La question lui avait brûlé les lèvres à Meryl, elle ne savait pas vraiment quoi faire de cette information pour être honnête et pour cause, ses frères n’avaient jamais cherché à prendre contact avec elle, jamais pris de nouvelles alors pourquoi se soucier de ce qu’ils étaient devenu puisqu’ils n’en avaient jamais rien eu à faire d’elle. Il n’y avait jamais eu ce lien, l’âge n’aidant pas. Ils étaient déjà quasi des adultes quand elle était venue au monde, il n’y avait jamais eu de complicité, jamais eu les regards ou les mots qu’ils pouvaient échanger avec Gabrielle. Le temps n’avait fait que confirmer une évidence, elle n’était qu’une étrangère. Pourtant elle les avait réclamés après leur départ, des questions à leur tante, à Gabrielle. Elle avait espéré avant de passer à autre chose en oubliant sans vraiment oublier. Aujourd’hui quand on lui demande, elle ne parle que de Gabrielle parce qu’elle ne saurait pas parler d’eux.

Fortitude Valley... Moonshiner : deux informations données par Gabrielle quand elle avait osé l’interroger au sujet de leurs frères. La blonde avait raté de peu Finn en se cachant, il était loin à présent, alors elle s’était montrée curieuse concernant Alex, elle ne savait pas vraiment ce qu’elle attendait de ça, peut-être un sentiment d’appartenance à une famille quand elle avait toujours eu la sensation d’être à part. Alors elle avait cherché la pizzeria, d’abord sur internet, avant de passer devant une première fois. Intimidée, elle était restée au loin, se trouvant stupide d’être plantée là pour elle ne savait quelle raison. Son courage envolé, la jeune femme s’était dégonflée avant même d’avoir changé de trottoir. Elle était revenue le lendemain et le surlendemain, cette fois, elle s’était approchée, observant à travers la vitre pour voir si elle allait l’apercevoir sans jamais oser passer la porte. Chaque fois, elle avait tenté de trouver la force, mais chaque fois elle avait renoncé par crainte d’être déçue ou de se faire refouler. Est-ce que Gabrielle lui avait dit qu’elle était dans le coin ? Est-ce qu’il s’était seulement posé la question au cours des dernières années ?

C’était décidé, aujourd’hui elle oserait pousser la porte du restaurant, elle irait le saluer... le coeur plein de courage, elle s’était une fois de plus plantée devant la vitre... il était là, à la fixer... Comme s’il savait qu’elle allait venir. Son coeur s’était emballé quand il s’était levé pour venir dans sa direction. Rien d’hésitant dans sa démarche et la gamine était restée interdite devant son attitude, figée par son assurance et ce qu’il dégageait. Son regard légèrement fuyant, elle avait eu du mal à le regarder dans les yeux alors que lui n’avait de cesse de la fixer. “Est-ce que je peux vous aider mademoiselle ?” Mademoiselle... le mot fait mal et vexe, mais elle encaisse Meryl, même si elle reste silencieuse face aux regards inquisiteurs. Elle se sent sondée, comme si son regard pouvait lire ses intentions. “Vous êtes peut-être perdue ?” Sûrement oui, d’une certaine façon elle l’est, mais sûrement pas comme il l’entend. « Non... enfin si... Je... je... en fait je... » Elle se sent stupide à ne pas savoir aligner plus de deux mots et lui doit certainement la prendre pour une de ces idiotes écervelées. Elle ne peut s’empêcher de regarder les traits de son frère, il a changé, le temps a marqué ses traits, la vie s’en est sûrement chargée aussi, pourtant elle reconnaît son regard, enfin elle croit, elle doute. « On m’a dit que... Je pourrais peut-être trouver du travail ici. » Meryl ignore pourquoi elle part sur ce versant au lieu de lui dire la vérité, peut-être que la petite fille avait espéré qu’il la reconnaisse et qu’il la serre dans ses bras. « Je viens d’arriver en Australie... » Une fois encore, elle n’ose pas en dire plus, son accent américain la trahit sûrement de toute façon. « Vous êtes le patron ? » Elle s'est peut-être trompée, il n'était peut-être qu'un employé par son ainé.

