Debout sur le trottoir devant le bâtiment qui abrite l’appartement de Kieran, j’observe une des fenêtres du premier étage sans savoir définir quel sentiment est le plus présent en moi. Est-ce l’excitation à l’idée de revoir celui qui a partagé trois ans de mon adolescence et que j’ai très rapidement appris à aimer comme un frère? Est-ce le sentiment de trahison lorsque je repense à toutes ces années de silence? Celles où il a coupé tout contact avec le reste de sa famille alors que pendant plus de 10 ans nous avions réussi à instaurer une certaine organisation qui nous permettait de nous voir régulièrement, que ce soit à Brisbane, à Londres ou à Los Angeles. Ou est-ce plutôt le déni, celui qui me dit que non, Kieran n’est pas de retour et que ma mère a dû le confondre avec quelqu’un qui lui ressemblait? Pourtant je la connaîs ma mère, elle et sa mémoire photographique qui pourrait reconnaître entre mille, tous les enfants que nous avons pu accueillir pendant des années. Pourquoi donc devrais-je douter de la véracité de ses propos lorsque cet homme, celui qui se trouve là, dans un des appartements, est celui qui nous a le plus marqué de tous? D’autant plus qu’il ne m’a pas fallu longtemps, quelques recherches et coup de fil à des contacts fiables, pour trouver l’adresse à laquelle je suis rendue.

Dans un soupire je range le papier, que je tiens en main, dans la poche arrière de mon jeans et m’avance vers le portail que je pousse afin d'accéder au chemin qui mène à la porte d’entrée. Au moment où je gravis les quelques marches qui m’en séparent, un habitant sort du bâtiment et, avec un sourire avenant, tien là porte de manière à ce que je puisse me faufiler dans le hall d’entrée. L’appartement porte le numéro 178, donc je suppose, à juste titre, qu’il se situe au deuxième étage et ce sans ascenseur. Prenant une profonde inspiration pour me donner du courage, je commence mon ascension, avec bien plus de mal que je ne voudrais l’avouer. Si la remise à la marche après mon amputation était facile et rapidement indolore, les escaliers font partie de ces obstacles qui me donnent beaucoup de fil à retordre.

Mais à mon rythme et en douceur, je fini par atteindre l’étage escompté et observe rapidement les premières portes avant de me décider de prendre à ma gauche. Rapidement je m’immobilise devant l’appartement 178 et appuie directement sur la sonnette car je sais que si j’attends ne serait-ce qu’une seconde de plus je vais hésiter. Et si j’hésite, je risque de faire demi-tour. Et si je fais demi-tour, je ne suis pas sûr de revenir de si tôt. Autant, donc, arracher le pansement d’un coup, ce sera toujours moins douloureux que d’y aller étape par étape. Et quelque part, j’ose espérer que Kieran ne me claquera pas la porte au nez.

@ANDREW LIVINGSTONE & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ oh, i know that there'll be better days, oh, that sunshine 'bout to come my way, may we never ever shed another tear for today, 'cause, ohh, I know that there'll be better days.

La sonnette retentit dans le silence de l’appartement que Kieran occupe depuis peu, poussant aussitôt son rythme cardiaque à prendre l’ascenseur. Il ne s’agit pas-là d’une attitude normale, qu’on se le dise ; et j’aimerais que Kieran comprenne que ce genre de réactions sont exactement celles à cause desquelles il s’est contenté d’une lettre à sa fiancée avant de quitter la ville. La simple idée qu’elle puisse être derrière cette porte, prête à lui demander des explications, suffit à le perturber et à l’inquiéter plus que de raison – et tu penses encore que ta décision était irréfléchie, Kieran ? Les secondes qui le séparent du moment où il se lève pour découvrir l’identité de l’inconnu semblent durer des heures, des heures durant lesquelles il est tétanisé, Kieran. Et si elle était derrière cette porte ? Et si elle l’avait retrouvé ? Il faut dire que ce ne serait pas bien difficile ; où pourrait-il aller d’autre ? Il n’a connu que Brisbane (il prétend ne connaître que Brisbane) et changer de numéro, privatiser son compte instagram, essayer de disparaître des réseaux et éviter toute sortie en dehors de cet appartement ne sont que quelques stratégies qui peuvent repousser le moment de la confrontation sans garantir que celle-ci n’aura jamais lieu. Bien sûr qu’elle aura lieu ; il connait (et je connais) suffisamment Autumn pour savoir qu’elle ne se satisfera pas d’une simple lettre qui met fin à cinq ans d’amour (en était-ce vraiment, Kieran ?). Alors oui, il est terrifié. Pas tant par elle (oh, le couteau, Kieran, le couteau dans sa main et ton sang qui coule, tu l’as déjà oublié ?) que par la perspective de voir son sentiment de sécurité nouvellement retrouvé déjà oublié. Bien sûr qu’il réagit trop vite et trop fort pour un simple coup de sonnette, mais il n’est plus constamment en alerte, Kieran. Non, parfois, quelques heures, il se surprend à rêver d’une vie normale – même s’il ne sait pas vraiment ce que c’est, en réalité. Pour l’heure, il essaie seulement d’envisager la suite et elle lui paraît évidente. À défaut d’avoir les financiers qui lui permettent de quitter la ville, voire même le pays, il doit au moins tenter d’y aller pas à pas, à commencer par la recherche d’un job et d’un colocataire. Parce qu’il n’aime pas être seul, le dessinateur. Oh, non, si j’aurais voulu qu’il apprenne à vivre seul pour la première fois de sa vie, le fait est qu’il a peur, entre les murs vides de cet appartement. Et je ne peux pas lui en vouloir, tout comme vous ne pouvez pas le juger d’être ainsi, car vous n’étiez pas là. Vous n’étiez pas là et vous n’êtes pas plus dans sa tête à cet instant, quand je sens à quel point le seul fait d’avoir de la visite qu’il n’anticipait pas précipite son angoisse. Tu ne devrais pas répondre, Kieran. Tu devrais retourner à tes occupations, sans te soucier de l’identité de cette personne ; mais comme trop souvent, il ne m’écoute pas alors qu’il a déjà la main sur la poignée et le souffle coupé.

