Il ne ferait pas plus d’efforts que nécessaire. Les couleurs et les paillettes, ce n’était pas sa tasse de thé. À plusieurs reprises, Madison avait insisté à la boutique de costumes pour que son frère essaye un habit extravagant et hors de sa zone de confort mais il avait à chaque fois refusé en ridiculisant tout ce qu’elle lui tendait. « On aurait dit une corneille malade. » Il avait marmonné quand elle lui avait présenté un masque ceinturé de plumes noires. « Berk, tu me vois vraiment me trimbaler avec un costume de lapin ? » ll avait grimacé quand elle lui avait pointé un costume blanc décoré de fausse fourrure aux extrémités. Son choix s’était arrêté sur un masque vénitien noir et doré et un costume partiellement décoré d’or, lui aussi. « Tu es un cliché, Archie. » Avait marmonné sa sœur en le voyant sortir fièrement en compagnie de son sac rempli de ses récents achats exorbitant. « Et j’assume totalement, petite souris. »

De toute façon, quand il avait appris le thème de la soirée, il avait presque décidé de changer de plan. Mais la possibilité de rencontrer de nouveaux clients fortunés l’avait encouragé à se rendre à cet événement masqué même s’il ne se sentait pas totalement dans son élément, ainsi accoutré. À l’école, Archie était celui qui ne se costumait pas par esprit rebelle. Il lui arrivait parfois de se parer de cornes de diable ou d’un peu de maquillage horrifique dans le visage mais il ne faisait pas plus d’efforts. De toute façon, jeune, il se rendait aux soirées d’Halloween dans le simple but de profiter de l’alcool gratuit et des jolies filles déguisées en pompière sexy ou en innocente petite chatte (pas si innocente que ça).

Arrivé sur les lieux, il jette un coup d’œil dans le rétroviseur de sa Tesla noire afin de s’assurer que son masque est bien placé. Il gémit une sorte de plainte en le soulevant pour venir gratter son front qui le démange, puis il finit par abandonner la lutte qu’il ne pourra de toute façon pas gagner. Pour la première fois de sa vie, il n’attire aucunement les regards quand il pénètre dans l’établissement où se déroule la soirée masquée et c’est tant mieux : il préfère que les yeux se tournent vers ceux qui arborent de géantes plumes néon. Il donne son nom à la réception, se fait accueillir par un chaleureux sourire qu’il rend à moitié, puis entre dans la salle principale. Ainsi, plus discret qu’à l’habitude, il se dirige automatiquement vers le bar pour se commander une première consommation gratuite. Son regard de faucon ne cesse pas de sculpter les alentours à la recherche de visages connus mais il se voit confronté à un problème plutôt important : il ne reconnait presque personne derrière tous ces masques. Grrrr. Il va devoir approcher les groupes pour entendre les noms et croiser les doigts pour reconnaître ceux d’importants chefs d’entreprise.

Sirotant son gin tonic, il remarque un petit groupe d’hommes habillés plus formellement, eux aussi. Leurs costumes ne détonnent pas et leurs masques sont aussi discrets que celui d’Archie qui, naturellement, s’approche d’eux comme un requin ayant flairé une proie en détresse. Son cœur fait un bond dans sa poitrine quand il reconnait le puissant CEO d’une compagnie d’appareils électroménagers ventant des produits révolutionnaires. Il sent discrètement son haleine (ouais ça sent le gin et la lime) avant de faire un pas en sa direction mais est aussitôt intercepté par un lunatique qui ne regarde pas où il met les pieds. Archie lâche une insulte en soulevant les mains pour éviter de tacher son costume neuf et ses yeux noirs et importunés se posent sur le responsable de cette collision.

Le problème, c’est qu’il reconnait aussitôt sa chevelure rose bonbon ainsi que le sourire désolé qu’il lui offre derrière sa moitié de masque. « Ça c'est le destin. » Lance l’autre, ayant visiblement reconnu Archie qui, pourtant, ne pensait pas se démarquer aussi facilement. « Yep. Mais le destin avait prévu quelque chose d’autre. » Il fredonne en serrant les dents avant de jeter un coup d’œil en direction du CEO qu’il voulait intercepter. Il réalise bien rapidement que ce dernier s’est envolé sans laisser de traces. Super. « Urgh. » Il soupire ensuite, visiblement contrarié d’avoir loupé sa chance de faire une première impression à un homme qu’il admire considérablement. Seulement, il se rappelle bien assez tôt que Bellamy ne connait pas son travail et qu’il préférerait que cela reste ainsi. C’est pour cette raison qu’il pousse la conversation en son sens à lui, insistant pour que ce soit l’autre garçon qui explique la raison de sa présence à cet événement. « S’il y avait un endroit où je n’aurais jamais pensé te croiser, c’est bien ici. » Il marque une pause, esquisse un faux sourire puis ironise, déjà effrayé à l'idée de le revoir : « Quelle surprise. »

