Je suis là, sans réellement savoir pourquoi, devant la porte du loft d'Allan, clef en mains, à hésiter si oui ou non je devrais rentrer. Un coup d’œil sur ma montre m'indique que la soirée est déjà bien avancée, mais un regard sur l'objet métallique que je tien en main me rappel qu'Allan n'est vraiment pas un grand dormeur. D'ailleurs on en parle de ce autour mes doigts ce sont refermé ? Si pour Allan et moi l'échange des doubles des clefs de nos appartement respectifs relève de la facilité et d'une confiance mutuelle, je ne peux m'empêcher d'imaginer que ce n'est pas anodin. On ne donne pas ça comme ça, non ? Pensions nous sincèrement que ce n'est vraiment qu'une question de facilité d'organisation ? J'avoue que ça m'inquiète un peu. Mais au final, je suis ici, ce n'est pas pour parler du côté sérieux ou non de notre relation. En vrai, je ne sais même pas pourquoi je suis ici. Est-ce seulement parce que je n'ai pas mes enfants et que je m'ennuyais un peu trop tout seul dans mon duplex ? Je pince les lèvres et déglutis avant de prendre une profonde inspiration. Sans hésiter d'avantage, j'enfonce la clef dans la serrure et la tourne, ma respiration se bloquant au cliquetis de l'ouverture. Soufflant, j'abaisse la clenche et pousse la porte avant de la refermer après être entré. Je suis très rapidement rejoins par Cookie qui se demande qui peut bien être l'intrus du soir. Mais, me reconnaissant, il n'aboie pas et se contente de me faire silencieusement la fête.  « Il est où ton papa ?» demandais-je au canidé qui me tourne autour, essayant de capter l'odeur d'Oliver  « T'inquiète pas, la prochaine fois j'emmène de nouveau ton petit pote» souriais-je en lui flattant la frimousse, avant de m'avancer à l'intérieur du loft.

Je cherche dans toutes les pièces mais, ne trouvant pas le propriétaire des lieux, je monte  l'étage, imaginant que, éventuellement, il aurait pu déjà dormir, mais il n'est même pas dans la chambre ou dans la salle de bain. Se pourrait-il qu'il ne soit pas là aujourd'hui ? Et qu'il pourrait rentrer avec quelqu'un dans les bras ? J'allais repartir lorsque j'entends du bruit à l'extérieur sur le toit. Relevant le regard, c'est un sourire qui s'affiche sur mes lèvres alors que je monte encore le reste de l'escalier et pousse la porte avec discrétion, mon regard se posant sur un Allan accroupie, appareil photo en main et objectif pointé sur l'horizon.

 «Tu sais, qu'il y a d'autre techniques pour espionner ses voisins et voisines sexy hein » soufflais-je en arrivant à ses côtés  «Et pis tu sais que ma maison elle est de l'autre côté? » lui rappelais-je avant de pouffer de rire, me doutant parfaitement qu'en vrai Allan est entrain de photographier à la lumière de la pleine lune qui est vraiment brillante ce soir.

L'ennui n'est pas un mode de vie convenable. Je l'ai expérimenté les quelques mois qui ont suivi ma blessure par balle en Syrie, et depuis que je suis rétabli - même un peu avant en fait - je suis sans cesse en mouvement. Pire qu'un agenda de ministre ! Je photographie, je passe à ABC, je suis mon fils de près-mais-pas-trop-quand-même-faudrait-pas-vexer-la-drama-queen, je vadrouille... Je suis parti quelques jours pour un trek dans le sud de l'Australie avec le plus beau chien du monde cet été, un beau duo loin de tout et loin de tous. Avec tout le bordel qu'il y a eu cette année, hors de question de quitter les terres où je vis, donc je suis allé là où mes pieds (et Cookie) m'ont porté. Bref, la belle vie. Je profite à fond, comme c'est mon habitude depuis... à peu près toujours, je crois. Depuis mon départ du Canada, en tout cas. Je n'ai d'ailleurs pas abordé le sujet avec Clément, alors que cela fait plusieurs mois que je lui avais dit vouloir lui en parler. Tant pis; ça me viendra bien un jour. Il faut dire qu'à part Sara, personne ne sait qui j'étais vraiment, avant de débarquer en Nouvelle-Zélande à seulement dix-huit piges. Et je vis très bien comme cela; alors, tant qu'une occasion particulière n'amènera pas cette discussion sur le tapis, ça ne se fera pas, j'imagine.