Il parvient à le reprendre quand, dans la légère ouverture qu’il a autorisée pour observer la silhouette de l’autre côté de la porte, il constate qu’il ne s’agit que d’Andrew. Que ? Le soulagement est de courte durée alors que le jeune homme réalise bien vite qu’il y a de nombreux fantômes du passé auxquels il n’est pas encore prêt à être confronté. « Andrew. Euh, salut... » Il lance avec hésitation, la tête qui dépasse à peine de la légère ouverture, le ton qui traduit de son inquiétude – qu’est-ce qu’il veut ? Toi aussi t’as des trucs à me reprocher, Andrew ? Fais la queue.

Lorsque la porte de l'appartement s'ouvre et que le visage de mon frère apparaît devant moi, mon regard change du tout au tout. Si, en arrivant, j'étais parti du principe que je lui dirais ses quatre vérités en face, au final, je suis juste heureux de le revoir. Toutefois, je remarque vite que ce n'est pas forcément le cas pour lui vu comment il me regarde avec son air ahuri. Inclinant légèrement la tête sur le côté, j'arque un sourcil puis fini par afficher par un sourire amusé.

« Hey ouais, surprise, je suis toujours vivant !» Lançais-je avec humour alors que je m'approche légèrement « Je peux rentrer ?  » Demandais-je « T'inquiète pas, je ne suis pas là pour te reprocher tes années d'absence, je veux juste rattraper le temps perdu avec mon petit frère  » sur ces paroles et sans attendre l'autorisation du jeune homme, je pousse la porte et passe à côté de lui pour pénétrer dans son appartement.

« Tu dois te demander comment je t'ai retrouver, non ? » Lançais-je alors que je me dirige vers ce que je suppose être le salon « Eh bien ... C'est maman qui t'a vu» je me retourne vers Kieran, posant à nouveau mon regard sur lui « Elle t'as vu de loin au coin de la rue là et au moment où elle t'as reconnu et où elle voulait t'intercepter, t'avais déjà tourner dans une ruelle et t'avais disparu» j'hausse les épaules « Du coup j'ai fait quelques recherches, j'ai fait jouer mes contacts et hop, j'ai découvert ton adresse sans trop de peine et ... me voilà » j'écarte les bras, mon sourire s'agrandissant légèrement

« Bon alors, raconte-moi, comment ça va ?» Reprenais-je en m'installant sur le canapé comme si j'étais chez moi « Depuis quand t'es de retour ? Pourquoi ? T'es revenu seul du coup ?» Demandais-je en regardant autour de moi, essayant de savoir s'il y a une présence féminine dans le coin.

