Son coeur avait manqué un battement et Greta avait dû relire le message plusieurs fois avant que les mots forment enfin une phrase cohérente. Une phrase qu’elle aurait préféré ne jamais avoir à lire. Ils s’étaient rencontrés grâce à son métier et pourtant, ce même métier l’inquiétait parce qu’il le mettait constamment en danger. La liste de ses connaissances sur Brisbane s’allongeait, mais celle de ses réels amis restait maigre et il lui était difficile de savoir que l’un deux risquait sa vie pendant qu’elle tentait d’écrire chez elle, en sécurité. Ayant grandi dans son cocon doré, Greta n’avait jamais vraiment eu à faire face à de pareilles situations et sa réaction aurait probablement dû être de courir à l'hôpital pour le voir. Pourtant, elle était restée silencieuse, avait retourné le problème dans tous les sens et presque une semaine s’était écoulée avant qu’elle ne réussisse à prendre le chemin de cette chambre qu’il n’avait pas quittée - ou alors, sans la prévenir, ce qui n’aurait pas été si étonnant.

« Enfin. J’ai failli attendre que tu finisses par te décider à me rendre visite. » « Arrête. Dis pas ça s’il te plaît, c’est juste pas facile… » Son regard brillait déjà au moment où elle était venue le planter dans celui de Lucas. Depuis leur rencontre, l’humour avait été le point fort de leur relation mais ce jour-là, en le voyant ainsi alité, Greta n’avait aucune envie d’un ton léger. Cependant, elle se rendait bien compte que sans la plaisanterie, elle pouvait se mettre à pleurer à tout moment et ce n’était pas ce dont elle avait envie en venant aujourd’hui. « J’ai encore eu un super timing, si j’arrivais dix minutes plus tôt, t’aurais peut-être déjà remis ton t-shirt ! Alors, t’étais occupé à draguer l’infirmière ? » Greta s’était assise en lançant un sourire forcé à son ami pour rajouter à la provocation. Il était salement amoché et peut-être que si elle avait réalisé l’ampleur des brûlures de son torse elle aurait évité cette mauvaise blague. Elle savait qu’il ne lui en tiendrait pas rigueur, ce qui le ferait tiquer était qu’elle enchérisse sur le ton de l’humour. Il lui avait effectivement alors lancé un regard noir et à juste titre, elle venait de le reprendre parce qu’il avait plaisanté et elle en faisait de même juste après. « Oui par contre moi j’ai le droit de plaisanter parce que bordel qu’est ce que tu m’as fait peur avec ton SMS… Comment tu vas ? C’est débile de demander ça mais l’infirmière a parlé d’anti-douleurs, tu souffres pas trop ? » La tentative d’humour n’était rien face au flot de ses paroles qui était sa seule réaction possible face aux différentes émotions qui se bousculaient dans sa tête. Greta avait peur, elle ressentait une réelle empathie pour lui, elle grimaçait en le voyant en faire autant tant la douleur semblait intense… et plus que tout, Greta était empreinte d’un immense sentiment de culpabilité et elle se devait de se justifier. « J’ai vraiment eu peur, Luke. J’ai mis du temps à venir, je sais pas, c’est difficile pour moi. Et puis, je ne savais pas trop si tu m’attendais, je me suis dit que tu allais déjà être hyper entouré… » Parce que son reproche lui laissait penser que oui, il attendait bel et bien sa visite. Leur amitié lui semblait certes sincère mais pour elle, il était difficile d’imaginer si cela rendait légitime cette visite. Il était au plus mal, son torse était brûlé et il dépendait des anti-douleurs et du personnel soignant. Il était vulnérable. Encore une fois, le voir dans cet état lui déchirait le coeur mais Greta s’était reprise pour lui apporter le réconfort dont il avait sûrement le plus besoin en ce moment. « Vas-y, tu peux te moquer de moi maintenant, mais ce sera retenu contre toi quand tu sortiras d’ici. » Maladroite comme à son habitude, la jeune femme avait à peine approché sa main de la jambe de Lucas pour lui signaler son soutien que celui-ci l’avait arrêté en lui attrapant le poignet. Ils s’étaient fixés, sans parler, et elle avait compris que la situation était peut-être encore pire que ce qu’elle avait pu imaginer.

