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 who by fire, who by water (ginnett #9)

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Message(#) Sujet: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyJeu 1 Avr - 0:12


Piégé comme un rat, étouffé, opprimé, suffoquant de toutes les libertés qu’elle rabâche en ayant l’air de croire qu’ils veulent, ou qu’il veut parler ; écrasé par les trois mètres sous plafond, titubant d’être assis, cloisonné par son pouvoir de partir s’il en avait envie – ici personne ne t’en voudra –, une silhouette trouble, un mal diffus. Dieu sait ce qu’il fait ici ; dieu sait qu’il n’y restera pas longtemps. (Des coups d’œil à peine voilés en sa direction, quand il entre ; parce que c’est écrit sur sa figure qu’il est perdu pour les autres, perdu et enterré ; ou pour une autre raison… ?) (Il leur rend chaque regard ; ils ont peur, ils l’évitent.) (Il a peur, les évite.) « Personne ici ne vous forcera à parler, personne ici n’est là pour vous juger. Je suis moi-même co-présidente de l’association, et avant de m’engager pour animer ce groupe de parole, je travaillais… » Les paroles de la psychologue résonnent dans un silence religieux, d’église ou de secte, depuis une quinzaine de minutes qui érodent à grande vitesse la patience de Bennett. A gauche, à droite, disposés en cercle mal fermé, des inconnus problématiques se taisent ; certains, habitués, hochent la tête avec attention ; d’autres se renferment et feignent de s’intéresser à la fenêtre, comme si l’évasion du regard pouvait annuler leur présence physique. Bennett n’en fait pas partie ; il ne scrute pas la fenêtre, ses yeux sont rivés à terre, ses bras, obstinément croisés. L’expression vide de son visage se colore aux joues d’une indifférence pétrifiante, carmin clair, vert bleu jaune, mal-être, mal-paraitre. « …avons décidé de créer cet espace ouvert, où tous peuvent venir indépendamment des raisons, contrairement aux groupes classiques. Vous êtes assurés de la discrétion de chacun d’e… » Les lignes du parquet se scindent à une quarantaine de centimètres de la chaise de « Anna », comme indiqué par un badge rectangulaire. Aucune curiosité ne pousse le trentenaire à détailler les visages des autres participants ; tout se passe comme s’il était parfaitement seul dans la pièce. Le désir de s’informer du tourment d’autrui n’excédait par la barrière d’airain qui l’empêchait de reconnaître le sien ; et quand par un sarcasme affligeant, la psychologue elle-même donne l’exemple en détaillant sa brillante carrière d’ancienne femme battue (il est à deux doigts d’applaudir), Bennett est dans un état d’apathie totale. La compassion, ou même l’intérêt pour un discours qui cochait toutes les cases du langage à la première personne supposé assainir les émotions, se dissolvent dans son impression grandissante d’avoir été manipulé pour qu’il assiste à ce cirque. « …et bien entendu, votre partenaire devra vous écouter de la même manière, comme un ami. » (Manipulé, lâché, trompé, faussé, égaré, désinformé, malmené.) Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? On se regarde dans le blanc, maintenant ? Je dois répondre ? Elle a dit que j’avais rien à répondre, je suis les directives, c’est vous les imbéciles de l’histoire. J’ai rien demandé à personne, j’étais presque bien, et j’aurais eu le presque si on n’essayait pas de m’en tirer sans cesse. Et ? Et oui ? Et alors ? Tu m’auras pas, tu sauras pas, tu sauras rien. Tu fais pas ça pour moi. T’en as, au fond, rien à faire. (Être, mais mal.) (Pourquoi toujours tomber ?) Il faut qu’il émerge une seconde de son bouillon de rancune pour qu’il saisisse au vol le regard insistant de son voisin – quoi, toi aussi ? Un problème ? Mais l’homme détourne finalement ses yeux, qui cherchent l’éclat de l’ivresse pour symétrique de la légère haleine de Bennett ; détourne et s’en va, d’ailleurs tout le monde s’en va, que font-ils ? Qu’est-ce qu’on l’abandonne déjà ? Il savait, il savait qu’il allait finir seul, encore une fois. Ils échouaient à tenter de le surprendre.

*

Vous savez, l’homme est plus fort que ça, il n’est pas aussi prévisible, aussi automatisé dans ses moindres engrenages, aussi enchaîné à des causes profondes… mystiques… l’homme est plus fort que ça. (Le goût presque décomplexé d’une vinasse planquée se répand lentement dans sa bouche.) L’homme est plus fort que ça, et je vais même vous dire mieux ; il vaincra tous les déterminismes inéluctables, si seulement, si seulement on lui laisse une goutte – rien qu’une – un tout petit torrent de bonheur dans l’océan du temps. Ça faisait longtemps. C’était tellement meilleur quand il avait oublié. (C’est à quelle heure ? Dix-sept ?) L’œil suspicieux de Bennett se pose une énième fois sur le morceau de papier où l’adresse s’incrustait en une calligraphie peu attrayante, toute de majuscules lorsqu’il voulait des cursives, nette et franche quand tout flanchait en lui. Il devrait y aller, pour faire plaisir à qui que ce soit, pour s’affranchir de l’esclavage et se trouver d’autres poques d’air nocif. Il devrait y aller pour arrêter de boire ; mais pour y aller il avait besoin de boire. (Juste un peu, juste assez.) Il n’était quand même pas un animal. L’œil mauvais sur le papier, s’attendrit sur la bouteille.

*

Ils disparaissent, ils se mettent dans des coins comme des rats, ils font des sourires et ils s’éloignent. Anna s’interpose entre Bennett et son désarroi – « Vous pouvez vous mettre ensemble pour l’exercice. » Et la main qui pointe dans le dos de Bennett, aboutit à une vision de cauchemar, les angoisses et les animosités qui baignent dans l’essence en n’attendant qu’une flamme, même de médiocre qualité – Ginny. (Non.) (Hors de question. Il nie ce réel. Ça… non.) Elle est là, comme ça, comme si de rien n’était. (Non.) Elle est là. Là. Comme ça. Comme si de rien n’était. (Tu te répètes… ?) Comme si de rien n’était. Comme une bonne amie qui vient encore jouer la bonne épaule, dans la bonne vie, dans le bon univers, avec ses bonnes paroles. (Il refuse, il refuse. Il ferme les yeux. Les choses tournent. Il a mal à la tête. Mal, a une tête, et il l’est, serait une meilleure formulation.

Elle… non. Pourquoi était-il venu ? Qu’est-ce qu’il foutait là, merde, pourquoi, quoi, qui ? Étais. Il parait, oui. « Tu me suis, c’est ça ? » Bennett ne sait pas quel vent l’a guidé dans quelle salle, quelle invitation généreuse de la psychologue les a escortés dans l’intimité d’un bureau auquel Bennett trouvait tous les défauts du monde, trop petit et trop grand, trop brun, trop bleu, spacieux et étriqué, misérable et luxueux ; encore faudrait-il qu’ils soient de taille, ces défauts, à rivaliser avec la masse énorme de honte et de mépris, qu’il ressentait pour lui-même ; qu’il ne pouvait ressentir, en raison du mur de l’alcool ; qu’il reportait sur Ginny, qui fautait de le voir ici, fautait de tout ce qu’elle pouvait faire ou ne pas faire, coupable aujourd’hui pour le reste de l’humanité quand il avait passé sa vie à l’empêcher de s’excuser. Ouais, t’es coupable, ouais. De tout. Je t’empêche pas. Ratatine-toi, explose ou n’explose pas. T’as pas le droit. (Je me déteste.) « T’es contente, là ? T’as de quoi raconter ? » Le venin franchit délibérément ses lèvres, avec une fluidité qui rappelait ses plus belles heures, ses pires personnages ; ce qu’il perdait en maitrise de son corps, il le gagnait en virtuosité mesquine, en capacité à heurter de plein fouet ce qu’il esquivait d’ordinaire en glissements de silences et métaphores sibyllines. Il s’adosse à la première table qui vient soulager son déséquilibre, fait un geste vague. « Merde, oui. On doit parler. Raconte-moi ce qui va pas, comme les autres abrutis autour. » Ça va vite, trop vite. Parle de manière incisive et nette, sans les pauses prolongées qui prévalaient d’habitude, entrecoupant les réflexions de sa force tranquille ; faible et colérique, ne parlant qu’à la deuxième personne parce qu’un je serait trop lui donner. Bennett s’en fout. Elle n’avait qu’à pas être là, aujourd’hui, hier, jamais. (Lui ? Oh, lui n’était déjà plus là.) « Ah, c’est vrai. Rien ne va, n’est-ce pas ? » Et ce serait presque de l’attendrissement qui poindrait dans sa voix, si seulement ce n’était pas aussi cruel ; si seulement, sous l’apparence de Ginny, il ne voyait qu’un vague reflet de sa propre défaite.
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyMar 6 Avr - 22:38


Je sais pas par où commencer alors je ne commencerai tout simplement pas. Le café goûte l’eau de vaisselle mais il est à la bonne température, la chaise craque à chaque inspiration mais reste silencieuse quand j’expire. Le plancher est trop ciré, quand le soleil reflète sur les lattes il me pique les rétines. Les gens vont bien aujourd’hui, bien étant relatif, mais ça ne ressemble en rien à la semaine dernière. Mon cardigan a deux mailles défaites, trois oups, je viens de voir que j’en ai tiré une nouvelle en calant mes mains dans les manches. La voix d’Anna ne tremble pas quand elle parle de son passé et Swann a tenté de se suicider. Les gens bougent et prennent leur place, la mienne que j’attends patiemment sans presser personne. Tout est vide, vide de son et vide de trame, mais tout ira bien parce que ça ne peut pas aller autrement, n’est-ce pas?

