there's a long way to go
ft.  @Sofia Shaw

Lucas attend dans la salle d’attente de sa kiné depuis quelques minutes. Sa jambe frappe le sol nerveusement - sa jambe valide. Les dernières semaines de sa vie pourraient se résumer à une descente de montagnes russes. Sa dispute avec Greta, la naissance de son petit cousin, le retour de Théodore à Brisbane, ses retrouvailles avec Trent… Mais la dernière descente du manège s’était amorcée il y a quelques jours. Cela fait maintenant deux semaines que ses médecins avaient autorisé à Lucas à marcher sans sa béquille. Il devait faire attention, bien sûr, et y aller doucement, mais le jeune pompier a nourri un réel espoir dans cette nouvelle étape dans sa convalescence. Certes, il avait bien senti que sa jambe l’avait fait davantage souffrir ses derniers temps, mais l’augmentation de l’activité physique qui avait découlé de cette nouvelle liberté y était certainement lié, avait-il pensé. Cela allait s’arranger avec le temps. Il se voyait quelques semaines plus tard à la caserne prêt à reprendre le travail, auprès de ses gars. Mais ses espoirs avaient été balayés, il y a quelques jours, lors d’un rendez-vous avec ses médecins. Ils voulaient faire le point, puisqu’il se déplaçait donc sans sa béquille depuis plusieurs semaines, lui donner les résultats de ses derniers examens, notamment. Au cours de la discussion, Lucas avait senti que quelque chose d’étrange se tramait. Les infirmières tournaient autour du pot, les aides soignants évitaient ses questions. Puis lorsque le chef du service est arrivé, il s’est assis en face de Lucas. Et la sentence est tombée. Le jeune pompier se souvient avoir eu l’impression d’être comme absent de la discussion, comme dans un rêve. Le médecin lui a annoncé, calmement, qu’il pouvait affirmer qu’il ne retrouverait jamais la mobilité complète de sa jambe. Que même avec du temps, elle le fera toujours un peu souffrir. Il pourra très bien marcher sans béquille, mais la motricité qui lui restait, même s’il avait fait d’énormes progrès avec la rééducation, ne lui permettrait pas de pouvoir continuer à exercer en tant que pompier. Du moins, il ne pourra plus être envoyé sur des interventions. Le reste de la discussion est flou dans sa tête, comme si son cerveau avait décidé de l’oublier délibérément. Il refusait d’y croire, de l’accepter. Le médecin avait sûrement utilisé le conditionnel. Il n’avait pas prononcé le mot « jamais » mais « probablement ». Il y avait forcément encore une chance, avec beaucoup de rééducation, de séances de kiné, qu’il puisse redevenir pompier à plein temps. C’est donc confiant qu’il attend que Sofia vienne le chercher dans la salle d’attente. Il sait qu’il peut compter sur elle pour aller dans son sens, et qu’elle lui annoncera que les médecins avaient été un peu trop catégorique sur son sort. Lorsqu’il entend son nom, il se lève rapidement et entre d’un pas décidé dans la salle de consultation. « Hello Sofia. Tu vas bien ? », lui demande-t-il, avec un sourire. Elle ferme la porte derrière lui, et lui propose de s’asseoir, ce qu’il fait. Elle remplit quelques papiers, puis l’invite à s’allonger sur la table d’auscultation. Lucas s’exécute, puis Sofia commence par faire quelques manipulations de sa jambe. La séance dure une vingtaine de minutes, puis la kinésithérapeute retourne s’asseoir derrière son bureau. Le jeune pompier la rejoint, et s’asseoit en face d’elle. Elle est silencieuse, ce qui est plutôt inhabituel. Mais il attend, aussi silencieux qu’elle. Ses derniers espoirs sont placés en elle, et la discussion qu’ils auront aujourd’hui lui permettra de savoir s’il doit les garder ou bien les abandonner à jamais.