Greta n’avait jamais autant levé les yeux au ciel que depuis le début de leur amitié. Sa façon de se vanter d’avoir mis les infirmières à ses pieds lui avait rendu son sourire et la blonde avait tenté de le garder même après qu’il ait insisté sur cette amie qui était venue le voir en se surprenant de prier pour qu’il ne fasse pas référence à la jolie brune qu’elle avait croisé dans les couloirs. Il était clair que le sentiment de jalousie n’était en aucun cas valide mais c’était plus fort qu’elle et elle s’en fichait puisqu’il n’en saurait jamais rien. A ce moment précis, la jeune femme lui était surtout reconnaissante de tenter de la faire rire car la situation était bien plus compliquée que ce qu’elle aurait pu imaginer. L’intensité de son geste l’avait tirée de ses pensées et elle avait écouté, impuissante, les tentatives échouées du garçon de la rassurer. « T’inquiète pas, je vais me remettre. Ils vont me prescrire des séances de kiné, je serai bientôt en forme, tu verras. » Alors qu’il se justifiait, il parlait sans croiser son regard, elle le connaissait maintenant assez pour savoir qu’il mentait.

Greta restait silencieuse et continuait à le fixer avec ces même yeux brillants sans réellement parvenir à contrôler ses émotions. Plutôt que de tenter de savoir la vérité elle était restée silencieuse jusqu’à ce qu’il parvienne encore une fois à lui faire afficher un maigre sourire. « Et puis, il te faudra bien un pompier prêt à intervenir pour te sauver lorsque tu te casseras le petit doigt, non ? » Et Lucas avait enchaîné en insinuant qu’elle serait prête à appeler les pompiers pour la plus infime des blessures… Tout à fait et c’était exactement de cette façon qu’elle l’avait rencontré. Il avait été assez gentleman pour ne pas relever la façon dont elle l’avait fixé alors qu’il tentait de rester professionnel et avait mis sur le coup de la douleur le geste désespéré de Greta qui lui avait glissé son numéro “au cas où”. Il était vrai que la vision du sang sur sa cheville lui avait fait tourner la tête, mais elle s’était sentie extrêmement idiote après l’intervention, jusqu’à ce que le jeune homme la recontacte pour prendre de ses nouvelles. Après leurs retrouvailles, la relation était restée platonique et une réelle amitié s’était formée entre les deux. « La prochaine fois que je dois appeler les pompiers je leur préciserai bien de ne pas m’envoyer leur minaud agaçant mais les grands musclés qu’on voit sur les calendriers » lui avait-elle rétorqué avec un air faussement pincé. « Puisque visiblement t’es pas capable de réaliser la chance que t’as eu de sauver Greta Si… Moore. » L’ambiance était déjà assez particulière pour ne pas avoir à rajouter une conversation qu’ils auraient tout le temps d’avoir plus tard. Greta Moore, c’était comme cela qu’il la connaissait, Greta Sighbury importait peu. Ils s’étaient certes rapprochés mais l’auteure avait toujours pris soin d’éviter de trop rentrer dans les détails. Oui elle avait écrit un livre et venait de Londres, oui elle était à Brisbane parce que ses parents étaient aisés et la traînaient dans des événements tous plus ennuyant les uns que les autres… mais cela n’était pas allé plus loin. Alors qu’elle avait eu l’impression de pouvoir le perdre, Greta avait peut-être commencé à avoir des remords sur la façon dont elle avait éludé qui elle était vraiment. Des remords qui s’étaient intensifiés rapidement. « Je suis vraiment content que tu sois venue me voir. » Il l’avait donc attendu, ou n’était au moins pas surpris de sa visite. « Toujours là pour toi, loser. En retard, mais toujours là. » La simple idée de lui apporter un peu de réconfort rendait cette étape moins douloureuse.

