Alma ne s'attendait qu'à une soirée banale. Ses journées se suivaient en se ressemblant toutes les unes et les autres, et bien qu'elle s'était demandé comment se sortir de cette routine barbante qui était en train de s'installer, elle espérait y trouver une réponse agréable plutôt que néfaste, comme ça arrivait souvent. Elle aurait mieux fait d'y penser un peu moins, puisque le bruit d'un poing sur sa porte vint la surprendre alors qu'elle venait d'éteindre son ordinateur. Elle s'était évidemment empressée d'aller ouvrir la porte, et il lui fallut un instant avant de réaliser que la personne qui se tenait face à elle était Winston. Inutile de dire que sa présence sur son palier était surprenante. Si elle ne s'attendait pas avoir de la visite, elle s'attendait encore moins à le voir lui. Ils avaient beau avoir passé quelques bons moments lors de leurs dernières rencontres plus ou moins hasardeuses, ils étaient loin d'avoir retrouvé la proximité nécessaire dans une relation pour prétendre débarquer chez l'autre par surprise à n'importe quelle heure. Winston ? Comment t'es entré ? Le regard d'Alma ne quittait pas celui du brun, cherchant à comprendre ses motivations au travers de ses expressions. Il ne lui fallut pas bien longtemps avant de comprendre que ses yeux rougis et ses cernes marqués provenaient d'une consommation un peu trop importante d'alcool, et ce détail inquiétait clairement la jeune femme. Gifle moi. Elle fronçait les sourcils, ne cachant pas sa surprise. Ce serait mentir de dire qu'elle n'en avait pas rêvé, deux ans auparavant. Elle s'était bien souvent imaginée lui coller sa main bien violemment sur la joue, juste parce qu'il l'aurait bien mérité pour la façon dont il l'avait traitée en rompant du jour au lendemain, sans plus donner de nouvelles ni d'explications. Alors l'espace d'un instant, face à lui ce soir là, elle eut une seconde d'hésitation. Elle réprimait pourtant cette envie bien rapidement, consciente que le passé était loin d'eux, qu'ils ne se devaient plus rien. Elle aurait beau toujours lui en vouloir de l'avoir abandonnée, ce soir il lui faisait de la peine plus qu'autre chose. Quoi ? Qu'attendait il ? Espérait-il être pardonné de ses actes si Alma le giflait ? Pensait-il que leurs cœurs seraient plus légers après une simple baffe ? Oui, elle aurait adoré le voir souffrir à une époque, parce qu'elle lui en voulait. Mais à cet instant précis, obéir à cette demande n'aurait rien apporté à la brune, et n'aurait certainement pas aidé Win non plus. Sérieusement. Gifle moi. Elle n'aurait su dire s'il se sentait plus désespéré ou coupable, n'aurait su expliquer pourquoi il agissait de la sorte. Si ça avait un lien avec leur rupture, il était là deux ans trop tard. En même temps, Alma ne voyait pas de quoi dire il aurait pu s'agir. De toute façon tu finiras par le faire. Est-ce qu'il comptait rester sur son palier en priant pour une gifle encore longtemps ? Elle secouait la tête, démunie. Elle aurait presque failli répondre à sa demande pour qu'il arrête de l'exiger, mais elle ne pouvait pas se résoudre à le faire, de toute manière. Arrête de raconter des conneries. Qu'elle lançait sur un ton ferme, refusant de le voir dans cet état sans en connaître les raisons. Se flageller ainsi n'avancerait à rien. Elle n'était pas froide ni piquante, elle refusait de l'être avec lui alors qu'il semblait au plus mal. Mais elle avait appris à ne plus se laisser berner si facilement, à construire des murs pour se protéger. Elle ne faisait que les ériger face à lui. Tu peux me dire ce que tu fais chez moi à cette heure ci ? Qu'est-ce que tu veux ? Il n'était pas si tard que ça, mais assez pour qu'Alma soit prête à se mettre en pyjama pour finir sa journée en scrollant sur son téléphone. L'essentiel n'était pas là, il résidait surtout dans le fait que cette situation était totalement inattendue, d'autant plus qu'il leur restait un milliers de choses à régler. Leurs derniers échanges, aussi positifs qu'ils aient pu être, n'avaient rien réglé entre eux : elle craignait qu'il ne soit là pour le faire à l'instant, alors même qu'elle ne s'y attendait pas.