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ft.   @Lucas Allen  

Elle a vu le nom Allen sur son agenda, un rendez-vous habituel puisqu'elle suit le pompier depuis quelques mois maintenant. En charge de sa rééducation depuis le jour ou il s'est retrouvé à l'hopital, jusqu'à aujourd'hui, elle a vu tout ses progrès. Elle a vu toute les souffrances, tout les efforts de Lucas pour retrouver le contrôle de sa jambe, malgré les douleurs et la mobilité réduite que son corps meurtri par les blessures et les brûlures lui ont infligé. Elle a vu la force en lui. Elle a été témoin de ses faiblesses aussi mais elle sait qu'aujourd'hui n'est pas une énième séance de kiné comme les autres. Elle a eu des échanges avec le médecin de Lucas. Elle a eu cette fameuse réunion ou les professionnels font le point sur les avancées du patient, sur la rééducation, sur la récupération, sur des choses très techniques et objectifs en excluant l'espoir et l'envie de guérison qu'ils ont tous pour leurs patients. Et les nouvelles n'étaient pas celles qu'espéraient le pompier. Sofia savait que Lucas avait été informé de ces conclusions peu optimistes, voir carrément pessimiste pour Lucas. Elle le sait Sofia. Elle a participé à cette réunion, ses conclusions aussi sont venues étayer les échanges suivants, ceux du médecin qui annonce à son patient que sa vie ne sera peut-être pas celle qui pensait avoir. Qu'il ne retrouverait peut-être jamais ses facultés pleines et entières qu'il pouvait avoir avant son accident. Elle aurait aimé être là ce jour là pour Lucas, mais ce n'est pas ce qu'on lui demande. Elle a son rôle et aujourd'hui, pour la première séance depuis ce fameux rendez-vous, elle sait que son rôle va être encore plus important maintenant parce qu'elle en a vu des patients s'écrouler, elle en a vu abandonner, se résigner, refuser le diagnostic, elle a tout vu mais elle ne sait pas vraiment à quoi s'attendre de la part de Lucas Allen, pompier blessé au feu à qui l'on vient d'apprendre que tout ses efforts, tout ces mois de souffrance ne seront pas suffisant pour lui permettre de retourner à la caserne. L'espoir est quasiment tout ce qu'il reste à Lucas, parce que médicalement parlant, les conclusions ne sont pas bonnes. Et la première constatation que Sofia se fait, c'est qu'il est là. Présent à sa séance de kiné et elle est même surprise de voir la détermination dans le regard du pompier. « Hello Sofia. Tu vas bien ? » Elle lui sourit, son sourire habituel, bienveillant, lumineux, amical aussi. Et pourtant dans sa tête pendant une seconde, elle se demande s'il a vraiment eu connaissance des conclusions le concernant. Mais, elle sait que c'est le cas et si elle ne sait pas comment il gère cette nouvelle, elle reprends son rôle de kiné. « Salut Luke, toujours au top moi et toi comment tu te sens? » Une question habituelle qui prends presque un autre sens aujourd'hui, mais il n'évoque pas cette nouvelle et elle se concentre sur la séance, parce que si l'avenir professionnel de Lucas semble compromit, il a encore toute une vie devant lui et elle compte bien lui apporter les meilleures séances pour qu'il puisse retrouver une vie normale sans trop de séquelles et de douleurs au quotidien. Et si la séance se passe relativement bien, les conclusions qui étaient les siennes il y a quelques jours, sont malheureusement toujours les mêmes. Elle aurait aimé se tromper mais même si elle souhaite le meilleur à son patient, elle ne peut pas y voir des progrès là ou il n'y en a pas, ou plutôt plus. « Lucas, tu as vu le médecin cette semaine ? » Qu'elle commence doucement et avec toute la bienveillance qui est la sienne. Elle veut juste amener cette discussion, juste prendre des nouvelles de son patient qu'elle connaît et qu'elle côtoie depuis des mois maintenant. Elle a ce lien avec lui, que n'a pas le médecin qui a été celui qui a apporté les réponses que Lucas ne voulait sans doute pas. Elle a un rôle différent et si pour certains de ses patients, elle n'est qu'une kiné, pour Lucas elle sait qu'elle a aussi été un soutien dans cette épreuve. Il s'est confié à elle, il a craqué, il s'est énervé aussi, mais il a montré ses émotions et elle aimerait juste s'assurer qu'aujourd'hui, il accepte la nouvelle ou qu'au moins il puisse en parler. « J'aurais aimé que les nouvelles soient différentes pour toi. » C'est le cas pour tout les patients, elle veut le meilleur, la meilleure récupération possible, mais pour Lucas ça semble être ça le meilleur pour lui. Pouvoir marcher sans béquille et si pour certains ce seraient une énorme réussite pour un sportif comme lui, elle sait que ça ne sera pas suffisant. « Si tu as des questions je suis là, mais je suis obligée de te demander comment tu vis cette période ? » Parce qu'elle reste préoccupée pour lui, après tout, même si ce n'est qu'un patient, il y a des mois de travail, des mois de rendez-vous, des moments de souffrances partagés avec lui et elle a toujours mit un point d'honneur à prendre le patient dans son intégralité et non que son corps.

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ft.  @Sofia Shaw

Lucas attend que sa kiné prenne la parole, tandis que sa jambe valide tremble sous le bureau, nerveusement. Lorsque Sofia prend la parole, sa jambe cesse de bouger. Elle finit par lui demander s’il a vu son médecin cette semaine. « Oui, je l’ai vu. », lui répond-il, avant de faire une pause. Il l’a vu, certes, mais le souvenir de ce qu’il lui a dit reste un peu flou. Il ne l’a écouté à moitié, en vérité. Néanmoins, il avait compris le coeur de son message. « Super pessimiste, comme d’habitude. Mais je sais que ça va aller mieux si je continue la kiné, que je reprends le sport. Sinon, ils m’auraient pas autorisé à me déplacer sans béquille, hein ? », reprend-il après quelques secondes. Il attend que Sofia aille dans son sens, il est persuadé qu’elle le fera. Il l’observe, pour voir si les traits de son visage reflètent une expression similaire à la sienne. Mais rien. Elle se contente simplement de dire qu’elle aurait aimé que les nouvelles soient différentes pour lui. Il fronce les sourcils, perplexe. C’est tout ? Sa réaction est tellement surprenante qu’il ne sait pas quoi répondre. Un silence de quelques secondes s’installe dans la pièce, avant que Sofia ne lui demande comment il vit cette période. Petit à petit, le cerveau de Lucas se reconnecte, et il comprend que Sofia n’ira pas dans son sens à lui, mais dans le sens de son médecin de l’hôpital. Un frisson glacé, désagréable, descend alors le long de sa colonne vertébrale. « Attends, trente secondes. », dit-il, avec un rire nerveux. « Me dis pas que t’es d’accord avec eux ? », lui demande-t-il. Il fait une pause, tentant de contenir sa colère et sa frustration. « J’ai tellement progressé, je peux pas être arrivé au bout ! Tu l’as bien vu, non ? Je marche sans béquille depuis plusieurs semaines déjà, j’ai presque plus mal à ma jambe. », continue-t-il. Évidemment, sur cette dernière partie, ce n’est pas exactement la vérité, mais peu importe. « Allez, tu sais très bien que je peux y arriver, les médecins me voient une fois par mois, c’est des conneries ce qu’ils disent. Toi, je te vois une fois par semaine, tu sais que je peux y arriver, que je vais guérir, hein ? ». Ses paroles sonnent comme une prière. Lucas sent son coeur battre rapidement dans sa poitrine, tout comme sa colère sourde qui bout dans ses veines. Il valait mieux que Sofia soit avec lui sur ce coup là, ou la tempête qui gronde en lui pourrait exploser à tout moment.