« Hey ouais, surprise, je suis toujours vivant ! » Oh, il n’en a pas douté, Kieran. Conscient d’être sorti de la vie de ses proches – sans savoir si c’était volontaire ou non – le jeune homme n’a guère osé demander des nouvelles à ceux qui comptaient pour lui, mais n’a pas manqué d’en chercher à travers les réseaux sociaux. C’est peut-être discutable comme méthode, mais il a le mérite d’être un gentil stalkeur, de ceux qui se réjouissent du succès des autres et qui s’en veut de ne pas être là pour les fêter avec eux. Et s’il suppose qu’il ne peut s’en prendre qu’à lui-même, Kieran, la vérité est bien plus délicate et compliquée : il n’est pas le seul responsable de cet éloignement, quand bien même il vient de lui. « Je peux rentrer ?  » Kieran ne sait quelle réponse donner à cette question, partagé entre l’envie d’avoir une discussion avec cet homme qui a marqué son adolescence, autant qu’anxieux à l’idée d’être mis face à ses fautes. Son retour ne se passe pas aussi bien qu’il l’aurait voulu ; et il doit prendre les choses les unes après les autres. « T'inquiète pas, je ne suis pas là pour te reprocher tes années d'absence, je veux juste rattraper le temps perdu avec mon petit frère. » Andrew force le passage et il s’écarte légèrement avant de rester interdit un instant. Il n’est pas là pour lui reprocher ses années d’absence, mais il en fait mention à peine se sont-ils retrouvés. Revenant à lui, il finit par fermer la porte, la verrouillant derrière lui par habitude, restant à distance de l’homme face à lui par le biais des mêmes automatismes. Andrew ne te veut pas de mal, que je souligne à Kieran, mais après des mois à en subir, il n’a plus confiance en personne – pas même en celui qui a été un frère fut une époque lointaine. « Je suis désolé. » Qu’il se contente de souligner dans un premier temps face à ses fautes, ne sachant pas vraiment comment les expliquer, ni comment demander pardon ; ces quelques mots sont déjà un bon début, à défaut. « Tu dois te demander comment je t'ai retrouver, non ? » Il hoche doucement la tête, car il s’agit-là d’une question à la réponse qui l’angoisse. Si Andrew l’a retrouvé, qu’en sera-t-il d’Autumn ? Il n’a pas envie d’imaginer cette possibilité-là, mais je dois le faire pour lui, car c’en est une. Tôt ou tard, elle reviendra dans sa vie, c’est la seule certitude qu’il a après son départ aussi brusque. « Euh oui... » Je fais tout pour être invisible, pourtant, Andrew. Je ne suis plus sur les réseaux, je ne sors quasiment plus, j’ai repris contact avec personne à l’exception des Cornwells et de Sawyer, alors comment ? « Eh bien ... C'est maman qui t'a vu» « Oh. » Elle l’a vu, mais ne l’a pas approchée. Est-ce qu’il n’est vraiment personne pour elle, malgré les quelques mois passés ensemble ? « Elle t'as vu de loin au coin de la rue là et au moment où elle t'as reconnu et où elle voulait t'intercepter, t'avais déjà tourner dans une ruelle et t'avais disparu» Il secoue légèrement la tête. C’est une possibilité, oui. C’est même très probable, que je souffle à l’oreille de Kieran, alors qu’il persiste à imaginer qu’elle ne voulait pas croiser son chemin et qu’elle est bien contente qu’il ait continué sa route à vive allure. « Du coup j'ai fait quelques recherches, j'ai fait jouer mes contacts et hop, j'ai découvert ton adresse sans trop de peine et ... me voilà » « Tes contacts ? » Il interroge, avant de reprendre rapidement : « C’était si facile que ça ? » Ça ne peut pas être facile. Ça ne doit pas être facile. L’anxiété monte rapidement et pendant un instant, il en oublie la présence d’Andrew, il en oublie son attitude froide à son égard alors qu’il n’a rien contre le jeune homme, seulement contre lui-même et cette discrétion à laquelle il s’accrochait et qui semble déjà partir en fumée. « Désolé, je suis juste surpris. » Et inquiet. Foutrement inquiet, t’aurais pas pu rester chez toi, Andrew, au lieu de venir m’angoisser plus que je ne le suis déjà. « Bon alors, raconte-moi, comment ça va ?» Il prend ses aises et même si je sais qu’Andrew est un bon type, que Kieran l’apprécie, le fait est qu’il peine à accepter cette intrusion dans une intimité qu’il apprend à redécouvrir, dans un espace qu’il apprend à se réapproprier. « Ça va. » Ça ne va pas du tout, Andrew, mais j’ai pas le droit d’en parler parce que c’est moi qui me suis mis dans cette situation. « Depuis quand t'es de retour ? Pourquoi ? T'es revenu seul du coup ? » Trop de questions, trop de mensonges à élaborer. Ou tu pourrais juste dire la vérité, Kieran, pour une fois. « Euh oui, de retour seul et depuis quelques semaines. » La vérité, c’est un bon début. Mais concernant le pourquoi, il opte encore pour le mensonge à qui pose la question, alors il préfère s’abstenir d’y répondre. « Tu veux boire quelque chose ? » Il lui demande alors qu’il se dirige déjà vers le réfrigérateur et que de son côté, c’est d’une bière qu’il s’empare. « Et toi, alors, comment ça va ? Et ta mère ? » Puisqu’à défaut d’avoir pu être rattrapé par cette dernière, elle est un bon moyen de rattraper une conversation qui ne va pas là où il le voudrait.