Elle avait eu des pensées violentes à son encontre, Alma. Elle s'était imaginée lui faire du mal, elle s'était imaginée lui envoyer Rudy comme messager de sa vengeance. Jamais elle n'avait agit, pourtant. Et jamais elle n'aurait osé lever la main sur Winston, ni à l'époque, ni aujourd'hui, et surtout pas dans un contexte aussi mystérieux et qu'elle devinait plutôt dramatique, au vu de son état. Elle était surtout perdue et pleine d'incompréhensions sur les objectifs de sa venue ici, sur ce qui l'avait poussé à venir en agissant de la sorte. Parler. Après je te laisse tranquille. Qu'avait-il de si urgent à lui dire, pour que ça ne puisse pas attendre le lendemain, que ça ne puisse pas se faire par un sms ou un appel ? Parle, alors. Ses bras vinrent se croiser sur sa poitrine comme si elle avait besoin de se protéger, craignant ce qu'il pourrait bien lui dire. Alma n'avait jamais eu peur de Winston, elle n'avait eu peur que de le perdre. Pourtant ce soir, alors qu'elle le voyait paniqué, elle craignait les mots qui pourraient sortir de sa bouche. Pas parce qu'elle s'attendait à des menaces, mais parce qu'elle se doutait que la situation serait compliquée. J’fais que des conneries Alma. Je sais plus comment faire. Il avait l'air paniqué, le regard fuyant. Ses gestes trahissaient son stress, qu'elle commençait déjà à ressentir elle aussi. Quoi ? T'as fais quoi comme conneries ? Elle aurait pu lui crier de s'en aller, que ce n'était plus son problème, qu'il n'avait qu'à aller raconter ses débâcles à n'importe qui plutôt qu'à elle. Ça lui était impossible. J’dois de l’argent aux mauvaises personnes. J’ai flippé quand ça a dégénéré. Alma était en colère. En colère contre Win de venir lui infliger ça, parce qu'il savait très bien au fond de lui qu'elle n'aurait pas la force de le laisser se débrouiller. Mais elle était en colère contre elle même aussi, et justement pour cette même raison. Dégénéré ? Il s'est passé quoi bordel Win ? Qu'elle demandait, au tac-o-tac. J’suis parti chez Reese. Mais il est plus là. Au lieu de réponses il ne lui offrait que plus d'énigmes, ce qui n'aidait pas la brune à se faire une idée claire de la situation dans laquelle son ex se trouvait. Il est où ? Vous vous êtes engueulés ? Devait-il de l'argent à Reese ? Non, ça n'aurait eu aucun sens. Elle secouait la tête pour reprendre ses esprits, et l'empêchait de répondre en lui coupant la parole. Tu sais quoi laisse tomber. Viens, entre et vas t'asseoir sur le canapé, j'arrive. Rester au milieu du couloir de son immeuble n'était certainement pas le meilleur endroit pour aborder des sujets qui semblaient trop sérieux. Quoi qu'elle avait toujours un doute qu'il n'aggravait pas son propos, influencé par l'alcool qu'il semblait avoir bu. Elle refermait la porte derrière lui et passait à la cuisine pour lui chercher un verre d'eau, comme si celui ci allait aider Winston à décuver pour qu'il éclaircisse son discours. Sur son palier, la discussion était restée floue et les réponses qui s'enchaînaient aussi vite que les questions n'avaient pas apporté plus d'éléments que ça, au final. Alors elle prit un instant pour respirer, posait le verre sur la table basse du salon pour qu'il puisse s'en servir s'il en avait envie, et s'installait dans un coin du canapé avant de réfléchir quelques secondes pour remettre ses idées en place. T'es en danger, là tout de suite ? Et Reese ? Faut que j'appelle les flics ? Elle essayait d'analyser comme elle le pouvait la situation, tentant d'en connaître le degré d'urgence. S'il y avait des risques qu'il soit en danger, il était hors de question qu'elle le laisse repartir, et surtout pas dans cet état. Raconte moi tout, je t'écoute.