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ft.   @Lucas Allen  

« Super pessimiste, comme d’habitude. Mais je sais que ça va aller mieux si je continue la kiné, que je reprends le sport. Sinon, ils m’auraient pas autorisé à me déplacer sans béquille, hein ? » Le déni, elle le reconnaît assez aisément, elle l'a souvent vu chez ses patients qui refusent l'information qu'ils trouvent trop douloureuses ou trop loin de leurs espérances. Elle n'en est pas étonnée, et elle sait que pour Lucas, il va falloir du temps pour accepter qu'on lui a annoncé devoir renoncer à son métier, à ce qu'il aime faire. « Attends, trente secondes. » Elle peut attendre, trente secondes, une minute, deux, voir dix s'il a besoin. Elle peut attendre autant qu'il le demande, mais elle ne pourra pas lui dire ce qu'il veut entendre. Ni dans les trente secondes à venir, ni plus tard et elle sait que ça risque d'être un second choc pour Lucas. « Me dis pas que t’es d’accord avec eux ? » Elle ne lui dit pas, se contente pourtant de secouer la tête avec une petite grimace, parce que oui elle est d'accord avec eux, elle a participé aux bilans, aux réunions, elle a suivit les progrès de Lucas de près, mais les résultats ne sont pas aussi bons qu'espérés pour l'équipe médicale mais pour lui surtout. « Je sais que ce n'est pas ce que tu espérais. » Elle sait qu'il va devoir renoncer à une partie de sa vie, et ça ne se fera pas du jour au lendemain pour le pompier, qui bientôt n'en sera plus un. Mais elle voit qu'il a comprit, il sait que l'avis de Sofia n'est pas différent de celui de son médecin et des autres professionnels qui ont travaillé sur son rétablissement, et elle n'a pas besoin de le verbaliser, pas encore du moins alors qu'elle voit, qu'elle sent que la nouvelle est dure à encaisser pour Lucas. « J’ai tellement progressé, je peux pas être arrivé au bout ! Tu l’as bien vu, non ? Je marche sans béquille depuis plusieurs semaines déjà, j’ai presque plus mal à ma jambe. » Il peut s'en convaincre, convaincre la terre entière de ce fait, elle le voit réagir aux mouvements, elle sait exactement quels mouvements sont douloureux pour lui, quels mouvements sont impossibles, quels surfaces est sensible. Elle peut sentir sous ses doigts les jours ou il a trop forcé, elle peut sentir les tensions, les raideurs, les douleurs dans ses muscles, dans ses nerfs, alors qu'elle le manipule. Elle voudrait vraiment avoir de bonnes nouvelles pour lui, abonder dans son sens, le rassurer et lui dire que tout est possible, et si sur ce dernier point les progrès miraculeux arrivent parfois, la plupart du temps ce n'est pas le cas et le corps a ses limites et Lucas ne semble pas encore prêt à entendre qu'il a peut-être atteint les siennes. Ses nouvelles limites, d'un nouveau corps avec lequel il doit réapprendre à vivre. Elle est loin la détermination dont il semblait être habité en arrivant ici, et Sofia sait que les mots qu'elle va lui dire risque d'être durs à entendre, durs à encaisser mais qu'ils sont importants aussi, parce qu'il doit les entendre, les accepter aussi. « Allez, tu sais très bien que je peux y arriver, les médecins me voient une fois par mois, c’est des conneries ce qu’ils disent. Toi, je te vois une fois par semaine, tu sais que je peux y arriver, que je vais guérir, hein ? » Elle voudrait vraiment avoir des paroles rassurantes pour lui, des paroles pleins d'espoirs, parce que c'est une facette d'elle que ses patients apprécient aussi. Sa joie de vivre, et son espoir. Sauf qu'aujourd'hui, elle ne peut pas en donner à Lucas, et ça la peine de voir son patient dans le mal face à cette nouvelle. « Lucas, tu as guéri, tu marches, tu as fais énormément de progrès, mais ton corps a atteint une limite. Je sais que c'est pas suffisant pour toi, mais tu as récupéré une grande partie de tes facultés motrices, mais tu ne retrouveras pas toute ta mobilité et toutes tes sensations. » Le médecin lui a expliqué, le côté médical, les conclusions, les résultats de ses examens, radio, scanner, irm, tests moteurs, tout a été analysés, explorés pour arriver à cette conclusion. « Ton corps a été endommagé dans l'accident, tu peux marcher parce que tu compenses autrement, ton corps s'adapte, développe des mécanismes pour compenser ce qui ne fonctionne plus, et c'est aussi pour ça que tu as mal, parce que tu stimules des zones de ton corps qui ne sont pas adaptées pour être autant utilisées, mais quelques soient les efforts que tu veux faire, tu ne pourras jamais retrouver ta force et ta souplesse d'avant. » Elle essaye d'être calme, de lui expliquer sans entrer dans du charabia de médecin, sans le bombarder de détails dont à l'heure actuelle, il doit n'avoir que faire. « Je suis désolée Lucas, mais même si je voudrais te dire autre chose, je ne peux pas te dire ce que tu veux entendre. » Elle lui dit, calmement mais elle lui dit. Il y a des moments pour être optimiste, pour penser à tout les bienfaits de la rééducation, pour se projeter sur l'après, sur la guérison. Et il y a des moments pour faire face à la réalité et c'est ce moment face auquel se retrouve Lucas aujourd'hui. Il peut lui demander et redemander, elle ne pourra pas lui promettre qu'il va guérir complètement, elle ne peut pas lui donner de l'espoir alors que tout montre que le corps meurtri de Lucas portera des séquelles à vie l'empêchant de reprendre son activité professionnelle.

