“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.”
–  @Regan Kelly    

Il y a des journées comme celle-ci qui s’annoncent sans accro.
La sonnerie du réveil n’est ni trop forte, ni trop faible. Pas envie de balancer le téléphone à travers sa chambre. Elle n’a pas perdu sa chaussette gauche ; oui, elle dort avec des chaussettes en pilou, elle a le droit, elle est célibataire. Baloo ne lui hurle pas dessus ou manque de la faire tomber pour lui réclamer son petit déjeuner. Il lui faut moins de dix secondes pour trouver la température idéale pour sa douche : elle bataille d’habitude de longues minutes. Hiiiii trop froid. Houuuuu trop chaud. Non, aujourd’hui, elle a rapidement trouvé la température idéale. Parfait. Niamh a même le temps de prendre un café avant de prendre la route : il y a vraiment des jours qui s’annoncent sans accro. Elle sourit à son reflet tout en gonflant la poitrine. Pas de doute, aujourd’hui va être une journée parfaite. Elle ferme la porte de son appartement et l’ascenseur est arrêté à son étage : encore un gain de temps ! Mais dis donc, cela ne va pas s’arrêter ou quoi ? L’enthousiasme se fait de plus en plus grand, car elle est persuadée que les bonnes nouvelles ne font que commencer. Il est même pas midi qu’elle a déjà le sentiment de flotter sur un petit nuage.

Elle ne loupe pas son bus qui la déposera en centre ville où elle continuera son chemin à pied. Aujourd’hui, elle ne bosse pas et compte bien profiter de cette journée pour prendre du temps pour elle. Depuis la rémission officielle de son cancer, elle se place dans le top 3 des priorités et cela lui fait un bien fou. Il aura fallu attendre la trentaine pour se placer dans le top trois ; pathétique mais il y en a qui n’y arrive jamais. Un coup d’oeil à son téléphone, elle en profite pour envoyer un message à Joy et lui dire qu’elle aime. Comme ça. Sans aucune raison. Ou si, la seule raison, c’est qu’elle l’aime. Pas besoin de plus. Plaçant son téléphone dans son sac à main, elle jette un coup d’oeil à droite et à gauche. La voiture est suffisamment loin - elle se trombe, évidemment - pour franchir la route sur le passage piéton. La conductrice, le conducteur a dû la voir. Non ? Non ? Elle commence à douter quand elle entend toujours la voiture rouler et qu’elle se fige avant de se faire percuter par cette dernière. Les paupières closes, son réflexe a été de fermer les yeux et de lever les mains. Comme lors d’un braquage. Bien joué, Niamh.

Étalée sur le sol dans la position la plus élégante du monde, elle marmonne un juron quand les regards se tournent vers elle. Qui a dit que la journée s’annonce sans accro ? Le voilà le putain d’accro qui vous casse l’ambiance. Elle se redresse doucement tout en rassemblant les quelques affaires qui se sont échappées de son sac à main. Apparemment, elle est en vie. Elle peut bouger les mains, les jambes. Elle peut respirer. Elle se fait percuter par une voiture et s’en sort indemne : peut-être que la journée reprend une bonne direction ?
Prenant appui sur une main, elle saisit néanmoins celle qu’on lui tend pour se relever et se tapoter les fesses comme pour enlever l’imaginaire saleté. « Je suis sincèrement désolée. Ça va ? Rien de cassé ? » Elle lui tient toujours la main quand elle prononce ces mots. La bouche bée, les sourcils froncés, le choc. Elle ne lui lâche pas la main mais penche la tête sur le côté, silencieuse. Elle essaie de placer ce qui est en train de se produire dans le bon ordre. Mais tout ce qui parvient à s’échapper de ses lèvres est : « Bordel de merde ! » Un rire nerveux car elle la reconnaît. Elle lui lâche finalement la main avant de secouer négativement d’un signe de tête. « Non non non — je crois pas. Je crois que ça va. »

“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.”
–  @Regan Kelly    

« Cool ! T’es pas un fragile de mec qui pleurniche au moindre bobo. Il t’en faut plus te blesser. T’es solide ! » dit-elle en gloussant, tout en lui décochant un petit coup de poing dans le bras … qui fait automatiquement apparaître une grimace sur son visage. Une grimace de douleur ? Oui, elle est peut-être solide ; y n’empêche qu’elle ressent toujours la douleur. « Je pleurniche peut-être pas … je ressens quand même la douleur, tu sais … » qu’elle dit d’une voix rieuse, tout en se massant l’épaule, les sourcils froncés. Évidemment, elle est fan de la blonde mais ce n’est pas une raison pour réagir comme une bêta, un peu dans les nuages. Quoique … trop tard ?

