœur, fuir loin de ce père qui nous cause trop de tort, de ce quotidien bien trop répétitif et sombre…

Je viens de raccrocher, après une énième tentative de joindre Mitchell et c’est un message que j’envoie alors à Alec pour savoir s’il allait bien et lui demandait ce qu’il allait se passer désormais. Sa réponse est immédiate, bien trop flou à mon goût et n’a pas le don de me rassurer. Bientôt. Il ne se rend pas compte à quel point cela me pèse encore plus, quand tout devient qu’incertitude. Parce que, en dehors de mon inquiétude pour les deux frères, et surtout pour l’ainé, c’est surtout ma situation financière qui me préoccupe. En attendant, je perds un job, et sans celui-ci, les choses vont devenir encore plus compliquées qu’elles ne le sont. Je rejoins Mila dans le salon, prenant place à ses côtés alors que la télévision ressasse encore les mêmes nouvelles depuis le début de la journée. « Comment s’est passé ta journée ? Tu as mangé ? » je demande alors à ma petite sœur, demande accompagnée d’un sourire, afin de dissimuler l’angoisse que ces infos me procurent. « Tu ne veux pas changer de chaîne ? », je fais en me penchant pour laisser glisser mon téléphone sur la table. Un soupire s’échappe d’entre mes lèvres alors que je m’adosse à nouveau contre le canapé. Quelques secondes plus tard, la sonnette retentit et nous interrompt dans notre discussion.  

Je sais que ce soir, alors que je viens juste de rentrer du travail, je ne suis pas d’excellente compagnie pour ma sœur. Trop de questions se bousculent dans ma tête, quand je n’ai eu aucune nouvelle par personne du Club pour m’expliquer ce qui venait de se passer. Apprendre tout ça par le biais de journalistes qui ignorait la moitié de la vérité, qui se contentait juste de relater des images filmées par un journaliste qui se trouvait au bon endroit au bon moment, sans connaitre vraiment le fin fond de l’affaire, me paraissait aberrant. Mais, mon visage était fermé et inquiet ce soir. Mes sourcils étaient inlassablement froncés quand je fixais mon téléphone, que je me levais pour essayer une énième fois d’appeler Mitchell ou encore lorsque j’envoyais un message à Alec pour prendre de ses nouvelles, de son frère, de l’avenir du Club. Mais de mon avenir aussi et surtout, celui de ma sœur. Elle est là, à mes côtés, je décide enfin de me concentrer sur elle, parce que, pour le moment, je n’ai même pas prêté attention à ce paquet de chips qu’elle secoue sous mon nez « A ton avis, c’est quoi, ça ? ». Je grimace « Pas un repas ? » je dis alors qu’elle dépose le paquet sur ses genoux et qu’elle pioche à nouveau dedans. « J’ai dû m’adapter, le vendredi c’est toi qui fais à manger, mais t’avais l’air occupée et t’as préféré me laisser mourir de faim… ». Cette fois, le mince sourire présent sur mes lèvres disparait. Parce que, sans le savoir, sans le vouloir, elle appuie là où ça blesse.  La culpabilité monte en moi, accumulée à l’inquiétude de la journée. Je sais que je ne suis pas suffisamment présente pour elle, pas toujours mais que je fais ça uniquement dans le but qu’elle ne manque de rien et qu’elle n’ait pas à s’inquiéter à son tour de notre situation si merdique. Qu’elle puisse poursuivre ses rêves, là où moi je n’ai pu le faire. « Je suis désolé Mila » C’est tout ce que je trouve à lui dire, une phrase dont j’use beaucoup avec elle ces derniers temps… surtout depuis trois ans, depuis que j’ai commencé à travailler pour le Club et que j’enchaîne mes journées à l’hôpital avec mon service au bar clandestin. « C’était ton amoureux, c’est ça ? Comment il s’appelle ? ». La culpabilité n’a pas quitté mon visage et pourtant je lève les yeux suite à sa question « Pas d’amoureux, contrairement à ce que tu pourrais penser. C’était Alec ». Elle le connait, je ne risque rien en disant ça, je n’ai pas non plus besoin de me justifier davantage, car elle ne cherchera pas à en savoir plus. Du moins, je l’espère. Mais au pire des cas, je trouverai encore une excuse. Le mensonge était devenu une routine. Bien trop facile à sortir. Je reporte mon attention sur l’écran de télévision, demandant à ma sœur si elle ne veut pas changer de chaîne. Elle hausse les épaules, à la recherche de la télécommande. « Ils doivent être riches, quand même, tous ces gens là… ». Mon regard se reporte alors sur ma