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ft.  @Sofia Shaw

Lucas garde ses yeux bien ancrés dans ceux de Sofia, essayant d’y chercher quelque chose de réconfortant, une trace d’espoir. Mais il n’y voit que de la résignation, et un peu de tristesse, aussi. De tristesse pour lui. Elle sait que la conversation qu’ils sont en train de mener va être douloureuse, et que c’est elle qui va faire partir en fumée les derniers espoirs du pompier. Il ne s’en rend pas compte, mais il a presque arrêté de respirer, suspendu à ses lèvres, attendant qu’elle aille dans son sens et qu’elle peigne un tableau bien moins sombre que celui que les médecins lui ont dépeint, il y a quelques jours. Malheureusement, il n’en est rien. Il est aujourd’hui autant guéri qu’il peut l’être après un accident tel que celui qui l’a frappé quelques mois auparavant. Il n’y aura pas d’autre évolution, ni d’autre progrès possible. Il devra se contenter de ce nouveau corps, de cette nouvelle jambe, tout sa vie. Il devra cohabiter avec cette douleur sourde, qui le réveille parfois la nuit, jusqu’à la fin de ses jours. La réalité du diagnostic le frappe de plein fouet, la colère et la désillusion qu’il ressent fait accélérer son coeur, à tel point qu’il lui semble entendre ses propres battements résonner dans toute la pièce. Il se sent désemparé, déconnecté d’un seul coup de ce qui l’entoure, presqu’à lui en faire tourner la tête. Sofia a pris un instant de silence pour qu’il puisse prendre conscience que la conclusion des médecins - et la sienne - est ferme et définitive. Elle reprend la parole pour lui dire qu’elle est désolée, qu’elle aurait préféré que les choses soient différentes, mais qu’elle ne peut pas mentir pour lui faire plaisir. Lucas ne répond rien, secoué. Il ne s’en rend pas compte, mais deux grosses larmes coulent le long de ses joues, avant de s’écraser contre le sol, à ses pieds. Il déglutit, difficilement. Il veut contrôler ses émotions, avoir l’air fort. Après tout, il est en vie ; l’issue de son accident aurait pu être mille fois plus terrible. Il peut encore marcher, être autonome. Il passe fébrilement son index sous ses yeux, pour essuyer ses larmes, renifle. « Alors… C’est vraiment mort ? », demande-t-il, la voix tremblante, malgré tous les efforts qu’il met pour contenir son émotion. « Je veux dire… Je vais devoir raccrocher le casque ? », précise-t-il à Sofia, faisant évidemment référence à son métier. Ce métier qui lui a tant apporté, pour lequel il a tant donné. Ce métier qui lui a permis de trouver un sens dans son quotidien. Il allait devoir l’abandonner, et c’est certainement la chose qui lui est la plus difficile à accepter. Il soupire, essayant de ravaler une nouvelle vague de larmes qui lui monte aux yeux. « J’suis… », essaie-t-il de formuler. « Je suis si en colère. Tout le temps. », avoue-t-il à Sofia, vulnérable. « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? C’est… C’était tout pour moi, ce boulot. Y a vraiment plus rien à faire ? », demande-t-il une dernière fois, comme si la kiné allait soudain sortir une pommade magique ou une avance scientifique d’un chapeau. Malheureusement, il allait devoir s’y faire et accepter ce nouveau chemin que la vie a pris pour lui.  

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ft.   @Lucas Allen  

Elle l'optimiste, elle la joie de vivre, elle l'espoir a tout épreuve, elle déteste ce genre de moment. Ceux qui viennent détruire l'espoir, mettre fin à des semaines, des mois même d'espoir de guérison, de vie normale. Lucas n'aura pas cette fin là, il ne retrouvera jamais sa vie d'avant, et surtout il ne sera plus jamais pompier et elle sait comme ça compte pour lui. C'est l'un des sujets dont ils ont pu parler durant ces derniers mois et ces nombreuses séances. Son métier, sa passion, sa vie et pourtant il aurait pu y laisser sa vie justement. Il aurait pu mourir mais il veut y retourner, il veut risquer sa vie à nouveau pour sauver celle des autres et si Sofia ne peut qu'être admirative devant cette ambition, ce choix de vie, elle se retrouve pourtant à lui briser ses rêves, ce pourquoi il a tant souffert pour se remettre. Il ne sera plus jamais pompier, les médecins lui ont dit, elle le confirme devant son patient qui encaisse le choc comme il le peut. Elle a l'habitude de tout voir. La colère, l'incompréhension, la stupeur, les cris, les pleurs, le silence. Chacun réagit à sa manière et elle n'est finalement pas surprise en voyant les larmes de Lucas. Pas surprise mais pourtant pas insensible, au contraire. Dans un autre cadre elle serait venue prendre dans ses bras cet homme qui craque mais elle reste professionnelle, elle reste assisse à son bureau, tout en laissant à Lucas le temps d'encaisser les mots, la réalité. « Alors… C’est vraiment mort ? » L'emploi de ce mot n'est pas anodin et elle ne l'aime pas Sofia parce que c'est tout sauf mort, il est vivant, debout, capable de marcher à nouveau, de vivre mais elle sait qu'il ne parle pas de lui et il le confirme. « Je veux dire… Je vais devoir raccrocher le casque ? » Elle hoche la tête Sofia, désolée d'être celle qui doit lui dire, désolée tout simplement de voir cet homme qui est en train de réaliser que sa vie ne sera plus jamais la même. Elle a beaucoup de mal à rester impassible devant les larmes d'un homme et Lucas n'en fait pas exception, et elle sait que quoiqu'elle dise elle ne pourra pas apaiser la peine de Lucas. « Oui, aucun médecin ne te déclarera physiquement apte à retourner sur le terrain, ce serait trop dangereux pour toi et pour les autres. » Plus jamais il ne sera en mesure de réussir les tests, plus jamais il n'aura la possibilité de courir dans un immeuble en feu, et au vue des dangers que représente son métier pour quelqu'un à 100% ce serait suicidaire pour lui d'y retourner un jour et bien trop irresponsable pour un médecin de lui donner cette opportunité en le déclarant apte alors qu'il ne le sera plus jamais. Il encaisse la nouvelle Lucas, et elle ne veut pas le brusquer alors qu'il voit ses rêves s'effondrer. « J’suis… Je suis si en colère. Tout le temps. » La colère, voilà une émotion avec laquelle elle n'est pas très à l'aise Shaw, pas très habituée non plus, elle qui refuse ce sentiment, ou plutôt qui ne sait pas vraiment la gérer. Mais ce n'est pas de la sienne dont on parle et si elle n'est pas une spécialiste de ce genre de situation, parce que ce n'est plus le corps dont ils parlent là, mais elle ne peut pas le laisser ainsi. « C'est normal d'être un colère, tu as le droit de l'être Lucas, et personne ne peut te le reprocher mais ne laisse pas cette colère te bouffer. Tu as quelqu'un pour parler de tout ça ? » Quelqu'un de professionnel, d'amical, quelqu'un qui puisse l'aider surtout à gérer cette colère en lui, parce que Sofia peut l'écouter, peut être là pour servir de défouloir mais elle n'a pas les compétences pour être celle qui peut gérer la colère de Lucas. « Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire ? C’est… C’était tout pour moi, ce boulot. Y a vraiment plus rien à faire ? » Le dernier espoir d'un homme blessé, d'un homme qui voit ses rêves s'écrouler et Sofia ne peut pas lui redonner un peu d'espoir. Elle ne peut pas lui mentir juste parce qu'elle a de la peine pour lui. « Pour ta carrière de pompier non, il n'y a plus rien à faire. » Elle ne prends aucun plaisir à lui dire les mots, à reprendre ses propres termes pour qu'il puisse l'entendre, le réaliser, le comprendre malgré la situation insupportable dans laquelle il est. « Je sais qu'actuellement, tout ce à quoi tu peux penser c'est aux pompiers, mais tu as la vie devant toi. Prends le temps pour gérer cette situation, mais la vie t'a donné une seconde chance, je suis sûre que tu vas finir par trouver ta voie. » Il le faut, en tout cas elle l'espère pour lui parce qu'il serait dommage que sa vie prenne fin aujourd'hui alors qu'il y a plusieurs mois il s'est battu pour vivre, pour se relever aussi. « On va continuer notre travail ensemble pour réduire les douleurs au quotidien, pour  redonner à ton corps un peu de force, et tu vas reprendre ta vie, marcher, peut-être même trottiner et faire du vélo. » La voilà la note d'espoir, même si c'est un bien maigre espoir pour l'homme face à elle, mais au vue de son parcourt, de son accident, de l'état de sa jambe, c'est déjà un sacré rétablissement d'un point de vue médical, mais pas sur que ça aussi ce soit ce qu'il ait envie d'entendre. « Tu ne vas plus être pompier mais tu vas pouvoir vivre ta vie d'homme et quand le choc sera passé, tu pourras penser à l'avenir et le construire petit à petit. Tu as des passions ? Quelque chose pour t'aider à t'évader un peu en ce moment ? » Et peut-être que cette passion  deviendra une reconversion mais pour l'instant Lucas n'a pas encore fait le deuil de sa carrière et s'il lui faudra le faire pour la suite de sa vie, ce n'est pas encore pour aujourd'hui.