Ce n’est pas Bellamy qu’il déteste : c’est les émotions que le jeune homme lui fait ressentir. Il l’a complimenté sans savoir qu’il avait beaucoup de matériel à offrir. Sans le savoir, il a réussi à creuser dans un cœur pétrifié pour y planter une petite graine de reconnaissance. Depuis, cette dernière fleurit, hantant le jeune homme qui ne pensait pas pouvoir être ébranlé ainsi par une stupide fleur au fond de sa poitrine. Il le connait à peine, B, mais il a l’impression d’être complètement nu devant lui. Ses sourires l’intimident, son assurance naïve aussi, parce qu’il semble tellement plus heureux que lui. Il déteste les gens qui sont plus heureux que lui alors qu’ils ne font même pas l’effort de cacher certaines parts d’eux.

« Je sais, jsuis surprenant. » Et, s’il n’arrive pas à lui fermer la porte au nez comme il l’a fait virtuellement, c’est parce qu’il apprécie au fond de lui de revoir cette boule d’énergie rose à laquelle il a un peu trop pensé depuis cette parenthèse au bar le mois dernier. Plusieurs fois, il s’était imaginé une soirée durant laquelle il n’avait pas gerbé sur le mur juste avant de l’embrasser et, plusieurs fois, il s’était puni d’y penser en se pinçant. « T’as pas fait d’effort. » Son regard qui le balaie comme s’il était une toile au musée, ça lui plaît tout comme ça lui file la nausée. Et, cette fois, il n’a pas encore assez bu pour mettre la faute sur sa consommation excessive. « Et toi tu en as fait trop. » Il répond du tac au tac sans prendre la peine d’analyser son accoutrement. Il ne se permettrait pas de le regarder plus que nécessaire mais il remarque facilement ses manches amples et son costume épais. Il doit bien flotter dans plusieurs kilogrammes de tissu. « Tu vas choper un coup de chaleur là-dessous. » Il commente d’une voix taquine tout en laissant ses yeux balayer les alentours, toujours à la recherche du CEO qu’il voulait aborder quelques instants plutôt. Il essaye de se convaincre que rien ni personne ne l’empêchera de mener à terme son expédition mais il faut dire que Rose Bonbon prend beaucoup de place dans son champ de vision. « Alors monsieur le mafieux, t’es venu repérer les prochaines personnes que tu vas extorquer ? » Oh, c’est vrai, il avait presque oublié cette histoire de boulot illégal. Il vaut mieux pour Archie de se laisser emporter dans la danse pour éviter de révéler sa véritable occupation de millionnaire. « On ne peut rien te cacher. Mais je te demanderais d’en parler un peu moins fort s’il-te-plaît, j’ai vu un mec de la sécurité passer par ici il y a de cela cinq minutes, pas plus. » Il désigne du menton les nombreux verres posés en équilibre dans les mains de Bellamy : « Encore tes copines qui préfèrent les copines ? » Il demande innocemment juste avant de se racler la gorge ; pouah, qu’est-ce que c’est difficile d’aborder ce sujet sans frôler le coma éthylique.

« Tu dis ça parce que t’as pas pu en avoir un aussi bien. » Oh, Bellamy, il aurait pu dénicher une perle rare de designer s’il avait voulu mettre plus d’effort dans ce costume. Seulement, il n’est pas venu à cet évènement pour faire des jaloux, plutôt pour engorger son compte en banque qui l’est déjà bien assez. Mais, ça, c’est un détail qu’il ne prendra pas la peine de partager avec le jeune homme. « Tu lis dans mes pensées. » Il dit d’une voix sarcastique, très peu enclin à lancer un débat de ce genre. « Ca c’est un fashion statement tu vois, le style avant la chaleur. » Il repose enfin ses perles bleues sur lui, observe enfin sa parure avec un peu plus d’insistance, puis acquiesce enfin en se cachant derrière son verre de gin. « Si tu le dis, Bellamy. » Ça rime. « Mais je ne me poserai pas de questions si jamais je vois les pompiers arriver en fin de soirée. »  

Plutôt inventer des histoires insensées que de dire la vérité et complètement ruiner la façon dont Bellamy perçoit l’homme devant lui. Ce dernier s’approche, comme pour lui murmurer un secret. Leur proximité le fait ravaler sa salive. « Tu me fais un peu trop confiance, je pourrais te dénoncer. » Il a vu quelques films de mafieux dans sa vie, pas assez pour bien connaître le sujet, mais il arrive à improviser assez facilement : « Oui, mais tu sais bien que si tu me dénonces, j’enverrai mes hommes te jeter dans la fosse avant qu’on me jette en prison. » Il lui glisse un clin d’œil qu’il regrettera après : « C’est pas que je te fais confiance, c’est que je suis certain que tu tiens à ta vie, Rose Bonbon. » Si ce n’était pas le cas, il n’arborerait pas ce sourire sans jamais le lâcher, comme s’il était né avec.