petite sœur, comme si elle venait de braver un interdit. Un commentaire anodin, mais surtout qui sonne comme une sorte d’admiration pour les membres du Club. « Il n’y a rien à leur envier. Ils le sont mais ça n’a rien de glorieux ». Ironie de mes paroles, quand, sans eux, je ne suis pas sûre que nous en serions rendus là encore avec Mila. Pourtant, je ne veux prendre aucun risque, celui qu’elle puisse tomber là-dedans elle aussi, un jour ou l’autre. Alors, je préfère prétendre qu’il n’y a rien d’intéressant dans la vie de ces gens, quand pourtant deux d’entre eux comptent beaucoup pour moi. J’attrape alors la télécommande, un peu violemment de ses mains et appuie sur une chaîne au hasard. Et alors que je viens tout juste de faire le changement, la sonnette retentit.

« Cette fois, c’est moi qui ouvre ! ». Elle ne sait pas qui peut se trouver derrière la porte et elle fonce tête baissée. Nous n’attendons personne et la plus forte probabilité est celle que ce soit encore des hommes qui viennent réclamer leur due à notre père « Mila, attends ! » je gronde. Mais trop tard, elle a déjà ouvert. J’arrive à la porte aussitôt, je repousse un peu celle-ci et Mila par la même occasion « Monte dans ta chambre tout de suite ! ». C’est un ordre, je ne lui en laisse pas le choix en lui indiquant d’un mouvement de tête l’escalier. Il est hors de question qu’elle soit mêlée à tout ça, surtout quand on ne sait pas de quoi les hommes en question sont capables. Ces derniers s’impatientent, poussent la porte que j’ai refermé légèrement sur eux « Où est Kurt Gallagher ? ». « Il n’est pas là » je réponds alors avec une certaine fermeté. « Et je ne sais pas où il se trouve ». Je referme la porte mais l’un d’entre eux la retient « Pas si vite, ma beauté… Qui me dit que tu ne mens pas. On veut s’en assurer nous-même ». L’homme est méprisant, un regard rempli de malice mais il est hors de question que je le laisse entrer. Je bloque comme je peux la porte, sans réel succès.  

Je m’excuse auprès de Mila. Je m’en veux de l’avoir laissé en plan ce soir, de ne pas lui accorder l’importance que je lui accorde toujours quand c’est à mon tour de dîner, quand nous avons une petite soirée de répit où je n’ai pas à enchaîner mon service à l’hôpital avec celui au bar clandestin. Ce genre de soirée, bien trop rare, où nous pouvons être toutes les deux, à regarder n’importe quel programme à la télé, à nous empiffrer en faisant toute sorte de commentaires dessus. Mais ce soir, mon esprit est bien trop lointain pour endosser le rôle de grande sœur auprès de Mila… « C’est notre soirée, le vendredi ! ». Elle a raison et à ça, je ne réponds rien, laissant échapper un soupir, baissant mon regard sur ce téléphone qui accapare beaucoup trop mon attention. Je le pose à côté de moi, en le retournant, pour ne plus me faire un sang d’encre en voyant que Mitchell ne me rappelle pas. La naïveté de Mila, pensant que je n’ai pas de temps à lui accorder ce soir, et ça, à cause d’un garçon, m’amène cependant à utiliser l’excuse d’Alec, qu’elle connait, pour excuser mon comportement. Elle semble s’en contenter en hochant la tête. Ce qui me soulage… pour une courte durée « Il voulait quoi ? Il a intérêt à avoir une bonne raison d’avoir gâché ma soirée avec toi… ». Parce que je ne peux pas lui dire que ce qu’elle voit sous ses yeux actuellement me concerne et que ce sont les raisons pour lesquelles je cherche à contacter Alec, alors je dois poursuivre mon mensonge. Une certaine culpabilité peut se lire sur mon visage, mais je n’ai pas d’autres choix… « Il avait besoin de quelqu’un pour le service de ce soir au restaurant mais je lui ai dit que je ne pouvais pas… » Je m’en veux parce que je mens à ma sœur alors que je ne travaille plus pour son restau depuis trois ans maintenant. Et parce que je cherche aussi à me dédouaner, comme pour montrer à Mila que je voulais vraiment profiter de ma soirée avec elle, au point de décliner son offre. Alors qu’à cet instant même, si Alec ou Mitch m’appelaient pour me voir, j’y serai sûrement allée, trouvant une fausse excuse auprès de ma sœur pour trouver des réponses à mes nombreuses questions. Questions engendrées par cette perquisition dont les images défilent actuellement sous nos yeux et que je ne supporte plus de voir depuis le début de la journée.