Ce n’était finalement qu’au moment où il avait lâché sa main que Greta avait réalisé combien ce petit geste anodin lui avait fait du bien. Il n’avait pas été possible pour elle de continuer à se questionner puisque les médecins les avaient interrompus. La jeune femme n’avait même pas eu le temps de tenter de fuir pour ne pas assister à une scène encore plus intime que celle d’un Lucas affaibli dans son lit d’hôpital qu’ils avaient commencé leur interrogatoire. Elle s’était levée pour les laisser auprès de son ami et avait assisté impuissante à leurs manipulations et au spectacle désolant de sa jambe. Il ne lui avait pas tout dit, il avait essayé de minimiser la situation et malgré la complexité du moment, elle ne pouvait que lui en être reconnaissant. Ils avaient agi comme si sa présence était tout à fait normale alors qu’il y a quelques heures elle hésitait encore à franchir ce pas. « Tu vois, je t’avais dit qu’on prenait bien soin de moi, ici. » Il pouvait continuer à faire semblant autant qu’il le voulait, le moment de silence l’avait laissé se questionner sur le bien fondé de reproches et c’était une toute autre approche qui lui était venue. « Si je te demande un truc tu te moques pas, ok? » Greta était comme spectatrice de la scène et totalement submergée, tout cela était nouveau, il était important à ses yeux, il souffrait, tout s’accumulait … « Je peux te prendre dans mes bras ? » avait-elle demandé comme une enfant en mimant des guillemets avec ses doigts car il était évident que leur étreinte ne serait que minime compte tenu de ses blessures. Elle avait juste besoin de se rapprocher de lui pour se rassurer et confirmer qu’il était toujours bel et bien là. N’attendant pas réellement d’approbation, la jeune femme s’était penchée contre lui, posant sa tête sur son épaule et posant à peine son bras autour de lui. Les anti-douleurs, les cauchemars, sa jambe, les psychologues, ils discuteraient de ça dans une minute, après cette étreinte rassurante. « Imbécile. » avait-elle murmuré avant de se relever après un moment peut-être un peu trop long.

La jeune femme ne savait pas s’expliquer ce besoin irrépressible de se sentir contre lui mais elle estimait que le geste était minime comparé à ce qu’il venait de vivre, à l’inquiétude qu’elle avait ressenti et au temps qu’elle avait pris pour le retrouver. Greta avait beaucoup d’amis de différents horizons, qu’elle avait rencontrés à Londres ou ici à Brisbane, des amitiés anciennes et plus proches. Pourtant, son amitié avec Lucas avait quelque chose de différent. Il était calme, posé, différent de l’auteure en plusieurs points et pourtant si proche d’elle. Sa présence avait ce côté rassurant que Greta ne lui avouerait jamais et c’est la tête posée sur son épaule qu’elle s’était de nouveau sentie en sécurité. « Hé, looseuse. Si on sortait dehors, un peu ? » « Ouais parce que là on se croirait dans mon bouquin, depuis quand tu touches mes cheveux ? » Greta avait balayé la main de Lucas en riant, bien consciente que ce geste anodin lui avait plu et que la vulnérabilité de son ami la rendait un peu trop proche de lui. Plutôt que d’admettre une faiblesse de son côté, la jeune femme avait préféré le mettre dans l’embarras et relancer leur jeu favori qui consistait à sans cesse s’attaquer.