Le regard de Niamh est toujours rivé sur la blonde qui lui fait face et qui, pour l’heure, n’est pas vraiment comme dans son imagination. Comment s’imaginait-elle la jeune femme en privé ? Après tout, elle ne la connaissait qu’à travers les interviews, les concerts et ses chansons. Comment pouvait-elle savoir qui elle était réellement ? Alors qu’elle la regarde, ses pensées se bousculent dans son esprit comme une foule pogotant dans la fosse d’un concert métal. Brutal ! « Tu veux aller aux urgences passer une radio au cas où ? Je peux appeler les pompiers si tu veux. Ou je t’emmène si tu préfères. Promis, je serai prudente. Je dépasserai pas les 70 km/h. » L’énergie et l’enthousiasme de celle qui vient de la renverser la submerge. Elle perd doucement pied et pose une main sur son front avant de se masser doucement la tempe. Qu’est-ce-qu’elle doit faire ? Se rendre aux urgences ? Est-ce-qu’elle est blessée ? Appeler les pompiers reviendrait à une facture plutôt élevée donc elle se passerait volontiers : son road trip avec Max allait déjà lui coûter un bras. « Je crois que je f’rais peut-être mieux de voir un médecin ouais … » Elle fronce les sourcils tout en continuant son petit massage de la tempe. Est-ce-que la terre se met à tourner un peu plus vite que prévu ? Ou est-elle la seule à avoir cette sensation ? La nausée. Oh … pourvu qu’elle ne s’est rien fait de grave. Peu-être un minuscule traumatisme crânien qui lui vaudra quelques jours de repos. « Soit c’est moi qui marche pas droit, soit c’est le monde qui va de travers. », qu’elle dit tout en ricanant, bien que l’on puisse entendre un peu de panique au fond de sa voix.

« Ca te dérangerait vraiment pas de m’emmener aux urgences … en évitant d’augmenter le nombre de tes victimes et en roulant … moins vite. » dit-elle tout en esquissant un sourire timide, plantant ses prunelles dans celles de la jeune femme qui lui fait face. « J’accepte volontiers ta proposition. » qu'elle ajoute tout en hochant d'un signe de tête. Elle essaie de jouer la carte de la sécurité.

“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.”
–  @Regan Kelly    

« Ca me parait être une bonne idée aussi. » Niamh acquiesce lentement d’un signe de tête, comme si cela la rassure un peu de savoir que la responsable partage son avis. Après tout, mieux vaut pour elle s’assurer que les dégâts sont minimes. « Si je te le propose, c’est que ça me dérange pas. » Oé, bon ça reste à voix se dit Niamh. Possible qu’elle ne souhaite pas avoir de la mauvaise presse, se trouver avec des problèmes a posteriori ou alors qu’elle soit trop polie pour refuser après avoir demandé par obligation. La politesse vous contraint parfois à faire des choses dont vous vous seriez volontiers passés. Niamh connaît. Elle a été élevée de la sorte et maudit souvent ses parents de lui avoir donné des automatismes dont elle se passerait volontiers. Ces automatismes l’obligent à accepter de passer la pause déjeuner - seul moment libre de sa journée travail - avec une collègue plus âgée qui lui parle avec passion de broderie. Génial ! « Oh ça va j’ai de la marge. Il va me rester deux places à l’arrière et une dans le coffre. J’ai le droit d’écraser trois autres personnes sur le trajet ! » Le rire de l’artiste la contraint presque à rire … ou alors c’est l’humour noir qui la convainc. Niamh est également connue pour son sens de l’humour, disons particulier. Agression passive, toujours. « C’est ce qu’on appelle voir les choses du bon côté. Pragmatique et optimisme. Bonne combination », commente-t-elle en jetant un regard sur le sol pour être sure de ne rien avoir perdu au cours de sa chute.