La sonnette interrompt notre échange, et la probabilité pour que ce soit quelqu’un de proche derrière cette porte est mince. Une visite surprise à cette heure-ci est plutôt rare. Et malheureusement, dans cette insouciance qui la caractérise bien, Mila fonce vers la porte pour ouvrir. Je lui ordonne de monter à l’étage, quand je découvre qu’il s’agit, encore une fois, de deux mecs qui viennent réclamer leur argent du fait des magouilles de notre père, le regard noir pour ne pas lui laisser le choix. Les hommes se veulent insistant, quand je tente pourtant d’être ferme en leur disant que Kurt Gallagher est absent. L’un d’eux finit même par ouvrir sans aucun mal la porte que je tentais de retenir, passant le pas de celle-ci. Je me retrouve impuissante et d’autant plus quand j’entends la voix de Mila qui s’en mêle, alors que je lui ai expressément demander d’aller dans sa chambre « Si mon père était là, vous l’auriez déjà vu ». Je la fusille du regard, me rendant compte qu’elle a encore joué sa tête de mule. Les hommes rient, et commencent à déambuler dans l’entrée « Vous voulez quoi ? De l’argent ? Vous pouvez fouiller tout ce que vous voulez ici, vous ne trouverez rien ». S’en est trop, je crie alors à l’attention de ma petite sœur « Mila, va dans ta chambre ! Tout de suite ! ». Bien sûr, elle ne m’écoutera pas, un des hommes s’attardant même sur Mila qui commence à descendre une marche pendant que l’autre fouille chaque pièce pour trouver éventuellement notre père. « Vous savez, on se nourrit de paquets de chips ici… Vous risqueriez d’être déçus » « Pas étonnant avec le déchet de père que vous avez ! ». Lance l’homme à Mila. Je ne prête pas attention à la pique lancée par ma sœur, mon unique occupation étant que ces hommes déguerpissent au plus vite. Parce que, depuis trois ans que je travaille dans un milieu illégal, je sais que ce genre d’affaires peuvent aller loin… Très loin. Et je crains pour la sécurité de Mila qui ne semble pas se rendre compte de la dangerosité de la situation « Foutez-le camp ! » je lance alors à l’homme près de moi et à son collègue qui revient « Vous avez bien vu par vous-même que ce déchet de père que nous avons n’est pas là. Alors dehors ! ». J’attrape la poignée de la porte pour les inciter à prendre la direction de la sortie. Ils ont un moment d’hésitation avant de finalement s’exécuter. L’un d’eux s’arrête à ma hauteur « On reviendra ! Dis bien à ton père que la prochaine fois, s’il n’a pas notre fric ou qu’il est encore absent, il risque d’y avoir des représailles ». Son regard est sans équivoque, j’entends bien les menaces qu’il profère. Je claque la porte derrière eux et referme à clé. Je m’approche d’un pas décidé de ma petite sœur « POURQUOI tu ne m’as pas écouté ?! Je t’avais dit d’aller dans ta chambre ! » L’angoisse et la panique me font exploser, ce qui m’arrive que très rarement, surtout envers Mila. « Tu ne te rends pas compte Mila ? Ces mecs-là sont dangereux ! Tu es totalement inconsciente ! ».