Meryl perd ses moyens face à l’homme qui lui fait face. Il a toute l’assurance qu’elle n’a jamais vraiment eu et elle regrette presque d’être venue ici. Elle sent bien qu’il ne l’a méchamment pas reconnue et ça contribue sans aucun doute au fait qu’elle ne sache pas comment réagir ou même quoi dire pour justifier sa présence ici. Elle a songé à juste dire, je suis Meryl, mais ce ne sont pas ces mots qui sont sortis de sa bouche et elle s’enfonce dans un mensonge qu’elle n’est même pas certaine de pouvoir assumer jusqu’au bout tant il semble se méfier d’elle si bien qu’elle-même, elle finit par douter. Et si ça n’était pas lui, et si elle s’était planté d’endroit tout simplement et que ce type n’avait juste rien à voir avec celui qu’elle recherchait sans vraiment savoir pourquoi. Son silence l’oppresse autant que son regard, si bien qu’elle détourne les yeux une fois de plus. “Je suis le patron …” A cette affirmation, la jeune femme éprouve une sorte de soulagement, même si paradoxalement ça ne fait que creuser le fossé entre eux et le nombre de questions qui se bousculent dans sa tête ne la rend pas plus bavarde, maintenant qu’elle réalise qu’il ne sait pas qui elle est. Meryl songe sérieusement à rebrousser chemin, dire qu’il ne s’agit là que d’une erreur stupide, mais déjà il reprend la parole. “Si vous voulez bien, j’aimerai qu’on poursuive cette conversation à l’intérieur, c’est beaucoup trop bruyant ici.” Oui, non... Elle hésite, flanche alors que la porte s’ouvre sans vraiment lui laisser le choix. Elle aimait bien l’idée d’être dehors, là où elle pourrait s’échapper avec une facilité déconcertante. Anxieuse, elle jette un regard autour d’elle, pesant le pour et le contre avant de finalement passer la porte et de s’installer en face de lui. Maintenant qu’elle lui fait face, elle ne peut s’empêcher de détailler ses traits avec plus d’attention en essayant de se rappeler de choses qu’ils avaient pu partager, un détail, un souvenir sans vraiment de succès.

“Qui vous a dit que vous pourriez trouver du travail ici ? Que recherchez-vous exactement comme travail ?” Alex la ramène sur terre alors qu’elle était partie dans ses pensées. Elle se doute qu’elle doit avoir l’air d’une illuminée, d’une fille paumée et quelque part c’est un peu ce qu’elle est : une gamine paumée dans un pays qu’elle connaît si peu au final. « Est-ce que ça a vraiment de l’importance ? Je cherche juste un truc qui me permettrait de ne pas dormir dehors... La plonge, le service, le ménage... » Elle s’enfonce encore dans son mensonge sans vraiment savoir pourquoi, sûrement un peu vexée qu’elle est de n’être finalement qu’une inconnue. “Américaine ? Pourquoi avoir quitté les états-unis ?” Et toi pourquoi t’es parti au juste ? Est-ce que t’avais envie de tourner la page ? Envie de démarrer une nouvelle vie après le drame ? Meryl sans une pointe d’amertume lui brûler la gorge alors qu’elle songe au départ de ses frères, elle n’avait pas compris pourquoi cet abandon, pourquoi ce silence après, la petite fille qu’elle était s’était longtemps demandé si elle avait fait quelque chose de mal sans jamais avoir de réponse. Ses traits se font plus sérieux, affectée qu’elle est même si elle essaie de le cacher tant bien que mal. « Vegas oui... » Elle balance ses origines, observe sa réaction s’il en a une pour voir s’il sera capable de faire le lien, ou alors s’il va continuer dans son ignorance. « Je n’avais plus vraiment d’attaches là-bas. » Meryl joue nerveusement avec ses doigts tout en le fixant. « J’avais besoin de changer d’air, de renouveau et de reprendre ma vie en main alors je me suis dit que changer de pays serait une bonne idée. » Pour le coup, la blonde joue la carte de la franchise avec lui et puis ne serait-ce pas ce qu’il a fait lui ? Tout quitter sans se retourner pour avoir une chance de refaire sa vie loin du bordel qu’avait été sa première vie ? Là encore, elle se demande s’il fera le parallèle ou si une fois de plus, il restera aveugle. « Comment vous savez que je suis Américaine ? Mon accent est aussi ingrat que ça ? »