Alors qu’ils avaient mis fin à leur proximité, Lucas avait soudain fait une proposition à laquelle Greta ne s’attendait pas. « Hé, looseuse. Si on sortait dehors, un peu ? » Pouvait-il vraiment quitter sa chambre ? Elle en aurait probablement déjà douté simplement en passant la porte mais depuis l’arrivée des médecins et la façon dont il l’avait empêché ne serait-ce que d’effleurer sa jambe, elle était sûre qu’il ne s’agissait pas d’une bonne idée. Mais, comme à son habitude, il avait su la rassurer. L’inquiétude s’était finalement peu à peu estompée, balayée par le soulagement de pouvoir quitter cette pièce empreinte d’une étrange atmosphère. « Tu ne peux rien refuser à un Sergent blessé, tu le sais très bien. » Greta avait ramené le fauteuil assez près de Lucas pour qu’il puisse s’y installer non sans effort et avec ces mêmes complaintes qui lui avait brisé le coeur. « Je vais essayer de ne pas te lâcher dans la pente, ok ? Mais si tu continues à utiliser ton accident comme un prétexte pour que je réponde à tous tes désirs, je pourrais perdre le contrôle de l’engin » En voyant son sourire en coin et connaissant par coeur la répartie de Lucas, Greta avait ajouté : « Pas ces désirs là, Luke. »  Son air faussement peiné s’était vite estompé pour laisser place à une moue légèrement concernée par la façon dont la blonde avait pris en main le fauteuil. Il était évident que le pompier ne faisait pas confiance à son amie qui avait tenté tant bien que mal de diriger le fauteuil hors de la chambre et commencé son chemin jusqu’à l’extérieur. Ils étaient finalement arrivés dans le jardin très calme de l’établissement, après différentes manœuvres douteuses de Greta qui avait sadiquement apprécié l’exercice. Plaisanter avec Lucas était l’un de ses passe-temps favoris et leur amitié n’avait connu que des hauts jusqu’à présent mais elle se devait d’être là alors qu’il était visiblement au plus bas. Greta avait de nouveau plongé son regard bleu et enfin libre de larmes dans celui de Lucas et s’était éclaircie la gorge pour réussir à poser la question qui lui brûlait les lèvres. « C’est bon, j’ai fini de faire ma drama queen, tu veux me raconter ce qu’il s’est passé ? » avait-elle demandé, consciente qu’ils avaient peut-être tous les deux envie de penser à autre chose après avoir quitté la chambre mais ne pouvant contenir sa curiosité. « Je suis pas idiote, je sais que tu fais un métier dangereux et que les accidents sont courants mais vous êtes équipés normalement, non ? » Greta ne connaissait du métier de pompier que ce que Lucas voulait bien lui dire et leur discussion était souvent ponctuée des blagues douteuses de la jeune femme concernant l’uniforme. Pourtant, à ce moment précis, elle avait besoin de réponses.

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C’était son choix de relancer la discussion et de le replonger dans des souvenirs qui semblaient le faire encore plus souffrir que la douleur physique. Greta l’écoutait attentivement sans pouvoir l’arrêter alors qu’un immense sentiment de culpabilité s’emparait d’elle. Elle s’en voulait de ne pas avoir su calmer sa curiosité et de l’avoir emmené sur un terrain qu’il semblait à tout prix vouloir éviter. Les médecins avaient parlé de nuits difficiles, de cauchemars et de psychologue mais tout cela semblait irréel et elle avait mis ces informations de côté pour connaître l’histoire uniquement, pour le moment. Ce n’était pas de la curiosité déplacée, la jeune femme ressentait le besoin de comprendre pour mieux être présente pour lui. « Tu t’es conduit en héros, Luke. » Ils ne cessaient d’utiliser des surnoms péjoratifs l’un envers l’autre mais la fin de son récit n’avait inspiré à l’auteure que du positif. Il avait désobéi et la culpabilité devait le ronger mais qu'aurait-il dû faire ? Greta se souvenait de la première fois où elle avait vu Lucas Allen, accroupi à ses côtés, l’air concerné face à une blessure ridicule. S’il avait été aussi professionnel face à la cheville d’une blondinette éméchée, elle ne pouvait qu’imaginer sa réaction face à des collègues en réel danger de mort. « Enfin, bref, j’ai eu beaucoup de chance, quoi. » Ses yeux brillaient de nouveau, non plus de larmes d’émotion, mais d’admiration. « T’es chanceux tu peux le dire. T’as fait ce qu’il fallait, te rajoute pas la culpabilité en plus de la douleur. » Les mots qu’elle prononçait ne pouvaient pas réellement exprimer ce qu’elle ressentait à ce moment précis, l’envie que sa simple présence lui permette de retrouver sa joie de vivre et sa vivacité. « Je suis là, tu sais ?  Je sais bien que c’est ce que tout le monde doit te dire, comme la meuf qui sortait de ta chambre avant que j’arrive, mais c’est sincère. Je déteste te voir comme ça… » Le moment était mal choisi, il se confiait, elle écoutait et tentait de trouver les mots, leur conversation émanait d’une rare sincérité et pourtant, l’auteure avait réussi à glisser quelques mots sur quelque chose qui la titillait depuis son arrivée. Elle était là. Elle. Pas une autre.