Souvent, Alma s'était dit qu'elle rêvait d'être un peu plus comme ceux qui arrivent à ne rien ressentir, qui se ferment au monde parce que c'est plus facile ainsi. Elle avait compris entre temps que ceux là mentaient ; que leur froideur n'était que le reflet de trop lourdes souffrances, qu'ils avaient simplement décidé de faire comme si tous ces sentiments brûlants qu'ils ressentaient au fond d'eux n'existaient pas. A vrai dire, elle parvenait parfaitement à prendre sur elle et cacher ses émotions au fond d'une boîte lorsqu'il s'agissait de protéger sa famille ou ses proches ; mais elle avait bien plus de mal lorsqu'il s'agissait de se protéger elle même. C'est pour ça qu'elle avait ouvert sa porte à Winston alors qu'elle aurait dû lui dire de rentrer chez lui et de garder ses problèmes pour lui. Parce qu'elle ne lui devait plus rien, depuis déjà longtemps. Pourtant elle avait pris la décision de l'accueillir, d'écouter ce qu'il avait à dire, de prendre le temps d'aller lui chercher de quoi boire. La bienveillance était certainement la plus grosse qualité d'Alma, mais c'était aussi ce qui lui portait le plus préjudice pour son propre bien. Et alors qu'une petite voix dans sa tête lui criait de ne pas poser de questions, de le laisser dormir sur le canapé pour décuver tout en l'évitant précautionneusement en allant s'enfermer dans sa chambre, elle s'installait dans le coin du canapé, à une distance raisonnable de son ex, avant de l'enjoindre à lui donner plus d'explications, une inquiétude clairement présente dans la voix. Non. Juste, n’appelle pas les flics. Les sourcils de la brune se fronçaient alors qu'elle se demandait désormais si Winston n'avait pas fait quelque chose de grave, s'il n'avait pas blessé ceux à qui il devait de l'argent, ou pire. Mille pensées lui traversaient l'esprit. En réalité, elle ne savait plus à qui elle avait à faire, tant il lui avait montré des personnalités diamétralement opposées au cours de leur relation et après. De petit ami parfait à véritable enfoiré parti sans prévenir, elle avait du mal à discerner le vrai du faux, à savoir qui était lequel était le vrai Winston et lequel n'était qu'une imposture. Elle avait longuement espéré que ses bons côtés étaient ce qui le caractérisait vraiment et que tout le reste n'était qu'une erreur de passage, mais plus le temps passait ce soir, en le voyant ici, plus elle se demandait si elle devait avoir peur pour lui, ou de lui. Au fond, elle était persuadée qu'il n'était qu'une victime, mais elle avait besoin d'en avoir le cœur net. Alors elle lui demandait de poursuivre, pendue à ses lèvres, impatiente de savoir ce qui avait bien pu le mettre dans cet état. J’ai déraillé. Elle se pinçait les lèvres, plus inquiète encore désormais. J’ai eu des soucis financiers. Et j’savais pas que j’avais emprunté de l’argent à des types chelous... Enfin pas autant. Elle l'observait sans prononcer un mot, refusant de le couper pour une fois qu'il s'était décidé à enfin s'exprimer. Je l’ai compris seulement quand j’ai eu des soucis pour les rembourser. Et là elle ne pu ressentir plus que de la peine pour lui, parce qu'elle n'osait même pas s'imaginer ce qu'il avait pu vivre avec cette situation. J’voulais pas te mêler à ça à l’époque. Elle se redressait soudain dans un rebond, ne réalisant pas vraiment ce qu'elle venait d'entendre. A l'époque ? Sa tentative d'interrompre son récit ne semblait pas fonctionner, frustrant Alma qui avait mille questions qui lui brûlaient les lèvres. Je savais pas quoi faire. Reese va bien. Enfin je crois. Je sais pas où il est. Enfin si, à Sydney, mais je sais pas où. Elle ignorait que Reese avait quitté la ville mais se rassurait de le savoir parti plutôt qu'en danger. Elle ne réagissait pourtant pas à cette information puisque les paroles du brun avant ça avaient bien plus attiré son attention. Attends attends, Win, t'es en train de me dire que ce que tu me racontes là s'est passé quand on était ensemble ? Comment avait-elle pu ne pas s'en rendre compte ? Était-ce là toute l'explication de ses changements d'humeur et de comportements à son égard ? C'est pour ça que tu m'as quittée comme ça ? Prononcer ces mots lui faisait mal et l'expression sur son visage le prouvait sans mal. Elle brûlait de connaître enfin cette vérité qui l'avait fait tant souffrir, pourtant elle avait tant de mal a y faire face. Je veux que tu me racontes tout, j'ai besoin de savoir. Qu'est-ce qu'ils t'ont fait quand t'as pas remboursé ? Elle préférait se concentrer sur les faits plutôt que sur ce qu'elle ressentait, même si ses mains presque tremblantes et ses yeux gorgés des larmes qu'elle retenait montraient clairement l'état d'esprit dans lequel elle se trouvait. Il lui fallait des réponses ; elle s'effondrerait après les avoir eues.