Les jours s’étaient transformés en semaines sans même qu’il ne s’en rende compte alors que les deux frères se croisaient sans se parler plus que nécessaires, voir sans même s’adresser la parole pendant des jours entiers. La tension était palpable au sein du Club et tous les employés comme les membres devaient la ressortir. Le départ de Raelyn et à présent l’animosité présente entre les deux frères rendaient le pouvoir de Mitchell plus fragile. Ce qu’il ne savait pas c’était qu’Alec avait décidé de s’assurer que le Club ne coule pas mais pas pour son frère non, mais pour Raelyn.

Le fait qu’Alec ne souhaite plus avoir de contact avec son ainé n’avait pas eu l’air d’affecter ce dernier. Non, il était simplement parti sans même essayer de se battre.  Plus les jours passaient et plus la colère d’Alec grandissait. Il s’était battu pour rien. Il était resté pour rien. Il avait été loyal…pour rien.  C’était ce qu’il ressentait alors que Mitchell ne semblait pas plus affecté que ça par la fin de cette relation fraternelle comme si leur lien n’avait jamais été assez important. Ca lui donnait envie d’écraser son poing dans la figure de Mitchell, de le faire réagir. Ou peut être simplement, comme un gamin sans son grand frère de lui hurler de le voir, de venir le récupérer peut-être au fond.  

Le service est terminé et il enlève son tablier, observant son restaurant à présent vide, souhaitant bon courage à ses employés qui rangent la cuisine et qui nettoie la salle avant de se rendre dans le bar clandestin. Il adresse un sourire à Stacey, sourire qui disparaît vite alors que son regard tombe sur son frère.

« Comment c’était ce soir ? » « Calme. » Son ton est sec, il n’entre pas en détails, il n’a pas envie de lui parler. Pas envie de prétendre qu’ils se parlent encore, pas envie d’être dans la même pièce que lui. «  Je te sers un verre ? » Alec l’observe croiser les bras, montrer le siège à côté de lui.  « Tu comptes vider toutes les bouteilles ? » il répond froidement, l’observant alors qu’il n’en est clairement pas à son premier verre ni au second. Il n’a pas répondu, hésitant à rester, à lui parler ne serait-ce qu’un instant. Il soupire et articule entre ses dents. « Juste un et je me barre. » Se barrer où ? Rentrer chez lui ? Ruminer dans sa maison trop vide avec son chien, penser à Mia qui avait appris sa véritable identité ? Se remémorer la trahison dans son regard, la déception ?  Penser encore à une autre vie qu’il aurait pu avoir, celle notamment qu’il aurait pu avoir avec elle ?  Il observe un instant le bar clandestin, conscient également de la nécessité de maintenir les apparences. Alors il s’assoit à côté de lui. Si son frère veut parler qu’il le fasse, lui est bien décidé à garder les yeux fixés devant lui et à ne pas lui adresser la parole.  

« Je sais que j'ai merdé pas mal de fois, que j'ai un caractère qui est difficile à supporter, mais j'espère que tu ne penses pas que j'en ai rien à foutre.»

Le regard d’Alec s’ancre dans celui de l’ainé, masque de froideur qui cache pourtant une blessure bien plus grande qu’il ne voudrait l’admettre. C’était exactement ce qu’il pensait. Il avait l’impression de lui avoir donné sa vie entière, de lui avoir voué une loyauté aveugle, d’avoir fait chacun de ses choix en fonctions de lui et de ne plus se reconnaître dans le miroir. Alors que pour la première fois il avait décidé d’y mettre fin, Mitchell était simplement parti sans un regard en arrière, abandonnant la partie sans même essayer de se battre pour préserver leur relation.  « Arrête tes conneries. » Les mots sont durs. Il n’y croit plus. Il ne voit que l’égoïsme de son frère, que sa paranoïa, Alec ne voit que tout ce qu’il est devenu et cherche à effacer tout ce qu’il a été.

« Je me dis des fois que cette course à l'or nous a apportées que des emmerdes.» Il ne peut s’empêcher de rire. Un léger rire jaune qui s’éteint bien rapidement alors qu’il finit cul sec son verre de whisky. L’instant d’après le barman vient lui resservir sans attendre qu’il le demande après tout il est ici chez lui et les verres des frères Strange ne devaient jamais être vides. « C’est bien de t’en rendre compte maintenant.  Sauf que ça ne change rien. » C’est trop tard, a-t-il envie d’ajouter. Il y a un fossé qui les sépare, un fossé qu’il ne veut plus faire l’effort de combler. « À quel moment tout a basculé mon frère ? » Alec reste un instant silencieux. Lui aussi se pose la question. Leur relation avait-elle basculé récemment ? Était-ce la prison qui avait créé ce fossé entre eux ? Ou bien le fossé avait-il commencé à se creuser il y a bien plus longtemps que ça, dès l’instant où Mitchell lui avait proposé de rejoindre ce gang ? Peut être même avant, peut être dès qu’il lui avait demandé à de partir avec lui à l’autre bout du monde ? ou est ce que finalement, tout avait basculé dès le moment où le crâne de leur père s’était ouvert sous la violence du cadet ? « Ca a basculé il y a longtemps Alex, j’étais juste trop aveugle pour le voir. » les mots sont prononcés avec un haussement d’épaule indifférent, sans un regard vers lui, d’un ton qui cherche à être neutre. « Mais c’est pas à moi de répondre à cette question Mitch. » Ca y est le premier prénom est de nouveau oublié, le deuxième repris et utilisé pour mettre bien plus de distance entre eux. « Remets-toi en question pour une fois dans ta vie. Quand est-ce que ça a basculé ? » Cette fois il plante ses prunelles bien trop froides dans celles de l’ainé, cherchant à provoquer une réaction.

