Les musées et les expositions n'ont jamais été la tasse de thé de Murphy. Se promener dans des allées silencieuses, pour elle qui aime le bruit, c'est trop ennuyeux. Elle déteste se pencher sur les petits panneaux rédigés en plusieurs langues. Elle déteste se planter avec les badauds devant des toiles ou des sculptures. La blonde est tout simplement insensible à un art pour lequel elle n'a aucune culture - et qui n'a, pour les gens comme elle, qu'un mépris évident.

Malgré tout, espérant trouver un sujet digne de son intérêt, Murphy s'est risquée à s'intéresser à cette petite exposition temporaire. Cette dernière porte sur une thématique qui l'intéresse déjà un peu plus. Il faut dire que si Murphy fait semblant de lire les petits panneaux, amusée à chanter dans sa tête plutôt que d'essayer de retenir quoi que ce soir, elle reste malgré tout accrochée par les couleurs et les textures présentées. Par chance - non, pas par chance : grâce à son travail acharné, James Weatherton a su rassembler toute une palette diverse d'inspirations devant lesquelles les curieux viennent s'amasser, la bouche arrondie d'admiration. Murphy fait partie de cette foule. Elle s'arrête volontiers devant les robes extravagantes et si son cerveau anesthésié par tout ce qu'elle consomme est un véritable gruyère, elle n'en reste pas moins drôlement intéressée.

Mais l'exposition n'attire pas que les incultes comme elle. Dans un coin de la pièce, Murphy a repéré un homme, pas beaucoup plus âgé qu'elle. En vérité, elle lui donne même quelques années de moins. C'est armée de son petit sac Balmain - de son faux sac Balmain - que Murphy glisse lentement dans la direction du jeune homme, occupé à dessiner elle-ne-sait-quoi sur un carnet de croquis déjà bien rempli. Sans discrétion, la blonde pose son regard et compare ce qu'elle voit aux traits de l'artiste. « Vous êtes couturier ? » Désormais, Murphy peut poser la question sans crainte d'être perdue dans la conversation. Elle a après tout la chance de côtoyer un grand nom du milieu, désormais. « Vous ne pourrez pas la reproduire, Saint-Laurent avait un coup de crayon trop... » Personnel. Elle ne finira pas sa phrase, repose plutôt son regard sur la robe Mondrian portée par un pantin de métal. Remettons les choses à leur juste place : non, Murphy ne connaît rien à l'art et aux coups de crayon. Elle a cependant une passion notable pour les pièces qu'elle ne peut pas s'offrir, surtout depuis qu'elle peut en approcher les têtes pensantes. Bon, malheureusement, Saint-Laurent est mort, et ses secrets ont disparu avec lui. « Sauf si vous êtes un descendant de Saint-Laurent, bien sûr. » Le commentaire est dit sur le ton de la plaisanterie mais Murphy s'assurera de garder ce jeune homme dans ses petits papiers s'il avait une quelconque importance. On n'est jamais trop prudent.

@cesar gutiérrez

Si on m’avait dit il y a quelque temps que je passerais mon après-midi enfermé dans une salle autour d’un podium avec des mannequins qui défilent je pense que j’aurais ri. Je ne me serais jamais imaginé participer à un défilé de mode. La mode c’est vraiment un domaine qui ne m’intéresse pas d’ordinaire. Mon style quotidien se résume à des t-shirts et des sweatshirts oversized, rien de très sophistiqué. Même si je dois avouer que je me sentais plutôt canon dans le costume que mon avie m’avait cousu pour le mariage du frère de Bailey. J’avais aimé la texture du tissu et surtout la sensation de puissance que j’avais ressenti en étant aussi bien habillé. J’aimerais pouvoir faire ça plus souvent mais je n’ai pas vraiment d’occasions pour porter une telle tenue qui n’est pas du tout adaptée à ma vie quotidienne d’artiste et de maçon. J’espère tout de même pouvoir le porter à nouveau lors d’un futur vernissage. Si je suis là aujourd’hui c’est pour deux raisons : Maria et Auden. C’est assez drôle de poser les choses comme ça puisque ces personnes n’ont absolument rien à voir. Mais ma petite sœur rêvait d’assister au défilé et concernant Grincheux il me répète depuis plusieurs semaines que je ne maîtrise pas le mouvement sur les esquisses, que tout ça manque de réalisme. Alors je me suis dit que venir au défilé pourrait être l’occasion de faire plaisir à ma petite sœur et me donner des occasion de travailler ma technique en dessinant les mannequins en pleine démarche.