« Tu me suis, c’est ça ? » la chute sous forme de bureau porte close, pas de fenêtres, des piles de papiers bien alignées, un fauteuil en coin de pièce. « T’étais pas là les autres fois, moi oui. » la chute sous forme d’accusation, sa voix comme un acouphène dans du coton. Que ce soit Bennett ou n’importe qui d’autre, j’aurais probablement eu le même discours, le même soupir. Je ne suis pas là volontairement. On m’a dit de venir ici parce que j’ai un historique, parce que les médicaments font leur boulot mais que les pensées font souvent ce qu’elles veulent avec ou sans. On m’a encouragée à sortir et à voir de nouveaux visages, on m’a dit que de parler à des inconnus rendrait le tout plus facile à concevoir et à conceptualiser. Je ne veux pas voir de nouveaux visages et je ne veux pas d’inconnus. Ni concevoir, ni conceptualiser. Pourtant je ne veux pas de lui non plus et personne ne s’étonnera que ce soit réciproque. Qu’il attaque et qu’il passe en offensive ne m’étonne pas, pas plus que la distance qu’il met entre nous deux en s’appuyant à l’autre bout de la pièce quand je m’installe dans le fauteuil qui est à son opposé.  « T’es contente, là ? T’as de quoi raconter ? » « Je suis sur un nuage, ça paraît pas? » à ton piquant réponse brouillon, à coup d’œil bouillant prunelles fuyantes. J’ai pas la force de me servir un bol de céréales tant tout s’annihile de lui-même et il est déjà à dégainer sa panoplie d’épées et ses torches en feu comme s’il devait défendre chaque centimètre carré de la pièce qui n’est pas à son nom, ni au mien, mais qu’on s’arrache entre deux silences. Il me reproche ma présence et je rêve de son absence, mais personne ici n’a envie de gagner le moindre espace de plus.  « Merde, oui. On doit parler. Raconte-moi ce qui va pas, comme les autres abrutis autour. » après l’attaque vient la moquerie, après la première salve de rage viennent les miettes nocives. « Les traite pas d’abrutis, ils t’ont rien fait. » il serait prêt à critiquer la déco si ça lui donnait un peu plus de temps d’antenne, lui qui croit que plus on l’entend plus il a les bonnes choses à dire. Ou les mauvaises. Sûrement les mauvaises. Il aime avoir le mauvais rôle, c’est probablement de ça qu’il parlerait s’il n’était pas obstiné à me céder le premier tour. Ça vient toujours que de lui, de toute façon. N’est-ce pas? « Ah, c’est vrai. Rien ne va, n’est-ce pas ? » ça suffit, Bennett. « Je vais leur demander de nous changer de partenaires. » mes yeux l’ignorent quand je me lève de mon siège, pas du tout limitée par la porte fermée pour me sortir de son habitat naturel aussi poison que l’est l’odeur de cigarette à laquelle je l’associe.

Ça vient toujours que de lui, de toute façon. N’est-ce pas Ginny? « Et puis non, tu sais quoi, c’est pas à moi de faire comme si pour une fois. » il fait jamais d’effort Bennett, il appuie là où ça fait mal et ensuite il attend que les autres le captent et gèrent le bordel. Mes doigts se resserrent sur la poignée, mais ma tête a déjà décidé de nier la suite quand je finis par faire volteface rien que pour m’assurer qu’il l’entende bien, la suite. Alors il a décidé qu’il gagnait par défaut. Alors il a décidé qu’il prenait la parole et qu’il s’en servait aussi fort qu’aussi mal. Je fais comme si pour la bonne mesure, je fais comme si parce que jusqu’ici j’ai cru qu’il ne m’en laissait pas le choix. Que c’était un travail d’équipe et qu’on le faisait à deux, le compromis d’effacer des trucs par défaut. « Je te suis pas, et je suis pas contente et j’ai absolument pas envie de te raconter ce qui va pas parce qu’ensuite ça sera ton tour et tu diras juste que tout est ma faute comme d’habitude. » j’ai plus aucune force et pourtant mes phalanges en sont blanches tellement elles forcent contre la poignée de métal. « Je dis rien c’est ma faute, je dis quelque chose c’est ma faute. J’essaie de faire table rase c’est ma faute et j’essaie d’en parler et c’est encore moi la fautive. » la chronologie est bien confortable là, lorsqu’elle divague entre les années à l’Académie et le 19h30 raturé, entre son atelier au milieu de la nuit et l’hôpital en plein après-midi. Y’a du jazz qui joue en trame de fond pour narguer ou alors c’est juste dans ma tête, ça permet d’étouffer l’écho de la sonnerie de mon portable quand j’ai vu le message de Lucia s’y afficher. « Je sais pas ce que tu veux, et je pense que tu ne le sais même pas toi non plus. » j’ai pas la force de me battre tout court alors je l’ai certainement pas de me battre contre lui. « C’est une bonne chose que tu sois ici, mais tu l’es pas pour les bonnes raisons. Moi oui. Gâche pas ça aussi. » pourtant, elle est drôle l’ironie, celle qui m’aurait jadis fait l’encourager d’avoir pu prendre du temps pour lui, d’avoir fait un premier pas pour aller mieux. Aujourd’hui, elle se charge de me rappeler que quand on n’a plus rien on en a encore, et qu’à défaut de me battre pour sortir de l’eau je devrais peut-être juste utiliser sa tactique de piler sur sa tête et de le noyer avant d’attraper la prochaine bulle d’air.
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptySam 10 Avr - 23:58