Ce soir, je suis sur le toit de mon appartement, avec mon tout nouvel appareil photo en main. Il m'a coûté une blinde, mais qu'est-ce-que ça valait le coût ! En plus, je me fiche bien de l'argent que je peux bien claquer, tant qu'il me reste de quoi assurer mes arrières. Dépensier, mais pas stupide, Winchester. Une résolution de dingue, des nuances de couleurs parfaites... Non, vraiment, je suis satisfait. Pourtant, je suis du genre client exigeant qui renvoie la machine illico presto au moindre détail qui ne convient pas. Je ne sais même pas depuis combien de temps je suis là, à observer les environs, et à photographier le moindre moment que je juge suffisamment intéressant pour être capturé. J'ai fait des vues d'ensemble sur la ville, d'autres plus axées sur le ciel même, lors du coucher de soleil ou maintenant que la nuit est bien étoilée... J'ai pris des scènes de vie, aussi. Un couple qui se dispute; une gamine qui fait ses devoirs; un homme se rasant. Le tout, sans être vu. Jouissif. Heureusement qu'ils ne le savent pas, ils pourraient me coller des procès. M'en tape; ils n'ont qu'à poser des rideaux sur leurs fenêtres. J'ai un minimum d'éthique malgré tout, et ces clichés resteront strictement personnels, pour mon propre entraînement - car on apprend à tout âge - et loisir.

Une voix aurait pu me surprendre, si ça avait été une autre que la sienne. Je ne décroche pas mon regard de l'objectif les premières secondes, trop concentré sur un réglage en particulier. En revanche, il me tire un sourire, avec ses allusions, et je ne compte pas m'empêcher de répondre. Je n'ai pas besoin de me tourner vers chez toi; tu es là. C'est à cet instant que je détourne le regard de mon appareil, pour regarder Thomas. C'est à cette heure-là que tu débarques ? je le taquine, rictus en coin. Il doit sûrement être minuit passé, même si j'en ai pas trop la notion en fait. Je suis arrivé sur ce toit sur les coups de dix-sept heures, et je n'en ai pas bougé depuis, sauf pour une rapide balade-pipi nécessaire au bien être de mon cabot préféré. Je suis connu pour peu dormir, et j'ai l'impression que mon grand âge n'arrange rien à la situation. Quelle que soit ma lassitude, j'ai du mal à trouver le sommeil, puis je me réveille la plupart du temps après un cauchemar digne des plus grands Stephen King; donc, autant resté éveillé. On a qu'une vie.Alors, Mr. Beauregard s'ennuie sans ses enfants pour lui en faire voir de toutes les couleurs ? Forcément, on se voit plus quand il n'a pas les gamins, quoi que ça ne me dérange pas de les voir. J'en ai eu après tout, je sais ce que c'est. Cela doit bien faire deux semaines qu'on a pas pu se voir, tout occupés que nous sommes, lui comme moi. Quoi de neuf, depuis notre dernier rendez-vous ? je demande avec des mots à la française, même si mon accent doit faire pitié à entendre.

Lorsqu'Allan me répond qu'il n'a pas besoin de tourner la caméra vers mon chez moi, je souris doucement, amusé. Lorsqu'il détache son regard de son appareil photo pour le pose sur moi, c'est un frisson qui parcourt mon échine et une furieuse envie de l'embrasser s'empare de moi. Mais au lieu de me laisser aller à mes pulsions, j'hausse les épaules avec innocence et lève les mains  « Cette heure c'est un peu le matin pour toi, non ? » répondais-je avec humour alors que je m'avance vers lui et je m'accroupis à ses côtés  «C'est une nouvelle machine ? » demandais-je en effleurant l'appareil photo du bout de mes doigts. Alors que ceux-ci passent ensuite sur la main de mon amant, ce dernier me demande si je m'ennuie de trop de mes enfants puis ce qu'il y a de neuf dans ma vie et c'est, dans un soupire, que je me laisse tomber au arrière, m'installant à même le sol.