Installé au troisième rang, j'ai mon calepin posé sur les genoux. A côté de moi se trouve Maria et Sara se trouve sur sa gauche. Ma petite sœur a des étoiles dans les yeux malgré son état de santé et c’est tout ce qui suffit à me faire plaisir. Le défilé commence et les tenues que portent les mannequins sont plutôt surprenantes. Je me dis que je suis peut-être inculte ou insensible au bon goût mais j’ai du mal à voir l’intérêt de certaines pièces. Tant pis, je ne suis pas là pour juger de la qualité de la collection mais bien pour m’exercer. Sara et Maria quittent la pièce le temps d’aller aux toilettes mais je reste dans la salle pour nous garder une place et pour pouvoir terminer mes esquisses. Perdu dans mes pensées et profondément concentré je n’entends pas qu’une jeune femme s’est approchée de moi. « Vous êtes couturier ?” Je sursaute légèrement, elle m’a fait peur. “Pas vraiment non.” La couture ce n’est vraiment pas pour moi. « Vous ne pourrez pas la reproduire, Saint-Laurent avait un coup de crayon trop... » Trop quoi ? J’attends qu’elle finisse sa phrase mais je crois que je ne saurais jamais ce qu’elle voulait dire. En tout cas je ne sais pas ce que ce fameux Saint-Laurent avait de si spécial pour son coup de crayon mais si elle vient simplement pour critiquer mon coup de crayon elle va vite repartir de là où elle vient. « Sauf si vous êtes un descendant de Saint-Laurent, bien sûr. » Je laisse échapper un petit rire. “J’aurais bien aimé.” Si seulement. J’aurais bien aimé naître dans une famille de riches comme celle-là, ça m’aurait évité bien des galères. Je décide de lui expliquer que je n’ai absolument rien à voir avec le monde puisque je sens qu’elle ne va pas me lâcher avec ses questions. “Je profite juste du défilé pour dessiner un peu.” Parce que mon prof me prend la tête pour travailler ma technique qui est pourtant déjà bonne. “Mais je ne suis pas du tout dans l’univers de la mode, je n’y connais absolument rien, je suis maçon.” C’est quelque chose que j’ai plutôt honte de dire d’ordinaire. Mais il faut bien briser l’image de la jeune femme qui est peut-être en train de m’imaginer comme un bon parti ou quelqu’un d’important. “Vous avez l’air dans votre élément vous.” Ce n’est pas une critique, plutôt un constant. Il n’y a qu’à regarder ses vêtements et son sac à main qui ont l’air de valoir plus cher que l’ensemble des fringues que je possède.

Le jeune homme sursaute et Murphy est ravie de son effet. Elle a toujours rêvé de surprendre les gens dans de telles circonstances. Il est vrai que souvent, les gens sont plutôt exaspérés par sa présence et elle ne parvient jamais à les surprendre pour de vrai. Oui, sa personnalité a de quoi faire froncer les sourcils, mais elle aimerait autant que les réactions ne s'arrêtent pas à cela. Voilà, dans les yeux de son interlocuteur, elle est certaine de déceler un peu de stupeur, une petite étincelle impressionnée qui ne fait que renforcer son ego de femme affublée d'un faux sac Balmain. Murphy rêve sans doute, mais ce n'est pas très important. « Pas vraiment non. » Alors pourquoi reproduit-il des robes ? Murphy incline la tête afin de saisir le dessin de ses petits yeux incultes. La voilà qui fronce les sourcils et observe, patiente, la raison qui pousse ce jeune homme à se frotter à de telles pièces. « J’aurais bien aimé. » Elle s'en serait doutée, d'abord parce que Saint-Laurent n'avait eu aucun héritier, ensuite parce que personne n'arrive à la cheville de cet homme pour lequel Murphy porte une admiration sans faille. Peut-être était-ce dû à sa méconnaissance de ce grand monde - des noms connus de Murphy, il n'y en a pas beaucoup. Ils se comptent en réalité sur les doigts d'une seule main. C'est, décidément, une culture à faire.

« Je profite juste du défilé pour dessiner un peu. » « J'aurais aimé savoir faire pareil. » Elle aurait aimé savoir coudre. Elle aurait été trop paresseuse et pas assez patiente pour cet art qui demande, en définitive, une rigueur que Murphy n'aura jamais. Ah, pour consommer tout en excès, il y a du monde. Pour le reste... « Mais je ne suis pas du tout dans l’univers de la mode, je n’y connais absolument rien, je suis maçon. » Revoilà ce froncement de sourcils. La blonde se penche sur la planche du jeune homme. Maçon ? Il a indéniablement un don pour restituer ce qu'il voit. « Vous avez l’air dans votre élément vous. » Un rire s'échappe des lèvres de Murphy, qui n'ose pas corriger l'artiste. S'il pense qu'elle s'incorpore bien dans le décor, pourquoi le décevoir ? La blonde hausse les épaules et reporte son regard sur une robe magnifique aux drapé de soie doré. « Si vous le dites. » Un jour, tout le monde pensera comme lui.