Plisse les yeux pour mieux y voir, les choses floues, un mirage, certaines très vives au contraire, cette affiche en gros caractères, rouge et noire comme ce qui se passe dans ses entrailles à chaque fois qu’il replonge – comme le sang qui monte dans ses mains glacées au lieu d’alimenter correctement son cerveau, comme l’obscurité profonde qui règne dans la partie de lui-même assignée à la préservation de l’image, de l’apparence, de la tranquillité. (Bennett est quelqu’un de patient, de cartésien, d’infiniment posé.) Conservation du mythe. Cette partie qui fonctionnait si mal ; trop huilée lors de leur dernière rencontre, parfaitement sèche aujourd’hui, grinçante à révulser les organes et les muscles ; sabotée comme on ne pouvait le faire que de l’intérieur. Et qu’est-ce que tu vas encore espérer, quand les matelots sauteront d’eux-mêmes, et que tu sais pourquoi ils sautent ? « T’étais pas là les autres fois, moi oui. » Et alors ? « Les traite pas d’abrutis, ils t’ont rien fait. » Et alors ? « Je vais leur demander de nous changer de partenaires. » Pars, cours, vole ; personne ne te retient ici. Qui reste consent au cataclysme, qui s’en va sauve sa peau. Retourne avec eux ! Les abrutis, ils ne peuvent pas te soigner, nous soigner ; ils te mettront un pansement sur l’âme, c’est ça, pour l’empêcher de s’en aller par tous les trous, pour qu’elle arrêter de suinter de tous les pores ? Un wasserfall inutile, sentiments et tout compris, un demi-litre d’eau jeté à la mer. Bravo, belle action, la charité vous remercie ! C’était bien la peine de s’ouvrir en deux, dites ! Et qu’est-ce qu’il en reste ? Des débris pour les pigeons, qu’elle donnera, parce qu’elle s’appelle Ginny et que quand on s’appelle Ginny on est incapable de ne pas se vider dans le monde pour rien du tout, des idéaux, de l’air en sachets qu’il peut crever d’un mot. « Et puis non, tu sais quoi, c’est pas à moi de faire comme si pour une fois. » (Dommage, dommage, ça aurait pu être drôle ; un autre jour.) (Décalages.) C’est trop tard pour recracher la leçon et faire la grande gueule, Ginny. Bennett est arrogant, irascible, vaniteux, malveillant, insensible, agressif, médisant. Il est ivre, ce qui multiplie ses défauts selon une constante assez aléatoire ; entre l’euphorie et le pire du pire, ne connait pas de fenêtre. Bennett est ce qu’il a toujours été, à pleine puissance, sans voile de calme et de résolutions. Bonnes, les résolutions. Évidemment. Évidemment. « Je te suis pas, et je suis pas contente et j’ai absolument pas envie de te raconter ce qui va pas parce qu’ensuite ça sera ton tour et tu diras juste que tout est ma faute comme d’habitude. » (Hein ?) (Est-ce qu’il a bien entendu ?) Elle voulait jouer comme ça ? Il ne cèderait pas un pouce de terrain. Il connaissait cette histoire dans ces moindres subtilités depuis trop longtemps pour que l’éthanol qui lui brouille les sens suffise à l’empêcher de viser juste. A vrai dire, il vise plus juste ivre – quand il n’a pas peur de tout briser. Tu te souviens, le soir ? J’ai visé juste. Je le sais. A part recycler mes propres cynismes, qu’est-ce que tu peux bien faire ? Et ne crois pas que je vois trouble, dans l’engourdissement de la boisson ; ce sont les formes physiques qui râlent en trépassant ; mais le monde de l’esprit, le monde magnifique de l’abstrait et du pur, du rêve absolu, ouvert à tous les vents, accessible, illimité. Il est intact… « Je dis rien c’est ma faute, je dis quelque chose c’est ma faute. J’essaie de faire table rase c’est ma faute et j’essaie d’en parler et c’est encore moi la fautive. » Parle, parle, parle, Ginny. (J’attendrai mon tour.) Anna a dit d’utiliser la première personne, Anna a dit des verbes d’émotion ; j’ai mal, je me sens, etc, pour permettre de mettre en phase le sujet et l’action, ce qui débouche sur l’éclatement de l’abcès psychologique et le sentiment de libération. Tu es une brave bête, Ginny ; tu appliques tranquillement la recette du bonheur. Et ma leçon à moi ? T’as pas eu le temps de l’assimiler, hein, en treize ans ? Parce qu’elle était trop simple, parce qu’il ne donnerait pas décemment la clé de l’univers si facilement. Je commencerai pour te faire mal ; et puis la suite est trop connue. Trop tard ! On fera mieux la prochaine fois. (Un son continu dans sa tête, alerte d’une tempe à l’autre, ignorée, douloureuse.) « Je sais pas ce que tu veux, et je pense que tu ne le sais même pas toi non plus. » Ah oui ? C’est ça, je dois ne pas savoir ce que je veux… oui… voilà… mais j’en ai rien à faire, strictement, absolument, métaphysiquement. C’est quelque chose que tu peux comprendre, ça ? Sans doute pas ; tu veux changer de partenaire, tu veux aller utiliser du langage je-sentiment pour verbaliser tes tracas et qu’on te donne un bonbon, un billet de loterie, un aller-simple pour la vie digne d’être vécue. Moi ? Moi j’en sais rien ; moi je parle et je ne m’écoute pas – tu ne devrais pas non plus.

Un vaste tas de lieux communs, voilà ce qu’on est, ce qu’on a toujours été. Des clichés. Désespérants. Désespérés. (Rien ne fait de sens dans sa tête ; quelle ironie, que ce soient ces questions-là qu’il ait le plus méditées, qu’il soit en mesure de restituer, par réflexe presque, sans l’interférence du cérébral…) « C’est une bonne chose que tu sois ici, mais tu l’es pas pour les bonnes raisons. Moi oui. Gâche pas ça aussi. » Les yeux de Bennett vont chercher le plafond à le trouer, sa bouche s’entrouvre avec l’insolence merdeuse de l’étudiant atroce qu’il avait été ; outré que c’en était ridicule, abasourdi par autant de bêtise et de déni, égoïste en s’en crever les veines et pourtant sûr de ce qu’il avance devant l’éternel et plus encore – elle ment, elle ment, il n’a pas l’esprit clair mais elle ment. Il connait tout ça par cœur, il en ferait des dessins, mais il ne savait pas dessiner. Il ne savait que vomir. Riposte froidement. « Jamais, jamais de ma putain de vie, j’ai dit que c’était ta faute. » Ose me dire le contraire, regarde-moi dans les yeux et essaye de me prouver que j’ai pas passé toute cette… ce qui avait été, vraisemblablement, à un point donné de l’histoire, de l’amitié, à te convaincre que tu portes le sacrifice de l’humanité sur trente centimètres d’épaules fragiles. Ose ; tu flancheras, tu ne sais pas mentir. Ose ! Quand bien même ? Je sais que tu mens. Chaque vérité que tu me laisses est une chance de moins de s’en sortir indemne, et une raison pour moi de persister dans la plus pure déraison. Sa faute. Qui essaye de se donner le beau rôle, ici, qui, Ginny ? C’est pas la modestie qui m’étouffe, c’est pas la clairvoyance qui t’aveugle. Ça devait clocher à la naissance, quelqu’un voulait pas qu’on marche droit. « T’inventes ça toute seule. Dans ta tête. ‘Comme d’habitude’, qu’elle dit… comme d’habitude… » Le jazz aseptisé, les détours et les contorsions… ils avaient passé vingt minutes à danser sur des épingles. Maintenant qu’ils étaient sur la terre ferme, ils s’effondraient sans cesse. Comme d’habitude. Il les haïssait tous, il les aurait envoyés sur une étoile quelconque à se brûler les pieds, dans un morceau de caillou du vide des espaces, sans atmosphère, voir s’ils respiraient bien, avec leur bonne conscience – ça leur tiendrait compagnie.

Dégage avec tout ce tu as à dire, remballé, pour quand tu comprendras. (On se connait peut-être trop pour être amis ; pas assez pour comprendre qu’il valait mieux se taire désormais.) Tu comprendras qu’on a tous les deux raison sur toute la ligne, en entier ; mais seulement celle de l’autre. (Une des rares analyses de Ginny qui tombait juste.) Il est totalitaire, Bennett. Quand ça se voit, c’est pire. « Ça sert à quoi de payer des psys ? Tu te laisses marcher dessus depuis que je te connais, comme… » (Il ne trouve pas de métaphore.) « …je suis peut-être malade, mais ça aussi c’est une maladie. » Ça, comme Ginny qui vient dans un groupe de parole pour une raison quelconque, et qui essaye quand même de frotter les angles – il est pas complètement stupide, Bennett, il sait encore où il est ; il sait encore qu’elle doit être tombée au moins aussi bas que lui pour se retrouver ici ; et de la voir encore, je vais leur demander de nous changer de partenaires, ça le mettait dans une colère froide qui ne produisait que son propre poison, poison qui l’empoisonnait, lui-aussi, délicieusement, délicieusement. (Il semble calme.) (Ou c’est juste Bennett ivre qui fixe rien, qui essaye de rattraper sa pensée flottante.) (Rattraper, au lieu de créer.) Ou alors c’étaient ses lèvres qui hésitaient encore à lâcher des mots qui étaient son seul et unique diagnostic de la maladie de Ginny, cette maladie de ne pas s’aimer et d’aimer les autres, jusqu’au bout ; les aimer pas dans ce sens-là, les aimer tous, globalement, sans distinction. Il ne venait pas de l’inventer. Il le réfléchissait, depuis longtemps. « Les gens comme toi finissent par se suicider. » (Tu devrais pas dire ça, tu es un connard, la pire enflure qui ait jamais foulé cette terre, une espèce à éradiquer, une souillure et une disgrâce, la lie de la lie du fond de l’abîme.) Mais ce n’est pas une invitation, c’est une thèse. Je le pense, à chaque seconde. Je pense que vous êtes malades. Les gens bien. Je suis fou, mais vous êtes malades. Il n’y a que vous-mêmes pour vous tuer. Des œuvres d’art avec une bombe dedans. « Tout le monde vous retient, mais vous y allez quand même. »
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyMer 14 Avr - 2:08