Meryl n’avait pas le souvenir d’une telle paranoïa chez son aîné... Pour être franche, elle n’avait au final que peu de souvenirs de cette époque et peut-être qu’elle avait idéalisé la chose ?! Sûrement même, elle aurait aimé partager la complicité d’un frère et d’une soeur qu’elle avait déjà pu observer chez des amis. Ce lien fraternel, elle aurait aimé pouvoir dire que ses frères n’auraient pas hésité à la défendre elle-aussi si on était venu l’ennuyer dans la cour de récré, mais si Gabrielle avait en partie tenu ce rôle, elle avait au fil du temps omis de les ajouter à son histoire de vie sans pour autant les effacer de sa mémoire. La blondinette avait juste pris soin d’arranger les choses pour éviter toute question comme elle l’avait fait pour sa mère et son père. Ils étaient morts tous les deux, personne n’avait besoin de savoir que sa mère s’était tirée et que son paternel avait préféré se suicider plutôt que d’assumer son rôle de père. “Et en réalité, c’est quoi votre rêve ? Le métier pour lequel vous avez envie de vous lever le matin ?” Ce qui la fait vibrer ? « Je ne sais plus vraiment, fut un temps je vous aurai dit infirmière, mais je ne sais pas si j’aurai su être à la hauteur. » Elle remarque son visage tiquer lorsqu’elle prononce leur ville natale.  “Las Vegas ?” Elle acquiesce d’un signe de tête, demeure silencieuse, observatrice. Ca la blesse qu’il ne daigne même pas lui trouver un air de famille, mais elle ravale sa déception la blonde, ça fait vingt ans après tout, elle a changé, elle a grandi, mais elle avait peut-être cru qu’ils avaient pris de ses nouvelles au travers de Gabrielle, désillusion amère qu’elle se prenait finalement en pleine face.

“C’est un grand risque de changer de pays, surtout quand on a aucun pied à terre. Il me semblait pourtant que les états-unis avaient tout à offrir ! ” Pas tout non, ça n'offre pas de famille de rechange quand la vie vous en prive !  “ Las Vegas est une ville où l’ambition n’a aucune limite, pourquoi l’Australie ?” Elle sourit à cette affirmation, le genre de sourire qui en dit long sur l’amertume qui lui brûle la gorge. « Las Vegas a foutu en l’air ma famille, enfin un ersatz de famille. Mes parents y sont décédés quand j’avais un truc comme cinq ans... » Là tu vas la voir l’allusion ou il faut que je sois encore plus explicite sur les détails de ma vie pour que tu captes enfin les choses Alex ?! Elle soupire, se rappeler ce genre de chose n’était pas vraiment quelque chose qu’elle avait prévu. « Cette ville n’a absolument rien de brillant quand on s’éloigne du bling bling et du m’as-tu-vu surcoté. Et puis entre nous, c’est plus pareil depuis que Celine Dion n’est plus en résidence au Caesars Palace...» La vérité, c’est qu’elle déteste cette ville qui a vu voler en éclat son innocence. Elle n’y a d’ailleurs pratiquement jamais remis les pieds, elle en a trop cauchemardé pour vanter les mérites de ce lieu de perdition. « Quant au choix de l’Australie, j’ai fait tourner une mappemonde et mon doigt a atterri ici. Ca vous va comme explication ? Où vous voulez aussi savoir à quel âge j’ai perdu ma première dent ? » Elle perd un peu de sa faible patience à mesure que le temps s’égraine et qu’il la suspecte de tous les maux sans même y mettre les formes. Il a beau tenter d’arrondir un peu les angles en jouant les patriotes, le mal est fait dans sa poitrine. “Et donc, si je vous propose un poste de serveuse aujourd’hui, qu'attendez-vous de ce poste ? ” Elle n’a pas la moindre envie de répondre à cette question, pour la bonne et simple raison qu’elle n’en a strictement rien à faire de ce foutu poste de serveuse. Elle n’est pas venue passer un putain d’entretien ou étaler son CV et sa lettre de motivation pour faire partie de sa vie. « Je suis pas certaine de savoir ce que vous voulez entendre en fait... » Elle fait glisser ses doigts contre la table, toujours tendue, mais cette fois elle prend son courage à deux mains pour le fixer droit dans les yeux... Et il lui en faut du courage pour le confronter vu comment il l’impressionne le brun. Déjà gamine il avait ce mystère qu’elle n’avait jamais su saisir, alors aujourd’hui que la vie l’avait marqué c’était pire encore. « Vous savez quoi... Laissez tomber ça le fera pas. » Elle soupire en secouant la tête. « Je sais pas vraiment ce que j’espérais trouver en venant ici.» Un frère ?! La blonde détourne une nouvelle fois le regard pour cacher la blessure. « C’était une idée stupide. Je ferai mieux de partir... Je vous ai assez fait perdre de temps ! » Pourtant l’américaine n’arrive pas à décoller de son siège. Comme s’il allait avoir l’étincelle de lucidité qui lui ferait comprendre.