 « Non mais en vrai ils sont beaucoup trop calme mes gamins» soufflais-je  « Trop gentil même. On a fêter le 13e anniversaire l'Alex la semaine dernière et maintenant j'ai l'impression de parler à un vieux sage» je rigole doucement  « D'ailleurs il a adoré la voiture téléguider que tu lui as offert. Maintenant son but c'est d'avoir une Audi e-tron en vrai » je rigole doucement et secoue la tête  « Clara, elle ne va pas très bien par contre. Elle est toujours rayonnante et tout mais je remarque bien que ces derniers temps elle est de plus en plus facilement essoufflée et elle peut pas jouer avec ses amis comme elle voudrait» je grimace un peu en me passant une main sur le front  «Ida l'emmène chez le cardiologue demain, on verra bien ce qu'il en ressort, s'il y a une évolution négative de son insuffisance cardiaque ou non » c'est sans doute ça, cette inquiétude omniprésente qui m'empêche réellement de dormir aujourd'hui.  « Et Arthur, lui, a fait beaucoup de progrès en terme de sociabilisation et il est de plus en plus épanouie» et il ressemble de plus en à Myrddin ce qui fait de plus en plus mal, ajoutais-je dans ma tête.  « Et chez toi ? Il se tient à carreau Clément ?» lui retournais-je la question avec un sourire et un coup de coude dans les côtes.

Le matin ? 'Connais pas. C'est vrai, j'ai tendance à ne pas vraiment me fier aux horaires sensés cadrer notre journée. Forcément, pour certaines choses de la vie adulte - l'administratif, les rendez-vous clients, etc, je me dois de me conformer à un certain ordre des choses. Bon sang, ce que c'est chiant d'être dans les clous ! Quand je regarde tout ce monde, toujours à courir après le temps, un regard sur leurs montres (connectées) comme s'ils étaient le lapin d'Alice, j'ai presque des envies de meurtre, ou de charité, selon l'humeur du jour. Combien n'ont pas vu l'aube, puis l'aurore qui la suit, depuis des années sans savoir en capter la beauté ? Qui regarde encore les étoiles pendant des minutes devenues des heures, sans réfléchir à ce qu'il faudra faire le lendemain ? Bien peu ont cette chance, mais surtout, la plupart n'a juste pas su la saisir. Le Destin, le hasard, ce que vous voulez, oui il y a une part d'aléatoire et de non-maîtrisable; mais le vecteur de tout, c'est la volonté. J'en suis intimement persuadé. Oui, c'est le tout nouveau modèle de Sony, le A9 II ! Alors là, s'il me lance sur le sujet, il ne va pas voir sa nuit passer, pour sûr. Ou l'inverse, je ne sais pas. Il peut prendre jusqu'à vingt photos par seconde, il est super précis et... Et je m'emporte. Je souris, m'arrête là de moi-même. Quel homme raisonnable je suis, hein ? Je m'assois aux côtés de Thomas, emportant la main qu'il a posé sur mes doigts avec la mienne.

On passe alors sur un sujet bien plus simple d'appréhension pour mon militaire préféré : les enfants. Je m'esclaffe lorsqu'il parle du cadeau que j'ai offert à Alex. J'ai toujours les meilleurs idées. Tu n'as plus qu'à économiser maintenant. Comme s'il allait lui en acheter une, d'Audi. Le gamin devra sans aucun douter se l'offrir par lui-même, et ce sera aussi bien comme ça; il apprendra la valeur de l'argent, au moins. Je grimace lorsqu'il évoque les soucis de santé de Clara; cette petite est adorable, et il est triste de la voir affligée d'un tel mal. Pourtant, il faut savoir composer avec. Hésite pas si besoin, que je souffle en resserrant mes doigts autour des siens. Pour n'importe quoi, et il le sait : juste pour une discussion, pour du soutien, pour une sortie de décompression, pour que je l'aide avec ses enfants. Je ne dis pas vouloir devenir un deuxième père, loin de là; j'ai déjà bien donné avec les miens, et je me fais trop vieux pour ces bêtises. Cependant, si je peux aider l'homme qui partage une partie de mes jours et de mes nuits, et veiller sur ses rejetons somme toute très bien élevés et charmants, alors aucun souci. Je sens que Thomas refoule quelque chose, en revanche, lorsqu'il parle de son dernier fils. Pourtant, il n'évoque que du positif dans ce qu'il raconte. Pourquoi cette étrange réserve, qu'il semble vouloir camoufler autant à moi, que peut-être à lui-même ? Je l'observe, dubitatif. Tant mieux. C'est tout ? Tu sembles... peiné.