« Au moins on est d’accord sur quelque chose ».  Rien ne l’arrête, pas même les ordres catégoriques que je peux lui donner pour qu’elle monte dans sa chambre. Mila joue les sourdes oreilles, ne craint pas ses hommes qu’elle a pu craindre autrefois, quand la visite de mecs louches dans leur genre est devenue bien trop routinier. Sa remarque a le don de me mettre un peu plus en colère, cette même colère mêlait à de l’angoisse qu’il puisse lui arriver quelque chose, que les évènements puissent prendre une tournure tragique. Je demande aux hommes de déguerpir le plancher et lorsque la porte se referme enfin, qu’il n’y a plus une trace de leur présence et que je me retrouve seule avec Mila, j’explose. Je lui reproche de ne pas m’avoir écouté, la jugeant être totalement inconsciente d’avoir agi de la sorte quand ces hommes ne sont pas venues pour une simple visite de courtoisie. Encore moins quand des menaces ont été proférées, laissant entendre qu’ils pouvaient revenir les jours suivants et mettre à exécution celles-ci. « Et t’aurais voulu que je fasse quoi hein ? Que je me monte dans ma chambre ? T’aurais pu te faire trouer le ventre par le grand gars, j’ai vu un couteau briller dans sa poche ! ». Sa remarque me glace le sang, je n’y ai pas prêté attention mais cela renforce encore plus ma colère. Parce qu’elle n’aurait pas dû voir ça « OUI tu aurais dû monter dans ta chambre Mila ! Et désormais, je t’interdis de ne plus le faire ! Tu m’entends ?! ». Au fur et à mesure des mots, j’élève la voix, comme si cela allait dissuader ma sœur de recommencer. Mais, elle n’est plus une gamine de quatorze ans et mon énervement à son encontre n’a plus aucun effet. « Tu te serais vidée de ton sang et je m’en serais même pas rendue compte, ça aurait été malin ! ». Mes mains viennent se poser sur mes hanches, faisant tomber ma tête légèrement en arrière, regardant le plafond avant de la regarder à nouveau, le regard encore plus noir « Parce que tu penses qu’ils t’auraient épargné s’ils m’avaient attaquée avec leur couteau ? Hein ? Deux de mortes ça aurait été plus malins ? Je préfère te savoir en sécurité et me vider de mon sang plutôt que de laisser la chance à ses types de te toucher MILA ! ». C’est ce qu’elle ne semble pas comprendre, c’est que je m’inquiète qu’on puisse toucher à un cheveu d’elle. Et je suis persuadée que mes dires n’auront toujours aucun effet parce qu’elle est beaucoup trop bornée pour m’écouter et revenir à la raison. « Il fallait bien que quelqu’un leur dise qu’il n’y a pas d’argent ici. Parce qu’il N’Y A PAS d’argent ici, Stacey ! ». Mes yeux s’écarquillent quand elle souligne l’évidence. Elle a raison et je ne sais pas si à ce moment même ces mots ne font qu’alimenter mon énervement ou si cela me transperce le cœur quand j’entends un reproche de sa part du fait que nous manquions d’argent. Elle qui a pour ambition de rentrer dans une prestigieuse école de stylisme à la rentrée prochaine, elle qui, pour le moment, sait que cela ne sera pas possible si la situation ne change pas… Alors, dans mon regard sombre, elle peut voir une certaine tristesse et une certaine culpabilité. « T’avais qu’à aller au restaurant ce soir, tiens, peut-être qu’on aurait eu quelques sous à leur donner… ». Elle renchérit, poursuit le reproche. Je ferme les yeux, tente de prendre une inspiration, comme pour me calmer, mais je sens chacun de mes membres trembler. Il est rare que je bouillonne à ce point, moi qui parviens toujours à garder mon calme malgré la situation, moi qui garde toujours cette image de femme forte, pour elle. Mais ce soir, son comportement et ses reproches sont les gouttes d’eau qui font déborder le vase « Tu ne te rends pas compte de tout ce que je fais pour TOI Mila ! Tu ne