(novembre 2014) Les mots ont été plus violents que toutes les claques et coups que Zoya aurait pu te donner. Tu aurais préféré, au final. Qu’elle te frappe. Ça aurait été passager puis ça se serait passé. Mais les mots… Les mots sont en boucle dans la tête. T’es rien du tout en fait. Bon dieu que ça te brise le cœur de réentendre ça sans cesse. Et ça te fait chier que ça te fasse aussi mal. Après tout, deux ans à habiter ensemble et à rajouter des ‘plus si affinités’ sous les draps, ça ne peut pas se finir comme ça. Ça ne peut pas se terminer avec un brutal T’es rien du tout en fait. Le comble de l’horreur est que Lila n’est pas en ville. Tu ne sais pas si tu as les clés de son appartement ce soir. De toute façon, tu n’es pas sûre d’avoir envie d’être seule ce soir. Tu vas devenir folle. Tu risques de faire une bêtise, comme envoyer un message à Zoya pour lui dire que ce n’est qu’une sale saloperie dont tu ne veux plus jamais entendre parler. La vérité est à l’opposé de cela, mais t’es encore trop en colère, trop plongée dans le désarroi et le choc pour avoir les idées claires.

Alors naturellement, tu fais un détour avec ton van. Tu fais grincer les pneus beaucoup trop fort sur le bitume et tu manques presque de te prendre un poteau - ça aurait bien été ta veine. La journée avait été déjà si naze, cette dispute est la goutte d’eau qui a créé la tempête en toi. Tu passes une main sur ton visage et une fois que t’as réussi à trouver une place où garer Van Gogh - foutu quartier où y a jamais de place pour personne aussi - tu restes un moment assise derrière le volant, moteur éteint. Tu n’as même pas songé à envoyer un message à Will. Will n’est pas comme Lila. Will est toujours présent, Will a des obligations maritales. Bon dieu que ça aussi, ça t’agace. Si tu vas voir Will, tu vas forcément voir Sofia. Si avant, c’était jamais Will sans Birdie, maintenant, c’est devenu jamais Will sans Sofia. Ce qui te fait grimacer alors que ton front se pose sur le volant. Mais tu ne peux pas rester seule et ton meilleur ami est toujours le choix par défaut, qu’importe ce qu’il arrive. Tu as tellement galéré à retrouver ses bonnes grâces… Si t’as réussi à récupérer Will, tu trouveras une solution avec Zoya, n’est-ce pas ? Pour l’instant, t’en as aucune envie mais c’est normal, t’es en colère.

Au lieu de toucher ton téléphone, tu prends ton sac sur ton épaule avec le nécessaire de base et tu files droit vers l’appartement de Will, et sa femme. Tu montes jusqu’à leur étage puis tu sonnes avant de tambouriner du poing contre la pauvre porte qui n’a rien demandé. Ils sont longs à répondre, tu soupires, tu trépignes, puis enfin ton meilleur ami ouvre la porte. « Birdie ? Qu’est-ce que tu fais là à cette heure-ci ? » tu ne fais pas attention que Will soit torse-nu - ce n’est pas comme si c’est la première fois - alors que tu t’engouffres sans crier gare dans l’appartement. “J’ai besoin d’être hébergée. Au moins pour ce soir… Et peut-être demain aussi.” puis tes yeux se posent sur Sofia et sa jolie robe moulante bien surprenante. Il y a un film qui tourne à la télévision, deux verres de vin sur la table basse et, well, Will torse nu. Tu pinces tes lèvres. “J’interromps quelque chose ?” nooon, pas du tout, Birdie. C’est bien pour ça que tu te permets de mettre ton sac sur un des chaises de la salle à manger avant d’ôter tes chaussures, n’est-ce pas ? “Est-ce qu’il reste du vin ? Je dirai pas non à un verre.” que tu dis en venant t’affaler sur le canapé, comme la pauvre âme sans domicile que tu es. “Jolie robe.” que tu soulignes à Sofia en la pointant du doigt. Pas très originale mais ça la met en valeur. Si seulement elle n’était pas aussi coincée, ni aussi mariée, ni aussi hétéro… Ni aussi amoureuse de ton meilleur ami.