@Andrew Livingstone

Le Kieran qui fait face à moi n'est clairement pas le Kieran qui a cessé tout contact avec moi du jour au lendemain. Si l'homme ici présent a toujours été un adolescent problématique, qui manque cruellement de confiance en lui, j'ai réellement l'impression qu'actuellement toute once de confiance gagnée au fil des années semble s'être volatilisé. Comme si le travail effectué par lui et ses innombrables familles d'accueils n'avait jamais été fait. Les traits tiré par la fatigue et surtout l'anxiété, les joues creusées, le teint livide et le corps amaigris par un très clair manque d'alimentation correcte, Kieran fait peur à voir. Lui, qui me surplombe d'un peu plus de 15 centimètres, me donne l'impression d'avoir rapetissé en quelques années, tant sa posture recourbée et renfermée atteste d'une douleur morale qui, je sais, mettra des années à partir et contre laquelle je suis et resterais impuissant.

Ne sachant pas réellement comment me comporter autrement, je décide de forcer le passage et de m'imposer chez lui sans savoir si c'est la bonne option ou si je devrais lui laisser un peu plus d'espace encore. Lorsqu'il referme la porte à clef derrière nous, je me dirige vers ce que je suppose être le salon tout en lui expliquant le pourquoi du comment je l'ai retrouvé. Et sa seule inquiétude dans tout cela, c'est de savoir à quel point c'était facile pour moi. «Un grand gaillard comme toi ça ne peut pas se cacher aussi facilement, tu sais » dis-je avec humour et ironie en lui donnant une tape sur l'épaule avant de m'installer sur le canapé et l'observe avec bienveillance lorsqu'il m'avoue être surpris. Non Kieran, tu n'es pas surpris, tu es inquiet étais-je tenté de dire, mais je n'en fais rien et décide de changer de sujet, reprenant avec mes questions.

J'apprends ainsi que le jeune homme est de retour depuis quelques semaines déjà et à sa façon d'oublier de répondre à ma deuxième interrogation, je pars du principe qu'il est effectivement revenu seul. Sinon pourquoi serait-il dans cet état ? Je laisse échapper un soupire et secoue la tête lorsqu'il me demande si je souhaite boire quelque chose avant de me retourner mes questions « ça va» dis-je en haussant les épaules « Les projets de films reprennent tout doucement et j'ai enfin décroché un contrat chez Weathertons. » annonçais-je en souriant, sachant que Kieran est au courant combien c'était un rêve pour moi de travailler pour cette maison de couture « C'est bien la preuve qu'une différence physique fait TOUTE la différence pour le coup» je laisse échapper un rire, assumant aussi que, même si je n'ai jamais eu l'occasion de le lui annoncer de vive voix, par quelle opération et conséquences je suis passé il y a quelques mois de cela, il est au courant. Ce n'est pas comme si la plupart des journaux et site internet en parlait (et en parle encore) et que c'est une des nouvelles questions fétiches des journalistes lors des interviews.

L’inquiétude l’empêche d’apprécier la visite d’Andrew ; et je peine à arrêter les idées qui lui viennent par milliers, toutes ces scénarios où la prochaine fois qu’il ouvrira la porte pour faire face à un invité surprise, ce sera Autumn. Il serait heureux de la voir autant qu’il serait apeuré par cette perspective et il est bien difficile pour lui de mettre cette idée de côté pour se focaliser sur Andrew. Le jeune homme le dévisage, s’incruste dans cet appartement que personne n’a encore eu l’honneur de visiter et le malaise de Kieran est perceptible alors qu’il attend les reproches. Vieux reste d’une éducation où il était dénigré après qu’on l’ait mis en confiance et il n’attend que le moment où il aura suffisamment baissé sa garde pour qu’Andrew frappe et lui balance ses quatre vérités – méritées – en plein visage après l’avoir abandonné et cessé de donner des nouvelles. À sa décharge, c’est une attitude qu’il a eue auprès de la majorité de ses proches, même s’il ne s’agit probablement pas d’un argument qui sera suffisant pour apaiser la colère d’Andrew lorsque celle-ci s’exprimera. Alors il attend le verdict comme le gamin anxieux qu’il n’a jamais cessé d’être, autant qu’il s’inquiète quant à la manière dont Andrew a pu le retrouver. « Un grand gaillard comme toi ça ne peut pas se cacher aussi facilement, tu sais. » À l’ironie d’Andrew il répond par un rire jaune, toujours plus mal à l’aise quand celui-ci lui tape sur l’épaule alors qu’il essaie de se reprendre. Andrew est de bonne humeur, Andrew est bienveillant, Andrew n’a jamais eu un mot plus haut que l’autre – tu te fais des idées, Kieran, comme souvent.