Y’a aucune raison de parler quand ni lui ni moi n’a envie d’entendre quoi que ce soit. C’est un dialogue de sourds avec beaucoup trop d’intonations, ce sont des voix qui ne crient pas mais les mots font comme tel. Ce sont des accusations qui se confondent et des victimes qui jouent les bourreaux. La cour des grands est nulle, est décevante, est inutile quand elle ressemble à ça. « Jamais, jamais de ma putain de vie, j’ai dit que c’était ta faute. » je prends ce qu’on me donne, et ça je l’ai pris tant de fois que j’en viens à retenir son regard un peu trop avidement. C’est quoi, tu préférais quand c’était juste la tienne de faute, et que tu pouvais t’en blâmer en buvant jusqu’à ce que t’en sois plus capable? « Y’a pas que toi et je parlais pas que de toi et c’est quoi, tu veux une médaille parce que tu l’as jamais dit? » bien sûr qu’il a raison Ginny, bien sûr qu’il ne l’a jamais dit. Bien sûr que tu suffoques, bien sûr que t’as pas envie d’avoir la moindre impulsion d’inspirer. Tu peux pas l’accuser des sensations que tu cumules depuis qu'il n'existait même pas, tu peux pas le tenir responsable de tout parce qu’il a volontairement pris le blâme de beaucoup trop, si souvent. J’ai tellement été habituée à mettre la faute sur mes épaules que j’en viens à croire que le monde entier pense comme tel. Que s’il me forçait à longer les murs, ça en devenait son sous-texte à lui aussi, son seul sous-entendu. J’ai tellement assumé être celle qu’on déteste presqu’autant qu’elle se hait que j’en ai jamais vraiment fini de penser devoir m’excuser – pour rien, pour tout, pour cette vie et pour les prochaines. « T’inventes ça toute seule. Dans ta tête. ‘Comme d’habitude’, qu’elle dit… comme d’habitude… » « Tu comprends rien. » non, Ginny, c’est toi qui comprend pas. Qui confond ses mots avec ceux que tu te répètes sans cesse. Qui réalise pas à quel point tu projettes sur lui tout ce qu’on ne te reproche même pas. C’est pas ta faute si Swann s’est fait ça, mais c’est ta faute si tu repenses à la chambre 320, et à la sensation des draps quand tu t’es réveillée. Ça sentait la lavande, dans ma chambre. « Ça sert à quoi de payer des psys? Tu te laisses marcher dessus depuis que je te connais, comme… je suis peut-être malade, mais ça aussi c’est une maladie. » pantin de chair et d’os qui a fini par faire volte face pour lui tenir tête, treize ans trop tard pour des raisons encore aussi floues que l’est mon regard vissé au sien. « Ça sert à quoi de payer des psys si t’es si doué pour diagnostiquer tout le monde à leur place? » alors je suis malade, bravo capitaine Évidence, t’as bien bossé. Ton diplôme de médecine ascendant psychologie, tu l’as eu contrairement à celui de l’Académie, c’est ça? Ça en a tout l’air. « Tu me connais que pour ça Bennett, fais pas comme si tu en savais plus juste parce que tu t’es attardé dès que t’as compris que tu pouvais me marcher dessus. C’est ça ton diagnostic à toi. ‘Adore s’entourer de personnes faibles et merdiques pour moins se sentir comme tel.’ » c’est pas mieux de jouer à son jeu à lui mais c’est la seule chose qui me reste, quand rien ni personne ne passera changer de partenaire parce qu’ironiquement on suit l’exercice à la lettre. « T’es pas meilleur parce que t’as accepté ton sort. T’es pas meilleur parce que t’es ici à tous nous écouter rien que pour te dire que conscients ou pas on est foutus de toute façon. » sauf qu’on a inversé les rôles, inversé les questions. Il est pas meilleur parce qu’il a appris à mieux mentir avec les années. Ça se sent jusqu’ici, qu’il a bu.

Parlez de vous devient parlez de l’autre, exposez ce qui ne va pas a évolué en décrivez ce qui aurait pu aller mieux. Les et si me donnent la nausée. « Les gens comme toi finissent par se suicider. » ça sentait la lavande, dans ma chambre et j’avais envie d’y mourir. Ça sentait la rose dans celle de Swann et c’est pour ça que je suis ici aujourd’hui. Parce que l’envie reste, parce que ce ne sont pas des kilomètres qui l’éloignent ou des douches bouillantes qui la lavent, l’effacent par la douleur et par les couches de peau calcinée. « Tout le monde vous retient, mais vous y allez quand même. » tout le monde me retient sauf toi, c’est ça? Tout le monde aurait dit de me retenir, mais elle déferle et elle monte, la boule bouillante au creux de mon ventre, celle qui vient avec le bruit sourd de ma paume claquant sa joue. Personne ne nous retient et surtout pas nous. Ça vient avec le besoin de couper toutes les chaînes, ça vient avec l’impression de pouvoir enfin respirer. Ça vient avec le dommage collatéral d’avoir pour une seule et unique fois dans sa vie la véritable liberté, celle de se dire qu’on a choisi que pour nous les conséquences et les actions et leur constance. Qu’il ne nous enlève pas ça. On l’assume tout seul cette décision-là, et ça prend bien quelqu’un d’aussi égoïste que Bennett pour croire que lorsqu’on en fait le choix, c’est parce qu’il s’agit d’un pied de nez aux autres. Les gens comme moi finissent par se suicider à cause des gens comme toi. « Pourquoi, hen? Pourquoi tu penses qu’on y va quand même? » oh qu’il croit avoir la réponse à tout, oh qu’il s’en est totalement convaincu. « Y’a deux semaines on s’ouvrait les veines pour enfin se donner le droit de contrôler quelque chose, et y’a dix ans on gobait toute une tablette de pharmacie en cachets pour arrêter d’avoir mal à en crever mais sans jamais y arriver. » on, comme dans lui, comme dans moi, on comme dans tous ceux qu’il catégorise de malades lui qui sait très bien faire partie du lot. « Les gens comme moi sont pas capables de faire autrement et j’en peux plus, Bennett. » on donne tout parce qu’on sait juste faire ça, on reçoit rien parce qu’on en veut pas, parce que si on prend on enlève à qui que ce soit le méritait mieux que nous. Ça va bien que quand ça va mal, c’est pas ça qu’il disait? Connerie.
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyDim 18 Avr - 22:59