Le Lucas qu’elle connaissait était enjoué et possédait un sourire malicieux, pas ce sourire terne et forcé qu’il arborait pour cacher la réalité des choses depuis son arrivée. « Tiens, looseuse. Tu voudras bien me couper les cheveux quand je sortirai d’ici ? Toi qui manies la plume comme personne, une paire de ciseaux ne devrait pas te faire peur ? » Consciente d’avoir légèrement ruiné le moment, Greta avait apprécié le changement de sujet de son ami. « Je t’aime bien comme ça moi … » avait-elle répondu alors qu’il remettait en place une mèche de ses cheveux qui avaient poussé ce qui laissait à Greta l'opportunité de comprendre depuis combien de temps il était cloué dans ce lit. Encore une fois, Greta se surprenait à regarder Lucas comme un pompier séduisant plutôt que comme un ami et elle avait même probablement exprimé tout haut ce qu’elle pensait. Alors elle avait continué. « Mais si tu veux qu’on rigole oui je peux te les couper, t’en as d’autres des idées comme ça ? » Il la faisait rire, malgré toute cette situation et c’était une des facettes qu’elle préférait chez lui. « Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ? » avait-elle demandé en posant sa main sur son bras. Pas lui couper les cheveux, pas plaisanter, quelque chose de réellement significatif. « J’ai cru comprendre que c’était difficile pour toi de t’en remettre, je sais que tu veux minimiser mais j’ai compris. Je vois aussi que ça te coûte d’en parler donc ça m’embête d’insister mais j’ai besoin de comprendre pour savoir comment t’aider parce que… » Greta avait hésité, non pas parce qu’elle ne parvenait pas à parler librement à Lucas, mais parce qu’elle avait conscience que l’événement était en train de la mener elle-même sur un terrain dangereux. Se convaincant que ces mots flotteraient au milieu de l’atmosphère pesante du moment et pourraient être oubliés, pensant innocemment que le mur qu’elle avait bâti autour d’elle depuis sa rupture ne s’effrondrerait jamais, elle avait continué. « Parce que tu comptes pour moi. » Pas de surnom, pas d’ironie, juste des mots posés sur ce dont elle s’était rendue compte plus que jamais depuis qu’elle avait appris l’accident.

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Les rares patients et leurs visiteurs qui passaient par là souriaient en les regardant et ils devaient renvoyer une image trompeuse, assis ainsi main dans la main. Le geste de Lucas l’avait étonnée mais l’avait rassurée alors qu’elle n’était pas certaine du chemin qu’elle était en train d’emprunter. Greta parlait et agissait spontanément sans perdre de temps pour réfléchir tant le moment lui semblait important. « Tu m’aides déjà beaucoup, tu sais. » Greta avait baissé la tête pour dissimuler le sourire béat qu’avait déclenché cette simple affirmation. En se confiant à lui, elle n’attendait rien, ou peut-être qu’il lui réponde en plaisantant, mais cette réponse était bien plus satisfaisante. « Tu sais que c’est ma saison préférée ? Dès que les feuilles se détachent des arbres, j’ai la même chanson dans la tête. » Bien sûr qu’elle savait. Elle savait beaucoup de choses sur lui. Elle réalisait qu’elle connaissait sa saison préférée et la façon dont il fredonnait autumn leaves lorsqu’ils traînaient ensemble sans rien faire d’autre que rester assis dans le canapé. La liste des choses qu’elle connaissait sur lui s’allongeait dans son esprit et Greta tentait de se convaincre que cela ne voulait rien dire, même si elle avait normalement la fâcheuse tendance à rapidement oublier ce qu’on lui confiait. Tout, sauf ce que Luke lui disait. L'auteure s’était tournée vers lui en souriant en réalisant l’importance qu’il avait réussi à prendre en si peu de temps. « Comment ça va, toi ? Ton bouquin, ça avance ? » avait-il demandé, venant redonner un peu de normalité à la scène. Greta avait gonflé ses joues pour lancer un soupir exagéré qui avait fait éclater de rire Lucas qui se doutait de ce que cela voulait dire. « Pas vraiment, j’écris des idées un peu partout mais rien de concret. C’est difficile de rester concentrée quand un de ses meilleurs amis se jette dans les flammes, hin, Luke ? » avait-elle terminé en fronçant les sourcils et s’approchant de son visage pour gentiment venir lui reprocher d’avoir pris tant