Il contourne le canapé pour s’asseoir sur le fauteuil face à Andrew après qu’il ait refusé à boire – même s’il lui en veut légèrement, car il aurait apprécié une bière pour se donner du courage. Les coudes posés sur les genoux, les mains qui jouent entre elles tandis qu’il attend la réponse de l’homme face à lui. « ça va. » Le sourire sur ses lèvres est sincère cette fois-ci, alors qu’il apprécie de le savoir en forme. « Les projets de films reprennent tout doucement et j'ai enfin décroché un contrat chez Weatherton. » Et son sourire s’élargit quand il entend cette information, ravi pour son ancien frère. « Sérieux ? C’est génial. » Si son ton est posé parce que Kieran n’a jamais été très expressif même dans sa joie, le sourire sur ses lèvres a tout ce qu’il a de plus sincère. « Reprennent ? » Qu’il demande par réflexe, curieux de ce qu’Andrew implique par ce détail, et soudainement mal à l’aise alors qu’il réalise une fois encore à quel point il s’est tenu loin de ses proches. « C'est bien la preuve qu'une différence physique fait TOUTE la différence pour le coup. » Il rit et Kieran fronce les sourcils. Il essaie de faire fonctionner sa mémoire et j’essaie de l’aider, mais je n’y arrive pas. De quoi est-ce qu’il parle ? « De... de quoi tu parles ? » Sa voix se veut encore moins affirmée, presque un murmure, alors qu’il comprend qu’il a manqué quelque chose d’important. Mais quoi, exactement ? Il ne sait pas, et avant même de le savoir, il précise, aussitôt : « Je suis désolé. » Je suis désolé de ne pas savoir de quoi tu parles. Je suis désolé d’avoir disparu. Je suis désolé d’être cette personne et je suis désolé que tu sembles l’apprécier alors que tu ne devrais pas.

@Andrew Livingstone

Si d'habitude avec Kieran nous partageons plus ou moins le même humour, il a, jusqu'à présent, aussi toujours compris mon ironie. Mais aujourd'hui, ce n'est clairement pas le cas, car le rire qui s'échappe de sa bouche, c'est un rire jaune, le genre qui prouve à quel point il est mal à l'aise combien il n'est pas en mesure de rigoler. Bien que lui répondant par un sourire, d'innombrables questions traversent mon esprit. Mais va-t-il me répondre ? J'en doute de plus en plus. Alors, au lieu de continuer sur ce sujet, je profite du fait qu'il détourne la conversation pour y répondre.

L'air de rien, je lui annonce les deux dernières nouvelles : après plusieurs mois d'arrêt forcé, j'ai repris le chemin des tournages et j'ai enfin décroché un contrat d'égérie chez Weatherton. Persuadé à force que tout le monde -littéralement- est au courant de ce par quoi je suis passé il y a à peu près un an, je me rends rapidement compte que ce n'est pas vraiment le cas tant la surprise se lit sur le visage de Kieran. S'est-il tellement détaché de sa famille qu'il n'a même pas été tenue au courant des dernières nouvelles ? Vivait-il dans une grotte sans accès à la réalité extérieure ? Pourtant, un bon nombre de média ont relaté tout cela. Alors comment se fait-il que Kieran ne soit pas au courant de ce dont je parle ?

Prenant une profonde inspiration, je me passe une main sur le visage et me frotte légèrement la paupière avant de m'asseoir « Bon, faut croire que tu ne sais vraiment pas de quoi je parle» dis-je plus pour moi qu'autre chose avant de relever mon regard sur mon frère «il n'y pas d'autres façons de la dire que la manière directe donc ... » me penchant en avant, je relève légèrement mon pantalon, laissant apparaître le métal de ma prothèse «L'année dernière en janvier, je suis allé faire un contrôle de routine chez mon médecin avec un examen plus poussé de la cheville parce que ça faisait quelques semaines que je traînais des douleurs » expliquais-je le plus sobrement possible « Et ce qui aurait dû être une radio banale, a finalement montré un ostéosarcome dans le pied» je pose mon regard sur Kieran, observant son expression et ses réactions «j'ai demandé 3 avis différents, mais tous les médecins étaient unanimes : l'amputation ou la mort » je hausse doucement les épaules « J'ai choisi la première option» je baisse à nouveau le pantalon et me redresse « Du coup entre l'opération, la guérison, la rééducation, la remise à la marche et les innombrables leg fitting j'ai été forcé de prendre une pause de plusieurs mois loin des plateaux de tournages » je m'adosse contre le dossier du canapé « Mais ça va hein» ajoutais-je rapidement afin de contrer une éventuelle inquiétude de la part de mon frère «A part quelques douleurs fantôme de temps en temps, je m'en sors vraiment bien. Le moignon a guéri super vite, la cicatrisation s'est faite en un temps record et Robert, mon orthoprothésiste, est un des meilleurs du monde. Et en plus, mon corps s'est adapté super rapidement à cette nouvelle situation donc ...j'ai pas trop à me plaindre » et j'espère que Kieran comprendra qu'il n'y a absolument aucune raison de s'inquiéter.