Il remarque les trois verres dans ses mains et se doute bien qu’ils ne sont pas tous pour lui. Naturellement, Archie se demande s’il est encore avec les mêmes copines qui l’accompagnaient la dernière fois. L’une d’elles l’avait d’ailleurs épargné un sempiternel mal de cœur qui s’était finalement éteint une trentaine de minutes plus tard. Il apprend que l’alcool était réservé pour des collègues (collègues de quoi, il ne le sait toujours pas) mais Bellamy change d’avis et lui tend l’un des verres qu’il attrape avec sa main libre, se retrouvant lui aussi coincé avec deux consommations qu’il devra avaler. Heureusement, il lui en faut plus pour perdre la tête. « Quelle charmante attention. » Il dit, n’ayant pas l’habitude de se faire payer des verres. C’est lui qui sort son portefeuille habituellement afin de bien montrer sa carte de crédit diamant. « T'as trouvé personne pour t'accompagner cette fois ? » Il secoue la tête à la négative, plongeant ses lips dans son alcool pour se donner le courage de répondre. « Nope. Mais je ne suis pas venu pour chasser ces demoiselles, aujourd’hui. De toute façon, avec tous ces masques, je ne pourrais pas dénicher les plus belles. Je pourrais me faire surprendre demain matin. » Macho. Idiot. Il mourra écrasé par un van rempli de femmes, celui-là. Et il l’aura mérité. « C’est pas le genre de surprise que j’apprécie, tu vois ? »    

« Tu te souviens de mon prénom. » Il n’aurait pas pu l’oublier. Il se souvient ses cours de français au collège. Bel ami. Dès l’instant où je jeune homme s’était présenté, il n’avait su se séparer de cette idée qu’il s’était aussitôt faite de lui : beautiful friend. Et, le problème dans tout ça, c’est qu’il le trouvait réellement joli, cet homme qui se faisait passer pour son ami. « Tu sais ce qu’il veut dire en français ? » Il tente en esquissant un rictus malicieux, conscient qu’il se vante par le fait même de connaître un peu de français. Il a toujours été excellent élève, Archie, contrairement aux apparences.

Loin de réellement se soucier de la température corporelle de Bellamy, il joue la carte de la comédie simplement parce qu’il n’oserait pas repousser l’autre garçon en public. Le monde ne partage plus ses mêmes valeurs ; il évolue, se transforme, tolère. Archie est resté coincé en l’année de sa naissance et Jo lui a bien fait comprendre que son comportement à l’égard des communautés différentes était déplacé, même puni. Elle ne l’avait toujours pas recontacté, son amie, d’ailleurs. Elle avait préféré le rayer de sa vie plutôt que de sacrifier son honneur en lui pardonnant une énième connerie. Au fond, et il détestait le penser ; il comprenait pourquoi elle avait pris cette décision. « Peut-être que je t’appellerais toi, tu pourrais être utile même si t’es pas pompier. » Il grince des dents, s’empêcher de répondre, parce que sa répartie ne serait pas délicate. Il lui demanderait d’aller voir ailleurs, de cesser de faire de telles allusions sexuelles à son égard, lui qui essaye de se convaincre de ne pas être intéressé par son manège. C’est difficile, de se concentrer, dans une telle situation.

« T’es de plus en plus menaçant. » Il accroche ses yeux aux siens afin de lire dans ses pensées. Il n’y arrive pas. Tous les deux ont des cerveaux bien trop différents. « Jsuis toujours pas impressionné, désolé. » Oh, mais il serait impressionné s’il savait qui se trouvait réellement devant ses yeux… pas vrai ? Il deviendrait comme tous les autres qui glissent leurs mains dans ses poches afin d’y dénicher un bijou, un lingot, un chèque. Il deviendrait comme tous les autres qui ne le voient plus comme un être humain. « De toute façon, je suis certain que tu es le premier mec qui meurt dans un film d’horreur. J’arriverai jamais à t’impressionner. » Il n’est pas seulement certain, il est sûr à cent pour cent. Tous les deux ne viennent pas du même monde.