Le silence s'installe et c'est Murphy qui le brise une seconde fois, trop ennuyée par la contemplation silencieuse des œuvres. « Pourquoi vous ne proposez pas vos planches à des créateurs ? Je suis certaine que certains seraient intéressés. » Peut-être pas, en fait. Murphy n'y connait absolument rien. Cela ne surprendrait personne de savoir que si elle savait dessiner, il y a longtemps qu'elle se serait présentée chez James au culot pour lui montrer son travail. Jouer à la muse modèle aux frasques déjà légendaires est bien plus amusant. « Je peux poser pour toi, si tu veux. » Un grand sourire se glisse sur ses lèvres alors qu'elle prend déjà la pose, caricaturale au possible. Ils sont désormais assez intimes pour qu'elle ose le tutoyer. Il lui en faut peu, à vrai dire. S'il est prêt à supporter son insupportable caractère de peste, alors elle est partante.

Plus le temps passe et plus je regrette d’être venu, qu’est-ce que c’est chiant un défilé. C’est un bon endroit pour que je puisse travailler ma technique de dessin mais je ne comprends rien à la mode et toutes les tenues que je vois sont plus extravagantes les unes que les autres. J’ai un peu du mal à comprendre l’intérêt derrière tout ça. Il faut dire que mes habitudes vestimentaires sont plutôt limitées : un t-shirt ou un sweat allant du noir au blanc en passant par le gris. Je m’habille de manière très classique et j’avoue n’avoir ni l’envie ni l’argent d’acheter des fringues de marque qui coûtent un bras. Malgré tout je reste concentré sur mon travail jusqu’à ce qu’une jeune femme me fasse sursauter. Elle me pose tout un tas de question, pour savoir si je suis couturier. Je trouve la question un peu bête, on voit clairement que je n’ai pas l’allure d’un grand et riche couturier. Elle fait une allusion à Saint-Laurent mais je ne sais même pas à quoi ressemble ce type. Mais bon il est super riche donc j’aurais bien aimé faire partie de sa famille. Je lui explique ensuite que je suis juste là pour dessiner et que je suis parfaitement étranger au monde de la mode. « J'aurais aimé savoir faire pareil. » Je hausse les épaules. “ça s’apprend” C’est plus ou moins vrai. Personne ne naît en ayant le niveau d’un grand artiste mais il faut être lucide, même avec des années et des années d’entraînement certaines personnes restent mauvaises, parce qu’il y a une part de talent dans tout ça. Je lui fais remarquer que contrairement à moi elle a l’air parfaitement dan son élément. « Si vous le dites. »  

Un silence des plus gênants s’installe. Je ne sais pas trop quoi faire mais si elle décide de rester là sans rien dire et à m’observer ça va vite m’agacer. « Pourquoi vous ne proposez pas vos planches à des créateurs ? Je suis certaine que certains seraient intéressés. » La mode ça ne m’a jamais intéressé et je m’imagine mal dessiner des tenues. “Je sais pas trop, j’y connais rien à la mode.” Je suis un artiste, pas un créateur de mode. « Je peux poser pour toi, si tu veux. » Je la vois sourire avant de prendre la pose et ça me fait sourire aussi. En fait ça me fait même rire parce qu’elle ne pouvait pas être plus caricaturale. “Excellent” J’aime son énergie, son audace, je suis pas sûr que j’aurais eu l’assurance pour aller aborder quelqu’un comme ça. Je réfléchis à sa proposition. Je sais que c’est dit sur le ton de la blague mais et si ça devenait sérieux ? “C’est quoi ton prénom ?” Si on en est au stade du tutoiement alors j’ai le droit de savoir son prénom. “Bon je dis jamais non pour bosser un peu ma technique, si t’as une heure de libre je peux te dessiner si tu veux.” Elle est canon, elle a l’air sympa, je pense qu’on pourrait bien s’entendre alors pourquoi pas. Je m’emmerde ici et je n’ai pas envie de passer encore une heure à regarder des mannequins défiler, alors je ne dirais pas non à changer d’air et de modèle.