« Bon, faut croire que tu ne sais vraiment pas de quoi je parle. » Il a l’impression d’être sur le banc des accusés, Kieran, alors qu’il pince les lèvres, traduction physique de son évident malaise. Il ressasse ses souvenirs, mais il ne trouve aucune réponse à ses interrogations et au final ce n’est pas tant surprenant – est-ce que tu oublies à quel point tu as bloqué l’accès à une partie de ton esprit, Kieran ? À quel point tu vis dans le déni d’une partie de ta propre existence ? C’est quel genre de manière de faire, de vouloir s’oublier au point d’y parvenir ? Et d’inclure les autres dans cette disparition ? Son regard peine à soutenir celui d’Andrew, mais il tente d’y parvenir pour jauger de ses réactions. Est-ce qu’il lui en veut ? Il devrait lui en vouloir. Bien sûr qu’il devrait lui en vouloir ; il n’a pas encore eu tous les détails qu’il a bien compris qu’il s’est absenté à un moment où son frère avait besoin de lui. Il n’a pas été là, tout comme il n’a pas été là pour les quelques proches qui n’ont jamais baissé les bras le concernant et voilà comment il les remercie. « Il n'y pas d'autres façons de la dire que la manière directe donc ... » Et le petit frère ingrat ne mérite même pas des explications, en réalité, tant il devrait s’en vouloir de ne pas avoir été là. C’est ce dont Kieran se persuade, ce dont j’essaie, de mon côté, de le dissuader alors que même si son ignorance vis-à-vis d’Andrew m’attriste, il avait en réalité d’autres choses à gérer, à commencer par sa propre survie. Il suit son aîné sans pour autant être suffisamment à l’aise pour s’installer à ses côtés, tandis que ses yeux glissent sur la prothèse qu’il fait apparaître et que les lèvres de Kieran s’écarquillent sous la surprise. « L'année dernière en janvier, je suis allé faire un contrôle de routine chez mon médecin avec un examen plus poussé de la cheville parce que ça faisait quelques semaines que je traînais des douleurs. » Il n’aime déjà pas ce qu’il entend. Il a envie de l’interrompre pour lui quémander de s’arrêter-là ; parce qu’il sait que l’issue ne lui plaira pas, parce qu’il sait qu’elle concrétisera toutes les fautes dont il essaie de se distancer autant qu’il essaie de s’en faire pardonner. Mais comment ? Comment, alors qu’il n’a pas été aux côtés d’Andrew durant cette épreuve dont il ne connaît même pas tous les détails ? « Et ce qui aurait dû être une radio banale, a finalement montré un ostéosarcome dans le pied. » - « Un ostéosarcome ? » Il répète, bouche bée. Ce n’est pas qu’il a besoin qu’on lui explique ce que c’est – il est moins idiot qu’il le prétend au reste du monde – c’est qu’il n’y croit pas. Ou plutôt, il ne veut pas y croire, il ne veut pas qu’Andrew lui confirme qu’il est passé par cette épreuve que l’on ne souhaite à personne. « J'ai demandé 3 avis différents, mais tous les médecins étaient unanimes : l'amputation ou la mort. » Et le choix qu’il a fait lui saute aux yeux, tandis que ceux-ci se posent à nouveau sur la prothèse. « J'ai choisi la première option. » C’était ça ou la mort ; ce n’est pas comme si le choix lui avait été laissé, en réalité. « Du coup entre l'opération, la guérison, la rééducation, la remise à la marche et les innombrables leg fitting j'ai été forcé de prendre une pause de plusieurs mois loin des plateaux de tournages. » Tout commence à faire sens et le visage de Kieran se ternit à mesure que le puzzle se fait. « Mais ça va hein. » - « T’es sûr ? » Qu’il le coupe rapidement. Ce n’est pas une façon de jouer aux gros durs, n’est-ce pas ? C’est un fait, avéré par les médecins ? « A part quelques douleurs fantôme de temps en temps, je m'en sors vraiment bien. Le moignon a guéri super vite, la cicatrisation s'est faite en un temps record et Robert, mon orthoprothésiste, est un des meilleurs du monde. Et en plus, mon corps s'est adapté super rapidement à cette nouvelle situation donc ...j'ai pas trop à me plaindre. » Ça semble presque trop facile pour l’ignorant qu’il est, mais il a envie d’y croire parce que cette perspective est bien plus réjouissante que toutes les autres. Kieran reste muet de longs instants, ne sachant pas par où commencer alors qu’il se veut toujours plus. « Je suis désolé, Andrew. » Il se répète, oui, mais c’est le plus important parmi tout ce qu’il pourrait dire. « Je suis désolé que tu sois passé par là, de ne pas avoir été là ni même de l’avoir su. » Mais il s’était coupé du monde ; trop occupé à plonger dans une dépression de laquelle il est loin d’être tiré d’affaire. Plus rien n’avait d’intérêt, et pas même ses proches – ça implique d’avoir brièvement suivi leurs parcours sur internet, mais sans vraiment y avoir suffisamment prêté attention, comme il le constate à cet instant. Peut-être qu’il l’a su, à une époque, d’ailleurs, mais que l’information a été balayée avec tout ce qu’il veut oublier et qui s’est passé à la même époque. « T’avais du monde autour de toi, quand même ? Tes parents, tes collègues, je... je sais pas, mais t’étais pas tout seul, hein ? » Dis-moi que t’étais pas tout seul Andrew, et que d’autres ont mieux su tenir ce rôle que moi. « Je sais que j’arrive des mois trop tard, mais... si t’as besoin de quelque chose, dis-le moi. » Il voudrait bien dire qu’il peut compter sur lui, mais il semble désormais évident que ce n’est pas le cas.