de risques, même s’ils étaient nécessaires. La pression du début de leur échange était retombée et Greta avait retrouvé ses vieilles habitudes, elle avait alors continué à taquiner son ami. « Je pourrais imaginer une scène sur un banc où le mec embrasse les doigts de la fille… » avait-elle poursuivi en le gratifiant d’un énième sourire forcé pour souligner qu’elle était bel et bien en train de se moquer de son geste. L’opération était futée et lui permettait de faire oublier à son ami qu’elle était à l’initiative de leur rapprochement depuis la seconde où elle l’avait retrouvé. Lucas avait alors lâché sa main dans un geste faussement dramatique et avait froncé les sourcils - pour une fois, elle aurait juré l’avoir réellement blessé avec son attaque. « Oh ça va je plaisante ! Tu sais bien que tu serais plus là pour en témoigner si ça m’avait dérangé. » Les réponses étaient devenues bien plus incisives et Greta tentait de reprendre leur jeu habituel qui était bien différent de celui auquel ils étaient en train de s’adonner sur ce banc. Alors qu’ils s’étaient mis à rire, Greta avait souhaité recentrer la discussion sur lui parce que ce qu’il vivait surpassait tout ce qu’elle pourrait lui dire. « Tu as déjà une idée de quand tu vas sortir ? C’est quoi le plan, après ? » Il ne savait pas quoi répondre, il n’en savait rien et elle était consciente de l’avoir mis face à une réalité encore trop difficile à accepter. « Tiens, je sais ce qui te remontera le moral. » avait-elle murmuré en lui passant un écouteur alors que la chanson qu’il mentionnait un peu plus tôt jouait déjà sur son téléphone. “since you went away, the days grow long…” Greta avait posé sa tête sur son épaule et fermé les yeux pour savourer un moment plus intense qu’elle ne l’avait imaginé.

Greta aurait toutes les occasions nécessaires pour comprendre ce qu’il ressentait et pour le laisser prendre le temps de mettre des mots sur tout ce qu’il ne disait qu’à moitié aujourd'hui. Elle avait compris durant ce moment passé à l’extérieur qu’être la pour lui ne signifiait pas forcément le questionner à outrance et lui demander de ressasser un épisode qu’il voulait mettre de côté pour l’instant. A la place, ils avaient profité et s’étaient laissés la place de retrouver ce qui définissait leur relation. « Arrête un peu… Accident ou pas, je sais que tu penses à moi tout le temps ! » Greta lui avait doucement poussé le bras avec un léger rire, consciente qu’il ne réalisait peut être pas que sa pique n’était finalement que la vérité. Elle avait tardé à venir mais pas par faute de temps ou parce qu’elle avait décidé de l’oublier, bien au contraire. Elle y avait pensé chaque jour et avait redouté un moment qui s’était finalement avéré être le plus beau de toute leur amitié. « Mais je pense que d’ici quelques semaines maximum, je devrais être sorti. » Soudain, alors que le moment s’était comme figé, Greta reprenait conscience de ce qui l’attendait une fois leur rendez-vous terminé. Elle repartirait dans son immense loft où elle serait seule et elle savait déjà que la solitude serait décuplée après les gestes de tendresse de celui qui n’était pourtant qu’un ami. Évitant de partager ses propres craintes, elle l’avait laissé continuer. « Je pense que je vais reprendre le trombone. » La musique avait probablement eu l’effet escompté car Lucas avait enfin décidé à parler de ce qu’il souhaitait une fois cet épisode derrière lui. L’entendre évoquer de nouveaux projets la faisait sourire. « Je suis contente que tu vois plus loin que tout ça, ça me rassure. » Lucas se voyait déjà intégrer un groupe et sur le devant de la scène et elle se demandait si sa carrière de pompier était en péril suite à l’incident. « Tu viendras me voir en concert, hein ? J’aurai besoin d’une fausse groupie au début, pour en attirer des vraies. » Lucas retrouvait son mordant et c’est en un rire qu’elle avait répondu. « Tu te doutes bien que je ne raterai ça pour rien au monde surtout si c’est gratuit car je connais un des musiciens ! » Parce qu’être aisée ne signifiait pas renoncer aux choses gratuites, bien au contraire. Si Greta était plutôt une habituée des concerts de rock, l’idée d'accompagner le membre d’un groupe restait excitante même si celui-ci jouait du trombone.