Je ricane lorsqu'il aborde le sujet sensible de mon louveteau. Après quelques semaines à se faire la gueule, on a réussi à se rabibocher, et même si nos rapports sont toujours aussi tempêtueux selon les jours - mais on a toujours fonctionné ainsi - notre relation est revenue à peu près à la normalité. Si ce n'est que je suis plus attentif encore qu'avant à son état. En effet, je n'ai pas l'impression qu'il ait retenté quoi que ce soit depuis. Je grogne. Il a pas intérêt. Je le collerai en cure direct. Soudain, je réalise quelque chose. Je m'approche de Thomas. Au fait. Je viens embrasser ses lèvres, furtivement. Bonsoir. Je le regarde avec ce sourire canaille qui me définit si bien.

Je laisse échapper un rire amusé lorsqu'Allan me dit qu'il ne connaît pas le matin et secoue doucement la tête. Je le reconnais bien là, mon grand ami insomniaque qui préfère monter sur le toit de son loft et profiter de la nuit plutôt que de trouver des techniques pour réussir à dormir. Inclinant légèrement la tête sur le côté, j'avoue que c'est avec une certaine inquiétude que j'observe ses traits qui me semblent plus tirés que d'habitude et ses cernes qui me donnent l'impression de prendre un peu plus d'ampleur sur son visage.

Ne voulant toutefois pas le mettre mal et sachant parfaitement qu'Allan n'aime pas être mit face à ses faiblesses, je fini par changer de sujet et m'intéresse à son nouvel appareil. Et comme d'habitude lorsque je lui pose des questions sur sa passion, il se met à me parler en terme techniques que je ne comprends pas forcément mais il en parle avec tout son cœur que ça m'est égal. J'en suis presque déçu lorsqu'il fini par se taire.  «Mais continue ! Je t'en pris, explique moi un peu plus ! » l'encourageais-je.

Malheureusement, Allan décide de changer de sujet. Je l'accepte toutefois et commence à lui donner des nouvelles de mes enfants, rigolant lorsqu'il dit qu'il ne me reste plus qu'à économiser pour payer une audi à mon garçon  «Il se la payera lui-même ! » lançais-je en rigolant doucement. Certes, mon augmentation de salaire sera assez conséquente lors de mon passage en grade, mais ça ne veut pas dire que je payerais une telle voiture pour quique ce soit. Je lui parle ensuite de Clara et de ses problèmes cardiaques qui, je l'espère, ne sont pas aussi grave que ce que j'imagine. Les doigts d'Allan viennent s'enrouler autour de les miens et je pince les lèvres en un sourire triste mais reconnaissant lorsque je relève mon regard sur lui, alors qu'il me dit que je ne devrait pas hésiter si besoin.  « Merci» je sais que je peux compter sur Allan, peut importe les raisons, peut importe les sujets.

Je décide pourtant de ne pas m’apitoyer sur mon sort et retourne la question à Allan lui demandant des nouvelles de Clément.  «Ah tant mieux » répondais-je lorsque j'apprends que le mini Winchester s'est tenu à carreau concernant la drogue  «Il est pas idiot, il sait que c'est de la merde et surtout qu'il a un père qui ne va pas laisser passer ça» je laisse échapper un rire qui, pourtant, ne dur pas longtemps  « Mais je demandais surtout pour l'autre chose» reprenais-je  «J'ai discuté avec Sybille, sa colocataire la dernière fois et elle m'a dit que lui et son copain avaient été disqualifier de leur dernier concours de danse parce qu'ils sont ...deux hommes qui dansent ensemble  » je grimace et, du coin de l'oeil, juge la réaction d'Allan, espérant qu'il soit au courant de cela  «Il t'en as parlé ? Il le prend comment ? » car même si je connais Clément et que je l'apprécie beaucoup, on ne peut pas dire que nous sommes assez proche pour qu'il me raconte tout cela lui-même.

 «Et non, je ne suis pas peiné » répondais-je finalement à l'affirmation de mon amant  « Je me demande juste ce que ça signifie...» je lève le double des clef du loft et les fait cliqueter entre elle devant les yeux du quinquagénaire  « ...ça» il me faut des réponses concrètes et sincères, il me faut savoir si nous sommes à nouveau sur la même longueur d'onde ou si, au contraire, nos avis sur la question divergent.