@Andrew Livingstone

Évidemment que cette nouvelle est choquante pour mon frère, évidemment que sa réaction et son inquiétude étaient à prévoir malgré le fait que je tente d'être le plus rassurant possible. Malheureusement, ça ne fonctionne pas et se confond en excuse, se disant être désolé de ne pas avoir été à mes côtés lors de cette épreuve, espérant sincèrement que je n'ai pas été seul et que j'ai été entouré au maximum par ma famille et mes amis  «Ne t'inquiète surtout pas pour ça Kieran » dis-je en souriant  «Vraiment, j'étais on ne peu mieux entouré, maman et papa étaient présent de même que toute l'équipe du film que j'étais entrain de tourné était hyper compréhensive. Le tournage a stoppé pendant quelques mois mais j'ai rapidement pu reprendre et finir mes scènes  » expliquais-je en me redressant.

 « Je n'ai besoin de rien» continuais-je alors en baissant à nouveau mon pantalon incapable de savoir si la vision de la prothèse dérange mon frère ou non  «Si ce n'est d'avoir la certitude que tu resteras ici, en ville, maintenant » je pince les lèvres et soupire doucement  « que tu le crois ou non, sois certain que tu nous as manqué Kieran » dis-je avec toute la sincérité du monde  « Encore une fois, je ne suis pas là pour te faire des remontrances, je suis juste réellement heureux de te savoir » encore en vie  « De retour» ajoutais-je en hochant la tête  «Et si un jour le cœur t'en dis de me parler et de me dire pourquoi tu n'était pas joignable ces derniers mois, je serais disponible. Que ce soit à 14h ou à 2h du matin, pour toi ma porte sera toujours ouverte » et ce ne sont pas des paroles en l'air. Kieran sait que lorsque je promet quelque chose je suis on ne peut plus sérieux et que j'y tiens réellement.  «je te laisse tout le temps dont tu as besoin jusqu'à ce que tu sente capables d'en parler autant à moi qu'à Maman et papa » je lui offre un sourire qui se veut rassurant  « Et si ce jour n'arrive jamais ...eh bien ma fois, ce n'est pas grave tant que tu sois au courant que nous sommes là, tous autant que nous sommes, pour toi» je connais Kieran, je sais comment il tique et je sais aussi que parfois il a juste besoin d'être un peu rassuré pour pouvoir fonctionner correctement.

« Ne t'inquiète surtout pas pour ça Kieran. » C’est mal connaître Kieran que de croire qu’il peut s’empêcher de s’inquiéter tant cela fait partie de son code génétique, incapable de se détendre de manière générale et encore moins quand il réalise ses fautes. Il aurait dû être là pour Andrew ; car même s’il n’a pu rester à ses côtés durant l’adolescence, ce dernier a toujours eu une place importante à ses yeux. « Vraiment, j'étais on ne peu mieux entouré, maman et papa étaient présent de même que toute l'équipe du film que j'étais entrain de tourné était hyper compréhensive. Le tournage a stoppé pendant quelques mois mais j'ai rapidement pu reprendre et finir mes scènes. » Et il s’en veut, Kieran. Il s’en veut qu’Andrew soit obligé de le rassurer de la sorte alors qu’il est bien celui qui devrait être là pour lui désormais, celui qui devrait être en mesure de trouver les bons mots plutôt que de rester planté là, à des mètres de lui, comme si la nouvelle n’était pas totalement acceptée. « Tant mieux, tant mieux. » Il répète mécaniquement, toujours choqué par l’information alors qu’il s’ose à croiser le regard de son frère. « Heureusement que tu as pu compter sur eux. » De ses parents à la production, il est ravi qu’il ait été entouré durant cette épreuve, puisque de son côté il l’a lâchement abandonné, comme il a abandonné tout le monde autour de lui – à commencer par lui-même, en réalité.