« Arrête ça va, c’est bon, tu sais bien que j’essayais juste de dédramatiser et de vous faire rire. » tu n’es pas d’humeur à rire, t’as plutôt envie de crier et tu te refrognes un peu plus dans le canapé où tu viens de prendre place avec ton verre de vin dont tu t’es généreusement servi car tu l’as bien mérité. « Sous prétexte que ta soirée a été pourrie, tu viens gâcher la nôtre et tu te plains en plus, on va trinquer à ça, à notre soirée pourrie à tous les trois. » ta tête tourne vers Sofia pour la flinguer du regard. “Qu’est-ce que t’as, les ovaires en feu ? T’es féconde et c’est maintenant pour faire un gosse ? Y’a une urgence quelque part ? Si la réponse est non à tout ça, alors tu peux te casser.” t’as un sacré toupet sachant que c’est chez elle et qu’elle n’a pas tort mais plutôt mourir que de t’excuser de gâcher leur soirée. Surtout que dans le fond, elle n’a rien d’exceptionnelle, cette soirée, non ? Du vin, une petite robe et ça allait juste baiser sur le canapé - ou plutôt dans le lit car tu n’imagines pas sainte Sofia le faire n’importe où. Tu n’es pas de bonne humeur, tu n’as rien d’un soleil et ça prouve que le coup a été brutal. Ce n’est pas rien de se disputer avec sa colocataire qui est aussi une de tes amies les plus proches. T’as l’impression de vivre une rupture, c’est aussi simple que ça.

« Pourquoi vous vous êtes disputées ? » les raisons te reviennent en tête et tu te sens tellement stupide que t’en soupires. T’allais pour étaler à ton meilleur ami ce qui allait sûrement se retourner contre toi - car t’as vraiment été conne, oui, mais Zoya a aussi dit des mots très durs à ton encontre - mais Sofia te prend de court. « Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Qu'est-ce que tu as fais encore ? » tu vas l’exploser si elle continue comme ça. La brune est incroyablement mauvaise quand elle n’a pas eu son coup, apparemment. « Sof, arrête ça. » Si même Will la reprend, c’est que tu ne te fais pas des idées - elle va trop loin. « Tu peux rester ce soir et pour quelques jours si tu veux. Je vais pas te laisser à la rue. » Tu hoches la tête en souriant brièvement. “Merci, Will.” et t’es sincère parce que t’es vraiment abattue. “Zoya m’a dit que j’étais rien pour elle. Pas une amie, rien du tout.” tu commences par la fin, oui, car c’est ce qui t’a le plus flinguée dans tout ce qu’elle a pu dire. Votre relation a toujours été trop intense, de toute façon. Une amie, une sex friend, une colocataire… Tu tripotes ta main contre ta jupe. “J’ai peut être été un peu jalouse. Mais ça justifiait pas de me faire une remarque pareille! Comme si on était rien l’une pour l’autre!” tu reprends quelques gorgées de vin. “C’est comme si je te disais que t’es rien pour moi.” que tu dis à Will avec un geste entre vous, avant de tourner la tête vers Sofia. “C’est juste un exemple, princesse, hein.” parce que Will ne sera jamais rien pour toi. Au grand damne de sa femme. Elle l’a eu pour elle seule pendant deux ans, on voit le résultat.