Deux étrangers, deux parfaits inconnus alors qu’ils partageait un seul et même nom de famille. Une histoire commune, au moins en partie qui aurait pu les lier, mais qui a défaut de l’avoir fait avait finalement creusé un fossé digne de la fosse des Mariannes tant le gouffre semblait profond à mesure que les secondes s’égrainent. Elle lui lance des indices pourtant, des bribes d’informations disséminées ici et là alors qu’elle espère éhontément qu’il aura la révélation. La blonde espère qu’il remette un nom sur son visage, qu’il se souvienne de son existence malgré les années qu’ils ont passées si loin l’un de l’autre. «Je ne peux que confirmer vos dires ...» Le contraire l’aurait étonnée, elle était trop petite à l’époque pour se souvenir des coups, mais elle se souvient des cris, des disputes entre son père et ses frères, du temps passés dans sa chambre quand Gabrielle lui disait de mettre ses mains sur ses oreilles ou lui disait de chanter ce qu’elle avait appris à l’école pour ne pas entendre...

«ça ira, j'ai tendance à être très curieux, un vieux réflexe.» Peut-être a t’il saisi son agacement face à l’interrogatoire qu’elle subit depuis qu’elle a posé son fessier sur cette chaise. Elle s’était attendu à des questions, mais pour être franche, elle avait plus facilement imaginé qu’il daigne lui demander comment elle allait et ce qu’elle devenait depuis toutes ces années. Elle perd patience et se braque, consciente à présent que la lumière ne se fera pas sauf si elle se révèle à lui, ce qu’elle n’est plus certaine de vouloir faire à présent. Blessée dans son amour propre, la cadette Strange n’a nullement l’envie de s’abaisser à ça alors elle prépare sa fuite, bien décidée à foutre le camp maintenant qu’elle sait. Et si elle est encore là, c’est parce qu’elle a décelé dans son regard un frisson d’angoisse se saisir de lui. C’est subtile, à peine quelques secondes tout au plus... mais c’est là et la blonde se demande bien ce qui a pu lui passer par la tête. «Je m'excuse. Je ne voulais pas vous effrayer ou vous faire fuir avec mes questions.» C’est trop tard, il le sait et elle aussi, Meryl a déjà un pied loin d’ici quand il s’acharne à la retenir soudainement. «Si ça vous intéresse de venir travailler ici, je peux vous proposer un essai un soir si vous voulez. Je vous laisse ma carte, n'hésitez pas à me contacter si ça vous tente.» Un rire sarcastique lui échappe, alors qu’elle secoue la tête toujours silencieuse. Elle fixe le bout de carton sans vraiment prêter attention aux détails qui s’y trouvent. Le sourire qui vient naître sur son visage n’a rien de joyeux, au contraire, elle peine à cacher la blessure qu’il vient de lui infliger sans même en avoir conscience. « T’as aucune putain d’idée de qui je suis, n’est-ce pas Alex ?! » Sa voix est nouée au possible alors qu’elle crache les mots comme elle peut. Elle en oublie le vouvoiement, estimant que le stade de la politesse est largement dépassé. « J’en n’ai strictement rien à faire de ton restaurant, j’ai jamais eu l’intention de bosser ici... Je voulais juste... » Elle se ravise d’en dire trop, qu’il reste dans le doute ! « Je pensais... Je pensais que Vegas suffirait, que mon visage te rappellerait peut-être quelque chose, mais faut croire que non... » Et ça lui meurtrie la poitrine de faire ce constat car au fond ça ne fait que la conforter dans le fait qu’elle n’a plus de véritable famille depuis belles lurettes. « Rassure-toi Alex... Je ne tournerai plus jamais autour de ton restaurant... C’est mieux pour tout le monde ! Je vais retrouver ma petite vie comme avant... Et toi la tienne... Après tout... tu es doué pour passer à autre chose n'est-ce pas ? » Elle ignore pourquoi elle a fourré le bout de carton dans sa poche, elle y songera plus tard. Pour l’heure, la blonde refoule ses larmes et son envie de tout retourner. Elle n’a pas envie que son frère appelle les flics, ni de passer pour une hystérique, alors elle préfère s’enfuir sans se retourner. Il ne pourra pas la retrouver de toute façon, elle resterait une inconnue, rien de plus !