te rends pas compte à quel point je me démène pour que tu puisses avoir une vie normale et que tu n’aies pas à te soucier de tout ce merdier dans lequel nous sommes ! J’aurai pu te laisser avec notre déchet de père, j’aurai pu jouer les égoïstes et ne penser qu’à moi ! J’ai endossé toutes ces responsabilités, j’ai pris le rôle de maman pour toi, et c’est ainsi que tu me remercie ?! ». Elle en viendrait même à me faire regretter à cet instant de me dévouer autant quand je vois si peu de remerciement de sa part. « En me reprochant de ne pas t’avoir préparé un repas pour UNE FOIS et parce qu’il n’y a pas assez d’argent à ton goût ?! ». Je sais que mes mots dépassent ma pensée à ce moment même, que la culpabilité s’est envolée et que je vais amèrement les regretter. « Et t’es pas obligée de passer tes nerfs sur moi parce que ton Alec s’est embrouillé avec toi, ok ? » « Ca n’a rien à voir avec Alec ou qui que ce soit d’autres MILA ! C’est TOI qui est entrain de me mettre à bout de nerfs, PERSONNE D’AUTRES ! ». Là aussi les mots sortent trop vite, laissant entendre que le problème venait tout simplement d’elle, que ce poids sur mes épaules depuis six ans était simplement de son fait, lui rejetant injustement toute la faute de cette inquiétude et ce stress accumulés depuis le début de la journée.

« Et tu feras quoi la prochaine fois pour empêcher ça, Stacey ? Tu m’attacheras au canapé ? ». Mes yeux roulent, ne préférant pas répondre, tant sa réponse manque de maturité. C’est tout ce que je pense actuellement de ma petite sœur, quand elle a fait preuve d’inconscience totale face à ces hommes. Je sens encore les nerfs me monter quand elle ne veut pas admettre ses torts, qu’elles s’obstinent encore et encore à me prouver que je me trompe. Elle en vient même à extrapoler les choses, prétendant avoir vu un couteau dans la poche d’un des hommes, couteau dont il aurait pu se servir pour s’attaquer à moi physiquement. Je rentre dans son jeu, dans son extrapolation qui m’agace et pourtant, je sais que ce genre de choses peut arriver plus vite qu’on ne le pense. Surtout quand mes parents biologiques ont été assassinés de sang-froid. Et d’ailleurs, lorsqu’elle pense que sa présence aurait changé quelque chose si l’un des hommes aurait en effet utilisé son couteau contre moi, elle ne fait que me replonger dans ce récit glaçant de la disparition de mes parents mais aussi de Malcolm, mon frère. Ma mère, tuée en première, puis mon frère car il était présent. Mon père, arrivant du travail, et parce qu’il ne fallait aucun témoin pour les balancer, lui aussi tué. Alors, évidemment, la comparaison est vite faite dans ma tête. J’en tremble même en prononçant ces mots lui montrant que son idée était stupide. « Ils ne m’auraient pas épargné, mais au moins, j’aurai été avec toi ». Cette remarque me fige sur place. J’ai même un petit mouvement de recul comme si sa réplique avait eu l’effet d’une gifle qu’elle m’aurait donné. Je sens que cette idée touche ma petite sœur et soudain, je me sens coupable. Je tente alors de m’approcher d’elle, ma main commençant à se lever pour venir attraper la sienne « Mila, je… ». Mais, je n’ai pas le temps de finir, ma main retrouvant sa position initiale alors qu’elle vient à surenchérir à propos de cet argent que nous n’avons pas. Elle peut voir de la culpabilité dans mon regard, continuant à enfoncer ce couteau dans la plaie. Pourtant, je ne parviens pas à répliquer car elle a tout simplement raison. Cet argent, nous ne l’avons pas. Cet argent, si nous l’avions, notre vie ne serait pas celle-ci. Cet argent, si nous l’avions, notre vie ressemblerait à celle que nous avions avant la disparition tragique de notre mère. Cette vie où, dans notre insouciance, nous ne nous posions