Alors que la conversation avait enfin pris une tournure moins dramatique et que la jeune femme avait perdu absolument toute notion du temps, Lucas était venu la sortir du moment. « Va falloir que tu me remontes dans ma chambre, je crois. Les anti-douleurs commencent à ne plus trop faire effet. » Le temps de cette courte pause à l’extérieur, ils avaient réussi semble-t-il à oublier la situation dans laquelle se trouvait Lucas. La douleur s’était estompée, probablement grâce aux médicaments plus qu’à sa simple présence, et la chambre maussade où il était alité avait été remplacée par un agréable jardin si l’on oubliait les bâtiments aux alentours. La brise était légère et venait simplement apporter un peu de fraîcheur à la journée et faire bruisser les feuilles. Malheureusement, son affirmation était venue se vérifier par les nouvelles grimaces qu’affichait son visage. « T’es sûûûr ? » avait-elle alors lancé en se tournant vers lui avec un air boudeur toujours dans une tentative de briser la tristesse de la situation. Greta s’était ensuite levée et avait commencé à marcher puis elle s’était retournée pour le saluer et éclater de rire comme une enfant étrangement fière de sa plaisanterie. « Ok, ok, ça va, j’arrive… » Il avait annoncé qu’il serait encore ici pendant quelques semaines et elle se devait de profiter au maximum de cette complicité qu’elle n’avait retrouvée avec personne. Terminant son acte, elle l’avait aidé comme elle le pouvait à s’installer de nouveau dans le fauteuil et avait entrepris le retour à sa chambre, sans trop d’encombres cette fois. « Hey, je m’améliore ! » avait-elle dit avant de faire un discret signe aux infirmières qui passaient par là pour éviter de rendre la situation encore plus pénible. Alors que la jeune femme regrettait déjà la bulle dans lesquels ils étaient et qui venait d’éclater, les infirmières n’avaient pas tardé à reprendre possession de la chambre et cette fois-ci elle était sortie pour acheter des sodas pour elle et pour lui. En remontant dans la chambre, les médecins étaient partis et Lucas avait retrouvé son lit et ce regard perdu. « Tiens, j’ai pensé que tu aurais soif … Je ne vais pas tarder, moi. » avait-elle dit en lui tendant le soda et buvant une gorgée du sien pour dissimuler l’inquiétude qui avait de nouveau pris le dessus. Tous ces médicaments allaient-ils devenir le quotidien de Lucas ? Comment allait-il gérer la sortie de l’hôpital ? C’était bien en lui indiquant son départ qu’elle avait réalisé à quel point il allait être difficile de le quitter et le laisser seul dans cet état.