Est-ce qu’ils n’entendent pas, au dehors, que le ciel est en train de tomber sur la salle 23 ? Est-ce qu’il n’y a pas les effluves persistants du regret et de la rancœur qui alertent leur chère sensibilité, par-delà cette foutue porte ? (Anna ! Anna ! Où es-tu, Anna ?) (Les gosses demandent à rentrer.) Eh, oh ! Eh ! Faut venir maintenant, faut jeter une bouée, quelque chose, faut appeler les flics ou l’armée, parachuter des types en combinaison couleur de boue et de feuillages… des négociateurs et des otages pour compléter le tableau… on ferait une belle photo, là, Ginny. On serait magnifiques, on mériterait la pellicule et l’argentique, avec du grain ou de la perspective, des choses où il n’y connaissait rien – il fut un temps, il ne mettait pas assez d’ombre dans ses esquisses. Aujourd’hui, les poumons dans le fusain, la gueule noircie de remords et d’absence de remords, le foie lourd d’une bouteille et de toutes les autres, comme elle avec sa faute, inexistante, et toutes les autres, inexistantes. (Le vice visible, flagrant, écrit sur leurs bras.) Destruction qui contenait sa fin comme son moyen ; guerre de pur anéantissement à l’échelle de deux humains, moitiés d’humain, poussière ou quoi. « Y’a pas que toi et je parlais pas que de toi et c’est quoi, tu veux une médaille parce que tu l’as jamais dit ? » (Bennett est égoïste ; rien n’importe si ce n’est sa petite personne nombrileuse, après moi le déluge, tout tourne autour de lui ; et si lui n’est rien, alors tout tourne autour de rien, et tombe, tombe sans cesse pour fracasse dans le verre pilé.) Il serre les dents ; ça grince, mais ce n’est pas dans sa bouche, c’est sans doute sa vie, ou quelque chose du genre, qui faisait un bruit d’animal à la peine. (Il en faut beaucoup pour pousser Bennett à bout ; c’est quelqu’un de presque trop flegmatique, il laisse passer, ce n’est pas du tout le genre à s’étrangler par désir de contrôle sur les choses.) C’est le goût du sang dans sa bouche ou il a bouffé du métal avant de venir ici ? Mordu d’anesthésie, fébrile, nonchalant, électrique, éteint. Irrationnel. (Quelqu’un de tellement patient, d’inatteignable.) Le courant ne passe plus depuis longtemps. « Tu comprends rien. » Précisément, alors il est peut-être temps de partir, Ginny, pour ne pas m’en laisser le temps. Ah, non, elle était partie, une fois. Balle au centre ? Ouais, quelque chose comme ça. Perdu la balle, perdu le jeu. Perdu l’idée, le fil directeur, la logique. Encore du réchauffé, on connait, on n’en veut plus. (L’alerte dans ses tempes fait un bruit de vertige, ça fait du bruit le vertige ? Et la morale ? Ça fait du bruit, la morale… ? Ça chante ?) Tournez la page. « Ça sert à quoi de payer des psys si t’es doué pour diagnostiquer tout le monde à leur place ? » Oh, il pouvait répondre, là, comme l’enfoiré qu’il était. « ‘Ça sert à quoi de payer des psys si t’es douée pour diagnostiquer tout le monde à leur place ?’ » Qu’il répète sarcastiquement – si je coule, tout coule avec moi ; si son obsession ne valait rien, alors son optimisme subirait le même sort. Si on en tirait quelque chose, ce serait que le quotidien ne valait pas la fatigue d’espérer décrire le monde. Car voilà où mènent les systèmes. « Tu me connais que pour ça Bennett, fais pas comme si tu en savais plus juste parce que tu t’es attardé dès que t’as compris que tu pouvais me marcher dessus. C’est ça ton diagnostic à toi. ‘Adore s’entourer de personnes faibles et merdiques pour moins se sentir comme tel.’ » Manquait la cible à chaque fois ; échouait avec acharnement à le mettre face à une quelconque « vérité vraie » qui pourrait le faire taire. Le diagnostic ? Oh, même ça, Ginny, même ça… (Mais qu’elle est stupide, et qu’elle réfléchit à l’envers, et que, et qu’il a mal au crâne…) Pourtant il est écrit de partout, on ne peut pas le manquer, à relire sa vie à lui… traçant le chemin de sa nocturne dans la poussière de la route… un diagnostic, Ginny ? (Ça te flatterait trop.) A se regarder, à croiser les trajets encore et encore ; Bennett n’avait jamais été rien de plus qu’une mauvaise herbe poussant dans les meilleurs jardins. « Alors là tu m’impressionnes, quelle analyse... » (Peut tellement mieux faire, Virginia.) Adore s’entourer de personnes lumineuses et altruistes pour les drainer de tout ce qu’elles ont, inlassablement, jusqu’à la dernière goutte ou poussière de vie, avant de changer de fleur, butiner ailleurs – l’abeille transmet la vie ; il fait dépérir. Elle dépérit ! Commence à peine à le voir. « T’es pas meilleur parce que t’as accepté ton sort. T’es pas meilleur parce que t’es ici à tous nous écouter rien que pour te dire que conscients ou pas on est foutus de toute façon. » Mais c’est qu’on avance, avec une lenteur tout bonnement abrutissante, mais on avance, Ginny ! D’ici quelques millénaires, on serait peut-être au point que t’aurais dû atteindre vingt ans plus tôt, si seulement on mettait sa vie à lui en exemple dans les manuels scolaires comme prévention de toutes les infections de générosités qui se répandent à un âge juvénile. T’es pas meilleur – de loin ce qu’elle avait pu dire de plus cruel à son égard au présent de l’indicatif, insulte qui n’en était pas, était tout ce qu’elle pouvait produire de mesquin. Tout ? « Serait temps de me dire… pourquoi je suis meilleur, » et de cesser de paraphraser que je suis un connard, et ses mains sur le bord de la table à faire exploser le bois, ses yeux qui s’écrivaient cynisme et s’épelaient j’adore avoir le dernier mot. Quand bien même ce sont les derniers que j’aurai à prononcer.

La gifle retentissante qui resserre ses jointures sur le bureau lui fait violemment tourner la tête. « Pourquoi, hen ? Pourquoi tu penses qu’on y va quand même ? » Il la repousse brutalement du genou, de la jambe, défend son bureau avec hargne. Ça aussi, c’était un jeu qu’il maitrisait. Si elle voulait qu’ils se battent comme des poivrots dans une taverne, qu’il en soit ainsi ; il abominait la fureur physique, la bassesse de lever la main sur autrui ; mais c’était le jour des honneurs, il ne reculerait pas. Qu’elle essaye encore. Il riposterait. Plus fort qu’elle. Sans hésiter. Mais dis-moi, dis-moi, je suis là, je suis ton assemblée et ton jury, le tribunal que tu as passé ta vie à rechercher. Pourtant, ne voulais-tu pas changer de partenaire ? Faut croire que même moi j’ai mon avantage… « Y’a deux semaines on s’ouvrait les veines pour enfin se donner le droit de contrôler quelque chose, et y’a dix ans on gobait toute une tablette de pharmacie en cachets pour arrêter d’avoir mal à en crever mais sans jamais y arriver. » La brûlure de sa joue se confond avec le capharnaüm de sensations qui ballottent son corps entre malaise et inspiration ; est-ce qu’il l’écoute ? Est-ce que ses yeux rivés sur le sol qui était bien la seule chose qui ne bougeât pas cherchaient un point d’ancrage contre son discours à elle, ou contre sa violence à lui ? Où est-il ? (Ses mains sont blanches et jaunes de se crisper au bureau ; les ongles qu’il n’a pas s’agrippent pourtant à la matière.) Connecte, connecte pas. Ecoute ou n’écoute pas. Silencieux, au moins. (Qu’est-ce que ça lui faisait, d’apprendre que le désespoir l’avait poussée aux dernières extrémités ? Qu’est-ce que ça lui faisait d’entendre de sa bouche la confirmation de sa morbide théorie, de l’imaginer s’enfiler les pilules avec des révulsions, de voir sa silhouette spasmique à un cheveu d’en finir pour de bon, le malheur et le bonheur avec, tout à la décharge et la paix pour toujours, le vide, le vide, un regard au plafond ; le plafond ne nous aime pas ; conclusion logique, le monde veut que je meure.) Ça ne lui faisait rien. (Et je meurs ; et je suis avec le monde ; et tout m’aime, rien qu’une seconde.) Et elle meurt. (Elle n’est pas morte.) Et ils sont là. Risible. « Les gens comme moi sont pas capables de faire autrement et j’en peux plus, Bennett. » (C’est le moment de tendre la main, Ben, regarde.) Le mauvais en lui répond donc j’ai raison ; le bon, le bon n’est plus qu’un tas de particules éclatées dans son organisme sans personne pour les rassembler en un début de décision cohérente. Les gens comme moi ne se suicident pas, en effet ; pas avant de s’être cognés contre tous les murs de la vie, et il s’en trouvait toujours de plus durs, de plus froids. (Bennett n’avait jamais pensé au suicide, au sens d’envie active de mettre fin à ses jours.) (Toujours des problèmes de… définitions.) Ce qui était chez elle l’envie de disparaître était chez lui celle de souffrir. Il s’était menti toute sa vie ; il ne buvait pas pour se sentir léger et regretter la chute ; il buvait pour la chute, pour la pesanteur, pour le sentiment d’avoir tout raté, qui lui donnait l’impression d’être en phase avec ses gènes défectueux, bourrés de failles. Bennett n’avait jamais envisagé le suicide. Ça ne donnait pas à Ginny le monopole de l’inadéquation avec l’existence. Qu’est-ce que c’était que la tablette, sinon une bouteille qu’on ne répétait pas, suivie d’un long, long sommeil ? Lui aussi était mort une bonne vingtaine de fois. Il n’en faisait pas des romans. Voir des psys… « Et on se dira quoi ? Que maintenant tout le monde est débarrassé ? Que on emmerdera plus personne ? » La lavande ou la rose ; la rime ou la prose ; le monde de Bennett n’était pas fait d’odeurs. Tout ce qu’il avait, c’était une source sourde de mort et de sadisme logée dans sa poitrine – force régulatrice ; lorsqu’il respirait trop bien, les émanations nocives le ramenaient dans le cercle vicieux. Comme de droit. Au bercail. « C’est trop facile, » sa voix faiblit, s’étrangle en un souffle avant de remonter brusquement. « T’aurais aimé que ça réussisse ? Ça vaut pas mieux d’être ici pour me gifler que d’être plus là du tout ? » La gifle, mais les nerfs de Bennett sont aux abonnés absents, la douleur est passé de sa joue à son dos, peut-être son bras désormais, vagabonde pour se tirer d’ici. Nous tous. Hein ? Et sa bouche aussi, elle essaye de se tirer, elle veut pas partir, elle s’enfouit, elle casse, elle tremble. Bennett ne s’entend pas. « Il te dit pas tous les jours qu’il pourrait pas vivre sans toi, Auden ? Sloan, c’est du vent ? Non, c’est pas… » Ce que je veux dire. Me voilà démagogue, me voilà médecin, tiens, prévention et politiquement correct ! Oublie. Oublie, j’ai dit, merde ! J’ai mon excuse, j’ai ça dans le sang qui m’empêche de parler… me permets de parler… qu’importe… « Toi, toi. Voilà. Vivre pour toi. » Avec l’égoïsme le plus dégueulasse et le plus vital. Ça te viendrait jamais à l’esprit, c’est si contre-intuitif. « Tu me diras, mourir pour toi, c’est déjà un premier pas… » Peut-être qu’on devra toujours se contenter du premier pas, qu’on mènera jamais aucune barque à bon port. Peut-être qu’elle avait raison. Peut-être qu’il luttait en vain, contre la solution terriblement logique et attrayante qu’avait voulu s’offrir Ginny ; luttait, pas pour les autres, qui l’incluaient lui, et lui n’était apparemment plus dans son camp, à l’écouter elle. Oh, ce n’est pas politiquement correct à dire, ça – il ne lui en voulait pas d’avoir voulu se tuer, il en voulait à l’alternative de n’avoir pas existé. Je sais.  