J'hausse un sourcil lorsque Thomas me parle du souci qu'ont rencontré Clément et son petit ami lors de leur concours de danse. En effet, il m'en a parlé. Je soupire, de ce que j'ai compris, mon fils n'a pas réagi de la plus calme des manières. On peut pas dire qu'il ne tient pas de moi là-dessus. Apparemment, Loan l'a retenu à temps, ou presque. Heureusement. Le souci, c'est son âge. Sa carrière n'est pas faite, il n'en est qu'au début. Il n'est pas un vieux roublard comme moi qui peut se permettre de casser la gueule d'autrui sans que ça ne lui retombe vraiment dessus. Ou plus exactement, il ne peut pas vraiment se permettre d'en assumer les conséquences. Une nuit de garde à vue, pour moi, ça passerait limite bien auprès de la presse. "Winchester le Boxeur a encore frappé", j'avais déjà vu ça une fois, après avoir secoué comme un vieux prunier un mec qui m'avait cherché d'un peu trop près. L'autre "problème", c'est la voie dans laquelle il s'est lancé. Je ne suis seulement photographe, ma relation avec mes clients et mon public n'est pas la même que celle que Clément doit entretenir avec ses agents, managers et ses fans. Sans parler de ce fameux écart générationnel; il y a vingt ou trente ans, on pouvait se foutre sans la gueule sans que ça ne semble trop choquant. Aujourd'hui... J'aurais aimé y assister. Je lance un regard de connivence à Thomas. Mon poing serait arrivé dans la face de l'étron en question bien avant que mon fils ne réagisse. J'aurais pris les emmerdes, aurais défendu son honneur - et le mien, en tant qu'homme bisexuel, soit dit en passant - et il n'aurait pas été si emmerdé. En plus, j'aurais même tendance à dire que mon fils est encore plus impulsif que moi. Pas assez subtil. Trop prompt à la réaction immédiate. J'aurais tendance à vouloir lui coller des taquets, à lui dire de faire preuve de plus de jugeote. Parfois, il faut savoir ne pas réagir... Pour mieux entuber la personne après. Et de la pire des manières, tant qu'à faire; la vengeance n'en est que plus savoureuse. Bien évidemment, il le prend mal. J'esquisse un sourire narquois. Mon fils n'est pas la meilleure des dramaqueen de Brisbane pour rien. Je suis gentil; j'aurais pu dire d'Australie. Je soupire de nouveau; j'en rigole mais je sais que ce n'est pas simple à vivre pour lui. Il sait où le trouver s'il a besoin de parler. Je le lui ai dit. Oh, oui... Nous avons parlé de bien des choses, ce jour-là.

Je lève les yeux vers Thomas, alors que nos doigts se sont entremêlés. Mon amant a été un de ces sujets de discussion que j'ai eu avec mon fils, notamment. Il se doutait de quelque chose, et de fil en aiguille, on en est venu à aborder le sujet. Il m'a même amené, volontairement ou non, une certaine évidence à me faire face, que les clefs qui s'agitent sous mon nez ne font qu'appuyer. Où en est-on, en réalité, avec M. Beauregard ? Je n'ai pas su donner de réponse à Clément, l'autre jour; il ne m'en a pas vraiment demandé non plus. En revanche, ce soir, c'est tout l'inverse avec l'homme qui partage ma couche et une partie de mes journées depuis le début d'année. Ses gestes, le ton de sa voix, ses mots, son regard perçant : tout indique qu'il a besoin de certitudes, désormais. Après tout, je lui ai donné, sans même en faire grand cas, un double de mes clefs, alors que mon loft, c'est mon cocon, que peu ont la grâce de pouvoir approcher. De même, il m'a confié aussi de quoi ouvrir sa porte, au besoin. Tout cela semble bien éloigné de la conception d'une simple relation volage, plutôt amicale avec son lot d'affinités que tangible, sur laquelle nous nous étions mis d'accord il y a quelques mois. Je pourrais te retourner la question, je lui rappelle; belle parade pour ne pas avoir à répondre immédiatement. Non pas que je refuse de lui fournir plus de détails. C'est que...