« Hmm. » L’autre bredouille en le regardant d’un air incrédule. « Non mais je comprends. Mais ya une solution facile à ça » Il le voit venir à des kilomètres à la ronde avec ses ridicules techniques pour le mettre dans sa poche. C’est sans surprise qu’il écoute sa solution qui lui arrache un rire forcé. Innocent, il jette un regard autour d’eux. « Le problème, c’est que je ne connais personne, ici. » Il dit derrière une moue faussement désolante. Il le coupe avant même qu’il ne lui dise qu’il le connait, lui : « Non, je ne te connais pas. Et tu ne me connais pas. Enfin, si ; tu connais mon surnom et le sport que je pratique. Rien de plus. » Puis il ajoute, d’une voix plus basse afin que personne ne les entende : « Je ne suis pas ouvert comme toi, Rose Bonbon. Je n’ai pas accepté cette part de moi, et je ne veux pas l’accepter. » Il aura le mérite d’être honnête. De toute façon, il ne pourrait pas mentir au jeune homme puisque ce dernier a vu son regard sur ses lèvres puis cette poussée qu’il a faite en sa direction dans le but de les rencontrer. « Je ne veux pas bousiller mon image. » Mais il ne se rend pas compte qu’en disant cela, il prétend que l’image de Bellamy a été ruinée, elle. Pour se punir d’en avoir dit autant, il finit son verre d’un coup.    

« Tu parles français ? » L’égo caressé d’Archie le fit sourire. Oui, il est un homme intelligent qui, toutefois, n’utilise pas toujours son intelligence de la bonne façon. « Un peu. » Il serait presque humble en disant ça, mais c’est tout simplement la vérité. Il connait quelques mots par ici, par-là, et il s’avère qu’il connait les deux mots français qui, ensemble, composent le prénom de Bellamy. « Ça veut dire bel ami. » Il marmonne sans le regarder, parce que de lui dire en le regardant, ça ferait trembler ses jambes. Il ne dirait jamais qu’un homme est beau même s’il le pense honteusement.

« Possible. Mais ya plein de façon de m’impressionner. » Et il entendait encore l’étincelle de provocation dans le ton de la voix du plus jeune, ce qui ne lui plut toujours pas. Du moins, pas en public, avec des yeux ou des oreilles qui peuvent se poser sur eux à tout instant. Il ne répond pas, comme à chaque fois, dans l’espoir que Bellamy comprenne le message qu’il lui envoie. S’il s’empêche d’avoir recourt à la violence comme il l’a fait dans le passé, il n’a quand même pas l’intention d’entrer dans son petit jeu de drague.

Mais, cette manière pacifique qu’il emprunte pour parler du sujet qui tue l’oblige à être un peu plus honnête. Il aurait pu cracher au visage de l’homme et lui faire savoir qu’il peut aller se jeter devant un train pour le bien de tous (oui, bon, radical vous direz, mais il aurait dit ces mots tels quels s’il avait encore seize ans) mais il est obligé de faire preuve d’un peu de bonne foi ce qui… ne l’ébranle pas autant qu’il aurait pensé. Il n’est pas ouvert. Il n’a pas envie de jouer avec Bellamy ici. Il n’est pas aussi libéré que lui et sa tignasse rose. Toutes des façons de dire qu’il est coincé dans un placard dont il a perdu la clef depuis longtemps. Bellamy semble comprendre, du moins il ne rit pas à son visage, et c’est déjà une bonne chose.

« T’avais pas l’air loin de l’accepter la dernière fois. » Il ne faut toutefois pas trop tendre le morceau de viande au lion qui, inévitablement, finira par mordre. « J’étais bourré. Un homme bourré pourrait se jeter nu dans un lac glacé. » Il grommelle derrière sa barbe, se cherchant des excuses là où il en a tout simplement pas. Oui, il était bourré, mais il n’a pas besoin de consommer pour avoir envie de jeter des regards interdits sur les personnes du même sexe que lui. Ça fait partie de lui depuis toujours, qu’il le veuille ou non. La guerre ne se terminera jamais tant qu’il ne brandit pas le drapeau blanc. « Les gens sont pas obligés de savoir. » Que Bellamy prétend, alors qu’Archie repose des yeux incertains sur lui. Il l’observe en silence quelques secondes, entrouvre les lèvres puis les referme pour prolonger son mutisme. Des gens passent près de lui, près de l’autre, les costumes et les robes se frôlent, puis seulement lorsque la circulation ralentit, Archie approche sa bouche de l’oreille du plus jeune pour lui murmurer : « Pas ici, Bellamy. » Ça rime encore, et ça ressemble à une supplication. Il se décolle ensuite de lui, se racle la gorge, termine d’une gorgée le verre que lui avait donné le jeune homme puis s’excuse en le contournant : « Je te contacterai si je change d’avis. » Qu’il chuchote, encore, dans son élan, frôlant le bras de Bellamy, humant presque le parfum de ses cheveux qui est resté le même, et disparait dans la foulée comme s’ils ne s’étaient jamais revus ce soir.