Dernière édition par Bennett Giller le Sam 15 Mai - 0:46, édité 1 fois
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyVen 23 Avr - 13:17


Deux perroquets, deux miroirs, deux flocons de neige parfaitement symétriques, deux opposés, deux extrêmes, deux pareils, je voudrais jamais être comme lui. Pourtant c’est tout comme quand je roule des yeux et soupire, quand la pièce se referme et mes doigts sur la poignée aussi. Il en a rien à faire de son diagnostic maintenant qu’il est confortablement installé dans le mien, qu’il y prend ses aises, se sert un thé, un café, un whisky, la bouteille. Non pas de whisky il est au vin d’abord Bennett, au rhum après, et à la vodka quand rien ne va. Si je buvais, je serais pire que lui. Que je gagne ou que je perde, ça fait la même chose. « Serait temps de me dire…. Pourquoi je suis meilleur, » « Pour rien et pour tout. Choisis ton poison, t’es le meilleur pour ça habituellement. » qu’il choisisse, il est libre de le faire. Qu’il oscille entre ce qu’il veut entendre et ce qu’il abjecte, qu’il torde mes mots dans le sens qui lui plaît ou dans celui qu’il méprise, maintenant c’est cadeau. Peu importe ce que je peux lui dire le revers joue au boomerang violent lorsqu’il me revient. La gifle est beaucoup plus amère pour moi que pour lui. Ma main élance, mon cœur avec, mes tempes brûlent et je le déteste quand il ne dit rien autant que je me hais de prendre la place de ses silences pour enfin m’entendre parler. Oh et son genou. Qu’il me pousse, qu’il me lacère les côtes, qu’il essaie de me faire mal juste pour voir, juste pour voir s’il est meilleur à ça que moi. Il a l’expérience, il a le pedigree, il a le dossier complété avec mention d’honneur à la clé. Il sait blesser que la surface par contre, y’a juste moi qui peut aller aussi creux.  

« Et on se dira quoi ? Que maintenant tout le monde est débarrassé ? Que on emmerdera plus personne ? »
« C’est ce que tu te dis, toi ? »

À bout de souffle sans même respirer, et il a dit on. C’est qu’il veut du crédit, c’est qu’il a besoin d’une réponse facile pour justifier sa présence ici ? Non. Tout va bien voyons Bennett, c’est un cadeau qu’un ange comme toi soit descendu nous donner l’absolution, maître et monde. Que tu nous fasses don de ta présence, de ton oreille attentive, de tes grands pronostics et de ta bonté à nous ouvrir les yeux à tous, pauvre petit peuple d’éclopés tous autant qu’on est. Ça colle pas. Il est pas du même monde, il veut juste que je lui donne les réponses comme à l’Académie, d’une nature morte à une autre. Pourquoi tu l’attaques autant Ginny ? Pourquoi tu serres les dents ? Y’a juste moi qui peut aller aussi creux. C’est faux, il peut et ils le peuvent tous. Tu les laisses faire. Peut, veut, la ligne est mince. « C’est trop facile. » parce que le reste l’est pas. Parce que me lever chaque matin prend toute mon énergie, parce que ravaler de la simple salive est quasiment impossible. Parce que toutes mes forces passent sur lui quand elles devraient simplement me mener dans mon lit durant des semaines entières à récupérer en espérant que de ne rien faire me motivera à faire quelque chose. Tout est relatif ; et c’est sur son échelle de gradation à lui que j’aurais maintenant envie de frapper. Facile ? « Ah mais oui, c’est vrai, y’a pas plus simple. » quel idiot, quel imbécile, quel ingrat, quel – il a dit ‘on’. Il est là pour les mêmes raisons que moi, pas la même façon, pas la même manière, pas le même sens, mais il en a besoin lui aussi et il – et il aura pas d’absolution, pas aujourd’hui. Pas quand j’ai plus rien à donner à personne. « On le fait pas pour le degré de facilité. On le fait parce que y’a que ça comme choix. » et surtout pas à moi. « T’aurais aimé que ça réussisse ? Ça vaut pas mieux d’être ici pour me gifler que d’être plus là du tout ? » mon rire est sec, sans vie, néant qui se perd dans ses questions qui se mêlent aux miennes rien que pour l’effet de comparaison. « Il te dit pas tous les jours qu’il pourrait pas vivre sans toi, Auden ? Sloan, c’est du vent ? Non, c’est pas… » et Emily, elle est fière de comment t’agis en ce moment? Jonah dirait quoi de son père qui suit l’exercice à la lettre et les enseignements avec ? « C’était à Londres, c’était pas ici, et les mêle pas à ça, jamais. » ils sont tous là à croire que ce sont eux qui me tuent, quand au final c’est pour eux que  je ; non, non va pas là Ginny, surtout pas. Pourquoi pas ? « Ça a rien à voir avec les autres. Les autres, c’est pas leur faute, c’est juste… » « Toi, toi. Voilà. Vivre pour toi. » parle en même temps, dit les mêmes choses, fais comme si l’évidence venait de tes lèvres à toi, regarde ailleurs, assume pas, assume trop, recommence. « Tu me diras, mourir pour toi, c’est déjà un premier pas… » arrête, arrête, ferme-la. C’est à lui que je parle, ou à moi ? Tu parles même pas.

« T’as la solution peut-être? C’est facile non, faut juste suivre un procédé organisé et rigoureux, des étapes et des premiers pas bien alignés pour finir par être réparé. » réparé, ahaha, le mot me fait rire. Je l’imagine avec ses outils et avec ses clous, son marteau, ses tournevis. Avec son plan en quatre pages dans un suédois approximatif sur lequel il mettra le résultat horrible d’une étagère devenue chaise devenue table d’appoint devenue robot sans batteries par la force des choses. C’est un concours, c’est ça ? Entre lui et moi, entre celui qui trouvera la manière de désamorcer la bombe le premier, ou celui qui fera exploser son centre en sachant très bien que bleu ne va pas avec vert mais en voulant juste tester, pour être sûrs. Sûrs de quoi ? Sûr que ce soit facile. « C’est moi la plus égoïste de nous deux, hen ? Réponds pas, la réponse est dans la question. » tu divagues Ginny, il t’écoute même plus, il n’est même pas là, et toi t’es où de toute façon ? Tu devrais être chez toi. Mon lit, des semaines. C’est ça la prescription du psychologue. Et des groupes de parole et des visages connus, et des cachets, pas ceux qui sont associés à la lavande, non, ceux qui font du bien en attendant. En attendant quoi ? Pourquoi t’es encore là, hen ? Pourquoi t’es pas parti ? Pourquoi est-ce que mes yeux lui crachent des questions auxquelles jamais je ne voudrais répondre, pourquoi est-ce que je lui donne toutes les armes en espérant qu’il fasse office de médicament ? Il veut être le premier à dire ’Je te l’avais dit’. Il veut gagner le concours de celui qui s’autodétruit mieux que l’autre. Il veut le dernier mot, il veut la dernière seconde. Il veut assister à la chute parce que c’est juste ça qui l’intéresse – et j’en ai rien à faire, de ce qu’il veut. C’est ça la réponse Ginny. C’est ça ce que tu cherches depuis tout à l’heure, c’est ça qui te brûle la langue, c’est ça qui te tourmente les tempes. C’est parce que t’arrêtes pas de croire que si tu trouves ses raisons à lui et seulement les siennes, ça te laissera plus aucune place pour les tiennes. Que si tu mets les bouchées doubles, que tu travailles fort dans les coins, que tu grattes et insistes encore, il cèdera. Que t’auras une consécration sur un plateau, une raison de le sauver lui, de sauver le monde entier à travers. Que ça justifiera que t’aies aucune énergie pour toi et tout ce que t’accumules, si tu la donnes à qui de droit.