Dernier regard derrière elle, et elle se glisse alors dans le carrosse de la jeune femme. A peine assise, elle attache immédiatement sa ceinture tout en disant qu’elle vient de monter dans la voiture de celle qu’elle connait en vinyle et en concert. Étrange réalité, des mondes s’entrechoquent. Le sac en bandoulière posé sur ses genoux, Niamh y sort son portefeuille pour s’assurer qu’elle ait les papiers nécessaires pour sa visite spontanée à l’hôpital. « Comment tu t’appelles au fait ? Moi c’est Regan. » « Niamh. », qu’elle répond aussitôt, refermant son sac pour reposer son attention sur la conductrice. « Ok, j’ai eu quelques doutes tout à l’heure … mais maintenant que tu me dis ton nom, j’arrête pas de me dire que ça fait un peu trop de coïncidence. » ajoute-t-elle tout en plissant les yeux. « Si je dis blondie Angels, tu me dis que je suis barge et que tu sais pas de quoi je parle … ou alors tu me dis : allons détruire le patriarcat ensemble. Il est temps. » Un rire amusé vient conclure sa phrase. Les coincidences se multiplient et elle est presque convaincue de se retrouver dans la voiture de la chanteuse. Presque convaincue. Ou alors le traumatisme crânien a produit une hémorragie cérébrale et ses jours sont comptés.

“Les hommes mettent dans leur voiture autant d'amour-propre que d'essence.”
–  @Regan Kelly    

« Je te dis que t’as bon goût ! Mais ça veut pas dire que t’es pas barge hein ! » Niamh laisse échapper un éclat de rire tout en levant son index pour le pointer finalement vers la conductrice ; elle marque un point. Niamh n’est pas un ange, plutôt une barge des temps modernes. Une espèce de Gaston Lagaffe moderne, oui. Elle détourne la tête pour finalement regarder droit devant elle, la route. Elle se demande si elle n’a pas un traumatisme crânien, si elle n’est pas en train d’halluciner tout bonnement cette scène. Peut-être qu’en réalité, elle est étendue comme une poupée de chiffon sur le bitume, la bouche ouverte, les yeux mi-clos. Peut-être qu’elle est en train de planer et hallucine tout ce qui est en train de se passer. Est-ce-qu’on doit se pincer pour vérifier que tout est vrai ? C’est ce qu’on dit non ? La blonde sort de sa transe en entendant le moustachu le plus talentueux de tous les temps. Les premières notes résonnent dans la voiture et la voix rauque de Regan vient couvrir celle du King. Niamh esquisse un sourire amusé avant de se joindre à la conductrice. C’est toujours la réaction normale et humaine quand on entend du Queen, on chante. On est obligés de chanter. Bien sûr, elle chante moins fort et beaucoup moins bien que la conductrice, mais dans ces moments là, on s’en fout royalement. Il s’agit de partager un moment, rien de plus.

La voiture s’arrête devant l’hôpital. Elle est encore en vie. Entière. Elle a juste appris de nouveaux jurons, apparemment improvisés par la blonde. Niamh tourne la tête vers la conductrice. « T’es apte à marcher ou faut que j’aille te chercher des brancardiers ? », le rire de Niamh vient se joindre au sien alors qu’elle secoue la tête de droite à gauche. « Nan merci, je crois que ça va aller — pas besoin de brancardier, je suis pas douée pour les entrées en fanfare en plus. » Bien trop gaffeuse, elle ne ferait qu’aggraver la situation. Posant la main sur la poignée de la portière, elle tourne la tête une nouvelle fois vers elle. « Merci au fait … enfin pas merci de m’avoir renversé, on va passer outre ce non-événement. » Elle ricane. « Merci de m’avoir conduite jusqu’ici et d’avoir certainement foutu le bordel dans ton agenda de super star. », qu’elle ajoute d’une voix rieuse.

« J’te dis à la prochaine ; soit avec mon avocat si on me prescrit un traumatisme crânien qui m’empêchera de bosser pendant les six prochains mois … soit à un des vos concerts. On sait jamais. », plaisante-t-elle tout en lui adressant un clin d’oeil qui se veut amical. Coup d’oeil dans le rétro, personne. Elle ouvre la portière pour en descendre. Dernier coup d’oeil vers la conductrice à qui elle fait un bref signe de la main avant de se diriger vers les urgences.