Soudainement, le monde entier semble se bousculer dans ma tête. Je pourrais être ce professeur chauve télépathe des X-Men que je n'aurais pas l'esprit plus encombré. Je ne peux pas nier que j'apprécie, que j'admire et que je désire l'homme à mes côtés. Nous nous entendons parfaitement bien, et ce malgré nos caractères bien différents. Il me tempère, et je sais le chahuter. On a aussi assez de points communs pour avoir de la discussion, et de beaux moments à passer ensemble. Soyons réalistes. Je me mets face à Thomas, me décalant pour pouvoir le regarder droit dans les yeux. Pour moi, cette année passée à te fréquenter a été géniale. Le positif d'abord, car cela compte. Énormément. Il a su me soutenir après ma blessure de novembre, avant même qu'il ne divorce de Myrddin. Puis pendant les fêtes, où je lui ai aussi proposé mon épaule pour pleurer. Et par la suite, nous avons passé autant de délicieux instants que l'on a pu se rendre service au quotidien, en toute fluidité. Pourtant, la suite de mon discours ne va pas être aussi agréable, alors que mon esprit me fait freiner des quatre fers face à l'éventualité d'une stabilisation.

Mais veux-tu vraiment de cela ? J'appuie bien sur les derniers mots, le regard intense. Veux-tu vraiment de moi, Thomas ? Tu ne sais pas dans quoi tu t'embarques. Malgré tout, tu ne sais pas encore tout de moi. Et je ne suis pas sûr de vouloir que tu le découvres. Je bois trop, je le sais. Tu ne me l'as jamais dit; passes-tu simplement dessus, ou ne m'as-tu simplement jamais vu quand j'avais pris le verre de trop ? Je ne sais plus. Pour la drogue, tu n'en sais rien non plus. Et tant...Ma voix devient un peu plus âpre, alors que les mots que j'énonce sont sans doute aussi douloureux pour moi qu'ils vont l'être pour lui. Tu m'as fait promettre de te secouer le jour où... tu voudrais te remarier tu voudrais te remettre avec quelqu'un. Quoi ? J'ai à peine altéré la réalité. C'est pour le plus Grand Bien, de toute façon. N'imagine pas ça, Thomas. Tu ne peux pas te projeter avec un homme comme moi. Je n'ai jamais su bâtir quelque chose de stable, encore moins à long terme. Au final, tout finit par se briser en mille morceaux, se déchire de la plus horrible des manières. Je ne suis pas homme à vivre avec quelqu'un d'autre. Je finirai par te faire du mal, c'est indéniable. Je m'y refuse. Je déglutis, difficilement, alors que je maintiens mon regard dardé sur lui. Si je veux paraître crédible, je dois paraître fort, avoir une certaine contenance.

Je grimace, compatissant, lorsqu'Allan m'avoue qu'effectivement Clément lui a parlé de ce qui s'est passé lors de son dernier concours de danse et m'explique un peu plus en détail. Apparemment Loan l'aurait retenu à temps ou qu'il aurait au moins tenté mais que lui-même aurait aimé y assister ne serait-ce que pour frapper l'homophobe avant que son fils ne le fasse. Il m'assure ensuite qu'évidement Clément le prend mal et je laisse échapper un rire sincère et amusé lorsqu'il m'indique que son fils n'est pas la meilleures dramaqueen de Brisbane pour rien. Toutefois, malgré le fait qu'il se moque du jeune danseur, il reste sérieux dans son rôle de père, m'avouant qu'il lui a dit qu'il pouvait venir lui parler quand il le voulait.  « Tant mieux alors. Je pense que de toute façon a part être là pour lui tu peux pas faire grand chose de plus» haussais-je les épaules  «Je sais toutefois que Sybille et son association pro LGBTQ+ sont sur le coup pour pas que ça arrive à quelqu'un d'autre.  » assurais-je  «C'est horrible que ce soit arrive à Clément mais au moins, avec un peu de chance, ça n'arrivera plus à quelqu'un d'autre » je l'espère sincèrement.

Et puis vient une discussion qui est bien loin d'être joyeuse et légère. Bien au contraire. Alors que mes doigts viennent s'entortiller autour de ceux du photographe, je sors les clefs de son loft de ma poche et les fais cliqueter devant ses yeux, lui demandant ce que cela signifie. Car ce n'est pas anodin et que je suis persuadé que l'échange des clefs de nos habitations respectives a une toute autres signification que la simple facilité. Et vu la réaction d'Allan, je ne pense pas m'être trompé.