Je sais même plus à quel moment mes jambes ont lâché, je sais juste qu’elles le font, quand ma silhouette retourne au point de départ. Le fauteuil de cuir crisse sous mon poids de miettes d’éclats ironiquement plus lourds à chaque expiration. Le problème n’est pas le manuel de fabrication ni les ouvriers. C’est pas les conditions de livraison ni l’état dans lequel le colis arrive à bon port. Ce n’est pas parce qu’on a choisi la mauvaise couleur, parce qu’on hésite sur les dimensions, ce n’est pas parce qu’on regrette le format plus petit mais que le plus grand habillait mieux la pièce. Ce n’est pas parce que je n’ai pas le choix, ce n’est pas parce que c’est un défaut de fabrication fait de fissures et de brèches qui casse tout ce que je touche après.

« Je – c’est moi qui me fait ça. » c’est ça, la réponse Ginny.
« C’est juste moi. » que tu gagnes ou que tu perdes, ça fait la même chose.
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyDim 2 Mai - 23:06


Quelques minutes qu’il s’accroche et persévère à la puissance dérisoire des phalanges. (On se sent descendre les marches, mais on ne sait pas où est la dernière.) Les divers signaux sont délibérément ignorés ; il est un acteur pris dans son jeu, qui oublie la faim et la soif sur scène, emporté par sa diatribe, persuadé d’obtenir dans l’ovation générale la survie de son corps ; et son corps, à Bennett, a beau lui faire savoir qu’il ne tient pas ce rythme ; que l’énergie afflue trop aux zones du langage, pas assez au foie ; suivant le texte à la lettre, il n’a pas assez de l’absence de metteur en scène pour s’arrêter de jouer avant que des forces extérieures ne s’en chargent. (Le spectacle doit continuer jusqu’au décès des prestataires, c’est écrit, dans le serment d’Hippocrate. Je pense… ?) Il lui parle, à Ginny, mais ce n’est pas normal qu’il parle comme ça ; que tout aille presque bien quoique tout était atroce, bien comme dans Bennett parle et ne s’effondre pas. (Et pourquoi on se bat, déjà ? Il savait qu’il avait voulu cette victoire, mais il ne savait plus l’enjeu… ? Si, il y avait toute cette histoire bien connue, de Ginny et de la vieille chanson, qui lui semblait avoir un rapport…) Avec une rapidité effroyable, les capacités de Bennett, maintenues par un ciment de tolérance à l’ébriété, commencent à s’effriter. (Il avait pris une gorgée encore deux minutes avant de rentrer dans la grande salle.) Commencent ou terminent. (Une ?) « Pour rien et pour tout. Choisis ton poison, t’es le meilleur pour ça habituellement. » Bennett intoxiqué commence à avoir du mal à garder les phrases complètes dans son esprit, à ne pas oublier le début de ce qu’elle dit à mesure qu’elle avance vers la fin ; à beaucoup d’égards, il était en train de crier sans l’entendre, ce qui n’avait pas besoin de réponse, se suffisant amplement à lui-même ; Bennett intoxiqué commence tout doucement à descendre de la pente qui l’aurait rendu capable de frapper Ginny, une fois, deux fois, plus peut-être, si elle l’avait encore approché ; Bennett intoxiqué n’a plus les moyens de l’offensive à mesure que le poison choisi avec soin achève de le clouer par terre. Le corps et l’âme, une seule bouillie, mais seul le corps faisait office d’ancre aussi brusquement lourde à porter. « Meilleur, » répète-t-il sourdement dans une tentative de rattraper ses standards d’élocution – fuient et le lâchent, ne veulent plus le soutenir ; la flamboyance de ces dernières minutes est sur le déclin. (Tu déclines, Bennett. C’est toi qui déclines.) (Je ne veux pas.) (Je ne veux pas…) Il y a quelque chose dans les yeux qui achève de rompre, le lien qui retenait les autres. Il a envie de rire, mais est-ce que le chemin du centre aux muscles de son visage est encore fonctionnel… « C’est ce que tu te dis, toi ? » « Hein ? » Parlent en même temps, font des pieds et des mains pour ne pas s’entendre – les mains de Bennett soulagent leur pression du bureau, vont s’accrocher dans sa nuque en un geste absurde de protection, contre qui ? De lassitude, de toi-même ? Il peut bien griffer sa peau ; railleusement indolore. Ses nerfs ne passent pas le message. (Pourquoi c’était en train de changer, de tanguer encore, pourquoi il descendait du plateau maintenant ?) S’il pouvait le sentir, Bennett saurait qu’il était en train de refroidir. « Ah mais oui, c’est vrai, y’a pas plus simple. » (Plus simple que de ne pas exister ? Quoi, elle voulait qu’il répète ? Pas plus simple non. Gérer les choses serait toujours plus complexe que de ne pas les gérer. Quant à l’autodestruction, Bennett s’était bien trop convaincu qu’il s’agissait d’un comportement normal pour lui réserver un traitement de faveur, dût-elle réussir son coup.) (Regarde-moi ; vois comme c’est simple.) (Vois comment ils t’ont vue, Ginny.) « Je suis pas… » De toute façon, glissant lentement à l’hypothermie, Bennett n’avait plus les ressources nécessaires pour continuer de conduire sa politique d’hostilité à travers champs et marais. Plus diplomate, plus passif… tout à fait diplomate et tout à fait passif, à vrai dire ; jugez l’air d’incompréhension qui remplace l’envie d’en découdre sur ses traits tirés. « On le fait pas pour le degré de facilité. On le fait parce que y’a que ça comme choix. » Il ne la coupe pas, il ne l’entrave pas, il ne hurle pas, il ne dit rien. Elle réagit à ses paroles à lui ? Grand bien lui fasse. Bennett a besoin de l’intégralité de ses capacités cognitives pour connecter son cerveau et sa main, pousser une pile de classeurs sur la gauche – elle s’effondre dans un fracas sourd, mais accomplit l’objectif principal ; débarrasser la table. Et Bennett, dont les bras tremblent de s’appuyer sur la surface plane, soulage ses jambes en s’asseyant sur les feuilles à l’abandon. Un soupir, de satisfaction ou de fatigue, s’exhale de lui avec irrégularité.