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ft.  @Sofia Shaw

Sofia lui confirme, toute désolée pour lui, que malheureusement, oui, il ne pourra plus exercer ses fonctions de pompier. Pour sa sécurité, et celle des autres. Bien évidemment, cette conclusion lui un goût amer dans la bouche. Il s’était dit qu’au pire, il aurait pu mentir à la caserne, dire qu’il était apte à reprendre le travail. Mais quelles répercussions cela aurait-il pu avoir sur une intervention ? Qu’il se reblesse, lui, à la rigueur. Il en aurait assumé les conséquences. Mais si un de ses gars était blessé et qu’il ne pouvait pas lui porter secours, faute de force dans sa jambe ? Si un mauvais mouvement de sa part, son incapacité à aller plus vite, sa motricité en dilettante, mettait un de ses collègues en danger ? Il n’aurait jamais pu se le pardonner. Il fallait se rendre à l’évidence : tout était terminé. Et cette évidence le met si en colère, qu’il se sent obligé de l’avouer à sa kiné. Comme s’il essaye de lutter comme une partie de lui-même qu’il déteste, un petit diable sur son épaule qui l’observe en permanence et se réjouit de le voir descendre une pente glissante qu’il pourrait ne jamais remonter. Sofia essaie de trouver les mots pour le réconforter, mais le met également en garde : la colère qu’il ressent ne doit pas s’installer de façon permanente. Elle lui reparle du psy, sans prononcer explicitement son nom. Ils ont déjà eu plusieurs conversations à ce sujet, plus ou moins productives. Lucas n’a aucun a priori à voir un spécialiste. Il en a d’ailleurs vu un quelques semaines après son accident, sans trop de succès. Il avait l’impression que les séances lui faisaient plus de mal que de bien, le poussant à se replonger dans les souvenirs de son accident. Il soupire, évitant le regard de Sofia – sachant très bien ce qu’elle pensera de sa réponse. « Tu sais ce que j’en pense… C’est pas que j’ai pas envie d’y aller, c’est juste que ça me met mal à l’aise. La dernière fois que je l’ai vu, je m’en suis tiré avec une semaine de cauchemars atroces… », lui explique-t-il. La seule personne à laquelle il aurait pu se confier sur ce qu’il ressent, c’est une jolie blonde, écrivaine, à qui il refuse obstinément de parler depuis qu’il a appris la vérité sur son identité. Ils ne sont pas revus depuis qu’il l’a croisée à la pizzeria, quelques semaines plus tôt, et la situation ne semble pas vouloir se débloquer, ni de son côté, ni du sien. Il compense avec les médicaments, sans s’en rendre réellement compte. C’est bien la seule chose qui l’aide, ces temps-ci, à calmer ses émotions, si ce n’est carrément à les annihiler, les temps de quelques heures. Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir faire, maintenant que ses espoirs de reprendre le travail sont réduits à néant ? Comment va-t-il pouvoir occuper son quotidien, quelle raison aura-t-il de se lever tous les matins ? Il repose la question à Sofia, comme si tout ceci n’était qu’un mauvais rêve dont elle le sortirait d’un coup de baguette magique. Une fois encore, la réponse est décevante et d’une réalité amère. Il sait qu’elle déteste devoir le lui faire comprendre, mais il est essentiel que Lucas se rende compte de ce que sera sa nouvelle vie, désormais. Même si elle comprend qu’il donnerait tout pour pouvoir récupérer l’ancienne, elle est certaine qu’il finira par trouver son chemin. Il ne répond rien, comme si son discours était passé au-dessus de sa tête. Sofia lui explique ensuite qu’ils vont bien sûr continuer à travailler ensemble pour lui permettre de retrouver une vie quasiment normale. Les exemples qu’elle donne ne peut empêcher de faire rire amèrement l’ex-pompier. « Génial, je vais pouvoir m’inscrire au Tour de France… », répond-il, sarcastique. La jeune femme ne mérite pas son sarcasme, mais c’est la seule personne présente dans la pièce qui peut actuellement accueillir ses émotions et sa colère. Elle lui demande alors s’il a quelque chose qui pourrait éventuellement occuper un peu son quotidien ce moment. A part jouer du trombone, et sortir son chien, la liste des activités est maigre. « Je sors Jazz tous les jours, j’ai repris le trombone. Dog sitter, c’est déconseillé dans mon cas, tu crois ? », lui demande-t-il, toujours aussi sarcastique. Il repense alors à la conversation qu’il a eu avec Caleb, le mari de sa cousine Alex, quelques semaines auparavant. Ce dernier lui avait proposé de travailler pour lui dans son restaurant, proposition que Lucas avait mise de côté, étant toujours persuadé à l’époque qu’il pourrait reprendre son poste de Sergent à la caserne. Il n’y avait pas vraiment réfléchi, par conséquent, mais cela valait peut-être la peine de poser la question à Sofia, s’il n’y avait pas de contre-indications. « Un ami… m’a proposé de venir travailler pour lui, il y a quelques semaines. », commence-t-il à lui expliquer, passant une main nerveuse dans ses cheveux ébouriffés. « Il est patron d’un restaurant, donc ça veut dire que tu passes la journée debout. », reprend-il. Il s’éclaircit la gorge, comme s’il craignait que Sofia vienne à nouveau balayer d’un revers de main cette idée. « Je n'y ai pas encore réfléchi, mais est-ce tu penses que ça pourrait être possible ? Avec beaucoup de rééducation ? On en a pas du tout reparlé, mais peut-être que je pourrai avoir des horaires plus souples au début… », lui demande-t-il, faisant des hypothèses sur un job qu’il n’avait même pas accepté – qui peut-être n’était même plus une proposition qui tenait toujours du côté de Caleb. Mais c’est bien la seule option qui lui reste, alors autant mettre toutes les chances de son côté.  