C'est la première fois depuis notre fréquentation qu'il ne semble pas sûr de lui et de ce qu'il doit penser ou avouer. Pinçant les lèvres, je déglutis et dévie le regard alors qu'il me dit qu'il pourrait me retourner la question. Il n'a pas tort. Qu'en pensais-je moi ? Je ne le sais pas vraiment. Quoique … ?

Lorsque le quinquagénaire reprend la parole, c'est pour me dire que cette dernière année à me fréquenter était géniale.  «Mais … ? » le pressais-je car l'hésitation dans sa voix me fait bien comprendre qu'il n'a pas tout à fait terminer. Et j'avoue que mon cœur s'accélère brusquement tant j'ai l'impression qu'il va me dire que s'en est fini entre nous, qu'il ne souhaite plus me voir et qu'il a trouvé quelqu'un d'autre. Je relève toutefois le regard sur lui, l'interrogeant silencieusement lorsqu'il me demande si je veux 'vraiment de cela'. J'hésite en apparence alors que dans le fond la réponse est claire et nette : oui. Oui je veux vraiment cela, oui je souhaite que notre relation évolue. Mais toi, le veux-tu aussi ?

Allan fini par reprendre la parole en reprenant mes propres mots. C'est un petit sourire qui s'affiche sur mon visage alors que je secoue la tête  « Je n'ai jamais dit ça» dis-je doucement  « Je t'ai demandé de me secouer si un jour je reparle de mariage» assurais-je  « Et je ne vais pas non plus te demander en mariage t'inquiète pas pour ça» je laisse échapper un rire nerveux avant de soupirer doucement  « Je ...je demandais juste parce que ...j'ai beaucoup, beaucoup, apprécier cette dernière année à te fréquenter. Et je sais que tu es du genre à aimer ta liberté, que tu ne souhaite pas te poser ni d'avoir de compte à rendre à quique ce soit, je le sais et je l'accepte. Mais je ...» je soupire doucement  «Je me rends compte que je ne suis pas comme ça et que ...j'ai de plus en plus de mal à me dire que tu puisse prendre du bon temps avec quelqu'un d'autre » et voilà, c'est dit  «Je ne veux pas non plus te forcer à quoique ce soit, donc ...je sais pas comment le dire différemment, mais je ne pense pas que je puisse continuer comme ça...» j'humecte mes lèvres, les pinces et déglutis  « Je pense qu'il va falloir qu'on prenne une décision» et l'un de nous en souffrira, c'est claire et net

Aouch. J'aurais dû m'en douter; mon compagnon a au moins aussi bonne mémoire que moi, et il ne s'est pas laissé avoir par les termes que j'ai employé. Ainsi, je donne l'air de n'avoir pas bien perçu ce qu'il m'avait dit il y a quelques mois, parlant de le secouer le jour où il voudrait s'installer dans une relation traditionnelle alors qu'il ne m'avait parlé que de mariage, plus exactement. Il me reprend donc, avec son air toujours aussi compréhensif et doux. Bordel que cet homme me rend chèvre, et ce avec trois fois rien. A la réflexion, il est le seul dont j'accepte aussi facilement les remarques, sans sur-réagir par-dessus. Je ricane lorsqu'il dit qu'il n'oserait pas me demander en mariage. Tu m'étonnes, je réponds simplement, comme si ma réponse servait simplement à ponctuer sans discours. Après deux unions menées jusqu'au divorce, Beauregard ne pouvait plus que se montrer réfractaire vis-à-vis de ce type de relation. D'autant plus avec moi; déjà, en cet instant, je rechigne - pour des raisons bien particulières ceci dit - à aborder cette discussion qui concerne une officialisation de ce qui se déroule entre nous deux, alors, un mariage... Rien que l'idée me fait sourire. Pour autant, je n'en suis pas moins attentif au reste de son discours, et chaque preuve d'amour qu'il porte dans ses paroles est un coup de poignard supplémentaire. Moi aussi, Thomas, moi aussi, je pense avec un pincement au coeur. De plus en plus, j'ai du mal à concevoir qu'il puisse se retrouver dans les draps d'un ou d'une autre lorsque l'on ne se voit pas. Peut-être même ne l'a-t-il jamais fait, ou presque pas; cela ne m'étonnerait même pas du bonhomme. Pour ma part, je ne m'en suis pas privé, même si je dois avouer que cela fait quelques temps déjà que je n'en ai pas ressenti le besoin. Pour la première fois depuis près de huit ans, je n'ai pas l'envie d'aller voir ailleurs tout en entretenant une relation régulière avec quelqu'un, qu'il s'agisse d'un simple sexfriend ou de quelque chose de plus profond. @Elizabeth Warren, ma partenaire de coucheries depuis quelques années, ne semble pas s'en être offusquée d'ailleurs. Elle-même de temps à autres prise dans les tourments de l'amour, elle aurait été bien mal placée pour me faire un commentaire à vrai dire. Je n'ai pas eu de ses nouvelles depuis un moment, pas plus que je n'ai cherché à en lui en donner d'ailleurs. Nous avons toujours fonctionné ainsi, elle et moi : au gré des envies et des disponibilités de chacun, sans aucune attache. L'inverse de ce qu'il s'est passé avec Thomas. D'une connaissance retrouvée au détour d'une randonnée à celui avec qui je discute sentiments, cette nuit, sur les toits de Brisbane, nous sommes passés par la case "amants" rapidement avant de développer plus que cela. D'où les clefs, qu'il a judicieusement secoué sous mon nez. Au final, cette discussion était inéluctable, et je ne faisais qu'espérer qu'on la repousse indéfiniment, chacun de notre côté.