Le contrôle de sa respiration prend le pas sur celui de son attention – il y a encore une banque de données fonctionnelle en lui, qui dicte des instructions en langage binaire et compréhensible, pas comme ce qu’elle décrachait, l’autre… avec ses phrases… Bennett est occupé, occupé à suivre le mode d’emploi qui devait l’empêcher de suivre sa nausée jusqu’au bout. (Un, deux, trois.) (Un, deux, trois.) S’est drainé sans plus pouvoir mettre la main sur le pourquoi. « C’était à Londres, c’était pas ici, et les mêle pas à ça, jamais. » (Oh, et pourquoi ? Qui m’en empêche ? Jamais, je connais pas… Londres, raconte-moi, dis, raconte-moi…) Qu’il dirait, qu’il aurait fusillé tout à l’heure. (Mêler qui, à [/i]quoi [/i]? Et pourquoi Londres ?) Ce qui le traverse maintenant. « Ça a rien à voir avec les autres. Les autres, c’est pas leur faute, c’est juste… » Les autres, les autres, les autres, les autres. (Echo ?) Echo, écho, écho. « Ginny… ? » La bredouille est désarticulée, à peine audible, mâchée de toutes parts. La voix de Bennett s’étouffe en elle-même. Une image persistante l’obsède, collée sur la porte, celle d’Anna, mais Anna dont le badge marquait Sonia, et Anna qui faisait, en boucle, des gestes de régulation automobile en centre-ville. Sa bagnole cale, le pare-chocs se rouille dans la mélasse. La porte n’a pas de couleur, il n’avait jamais remarqué avant. Les choses sont sans couleur ? (Oui, Bennett.) « T’as la solution peut-être ? C’est facile non, faut juste suivre un procédé organisé et rigoureux, des étapes et des premiers pas bien alignés pour finir par être réparé. » A…so…u…êt… ? Non, il ne savait… il ne savait vraiment pas, il voudrait, il avait essayé… il ne savait pas pourquoi ça fonctionnait tout à l’heure, toute l’aire cérébrale concernée, pourquoi ça ne fonctionnait plus… pourquoi il ne fonctionnait plus… Bennett avait l’impression d’ouvrir la bouche au fond de la mer, pour se faire entendre d’une instance lointaine, dont il ne comprenait absolument pas les intentions. Réparé ? Oui, le pare-chocs. (Il fallait rouler aux normes…) (Attends.) (Je crois que je comprends cette sensation.) « C’est moi la plus égoïste de nous deux, hen ? Réponds pas, la réponse est dans la question. » L’arrière-boutique de son esprit, traduisant à la volée ces informations qui allaient trop vite, lui confirme que réponds pas est une bonne chose ; il est soulagé, toute cette pression dans son crâne diminue d’un pourcent ou deux, et c’est tout ce qu’il demande. « Je – c’est moi qui me fait ça. » Oh, enfin, ses yeux finissent par se fixer sur un point correspondant bon gré mal gré à la localisation approximative de la voix ; mais la bouche qui s’ouvre et se referme de manière remarquablement agile n’émet aucun son qui lui parvienne – il est en train de comprendre, il y est presque, il va le faire. « C’est juste moi. » (C’est totalement, absolument, magistralement irréel ; impossible.) (Donc c’est autre chose.) La vision de Ginny lui parait brusquement lointaine, nuageuse ; ferme les yeux quelques instants, les rouvre ; Anna ; Ginny ; Anna qui s’appelait Sonia, Ginny qui s’appelait Virginia, enfin peut-être plus maintenant ; toutes ces sculptures imitant l’aspect d’un bureau autour de lui, et cette sensation.
Et la solution lui parait brillante, foudroyante, évidente comme le bon dieu et ses anges ; il connaissait cette sensation, cette fatigue, cette respiration trouble, le flottement de ses pupilles inajustées à la lumière ambiante ; ses symptômes formaient dictionnaire ; et maintenant Ginny qui divague ? Mais il sait pourquoi elle est vague ; ça allait avec le reste, avec ses bronches obstruées, avec son envie de vomir et tout le froid sous sa peau qu’il ne contrôle pas ; ça arrivait presque à chaque fois maintenant, et le monde dans sa laide brutalité s’éclaire ; il était tout simplement en train d’halluciner. « Elle est pas là. » Elle est partie lorsqu’elle avait la main sur la porte ; tout faisait sens. La chronologie est rétablie. « Je parle tout seul, » souffle-t-il à personne en s’étendant de long sur le bureau, les prunelles sur le plafond sans le voir, à travers, bien plus loin. (C’est joli, Londres, pourtant… il n’est jamais allé… mais les cartes postales… oh, Anna était peut-être encore sur la porte ?) Il n’a de toute façon pas la force de se relever. (Anna, tu peux fermer à clé ?) J’ai besoin d’un peu de temps… pour enlever cette image… pourquoi il y avait Ginny qui se suicidait dans le coin de sa tête ? « Je lui dirai… autrement… » Sa respiration courte et froide se perd en vain. Dire quoi, à qui ? De pas se tuer, sans doute. Il peinait à comprendre le sens de ce rêve, mais sa réaction dedans lui paraissait… étrangement violente. Heureusement qu’elle n’était pas là. Il ne devrait pas réagir comme ça, elle avait pas l’air bien, Ginny-songe. Maintenant, il s’agissait juste de se concentrer sur sa respiration, d’éviter de s’endormir, et de partir quand ses jambes ne cèderaient plus. Froid.
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Message(#) Sujet: Re: who by fire, who by water (ginnett #9) who by fire, who by water (ginnett #9) EmptyMar 4 Mai - 22:56


C’est moi, moi, je, me, moi. Tellement simple, tellement évident, tellement égoïste, tellement tellement. C’est moi qui laisse les gens passer sous les barricades, c’est moi qui les érige en papier de soie, les murs de garde. C’est moi qui constate chacune des personnes autour pour son potentiel à occuper le meilleur de ce que j’ai le temps qu’il ne me reste que le pire avec lequel composer – quoi? Une mélodie en fausses notes à la générale, et en parfaite rythmique à la première devant public. C’est épuisant, de parcourir tout l’avion pour mettre des masques à oxygène à l’ensemble des passagers quand le mien crache tout ce que je me reproche constamment. Trop fragile, trop maladroite. Trop hésitante, trop ailleurs. Trop ceci, trop cela. Trop bavarde, trop silencieuse, trop tachée, trop cernée. Hm? Le fauteuil devient le seul lien avec la salle parce qu’il ne bouge pas, lui. Tout le reste tangue. Les murs sont arqués, j’avais même pas vu la fenêtre. Elle donne sur un dehors fait de béton et de stationnement qui déborde, les voitures sortent de l’allée, le groupe du jour est terminé? J’ai pas d’horloge, y’a pas d’aiguilles, j’ai pas de montre, le temps est en suspens ou en accéléré, sûrement. Parce qu’il vient avec son lot de secondes où y’a un eurêka qui s’éparpille comme des papillons de nuit en plein jour sur ma peau. Le compte à rebours file entre le jardin d’enfants et mes carnets à dessins confisqués parce que volontairement trop longtemps entre mes doigts devant les mauvaises personnes, celles qui le noieraient dans les toilettes pour que je n’ai pas à dire à mes parents que je voulais être une peintre quand je serais grande. Il remonte au lycée et aux lunchs que je mangeais cachée au fond d’une classe vide de l’étage par prétexte d’avoir peur de la cafétéria aux élèves éparpillés, persuadée que personne ne voulait de moi à leur table mais finalement tellement vidée que j’avais besoin de moments de solitude. Le décompte s’égare à Londres, après, à l’alliance que Bailey a mise autour de mon doigt pour laquelle la faute revenait à nos famille mais qui finalement me rassurait lâchement que jamais, jamais je n’aurais à décider de quoi que ce soit d’autre qui me donnerait la latitude d’être déçue. Le temps file jusqu’à Noah à l’hôpital, à tout ce que j’avais bien pu être qui s’était mis en berne, occupée à me saboter bien plus qu’il ne l’était lui-même pour toujours me dire qu’il était mieux que moi, qu’il survivait mieux que ça.

La porte se tord, mes doigts pianotent, le plancher se confond au plafond, Bennett renvoie des papiers au sol, oh il est là, encore? Rien à faire.

« Ginny… ? »
« Elle est pas là. »
« Je parle tout seul, »
« Je lui dirai… autrement… »

J’entends pas, conditionnée à ce que ce soit des railleries, de l’acide, du venin. Il en a tellement lâché souvent, il sait faire que ça ; qu’il continue, qu’il s’enflamme, qu’il jette des papiers par terre, des crayons avec. Qu’il fasse tout le boucan du monde et dont il est capable, qu’il essaie d’attirer mon attention pour la pourrir la seconde d’après rien, à, faire. Son temps d’antenne est passé, sa fréquence est oubliée, il est disparu, il n’est que le néant – il ressent tout. Je le reconnais, cet air-là. Je le connais par cœur, celui qui assombrit la plastique de Bennett, celui qui se cache sous les draps, celui qui se noie sous la douche. Celui qui vient entre deux cauchemars sans savoir s’ils sont vrais ou si on est devenus devins. Qu’il souffre, c’est son tour. Chacun à sa position, chacun son meuble. Le fauteuil me garde de me lever, même si ce sont mes ongles qui finiront par avoir sa peau. Un cabinet de curiosités en direct, une étude anatomique de la panique. Une salle d’observation sans vitre, on se sent comme un visiteur dans un musée. Ah, ahah, ahahaha. Je rigole pas. Mon visage est beaucoup trop occupé à être tourné vers le sien, mes prunelles ne lâchent pas son profil quand j’en fais l’apothéose de l’immobilité. Il ne voudrait pas que je me lève. Il ne voudrait pas que j’ouvre la fenêtre. Il ne voudrait pas que j’embrasse son front en lui disant que tout ira mieux s’il le veut. Il ne voudrait pas que je prenne sa main, que je la serre un peu plus fort qu’il ne serre les rebords du bureau. Et le plus beau, le plus tragique, le plus soulageant, le plus étonnant, le plus cruel, le plus fascinant ; c’est que je ne reste pas impassible à cause de ce qu’il veut, mais à cause de ce que moi, je veux. Étrange, étrange corrélation.

On toque, à la porte. On veut entrer, je fais signe que non, refus total, décision exécutive. Quand je finis enfin par me lever pour hisser une main blanche sous le regard de Sonia de l’autre côté de la vitre – décidément – mes lèvres murmurent en silence qu’encore cinq minutes et on revient. On ne reviendra pas. On revient pas, de là. Elle part rassurée, c’est bien la seule. À mon cardigan que je retire pour glisser la laine sous la tête amorphe de Bennett se joint mes prunelles qui se déportent de lui, filent vers la fenêtre qui n’existait pas avant mais qui joue les métaphores à être revenue tout bonnement. Il ne voulait pas que j’ouvre la fenêtre alors je l’ouvre pour moi, me glisse sur son rebord, laisse la brise entrer. Y’en plus pour moi que pour lui, mais y’en a quand même un peu, du vent, de l’Australie qui souffle. Il dormira, il est doué pour ça. Le meilleur mais pas dans ce sens-là. Et moi, et moi j’attendrai. Cinq minutes, c’est rien cinq minutes. Et on reviendra.
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