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ft.   @Lucas Allen  

« Je sais oui, si tu n'étais pas à l'aise avec ta thérapeute, tu peux en trouver pleins d'autres, ou même sous d'autres formes. Tu as pensé au groupe de parole ? » Elle sait qu'il n'est pas très réceptif, pas très à l'aise avec l'idée de demander de l'aide, ou même d'accepter d'en avoir besoin, mais ce qu'elle entends lui pousse à continuer à s'intéresser à lui parce qu'il ne va pas bien. Parce qu'il est en colère. Parce que Sofia se demande si tout cela n'est pas trop à gérer pour un homme seul ? « Mais les cauchemars sont pas anodins, c'est aussi une preuve que ton cerveau cherche à gérer le trauma, refouler les choses ne t'aidera pas à aller mieux. Tu fais encore des cauchemars ? » Elle s'inquiète, elle est surtout préoccupée par la santé physique et mentale de tout ses patients, surtout ceux qui ont vécu un trauma et Lucas a failli mourir, alors niveau traumatismes il est bien haut.

Il est en colère et elle ne peut pas lui reprocher ça. Il n'est pas d'humeur à entrevoir les progrès qu'il peut encore faire alors qu'elle vient de lui annoncer que quoiqu'il fasse, quelque soit l'engagement et le serieux qu'il met dans sa rééducation, il ne sera plus jamais pompier. Alors elle comprends, ne lui tient pas rigueur de ses remarques, accepte qu'il ne puisse pas se réjouir d'avoir un jour la possibilité de refaire du vélo, de courir à nouveau. Il est abasourdi par la nouvelle de l'arrêt de sa carrière, il est en colère, il n'a dit, accepté et elle accepte elle aussi de recevoir la colère de Lucas, tout en sachant qu'elle n'est pas contre elle. Il est toujours là, et ça c'est un point positif. Il ne s'est pas enfui après qu'elle lui ait redit qu'il devait tirer un trait sur sa carrière, il est toujours là et s'il réponds encore avec sarcasme à sa question, il lui réponds et c'est déjà bien. Et le regard, l'attitude, le ton de Lucas change après quelques minutes, il réfléchit, il hésite, il questionne Sofia et elle l'écoute, à la fois surprise mais aussi optimiste d'entendre cette réflexion venant de Lucas. Il se questionne, pense à une proposition qu'on lui a faite, réfléchit à d'autres pistes et sans sarcasme cette fois et elle l'écoute. Travailler dans un restaurant, elle connaissait la passion de Lucas pour la cuisine, ils ont déjà été amené à en parler au cour des nombreuses séances, mais elle ne savait pas qu'il voudrait travailler dans une cuisine, mais voilà qu'il attends une réponse de sa part. Bien-sur que certaines personnes conseilleraient à Lucas de trouver un boulot bien tranquille, dans un environnement calme, assit derrière un bureau pour éviter de forcer sur sa jambe. Pour éviter les douleurs inutiles. N'importe qui, qui ne connaît ni le garçon, ni le corps humain, ni même l'importance pour le corps et l'esprit de trouver un métier dans lequel on peut s'épanouir. Et elle sait très bien que Lucas ne sera jamais de ceux qui aime les métiers tranquilles, et que l'attacher à un bureau, à un fauteuil serait la dernière étape pour l'achever. Elle le sent en colère, elle le sent perdu aussi alors que sa vie prends un chemin auquel il n'avait pas pensé. Mais, il y est confronté, pas par choix et ça rends tout ça encore plus compliqué pour lui. Il rebondit pourtant. « C'est bien de te voir envisager tes options. » Il réfléchit, se questionne, ouvre son esprit sur d'autres opportunité et Sofia ne peut y voir qu'un élément positif qu'elle souhaite encourager même si elle ne peut pas se montrer totalement enthousiaste, elle est heureuse de le voir réfléchir à cette opportunité. « En l'état actuel de ta jambe, je te cache pas que ça risque d'être douloureux pour toi de passer plusieurs heures debout, mais ce n'est pas impossible en tout cas surtout si tu y vas progressivement avec des horaires aménagées au début. » Pas forcément conseillé, pas non plus totalement déconseillé. Il n'a pas besoin d'un test médical d'aptitude pour entrer dans la restauration, donc en soit rien ne peut vraiment l'en empêcher s'il le veut vraiment. « Si tu continues à être sérieux dans ta rééducation et à ne pas trop forcer, tu vas continuer à regagner en muscles et ton corps va s'adapter petit à petit pour compenser les faiblesses. » Tout ceci n'est sans doute pas la réponse totalement rassurante dont il avait besoin mais elle le soutient dans son projet, elle le soutient dans son envie d'aller de l'avant, de se tourner vers d'autres métiers parce que c'est aussi comme ça qu'il acceptera que sa carrière de pompier sur le terrain est définitivement terminée. Et pour le prouver qu'elle le soutient, elle a même une proposition à lui faire. « Je te propose qu'on essaye plusieurs petits exercices en séances ces prochains jours pour te tester et te préparer à ce genre de position. Voir comment tu réagis, voir ce qu'on peut mettre en place pour gérer les douleurs et les atténuer. Si la position debout est si douloureuse c'est que tu forces beaucoup sur ta jambe, on peut imaginer que tu travailles avec une petite marche pour faire basculer le point de ton corps sur ton autre jambe et te soulager. Il y a pleins de petites choses comme ça qui ne demande que très peu d'aménagement et qui pourrait te permettre de faire le métier que tu souhaites sans te bloquer. Si tu en as envie, on peut très bien travailler la dessus les prochaines fois. » Sofia a l'habitude de travailler avec des personnes diminuées physiquement, s'ils étaient en pleine possession de leur physique ils ne seraient pas en séance avec elle, mais elle n'est pas spécialiste de la vie quotidienne, de l'aménagement des postes de travail, des domiciles et pourtant elle a déjà des idées pour Lucas qu'elle peut mettre en pratique dans son cabinet lors des prochaines séances s'il le souhaite et elle peut même le mettre en relation avec une vraie professionnelle pour l'aider dans la réalisation de ses objectifs. « Et si tu veux vraiment te lancer dans ce domaine, je pourrais en parler à une amie si tu veux, son job c'est de proposer des adaptations de poste pour rendre le travail moins éprouvant physiquement, l'idée de la petite marche, c'est d'elle donc elle aurait sans doute beaucoup d'autres techniques pour que tu puisses travailler dans ce domaine. » Elle s'est peut-être un peu trop projetée alors que Lucas lui a bien dit qu'il n'y avait pas encore réfléchi, mais elle veut lui montrer qu'il y a encore des choses qu'il peut faire et elle compte bien l'aider à arriver à retrouver l'espoir et l'optimisme, après tout c'est aussi son domaine à Sofia.