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Les hôpitaux avaient ce quelque chose qui la mettait mal à l’aise. Quand Isaac avait attenté à ses jours, elle ne lui avait pas rendu visite parce qu’elle se sentait coupable. Greta se souvenait de ce jour où elle l’avait trouvé dans un état qui aurait dû tirer toutes les sonnettes d’alarme. Pourtant, elle avait choisi de partir et de le laisser face à cet acte probablement planifié. Leur relation était déjà devenue compliquée après qu’ils aient franchi un cap qu’ils n’auraient jamais dû franchir et cette annonce était venue mettre une réelle barrière entre eux. Mais Lucas était probablement son meilleur ami et il n’avait pas choisi d’être ici alors c’est un peu torturée qu’elle était finalement venue le voir. Alors qu’ils avaient regagné la chambre, elle aurait pu choisir de rester, comme elle avait été obligée de le faire quelques heures plus tôt, pour entendre la discussion qu’il aurait avec les infirmières et où il n’aurait pas pu mentir. Mais la maladresse dont Greta pouvait parfois faire preuve et sa curiosité avaient été mises de côté puisque tout ce qui comptait réellement à ce moment précis était qu’il aille bien. Ou du mieux qu’il le pouvait en vue des circonstances. Une chose était sûre, il n’était pas nécessaire d’ajouter de la gêne à l’état de Lucas qui la remercierait sûrement un jour de lui avoir laissé de l’intimité au moment où il en avait le plus besoin.

« J’ai cru que tu m’avais abandonné… »  Loin d’elle l’idée de l’abandonner quand tout ce qu’elle désirait était de l’accompagner jusqu’au bout de sa convalescence, quand l’idée même de lui tourner le dos pour quitter la chambre la faisait atrocement culpabiliser.  « Ça t’irait vraiment bien les cheveux courts, tu sais ? » En l’écoutant se perdre ainsi dans des phrases qu’il n’aurait probablement jamais dites en temps normal, Greta se retenait tant bien que mal de se moquer d’un ami bien trop vulnérable pour que cela soit réellement drôle. Elle aurait tout le temps pour lui remémorer ses paroles quand il serait sorti et lui aurait tout le temps pour tenter de se convaincre qu’elle mentait. Le jeu devenait délicat et Greta était partagée entre l’envie de se moquer de son ami et celle de se laisser aller aux démonstrations du pompier. Réagir en adéquation avec leur relation ou franchir une étape qui viendrait tout compliquer. Malgré les frissons qu’était venu lui procurer ce nouvel élan de tendresse de la part de Lucas qui était venu attraper une mèche de ses cheveux, c’était donc un sourire narquois qu’elle avait choisi d’afficher et si elle ne pouvait pas le dissimuler, il était évident qu’il ne le remarquerait pas. « Le jour où je changerais de coiffure pour un homme, pitié, achève-moi ! » Parce que Greta avait cru un jour qu’il était possible de faire confiance à un homme mais elle était tombée de bien trop haut. Si elle tolérait encore d’avoir des amis masculins, elle n’était pas prête à tenter une nouvelle idylle parce qu’elle ne croyait tout simplement plus à cette idée surfaite qu’elle avait de l’amour auparavant. Enfin, t’es déjà très belle comme tu es. T’es vraiment magnifique, d’ailleurs. Je te le dis jamais, mais je le pense vraiment. » Lucas semblait perdre pieds petit à petit et malgré l’idée actuelle qu’elle se faisait de l’amour, la jeune femme se plaisait à l’écouter lui dire combien elle était belle et elle aurait bien pu sombrer à cet instant précis. Greta avait secoué la tête pour se sortir de ce qu’elle était en train de ressentir, un sentiment qu’elle s’interdisait et un sentiment qui n’était pas adapté à une simple amitié. « D’ailleurs, quand j’aurai mon groupe de musique, j’écrirai que des chansons pour toi, d’accord ? Tu seras ma muse. » Greta aurait voulu que le moment dure mais la discussion prenait une tournure qui venait rendre logique la fin de sa visite. Cette parenthèse dans leur relation devait se refermer et à sa sortie, ils reprendraient leur amitié là où ils l’avaient laissé. « Cette fois j’y vais avant que tu regrettes vraiment. » Il était évident que la morphine avait une grande responsabilité dans l’attitude de Lucas et même si la pluie de compliments la ravissait, il aurait été peu convenable de rester là. « Je reviendrai, looser. » Et c’est avec un sentiment étrange mais le sourire aux lèvres qu’elle avait quitté la chambre.

@Lucas Allen