jamais la question du manque d’argent. Parce qu’il n’y en a jamais eu. Mais les choses ont changé, cet accident a complètement changé la donne, et surtout, notre père n’a pas su nous mettre à l’abri malgré tout. Non, à la place, il nous attire davantage d’ennuis, nous plongeant avec lui dans ses problèmes. Et c’est sûrement cette colère là qui ressort ce soir, cumulée aux événements de la journée, celle de cette injustice de cette situation, celle où je dois endosser toute cette responsabilité quand notre père n’en est plus capable. Qu’il se contente de faire des conneries avec le peu d’argent qu’il trouve je ne sais où et que je dois en subir les conséquences. Et lorsque Mila m’accuse de tous les maux, quand on n’a pas été capable de trouver un peu d’argent pour apaiser ces hommes, qu’elle estime que c’est de ma faute, quand j’ai refusé d’aller travailler au restaurant ce soir, j’explose. C’est trop pour moi, surtout quand elle ignore toute la vérité et semble ignorer aussi tout ce que je peux faire pour elle depuis six ans. Alors que j’aurai pu me contenter d’être une simple égoïste comme notre père. Non, à la place, j’ai pris le rôle de notre mère et c’est d’ailleurs ce que je lui balance de colère… « Le problème c’est que tu n’es pas maman, Stacey, et tu ne seras JAMAIS maman ! ». Evidemment, là encore, les mots blessent et des larmes viennent humidifier mes yeux. Je les contiens difficilement alors qu’elle fait un pas en arrière, me tourne le dos et commence à monter les escaliers « NE ME SUIS PAS ! ». C’est finalement la colère qui revient au galop, je la suis alors jusqu’à l’étage, où elle s’agite dans sa chambre, préparant un sac « Tu comptes aller où comme ça ? ». je lance alors, mes yeux s’écarquillant en la voyant enfouir de plus en plus d’affaires « T’as pas besoin de moi visiblement Stacey, alors ça sert à rien que je reste là ! » « Arrête Mila, ce n’est pas ce que j’ai dit ! ». Mon ton est encore ferme mais aussi las. Las de cette situation, las de cette dispute qui n’a plus aucun sens, qui n’a même pas lieu d’être. Je commence à regretter mes mots, mon emportement en voyant ses larmes sur ses joues, la tristesse qu’elle cherche à camoufler par sa colère. Sur le pas de sa porte, elle me bouscule pour aller à la salle de bain récupérer d’autres affaires « Et n’essaye même pas de m’en empêcher, Stacey, t’es pas mère ! ». Elle continue d’appuyer « Je n’ai jamais prétendu l’être ! J’ai essayé de combler ce manque pour toi, mais je sais très bien que je ne prendrai jamais sa place ! Ce n’est pas ce que je cherche à faire ! ». Elle ferme son sac et s’approche de moi. Je recule mais je l’empêche de descendre les escaliers, restant toujours devant elle « LAISSE-MOI PASSER STACEY ! » « Non, tu ne partiras pas ! ». Parce que je n’ai pas envie de la savoir seule à une heure si tardive, surtout quand je ne suis même pas sûre que les types qui nous ont rendu visite soient partis. « Je ne te laisserai pas… ». Elle finit quand même par me bousculer, je me rattrape de justesse à la rambarde alors qu’elle dévale les escaliers. Je la suis « Mila, n’y penses même pas ! ». Trop tard, sans même m’adresser un regard, elle me claque la porte au nez. La maison redevient silencieuse soudainement. Je me fige au milieu du hall d’entrée un millième de secondes. Je réouvre la porte, m’avance dans l’allée, mon regard tournant à droite, à gauche… Mila a déjà disparu dans la nuit. J’essaye en vain de l’appeler, elle ne répond pas. Je me résigne à retourner dans la maison, fermant lourdement la porte derrière moi, envoyant valser ce bibelot hideux contre le mur et vient à m’effondrer sur le canapé, laissant cette fois échapper toutes les larmes que j’ai pu retenir depuis le début de la journée…