there's a long way to go
ft.  @Sofia Shaw

Lucas explique à Sofia les raisons pour lesquelles il a arrêté de suivre la thérapie recommandée par ses médecins après son accident. Évidemment, c’est son travail d’insister sur ce sujet et de lui proposer des solutions alternatives. Il se contente de lever les yeux au ciel pour seule réponse lorsqu’elle lui parle d’un groupe de parole. Vient ensuite le sujet des cauchemars. Il soupire un instant, hésitant à lui dire la vérité. « Oui, j’en fais toujours… Un peu moins qu’au début, mais ça me réveille encore. », finit-il par avouer. Ce n’est pas quelque chose dont il aime parler, préférant laisser ses cauchemars à ses nuits uniquement, et ne pas y penser autant que possible le jour. Mais les séances de kiné avec Sofia sont justement les seuls moments où il est bien forcé de faire face à tout ce qui ne va pas chez lui. Ce n’est jamais agréable, tant physiquement qu’émotionnellement, mais ces séances l’amène aussi souvent à avancer et à ne plus faire de surplace. C’est bien ce qu’il fait aujourd’hui. Même si le début avait été très difficile pour Lucas, Sofia le pousse à essayer de trouver une porte de sortie, une solution. Bien évidemment, certaines de ses propositions sont plus sarcastiques qu’autre chose. Néanmoins, petit à petit, il évoque la possibilité qu’il puisse travailler dans le restaurant que Caleb. Ne voulant pas se faire de faux espoirs, il pose toutes les questions qui lui viennent à l’esprit à Sofia. Il veut avoir toutes les cartes en main et les informations en sa possession, avant de ne serait-ce qu’envisager l’éventualité d’accepter la proposition faite par Caleb il y a quelques semaines. Alors il écoute sa kiné répondre à chacun de ses questions. Comme d’habitude, elle lui explique calmement et directement quels seront les points clés pour que cette potentielle reconversion fonctionne : y aller progressivement, continuer la rééducation, ne pas trop forcer. Tout le contraire de ce dont Lucas a envie, finalement. Il aimerait pouvoir brûler les étapes, se sentir mieux rapidement, pouvoir retrouver une activité pour ne plus tourner en rond dans son appartement. Il regarde Sofia attentivement, qui doit certainement savoir ce qu’il pense. « Ça ne va pas être facile… », finit-il par dire, en passant une main distraite dans ses cheveux. Rien ne l’a été jusqu’à présent, et il voit difficilement comment ce qu’il attend pourrait être pire, mais il se méfie toujours un peu. Sofia lui propose alors qu’ils se revoient plus régulièrement pour mettre en place de nouveaux exercices afin d’améliorer sa mobilité, lui permettre de mieux gérer sa douleur lorsqu’il se tient debout trop longtemps. « De toutes façons, même si je prends pas ce taff, ça pourra que m’aider à me sentir mieux j’imagine ? », répond-il suite à cette proposition. Il sait qu’il s’engage auprès d’elle à venir plus souvent, ce qui ne le rend pas des plus heureux. Il adore Sofia, mais certaines séances de kinésithérapie peuvent se révéler être de véritables séances de tortures, et Lucas a parfois besoin de plusieurs jours pour s’en remettre. La jeune kiné lui propose alors de la mettre en contact avec une de ses amies, qui pourrait l’aider davantage, dans l’hypothèse où l’ex-pompier accepte finalement la proposition de Caleb. Il se racle la gorge, un peu mal à l’aise. Tout ceci va si vite, il y a quelques minutes, il se trouvait totalement désespéré et démuni et voilà que Sofia commençait à lui programmer de nouveaux exercices et de nouvelles séances, comme s’il devait commencer son nouveau travail demain. « Euh, attends, j’ai rien accepté encore… », dit-il pour calmer la jeune femme. « Je… Je crois que j’ai besoin d’un peu de temps pour… pour accepter. », finit-il par prononcer, difficilement. L’acceptation, une des nombreuses étapes du deuil. Était-ce qui était en train de se passer pour lui ? « Il faut que je fasse le point, j’ai pas vu de mon ami depuis qu’il m’a fait cette proposition et je ne sais même pas si elle tient toujours. », explique-t-il à Sofia. « Mais merci de proposer tout ça. » Il sait qu’elle se donne du mal pour essayer de lui dresser un tableau plus positif que ce qu’il est certainement réellement, alors il essaie à son tour d’y mettre du sien. « Je sais que je suis pas un patient hyper facile… Désolé. », lui dit-il, un peu penaud. Bien évidemment, c’est un euphémisme lorsque l’on sait toutes les sautes d’humeur qui ont traversé Lucas en sa présence. Mais il trouve important qu’elle sache qu’il est bien conscient qu’il lui en fait parfois voir de toutes les couleurs. Il espère alors que ses excuses seront assez sincères à ses yeux pour pouvoir se faire pardonner. 