Il n’y aura pas de retour en arrière pour eux. Le brouhaha ambiant au loin attire son regard un instant il observe Stacey allait porter des verres à une table.  Il n’y a pas d’oreilles indiscrètes autour d’eux et il choisit de se concentrer sur la seule chose importante qui leur reste à partager. «  Comment on s’en sort en ce moment ? » Il ne parle évidemment pas d’eux, il n’y a plus rien à sauver de leur relation fraternelle, non son ton est bien plus sérieux et il est clair qu’il parle de leur business, le Club, soit finalement une des causes de ce fossé qu’il y avait entre eux.  

« Je ne vais pas réécrire le passé ça c’est certain, mais putain, après tout ce qu’on a traversé … »

Mitchell semble penser que c’est de sa faute et non de la sienne si leur relation est ce qu’elle est aujourd’hui. Cela n’étonne pas Alec, il était habitué à l’égocentrisme de son frère. Un rire jaune secoue ses épaules alors qu’il ne prononce pas un mot. Il n’aura pas de grands discours ce soir. Il est fatigué de lui parler, fatigué d’entretenir ce lien.

« Il faudrait quand même que tu m’explique pourquoi après plus de quinze ans tu me tourne le dos ? Car oui, c’est toi qui m’a tourné le dos et pas l’inverse ! » Il n’est même pas capable de réaliser l’ampleur des dégâts, de comprendre pourquoi aujourd’hui Alec choisit de dire stop. « Tu me fais pas confiance. Tu fais plus confiance en personne. Le type que tu deviens, c’est pas mon frère. »

« Si cette vie te déplaisait tant, pourquoi être resté ?» Son regard se pose sur cet homme avec dégoût. « Pourquoi ? Tu te poses vraiment la question ? » Il était resté pour lui. Il était resté pour ce frère à qui il vouait une loyauté sans faille, du moins jusqu’à aujourd’hui. Il était resté parce qu’il aurait été près jusqu’à peu à se prendre une balle en plein cœur pour son ainé, parce qu’il aurait été prêt à tout sacrifier pour lui. Et pour la première fois, il en avait assez. Car Raelyn n’avait pas tort, il avait été un chien répondant sagement à son maître, Mitch avait ordonné et toute sa vie il avait suivi.  Bien sûr aujourd’hui il restait aussi pour le Club. Pour cette famille qu’ils avaient construite, pour ce lieu et ces gens à qui il était loyal.

Quand est- ce que tout avait basculé ? Quelle était la goutte d’eau qui avait fait déborder ce vase, qui avait été le point de non-retour ? Au fond ils le savaient tous les deux, leurs mains étaient encore couvertes du souvenir du sang de leur père. L’un pour l’avoir tué, l’autre pour avoir déguisé le meurtre en suicide. Le point de non-retour avait été atteint dès le départ. « Sûrement lorsque Mavis m’a convaincu de la suivre jusqu’ici. » Il ne répond rien, se contentant de boire une gorgée de son verre. Il n’apportera aucune confirmation, ne donnera pas son avis, cela ne changera rien, il compte laisser son frère ressasser leur passé comme lui le fait depuis des mois.  

Non il est ici pour le boulot, pour les apparences pour ce Club qu’ils ont construit.  On a connu mieux, mais ce n’est pas catastrophique. Ça ira mieux d’ici peu.» Oui ça irait mieux, mais ça ne serait pas sous son règne, aurait-il pu lui dire. « Et le restaurant. » Alec hausse les épaules. « Ca va. On a de plus en plus de clients. » Au moins leur business légal marchait sans encombre.  Son verre est resservi et Alec l’attrape pour le boire d’une traire avant de se tourner vers Mitchell. « Si tu crois que tu peux t’en sortir sans Raelyn Mitch, tu te mets le doigt dans l’œil. Mais on va tenir. D’une façon ou d’une autre. » Il observe un instant son visage avec froideur. Il se lève, déjà prêt à partir, ne souhaitant pas continuer cette conversation. Il semble hésiter un instant puis pose une main sur l’épaule de son ainé, s’approchant de son oreille pour prononcer lentement les mots qui creusent un peu plus le fossé qui les sépare. « Je vais être là. Mais je vais être là pour le Club. Pas pour toi. Toi et moi, si ça ne concerne pas le Club, je veux pas en entendre parler. Félicitations, Mitch, t’as un partenaire pour ton business. Par contre, t’as pas de frère. » Les mots sont durs, seul lui peut les entendre. Il n’attend pas spécialement de réponse, se contente de le laisser à son alcool. Lui préfère s’échapper dans la nuit, retourner à sa cuisine et prétendre que c’est un choix qu’il pourra tenir, qui n’apportera pas son lot de culpabilité.