« Si tu penses que je vais partir de chez moi, tu rêves, et si ça te plaît pas, tu sais où est la porte. » oui, c’est qu’elle mord et elle se défend plutôt bien, la nouvelle petite Dunham, ce soir. Birdie fait un signe de la main, l’air de dire “cause toujours” car elle s’en fout royalement de ce que peut dire Sofia. Ca ne l’a jamais vraiment intéressé, à part pour venir bourdonner ses oreilles d’un son affreux et très pénible. Comme une mouche dont on n’arrive pas à se débarrasser, vous voyez ? « Et c'est pas mon genre de fuir. » L’oiseau roule des yeux mais ne réplique pas - elle est maligne, elle ne veut pas non plus que son meilleur ami la foute à la porte parce qu’elle a mal parlé à sa dulcinée qui est en train de lui hérisser les poils. Décidément, Birdie n’est pas faite pour copiner avec les moitiés de ses amis et l’histoire le prouvera mille fois de plus. « Toi jalouse non j'y crois pas ? » blablabla, la Cadburn ne l’entend pas, elle ne veut pas, y’a pas besoin. Elle est plongée dans son récit, dans son mal de coeur face au rejet de Zoya et de ses mots surtout qui ont été d’une violence folle. « Elle a un vrai problème cette meuf tu sais. » Ah. C’est marrant comment les rôles sont inversés, tout d’un coup. Parce que c’est Birdie qui se met à soupirer en l’entendant dire ça. Penser que Will prendrait la défense de Zoya, quelle idée. « Elle fait pitié, tu mérites mieux Bird. » Son regard bleu se plante dans celui de son meilleur ami. “Tu dis juste ça parce que tu l’aime pas. Mais ça fait mal, Will. Vraiment.” Flashnews. Non, pas du tout. Elle pourrait lui répliquer qu’elle pourrait lui dire la même chose. Mais elle ne va pas le faire. Elle veut gagner des points de maturité (meh) face à Sofia.

Les yeux perdus dans le vide, elle ne s’est pas rendue compte que Will avait pris la main de Sofia pour l’entraîner ailleurs. « Excuse-nous deux minutes. » C’est ça qui la met sur la voie et la voilà qui les observe s’éclipser dans la cuisine en levant son verre à la bouche. Elle balance ta tête contre le dessus du dossier du canapé, les yeux clos. C’est fatiguant, les relations humaines. Surtout quand on les ressent aussi fort que Birdie. Elle prend tout trop à coeur et là, elle a vraiment le sentiment d’avoir vécu une rupture. La brune a beaucoup de défauts, elle est chiante, pénible, tempétueuse mais la Cadburn l’adore. Elle ne peut pas s’empêcher d’être attirée par les fortes personnalités, les hors du commun, ceux qui perturbent l’ordre des choses. Pas comme Sofia, ou la femme de Malachi, qui veulent à tout prix respecter les clous, les règles, les lois. Qu’est-ce que c’est chiant. Voilà que le verre est de nouveau porté à ses lèvres que le petit couple revient, main dans la main - à vomir. Elle n’a jamais autant regretté qu’on ne lui tienne pas la main elle aussi qu’à ce moment précis, où elle se sent d’une grande solitude. C’est le contre coup, ça finira par passer. « Bon. Puisque tu vas être ici pour les prochains jours je propose qu’on établisse des règles. » “Je compte pas rester là trop longtemps, hein.” Elle a besoin de sa liberté et y’a des chances pour que certains jours, ils ne la voient pas car elle aura pris son van pour aller voguer ailleurs. « Règle numéro un : Will a toujours raison. » elle a un bref rire moqueur. “Je crois pas, non.” « Règle numéro deux : pas de cris, pas de tirage de cheveux, pas d’insultes non plus, s’il vous plaît. » Son sourcil s’arque. “Pas de Will qui me répète à quel point Zoya est nulle.” Parce que sinon, ce n’est pas drôle. “Je suis sûre que t’adorerai nous voir nous tirer les cheveux en petites culottes.” qu’elle glousse en buvant de nouveau quelques gorgées de vin. “C’est bon, j’ai pas cinq ans. Je peux me tenir pour quelques jours.” Elle regarde Sofia. “La maîtresse de maison peut en dire autant ? Si elle m’attaque, tu sais que je me défendrai.” Mais ça n’arrivera pas parce que Sofia est gentille, mignonne, adorable, n’est-ce pas ?