there's a long way to go
ft.   @Lucas Allen  

« Oui, j’en fais toujours… Un peu moins qu’au début, mais ça me réveille encore. » Il n'est pas rare pour Sofia d'avoir à faire face à des patients en choc traumatique. Les blessures physiques elle connaît, le corps humain c'est son domaine, mais elle sait aussi que les blessures de l'un ne laisse pas l'autre intact. Un accident, un traumatisme, une agression, quelque soit la provenance de la blessure, le corps souffre, le cerveau aussi et dans le cas de Lucas, elle sait qu'il a encore un long processus devant lui, que ce soit pour guérir des blessures physiques ou pour guérir du traumatisme et de ces effets sur l'homme. Elle est inquiète pour lui, parce qu'elle sait désormais qu'il n'aime pas évoquer cet événement, parce qu'elle sait aussi qu'il refuse l'aide qu'on lui propose en dehors des séances de kinés dans lesquelles il est investi, parfois un peu trop. Les cauchemars sont encore là, il le dit lui même, il l'évoque et il refuse aussi toutes les aides que Sofia propose. « Je ne peux pas te forcer, mais prends au moins ce numéro, c'est une connaissance qui est spécialisée dans la gestion des traumas, elle a travaillé avec des militaires sur la gestion et l'accompagnement des personnes souffrant de troubles post-traumatique. » Sofia ne peut pas le laisser ainsi sans insister, elle ne pourra pas l'emmener elle même à ce rendez-vous mais elle espère qu'il prenne la carte et qu'il laisse une place dans son esprit pour cette idée, et peut-être qu'un jour il se sentira prêt pour ce travail.

Pour le moment, il a beaucoup de choses à encaisser, à gérer mais il avance même s'il va lui falloir du temps pour tout gérer. « Ça ne va pas être facile… » Elle secoue la tête mais elle se veut rassurante malgré tout. « Non, mais tu as déjà connu bien pire, et je peux même te dire que le plus dur est déjà passé. » Retrouver la position debout, réapprendre à se tenir sur ses jambes, réapprendre à marcher malgré les blessures, malgré la douleur, malgré la perte de muscles et les tissus endommagés. Il est passé par tout ça et aujourd'hui, si les exercices sont toujours douloureux, il a déjà fait le plus dur. Sofia le sait, mais pour Lucas ce n'est pas tant la dureté des exercices ou la douleur, mais plutôt l'attente, l'évolution qui est moins visible désormais, le temps qu'il n'a pas envie de prendre alors que son corps lui demande de la patience. Mais, il relève la tête, malgré la colère, la déception, la tristesse d'entendre les mots de Sofia, elle voit dans son regard et dans son attitude l'envie d'avancer, ou plutôt de chercher comment le faire. Il évoque un nouveau travail, des pistes pour son avenir alors que le métier de pompier lui ferme ses portes. « De toutes façons, même si je prends pas ce taff, ça pourra que m’aider à me sentir mieux j’imagine ? » Elle secoue la tête, elle lui sourit, elle est soulagée de le voir réagir ainsi même s'il ne saute pas de joie, il va de l'avant et elle est tellement surprise de le voir parler d'un nouveau travail, de cette opportunité qu'elle est déjà en train de lui faire un programme pour lui permettre de se préparer au mieux pour les spécificités de ce métier. « Euh, attends, j’ai rien accepté encore… Je… Je crois que j’ai besoin d’un peu de temps pour… pour accepter.  » Elle est parfois trop positive Sofia. L'espoir elle en a à revendre pour ses patients mais elle va trop vite sans doute mais voir Lucas se projeter c'était si inattendu qu'elle a voulu rebondir sur le projet mais il va falloir du temps pour Lucas, pour qu'il accepte que sa carrière de pompier est terminée et s'ouvrir à d'autres horizons. « Prends tout ton temps, c'est normal, mais tu as pas intérêt à déserter ma salle de soin, je veux continuer à te faire travailler. » Elle n'en a pas fini avec lui, et il n'en a pas fini encore avec les soins et la rééducation, ce n'est sans doute pas une joie pour lui mais elle a encore des choses à lui apporter, du moins elle espère qu'il n'abandonne pas tout après cette annonce de la fin de sa carrière de pompier. « Il faut que je fasse le point, j’ai pas vu de mon ami depuis qu’il m’a fait cette proposition et je ne sais même pas si elle tient toujours. Mais merci de proposer tout ça. » Elle lui sourit. « C'est mon rôle aussi et je veux m'adapter à tes besoins. » Elle n'est pas là que pour annoncer (ou confirmer) les mauvaises nouvelles, elle veut aussi apporter un peu de sécurité, rassurer ses patients quand elle le peut, sans pour autant leur mentir, les remotiver, leur donner un peu de force quand ils en manque. C'est aussi pour tout ça qu'elle aime tant son métier Sofia. « Je sais que je suis pas un patient hyper facile… Désolé. » Ce n'est pas rare qu'un patient s'excuse, qu'un patient réalise après coup qu'il n'a pas été un patient facile, mais elle leur en tient rarement rigueur parce qu'ils vivent une période compliquée quand ils entrent dans la salle de soin de Sofia, parce qu'ils arrivent diminués, fragilisés, avec leurs douleurs et leurs faiblesses. « Ca va j'ai connu pire, et je sais que c'est pas agréable de venir, je te fais quand même un peu souffrir donc tu as le droit de te plaindre. » Elle lui sourit à nouveau, elle le rassure, et se permets même une petite remarque ironique pour qu'il comprenne bien qu'elle n'a pas l'intention de lui en vouloir pour son comportement. Mais elle apprécie malgré tout les excuses, et c'est aussi une preuve qu'il en a fait du chemin Lucas depuis son arrivée pour la première fois entre les mains de Sofia. « Je sais que je devrais pas dire ça, mais tu es l'un de mes patients préférés, mais ne le dis pas aux autres. » Elle lui dit en riant, comme pour montrer qu'elle n'est pas sérieuse et qu'elle le taquine un peu, juste pour tenter d'apporter un peu de légèreté alors qu'aujourd'hui n'est pas une journée facile pour Lucas. « Plus sérieusement, j'apprécie de travailler avec toi, oui tu ronchonnes mais tu as envie de progresser et c'est facile finalement. » Le plus dur étant de le canaliser mais il est investi et elle n'a pas à trop en faire pour qu'il accepte les exercices, pour qu'il accepte la douleur, pour qu'il accepte d'être présent.