Tu as raison. Je réponds enfin, alors qu'il vient d'énoncer une vérité toute simple, et pourtant si cruelle. Il va falloir prendre une décision. Si ça ne tenait qu'à une affaire de sentiments, ce serait déjà réglé. Mes coucheries à droite et à gauche ne seraient plus que de lointaines préoccupations, face aux beaux yeux de Thomas. Mais il ne s'agit pas que de cela. Tu seras malheureux avec moi, que j'énonce distinctement. Les mots restent accrochés dans les airs, quelques secondes. Je n'explique pas plus que cela en quoi il le serait; je n'ai pas envie de appesantir dessus. Et je m'y refuse. Le ton est plus ferme, plus dur; rien de mieux qu'une apparente force pour cacher les tressautements que mes cordes vocales auraient voulu faire passer par ma voix. Habituellement, c'est lui le plus raisonnable de nous deux, la tête pensante, le sage. Ce soir, je vais devoir endosser ce rôle, et ce quoi qu'il m'en coûte. Je t'aime trop pour te faire subir ça.

Tu as raison. Mon cœur s'accélère sous ses mots, ma respiration s'accélère et mes intestins se tordent tantôt douloureusement, tantôt délicieusement. Mon regard, lui, est toujours posé sur mon amant et s'intensifie même un peu tant j'attends la suite. Celle-ci ne peut qu'être bien, non ? Il ne peut que me donner raison ? Nous sommes tellement souvent et régulièrement sur la même longueur d'onde que je suis persuadé que là aussi, la décision sera normale et logique et que nous pensons la même chose. Tu seras malheureux avec moi mon cœur se serre, ma respiration se bloque et mes épaule s’affaissent vers l'avant. Mon regard s'assombrit légèrement avant qu'un voir d'incompréhension et de tristesse ne vienne recouvrir mes iris. Ainsi donc il a prit sa décision. Et avec cela il décide pour nous. Et je m'y refuse mon regard se baisse, mes yeux se ferme et mes doigts viennent pincer l'arrête de mon nez. Ma respiration, elle, repart doucement mais est saccadé alors que j'ai l'impression de revivre les mêmes moment où nous avons décidé, Myrddin et moi, d'annuler le mariage et de divorcer.

 « Je vois que tu as pris ta décision» soufflais-je avant de déglutir et prendre une profonde inspiration. Me redressant pour reprendre contenance je me racle la gorge et hoche la tête  « Très bien alors» mon ton est bien trop froid, bien trop dur  «Je ne t'embêterais pas d'avantage » mon ton est bien trop sec alors que je me lève.

Une fois debout je me perd un instant dans la contemplation de l'horizon et de la pleine lune avant de pincer les lèvres  « Bonne soirée» et sans un mot de plus, sans même un dernier regard envers cet homme qui, je l'espérais, aurais partager encore de longues années de ma vie, je me détourne et m'en vais, laissant derrière moi cette relation naissance et Ô combien délicieuse.