« Je n'ai besoin de rien. » Son regard glisse sur sa prothèse un dernier instant avant qu’il ne la recouvre et que les prunelles de Kieran fuient celle d’Andrew à sa prochaine demande. « Si ce n'est d'avoir la certitude que tu resteras ici, en ville, maintenant. » Il le fuit parce qu’il sait qu’il s’agit d’une promesse qu’il n’est pas certain de pouvoir tenir, d’autant plus qu’il ne rêve que d’une chose : s’éloigner de cette vie pour tenter de se retrouver – peu importe si ça implique de délaisser, à nouveau, ceux qui comptent sur lui. Mais le risque qu’Autumn le rejoigne à Brisbane est trop grand pour qu’il puisse réapprendre à vivre sereinement (il n’est même pas sûr d’y parvenir). « Je... je peux pas promettre... ça. » Il admet du bout des lèvres, le regard baissé. « que tu le crois ou non, sois certain que tu nous as manqué Kieran. » - « Vous aussi. » Il n’était pas au bout du monde pourtant il avait l’impression d’être terriblement isolé, Kieran et c’est un sentiment qu’il ne souhaite à personne. « Encore une fois, je ne suis pas là pour te faire des remontrances, je suis juste réellement heureux de te savoir (...) De retour. » Sauf que Kieran ne l’est pas réellement, heureux d’être ici ; et que ce retour s’accompagne d’une peur qui ne le lâche pas autant que d’efforts qui lui semblent bien trop grands pour qu’il puisse réussir à les fournir auprès de ses proches. « Et si un jour le cœur t'en dis de me parler et de me dire pourquoi tu n'était pas joignable ces derniers mois, je serais disponible. Que ce soit à 14h ou à 2h du matin, pour toi ma porte sera toujours ouverte. » - « C’était juste... la vie, j’imagine. » Il tente de se justifier en haussant les épaules d’un air dépassé. J’ai pas vu le temps passer, je me suis laisser emporter par mon quotidien. Des mensonges qui cachent des vérités qui n’en sont pas encore à ses yeux. « Mais je te remercie et... je suis désolé. Encore une fois. » Il ne cessera de s’excuser, pour son absence autant que pour toutes les choses qu’il a manquées, que le seul fait de respirer et de déranger comme il en a toujours l’impression. Les excuses aussi font elles-aussi partie de son code génétique. « je te laisse tout le temps dont tu as besoin jusqu'à ce que tu sente capables d'en parler autant à moi qu'à Maman et papa. » - « C’est gentil, mais ça va. Faut juste que je reprenne mes marques. » Qu’il retrouve sa place, celle-là même qu’il croyait avoir trouvé auprès d’Autumn et la seule évocation de ce prénom lui provoque des frissons. Son sourire s’essaie à être aussi convaincant que celui d’Andrew, mais l’exercice lui demande beaucoup d’énergie après des mois passés dans le noir. « Et si ce jour n'arrive jamais ...eh bien ma fois, ce n'est pas grave tant que tu sois au courant que nous sommes là, tous autant que nous sommes, pour toi. » - « Je sais, merci. » Mais il en a marre d’être celui qui compte sur les autres et non l’inverse. Il aimerait apprendre à se débrouiller seul, mais ces derniers mois lui ont surtout prouvé qu’il en était incapable. « Ça te dirait d’aller voir un match, un soir ? Je suis toujours pas fan de sport, mais ça me ferait du bien de sortir, je crois. » Il demande après de longues secondes d’hésitation, n’ayant pas envie de forcer Andrew à accepter sa présence malgré toutes les paroles rassurantes qu’il a pu tenir. Il a l’impression de trop en demander ; d’avoir disparu et de s’attendre à ce que l’on accueille de la même manière qu’il y a trois ans alors que l’homme face à lui aurait toutes les raisons du monde d’exiger des explications avant toute chose. « Je crois que c’est ce que font les gens quand ils doivent gérer une rupture. » Il admet avec un léger rire nerveux, lui confirmant par la même occasion la raison de son retour en solitaire.

@Andrew Livingstone